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7. Ces frères malades auront un logement à part affecté à leur usage, et un serviteur qui ait la crainte de Dieu et qui soit attentionné, soigneux.
8. Toutes les fois que c'est utile, on offrira aux malades de prendre des bains, mais à ceux qui sont bien portants et surtout aux jeunes, on ne le permettra que plus rarement.
9. En outre, on permettra aux malades très affaiblis de manger de la viande, pour qu'ils se remettent ; mais quand ils seront mieux, ils se passeront tous de viande comme à l'ordinaire.
10. L'abbé prendra le plus grand soin que les malades ne soient pas négligés par les cellériers ou par les serviteurs. Lui aussi, il est responsable de toute faute commise par ses disciples.
Parler des frères malades, c’est inséparablement parler des frères qui prennent soin d’eux pour reprendre un mot que St Benoit affectionne, « prendre soin » … notre « care » moderne. Ce sera « un serviteur qui ait la crainte de Dieu et qui soit attentionné, soigneux ». Nous pouvons redire notre reconnaissance à f. Pacôme pour le soin qu’il prend des frères à l’infirmerie, mais aussi de nous tous pour le suivi de nos santés. Cet emploi fait vraiment de lui un « serviteur », c’est-à-dire un frère qui ne compte pas son temps, ni son énergie pour répondre aux demandes, et parfois dans l’urgence. En retour, il nous revient à tous de savoir aussi ne pas abuser de sa disponibilité bienveillante. Il est bon quand il n’y a pas urgence de veiller à ne pas le déranger inutilement. Lui aussi a besoin comme chacun de nous d’un temps de lectio et de prière personnelle le matin, le soir.
Parfois quand le service est plus lourd, parce qu’il y a davantage de frères à l’infirmerie qui nécessitent un suivi pour les repas ou les toilettes, f. Pacôme peut faire appel à quelques frères. Ils rendent alors un service ponctuel : donner un repas, aller chercher pour un office, aider à la toilette, faire de la lecture etc… Sachons être ouverts à ces demandes et apporter notre concours. A travers ce modeste service, nous nous rappelons notre propre fragilité qui, un jour peut-être, sera heureuse elle aussi de bénéficier de soins. Nous signifions aussi que c’est toute la communauté qui est appelée à veiller sur les frères malades. Sans nous mêler de tout, nous prenons notre part même très modeste. Je remercie ici aussi les frères qui donnent du temps pour rendre visite à l’infirmerie ou bien à un ancien dans sa chambre alors qu’il est davantage seul. Souvent le f. Jean Noël m’exprime sa reconnaissance pour tous les gestes d’attention dont il bénéficie au gré de la vie quotidienne. N’hésitons pas aussi à lui faire une visite dans sa chambre. St Benoit invite au chapitre 72 à « supporter les infirmités physiques et morales » des frères, nous l’entendons souvent comme quelque chose à subir de plus ou moins bon gré. En fait, dans le soin et l’attention quotidienne à nos frères plus diminués dans leur santé, nous apprenons à les porter, à vivre avec eux dans un élan positif de soutien et d’entraide. Ils nous offrent la chance d’apprendre à nous donner de nous-mêmes, et non à subir de mauvais gré leurs difficultés. Donnons-nous avec générosité.
1. Il faut prendre soin des malades avant tout et par-dessus tout, en les servant vraiment comme le Christ,
2. puisqu'il a dit : « J'ai été malade, et vous m'avez rendu visite »,
3. et : « Ce que vous avez fait à l'un de ces plus petits, c'est à moi que vous l'avez fait. »
4. Mais les malades, de leur côté, considéreront que c'est en l'honneur de Dieu qu'on les sert, et ils ne peineront pas, par leurs vaines exigences, leurs frères qui les servent.
5. Il faut pourtant les supporter avec patience, car des hommes de cette espèce font gagner une plus grande récompense.
6. L'abbé veillera donc avec le plus grand soin à ce qu'ils ne souffrent d'aucune négligence.
Je pense qu’il nous est tous arrivé de voir dans un poulailler un groupe de poules avec parmi elles une qui est malade plus fragile. Et se met alors en place une sorte de phénomène d’exclusion, dans lequel les poules bien portantes vont piquer la plus fragile, souvent jusqu’au sang, et parfois la tuer, comme on me le disait encore récemment à En Calcat. Je crois qu’on observerait la même chose dans d’autres groupes d’animaux : le plus faible, le malade, loin d’être pris en charge est souvent exclu voire supprimé. Est-ce une loi que les animaux portent en eux comme une sorte de réflexe de survie ? Et pour nous les humains qu’en est-il ? Je ne sais pas s’il vous est arrivé comme à moi, d’éprouver face une personne qui souffre ou qui a un handicap sévère, comme un sentiment intérieur de rejet, voire de dégoût…Un subtil et sombre désir de tenir à tout prix cette personne loin de mon regard, de mes yeux, car cette faiblesse m’insupporte. Ce sentiment ne relève-t-il pas d’un tréfond animal qui remonte à la surface ? Il manifeste que le soin du plus fragile, du plus dépendant et démuni ne nous est pas spontané.
S’il en est ainsi, peut mieux se comprendre l’insistance de Benoit sur le prendre soin des frères malades. « Il faut prendre soin des malades avant tout et par-dessus tout » et plus loin « l’abbé veillera avec le plus grand soin à ce qu’ils ne souffrent d’aucune négligence ». St Benoit ne fait que s’inscrire dans la suite du Christ qui lui-même avait perçu cette faille humaine. Il s’est alors identifié aux plus pauvres et aux blessés de la vie pour mieux en manifester toute la dignité cachée si facilement méprisée. Nous pouvons rendre grâce d’avoir cette lumière de la foi qui nous entraine à poser un autre regard sur toute personne en situation de fragilité. Et ce regard nous sommes déjà et nous serons heureux de le voir se pencher sur nous lorsque nous sommes à notre tour dans la maladie ou la faiblesse de toute sorte. Ce regard ouvert au mystère de l’autre toujours plus grand que sa dégradation apparente peut devenir moteur pour une action. Heureux sommes-nous lorsque nous osons nous mettre en action pour rendre un service, pour être plus patient, plus à l’écoute, simplement là près de celui a besoin. Car non seulement nous honorons l’autre dans son mystère, mais nous déployons le nôtre propre. En prenant soin du corps de notre frère, nous prenons soin de son âme afin qu’elle ne sombre pas dans la tristesse ou le découragement, et nous prenons soin de la nôtre, en cultivant vis-à-vis de nous-même ce regard de douceur et de patience quand le temps viendra où nous ne pourrons plus rien faire nous-mêmes.
12. Quand il n'y a qu'un repas, les semainiers recevront auparavant, en plus de la ration normale, un coup à boire et un pain chacun,
13. pour que, au moment du repas, ils servent leurs frères sans murmure et sans trop de fatigue.
14. Mais aux jours sans jeûne, ils attendront jusqu'aux grâces.
15. Le dimanche, aussitôt après la fin des matines, les hebdomadiers entrant et sortant se courberont à tous les genoux à l'oratoire, en demandant que l'on prie pour eux.
16. Celui qui sort de semaine dira ce verset : « Tu es béni, Seigneur Dieu, qui m'as aidé et consolé. »
17. L'ayant dit trois fois, celui qui sort recevra la bénédiction. Puis celui qui entre continuera en disant : « Dieu, viens à mon aide ; Seigneur, hâte-toi de m'aider. »
18. Tous répéteront les mêmes mots par trois fois, et ayant reçu la bénédiction, il entrera.
Servir « sans murmure ni trop de fatigue »… Les services quotidiens dans les repas et la liturgie peuvent parfois nous éprouver. Nous le ressentons peut-être davantage aujourd’hui quand le tour revient plus souvent. Si c’est trop, il faut pouvoir en parler car il s’agit de vivre ce service avec cœur, et non comme un fardeau. On peut alors faire en sorte de répartir la charge avec d’autres frères qui, aujourd’hui, pourront davantage porter. On peut aussi inventer de nouvelles manières de faire. Face à cette difficulté bien ressentie avec l’épidémie de grippe récente, nous mesurons davantage combien le petit rituel du samedi matin durant lequel nous prions pour les frères qui entrent en service, n’est pas une coquetterie ajoutée pour faire bien, ou pour faire spirituel. Ce petit rituel nous rappelle que servir, nous servir les uns les autres, ne nous est pas innée.
Ce n’est pas parce que le Christ le demande en nous en montrant l’exemple le premier, que cela fonctionne immédiatement pour chacun de nous. Tous, à un moment ou à un autre, nous mesurons de la résistance en nous. Cette résistance est plus sensible lorsque nous sommes fatigués. Nous pouvons alors nous dissimuler à nos propres yeux cette résistance sous le prétexte de la fatigue. Sans nous culpabiliser, il est bon de regarder en face cette résistance à servir. La regarder en face, la débusquer en quelque sorte alors qu’elle se cache souvent sous de bons prétextes, afin de ne pas en être victime à nos dépends. Mieux l’affronter surtout pour mieux la confier au Seigneur de miséricorde, afin qu’il nous en guérisse. En effet, son salut veut nous délivrer de tous ces liens plus ou moins conscients qui nous tiennent captifs et qui ne nous laissent qu’à mi-chemin de notre vraie personnalité. Le Seigneur désire pour chacun de nous, chacun selon ses forces, le déploiement de toutes nos possibilités de don, de générosité pour les autres. Aussi nous veut-il nous en donner la force si nous la lui demandons. Oui, acceptons, humblement dans une prière confiante, de demander au Seigneur son aide pour que grandisse notre disponibilité à servir nos frères. De même que dans la liturgie, nous avons besoin de la grâce du Seigneur pour prier, de même pour servir dans le quotidien, il nous faut demander : « Dieu, viens à mon aide, Seigneur hâte-toi de me secourir ». Nous servirons avec davantage de cœur, allégé du poids de nos résistances au frein si puissants.
7. Celui qui va sortir de semaine fera les nettoyages le samedi.
8. Ils laveront les linges avec lesquels les frères s'essuient les mains et les pieds.
9. Ils laveront aussi les pieds de tous, non seulement celui qui sort, mais aussi celui qui va entrer.
10. Il rendra au cellérier, propres et en bon état, les ustensiles de son service.
11. Le cellérier, à son tour, les remettra à celui qui entre, de façon à savoir ce qu'il donne et ce qu'il reçoit.
De ces lignes entendues, ce matin, je retiens l’insistance de St Benoit pour le nettoyage et la propreté. Au moment du passage de main entre les cuisiniers sortant et entrant, le cuisinier sortant veille à faire le nettoyage des lieux, mais aussi des linges, et à rendre propres et en bon état tous les « ustensiles de son service ». Cette insistance est belle et bonne à entendre. Elle montre combien l’accueil et le service fraternel passe par cette attention aux lieux et aux choses. Donner au suivant les outils propres, en état, c’est une belle manière de l’accueillir, au sens propre de lui faire de la place, de lui laisser toute la place. Sans discours, s’exprime là une profonde charité. Je fais tout pour que le frère qui vient après moi se sente à l’aise et puisse travailler comme il se doit.
Si nos usages pour la cuisine sont différents aujourd’hui, je crois que la vie quotidienne nous donne bien des occasions de vivre cela. Quand je quitte ma place au réfectoire, est ce que je suis attentif à la laisser propre pour qu’un frère puisse s’y tenir sans gêne ? Quand il m’arrive d’entrer avec des chaussures trop chargées en terre, et que je sème des cailloux ou des bouts de terre, est-ce que je pense à nettoyer ? Et même si ce n’est pas moi qui ait sali, est-ce-que j’ai ce réflexe en voyant une grosse saleté au sol dans un couloir ou dans le cloitre, ou bien vers la plonge ou le réfectoire, de la nettoyer, afin que ces espaces demeurent les plus propres et accueillants possibles ? Quand je balaie, est-ce que je laisse le balai plein de pluches et de moutons ? Si j’utilise une pelle ou une pioche, comment je la laisse après usage, est-ce que je la nettoie ? Veillons à garder ainsi cette attention pour le bienêtre de tous. Notre vie fraternelle se décline ainsi à travers une multitude de petits gestes qui montrent non seulement notre attachement au bien commun, mais aussi notre attention délicate aux besoins de nos frères. Quand on voyage, soit dans le train, ou bien lorsqu’on va dans certains lieux communs comme les toilettes, on trouve assez souvent : « veillez à laisser cet espace comme vous auriez aimé le trouver ». C’est une autre déclinaison du précepte évangélique en sa forme positive : « ce que tu veux que les autres fassent pour toi, fais-le aussi pour eux toi aussi ». Le bon sens ici nous appelle, mais nous pouvons parfois ne pas vivre selon le bon sens, oubliant, n’étant pas attentif ou bien simplement paresseux préférant notre tranquillité immédiate au bien commun dont nous sommes tous responsables. Notre manière d’occuper nos espaces n’est jamais neutre pour ceux qui les occuperont après nous. Accueillons alors la joie profonde à procurer de la joie à nos frères, en leur laissant un espace beau et propre.
1. Les frères se serviront mutuellement et personne ne sera dispensé du service de la cuisine, sauf maladie ou si l'on est occupé à une chose d'intérêt majeur,
2. parce que cela procure une plus grande récompense et charité.
3. Aux faibles, on accordera des aides, pour qu'ils ne le fassent pas avec tristesse,
4. mais ils auront tous des aides suivant l'importance de la communauté et l'état des lieux.
5. Si la communauté est nombreuse, le cellérier sera dispensé de la cuisine, ainsi que ceux qui, comme nous l'avons dit, sont occupés à des tâches d'intérêt supérieur.
6. Les autres se serviront mutuellement dans la charité.
« Ils auront tous des aides… » Ainsi Benoit prévoie-t-il, « selon l’importance des communautés et l’état des lieux » que les frères de la cuisine seront aidés dans leur travail. Dans ce service qui revenait régulièrement, cela veut dire qu’un même frère pouvait parfois être un jour le semainier en titre et un autre jour l’aide d’un frère semainier. Aujourd’hui, nos emplois et nos services sont plus spécialisés. Ils nous prennent à une bonne part de temps voire à temps plein comme la cuisine. Ils sont vécus davantage dans la durée. Mais nous gardons trace de l’appel aux aides lorsque pour les dimanches et jour de fêtes, plusieurs frères viennent à tour de rôle aider à la cuisine, mais aussi au réfectoire… Nous vivons alors souvent je crois, comme une expérience heureuse de pouvoir ainsi aider pour un temps des frères dans un autre domaine que le nôtre immédiat. Se vit pour chacun un déplacement de son domaine de compétence à celui d’un autre frère à qui on obéit simplement.
« Ils auront tous des aides » Je remarque parfois qu’il n’est pas rare que des frères aient du mal à se faire aider. Peut-être n’est-ce pas simple pour chacun de nous d’accepter d’avoir besoin d’aide. C’est accepter qu’on ne soit pas tout-puissant dans son travail. Plus pratiquement, avoir des aides, nous invite à renoncer à une certaine efficacité. Il va falloir perdre un peu de temps pour expliquer les choses. Et au final, les choses ne seront peut-être pas faites exactement comme on aurait imaginé. Mais il y a une chose qui ne se mesure pas bien ici, c’est la bonne énergie fraternelle que ce travail commun va avoir créé entre nous. Cette énergie fraternelle est au service non seulement du l’accomplissement du travail mais plus largement, elle dynamise notre vie communautaire. Elle nourrit notre joie et notre désir d’avancer ensemble.
« Ils auront tous des aides ». Si tous, nous sommes concernés, nous pourrions transformer un peu la formule, en « ils seront tous des aides » potentielles… Il nous est bon tous, de demeurer dans cet état d’esprit d’être toujours prêts à aider, et de veiller à ne pas nous enfermer dans notre domaine propre. Sans vouloir se mêler de tout ce qui est toujours pénible, cultivons cette disponibilité intérieure pour être prêts à aider quand on nous le demande, et si on remarque un besoin, de proposer son aide sans s’imposer. Vivre ainsi, c’est aussi se mettre au service de cette énergie fraternelle qui vivifie le tissu communautaire, à la manière de la sève qui irrigue l’écorce et nourrit l’arbre.
1. Comme il est écrit : « On distribuait à chacun selon ses besoins. ;»
2. Ici nous ne disons pas que l'on fasse acception des personnes, – ;à Dieu ne plaise ! – mais que l'on ait égard aux infirmités.
3. Ici, que celui qui a moins de besoins, rende grâce à Dieu et ne s'attriste pas ;
4. quant à celui qui a plus de besoins, qu'il s'humilie de son infirmité et ne s'enorgueillisse pas de la miséricorde qu'on a pour lui,
5. et ainsi tous les membres seront en paix.
6. Avant tout, que le fléau du murmure ne se manifeste sous aucun prétexte par aucune parole ou signe quelconque.
7. Si l'on y est pris, on subira une sanction très sévère.
Il y a quelques jours, nous entendions le chapitre précédent, dans lequel, Benoit insistait sur l’importance de ne rien avoir en propre, avec une certaine radicalité, pour vivre le mouvement du demander et recevoir, en relation avec cette dépendance foncière qu’est la nôtre vis-à-vis de Dieu. Aujourd’hui, ce chapitre vient tempérer cette radicalité, ou peut-être permettre de mieux la comprendre, en introduisant un autre principe tiré des Actes des Apôtres : « On distribuait à chacun selon ses besoins » (Ac 4, 35). Ce principe offre le gros avantage d’éviter de transformer la vie monastique en un communisme sec et sans souffle, où tout est nivelé par le bas, et s’il le faut par la force par la coercition au nom de la propriété de la terre qui revient au peuple. On a vu combien l’idéal fascinant s’est transformé en une sorte de goulag généralisé, avec une pensée unique, un art unique, et une vie sociale où les personnes deviennent des instruments au service d’une idéologie qui pouvait les broyer.
Rien de tel dans la vie monastique. Si chacun est invité à tout demander et recevoir, il n’en demeure pas moins que l’on reste attentif aux besoins de chacun. A l’un on donnera comme cela, et à un autre autrement. Car Dieu n’agit-il pas ainsi avec nous ? Il nous appelle à ce genre de vie, non pas pour nous broyer, mais pour nous permettre de grandir, fort de la discipline communautaire qui peut nous raboter parfois, mais aussi fort de sa grâce qui nous rejoint de manière unique là où nous sommes aujourd’hui. Ici, nous sommes tous convoqués à un exercice spirituel, d’entrer dans le regard que le Seigneur porte sur chacun, regard qui nous échappe en partie, mais nous oblige en retour à un détachement et à une liberté vis-à-vis de nos jugements sur les autres. Pour celui qui a moins de besoin, nous dit Benoit, qu’il rende grâce à Dieu, et celui a plus de besoin qu’il s’humilie et reste discret pour ne pas susciter envie ou jalousie. Dans les deux cas, il s’agit de se décentrer de soi. Faire cette confiance à la communauté, que je peux demander, et qu’on va me donner ce dont j’ai besoin. Notre vie monastique, si elle rabote notre amour propre, et nos volontés propres, les deux qui se révèlent souvent illusoires, ne veut pas nous ôter le désir de vivre. Celui-là passera parfois par les biens, des formations reçus, ou des voyages accomplis. Chacun est alors convié à se réjouir de ce qu’on peut offrir à l’autre, même si à lui, on lui donne rien ou autre chose. Bernanos disait : « Être capable de trouver sa joie dans la joie de l’autre, voilà le sens du bonheur ». En communauté, cultivons ce regard et cette attitude où l’on se réjouit pour le frère qui va peut-être faire quelque chose d’un peu exceptionnel parce que l’on sait que c’est bien pour lui.
1. Par dessus tout, il faut retrancher du monastère ce vice jusqu'à la racine :
2. que personne ne se permette de rien donner ou recevoir sans permission de l'abbé,
3. ni d'avoir rien en propre, absolument aucun objet, ni livre, ni tablette, ni stylet, mais absolument rien,
4. puisqu'on n'a même pas le droit d'avoir son corps et sa volonté à sa propre disposition.
5. Tout ce dont on a besoin, on le demande au père du monastère, et personne n'a le droit de rien avoir que l'abbé ne lui ait donné ou permis.
6. Que « tout soit commun à tous », comme il est écrit, en sorte que « ;personne ne dise sien quoi que ce soit », ni ne le considère comme tel.
7. Si quelqu'un est pris à se complaire dans ce vice extrêmement pernicieux, on l'avertira une et deux fois ;
8. s'il ne s'amende pas, il subira une réprimande.
Avoir quelque chose en propre : Benoit s’y oppose fortement reconnaissant là un vice qu’il craint de voir s’installer au monastère. L’étymologie trouvée sur Wikipedia dit : propre vient de proprius, mot composé de la préposition pro « pour » et de l’adjectif privus, « privé, particulier »…on peut traduire ce qui est pour le particulier, pour chacun…mot duquel est dérivé le mot « propriété », les choses qui sont en propre, en particulier. Cette injonction de Benoit prend à rebrousse-poil notre mentalité moderne, qui a développé un sens aigüe de la propriété privée, l’associant étroitement aux droits individuels. Notre société semble nous dire : pour être vraiment un homme, il faut avoir son autonomie et des biens personnels propres. Elle a tendance à passer en second plan le fait que chacun existe aussi dans un groupe, par, avec et pour d’autres. La vie monastique vient contester ce fait. L’insistance de Benoit laisse entendre cependant qu’hier comme aujourd’hui, cette mise en commun n’était pas évidente pour tous les esprits.
Pourquoi Benoit tient-il tant à ce que les moines n’aient rien en propre ? Il me semble que la pratique qu’il préconise de demander et de recevoir en vue que tout soit effectivement commun à tous, peut en éclairer les raisons. St Benoit invite en effet ses moines à entrer dans une belle circulation de la vie entre chacun des membres de la communauté. Par-là, Benoit veut faire entrer les moines dans une vie qui les garde de l’illusion de s’autosuffire, en amassant et en préservant pour eux-mêmes des objets et des biens. Comme dans la parabole de l’évangile (Lc 12, 14-21) il y a, en nous tous, la tentation du propriétaire qui veille jalousement sur sa fortune et ses terrains dans l’illusion de pouvoir enfin se reposer sur ses biens, en autarcie, et ne dépendre de personne. Restons vigilants lorsque nous sommes tentés de faire des réserves d’un bon produit ou quand nous gardons un livre, un outil, un appareil dont nous n’avons pas un besoin immédiat. Remettons-le dans le circuit communautaire. Car nous dit Benoit, la vraie vie, et peut-être aussi la vraie joie, celle qui peut coûter, c’est de s’inscrire dans l’échange, c’est de placer notre vie avec ses besoins les plus élémentaires (la nourriture, stylo, le papier, les vêtements, l’ordinateur, la voiture) dans le mouvement du demander et du recevoir. Apprendre à tout demander et à tout recevoir, parce qu’ainsi je suis dans la vie authentique, celle qui est toujours reçue des autres, car fondamentalement reçue de Dieu. « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?» interroge Paul (1 Co 4,7). Notre vie où tout est commun entre nous peut alors devenir comme une parabole de la vraie vie, celle qui fait sa place à chacun en partageant tout à tous, et celle qui annonce le Royaume où tous recevront également et ensemble la vie de Dieu.
1. Pour l'avoir du monastère en outils, vêtements et biens de toute sorte, l'abbé choisira des frères, de vie et mœurs dont il soit sûr,
2. et il leur remettra ces différents objets, comme il le jugera bon, pour qu'ils les conservent et les recueillent.
3. De ces objets, l'abbé gardera l'inventaire. Ainsi, quand les frères se succèdent à tour de rôle dans l'emploi, il saura ce qu'il donne et ce qu'il reçoit.
4. Si quelqu'un traite les biens du monastère sans propreté ou sans soin, on le réprimandera.
5. S'il ne s'amende pas, il subira les sanctions de règle.
Ce chapitre sur le soin à apporter aux outils et aux biens du monastère nous invite à prendre de la hauteur dans notre quotidien même. Prendre soin de nos outils, du couteau du cuisinier, du balai pour le ménage, du fer à repasser pour le linge, de l’ordinateur pour tous les usages qu’on peut lui demander, de la pelle ou la bêche pour le jardin, prendre soin de chacun de ses outils, c’est prendre soin de notre travail et aussi du bien être de la communauté et plus largement de tous ceux qui sont bénéficiaires de notre travail d’une manière ou d’une autre. Cultivons cette prise de hauteur de vue pour cultiver dans le même temps la conscience d’être intégré dans une œuvre de création bien plus grande et ample que la seule tâche que nous accomplissons. Lors de la prière de bénédiction des bureaux d’Ezalen que j’ai faite mercredi matin, Thierry avait choisi un texte de Ben Sira dont je cite un extrait qui dit cela : « Il en va du potier, toujours à son ouvrage ; il actionne le tour avec ses pieds, il est en perpétuel souci de son travail et tous ses gestes sont comptés ; de ses mains il fixe l’argile, il la malaxe avec ses pieds, il met son cœur à parfaire le vernis, il passe des nuits à nettoyer le four. Tous ces gens-là ont mis leur confiance dans leurs mains, et chacun possède la sagesse de son métier…Ils consolident la création originelle et leur prière se rapporte aux travaux de leur métier » (Si 38, 29-31, 34).
« Ils consolident la création originelle »… Tels nous sommes tous les uns et les autres dans nos divers travaux dont aucun n’est méprisable, car chacun sert la création originelle. En prenant soin de nos outils, en soignant nos gestes, notre travail, nous entrons dans le mouvement de la création qui se poursuit et auquel nous collaborons de manière aussi étroite que simple. A l’inverse, lorsqu’on bâcle le travail, lorsqu’on cherche à bourrer les choses, à faire au plus vite pour en avoir fini au plus vite, on passe à côté, on manque l’essentiel : la grâce d’être inséré dans un projet qui nous dépasse autant qu’il nous relie à tous. Car souvent nous allons faire payer aux autres notre travail bâclé. Ils devront refaire des choses etc…Lorsqu’on est dans cet état d’esprit guidé par le seul souci de gagner du temps, d’être au top de l’efficacité, on se place au centre. On oublie qu’on n’est qu’un modeste maillon, et qu’on ne peut aller plus vite que la musique. Soyons vigilants sur ce point, car cela peut être une tentation du moine qui veut tellement optimiser le temps, que cela devient une obsession, et que cela créé de la tension autour de lui, rendant difficile toute collaboration. Prendre soin de nos outils, développer cette conscience du bon usage de tout ce qui nous est confié, dans le respect de chose elle-même comme des personnes avec qui on l’utilise, est un bon antidote à ce risque de la quête éperdue de gagner du temps sur le temps. Notre travail, nos services, deviennent alors des lieux de communion, avec les autres et avec Dieu.
13. Qu'il ait avant tout l'humilité, et quand il n'y a rien à donner à quelqu'un, qu'il lui offre en réponse une parole aimable,
14. comme il est écrit : « Une parole aimable surpasse le don le plus précieux. »
15. Tout ce que l'abbé lui enjoindra, il en aura la responsabilité ; ce qu'il lui interdira, il ne se le permettra pas.
16. Il fournira aux frères la ration prescrite sans arrogance ni délai, de peur qu'ils ne s'irritent, en se souvenant de ce que mérite, selon la parole divine, « celui qui irritera un des petits. »
17. Si la communauté est nombreuse, on lui donnera des auxiliaires, pour que lui aussi, grâce à leur aide, il remplisse la charge qui lui est confiée sans perdre la paix de l'âme.
18. On donnera ce qui est à donner et on demandera ce qui est à demander au moment voulu,
19. afin que personne ne soit troublé ou peiné dans la maison de Dieu.
« Que personne ne soit troublé ou peiné dans la maison de Dieu ». Cette phrase concluant le chapitre sur le cellérier dit combien la paix monastique est souvent liée à la manière de gérer les affaires les plus quotidiennes. St Benoit met en évidence deux lieux sensibles qui vont contribuer ou non à cette paix : la gestion de la parole et le respect de la bonne temporalité. Comment répondre à un frère qui pose une question maladroite ou peut-être indiscrète, ou encore qui fait une demande injuste ? La réponse est simple : en opposant une parole aimable. Mais pourquoi est-ce si difficile ? Pourquoi parfois au contraire ces éclats de colère ou d’impatience ? Est-ce parce que la question nous trouve si démuni qu’on ne veut pas perdre la face, alors on se met en colère, sans se rendre compte qu’on perd encore davantage la face… Est-ce parce qu’on a l’impression d’être rabaissé à des considérations qui ne sont pas dignes de nous ? Du coup, on envoie balader l’autre. On le ridiculise au besoin par une parole blessante.
Paradoxalement offrir une parole aimable nous demande de prendre sur nous, de puiser en cette capacité de simplicité ou de vulnérabilité pour rejoindre l’autre là où il est, sans prétention d’être soi-même supérieur ou plus malin… Se comprend mieux dès lors la consigne de Benoit qui précède juste ce passage : « qu’il ait avant tout l’humilité ». Oui, donner une parole aimable demande beaucoup d’humilité pour sortir de soi et aller simplement à la rencontre de l’autre. C’est certainement une grâce à demander pour chacun de nous. Car les occasions de donner une bonne parole en vérité et fraternité sont plus nombreuses qu’on ne le croit.2d lieu sensible : la bonne temporalité dans nos échanges : sans délai, donner et demander au moment opportun. Sans délai : ne pas faire attendre, ou si on ne peut répondre assez vite, le faire savoir pour ne pas faire attendre l’autre. Comme c’est difficile. De nouveau, cela nous demande de mettre l’autre avant nous et avant nos préoccupations. Ne serait-ce qu’en lui communiquant qu’on ne peut dans le moment présent, à condition que cela ne soit pas un alibi. Car il y a une manière de ne pas répondre en son temps à des demandes qui est en fait une manière de faire sentir à l’autre un prétendu pouvoir. De nouveau, la lumière de l’humilité est ici précieuse pour nous sortir de nos prétentions illusoires. Veiller à faire les choses au moment opportun est aussi une source de paix pour tous. Sauf urgence, on ne demande pas un service à un frère après complies, ni lorsqu’il est déjà bien occupé. Question de délicatesse fraternelle. La paix est au bout de toutes ces petites attentions. Nous n’avons pas fini d’être artisan de paix entre nous.
3. Il prendra soin de tout,
4. il ne fera rien sans l'ordre de l'abbé ;
5. il observera les ordres reçus,
6. il ne fera pas de peine aux frères.
7. Si un frère lui présente une requête déraisonnable, il ne le peinera pas en le repoussant avec mépris, mais avec humilité il opposera à cette mauvaise demande un refus raisonnable.
8. Il veillera sur son âme, en se souvenant toujours de cette parole de l'Apôtre : « Qui fait bien son service, se procure une belle place. »
9. Il prendra soin des malades, des enfants, des hôtes et des pauvres avec toute sa sollicitude, sachant sans aucun doute qu'il devra rendre compte pour toutes ces personnes au jour du jugement.
10. Il considérera tous les vases du monastère et tout son avoir comme les vases sacrés de l'autel ;
11. il ne tiendra rien pour négligeable.
12. Il ne cédera pas à l'avarice ni ne sera prodigue ou dissipateur de l'avoir du monastère, mais il fera tout avec mesure et selon les ordres de l'abbé.
« Il prendra soin de tout ». Prendre soin…de tous, de lui-même et de tout objet… Le cellérier doit avoir une attention particulière aux personnes plus fragiles, les « malades, les enfants, les hôtes et les pauvres ». Pourquoi une telle insistance sur ces catégories de personnes ? N’est-ce pas parce qu’elles sont plus vulnérables, en leur corps, pour les malades, par leur âge, pour les enfants, parce qu’ils ne sont pas chez eux, pour les hôtes, et tout simplement parce qu’ils n’ont rien, pour les pauvres. Pour toutes ces personnes, un sourire, l’accueil, le pain offert ou le café, la disponibilité à écouter représente comme une fortune. Il n’est qu’à nous souvenir chacun, un jour ou l’autre d’avoir ainsi bénéficié d’une attention ou d’en avoir manqué, alors que nous étions dans une situation précaire, voire de détresse… Nous avons pu mesurer alors combien la qualité de l’attention, du soin qu’on nous portait pouvait représenter comme un véritable baume. Combien les personnes plus vulnérables ne le ressentent-elles pas ?
Attentif aux autres, le cellérier doit aussi veiller sur lui-même, « veiller sur son âme », dit St Benoit. Cette précision sur l’âme est intéressante, car il y a une manière de veiller sur soi, de prendre soin qui ressemble beaucoup à une forme de recherche de son petit confort, où toute l’énergie est déployée pour préserver sa tranquillité, ou son temps. Veiller sur son âme, nous indique qu’il y a une préoccupation à surtout ne jamais oublier, c’est celle de notre vie intérieure, ou pour dire autrement celle de notre relation avec le Seigneur. Sauf exception où le frère appelle en urgence, le cellérier comme chacun de nous doit veiller à ne jamais délaisser ce souci de la prière, de la lectio, cette attention où le Seigneur est placé au centre… « Dieu premier servi », disait Jeanne d’Arc. Le soin des plus vulnérables, et le soin de sa relation avec le Seigneur bien posés, assez naturellement on peut comprendre que St Benoit recommande de prendre grand soin des vases et de tout l’avoir du monastère, comme on prend soin des vases sacrés de l’autel. Car tous les objets qui passe dans nos mains, quel qu’ils soient, s’ils sont traités avec respect, dignité, vont nous aider à être vraiment au service des autres. Dans l’attention qu’on leur porte va se jouer le soin de notre âme, en ce qu’elle s’unifie dans tout ce qu’elle fait. Aucune tâche n’est méprisable et ne doit être bâclée. Je pense au desservice ; J’attire l’attention sur un point : il n’est pas rare de voir des frères qui ont dans les mains un objet d’usage commun, une pelle ou une balayette les jeter à terre au lieu de le déposer. Cela dénote une forme de mépris. Personne n’aurait l’idée de jeter un livre sur une table, ou une assiette ou un outil, au lieu de les poser. Mis en commun, il nous revient de veiller sur eux. Ils sont un trait d’union entre nous au service des uns des autres.