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HOMELIE

07 avril
année 2023-2024

année B - 2e dimanche Tps Pascal, 7 avril 2024 —
Ac 4, 32-35 ; 1 Jn 5, 1-6 ; Jn 20, 19-31
Homélie du F. Charles Andreu

Chers frères et sœurs, pour commenter l’évangile de ce dimanche, permettez-moi de faire d’abord un pas de côté. En 1734, le cardinal Lambertini, le futur pape Benoît XIV, fixait sept critères pour la reconnaissance des miracles dans les procès de canonisation. De ces critères qui valent encore aujourd’hui, j’en retiendrai deux : d’abord, la guérison doit être instantanée, immédiate ; ensuite, elle doit être parfaite, ne laisser aucun symptôme, aucune trace. Aussi curieux que cela puisse paraître, la résurrection de Christ ne serait donc pas un miracle valide : le Christ n’est pas ressuscité instantanément, mais le troisième jour ; et son corps porte encore des blessures ouvertes, celles précisément où Thomas met le doigt aujourd’hui .
La guérison miraculeuse et la résurrection reposent sur des logiques opposées : logique de l’immédiateté et logique du temps, logique de la perfection et logique de l’irréparé (pour le dire comme Isabelle Lebourgeois dans un livre récent). Plus profondément : logique de l’extraordinaire et logique de la vie. Bien sûr, la résurrection n’est pas un événement insignifiant. Mais alors que les guérisons miraculeuses font exception, elle est un don pour tous, le plus beau don : don d’une vie nouvelle qui vient dès maintenant épouser la logique de notre vie, et non pas la violenter. Or cette logique engage le temps et l’irréparé.
Le temps. Dans la Bible, la résurrection de Jésus n’est pas le seul événement à se dérouler le troisième jour. C’est le troisième jour que Dieu donne sa Loi au peuple rassemblé au Sinaï ; c’est le troisième jour qu’Abraham aperçoit la montagne où Dieu se manifestera dans l’interdit de sacrifier son fils Isaac. Ces exemples, parmi d’autres possibles, nous disent que Dieu n’agit pas dans l’immédiat : il laisse passer du temps, ne serait-ce que trois jours.
Dieu prend-il donc plaisir à nous faire languir ? Non. L’attente de Dieu est le signe de son amour, de son respect. Car le temps est un dimension fondamentale de notre vie : il faut du temps à notre corps pour grandir et pour guérir, il faut du temps à notre psychisme pour se construire et se travailler, il faut du temps à notre cœur pour s’ouvrir à la vie véritable. Dans nos existences humaines, « Ce qui se fait sans le temps, le temps le défait. » Si le salut, comme l’a dit Paul VI, est un dialogue entre Dieu et l’humanité, alors Dieu doit nous laisser le temps de réfléchir, de débattre en nous-même et entre nous, et non pas nous couper aussitôt la parole, imposant la bonne réponse avant même que nous ayions compris la question. La lente traversée des temps du doute et de la lumière, de la peine et de la joie, de la révolte et du consentement, nous construit. Alors seulement viennent les troisièmes jours de nos vies, jours où notre cœur s’est enfin ouvert à la parole, à la lumière, à la vie.
« La paix soit avec vous ! » Au cours de ce chemin, où trouver la paix promise par le ressuscité ? Thomas la trouve en touchant les plaies du Christ, c’est-à-dire en touchant l’irréparé de la résurrection. Car ces blessures sont le lieu où il peut se reconnaître, reconnaître l’irréparé de sa vie. Toute vie s’inscrit dans une histoire qui porte la joie bien sûr, mais aussi la blessure : chacune nous a défini, tels que nous sommes. Les arbres qui poussent en plein vent prennent la forme que le vent leur a donné.
Ressusciter, ce n’est pas devenir soudain un arbre tout droit, un autre arbre, qui n’aurait jamais connu le vent, un être sans chair, sans histoire. Ressusciter ainsi, ce ne serait pas vivre, mais mourir, disparaître, à tout jamais humilié, rejeté. Ressusciter, c’est découvrir au contraire que nos ramures décoiffées, notre chair vive et blessée peut vivre, mérite de vivre, vit enfin vraiment, telle qu’elle est. Nos corps, nos esprits et nos cœurs portent alors les stigmates de l’histoire qui les a façonnés, mais ceux-ci n’enferment plus dans la douleur. Si le moindre effleurement d’une blessure à vif fait bondir, aujourd’hui Thomas peut mettre le doigt dans les plaies de Jésus : blessures apaisées et non pas effacées, qui n’empêchent pas d’accueillir et de donner la vie.
Pour nous, cette résurrection n’est pas seulement la grâce de demain : déjà ressuscités avec le Christ, nous sommes entrés dans ce temps qui désire, qui cherche et trouve peu à peu cette vie apaisée qui s’épanouira le troisième jour.

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