vendredi 3 octobre 2025 : journée de solitude pour la communauté, messe vers 6h45 après Laudes.

Commentaires sur la Règle



Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 10, v 1-10 Comment célébrer la louange nocturne en été. écrit le 20 octobre 2015
Verset(s) :

1. De Pâques aux Calendes de novembre, d'autre part, on maintiendra intégralement toute la quantité de psalmodie indiquée plus haut,

2. excepté qu'on ne lira pas de leçons dans un livre en raison de la brièveté des nuits, mais à la place de ces trois leçons, on en dira de mémoire une de l'Ancien Testament, suivie d'un répons bref.

3. Tout le reste, on l'accomplira comme il a été dit, c'est-à-dire qu'on ne dira jamais aux vigiles nocturnes une quantité moindre que douze psaumes, non compris les psaumes trois et quatre-vingt-quatorze.

Commentaire :

Comment célébrer la louange? Je suis de plus en plus sensible et heureux quand j'entends des frères ou d'autres personnes dire qu'elles vont célébrer l'office. Célébrer l'office et non pas seulement le dire. Dire l'office est une expression qui nous vient spontanément à la bouche, mais celle de célébrer est plus juste. En' effet, il ne nous est pas demandé de nous acquitter d'une tâche, ni de dire notre office de prière pour l'avoir. Mais nous sommes conviés à célébrer, c'est-à-dire à donner de la solennité, de l'ampleur à la louange de Dieu. Le mot célébrer en latin veut dire d'abord « fréquenter en grand nombre, assister en foule » d'où ensuite l'idée de célébrer avec solennité du fait de la présence de participants nombreux. Cette origine étymologique est suggestive: en effet quand nous célébrons l'office, nous prions avec toute l'Eglise, pas seulement avec l'assemblée présente. Nous sommes même en présence des anges et de l'Eglise céleste. Dès lors notre prière liturgique est vraiment une célébration, la réunion d'une assemblée grande et nombreuse parce qu'elle associe toute l'Eglise. Elle est la prière de l'Eglise, que nous soyons deux ou 50 ou 1000 ... Dans nos voix s'expriment plus que nos seules voix présentes.

Dans le mot célébrer, on peut aussi entendre le fait que c'est tout notre être qui est convoqué à travers les gestes, le chant et les attitudes. Célébrer la louange divine nous entraine à nous laisser traverser tout entier pour exprimer à Dieu notre reconnaissance, notre action de grâce, comme nos demandes et nos supplications. Il est heureux encore, lorsque par ex dans un office que nous célébrons en voiture lors d'un voyage, des frères proposent de chanter telle ou telle partie. Que l'office s'adapte à l'occasion du voyage et ne soit pas une copie conforme de l'office du chœur, cela est normal et même souhaitable. Mais que l'on garde le souci de célébrer cet office en y soulignant notre engagement corporel par le chant ou par tel geste, est heureux. On se souvient alors qu'il n'est pas un pensum à remplir, mais bien un temps où l'on se réjouit devant Dieu et pour Lui, de la vie qui vient de Lui et de la joie que nous avons de pouvoir croire en Lui. Comme des enfants qui se savent aimés de Lui, nous chantons avec allégresse sa gloire et sa bonté pour nous. (2015-10-20)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 09, v 8-11 Combien de psaumes faut-il dire aux heures de la nuit écrit le 15 octobre 2015
Verset(s) :

8. On lira aux vigiles les livres d'autorité divine de l'Ancien Testament aussi bien que du Nouveau, ainsi que les commentaires qu'en ont faits les Pères catholiques réputés et orthodoxes.

9. Après ces trois leçons avec leurs répons, suivront les six psaumes restants, qu'on chantera avec alleluia.

10. Après ceux-ci suivra la leçon de l'Apôtre, qu'on récitera par cœur, le verset et la supplication de la litanie, c'est-à-dire Kyrie eleison ,

11. et ainsi s'achèveront les vigiles nocturnes.

Commentaire :

« On lira aux vigiles». Une des caractéristiques de l'office des vigiles est d'offrir d'abondantes lectures de l'Ecriture. Le bréviaire romain dénomme cet office « Office des lectures» faisant passer cet aspect avant celui de « vigiles-veille» durant la nuit.

Nous avons adopté à la PqV la lecture continue de l'AT, sur 3 ans, en omettant que quelques textes trop difficilement audibles ou compréhensibles. L'Ecriture nous est ainsi ouverte totalement, avec le NT lu à l'office de Laudes du T.O. Nous avons une vraie chance d'avoir cet accès complet aux Ecritures, année après année, dans une lecture à haute voix et suivie d'un répons aux vigiles. Les Ecritures viennent à nous à travers une voix humaine, celle du lecteur de semaine, pour mieux nous permettre d'y entendre la Parole que Dieu désire nous adresser. Ces Ecritures sont l'expression de la foi en Dieu, venu à la rencontre de son peuple. En elles, se reconnaît la recherche incessante faite par Israël pour se conformer à la Volonté de Dieu. Et cette recherche s'est vécue à travers les aléas d'une histoire très humaine. Rien d'humain qui ne soit présent dans les Ecritures, comme pour mieux nous dire que c'est tout l 'homme qui est convoqué, appelé à se laisser transformer par le Seigneur. En écoutant les Ecritures, nous repérons comment peu à peu la connaissance de Dieu s'est approfondie, purifiée pour préparer la venue de Jésus, le Messie apportant le point d'orgue à cette progressive révélation. Nous lisons en ce moment le livre de Josué. Certaines pages heurtent notre sensibilité; par ex quand on prête à Dieu, le commandement de passer au fil de l'épée toutes les populations, hommes et bêtes, des villes conquises par Israël. Al' époque de celui qui écrit, la pointe était certainement de mettre en évidence la nécessité pour Israël de s'en remettre totalement à Dieu, en renonçant à se servir soi-même sur le butin des villes conquises. Par l'anathème, Israël exprimait son obéissance et sa totale confiance en Dieu au regard de toutes les idoles environnantes. Aujourd'hui que Dieu puisse demander cela nous semble intolérable. Notre connaissance de Dieu s'est affinée en Jésus, pour reconnaître en Lui un Père qui fait se lever son soleil aussi bien sur les bons que sur les méchants. En écoutant ces livres de l ' AT, écrits 20 à 28 siècles avant nous, nous apprenons à entrer dans cette histoire de l'humanité en quête du visage de Dieu. Les répons qui suivent sont un guide précieux pour éclairer le passage entendu par d'autres passages de l ' AT ou du NT. La Bible s'éclaire par la Bible et ne se comprend bien que dans sa totalité. (2015-10-15)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 09, v 1-7 Combien de psaumes faut-il dire aux heures de la nuit écrit le 01 octobre 2015
Verset(s) :

1. En la saison d'hiver définie ci-dessus, on dira d'abord trois fois le verset : « Seigneur, tu ouvriras mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange. »

2. On y joindra le psaume trois et le gloria.

3. Après cela, le psaume quatre-vingt-quatorze avec antienne, ou du moins chanté d'un trait.

4. Alors suivra l'ambrosien ; ensuite six psaumes avec antiennes.

5. Quand on les aura dits, et qu’on aura dit le verset, l'abbé bénira, tous s'assiéront sur les bancs et des frères liront tour à tour dans un livre posé sur le pupitre trois leçons, entre lesquelles on chantera trois répons.

6. Deux répons seront dits sans gloria, mais après la troisième leçon, celui qui chante dira le gloria.

7. Quand le chantre commencera de le dire, aussitôt tous se lèveront de leurs sièges en signe d'honneur et de révérence pour la Sainte Trinité.

Commentaire :

Dans l'exposé de la manière de célébrer les vigiles, on peut être frappé par tous les éléments préparatoires qu'elles comportent, et qui sont répétés chaque jour: le verset introductif, le Ps 3 et Ps 94. On n'entre pas dans la prière liturgique sans un minimum de préparation surtout lorsqu'on sort du sommeil. Il faut dérouiller la machine! Plus profondément nous avons là des moyens pour nous préparer à nous tenir en présence de Dieu. Par le verset: « Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera ta louange », nous nous plaçons devant notre Dieu, comme des mendiants de sa grâce. Pour nous tenir devant lui en prière, elle nous est nécessaire. Dans l'hymne aux saints anges que nous avions lundi « Gloire à toi Seigneur des anges », nous chantions: « Que l'un d'eux, un ange, descende et passe nous toucher d'un tison, nos lèvres rendront grâce purifiées par ton pardon ». Dans la même ligne, nous pouvons entendre la répétition du Ps 3 comme une confession de foi dans le Seigneur: « Je me couche et je dors, je m'éveille: le Seigneur est mon soutien », et aussi comme une demande pressante contre tous les ennemis qui peuvent venir troubler le temps de la prière : ces pensées étrangères à la prière plus ou moins dispersantes. Humblement, nous reconnaissons que nous avons besoin de l'aide du Seigneur pour nous tourner vers lui : « Sauve-moi, mon Dieu! Tous mes ennemis, tu les frappes à la mâchoire» ... Ce Ps 3 situe tout de suite la prière de l'office au cœur de l'œuvre du salut en train d'être accomplie par le Christ, à travers son peuple. Prier nous fait collaborer à l'œuvre de salut dans notre cœur d'abord, en solidarité avec tous les hommes. L'ouverture des lèvres est donc inséparable de la disponibilité du cœur: «Aujourd'hui, si vous entendez sa voix, ne lui fermez pas votre cœur ». Le rappel du peuple qui a eu le cœur égaré dans le désert et qui a déçu le Seigneur montre que le salut se joue là au niveau du cœur. C'est au lieu de notre cœur, en vérité, en profonde confiance filiale que nous sommes invités à acclamer Dieu « notre Rocher », à nous incliner, à nous prosterner pour l'adorer. .. En entrant dans l'office, revenons au lieu de notre cœur, et là préparons-nous en demandant avec confiance la grâce du Seigneur.(2015-10-01)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, v 67-70 De l'humilité écrit le 29 septembre 2015
Verset(s) :

67. Lors donc que le moine aura gravi tous ces degrés d'humilité, il arrivera à cet amour de Dieu qui est parfait et qui met dehors la crainte.

68. Grâce à lui, tout ce qu'il observait auparavant non sans frayeur, il commencera à le garder sans aucun effort, comme naturellement, par habitude,

69. non plus par crainte de la géhenne, mais par amour du Christ et par l'habitude même du bien et pour le plaisir que procurent les vertus.

70. Cet état, daigne le Seigneur le faire apparaître par le Saint-Esprit dans son ouvrier purifié de ses vices et de ses péchés !

Commentaire :

Nous pouvons nous réjouir d'avoir entendu cette finale du long chapitre sur l'humilité. Elle résonne comme une promesse: promesse d'une vie réconciliée avec soi-même, avec les autres et avec Dieu ... L'humilité recherchée conduit à l'amour, amour de Dieu qui chasse la crainte et la peur de l'enfer, et amour du Christ qui transforme la course à sa suite en plaisir sans effort de faire le bien.

L'humilité conduit à l'amour. Cet amour se présente comme un don du Saint Esprit. Il est gratuit et il donne d'agir « sans effort ». Cet amour nous rend à nous-mêmes, pour faire le bien « comme naturellement, par habitude ». Il nous donne du «plaisir» à bien agir. St Benoit, à la différence du Maitre, voit cet état possible dès cette terre, non pas seulement au ciel. Il croit ainsi beaucoup en la grâce et beaucoup en l'homme. La grâce du St Esprit veut réaliser cela en l'homme, et ce dernier est capable d'accueillir et de consentir à cette grâce vivifiante et purifiante.

Au terme de ce long chapitre, il nous reste donc, non pas à retrousser nos manches, mais à croire en cette promesse d'amour offert. Croire en cette promesse, c'est croire, et en l'action de l'Esprit Saint et en notre désir le plus profond. Et celui-ci n'est pas d'accomplir de grandes choses, mais d'aimer vraiment comme le Christ, à sa suite. Notre désir le plus profond est de vivre le mystère pascal avec le Christ. Nos vies à la suite du Christ nous le font vivre et traverser. Un jour ou l'autre, nous sommes ou serons confrontés à des passages étroits et difficiles qui demandent de lâcher prise et d'accepter un apparent dépouillement. Passage par une forme de mort qui anticipe l'ultime passage que nous aurons à vivre. La grâce de l'humilité, accueillie et consentie, nous entrainera alors dans un amour plus profond du Christ et de son Père, dans l'Esprit Saint. Telle est la promesse que St Benoit nous laisse. Gardons-la précieusement comme un trésor qui donne sens à notre vie monastique. Il éclaire en retour nos vies humaines, et celles de nombreuses personnes qui nous entourent. « Cet état, daigne le Seigneur le faire apparaître par le Saint Esprit dans son ouvrier purifié de ses vices et de ses péchés! » (2015-09-29)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, v 62-67 De l'humilité écrit le 26 septembre 2015
Verset(s) :

62. Le douzième degré d'humilité est que, non content de l'avoir dans son cœur, le moine manifeste sans cesse son humilité jusque dans son corps à ceux qui le voient,

63. autrement dit, qu'à l'œuvre de Dieu, à l'oratoire, au monastère, au jardin, en voyage, aux champs, partout, qu'il soit assis, en marche ou debout, il ait sans cesse la tête inclinée, le regard fixé au sol,

64. et se croyant à tout instant coupable de ses péchés, il croie déjà comparaître au terrible jugement,

65. en se disant sans cesse dans son cœur ce que le publicain de l'Évangile disait, les yeux fixés au sol : « Seigneur, je ne suis pas digne, pécheur que je suis, de lever les yeux vers le ciel. »

66. Et aussi avec le prophète : « Je suis courbé et humilié au dernier point. »

67. Lors donc que le moine aura gravi tous ces degrés d'humilité, il arrivera à cet amour de Dieu qui est parfait et qui met dehors la crainte.

Commentaire :

12° ... Le moine réalise ce que le 1 er °posait comme un objectif: se tenir partout en présence de Dieu qui est toujours présent. Au 12°, l'adverbe important était « toujours» : être présent à Dieu qui est toujours présent à nous. Au 12°, l'adverbe important est « partout»: en tout lieu (à l'oratoire, aux champs, en voyage ... ), en tout ce qu'on fait, et surtout en toute sa personne, être présent à Dieu habité par la prière du publicain. Le travail de l'humilité a fait son œuvre. Le moine s'est laissé travailler par l'Esprit de Dieu. En tout son être, en toutes ses activités, il se tient en vérité sous le regard de Dieu. Sa conscience s'est aiguisée pour faire sienne en vérité la prière du publicain: « Seigneur, je ne suis pas digne, pécheur que je suis, de lever les yeux vers le ciel ».

Comment la forte conscience d'être pécheur peut-elle faire parvenir à « cet amour de Dieu qui est parfait et met dehors la crainte» ? Nous sommes devant un paradoxe qui défie la raison. Ici, il nous faut accueillir une expérience, celle transmise par les anciens moines, et que Benoit s'est appropriée. Une chose est sûre: s'il est vrai que la conscience d'être pécheur ouvre à l'amour parfait de Dieu, la conscience d'être pécheur n'a rien à voir avec la culpabilité mortifère ou un quelconque retour sur soi. Culpabilité mortifère et retour sur soi nous placent au centre dans le regret de ne pas avoir été à la hauteur de l'image que nous avons de nous. Le centre, c'est nous, et non plus Dieu. Se reconnaître pécheur, n'est-ce pas au contraire entrer dans la conscience aigüe de notre petitesse devant Dieu? Une conscience si grande qu'elle conduit à un abandon libérateur de tout notre être dans les mains de Dieu. Nous sommes si conscients d'être débiteur de l'amour, et si conscient de ne pas être capable de lui en rendre le centième, que nous nous abandonnons totalement à Dieu qui seul nous donne d'aimer. Le centre, c'est Dieu, le Père der toute miséricorde dans les bras duquel nous nous laissons étreindre. Le moine humble est celui qui sait demeurer là dans cette vive conscience de son être pécheur et débiteur. Une conscience qui est inséparablement confiance aimante et totale en Dieu notre Père. Que Celui-ci nous donne son Esprit pour éveiller en nous cette juste conscience de notre condition de pécheur, en même temps que la vive confiance en sa Miséricorde Infinie. (2015-09-26)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, v 60-61 De l'humilité écrit le 25 septembre 2015
Verset(s) :

60. Le onzième degré d'humilité est que, quand le moine parle, il le fasse doucement et sans rire, humblement, avec sérieux, en ne tenant que des propos brefs et raisonnables, et qu'il se garde de tout éclat de voix,

61. ainsi qu'il est écrit : « Le sage se reconnaît à la brièveté de son langage. »

Commentaire :

Plus on avance dans les degrés de l'humilité, plus la manière d'être devient expression de l'être profond. Peu à peu le moine devient ce qu'il est vraiment, plus en accord avec sa vérité profonde, plus lui-même. De moins en moins d'attitudes forcées ou convenues, mais on est là tel quel. Si au 6° et 7°, il Y avait une sorte de lutte intérieure dans l'acceptation de sa grande pauvreté: «je suis réduit à rien », ici au 11°, puis on le verra au 12°, l'humilité se reconnaît à l'insu du moine lui-même. Dans la manière de parler, « doucement », « humblement », « avec gravité », «par des propos brefs et raisonnables », « sans éclats de voix », l'humilité transparait.

Le piège pour nous serait de vouloir correspondre à cette description enviable, autrement dit de vouloir se créer un personnage. Je crois qu'il n'y a rien de plus éloigné au propos de St Benoit lorsqu'il propose les degrés de l'humilité. Il donne des indices, non un exemple. Ces degrés veulent davantage nous offrir des critères de discernement pour ne pas nous tromper sur l'humilité que des recommandations à imiter et auxquelles se conformer. Un petit apophtegme me semble à cet égard révélateur ... « Un frère qui partageait le logement avec d'autres frères demanda à Abba Bessarion: 'Que faire? ' Le vieillard lui répondit : 'Garde le silence et ne te mesure pas toi-même'(Bessarion 10) ». Le frère qui partageait son logement avec d'autres pouvait être tenté de se comparer aux autres. Si le jugement était en sa faveur, la tentation était peut-être pour le moine de se glorifier ou à l'inverse si le jugement était en sa défaveur de se dévaloriser tellement qu'il en perde le goût de vivre. Aussi la recommandation tombe nette: « Ne te mesure pas toi-même ». Je crois que cette recommandation est utile en ce Il ° : il s'agit d'être soi-même sans chercher à se mesurer pour savoir où nous en sommes de l'humilité. Nous ne sommes pas juge de nous-mêmes. C'est le Seigneur qui juge. « Ne le mesure pas toi-même» nous offre ainsi un garde-fou utile dans la quête de l'humilité. Cultiver le silence sur soi-même, sur les évaluations de toutes sortes qui peuvent nous habiter. .. pour s'en remettre au seul Seigneur qui sait, qui peut seul nous sauver et nous faire entrer dans la joie d'exister confiant, avec nos limites et nos forces, nos pauvretés et nos richesses sous son regard. (2015-09-25)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, v 59 De l'humilité écrit le 24 septembre 2015
Verset(s) :

59. Le dixième degré d'humilité est que l'on ne soit pas facile et prompt à rire, car il est écrit : « Le sot élève la voix pour rire. »

Commentaire :

De tous les degrés d'humilité, je trouve ce 10° le plus difficile à commenter. Il nous prend tellement à rebrousse-poil! Rire nous fait du bien le plus souvent. Que serait une vie sans rire? Le rire de l'enfant, le rire d'un groupe qui se trouve rassemblé dans la joie, le rire de l'ancien sur lui-même. Les anciens moines s'inscrivent dans la ligne de la bible qui n'aime pas le rire des ricaneurs. Ils se souviennent que Jésus a dit: «Malheur à vous qui riez maintenant (Le 6,25) ». La bible se tient à distance des railleurs impies qui se moquent de la loi de Dieu et encore de ceux qui en font une arme pour disqualifier leurs frères par la moquerie ou la dérision. Le rire devient alors synonyme de sottise et d'étroitesse d'esprit.

Comment comprendre dès lors ce 1 0° ? La citation du livre de Ben Sira faite par Benoit remise dans son contexte éclaire davantage son propos. Je la cite plus largement: « Le sot éclate de rire bruyamment. le rire de l 'homme de sens est rare et discret», et un peu plus loin: « Le sot se hâte de faire son entrée, l 'homme expérimenté prend une attitude modeste (Si 21, 20, 22). Ben Sira distingue le rire bruyant du rire discret, en parallèle avec l'assurance du sot et la modestie de l'homme expérimenté. St Benoit suggère également une mesure quand il recommande qu'on ne soit pas «facile» ni «prompt» à rire. L'humilité n'est dans le fait de ne pas rire, mais dans la manière avec ce rire est vécu. Est-ce un rire pour se mettre en avant, pour occuper le terrain, voire pour se moquer du frère? Ou bien est-ce un rire davantage reçu au gré de la vie, accueilli comme un cadeau, pour donner de la joie aux frères? Entre rire forcé ou recherché et rire accueilli et offert, peut-être là se trouve le chemin de l'humilité. Chacun de nous peut repérer parfois quand le rire est juste ou quand il ne l'est pas, quand il donne la joie et la paix ou quand il laisse un goût trouble et amer ... De prise de conscience en prise de conscience, le cœur s'affine et se purifie pour ne plus aller vers ce qui ne donne pas vraiment la paix et la joie. Car tel nous sommes sur le chemin de l'humilité, nous ne cessons de rechercher la paix et la joie. (2015-09-24)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, v 56-58 De l'humilité écrit le 23 septembre 2015
Verset(s) :

56. Le neuvième degré d'humilité est que le moine interdise à sa langue de parler et que, gardant le silence, il attende pour parler qu'on l'ait interrogé.

57. En effet, l'Écriture indique qu'« en parlant beaucoup, on n'évite pas le péché »,

58. et que « l'homme bavard ne marche pas droit sur la terre ».

Commentaire :

Attendre qu'on nous donne la parole pour parler: 9° de l'humilité. Ici nous

reconnaissons la pédagogie des anciens, présente dans bon nombre de cultures et de religions.

La sagesse s'apprend en écoutant d'abord et en sachant retenir sa parole afin de mieux la

donner au moment opportun. Ainsi l'humilité consiste dans un premier temps à savoir écouter

avant de parler. .. afin de ne pas être comme un robinet qui déverse des flots de mots sans

prendre le temps d'écouter d'abord. Dans un second temps, l'humilité consiste à accepter

d'être attentif au moment opportun pour parler. Il s'agit d'être le plus possible en adéquation

avec la parole qui est en train de circuler, afin que les mots soient tout à fait à propos ... pas en

décalage. Rien de plus fatiguant que ces discussions où chacun reste sur ses rails, dans le désir

de placer son discours, ses idées ou ses bonnes histoires, sans se préoccuper ce qui est en train

de se dire sur le moment. L'expression « dialogue de sourds» est éloquente. L'humilité ici

consiste à n'être pas tant préoccupé de soi que de la qualité de l'échange du groupe.

Ce 9° intéresse tout particulièrement chacun de nous lorsque nous sommes en groupe

pour échanger. Vais-je chercher à tout prix à placer mes histoires, dans le souci inquiet d'être

entendu? Ou bien vais-je me rendre attentif à la circulation de la parole qui évolue et se

cherche, pour m'insérer dans la discussion au moment opportun? Cette attitude est humble

car elle ne me met pas au centre. Elle m'engage à me déplacer pour évoluer avec le groupe

dans sa recherche. Il pourra arriver alors que je renonce à dire quelque chose qui pouvait être

pertinent, il y a 2 minutes, mais qu'il ne l'est plus maintenant. Il me sera donné une autre

possibilité de paroles. Faire attention à cela, c'est prendre au sérieux de développement de la

parole qui circule entre nous. Celle-ci vécue dans l'écoute les uns des autres, pourra devenir

très féconde. Cette parole-là est belle parce que dégagée du souci de soi qui encombre parfois

nos échanges. Une autre expression de l'humilité en groupe sera de veiller à ce que les autres

puissent donner leur parole. C'est le rôle premier de l'animateur, mais pas uniquement. Si

chacun est attentif, non pas tant à « en placer une» comme dit l'expression familière, mais ~

ce que son frère parle, la qualité fraternelle de nos réunions s'en trouvera vraiment changée.

Cela aussi, c'est humilité: je fais passer le bien de l'autre avant le souci de « moi ».(2015-09-23)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, v 55 De l'humilité écrit le 19 septembre 2015
Verset(s) :

55. Le huitième degré d'humilité est que le moine ne fasse rien qui ne se recommande de la règle commune du monastère et des exemples des supérieurs.

Commentaire :

8°, rien d'extraordinaire: faire ce que tout le monde fait et suivre les bons exemples des anciens. Nous lisions, il y a quelques jours, le coutumier. En quelques pages, sont décrites nos coutumes et nos façons de vivre aujourd'hui à la Pierre qui Vire. En l'écoutant, je me disais que nous avons là un bel outil pour progresser ensemble dans la vie monastique. Comme est précisé en conclusion: « Les pratiques de ce coutumier peuvent contribuer à créer un climat de paix, de confiance et de liberté entre nous, dans la mesure où elles seront acceptées par tous. Elles ont aussi pour but de nous aider à trouver aujourd'hui notre identité personnelle et collective, en nous enracinant dans une sagesse de vie patiemment éprouvée par les générations, au service d'une réelle vie monastique à la suite du Christ. » Climat de paix, de confiance et de liberté entre nous, dans la mesure où elles seront acceptées par tous. L'acceptation de ces coutumes requiert de notre part un acte d'humilité et d'obéissance. Mais en retour, elle produit immédiatement un fruit de paix, de confiance et de liberté dans la communauté. L'humilité consentie par chacun dans les multiples petits gestes de la vie quotidienne est autant de marque de charité et d'attention aux autres. Je ne pense plus ma vie à partir de moi-même, mais je la pense avec d'autres dans le désir d'être vraiment donné à Dieu. Pour l'un, il sera plus difficile de prévenir de ses absences à l'office, pour un autre de communiquer vraiment dans son emploi avec les frères, pour un autre de ne pas se réserver un dessert au libre-service, pour un autre d'attendre les autres durant le repas, ou de donner les cadeaux qu'il reçoit. .. Sans nous résigner à ces difficultés, laissons de côté, notre souci d'originalité ou notre petit confort. Faisons corps avec nos frères pour servir le Seigneur et aimer en vérité. Nos coutumes sont autant de rappels que la vie commune est une école d'amour, une sortie de soi pour faire attention aux autres. Soyons heureux d'être embarqués dans une telle aventure humaine qui a fait ses preuves. Soyons heureux d'être guidés par cette tradition reçue de nos anciens, elle nous permet de ne pas confondre nos petits désirs ou nos besoins, avec notre désir profond d'être tout au Christ. Quand cela bute, quand cela nous rabote un peu, ne fuyons pas. Regardons les anciens qui conservent leur joie profonde et la paix dans le don d'eux-mêmes à la vie commune. Ils nous laissent entrevoir que lorsque « la charité manque tout est vide, quand elle est là tout est plein ». (2015-09-19)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, v 49-50 De l'humilité écrit le 17 septembre 2015
Verset(s) :

49. Le sixième degré d'humilité est que le moine se contente de tout ce qu'il y a de plus vil et de plus abject, et que, par rapport à tout ce qu'on lui commande, il se juge comme un ouvrier mauvais et indigne,

50. en se disant avec le prophète : « J'ai été réduit à néant et je n'ai rien su. J'ai été comme une bête brute auprès de toi et je suis toujours avec toi. »

Commentaire :

« Je suis toujours avec toi » ... Peut-être est-ce là la pointe de l'enseignement de ce 6° degré? Le moine se contente de ce qui est le plus vil ou le plus abject. Il est vraiment humble quand il ne s'en offusque pas. Est-ce qu'on lui propose un chandail usagé ou des chaussures qui ont déjà servies? Il n'en est pas humilié. Il a appris à mettre de la distance entre les choses qu'il utilise et la juste estime de lui-même. Trop souvent ne prenons-nous pas comme une insulte ou comme du mépris, de ne pas avoir ce que nous désirons, ou bien de ne pas être considéré comme nous le voudrions ... Sur le chemin de l'humilité, il nous faut apprendre à cultiver l'estime de nous-même au bon endroit... Elle n'est pas dans les choses ou les outils que nous utilisons. Elle n'est pas d'en le fait d'avoir telle chose, le dernier cri. Fondamentalement elle n'est pas dans ce que nous faisons ou ne faisons pas.

Où trouver et cultiver la juste estime de soi? Ce degré nous engage à aller à l'essentiel. Elle est à chercher dans le regard que le Seigneur pose sur nous, dans la certitude que nous sommes toujours avec lui, quoi qu'il nous arrive. Parce qu'Il est toujours avec nous. Le psalmiste du Ps 72 est ici un bon maitre. Dans l'adversité, devant l'apparent triomphe des impies orgueilleux, sa foi chancèle. Si rien ne semble sourire à ceux qui mettent leur confiance en Dieu. Celui-ci est-il encore présent si tout est difficile, si tout se lie contre nous? Mais le psalmiste découvre qu'au cœur de l'adversité, Dieu est toujours avec lui. Il peut entrer dans la confiance et demeurer avec Dieu. Heureux sommes-nous si nous gardons ainsi les yeux fixés sur le Seigneur qui est toujours là, même et surtout lorsque tout semble nous être enlevé, lorsque nous sommes réduits à rien à nos propres yeux. Qu'Il nous vienne en aide.

Je finis avec un apophtegme: « Abba Poemen demandait à un frère: 'Abba Nysteros, d'où tires-tu cette vertu que, s'il arrive un sujet d'affliction dans le cenobion, tu ne parles ni n'interviens ?' Comme Abba Poemen pressait beaucoup le frère, il dit: 'Pardonne-moi abba ; lorsque j'entrai pour la première fois au cenobion, je me dis en pensée: toi et l'âne, vous ne faites qu'un; en effet de même que l'âne, on le frappe sans qu'il parle, on l'injurie sans qu'il réponde, ainsi pour toi. Comme le dit le psalmiste: « Je suis devenu une bête de somme auprès de toi, et moi, je-suis toujours avec toi ». (2015-09-17)