vendredi 15 août 2025 : fête de l’Assomption, horaire des dimanches (vigiles la veille à 20h45, messe à 10h) + concert à 16h.

Nota : L’office de None (14h45) sera prié au dolmen de ND de la Pierre-qui-Vire.

Commentaires sur la Règle



Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 9 ; Combien de psaumes faut-il dire aux heures de la nuit. écrit le 17 octobre 2024
Verset(s) :

1. En la saison d'hiver définie ci-dessus, on dira d'abord trois fois le verset : « Seigneur, tu ouvriras mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange. »

2. On y joindra le psaume trois et le gloria.

3. Après cela, le psaume quatre-vingt-quatorze avec antienne, ou du moins chanté d'un trait.

4. Alors suivra l'ambrosien ; ensuite six psaumes avec antiennes.

5. Quand on les aura dits, et qu’on aura dit le verset, l'abbé bénira, tous s'assiéront sur les bancs et des frères liront tour à tour dans un livre posé sur le pupitre trois leçons, entre lesquelles on chantera trois répons.

6. Deux répons seront dits sans gloria, mais après la troisième leçon, celui qui chante dira le gloria.

7. Quand le chantre commencera de le dire, aussitôt tous se lèveront de leurs sièges en signe d'honneur et de révérence pour la Sainte Trinité.

8. On lira aux vigiles les livres d'autorité divine de l'Ancien Testament aussi bien que du Nouveau, ainsi que les commentaires qu'en ont faits les Pères catholiques réputés et orthodoxes.

9. Après ces trois leçons avec leurs répons, suivront les six psaumes restants, qu'on chantera avec alleluia.

10. Après ceux-ci suivra la leçon de l'Apôtre, qu'on récitera par cœur, le verset et la supplication de la litanie, c'est-à-dire Kyrie eleison ,

11. et ainsi s'achèveront les vigiles nocturnes.

Commentaire :

Notre office des vigiles est riche en nourriture spirituelle. Sans qu’on sache trop comment, il nous apporte jour après jour ces nutriments nécessaires à notre croissance. Psaumes répons, lectures sont les plats de choix abondants qui varient quotidiennement. A propos des psaumes, fr. Jean Noël qui ne peut plus venir me disait son regret de ne plus retrouver certains psaumes de la nuit. Alors il pallie en lisant le psautier en continue dans la journée. Cette réflexion nous fait pressentir la place unique qu’ont les psaumes dans notre prière. Ils sont ce support merveilleux de notre dialogue avec le Seigneur. Avec eux, nous apprenons à prier, nous nous ajustons devant le Seigneur. Les psaumes sont parfois le miroir de ce que nous vivons et cherchons sur le moment. Ils nous offrent le reflet du cœur de l’homme affronté aux grandes questions ou crises qu’il peut traverser seul et avec d’autres. Et en filigrane, ils nous donnent à entendre le battement du cœur de notre Dieu qui nous cherche et qui nous attend pour vivre une relation toujours plus intime avec lui. Ils nous font partager aussi les espoirs de notre humanité qu’ils transforment les plus souvent en un cri d’espérance irrésistible. Oui soyons heureux d’être invités à cette familiarité avec le psautier.

Lorsque nous partons en voyage, prenons-le comme compagnon de route, et quand nous le pouvons, même dans un petit laps de temps, reprenons quelques psaumes. Priés alors dans un tout autre contexte, ils prennent soudain une singulière résonnance. Les lectures longues, surtout celle de l’AT, représentent une autre part substantielle de notre nourriture aux vigiles. Là encore, plongeons dans ces textes qui nous font entendre à travers la quête de tout un peuple, la voix de Dieu qu’ils ont cherché, avec lequel ils ont lutté par leur résistance parfois, et par lequel ils ont été sauvés, recrées, remis sur les routes de l’espérance. La lecture du 2d nocturne représente souvent une belle introduction au texte de la messe du lendemain, une bonne préparation pour ceux qui feront leur lectio sur l’évangile du jour. Les références de la première lecture sur la feuille programme et la photocopie de la seconde lecture disponible sur la table de la salle des casiers peuvent être utiles si on veut les retrouver, ou simplement les faire sienne pour qui n’est pas à l’office. Il serait dommage de se priver totalement de ces nourritures. Le répons qui suit la 1ère lecture est encore une source très suggestive par les résonnances bibliques qu’il indique. Toute lecture biblique n’est vraiment pleine de sens que reliée à d’autres textes, et notamment à l’évangile qui lui procure souvent un accomplissement à la lumière du mystère du Christ. De veilleur à qui coûte parfois de se lever et de durer dans la nuit, nous pouvons devenir par notre écoute des hommes gratifiés, enrichis…

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 8 ; Des offices divins au cours des nuits. écrit le 16 octobre 2024
Verset(s) :

1. En saison d'hiver, c'est-à-dire depuis les Calendes de novembre jusqu'à Pâques, il faut, suivant la norme raisonnable, se lever à la huitième heure de la nuit,

2. afin de se reposer un peu plus de la moitié de la nuit et d'être dispos au lever.

3. Quant à ce qui reste après les vigiles, les frères qui ont besoin d'apprendre quelque chose du psautier ou des leçons, l'emploieront à cette étude.

4. De Pâques aux susdites Calendes de novembre, on réglera l'heure de telle sorte que l'office des vigiles, après un tout petit intervalle où les frères pourront sortir pour les besoins de la nature, soit immédiatement suivi des matines, qui doivent être dites au point du jour.

Commentaire :

Toute société a besoin de gens qui veillent la nuit pendant que les autres dorment. Ils veillent pour que le monde continue de bien tourner, car il est impossible d’arrêter le mouvement de la vie. Qu’on pense à tous les métiers de la santé ou de la sécurité, mais aussi à de nombreuses entreprises qui assurent les 3/8 pour que les machinent ne s’arrêtent pas… Ils veillent sur la vie pour que celle-ci soit la meilleure possible pour tous. Sur le plan spirituel, peut-on dire aussi la même chose : des hommes et des femmes veillent dans la nuit pour que la vie selon l’Esprit ne cesse pas de se manifester ni de se donner… Apparemment cela ne sert à rien. Cela ne se vend ni se s’achète. Mais cela fait signe à qui sait lire. Certains comptent sur ce signe pour donner du sens à leur existence. Ainsi le fait que nous priions au milieu de la nuit, que nous consacrions du temps pour la louange gratuite redonne du courage à un tel qui connait des insomnies, ou à un autre qui est dans l’épreuve, ou encore dans l’activité professionnelle, à la mère de famille qui allaite.

Nous savons aussi le prix de ce lever de nuit. Il nous en coûte non seulement de nous lever, mais aussi de garder une hygiène de vie pour que ce lever soit possible (faire la sieste, manger raisonnablement, ne pas travailler toujours sur les nerfs). Les santés empêchent parfois de se lever, et font qu’aujourd’hui nous sommes moins nombreux à l’office. Nous aurons à en reparler. Mais reste la question première : comment demeurons-nous des veilleurs ? Comment nous laissons-nous traverser et animer par la quête de Dieu et de sa présence ? N’est-ce pas cela dont notre monde a aussi besoin ? De sentir que des hommes et des femmes sont là, occupés à tendre l’oreille, à affiner leur compréhension du mystère de la vie, de Dieu, qu’ils ne veulent pas en relâcher… A nous moines, il revient de nous exercer à ce lent travail de l’attente patiente pour la transformer en attente aimante. A nous moines, il revient de ne pas nous départir de cette quête, pour accueillir ce que Dieu veut nous donner et ce vers quoi il nous entraine au-delà de ce que nous imaginons… Oui, cultivons ce sens de la veille. Un frère me disait que parfois, surtout à l’extérieur, il lui arrive de se réveiller en pleine nuit, notamment vers 2h00. Plutôt que de tourner dans son lit et ne pas réussir à retrouver le sommeil, il se lève et il prie. Puis il se rendort ensuite plus facilement. Veiller en disant quelques psaumes avant de dormir ou en se levant, si on n’a pu aller aux Vigiles. Veiller pour tenir en éveil notre mémoire du Seigneur … « Vers ton nom, vers la mémoire de toi, va le désir de l’âme » (Is 26, 8).

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, 70 ; De l’humilité écrit le 15 octobre 2024
Verset(s) :

70. Cet état, daigne le Seigneur le faire apparaître par le Saint-Esprit dans son ouvrier purifié de ses vices et de ses péchés !

Commentaire :

J’avais gardé ce dernier verset du long chapitre sur l’humilité, parce qu’il met bien en valeur combien ce travail de l’humilité est une « œuvre divine », comme nous l’avons déjà rencontré, une œuvre de l’Esprit Saint qui purifie le cœur de l’homme qui se confie à Lui. Pour éclairer cette conviction, je voudrais de nouveau donner la parole à ces maitres qui l’ont vraiment expérimenté. Ici, Isaac le Syrien (A. Louf. L’humilité.Parole et Silence2002, p 95-96)

« Celui qui est vraiment humble n’a pas besoin de chercher une occasion pour trouver l’humilité ; il en est rempli et la possède d’une façon quasi naturelle, sans se fatiguer. Il l’a reçue en lui-même comme une grâce qui dépasse toute la création et toute la nature, et se considère à ses propres yeux comme un pécheur, comme un homme de rien et méprisable. Il est entré dans le mystère de toutes les natures spirituelles, il possède la sagesse de toute la création, mais il sait d’une certitude absolue qu’il ne sait rien. Dans son cœur, il est humble sans rien faire pour cela, sans rien forcer. Mais est-ce vraiment possible qu’un homme devienne tel et que sa nature soit à ce point transformée ? Il ne faut pas en douter, car la puissance mystérieuse qu’il a reçue le rend parfait en toute vertu. C’est la puissance-même que les bienheureux apôtres reçurent tous la forme du feu, c’est-à-dire le paraclet, l’Esprit Consolateur. C’est ce qu’avait dit l’Ecriture : ‘Les mystères seront révélés aux humbles’ (Ps 24, 9). Cela signifie que les humbles sont capables de recevoir en eux cet Esprit des révélations qui découvrent les mystères. Mais quelqu’un dira : que faire ? comment acquérir cette humilité ? par quels moyens puis-je être digne de la recevoir ? Je me fais violence à moi-même et quand je pense l’avoir acquise, je me rends compte que des pensées qui lui sont contraires tourmentent mon esprit, et je tombe dans le désespoir. A celui qui pose toutes ces questions, l’Ecriture répond : ‘Il faut que le disciple soit comme son Maitre et le serviteur comme son Seigneur’ (Mt 10, 25). Vois ce qu’a fait pour l’acquérir Celui qui nous demande l’humilité et nous a donné cette grâce. Imite-le et tu trouveras. Lui auquel ceux qui ont accompli et sanctifié leur vie rendent gloire ainsi qu’au Père qui l’a envoyé et au Saint Esprit, maintenant et toujours et pour les siècles des siècles. Amen »

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, 67-69 ; De l’humilité écrit le 01 octobre 2024
Verset(s) :

67. Lors donc que le moine aura gravi tous ces degrés d'humilité, il arrivera à cet amour de Dieu qui est parfait et qui met dehors la crainte.

68. Grâce à lui, tout ce qu'il observait auparavant non sans frayeur, il commencera à le garder sans aucun effort, comme naturellement, par habitude,

69. non plus par crainte de la géhenne, mais par amour du Christ et par l'habitude même du bien et pour le plaisir que procurent les vertus.

Commentaire :

En guise de commentaire, je voudrais poursuivre la lecture du P. Louf, dans son livre sur l’humilité (Parole et Silence 2002, p 40-42). La dernière fois, il offrait une compréhension du passage étonnant de la crainte à l’amour, qui se réalise en celui qui est humble… Si nous sommes tous en chemin, peut-être pouvons-nous fugitivement en percevoir parfois quelque chose. Je le cite : « Peu à peu ce sentiment joyeux de contrition prédomine dans l’expérience spirituelle. De cette ascèse de pauvreté, se lève chaque jour un homme nouveau. Il est tout entier paix, joie, bienveillance, douceur. Il reste à jamais marqué par le repentir, mais un repentir plein de joie et d’amour qui affleure partout et toujours, et demeure à l’arrière-plan de sa recherche de Dieu. Un tel homme a désormais atteint une paix profonde, car il fut brisé et reconstruit en son être tout entier, par pure grâce. Il se reconnait à peine. Il est devenu différent. Il a touché de près l’abime profond du péché, et au même instant, il a été précipité dans l’abime de la miséricorde. Il a enfin appris à déposer les armes devant Dieu, à ne plus se défendre devant lui. Il a renoncé à toute justice personnelle et n’a plus de projet de sainteté. Ses mains sont vides ou ne gardent que sa misère, mais il ose l’exposer devant la miséricorde. Dieu est enfin devenu vraiment Dieu pour lui. Et rien que Dieu. Ce que veut dire : Salvator, Sauveur du péché. Il est même presque réconcilié avec son péché comme Dieu s’est réconcilié avec celui-ci. Il est heureux et reconnaissant d’être faible... Sa justice, il ne la possède qu’en Dieu seul. Il ne lui reste que ses blessures, mais soignées et guéries par la miséricorde, et qui se sont épanouies en merveilles. Il ne sait plus que rendre grâce et louer Dieu qui est toujours à l’œuvre en lui pour accomplir ses merveilles.

Pour ses frères et ses proches, il est devenu un ami, si bienveillant et si doux. Il comprend leurs faiblesses. Il n’a plus confiance en lui-même mais en Dieu seul. Il vit tout entier saisi par l’amour de Dieu et par sa Toute-puissance. C’est pourquoi, il est pauvre aussi, vraiment pauvre -un pauvre en esprit- et proche de tous les pauvres et de toutes les formes de pauvreté, spirituelle et corporelle. Il est le premier de tous les pécheurs, pense-t-il, mais un pécheur pardonné. C’est pourquoi il sait frayer, tel un égal et un frère, avec tous les pécheurs du monde. Il se sent proche d’eux car il ne se sent pas meilleur que les autres. Sa prière préférée est celle du publicain, devenue comme sa respiration, et comme le battement du cœur du monde, son désir le plus profond de salut et de guérison : « Seigneur Jésus, prends-pitié de moi pécheur !’ »

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, 67 ; De l’humilité écrit le 28 septembre 2024
Verset(s) :

67. Lors donc que le moine aura gravi tous ces degrés d'humilité, il arrivera à cet amour de Dieu qui est parfait et qui met dehors la crainte.

Commentaire :

« Lors donc que le moine aura gravi tous ces degrés d’humilité, il arrivera à cet amour de Dieu qui est parfait… » Etonnante conclusion. Alors qu’au 12° degré, le moine avait le sentiment d’être plongé au plus profond de l’abîme de son péché, avec un fort sentiment de crainte, il apparait en fait qu’il est arrivé à un sommet envié par tous, la capacité à aimer Dieu sans crainte. C’est la réalisation de ce mystérieux théorème de l’humilité qui veut que qui s’abaisse soit élevé, et qui s’enfonce dans la profondeur de son néant se trouve comme tout entier relevé dans l’amour de Dieu qui l’habite comme à son insu. On aimerait connaitre davantage comment se fait le passage de l’un à l’autre état, ce passage opéré par l’Esprit Saint nous assure St Benoit.

Dans son livre sur l’humilité, le P. A. Louf a ce développement que je cite longuement : « L’humilité ne se réduit pas à l’estime plus ou moins grande, plus ou moins tempérée, que l’homme aura de lui-même. Elle est d’un tout autre ordre, car elle transcende le domaine des qualités et des vertus, elle s’identifie avec l’être nouveau, né de la grâce du baptême et qui porte enfin tout son fruit. Si on voulait encore parler de vertu, elle serait une vertu englobante, le cœur de pierre broyé, et ressuscité en cœur de chair, dont toutes les autres vertus découlent. Comme le dira Isaac le Syrien : ‘L’humilité est le vêtement de Dieu’ (Discours 77). Un tel homme se sait désormais faible et pécheur, mais il a fini par détourner les yeux de sa misère pour ne plus contempler que la miséricorde de Dieu. La brisure de son cœur, la contrition, s’est insensiblement transformée en joie humble et paisible, en amour et en action de grâce. Aucune faute, aucun péché ne sont niés ou excusés, mais ils ont été noyés et engloutis dans la miséricorde. Là où le péché abondait, la grâce ne cesse de surabonder (Rm 5, 20). Tout ce que le péché avait brisé est restauré par la grâce en mieux, bien mieux qu’auparavant. Sa prière porte encore les traces du péché et de sa misère, et sans doute pour toujours, mais la faute est dorénavant une heureuse faute, une ‘felix culpa’, comme nous le chantons à chaque Vigile Pascale, une culpabilité qui est engloutie par l’amour. Entre la contrition et l’action de grâce, il n’y a presque plus de différence. Toutes deux se compénètrent, et les larmes du repentir sont aussi bien des larmes d’amour » (A. Louf. L’humilité, Parole et Silence 2002, p 39-40)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, 62-66 ; De l’humilité écrit le 27 septembre 2024
Verset(s) :

62. Le douzième degré d'humilité est que, non content de l'avoir dans son cœur, le moine manifeste sans cesse son humilité jusque dans son corps à ceux qui le voient,

63. autrement dit, qu'à l'œuvre de Dieu, à l'oratoire, au monastère, au jardin, en voyage, aux champs, partout, qu'il soit assis, en marche ou debout, il ait sans cesse la tête inclinée, le regard fixé au sol,

64. et se croyant à tout instant coupable de ses péchés, il croie déjà comparaître au terrible jugement,

65. en se disant sans cesse dans son cœur ce que le publicain de l'Évangile disait, les yeux fixés au sol : « Seigneur, je ne suis pas digne, pécheur que je suis, de lever les yeux vers le ciel. »

66. Et aussi avec le prophète : « Je suis courbé et humilié au dernier point. »

Commentaire :

« Partout, qu’il soit assis, en marche ou debout… le moine manifeste sans cesse son humilité…» Avec ces mots, St Benoit signifie que l’humilité n’est pas limitée à un espace (l’église par ex) ou à un temps (la prière). Elle ne connait pas la distinction sacré-profane, car elle prend toute la personne. Elle transforme tout l’être. Cette situation n’est pas sans rappeler les mots de Moïse lorsqu’il communique le « shéma Israël » à son peuple : « Ecoute Israël, le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Ces paroles que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cœur. Tu les rediras à tes fils, tu les répèteras sans cesse, à la maison ou en voyage, que tu sois couché ou que tu sois levé… » (Dt 6, 4-7)

D’un côté, nous avons la manifestation d’une attitude, l’humilité, et de l’autre une invitation à se mettre sous la parole « tu aimeras le Seigneur ton Dieu », dans les deux cas, la personne est entièrement absorbée en toutes les circonstances de la vie, toujours et partout… Dans le deux cas, se vit une unification de l’être sous le regard de Dieu… Si la parole de Moïse se présente comme un appel à mettre en œuvre (vivre à l’écoute et dans l’amour de Dieu), la règle décrit un état de fait qui peut nous sembler exagéré ou bien nous paraitre confiner à une excessive culpabilité… se croyant à tout instant coupable de ses péchés, il croie déjà comparaitre au terrible jugement de Dieu. Comment comprendre ces paroles ? Peut-être sommes-nous là au cœur d’une conscience qui a été au bout de la perception de son néant et de son indignité radicale devant Dieu. Elle n’a rien à lui présenter. Elle ne peut se prévaloir, ni de ses propres forces ni de son propre mérite.

Mystère d’une conscience complètement à nue, non pas recroquevillée sur elle-même, mais totalement exposée sous la lumière de Dieu, en tout son néant, abaissée à ses propres yeux, mais élevée aux yeux de Dieu. Il n’est pas facile de parler de l’humilité, car elle semble toujours se dérober sous nos pas… Je voudrais finir avec cet apophtegme : « On demandait à un ancien ce qu’était l’humilité. Il répondit : « L’humilité est une œuvre grande et divine. Le chemin de l’humilité est fait de fatigues du corps et de rejet des péchés et de bien d’autres choses encore ». Un frère lui dit : « Mais que signifie : bien d’autres choses encore ? » « Ceci, répondit l’ancien : ne pas voir les péchés des autres, mais toujours ses propres péchés, et supplier Dieu incessamment ». (Nau 323)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, 60-61 ; De l’humilité écrit le 26 septembre 2024
Verset(s) :

60. Le onzième degré d'humilité est que, quand le moine parle, il le fasse doucement et sans rire, humblement, avec sérieux, en ne tenant que des propos brefs et raisonnables, et qu'il se garde de tout éclat de voix,

61. ainsi qu'il est écrit : « Le sage se reconnaît à la brièveté de son langage. »

Commentaire :

Dans ces lignes, on perçoit quel genre de parole est vraiment porteuse de vie, et pour nous-même et entre nous…quel genre de parole donne vraiment du fruit. Quand un frère parle de cette manière, on le remarque tout de suite. Ces mots brefs, bien pesés, sans prétention ni désir de s’imposer viennent comme un baume dans la conversation. Ils apaisent, ils font du bien, ils contribuent à construire quelque chose entre nous. On peut se demander dès lors : Pourquoi le plus souvent, avons-nous tant de mal à nous tenir dans cette justesse de paroles ?

Pourquoi sommes-nous tentés facilement de hausser le ton, ou bien de vouloir attirer l’attention par nos paroles ? Chacun, il peut être bon pour nous-mêmes d’essayer de comprendre ces mécanismes qui nous entrainent à l’extérieur de nous-mêmes, à la recherche de reconnaissance peut-être ou bien de sécurité… L’humilité recherchée et accueillie comme un don de Dieu vient changer nos façons d’être et de vivre ensemble. A quel genre de travail intérieur nous convoque-t-elle ? Elle nous invite à déplacer notre regard vers le Seigneur qui est le centre de notre vie, à faire silence en faisant taire tous les bruits intérieurs et toutes les préoccupations qui nous centrent sur nous-mêmes.

Le P. Denis dans un commentaire de ce chapitre a de belles lignes sur le silence comme lieu de profonde communion avec Dieu qui œuvre en nous. Je le cite : « Nous sommes tous prêts à faire des déclarations de principe sur la grandeur du silence et sa nécessité dans un monastère. Que faisons-nous, en réalité, du silence ? Le pratiquons-nous avec délicatesse et générosité, par amour de Dieu, par respect du dialogue que Dieu désire maintenir avec chacun de nous ? Le vrai silence, c’est cela : il est communion intime au Verbe de Dieu qui se communique à nous et par nous. Il atteint le plus intime de ceux avec qui nous vivons, il est respect d’une parole, il est Parole lui-même. Le silence est essentiellement constructif. Il est respect de l’œuvre de Dieu en nous, collaboration avec Dieu. Et le P. Denis de conclure : Pensons à telle occasion qui va très probablement se présenter aujourd’hui, où nous aurons à faire un effort de fidélité au silence et de vraie charité. » (Comtaire RB, Ed St Léger, p 239).

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, 56-57 ; De l’humilité écrit le 28 août 2024
Verset(s) :

56. Le neuvième degré d'humilité est que le moine interdise à sa langue de parler et que, gardant le silence, il attende pour parler qu'on l'ait interrogé.

57. En effet, l'Écriture indique qu'« en parlant beaucoup, on n'évite pas le péché »,

Commentaire :

« Que le moine interdise à sa langue de parler… » La formulation de ce 9 ° peut nous laisser un peu sur la touche avec son côté abrupt qui semble ne pas laisser place à autre chose que le silence. J’ai l’impression cependant que la vie quotidienne nous offre beaucoup d’occasion de nous affronter à cette question du silence juste qui est signe d’humilité… Je prends plusieurs exemples. Dans les groupes, il n’est pas si aisé de vivre cette discipline où l’on s’interdit de parler momentanément pour permettre à un autre frère de parler. Comment entrer dans cette discipline chacun et tous ensemble, de telle sorte que la parole circule vraiment entre nous ?

Si parfois, cela signifie « mettre un frein à sa langue » selon l’expression du psalmiste, cela ne veut en rien dire s’enfoncer dans un mutisme par lequel subtilement, en se mettant hors du jeu du partage, on se met en fait au centre, devenant un objet d’inquiétude pour les autres. Mettre un frein à sa langue, apprendre à ne pas couper l’autre, le laisser finir ce qu’il a à dire, est un bel exercice d’humilité. On se tait et l’on parle parce qu’on se sait un parmi d’autres, sans prétention de détenir la vérité ou la science que le sujet. On se tait et l’on parle parce qu’on a le désir non de faire avancer ses propres idées, mais de chercher ce qui va contribuer au bien commun. Et cela est encore humilité. Ce n’est pas ce que je pense ou dis qui compte, même si je suis convaincu de son importance, mais ce à quoi on va parvenir ensemble à élaborer, à mieux préciser ou connaitre… La recherche de la vérité est à ce prix de l’humilité consentie, parce qu’elle inséparable de la fraternité honorée. Un autre exemple. La vie quotidienne se charge continuellement de nous confronter à nos limites ou imperfections. Les évènements et parfois les frères mettent le doigt sur des faiblesses, ou des incohérences.

Comment allons-nous réagir ? En nous mettant en colère contre le mauvais sort ? En envoyant promener le frère qui nous fait une remarque ? L’humilité n’est pas ici une idée, mais elle engage une posture très concrète d’ouverture et d’accueil pour apprendre à regarder en face la réalité, notre réalité présente. Se mettre en colère ou se rebiffer signe notre aveuglement, lié peut-être à des peurs ou des angoisses. Nous n’avons pas encore consenti à notre humus, à cette part imparfaite en nous, à notre être toujours en devenir, quelque soit notre âge. Choisir l’humilité comme boussole, c’est choisir de toujours continuer à apprendre. C’est choisir d’entrer dans une écoute plus réelle de ceux qui nous entourent. La vie commune est ici une belle école d’humilité, non une humilité qui rabaisserait en faisant mal, mais une humilité qui libère en nous replaçant dans une juste dépendance vis-à-vis des autres. Osons prendre l’humilité pour boussole.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, 55 ; De l’humilité écrit le 27 août 2024
Verset(s) :

55. Le huitième degré d'humilité est que le moine ne fasse rien qui ne se recommande de la règle commune du monastère et des exemples des supérieurs.

Commentaire :

Ce 8 ° est plein de bon sens… L’humilité nous ramène toujours vers les choses pleines de bon sens. Il est habituel lorsqu’on arrive quelque part pour y vivre ou y travailler de s’informer de ce qui se fait là, et comment on fait. On s’insère dans ce qui se vit, en prenant la mesure du réel, pour le découvrir et l’appréhender à sa plus juste place, avant éventuellement de faire autrement. Rien n’est plus troublant et même irritant qu’une personne qui change tout là où elle arrive sans prendre le temps d’accueillir à sa juste valeur ce qui se fait d’abord. Illusion de penser qu’on invente tout à partir de rien, comme si tout commençait avec soi !

Au monastère, l’humilité nous entraine à cultiver au contraire l’attention à ce qui est, à ce qui se fait… la règle commune, les exemples des anciens. C’est une manière de s’enraciner, de vouloir coller à la terre qui nous accueille ici au monastère, dans l’espoir de mieux coller à ma propre terre, à mon propre humus. Car un des enjeux de l’humilité est de consentir à ce monde tel qu’il est, à l’histoire qui l’a façonné. On pourrait rêver qu’à la Pierre-qui-Vire on boive du vin tous les jours, qu’on mange de la viande, ou qu’on ait les vigiles à une autre heure, etc… Sans que ces coutumes locales soient intangibles, ni même qu’on les érige en dogme immuable, elles représentent un art de vivre qui a fait ses preuves et qui a contribué à donner à notre communauté son visage propre. Lorsque nous entrons en cette communauté, lorsque nous cheminons avec elle dans le temps, c’est humilité d’accueillir cette identité propre. Peut-être y-a-t-il des choses qui nous dérangent, voire qui nous choquent, et même des choses qu’on met du temps à accepter. N’y-a-t-il pas dès lors un acte de foi à faire ? Un acte de foi similaire à celui que l’on fait en l’appel de Dieu ? De même que j’ai reconnu et que je crois que Dieu m’a appelé ici, de même je crois que cette vie proposée ici est comme l’environnement qui me convient pour façonner et faire advenir celui que je suis appelé à devenir…

Peut-être mettrai-je du temps à comprendre que telle pratique qui me gêne à priori, voire m’irrite, en fait me convient tout à fait. Pour que j’advienne en ma réalité la plus profonde, de fils de Dieu appelé en ce lieu à servir son règne, j’en ai besoin. Car l’humilité qui me fait accueillir peu à peu les coutumes comme les exemples des anciens a des yeux bien plus perspicaces que mon premier coup d’œil. Ceci ne veut pas dire que tout soit immuable dans notre vie. Mais les évolutions de la communauté devront être guidées par cette même perspicacité du regard pour entrevoir dans le changement à vivre, une même promesse de vie pour tout le corps communautaire en train d’advenir.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, 49-54 ; De l’humilité écrit le 23 août 2024
Verset(s) :

49. Le sixième degré d'humilité est que le moine se contente de tout ce qu'il y a de plus vil et de plus abject, et que, par rapport à tout ce qu'on lui commande, il se juge comme un ouvrier mauvais et indigne,

50. en se disant avec le prophète : « J'ai été réduit à néant et je n'ai rien su. J'ai été comme une bête brute auprès de toi et je suis toujours avec toi. »

51. Le septième degré d'humilité est que, non content de déclarer avec sa langue qu'on est le dernier et le plus vil de tous, on le croie en outre dans l'intime sentiment de son cœur,

52. en s'humiliant et en disant avec le prophète : « Pour moi, je suis un ver et non un homme, l'opprobre des hommes et le rebut du peuple.

53. J'ai été exalté, humilié et confondu. »

54. Et aussi : « Il m'est bon que tu m'aies humilié, pour que j'apprenne tes commandements. »

Commentaire :

En parlant avec un frère, celui-ci me disait que parfois cela lui était difficile de ne pas se sentir dévalorisé lui-même quand lors du décès d’un frère on évoque sa vie avec tout ce qu’il y a de beau et grand, ou bien quand des frères parlent de leur expérience riche… Il en concluait : je n’en suis pas encore à ce que St Benoit dit dans le chapitre sur l’humilité : « le moine se contente de tout… » ces paroles que nous venons d’entendre… Je lui disais qu’il m’arrive aussi d’éprouver cela. Il n’est pas si facile d’accepter d’être heureusement soi-même, sans se comparer aux autres, pour s’apitoyer sur ce qu’on n’a pas et que l’on voit chez les autres. Le moine se contente de tout, et en premier lieu de ce qu’il est lui-même. N’est-ce pas pour chacun de nous la visée foncière de l’humilité vers laquelle tendre : apprendre à être bien en accord avec ce que je suis ; pouvoir entendre parfois ce que les autres me renvoient ou me donnent, même si cela ne correspond pas à l’image que je me fais de moi-même. C’est le sens de ces 6° et 7° degrés, de nous entrainer à mettre notre confiance, non dans les images plus ou moins idéales ou dorées que nous nous faisons de nous-même, mais à mettre notre confiance dans la réalité qui est la nôtre, en s’habituant à être content, même de ce qui est « plus vil », de plus modeste en nous, nos pauvretés, nos faiblesses de « mauvais et indigne ouvrier ».

Mystérieux travail de l’humilité qui ronge notre désir de briller, de gagner toujours, de réussir, d’être performant, pour apprendre à être content, même en nos zones rudes, difficiles et peu reluisantes. Là où spontanément, nous pouvons nous apitoyer sur nous-mêmes, et finalement restés centrés sur nos limites non assumées, l’humilité nous entraine à une profonde réconciliation avec ce que nous sommes et de tout ce qui nous arrive. Et alors, s’opère ou peut s’opérer un déplacement : nous ne sommes plus alors le centre, mais nous sommes au milieu des autres, un parmi d’autres. Pour nous chrétien et moines, c’est une grâce d’apprendre à entrer dans ce mouvement sous le regard du Seigneur, fort de la conviction qu’il désire nous conduire sur ces chemins de paix avec nous-mêmes, avec les autres et avec Lui. Quand nous sommes tentés de maugréer, de murmurer ou de ressasser en nous-mêmes, demandons-lui la grâce de rendre grâce d’abord pour ce qui est beau… « Plus je rends grâce, moins j’ai le temps de me plaindre ». Notre vie peut alors se relire de telle sorte qu’elle apparait sous une autre lumière, celle d’un amour qui veille sur nous et nous conduit au point qu’avec le psalmiste, on peut dire : « Il est bon que tu m’aies humilié, pour que j’apprenne tes commandements ».