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1. On choisira pour cellérier du monastère un membre de la communauté qui ait sagesse, maturité de caractère, sobriété ; qui ne soit pas grand mangeur, hautain, turbulent, injuste, lent, prodigue,
2. mais qui ait la crainte de Dieu. Il sera comme un père pour toute la communauté.
Je retiens tout particulièrement ce matin, le titre de ce chapitre… « Du cellérier du monastère, ce qu’il sera ». Parlant du cellérier, on aurait attendu « du cellérier, ce qu’il fera », tant nous sommes prompts à penser la gestion des affaires temporelles uniquement dans leur aspect technique. St Benoit évoque bien sûr ces aspects dans ce chapitre. Mais il se préoccupe de poser d’abord un sorte de portrait du cellérier, avec des balises humaines et spirituelles à ne pas perdre de vue s’il veut bien remplir sa charge. J’espère que ces caractéristiques n’effraient pas trop nos frères cellériers sortant et rentrant. Moins qu’un portrait idéal qui ne sera jamais atteint par personne, je crois qu’il faut les entendre comme des guides pour permettre au cellérier de tendre vers ce qu’il est appelé à devenir, « un père pour toute la communauté ». Je vais les reprendre rapidement.
« Sagesse », pour savoir prendre du recul par rapport aux situations et en découvrir les moyens concrets qui leur donneront du sens. « Maturité de caractère » mûri par l’expérience, mûri par la patience du temps. « Sobriété » pour aller à l’essentiel et ne pas se perdre dans des choses qui ne sont pas nécessaires. Car la recherche du Royaume et de sa justice nous presse. « Pas grand mangeur », consigne qui, au temps de St Benoit, pouvait revêtir une exigence particulière pour celui qui détenait les clés des réserves de nourriture et de boisson. « Pas hautain », pour que le cellérier n’oublie pas que la garde des biens à lui confiés ne le met pas au-dessus des autres. Elle est un service qui lui demande de se rendre accessible à tous. « Pas agité », ce point est délicat et demande au cellérier d’aller chercher en lui sa quille intérieure. C’est elle qui le laissera assez stable dans ses réactions et ses sentiments intérieurs, pour ne pas être trop balloté au gré des multiples injonctions parfois contradictoires. « Pas injuste », chercher la justice pour tous et chacun, en essayant de rejoindre chacun dans ses besoins, sans perdre de vue le bien de tous. « Pas lent », pour être au service de l’élan communautaire qui entraine chacun à un dépassement de soi. « Pas prodigue », si l’économe n’est pas économe qui le sera ? « Qu’il ait le crainte de Dieu ». Dans ce catalogue de repères, ce dernier, avec sa note spirituelle, nous découvre comme un fondement premier et nécessaire sur lequel tous les autres repères trouvent leur bon ancrage. En se souvenant que tout ce qu’il fait et vit est pour le Seigneur, le cellérier va pouvoir devenir, avec ce qu’il est, avec ses qualités, ses forces et ses faiblesses, ce père pour toute la communauté. En remerciant notre f. Benoit qui a été très généreusement au service de notre communauté, nous souhaitons à f. Xavier de trouver peu à peu sa propre manière de servir la communauté comme un père.
1. Tout âge et degré d'intelligence doit recevoir un traitement approprié.
2. Aussi chaque fois que des enfants et des adolescents par l'âge, ou des adultes qui ne peuvent comprendre ce qu'est la peine d'excommunication,
3. quand donc ceux-là commettent une faute, on les punira par des jeûnes rigoureux ou on les châtiera rudement par des coups, afin de les guérir.
« Afin de les guérir ». Nous n’avons plus au milieu de nous comme encore nos pères dans les années 1925-35 environ, avant la construction de l’école… Mais qui que nous soyons, le propos de chercher à nous corriger afin de guérir demeure un élément toujours actuel de notre travail de conversion. Pour cela, on peut entendre ce chapitre comme un appel lancé à chacun de nous à laisser vivre la part d’enfant en lui qui est prompte à se laisser corriger sans en faire un drame. L’enfant qui fait une bêtise, sait souvent qu’il va recevoir une remontrance ou une correction. Il ne s’offusque pas quand on la lui donne. S’il n’est pas content sur le moment, il oublie très vite l’orage, pour retourner à ses jeux et revenir se faire câliner par ses parents. Pourquoi est-ce si difficile d’accepter qu’on nous corrige par une parole, ou qu’on nous fasse une remarque ? Est-ce parce que cette part d’enfant est trop enfouie sous les traits d’un adulte devenu un peu rigide, tellement aveugle sur lui-même qu’il ne peut supporter une parole qui le contredise… ? On peut trouver ici une application très concrète à la parole de Jésus, « si vous ne devenez pas semblable à cet enfant, vous n’entrerez pas dans le Royaume de Dieu ».
Invitation faite à chacun de nous à laisser vivre davantage cette part d’enfant suscitée par l’Esprit Saint. L’enfant selon l’Esprit n’est pas susceptible. Il sait rire de lui-même et de ses erreurs. Il ne se prend pas trop au sérieux. Il accepte de se faire bousculer dans ses habitudes ou dans ses certitudes. Oui, une remarque ou une correction est souvent pour nous tous une bonne occasion d’aller plus loin sur le chemin de la liberté intérieure qui a à voir avec la légèreté de l’enfant. Il est bon de réfléchir un peu sur les réactions que nous sommes capables d’opposer dans de tels moments : besoin de se justifier, de répliquer immédiatement pour faire à notre tour une remarque à celui qui a osé nous en faire une…mais toi, tu es comme cela… Et ensuite, il n’est pas rare de partir énervé, en colère, en claquant la porte, pour s’installer dans la bouderie ou le mutisme. Quand nous traversons de telles situations, asseyons-nous quelque part. Osons regarder en face ce qui se passe en nous, pour tenter d’y voir plus clair ? Pourquoi je réagis comme cela alors que je sais que le frère a raison ? Pourquoi est-ce que je ne supporte pas d’être remis en cause ? Ma faiblesse me fait-elle si peur ? Alors remettons-nous devant le Seigneur, sous sa Lumière jamais aveuglante, toujours éclairante. Demandons-lui ce qu’il veut nous dire là ? N’est-ce pas une chance qui m’est offerte pour accueillir du nouveau et retrouver un peu de la fraicheur et de la joie de l’enfant de de Dieu ? Oui, ne laissons pas passer ces moments de frictions qui nous mettent à mal apparemment, car ils peuvent nous faire grand bien.
1. Un frère qui est sorti du monastère par sa propre faute, s'il veut revenir, commencera par promettre de s'amender complètement du défaut qui l'a fait sortir,
2. et alors on le recevra au dernier rang, pour éprouver par là son humilité.
3. S'il s'en va de nouveau, il sera reçu ainsi jusqu'à trois fois, en sachant qu'ensuite on lui refusera toute autorisation de retour.
En écho avec ce chapitre qui nous laisse entrevoir une possible réintégration d’un frère sorti par sa faute, je voudrais partager quelques réflexions entendues hier par internet, lors d’un colloque sur la justice réparatrice suscitée par la CRR vis-à-vis des victimes d’abus sexuels dans l’Eglise. Importance pour les victimes d’être écoutée et crue. Plusieurs témoins ont insisté sur ce fait d’une écoute qui croie sincèrement, comme premier lieu de réparation. A l’inverse, l’une a témoigné du fait de ne pas avoir été crue, ni vraiment accueillie, du coup elle a le sentiment de quelque chose qui n’est pas réglé. Importance que les actes soient nommés comme des crimes, des agressions sexuelles, des souffrances infligées et non par des euphémismes… Importance d’une instance 1/3 comme la CRR entre la personne et l’Eglise-congrégation. Importance d’une démarche qui emmène la personne dans une progression, pour pouvoir dire, être rétabli dans la relation avec l’institution qui fait une lettre de reconnaissance et donne une participation financière (même si peu ont évoqué ce point), de pouvoir devenir soi-même, acteur de nouveau de sa vie (par ex certains s’engagent fortement dans un combat pour que ne se relâche pas la vigilance sur ces problèmes, notamment par rapport à la prévention).
Il est intéressant que les personnes témoignent d’un avant et d’un après la démarche restauratrice (émotions mieux gérées, changt physiques, plus grand soin de soi, restauration des relations avec l’entourage « victimes collatérales », par ex : 1 vict = 35 pers famille éloignées de l’Eglise ; poursuite du combat-associations de victimes). Conscience que la « honte a changé de camp » qui participe à la réparation. En même temps, des réactions de personnes victimes pointaient que certains instituts n’avaient pas été à la hauteur et les laissaient dans une grande frustration. Pour la CRR, importance de mettre la victime au centre, en la croyant, mais aussi en l’associant toujours dans la démarche pour ce qu’elle souhaite et envisage afin de sortir grandie. Exemple du Québec : rencontre entre des victimes et des agresseurs qui peuvent dire aux premières qu’ils reconnaissent le mal qu’ils ont fait : cela aide les victimes, même si ce n’est pas leur propre agresseur. Sur l’importance de la présence du 1/3, par ex la CRR a été choisie par l’EPUF comme médiateur pour tous les cas qu’ils repèrent dans l’Eglise protestante. Ce 1/3 établit un lien de confiance, et avec la victime et avec l’institution. Un provincial a souligné le besoin de 1/3 aussi entre la congrégation et l’auteur d’abus. P. Goujon insistait sur la différence de temporalité pour la victime qui est dans l’urgence et l’institution qui a besoin de temps pour agir et se transformer. Car il s’agit d’une conversion profonde d’attitude et de regard. En soulignant fortement que la réparation bute toujours sur quelque chose d’irréparable.
1. Si un frère a été fréquemment repris pour une faute quelconque, si même après excommunication il ne s'amende pas, on lui infligera une punition plus rude, c'est-à-dire qu'on lui fera subir le châtiment des coups.
2. S'il ne se corrige pas non plus par ce moyen, ou que même, ce qu'à Dieu ne plaise, il se laisse emporter par l'orgueil et veuille défendre sa conduite, alors l'abbé agira comme un médecin sagace :
3. s'il a appliqué tour à tour les cataplasmes, l'onguent des exhortations, la médecine des divines Écritures, enfin le cautère de l'excommunication et des coups de verge,
4. et s'il voit que son industrie ne peut plus rien désormais, il aura encore recours à un remède supérieur : sa prière pour lui et celle de tous les frères,
5. afin que le Seigneur, qui peut tout, procure la santé à ce frère malade.
6. S'il ne se rétablit pas non plus de cette façon, alors l'abbé prendra le couteau pour amputer, comme dit l'Apôtre : « Retranchez le pervers du milieu de vous » ;
7. et encore : « Si l'infidèle s'en va, qu'il s'en aille »,
8. de peur qu'une brebis malade ne contamine tout le troupeau.
Ce chapitre nous fait bien sentir la tension qui existe toujours dans n’importe quelle vie en société, entre la recherche du bien de la personne et recherche du bien du groupe ici, de la communauté. Et comme déjà dans le chapitre lu hier, les deux images christiques associées à l’abbé, celles du médecin et du pasteur, éclairent bien cette tension. L’abbé médecin a le souci de la santé du frère. Il déploie toute son « industrie » pour rejoindre le frère qui s’isole de plus en plus dans le désir de justifier sa conduite. Après, les exhortations, les divines Ecritures, l’excommunication et les coups de verge, il met en œuvre une prière plus instante à laquelle tous les frères se joignent. La prière d’intercession est ici présentée comme le remède supérieur, montrant combien la conversion du frère reste toujours en dernier recours une œuvre de la grâce… Mais si le frère s’obstine, l’abbé pasteur se doit de prendre une mesure radicale pour se séparer d’un frère qui pourrait faire du tord à toute la communauté. L’abbé pasteur ne doit alors jamais oublier sa responsabilité du bien de tout le troupeau et prendre des décisions parfois bien difficiles.
Bien de la personne, bien de la communauté… Il me semble que plus la communauté est forte et unie dans son désir de se donner à la vie monastique, plus elle peut porter des frères en peine sans être trop fragilisée dans son élan. Car la communauté est ce milieu porteur, « matricielle », qui est fort d’une histoire et d’une tradition. Si cette tradition reste vivante, toujours en quête de sa propre justesse, elle transmet vraiment la vie à chacun. Greffé au tronc communautaire, chacun de nous, avec ses faiblesses et ses lenteurs à nous convertir y reçoit une énergie que l’on ne soupçonne pas toujours. Mais dans le même temps, que serait le corps communautaire sans la part apportée par chacun de ses membres ? On mesure alors combien, chacun, nous sommes responsables du bien de tous, par le don que nous faisons de nous-même. Nous extraire du corps communautaire, c’est lui porter un préjudice certain. Nous le privons d’une énergie précieuse, celle que l’Esprit Saint insuffle en nous pour notre bien et celui de tous. De même notre tiédeur ou nos compromis peuvent être autant de freins mis à l’action de l’Esprit en nous et dans la communauté. Cet équilibre entre bien de la personne et bien de la communauté peut parfois nous éprouver lorsqu’on a le sentiment qu’on en fait beaucoup pour un frère en peine. Essayons alors d’ouvrir les yeux, et sur ce dont nous sommes nous-mêmes les grands bénéficiaires de la part de la communauté, et sur notre part à apporter pour que la communauté reste bien vivante.
1. C'est avec toute sa sollicitude que l'abbé prendra soin des frères délinquants, car « ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. »
2. Aussi doit-il user de tous les moyens comme un médecin sagace ;: envoyer des senpectas , c'est-à-dire des frères anciens et sagaces,
3. qui comme en secret consoleront le frère hésitant et le porteront à satisfaire humblement, et le « consoleront pour qu'il ne sombre pas dans une tristesse excessive »,
4. mais comme dit encore l'Apôtre : « Que la charité s'intensifie à son égard », et que tous prient pour lui.
5. En effet, l'abbé doit prendre un très grand soin et s'empresser avec tout son savoir-faire et son industrie pour ne perdre aucune des brebis qui lui sont confiées.
6. Qu'il sache en effet qu'il a reçu la charge des âmes malades, non une autorité despotique sur celles qui sont en bonne santé.
7. Et qu'il craigne la menace du prophète, par laquelle Dieu dit : « ;Ce qui vous paraissait gras, vous le preniez, et ce qui était chétif, vous le rejetiez. »
8. Et qu'il imite l'exemple de tendresse du bon pasteur, qui abandonnant ses quatre-vingt-dix-neuf brebis sur les montagnes, partit à la recherche d'une seule brebis qui s'était perdue ;
9. sa misère lui fit tellement pitié, qu'il daigna la mettre sur ses épaules sacrées et la rapporter ainsi au troupeau.
En retrouvant ce chapitre majeur de notre règle, me revenait à l’esprit la belle conviction que nous offre la liturgie de la vigile pascale, lorsque dans « l’Exultet » on chante « heureuse faute qui nous valut un tel rédempteur ». Le mystère du mal qui s’est acharné sur le Christ, pour le maltraiter, le faire souffrir et finalement le tuer, a dévoilé en filigrane d’abord, puis dans la lumière du matin de Pâques, la profondeur de l’amour rédempteur du Christ. Il n’a pas subi la passion. Il s’est livré à son mouvement mortifère, animé par son amour qui a réalisé une œuvre plus puissante que l’œuvre de la mort. S’est opéré alors le salut, le rachat, l’effacement de la dette et la victoire sur le mal qui jusqu’alors semblait avoir le dernier mot. Mutatis mutandi, ne peut-on pas dire à propos du frère excommunié de ce chapitre, mais aussi de tout frère pris dans les affres du mal ou du renfermement sur soi : heureuse faute…. Non pas qui nous valut un tel rédempteur, mais qui vient exciter l’abbé et la communauté à aller chercher en eux des ressources spirituelles peut-être un peu endormies jusqu’alors.
S’il n’y a qu’un Rédempteur le Christ, dans la pensée de Benoit, l’Abbé médecin et pasteur, lui est étroitement associé. L’Abbé et la communauté deviennent l’instrument du Christ vis-à-vis du frère en peine. Ils sont comme le « prolongement » de son cœur pour reprendre des mots entendus hier au réfectoire dans l’encyclique du Pape François, « Dilexit nos ». Je le cite : « Notre coopération peut permettre à la puissance et à l’amour de Dieu de se répandre dans nos vies et dans le monde, tandis que le rejet ou l’indifférence peuvent l’empêcher (192) ». Oui, lorsque nous voyons un frère qui peine, qui a perdu ses repères dans le cadre monastique, peut-être nous faut-il apprendre à entrer dans une nouvelle dynamique spirituelle. Au lieu de nous lamenter, ou pire encore de juger le frère au nom de la Ste Observance de la Règle, regarder le Christ « doux et humble de cœur » et apprendre de lui à déployer les trésors d’amour et de miséricorde qu’il a déjà mis en nous depuis notre baptême. Cet amour pour le frère prendra chez certains la forme d’une parole bienveillante qui encourage, ou bien celle d’un geste qui manifeste la fraternité sans jugement. Pour tous, cet amour est appelé à prendre la forme d’une prière plus instante pour le frère qui peine, une prière dont la première vertu est de transformer notre cœur en un cœur compatissant. Un cœur, dirait le pape François, qui « se sent de plus en plus frère de tous les pécheurs du monde, …davantage frère, sans aucun sentiment de supériorité ou de dureté de jugement, mais toujours avec le désir d’aimer et de réparer (190) ». Oui, apprenons à entrer dans cette attitude du cœur, la seule dont notre frère qui peine a vraiment besoin…
1. Si un frère se permet, sans permission de l'abbé, d'entrer en rapport avec un frère excommunié de n'importe quelle façon, ou de lui parler ou de lui faire parvenir un message,
2. il subira une peine d'excommunication similaire.
Ce chapitre un peu surprenant pour nous reste cependant bien dans la logique de la mesure de l’excommunication. Il s’agit de faire ressentir fortement au frère excommunié, l’isolement dans lequel il s’est mis par sa faute ou son obstination. Dans notre contexte qui est différent de celui de Benoit, nous pourrions peut-être entendre et formuler la question autrement. Comment nous aider les uns et les autres à ne pas nous laisser entrainer dans la négligence, voire dans le mal ? Ou posée positivement, la question pourrait être : comment nous nous tirons les uns et les autres vers le haut ? Notre vie monastique a ceci de particulier, c’est d’être faite d’un ensemble de pratiques et de coutumes qui veulent nous vivifier tous les domaines de la vie, et nous garder tournés vers le Seigneur, nous convertir à Lui. La monotonie ainsi que la fatigue des jours et des années peuvent émousser notre désir et nous rendre plus tièdes dans notre élan. Et le plus dommageable serait qu’on s’entraine mutuellement à une certaine médiocrité, qu’on s’habitue ensemble à une certaine insouciance ou nonchalance.
Comment donc nous entraider dans le maintien d’un tonus communautaire de don et de générosité ? La question est à la fois personnelle et communautaire. Personnelle dans la quête qui essaie de ne pas relâcher, quoi ? son effort ? pas sûr. Je dirai plutôt son désir : le désir de se donner, désir qui nous vient à l’origine du Seigneur qui l’a mis en nous par son appel. Désir convient mieux qu’effort, car parfois lorsque la fatigue est là, l’effort semble insuffisant. Par contre le désir, lui peut se conjuguer avec notre faiblesse et notre fatigue. Ces dernières reconnues et priées pour demander l’aide du Seigneur, et la patience des frères, n’empêchent pas le frère d’exprimer par sa présence fidèle son désir de se donner, comme il est maintenant. Communautairement, comment nous entraider ? En veillant à ne pas s’habituer à transgresser certaines règles. Je pense au silence en certains endroits, en s’aidant en allant parler dans les lieux adéquats, en ne nous habituant pas à être en retard à la prière, à la table ou aux rencontres communautaires, en étant capable de mettre la main à la pâte pour un service ou un nettoyage qu’il ne nous revient pas normalement de faire, en faisant tomber une manière un peu fonctionnaire de se cantonner à son seul travail, sans vouloir à l’inverse se mêler de tout, en essayant d’être toujours ouverts, disponibles… Ici, comme dans une course de relais, l’élan reçu du frère qui s’engage un peu plus hors de sa zone de confort m’aide à mon tour à sortir davantage de moi-même… La générosité est contagieuse et très génératrice d’énergie pour nous tirer tous vers le haut. Avec le psalmiste, demandons : « Que l’esprit généreux me soutienne » (Ps 50, 14).
1. Quant au frère qui est coupable de faute grave, il sera exclu à la fois de la table et de l'oratoire.
2. Aucun frère n'entrera aucunement en rapport avec lui sous forme de compagnie ou d'entretien.
3. Qu'il soit seul au travail qu'on lui aura enjoint, persistant dans le deuil de la pénitence, sachant cette terrible sentence de l'Apôtre :
4. « Cet homme-là a été livré à la mort de la chair, pour que son esprit soit sauf au jour du Seigneur. »
5. Quant à la nourriture de son repas, il la prendra seul, dans la mesure et à l'heure que l'abbé aura jugées convenables pour lui.
6. Personne ne le bénira en passant, pas plus que la nourriture qu'on lui donne.
« Cet homme-là a été livré à la mort de la chair, pour que son esprit soit sauf au jour du Seigneur ». En reprenant cette citation de Paul aux Corinthiens (1 Co 5,5) tout en omettant la mention à Satan, Benoit s’inscrit dans la même logique. De même que Paul demandait de ne pas prendre son repas avec un homme coupable d’inceste, de même ici, il ne veut ni qu’on ne mange avec un frère coupable de fautes graves, ni qu’on le bénisse. Cette mesure d’excommunication semble donc s’apparenter à ce que Paul nomme la « mort de la chair ». Le frère, éprouvant dans tout son être comme une mort, pourra peut-être se réveiller, changer son attitude d’endurcissement et se convertir.
Cette expression « mort de la chair » pour expliciter la mise à l’écart de la communauté est parlante. C’est comme si on amputait un membre, et qu’on le laissait sans lien avec le corps…Il dépérit. Il se détruit. Nous savons tous que si un jour, nous avions un membre coupé (un doigt, la langue, une main) il faudrait tout faire pour le récupérer vite et le protéger en vue d’une opération éventuelle qui pourrait recoudre et réparer le dommage. Un frère qui est excommunié, ou qui s’excommunie, est un frère en danger de mort. Il perd son lien vital avec la communauté, ce corps d’où il tire sa substance. Cette réalité extrême peut nous faire réfléchir sur la grandeur et la valeur du lien de communion entre nous. Nous sommes membres d’un même corps duquel nous nous recevons, et auquel nous nous donnons. C’est dans un même mouvement que nous nous recevons et que nous nous donnons. Si nous refusons de nous recevoir de la communauté en acceptant la vie qu’elle nous propose, de la manière qu’aujourd’hui elle la vit, nous risquons d’exténuer et de fragiliser le lien de communion. Finalement, nous risquons de nous isoler et de ne plus nous donner, ou de nous donner à moitié. Certain réflexe de bouderie ou de murmure ou de peur sont souvent la manifestation de cela. Vivre la communion entre frère est vraiment une affaire à re-choisir jour après jour. Elle est le beau et rude combat de la charité qui regarde la réalité, non d’abord à partir de soi, mais à partir des autres. « Personne ne recherchera ce qu’il juge être son avantage, mais plutôt celui d’autrui » (RB 72, 7), on pourrait ajouter, chercher le bien du corps. Cette recommandation de Benoit peut être une bonne boussole pour demeurer des vivants dans la communion à construire.
1. C'est à la gravité de la faute que doit se mesurer la portée de l'excommunication ou du châtiment.
2. Cette gravité des fautes est remise au jugement de l'abbé.
3. Si toutefois un frère se trouve coupable de fautes légères, on le privera de la participation à la table.
4. Celui qu'on aura privé de la table commune sera au régime suivant ;: à l'oratoire, il n'imposera pas de psaume ou d'antienne ni ne récitera de leçon jusqu'à satisfaction.
5. Quant à la nourriture de son repas, il la prendra seul après le repas des frères :
6. si par exemple les frères ont leur repas à la sixième heure, ce frère aura le sien à none ; si les frères l'ont à none, il l'aura à vêpres,
7. jusqu'à ce que, par une satisfaction convenable, il obtienne son pardon.
Lorsque qu’un frère commet une faute légère, Benoit demande de prendre des mesures d’excommunication au réfectoire et à la prière commune. Pourquoi en ces deux lieux plus spécifiquement ? Dans un de ses commentaires de ce chapitre, le P. Denis dit que « l’office commun et la table commune sont les deux endroits privilégiés où va se jouer l’office médicinal de la communauté » (Ecoute 1964, Comtaire RB p 337). « L’office médicinal de la communauté ». L’expression est suggestive. C’est par la privation, que ce travail de guérison va s’exercer. Autrement dit, St Benoit recommande la diète, le manque pour guérir quelque chose qui a été de l’ordre d’une enflure, l’enflure de l’orgueil par laquelle le moine s’est montré récalcitrant, désobéissant ou murmurateur, comme le précédent chapitre l’énumérait. Par la diète, le frère n’a plus sa place active à l’office dans la psalmodie et les lectures, et il prendra ses repas seul après tout le monde. Apparait alors la solitude dans laquelle il s’est mis par son entêtement. En l’isolant un peu plus, on veut le secouer. Si la prière commune et le repas peuvent jouer ici exceptionnellement un rôle médicinal, c’est parce fondamentalement ils sont les lieux nourriciers de notre communion fraternelle. Là, jour après jour, notre communion se construit à notre insu par la présence active et bien réelle au partage de la Parole et au partage du pain.
Ensemble, nous sommes nourris par les psaumes récités et la Parole entendue, ainsi que par la nourriture reçue et les lectures écoutées. Si chacun refait ses propres forces, nous nous refaisons ensemble dans une action accomplis de concert. Et nous nous refaisons les uns par les autres. Mystère d’une communion qui se réalise sans que l’on sache trop comment, mais que l’on mesure cependant mieux lorsqu’un ou plusieurs frères sont absents. Ces absences nous font toucher du doigt combien être ensemble en ces deux moments privilégiés n’est pas facultatif ou optionnel. On ajouterait volontiers le lieu de chapitre et des rencontres communautaires. Là, ensemble nous avons rendez-vous, pour être faits ensemble et les uns par les autres. Ensemble, à la manière de la pâte du pain mis au four, nous nous élevons, nous prenons notre mesure de personne et de corps communautaire. Dans la foi, nous reconnaissons là une œuvre divine que nos seules forces humaines ne suffiraient pas à déployer. Car il ne suffit pas d’être présent au même moment et au même endroit pour que quelque chose se passe. Il faut que chacun vienne là avec le désir d’être là pour écouter, pour faire attention aux voisins, pour chanter ensemble et manger en s’attendant. Il nous revient à chacun de nous laisser guider par l’Esprit, par ce Souffle bienfaisant, qui veut nous rendre un peu plus nous-mêmes en étant un peu plus avec et pour les autres.
1. Ils auront chacun un lit pour dormir.
2. Ils recevront, par les soins de leur abbé, une literie adaptée à leur ascèse personnelle.
3. Si faire se peut, tous dormiront dans un même local. Si leur grand nombre ne le permet pas, ils reposeront par dix ou par vingt avec leurs anciens, qui veilleront sur eux.
4. Une lampe brûlera continuellement dans cette pièce jusqu'au matin.
5. Ils dormiront vêtus et ceints de ceintures ou de cordes, pour ne pas avoir de couteaux à leur côté pendant qu'ils dorment, de peur qu’ils ne blessent le dormeur pendant son sommeil,
6. et pour que les moines soient toujours prêts et que, quand on donne le signal, ils se lèvent sans attendre et se hâtent de se devancer à l'œuvre de Dieu, mais en toute gravité et retenue.
7. Les frères encore adolescents n'auront pas leurs lits les uns près des autres, mais mêlés aux anciens.
8. En se levant pour l'œuvre de Dieu, ils s'exhorteront mutuellement avec retenue, à cause des excuses des somnolents.
Pourquoi les moines dorment-ils ? A cette question, il ne me semble pas exagéré que Benoit répondrait : pour mieux se lever en vue de chanter l’œuvre de Dieu. C’est ce qui ressort de ce chapitre consacré au « comment » les moines dormiront, lorsque Benoit insiste par deux fois sur la nécessité pour les moines d’être toujours prêts au signal pour « se hâter de se devancer à l’œuvre de Dieu » en s’exhortant mutuellement. Ainsi le sommeil est ordonné à notre office principal qui est de veiller pour le Seigneur dans la louange de son nom. Cette conviction de Benoit est bonne à retenir pour nous aujourd’hui encore. Nous nous reposons, nous reprenons des forces, nous nous détendons non pour nous relâcher, pour enfin avoir du bon temps comme si là était le but de notre vie. Non, nous reposons pour mieux veiller, mieux nous donner dans le service du Seigneur. De ce point de vue, nous sommes un peu en décalage avec la culture du loisir qui est très prégnante dans notre monde occidental. Combien de fois, entendons-nous : vivement le WE, ou vivement les vacances, ou encore vivement la retraite que je puisse enfin me reposer, sous-entendu enfin vivre !
Certes dans certaines bouches, ces paroles peuvent être une légitime aspiration au repos dans des vies de travail qui sont très tendues, voire exténuantes. Mais globalement, pour beaucoup le travail est vécu comme un pis-aller dont il faut s’acquitter pour enfin jouir du repos dominical ou des vacances. Les jours de congés deviennent l’horizon vers lequel tend le désir, pour enfin vivre. La vie monastique nous invite à inverser la perspective. Sans négliger le repos afin d’être « dispos au lever » comme le précise ailleurs Benoit (RB 8), l’essentiel n’est pas le repos ou le WE. Mais l’essentiel est notre capacité à demeurer en éveil pour chanter les louanges de Dieu, parce que là est notre plus secret bonheur. Dire ceci, nous invite à examiner en retour comment nous dormons. Quel soin et quelle juste mesure gardons-nous pour nous reposer ? Si on lit le soir, est-ce dans la limite qui nous permettra de nous lever sans effort ? Le temps qui précède le coucher va souvent déterminer en bonne part la qualité de notre sommeil. On sait maintenant qu’il n’est pas bon pour les yeux de travailler à l’ordinateur ou de passer du temps devant les écrans avant de dormir. Chacun, nous sommes responsables de notre hygiène de vie. Cela peut être aussi un point à aborder dans le dialogue spirituel, pour vérifier l’équilibre que nous avons. « Dans la paix, je me couche et je dors, car tu me donnes d’habiter seul dans la confiance » dit le psalmiste (Ps 4). La paix, la confiance, l’abandon à Dieu à qui nous remettons notre journée et notre vie seront des gages d’un sommeil vraiment réparateur.
1. Si la communauté est nombreuse, on choisira parmi eux des frères de bonne réputation et de sainte vie, et on les nommera doyens,
2. pour qu'ils veillent sur leurs décanies en tout selon les commandements de Dieu et les ordres de leur abbé.
3. Ces doyens seront choisis de telle manière que l'abbé puisse, en sécurité, partager avec eux son fardeau.
4. Et on ne les choisira pas en suivant l'ordre d'ancienneté, mais d'après le mérite de leur vie et la sagesse de leurs enseignements.
5. Ces doyens, si l'un d'eux, venant à s'enfler de quelque orgueil, se montre répréhensible, et si après avoir été repris une, deux, trois fois, il refuse de se corriger, on le destituera
6. et on mettra à sa place quelqu'un qui en soit digne.
7. Pour le prévôt aussi, nous prescrivons de faire de même.
Il y a quelques jours, nous entendions un article sur les choix de conseillers et de ministres fait par Donald Trump. Nous pouvions y percevoir une sourde inquiétude face au profil de certains personnes choisies, compte tenu de leur posture sur des questions d’actualité brûlantes comme l’environnement ou la géopolitique. La crainte est de voir certain jouer de leur influence auprès du nouveau président pour faire peser les décisions de ce dernier vers des positions extrêmes. Ainsi regarde-t-on attentivement non seulement qui est le président, mais aussi qui sont les personnes dont il s’entoure. Mutatis mutandi, peut-on dire qu’il en est ainsi dans un monastère ? L’abbé a besoin lui aussi de conseillers. La règle le prévoit et nos constitutions ont affiné les critères de choix et ainsi que les attributions des conseillers. Le fait que le conseil soit en partie choisi par l’abbé et en partie élu par la communauté lui donne déjà une réelle légitimité. Si chaque conseiller arrive avec sa personnalité, ses marottes et sa vision du monastère et de la vie monastique, est-il là cependant pour vouloir jouer de son influence et faire passer avant tout ses idées ? Nous espérons que là intervient une grosse différences avec un jeu politique où il s’agit souvent davantage de faire valoir les idées de son courant de pensée que d’œuvrer ensemble au bien commun.
L’expérience montre quels sont les conseils dont on sort heureux et ceux au contraire qui sont plus pesants. On sort heureux d’un conseil lorsqu’on a pu s’écouter, et confronter nos avis de manière assez paisible, pour laisser peu à peu se dégager un certain consensus au cours de la discussion. Ce consensus parfois laborieux est le fruit de ce lent travail d’écoute de l’autre qui change mon point de vue ou bien au contraire l’affermit au contact d’un assentiment partagé. Un conseil fonctionne bien lors qu’on sort en se disant que l’on a pu s’écouter et qu’on est parvenu à avancer ensemble dans une direction. Certains conseils sont plus peineux parce qu’on a le sentiment que rien n’avance, qu’on tourne en rond. Les raisons de cet apparent échec sont multiples. Parfois, le sujet étant fort complexe, il n’est pas étonnant alors, que les choses prennent du temps à se dégager en vue d’élaborer un chemin. Parfois, cela peut être dû au manque de méthode pour aborder avec précision une question. Parfois cela peut venir, mais finalement plus rarement, du fait de l’incapacité des uns et des autres à entrer dans un point de vue autre, et à faire alors de la résistance. Le fait de sortir en trainant les pieds, avec un sentiment de tourner en rond est bon à prendre en compte, pour ne pas se boucher les yeux, et chercher s’il n’y a pas un vice de forme ou de méthode. Mais il nous faut aussi parfois accepter que l’on n’avance pas ensemble toujours à la vitesse avec laquelle chacun aimerait voir le groupe progresser. Je crois qu’il va ainsi pour toutes nos discussions.