vendredi 3 octobre 2025 : journée de solitude pour la communauté, messe vers 6h45 après Laudes.

Commentaires sur la Règle



Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 00, v 04-08 Prologue écrit le 17 juin 2019
Verset(s) :

4. Avant tout, quand tu commences à faire quelque bien, demande-lui très instamment, dans la prière, de le conduire à sa perfection,

5. afin que lui qui a daigné nous mettre au nombre de ses fils, n'ait jamais à s'attrister de nos mauvaises actions.

6. En tout temps, en effet, il nous faut lui obéir au moyen des biens qu'il met en nous, de sorte que non seulement, père irrité, il ne vienne jamais à déshériter ses fils,

7. mais aussi que, maître redoutable, courroucé de nos méfaits, il ne nous livre pas au châtiment perpétuel, comme des serviteurs détestables qui n'auraient pas voulu le suivre jusqu'à la gloire.

8. Levons-nous donc enfin, puisque l'Écriture nous éveille en nous disant : « L'heure est venue de nous lever du sommeil »,

Commentaire :

« Il nous faut lui obéir au moyen des biens qu'il met en nous »... Cette petite phrase de Benoit est rassurante et profondément vraie. Obéir est-il possible sans la grâce de Dieu? Pour St Benoit, c'est l'évidence que non. Aussi est-ce la raison pour laquelle il recommande de commencer par prier pour demander à Dieu la grâce de conduire à sa perfection le chemin entrepris. « Si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain » dit le psalmiste (Ps 126,1). Plus profondément, on peut entendre dans la recommandation de St Benoit la conviction que notre vie monastique consiste à déployer des biens qu'il a mis en nous. Comme toute vocation chrétienne, la vie monastique n'est que la mise en œuvre des propres dons de Dieu, au service de tout le Corps ecclésial et de l'humanité.

On pourrait se demander: guels sont« les biens qu'il met en nous» ? Quels dons a-t-il déposé pour nous permettre d'être moine? Le premier est certainement le don de la foi. Je crois au Christ et à son Evangile. J'adhère à la lumière qu'il m'offre pour guider mes pas dans la vie humaine. Plus j'avance, plus je reconnais cette lumière de la foi comme une force vitale pour avancer, comme un cadeau inestimable. Le second don est celui de l'appel.. .. Quand les catéchumènes cheminent vers le baptême, il y a une étape qui est appelée « appel décisif»... J'aurai envie de dire que pour chacun de nous, il y eu un« appel décisif», que l'on peut associer à un moment précis, ou à un processus progressif, ou encore à une parole précise. Reconnu comme décisif cet appel marque un tournant dans notre vie, qui a décidé notre entrée au monastère. Pour chacun, cet appel demeure un bien ressource, une sorte de trésor de grâce dans lequel on peut venir puiser des énergies, surtout lorsque le ciel est bas et que des idées noires viennent mettre en doute le bien-fondé de notre choix... Quel autre bien le Seigneur a-t-il mis en nous pour nous permettre de déployer la vie monastique? N'y-a-t-il pas le goût de la prière, cette aptitude à demeurer à l'écoute dans la liturgie, dans la lectio ou la prière silencieuse ? Le Seigneur a rendu sensible notre cœur à sa présence. Il a éveillé un désir et une écoute de son mystère contre lesquels nous n'échangerions pas les plus grandes richesses. Au cénobite que nous sommes, le Seigneur n'a-t-il pas fait don de la capacité de vivre avec des frères ? Vie fraternelle reçue comme un soutien précieux, mais aussi éprouvée et affinée à travers le service, la collaboration mais aussi le partage. C'est la grâce de vivre avec des frères, dans la patience et l'humour sur soi pour supporter les épines. Oui, avec tous ces dons que le Seigneur a mis en nous, comme des semences à faire grandir, avançons avec confiance...

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 03, v 03 De l'appel des frères en Conseil écrit le 15 juin 2019
Verset(s) :

3. À toi donc, qui que tu sois, s'adresse à présent mon discours, à toi qui, abandonnant tes propres volontés pour servir le Seigneur Christ, le roi véritable, prends les armes très puissantes et glorieuses de l'obéissance.

Commentaire :

Après l'image du labeur ou du travail pour quitter la désobéissance, Benoit utilise l'image du combat. Il suggère ainsi toute une imagerie guerrière ou chevaleresque. Paul avait déjà développé la métaphore en recommandant aux chrétiens d'Ephèse de « revêtir l'équipement de combat pour tenir contre les manœuvres du diable» (Ep 6, 11). Il s'agit donc de « prendre les armes très puissantes et glorieuses de l'obéissance » pour combattre sous la bannière du Christ, le roi véritable. Depuis la désobéissance au jardin d'Eden, la venue du Christ a changé la donne. Désormais, la logique de la désobéissance, avec ses conséquences de rupture, de repli sur soi, et finalement de mort, n'est plus dominante. Depuis la victoire du Christ, elle est vaincue. Et par le don de son Esprit, le Christ a partagé cette victoire à son Eglise. Chaque baptisé devient le bénéficiaire puis l'acteur de cette victoire. Avec tous ses frères dans la foi, il constitue une armée de combattants enrôlés, afin que le rôgne de justice et de paix du Christ advienne sur notre terre. Comme dans un corps d'armée, les rôles sont différemment répartis, à chacun ayant une am1e propre. Dans le Corps du Christ, les uns manient les armes du service, les autres les armes de la prédication, les moines les armes de l'obéissance .... St Benoit dit que ces armes sont« très puissantes et glorieuses»... Que veut-il dire par là?« Très puissantes», peut-être le sont-elles parce que ce sont les ultimes armes que le Christ lui-même a utilisées sur la Croix, pour anéantir les forces du mal et de la désobéissance. Là au moment du dernier souffle. il n'a pas eu d'autre pouvoir, que celui d'obéir dans un consentement total qui s'est révélé très puissant. « Glorieuses » peut-être faut-il entendre que l'obéissance du Christ est ainsi dans la mesure où elle ouvre la brèche décisive à la révélation de la Gloire de Dieu... Invités à reprendre les armes du Christ, nous nous unissons à son combat pour la vie, la nôtre et celle du monde. Et contre gui combattons-nous ? Pas contre nos frères, mais bien avec eux contre le même Adversaire, « les dominateurs de ce monde de ténèbres » ajoute Paul aux Ephésiens (Ep 6, 12). Et parfois cet adversaire trouve un allié solide en nous-mêmes, en cette part ténébreuse, non encore unifiée ... Aussi le lieu du combat sera principalement notre propre cœur qui, blessé par le péché, fait l'expérience de faire ce qu'il ne voudrait pas faire, et de ne pas faire ce qu'il voudrait. L'obéissance est une arme puissante et glorieuse qui nous arrache à ce cercle vicieux et à l'illusion de nous suffire à nous-même. En développant en nous une attitude foncière d'écoute et d'ouverture aux autres. elle nous libère. Bénissons le Christ, car ce mystérieux combat, mené avec Lui, devient source de vie pour nous, mais aussi pour beaucoup. N'est-ce pas la fécondité la plus profonde de notre vie cachée?

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 00, v 01-02 Prologue écrit le 14 juin 2019
Verset(s) :

1. ÉCOUTE, ô mon fils, ces préceptes de ton maître et tends l'oreille de ton cœur. Cette instruction de ton père qui t'aime, reçois-la cordialement et mets-la en pratique effectivement.

2. Ainsi tu reviendras, par ton obéissance laborieuse, à celui dont tu t'étais éloigné par ta désobéissance paresseuse.

Commentaire :

Nous retrouvons le début de la Règle avec ce mot fort et emblématique de toute notre vie : « écoute ». Premier mot de notre règle. On pourrait dire : « au commencement était l'écoute » ! Voilà le seul écho possible à cet autre commencement de tout : « au commencement était le Verbe, la Parole ». Invitation à prendre au sérieux la Parole, celle qui ne cesse de créer depuis le commencement, celle aussi qui ne cesse d'appeler les hommes à entrer en alliance avec Dieu, et celle qui finalement en Jésus, le Verbe Chair, ne cesse de rassembler tous les hommes en un seul Corps... Nous croyons que la Parole est à l'œuvre en ce monde et nous voulons nous laisser façonner par elle pour devenir ces créatures nouvelles en Jésus le Christ. St Benoit nous entraine à quitter l'état de l'homme ancien, l'état de l'homme qui s'est fermé à la Parole et qui n'a pas été capable d'obéir. Chacun est invité à faire en lui-même le chemin qui peut rendre tout homme son bonheur initial : celui de se recevoir d'une Parole.

Il nous est bon de laisser ce début de la RB nous redire qu'il est possible de revenir à ces commencements heureux, celui de la Parole et celui .del'écoute, les commencements d'une relation heureuse avec Dieu. Car Dieu est toujours commencement. Il nous invite à consentir à commencer avec lui, à faire de notre existence un commencement. Depuis que le péché a obscurci en nous le bonheur de la relation avec notre Père, en insinuant un doute sur l'intention de ce dernier à notre endroit, nous mettre à l'écoute nous demande un labeur... un travail qui ne nous est pas spontané. Il nous en coûte en quelque sorte de croire que cette relation avec notre Dieu, avec nos frères, peut être bonne, et qu'elle nous conduira au bonheur. .. Il nous faut réapprendre à écouter vraiment, pour obéir vraiment par amour, et non par crainte. Sous la f01me d'une longue pédagogie, la règle va nous enseigner jour après jour un chemin de libération, afin de retrouver la joie de demeurer sous la Parole. Parole entendue dans la liturgie, cherchée dans la lectio, reçue à travers l'abbé et les frères. Oui, il est bon de demeurer sous la Parole qui nous façonne.

Demandons la grâce de quitter la crainte ou la peur face à la Parole, celle qui nous dérange. Demandons la force de nous ouvrir pour écouter à nouveau

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 72, v 10-12 Du bon zèle que doivent avoir les moines écrit le 12 juin 2019
Verset(s) :

10. ils affectionneront leur abbé d'une charité sincère et humble ;;

11. « ils ne préféreront absolument rien au Christ. ;»

12. Que celui-ci nous fasse parvenir tous ensemble à la vie éternelle ;!

Commentaire :

« Tous ensemble ... » Lors de notre rencontre à Landevennec, le P. Jean Michel a fait une belle conférence sur« la communion dans la RB ». A propos de ce verset, il disait:« Benoît ne conçoit pas que nous avancions les uns sans les autres et encore moins les uns contre les autres à la suite du Christ!». Il est frappant en effet de relever dans ce chapitre quasi conclusif de la règle -si l'on considère le suivant comme un épilogue- que tous les verbes d'action sont au pluriel. Les actions proposées se vivent dans une interaction continue. Le bon zèle pour Benoit trouve son expression essentiellement dans un élan communautaire où chacun et tous ensemble se mettent en mouvement. Fruit de l'œuvre de !'Esprit Saint, ce bon zèle tisse entre nous des liens vivants de fraternité et de communion. Peut-il en être autrement pour des baptisés marqués du sceau de !'Esprit Saint ? Lui le Bon Zélateur, nous rassemble sous la houlette du Bon Pasteur, le Christ. En Jésus, se vit comme« une aimantation», disait encore le P.J. Michel, en soulignant l'importance pour des moines de la préférence de l'office divin qui est inséparablement préférence du Christ. D'office en office, d'heure sanctifiée en heure sanctifiée, le Christ nous conduit ainsi tous ensemble à la vie éternelle. Commencée depuis notre baptême, la vie éternelle se déploie au sein de notre vie communautaire. Si chacun de nous n'y fait pas trop obstacle, tous ensembles, nous faisons déjà signe de la communion à venir, en devenant artisans de communion dès cette terre. Toutes les fois, où nous nous ouvrons au lieu de nous replier, où nous nous donnons au lieu de retenir, l' œuvre de communion se réalise entre nous, et au-delà de nous. Il ne s'agit pas de grandes choses à réaliser, mais plutôt de bon nombre de gestes et d'attentions. Le quotidien en est rempli. Quand on les fait, on a l'impression de ne rien faire d'extraordinaire, mais quand ces gestes manquent, nos yeux s'ouvrent! Car ils font cruellement défaut. A l'image des échanges trinitaires, la vie éternelle sera-elle autre chose qu'un échange de dons entre nous, échange initié dès ici-bas, pour prendre une mesure sans mesure dans l'au-delà. Notre vie présente nous apprend simplement, mais laborieusement parfois à ôter toutes les barrières de notre coeur, toutes les retenues et fausses sécurités... Que le Christ Bon Pasteur et !'Esprit Saint Bon Zélateur. nous apprennent à ne pas avoir peur les uns des autres dans la confiance et dans l'espérance que chacun n'a pas encore révélé tout son être, tout son visage...

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 72, v 08-09 Du bon zèle que doivent avoir les moines écrit le 11 juin 2019
Verset(s) :

8. ils pratiqueront la charité fraternelle avec désintéressement ;;

9. avec amour ils craindront Dieu ;

Commentaire :

Comment entendre ces deux manifestations du bon zèle dans la relation au prochain et à Dieu ? Au sujet de la première, St Benoit ajoute le mot « chastement» pour caractériser la charité fraternelle ; puis le mot « amour » pour caractériser la crainte envers Dieu. Dans les deux cas, il vient préciser la qualité de la relation qui est en jeu avec les frères et avec Dieu... une précision qui indique une profondeur à ne pas manquer.

« Ils pratiqueront la charité fraternelle chastement)) .... Y-a-t-il une charité qui ne soit

pas chaste ? Un amour qui ne serait pas chaste serait-il encore un amour vrai ? Dans un couple, une famille, dans une relation d'amitié, comme dans une relation fraternelle de communauté, l'amour échangé gui construit et donne la vie tend à la chasteté, ou il n'est pas véritablement amour. Que veut-on dire alors par chaste? Certainement respect, respect de l'intimité, de la limite qui préserve l'espace propre de l'autre. Certainement aussi désir de laisser l'autre libre, de ne pas lui mettre la main dessus. La chasteté ouvre un espace où chacun peut respirer dans la relation, pour se donner librement et dans la justesse. La chasteté prendra des couleurs différentes selon qu'elle est vécue dans le mariage ou dans le célibat. Mais elle donnera toujours le primat à l'autre et tiendra à distance les désirs plus ou moins confus de possession ou de relations fusionnelles. Consentir à cet espace dans la vie fraternelle nous entrainera à demeurer dans l'étonnement devant le mystère de l'autre qui échappe toujours, dans l'émerveillement aussi devant la nouveauté dont l'autre est porteur. .. toujours plus grand que ce qu'on connait.

« Avec amour, ils craindront Dieu )). De nouveau, St Benoit déplace le curseur. La crainte de Dieu si prisée dans les écrits de sagesse, comme nous l'entendions ces jours derniers dans la bouche de Ben Sira aux vigiles, est ici recherchée avec amour. Comme un pédagogue, Benoit sait que notre cœur n'est pas d'emblée capable d'aimer entièrement et totalement. Dans le premier degré d'humilité, il propose au moine de placer toujours devant ses yeux la crainte de Dieu, c'est-à-dire de donner à Dieu la première place dans sa vie. Et toute l'échelle de 1'humilité consistera à tendre vers cet amour gui chasse la crainte. Sur ce chemin, nous sentons peu à peu que le bon zèle est à l'œuvre dans notre vie lorsqu'avec amour, nous craignons Dieu, lorsque notre relation avec lui n'obéit plus seulement à la règle. mais à l'amour, lorsque nous ne faisons plus les choses, les offices et tout le reste par obligation, mais par désir de l'aimer davantage. Soyons heureux d'être guidé par Benoit pour aimer nos frères chastement et notre Dieu de plus en plus.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 72, v 06-07 Du bon zèle que doivent avoir les moines écrit le 08 juin 2019
Verset(s) :

6. ils s'obéiront à l'envi ;

7. personne ne recherchera ce qu'il juge être son avantage, mais plutôt celui d'autrui ;;

Commentaire :

Ces deux manifestations du bon zèle ont quelque chose d'extrême qui ne peut être que le fait de l'œuvre de !'Esprit Saint, voire même sa signature. Obéir à l'autre à l'envie, ne pas rechercher son avantage. mais celui de l'autre. N'est-ce pas la trace par excellence de !'Esprit qui nous faire vivre d'une manière nouvelle, dans le don de soi, don qui peut aller jusqu'au don total des martyrs qui donnent leur vie pour leur Seigneur et pour leurs frères ? La vie chrétienne n'est pas une vie morale au sens d'une vie bien cadrée où tout serait dans les clous, avec mesure et raison. Non elle est une vie morale gui porte en elle un excès, non l'excès téméraire et volontariste de celui qui s'entête, mais l'excès de l'amour suscité par ]'Esprit, excès qui se vit inséparablement dans la vigueur et la douceur, comme naturellement. Les saints en sont une illustration vivante. Ils ont vécu l'excès de l'engagement pour les autres et pour Dieu, en s'oubliant totalement, de manière heureuse (ce qui n'exclue pas du combat) et naturelle, parce qu'ils laissaient !'Esprit Saint les habiter.

St Benoit nous engage ce matin à laisser ce bon Zélateur qu'est !'Esprit Saint, nous entrainer sur ces chemins de l'excès de la charité... S'obéir à l'envie mutuellement en abandonnant mes susceptibilités, en acceptant de passer en second plan, sans chercher à imposer mon point de vue... La vie quotidienne nous en offre bien des occasions. Cet excès dans l'effacement joyeux au regard de la prétention si spontanée à vouloir avoir le dernier mot est peut-être la manière des moines d'être martyrs. Martyr dans le sens de témoin de la grande joie à œuvrer avant tout au bien commun. en laissant en retrait la préoccupation obsédante du souci de soi. S'effacer pour laisser l'avantage à l'autre plutôt que de rechercher le sien propre, nous pouvons le décliner de mille manières. Au repas libre-service, vais toujours prendre toujours du meilleur plat en sachant que d'autres n'en auront peut-être pas après moi? Quand le plat de fruit circule, vais-je prendre le fruit un peu gâté qui est devant moi, ou le laisser au suivant? Ou encore, vais-je mettre en réserve au début du repas un bon dessert pour être sûr d'en avoir, ou bien vais-je goûter la joie de le laisser aux autres, etc... Des petits détails me direz-vous... Mais notre vie monastique commune est appelée à aller jusque-là dans la charité, si elle ne veut pas rester simplement une vie bien rangée, entre gens bien élevés. Elle risquerait alors de n'être au mieux qu'une application stricte d'une règle, où chacun chercherait avant tout à défendre ses droits, tout en veillant à que les autres remplissent bien leurs devoirs. L'Esprit nous entraine

ailleurs« au brasier de la charité» pour notre plus grand bonheur, « éclosion de sa liberté».

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 72, v 03-05 Du bon zèle que doivent avoir les moines écrit le 06 juin 2019
Verset(s) :

3. Tel est donc le zèle que les moines pratiqueront avec un ardent amour ;:

4. ils « se préviendront d'honneurs mutuels » ;

5. ils supporteront sans aucune impatience leurs infirmités corporelles et morales ;;

Commentaire :

Je remarque tout d'abord que tous les instruments du bon zèle que nous commençons à lire concernent les relations avec les frères et avec Dieu, et non les pratiques ascétiques corporelles. St Benoit ne nous demande pas d'être zélés en faisant des exploits dans Je jeûne, la veille ou tout autre pratique visant à mieux gérer nos passions. Il nous engage à soigner nos relations avec nos frères et avec Dieu pour aller« tous ensemble vers la vie éternelle », comme il le conclura à la fin. Dans la ligne de ce que nous disait hier, f. Michael Davide, tout se passe comme s'il nous était proposé de chercher et de goûter dès ici-bas, une abondance de vie dans la vie fraternelle et dans la relation avec Je Seigneur qui soit la préparation et l'ébauche de la vie éternelle. Il s'agit d'entrer dans un échange vécu jusque dans l'excès de la générosité qui nous fasse goûter au plaisir de vivre ensemble et avec Dieu. F. Michaël Davide parlait d'érotisation de notre vie, non au sens d'acte sexuel, mais au sens où elle déploie toutes ses potentialités d'énergies données et reçues dans Je plaisir de vivre ensemble, parce que la vie est

bonne... Je lis ensemble ces deux premiers instruments ou expressions du bon zèle... « Ils se

préviendront d'honneurs mutuels »... Reprise de Paul (Rm 12, 11), cette expression suggère un empressement de part et d'autre vécu dans Je respect et l'attention. Les« énergies érotiques» dont parlait Je f. Michael Davide, vécues dans !'intimité de la vie fraternelle, n'ont rien d'envahissant ou d'étouffant. Elles sont empreintes de délicatesse qui se donne sans s'imposer. Et en liant cette première recommandation avec la suivante sur Je support des infirmités, nous mesurons jusqu'où l'honneur rendu à l'autre peut aller... jusqu'à l'aimer avec ses infirmités, si pesantes soient elles. Dans la patience et l'accueil de l'autre avec ses limites, la relation fraternelle peut déployer alors des énergies où « l'amour éros» en quête de réciprocité s'accomplit en« amour agapé », amour désintéressé où tout est don. Cet« amour agapé » va nous permettre de changer notre regard sur l'autre pour l'honorer au lieu même où spontanément nous sommes tentés de la mépriser. Ceci nous demande d'aller chercher, ou plutôt d'accueillir des énergies que l'on n'a pas spontanément en nous. Ces énergies nous viennent de )'Esprit Saint Lui l'Amour Agapé répandu en nos cœurs. Lui seul peut nous entrainer à aimer jusque-là. Nous lui demandons en ces jours de désensabler cette source d'amour qu'il a déjà ouverte en nous depuis notre baptême, Lui la Source claire.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 72, v 01-02 Du bon zèle que doivent avoir les moines écrit le 04 juin 2019
Verset(s) :

1. S'il existe un zèle mauvais et amer qui sépare de Dieu et conduit en enfer,

2. il existe aussi un bon zèle qui sépare des vices et conduit à Dieu et à la vie éternelle.

Commentaire :

Mauvais zèle-bon zèle : le premier sépare de Dieu et conduit en enfer, le second sépare

des vices et conduit à Dieu et à la vie éternelle... D'une manière simple et directe, Benoit décrit le mystérieux combat qui se livre en nous. Notre cœur est souvent pris entre deux mouvements : le mauvais élan et le bon élan. Le premier est amer, le second sera doux. Le premier conduit à l'enfer, ou comme dirait notre P. Germain à l'enfe1mement sur soi. Le second conduit à Dieu et aux frères comme en témoigneront ensuite les 5 instruments sur les 8 proposés par Benoit. Mystérieux combat auquel nous sommes confrontés quotidiennement : vais-je me laisser à aller à m'enfermer sur moi, sur mon plaisir immédiat, sur mes problèmes, voire mes légitimes soucis, ou bien vais-je me ressaisir et m'ouvrir aux autres et au Seigneur présent? Entre les deux mouvements, nous oscillons, et nous cherchons. Heureux sommes-nous si nous restons vigilants pour ne pas nous installer dans une tiédeur assoupissante, ou dans l'activisme ou encore le divertissement. Et en même temps, ce serait une fausse piste de croire que tout dépend de nous, et que nous pouvons par nous-mêmes tout maitriser afin de nous orienter toujours vers le bien. De même que nous ne connaissons pas toujours ni pourquoi ni comment nous penchons vers le mal, de même nous pouvons nous surprendre à avoir la bonne réaction et à dire la bonne parole au moment opportun ... Accepter une part de non-maitrise dans notre combat entre le bien et le mal fait partie du chemin de l'humilité. li nous revient avant tout de nous tourner sans cesse vers le Seigneur Jésus qui est la Voie, la voie de vie et de vérité. En cette semaine qui nous prépare à la Pentecôte, nous pouvons nous ouvrir aussi davantage à l'œuvre de ]'Esprit Saint qui est notre principal zélateur ou entraineur dans le bon zèle. Il nous attire vers le bien dans une fermeté gui n'est jamais dure. li nous pousse avec détem1ination sans nous bousculer. Lui, l'Amour entre le Père et le Fils vient habiter et transformer notre cœur, en un cœur qui s'élargit et s'affermit pour se tourner plus en vérité vers davantage de personnes. Mystérieuse habitation qui ne fait pas de bruit, « silence frémissant » et « murmure du nom du Père au cœur des fils » comme nous le chantons. Au long des jours, « viens Esprit Saint, source claire nous ramener vers le Père ».

Voir le commentaire de Frère Yvan / Chapitre 68, v 01-05 Si l'on enjoint à un frère des choses impossibles écrit le 31 mai 2019
Verset(s) :

1. Si l'on enjoint à un frère des choses pénibles ou impossibles, il recevra l'ordre de celui qui commande en toute douceur et obéissance.

2. S'il voit que le poids du fardeau excède absolument la mesure de ses forces, il représentera à son supérieur, patiemment et opportunément, les raisons de son impuissance,

3. sans orgueil ou résistance ni contradiction.

4. Si, après ses représentations, l'ordre du supérieur se maintient sans qu'il change d'avis, l'inférieur saura qu'il est bon pour lui d'agir ainsi,

5. et par charité, confiant dans le secours de Dieu, il obéira.

Commentaire :

Frère Adalbert soulignait la beauté littéraire de ce chapitre : Sa structure est claire. Trois phrases, chacune commence par une hypothèse et finit par une directive. On voit ainsi se dérouler un drame en trois actes: L'ordre pénible et sa réception; le constat d'impossibilité et l'ouverture au supérieur. Le maintien de l'ordre, et son exécution. A chaque étape, Benoit indique la manière de penser et d'agir. L'ensemble est remarquablement agencé.

Benoit décrit ici un moment privilégié de notre vie. Un temps de plus grande lucidité sur soi. Suis-je vraiment libre. Ma vie est-elle donnée à Dieu et à mes frères? Il y a des événements qui viennent cogner ce que nous vivons, pour vérifier que cela sonne juste. Que derrière le quotidien un peu répétitif, il y a un cœur qui aime, un homme qui cherche Dieu, qui veut le servir et faire ce qu'il attend. Ce don de soi, nous en sommes mauvais juges sur nous-mêmes. C'est plus facile de le voir chez les autres. Il n'est pas rare d'entendre dire d'un frère:« Sa vie est vraiment donnée». Et lui-même n'en a peut-être pas conscience, pris dans les combats des jours.

Nous dépensons souvent beaucoup d'énergie pour éviter certaines situations, certaines rencontres, certains événements. Dans cet interminable combat de Jacob, Dieu peut sembler, à première vue, avoir le dessous. Nous pensons lui imposer notre volonté, éviter le choc, faire semblant d'obéir tout en imposant notre volonté.

Mais il arrive aussi que ce que nous pensions impossible, intolérable, se présente à nous. Nous pouvons être tentés de tout laisser tomber. Ou nous soumettre de mauvais gré, tomber dans l'amertume. Mais parfois nous découvrons avec surprise que l'impossible devient possible, avec l'aide de Dieu. Nous découvrons alors que Dieu a si bien travaillé notre cœur que les murs que nous avions dressés pour nous protéger sont devenus inutiles. Ce long travail de dépouillement, c'est la voie royale, le chemin de la liberté intérieure.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 71, v 01-09 Que l'on s'obéisse mutuellement. écrit le 29 mai 2019
Verset(s) :

1. Ce n'est pas seulement envers l'abbé que tous doivent pratiquer le bien de l'obéissance, mais en outre les frères s'obéiront mutuellement,

2. sachant que par cette voie de l'obéissance ils iront à Dieu.

3. Aussi, mis à part les ordres de l'abbé ou des prévôts qu'il institue, ordres auxquels nous ne permettons pas que l'on préfère ceux des particuliers,

4. pour le reste tous les inférieurs obéiront à leurs anciens en toute charité et empressement.

5. Si quelqu'un est pris à contester, on le réprimandera.

6. De plus, si un frère reçoit une réprimande quelconque de l'abbé ou de n'importe lequel de ses anciens pour quelque raison que ce soit, si mince qu'elle puisse être,

7. et s'il sent que l'esprit de n'importe quel ancien est légèrement irrité contre lui ou ému si peu que ce soit,

8. aussitôt et sans délai il se prosternera à terre et fera satisfaction, étendu à ses pieds, jusqu'à ce qu'une bénédiction vienne calmer cette émotion.

9. Celui qui refuse de faire cela, on lui infligera un châtiment corporel, ou bien, s'il est obstiné, on le chassera du monastère.

Commentaire :

« Que ! 'on s'obéisse mutuellement ...» On pourrait aussi traduire que l'on s'obéisse les uns les autres. Mutuellement ou les uns les autres traduit le mot latin « invicem » que l'on retrouve dans le grand commandement de Jésus : « aimez-vous les uns les autres» (Jn 15, 12,17). Jésus a commandé de s'aimer les uns et les autres, non de s'obéir les uns les autres. Ql!f fait donc St Benoit en nous proposant de nous obéir les uns les autres ? Il ne nous donne pas un commandement supplémentaire, mais il nous entraine à goûter et à partager le « bien de l'obéissance ». Dans une communauté monastique, le« bien del 'obéissance» est recherché et accueilli par les moines dans leur désir d'être pleinement uni au Christ, le seul obéissant. Ils désirent prendre leur part de ce labeur dans l'intime conviction, qu'uni au Christ, ils participent à la venue du Royaume en notre monde. L'obéissance est un chemin d'engagement personne] qui veut libérer le cœur et nous faire grandir dans l'amour du Christ suivi jusqu'au bout. Mais le bien de l'obéissance, s'il enracine notre vie dans le Christ, peut aussi être une épiphanie de la vie fraternelle accomplie. S'obéir les uns les autres va donner à voir comment nos relations mutuelles peuvent se laisser transformer en vue du Royaume. Jésus disait : « A ceci tous reconnaitront que vous êtes mes disciples, si vous avez del 'amour les uns pour les autres» (Jn l 3, 35). De même ne peut-on pas dire que notre obéissance mutuelle fait signe en ce monde déjà de la vie du Royaume où les relations humaines seront réconciliées et transfigurées ? Et cela à travers mille petits gestes quotidiens : accepter de me laisser interpeller par un frère qui me dit une parole, ou bien qui me demande un service ; entrer dans les vues d'un autre et laisser les miennes ; adhérer à un projet qui rallie l'ensemble en renonçant à mes idées originales... Autant de manières d'incarner cette obéissance mutuelle qui seront autant d'occasions de nous donner de la joie les uns aux autres.N'est-ce pas cette joie qui transparait dans le Ps 132 : « Oui, il est bon, il est doux pour des fi-ères, de vivre ensemble et d'être unis ! » Seigneur, partage­ nous le secret de cette joie... le secret de ta joie.