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26. Si donc « les yeux du Seigneur observent bons et méchants »,
27. si « le Seigneur, du haut du ciel, regarde sans cesse les enfants des hommes, pour voir s'il en est un qui soit intelligent et qui cherche Dieu »,
28. et si les anges commis à nous garder rapportent au Seigneur quotidiennement, jour et nuit, les actes que nous accomplissons,
29. il nous faut donc prendre garde à tout instant, frères, de peur que, comme dit le prophète dans un psaume, Dieu ne nous voie à un moment « dévier » vers le mal « et devenir mauvais »,
30. et qu'après nous avoir épargnés dans le temps présent, parce qu'il est bon et qu'il attend que nous nous convertissions à une vie meilleure, il ne nous dise dans le futur : « Tu as fait cela, et je me suis tu. »
« Si donc les yeux du Seigneur observent ... Si le Seigneur regarde sans cesse les enfants des hommes ... » Elles sont très nombreuses dans ce premier degré de l'humilité les mentions du regard de Dieu sur nous les humains ... A 1ère vue, cette manière de présenter Dieu omniscient et surplombant de son regard chacune de nos pensées de nos volontés, chacun de nos actes et de nos désirs n'est pas très enthousiasmante ... Une telle vision de Dieu n'est guère attrayante ... voire elle nous fait plutôt fuir. Et pourtant comment comprendre une telle insistance en si peu de lignes? Plutôt qu'un enseignement sur Dieu lui-même, ne nous dit-elle pas quelque chose sur notre vie humaine dans sa relation avec son Dieu? En substance Benoît nous dit que c'est ce qui se passe en notre coeur, en son intime qui touche Dieu ... Ce sont nos pensées, nos désirs, nos volontés, comme autant de manifestations de notre coeur, qui expriment en fait notre être profond dans sa relation avec Dieu et avec les hommes. Malheureusement, assez souvent nos actes ou nos paroles n'expriment pas vraiment, ni totalement la vérité de notre coeur. .. Nos pensées secrètes, nos désirs cachés ou nos volontés, portent souvent davantage notre être vrai, sans fard ni faux-semblant ... Dans l'Evangile, on voit souvent Jésus qui démasque l'hypocrisie de ses adversaires en révélant les pensées secrètes qui se cachent derrière des attitudes de façade ... Ce qui intéresse Jésus, c'est l'homme droit, sans fard dont les actes et les paroles correspondent aux pensées et aux désirs intimes. Ce 1er degré de l'humilité ne nous dit-il pas autre chose? Etre humble c'est nous tenir tel que nous sommes, avec notre être en son entier sous le regard de Dieu qui est bon et qui nous attend, ajoute Benoit. Ce qui doit nous guider alors, c'est moins la crainte d'être vu tel que nous sommes, que l'abandon confiant en la miséricorde de Dieu, qui veut nous guérir et nous rendre plus ferme dans nos pensées, nos désirs et nos volontés, pour mieux le servir en
vérité ...( 21.10.2016)
19. Quant à notre volonté propre, on nous interdit de la faire, quand l'Écriture nous dit : « Et détourne-toi de tes volontés. »
20. Et nous demandons aussi à Dieu, dans l'oraison, que sa volonté soit faite en nous.
21. Avec raison on nous enseigne donc de ne pas faire notre volonté, quand nous prenons garde à ce que dit l'Écriture : « Il est des voies qui paraissent droites aux hommes, et dont l'extrémité plonge au fond de l'enfer »,
22. et aussi quand nous redoutons ce qui est dit des négligents : « Ils se sont corrompus et rendus abominables dans leurs volontés. »
23. Dans les désirs de la chair, croyons que Dieu nous est toujours présent, puisque le prophète dit au Seigneur : « Devant toi sont tous mes désirs. »
24. Il faut donc se garder du désir mauvais, puisque « la mort est placée sur le seuil du plaisir. »
25. Aussi l'Écriture a-t-elle donné ce précepte : « Ne suis pas tes convoitises. »
Après les pensées, le moine humble qui craint Dieu se met sous le regard de Dieu avec toutes ses volontés et tous ses désirs. En laissant la lumière divine les éclairer, il peut mieux discerner ce qui dans sa volonté est volonté propre et ce qui dans son désir est désir de la chair. Rude discernement qui n'est pas aisé, car nous sommes capables d'arrangements de toute sorte pour arriver à nos fins. Rude discernement encore, car il demande que nous nous mettions vraiment en disposition de profonde liberté. St Ignace de Loyola parle de l'indifférence. Est-ce que je désire pardessus tout faire la volonté du Seigneur? Telle est la question qui peut fonder notre liberté et notre indifférence. Est-ce que je suis prêt à renoncer éventuellement à ce que j'avais entrevu, pour faire la volonté de Dieu?
Ici, il ne faut pas nous tromper, et le Malin fait tout pour nous tromper. Souvent, quand il s'agit de grandes orientations, faire la volonté de Dieu nous fait peur, ou s'il s'agit de choix plus petits qui sont exigeants, nous éprouvons de la gêne. Le risque est de laisser s'insinuer dans notre esprit et dans notre coeur, la pensée que le Seigneur finalement ne veut pas notre bien ... C'est l'insinuation du serpent au jardin de la genèse qui suggère que Dieu trompe l'homme en lui mettant des limites. Dieu serait jaloux de voir l'homme s'épanouir pleinement dans tous ses désirs, ici celui de manger du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. La trace de cette insinuation diabolique est tenace. Devant une limite, un « non» ou une direction à prendre qui ferme d'autres voies, nous pensons assez vite que Dieu ou les autres ne veulent pas nous laisser vivre. Dieu est perçu comme un dieu castrateur qui empêche de vivre, le Père Abbé et la règle monastique aussi ... Une part de notre conversion n'est-elle pas de revenir sans cesse avec confiance sous la Parole, dans l'assurance que Dieu notre Père ne peut que nous vouloir du bien. L'autre part de notre conversion n'est-elle pas de consentir à nous laisser guider par la Parole, à travers les médiations humaines, en acceptant que nos volontés et nos désirs aient à s'ajuster. Notre vocation divine fait de nous des fils de Dieu associés à son oeuvre de salut pour le monde. Celle-ci dépasse nos visions toujours limitées du salut et du bien de l'humanité. A la suite de Jésus, nous savons que l'oeuvre du salut passe par la croix. En mettant notre volonté et notre désir au service de Jésus et de son Royaume, il ne faut pas nous étonner d'être bousculés et déplacés. L'amour infini du Père pour le monde appelle notre amour pour lui et pour le monde à s'élargir toujours davantage. (15.10.2016)
14. C'est ce que le prophète nous fait voir, quand il montre Dieu toujours présent à nos pensées, en disant : « Dieu scrute les cœurs et les reins. »
15. Et encore : « Le Seigneur connaît les pensées des hommes. »
16. Et il dit encore : « Tu as compris mes pensées de loin. »
17. Et : « Car la pensée de l'homme s'ouvrira à toi. »
18. D'autre part, pour être attentif à veiller sur ses pensées perverses, le frère vertueux dira toujours dans son cœur : « Je ne serai sans tache devant lui que si je me tiens en garde contre mon iniquité. »
R.B.
En ce premier degré, St Benoit donne à voir ce qu'est un homme qui a la crainte de Dieu: un homme qui consent à être totalement en vérité devant Dieu, en ses pensées, volontéset désirs. Dieu nous connait mieux que nous-mêmes, jusque dans nos pensées. Mais comment bien discerner ces pensées qui nous habitent afin de devenir « un frère utile », « un frère vertueux» selon la traduction de notre texte? C'est à un exercice de discernement en effet que le moine est convié en ce 1er degré, pour être « utile », vraiment engagé dans le service du Seigneur.
Un apophtegme donne un exemple de ce discernement. Abba Isaïe dit encore: « Quand tu accomplis tes liturgies, si tu le fais dans l'humilité en pensant être indigne, elles agréées par Dieu. Mais si monte en ton coeur quelque pensée d'orgueil et que tu y consentes, ou si tu te souviens d'un autre (frère) qui dort ou est négligent et que tu le juges, sache qu'inutile est ta peine» (Abba Isaïe in Coll Syst. XV, 22). En quoi consiste le discernement ici? A reconnaitre la pensée d'orgueil ou celle de jugement du frère, et à la rejeter. A l'inverse, y consentir, sera manquer de discernement, et fera entrer dans une attitude spirituelle faussée qui ne peut être agréable à Dieu, ni produire du fruit. Que les pensées surviennent, ne dépend pas de nous. Mais que les laissions s'installer en nous, est du ressort de notre liberté.
On pourrait dire: mais ce ne sont que des pensées, cela n'a pas de conséquences! Parler ainsi, c'est encore peu se connaitre. Les pensées mauvaises accueillies, voire entretenues, peu à peu nous obscurcissent le jugement et la capacité à nous remettre en cause. Quand nous devenons prompts à juger les frères, à les épingler, insensiblement nous nous fermons à la lucidité sur nous-mêmes, ainsi qu'à la capacité de compassion pour les autres. Nous nous durcissons, en réduisant nos frères à ce que nous en percevons. Nous risquons de manquer le mystère qu'ils sont. Car est-ce ainsi que Dieu les voit? Nous tenir dans la crainte de Dieu en nos pensées sur nos frères, c'est être prompt à couper court avec les jugements arrogants et prétentieux. Couper court avec les pensées d'orgueil, de jugement, mais aussi avec toute autre pensée négative est un exercice de vigilance de tous les jours. « Seigneur, prends pitié de moi pour cette pensée idiote» peut-être une manière simple de se remettre ajusté sous le regard de Dieu. (14.10.2016)
10. Le premier degré d'humilité est donc que, plaçant toujours devant ses yeux la crainte de Dieu, on fuie tout à fait l'oubli,
11. et que l'on se souvienne toujours de tout ce que Dieu a prescrit, en repassant toujours dans son esprit de quelle façon la géhenne brûle à cause de leurs péchés ceux qui méprisent Dieu, ainsi que la vie éternelle qui est préparée pour ceux qui craignent Dieu.
12. Et se gardant à toute heure des péchés et des vices, à savoir ceux des pensées, de la langue, des mains, des pieds et de la volonté propre, ainsi que des désirs de la chair,
13. l'homme doit être persuadé que Dieu le regarde toujours du haut des cieux à tout instant, que le regard de la divinité voit ses actions en tout lieu et que les anges en font à toute heure le rapport.
R.B.
On a parlé parfois « des athées du cloître» pour désigner des religieux ou des moines qui vivent sans avoir la foi ... Non pas les moines qui, connaissant l'épreuve de la nuit de la foi, demeurent ardent dans leur quête intérieure, mais ceux qui ont perdu leur ferveur. Ils vivent une pratique religieuse, mais sans y croire vraiment. Est-ce pour éviter cet écueil que St Benoit recommande de « fuir tout à fait l'oubli» et de « se garder à toute heure des péchés et des vices» ? Un danger pour notre vie monastique serait de parler tellement de Dieu et de la foi, que les mots perdent leur signification et leur goût. Celui dont on parle qui est d'ordinaire tellement discret, risque ne plus être vraiment Quelqu'un pour nous, une Personne avec laquelle se noue une relation. Comment fuir l'oubli de Dieu? « En plaçant toujours devant ses yeux la crainte de Dieu », répond Benoit. Face à une installation dans la routine, il propose de se disposer dans une foi active. « La crainte de Dieu» est dans le langage biblique la manière de se tenir avec foi devant Celui que l'on reconnait comme notre Créateur et notre Sauveur, comme Celui qui nous guide par sa Parole. A la différence de la peur, la « crainte de Dieu» ne paralyse pas, mais au contraire elle fait marcher avec confiance dans la voie des commandements de Dieu. « N'aie pas peur, mon enfant, dit Tobie à son fils, si nous sommes devenus pauvres. Tu as une grande richesse, si tu crains Dieu, si tu évites toute espèce de péché, et si tu fais ce qui plait au Seigneur ton Dieu» (Tb 4,21).
Premier degré, premier signe d'humilité donc: revenir sans cesse avec foi devant notre Dieu. A une personne croyante qui avait une difficulté et qui se décourageait, je demandais si elle priait. Elle répondit que non ... en ajoutant « les angoisses que j'ai, sont les angoisses d'une personne non croyante ... ce n'est pas normal »... Peut-être cette personne n'était-elle pas loin du 1er degré: revenir à l'attitude de foi active qui se tourne avec confiance vers Celui qui conduit nos vies de croyant et qui ne peut nous abandonner si nous le cherchons. Nous pouvons facilement oublier notre Dieu, en perdant le sens et le goût de la relation vive qu'il désire nouer avec nous. La liturgie, la lectio et l'oraison sont des moments privilégiés de rencontre qu'il nous faut particulièrement soigner dans leur déroulement. Ce soin manifeste notre désir et notre soif ... Le Seigneur fera le reste. (13.10.2016)
5. Aussi, frères, si nous voulons atteindre le sommet de la suprême humilité et si nous voulons parvenir rapidement à cette élévation céleste, à laquelle on monte par l'humilité de la vie présente,
6. il nous faut, pour la montée de nos actes, dresser cette échelle qui apparut en songe à Jacob, et sur laquelle il voyait des anges descendre et monter.
7. Cette descente et cette montée n'ont assurément pas d'autre signification, selon nous, sinon que l'élévation fait descendre et l'humilité monter.
8. Quant à l'échelle dressée, c'est notre vie ici-bas. Quand le cœur a été humilié, le Seigneur la dresse jusqu'au ciel.
9. D'autre part, les montants de cette échelle, nous disons que c’est notre corps et notre âme. Dans ces montants, l'appel divin a inséré différents degrés d'humilité et de bonne conduite, pour qu'on les gravisse.
R.B.
« Cette descente et cette montée n'ont assurément pas d'autres significations, selon nous, sinon que l'élévation fait descendre et l 'humilité monter » ... Nous pourrions moderniser l'image de l'échelle, en prenant comme Ste Thérèse, l'image de l'ascenseur. Nos ascenseurs modernes ont tous, outre la cabine où les passagers entrent, un balancier qui fait contrepoids. Dans certains ascenseurs parisiens qui sont insérés au centre d'une ancienne cage d'escalier, on peut observer aisément ce jeu de la montée et de la descente simultanée. Tandis que la cabine monte, le balancier descend faisant contrepoids. Pas de montée sans descente du contrepoids. Parfaite illustration de l'humilité où l'on monte en descendant. On peut se demander alors: quel est le contrepoids à mettre en oeuvre? Ne serait-ce pas de consentir à nous abandonner en toute notre humanité dans les mains de Dieu? Laisser notre humanité peser de tout son poids, sans faux-semblants, sans retenue pour que Dieu nous élève par sa grâce. Etre là avec toute notre personnalité, en abandonnant nos velléités de paraitre ou de maitriser quelque chose ... comme un enfant dans les bras de Dieu. Déjà dans les versets lus hier, Benoit offrait l'image de l'enfant abandonné dans les bras de sa mère, même si en vertu de la traduction latine, il ne lit pas exactement le psaume 130 comme nous. Mais ici peu importe, demeure le lien étroit entre humilité et voie d'abandon, ou « voie d'enfance» pour reprendre les termes de Thérèse. Envisager ainsi l'échelle de l'humilité, éclairée par celle de l'ascenseur, évite de considérer la montée de l'humilité comme une course athlétique qui serait le fruit de nos efforts. Au contraire, comme le conclura Benoit, elle sera l'effet de la grâce en nous. Les 12 degrés seront là, non pas comme des performances à atteindre, mais comme des repères qui montrent jusqu'où 1'humilité nous fait aller dans l'abandon entre les mains de Dieu, jusqu'où s'opère le lâcher prise jusque dans les injures ou les humiliations à supporter dans la patience. Cette voie cependant n'aurait aucun sens si elle n'était notre manière à nous moines, de suivre Jésus et de nous unir à sa passion. Jusqu'à la croix, le Verbe fait chair a pesé de tout son poids d'humanité dans un lâcher prise total, pour se remettre entièrement dans les mains de son Père, dans la confiance qu'Ille relèverait ... En Jésus, notre humanité a pesé de tout son poids, jusqu'au sentiment si humain de se sentir abandonné, par Celui dont Il était si intime ... Il ne s'agit pas tant, pour nous, de vouloir reproduire le chemin du Christ, que de consentir, appuyé sur sa grâce, à être toujours plus en notre pâte humaine, pleinement abandonné entre les mains de Dieu. « Reçois-moi Sgr selon ta parole et je vivrai ». (12.10.2016)
1. La divine Écriture, frères, nous proclame : « Quiconque s'élève sera humilié, et qui s'humilie sera élevé. »
2. En parlant ainsi, elle nous montre que toute élévation est une sorte d'orgueil.
3. Le prophète fait voir qu'il s'en garde, lorsqu'il dit : « Seigneur, mon cœur ne s'est pas élevé et mes yeux ne se sont pas levés. Je n'ai pas marché dans les grandeurs, ni dans des merveilles au-dessus de moi. »
4. Mais qu'arrivera-t-il, « si mes sentiments n'étaient pas humbles, si j'ai exalté mon âme ? Comme l'enfant sevré sur sa mère, ainsi tu traiteras mon âme. »
R.B.
« La divine Ecriture, frères, nous proclame »... Se mettant sous l'autorité des Ecritures, Benoit nous propose une sorte de lectio continue qui va courir tout le long de ce chapitre. Les citations vont s' enchainer sur un mode qui ne nous est pas forcément familier ni toujours très évident. En mettant en exergue la citation: « quiconque s'élève sera humilié, qui s 'humilie sera élevé », St Benoit annonce l'image de l'échelle. Et sans le dire, il propose aussi des modèles et des contre-modèles, tels qu'ils apparaissent dans les péricopes de Luc d'où est tirée la citation (Le 14,11 ; 18,14). Pour éclairer des situations qu'il a sous les yeux, Jésus raconte deux paraboles ... Dans un repas, il voit des gens qui choisissent les meilleures places. Alors il rapporte la parabole de l'invité qui s'est placé en bonne position et à qui le maitre de maison demande d'aller à une place plus en retrait ... Jésus laisse entendre que s'il y a une place à choisir, c'est la plus modeste, car fondamentalement c'est le maitre de maison qui donne et donnera la juste place. De même à l'égard de ceux qui se flattent d'être des justes et qui méprisent les autres, il met sous les yeux de ses auditeurs le modèle du publicain et le contre-modèle du pharisien. Le premier s'humilie devant Dieu n'osant pas lever les yeux vers le ciel, le second se pâme dans le miroir de l'illusoire assurance d'accomplir tous ses devoirs religieux et il juge de haut le publicain. Mais aux yeux de Dieu, le publicain qui s'est humilié sort grandi comme un juste, alors que le pharisien qui se croit juste ne l'est pas. De manière imagée, Luc aborde le thème paulinien de la justification. L'homme ne peut devenir juste par ses oeuvres, mais par une remise totale de lui-même dans la foi en Dieu qui seul sauve.
Entre la première citation biblique de ce chapitre, « qui s'abaisse sera élevé », et l'avant dernière au 12° de l'échelle « Seigneur, je ne suis pas digne, pécheur que je suis, de lever les yeux au ciel », St Benoit engage les moines à prendre résolument pour modèle le publicain. Là où leur genre de vie pourrait incliner les moines à s'enorgueillir et à penser devenir des justes par leurs propres efforts, il offre la voie sûre de la justification: l'humilité. Si l'observance de la loi de la règle, est pour le moine un levier de progrès spirituel, celle-ci ne portera vraiment son fruit qu'au prix d'une vigilance intérieure dans l'humilité. Car au final, ce ne sont pas nos observances régulières qui nous rendront justes, mais l'humilité de notre coeur qui nous permet de tenir notre assurance de Dieu seul. (11.10.2016)
6. Car parler et enseigner convient au maître, se taire et écouter sied au disciple.
7. Aussi, lorsqu'on aura quelque chose à demander à un supérieur, on le demandera en toute humilité et respectueuse soumission.
8. Quant aux bouffonneries, ainsi qu'aux paroles oiseuses et portant à rire, nous les condamnons en tous lieux à la réclusion perpétuelle, et nous ne permettons pas au disciple d'ouvrir la bouche pour de tels propos.
« Nous ne permettons pas au disciple d'ouvrir la bouche pour de tels propos »... St Benoit vise ici les bouffonneries ou les paroles oiseuses. Mais est-ce de tels propos qui sont les plus contraires au silence? Certes il y a une façon de quêter le rire des autres qui peut être lourde. Mais St Benoit ignore ici d'autres types de paroles qui sèment de mauvaises graines de jugement ou de méfiance: toutes ces paroles où l'on déprécie l'autre, parfois sous couvert d'analyse de son problème, analyse qui se voudrait la plus objective ... Je crois qu'il nous faut fuir ce genre de paroles qui étiquette, qui insinue ou qui cherche à déprécier le frère ... Oui pour telle parole, gardons le silence. Chez qui les dit et chez celui qui les entend, elles créent une attitude illusoire de supériorité. Elles évitent de regarder d'abord dans son assiette ses propres problèmes. La poutre et la paille restent un lieu de discernement toujours très actuel.
Et notre labeur sera de passer du silence extérieur au silence intérieur, pour cultiver la pureté du regard et du coeur à l'égard des frères. Deux apophtegmes nous disent cela simplement, l'un de Poemen et l'autre de Paphnuce. Abba Poemen dit encore: « Il y a un homme qui semble se taire, et son coeur condamne les autres: un tel homme parle sans cesse. Et il Y en a un autre qui parle du matin au soir, mais garde le silence: c'est-à-dire qu'il ne dit rien sans utilité» (Poemen 27). D'un côté le coeur qui condamne dans un silence apparent, et de l'autre celui qui parle toujours, mais avec utilité. Abba Paphnuce dit: « Unefois que je marchais sur le chemin, le brouillard mefit perdre ma route, je me trouvai près d'un village où je vis des gens qui tenaient de mauvaises conversations; etje me détournai précipitamment en m'accusant moi-même en face de Dieu. Et voici que vint un ange avec une épée qui me dit : Paphnuce, tous ceux qui jugent leurs frères périront par cette épée; mais toi, tu as bien agi puisque, au lieu de condamner, tu t'es humilié toi-même en présence de Dieu, comme si tu avais commis la faute. Aussi ton nom est-il inscrit dans le livre de vie» (Paphnuce 1). Comment entrer dans l'attitude de Paphnuce ? Par exemple en reconnaissant que l'on serait tout aussi capable de commettre tel péché que l'on voit faire ou dont on entend parler. Si nous ne tombons pas, c'est parce qu'une telle situation nous a été épargnée, ou bien parce que nous avons été gratifiés de dons et de grâces qui nous empêchent de tomber. Se reconnaitre soi-même fragile devant notre Père des cieux est une aide pour faire silence face à la faiblesse de nos frères, pour prier avec eux et pour eux. (08.10.2016)
59. Ne pas assouvir les désirs de la chair,
60. haïr sa volonté propre,
« Ne pas céder aux désirs de la chair ». Une consigne souvent répétée par Paul, et par les épîtres catholiques. « Marchez sous l'impulsion de l'Esprit, et vous n'accomplirez plus ce que la chair désire. Car la chair et ses désirs s'oppose à l'Esprit, et l'Esprit à la chair.» Gal 5/16-17. Paul, qui nous engage à ce combat, ne se vante pas d'y réussir: « Malheureux homme que je suis... » dit-il en Romain 7. Sans compter cet aiguillon dans sa chair, qui est comme le fil conducteur de la grâce: « Ma grâce te suffit.
St Pierre, dans sa première épître, nous dit de même: « Je vous exhorte comme des gens de passage, des étrangers, à vous abstenir des convoitises charnelles, qui font la guerre à l'âme. » (lP2/11) Des termes vigoureux et sans équivoques, pour mieux situer le chemin de liberté où veut nous conduire l'Evangile. Et nous rappeler notre fragilité. Nous avons vite fait de perdre la clé de notre âme.
Nous pouvons retenir aussi une autre expression de St Paul « Revêtez le Seigneur Jésus, et ne vous abandonnez pas aux préoccupations de la chair ». Mais revêtir le Christ, ce n'est pas se dévêtir de la chair. Pour revêtir une autre nature que la nôtre, qui serait pure, désincarnée. Notre chance est d'être, et d'avoir à rester les témoins de l'Incarnation de Dieu. C'est vrai, il faut contempler celle-ci dans la Gloire du Ressuscité de Pâques, où elle s'accomplit. Mais Jésus a pris notre chemin d'humanité. Tous ses désirs, même ceux les plus liés à sa Personne divine, ont eu à se couler dans un mode charnel. Péguy l'a dit et redit: « Nous savons bien, nous, que tout ce qui est spirituel est aussi charnel. Et vice versa.»
Pour être plus concret, reconnaissons que nous pensons aussitôt aux désirs sexuels. Quand ce désir est là, nous pouvons le soumettre à une autre Présence. « Tout mon désir est devant Toi », dit le PS37. La tentation peut être là, liée à notre état: elle n'est pas un péché. Le péché, c'est la tentation accueillie. C'est s'y complaire. Ce peut être plus grave que l'acte lui-même. Apprendre à évangéliser nos désirs, c'est les vivre autrement. (21/9/16)
44. Craindre le jour du jugement,
45. redouter la géhenne,
« Craindre le jour du Jugement ». La Règle emploi ce verbe craindre 22 fois, dont 14 au sujet de la crainte de Dieu. Ici, il s'agit de la crainte du Jugement. Nous n'aimons pas trop ce rappel. Mais Jésus lui-même semble avoir manié cette arme dissuasive: menace du Jugement, les pleurs et les grincements de dents. Nous devons reconnaitre que notre volonté est blessée par le péché. Nous ne choisissons pas librement. La crainte du Jugement est là pour rééduquer notre volonté, jusqu'à ce qu'elle redevienne cet élan d'amour de Dieu, qui bannit la crainte. St Benoit est prudent, et réaliste: cet amour sans crainte servile, il le situe au 12° degré d'humilité. Déjà, St Jean, dans sa 1ère épitre, disait: « En ceci l'amour parmi nous est accompli, lorsque nous avons pleine assurance pour le Jour du Jugement. De crainte, il n'yen a pas dans l'amour, mais l'amour parfait chasse la crainte. Car la crainte implique un châtiment. Nous, nous aimons, parce que lui, le premier, nous a aimés. » lJn4/17-19. Il y a la crainte du Jugement, mais il ya aussi la crainte filiale, celle qui redoute d'être séparé de l'être aimé, de lui déplaire. Cette crainte-là subsiste dans l'amour. Paul Beauchamp la définit comme « le frémissement qui accompagne tout véritable amour. Une attirance, consciente du danger de l'aventure divine ». Les Psalmistes l'ont chantée, eux qui se reconnaissent comme des « craignants Dieu ». Ce que Chouraqui traduisait: « les frémissants d'Adonaï ». Il nous faudrait éprouver d'avance ce frémissement de tout notre être, à l'idée du Jour où Dieu nous proposera sa Miséricorde.
« Redouter la Géhenne ». La Géhenne, ce lieu maudit, au sud de Jérusalem, on l'on brûlait les cadavres et les détritus. Le feu est d'abord celui très concret des ordures, avec son odeur âcre. Dans l'Evangile, c'est toujours Jésus lui-même qui emploie ce terme. 9 fois. Par exemple: « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps. Craignez plutôt celui qui peut faire périr âme et corps, dans la Géhenne» Mt 10/28. Nous restons dans la même tonalité de crainte. La peur de l'enfer a toujours paru un argument fort, quand nous sommes empêtrés dans nos faiblesses. Benoit parle de la Géhenne 5 fois. Au chapitre sur l'humilité, il nous aide à parcourir tout le chemin spirituel qu'il nous propose: C'est au I'" degré qu'il faut garder constamment devant nos yeux combien la Géhenne brûle. Mais au lime degré, quand nous aurons appris à nous déposséder, totalement, alors nous n'agirons plus sous la menace de l'enfer, mais par amour du Christ. (15/9/16)
1. Faisons ce que dit le prophète : « J'ai dit : je surveillerai mes voies, afin de ne pas pécher par ma langue. J'ai placé une garde devant ma bouche. Je me suis tu et j'ai été humilié et j'ai gardé le silence sur les choses bonnes. »
2. En ce passage, le prophète montre que, si l'on doit parfois renoncer à des paroles bonnes à cause de la taciturnité, à bien plus forte raison l'on doit s'interdire les discours mauvais à cause du châtiment qui frappe le péché.
3. Donc, même s'il s'agit de paroles bonnes, saintes et édifiantes, les disciples parfaits ne recevront que rarement la permission de parler, pour qu'ils gardent un silence plein de gravité,
4. car il est écrit : « En parlant beaucoup, tu n'éviteras pas le péché ;» ;;
5. et ailleurs : « Mort et vie sont au pouvoir de la langue. »
En quelques décennies, notre manière de considérer l'équilibre entre parole et silence a beaucoup évolué au monastère. Nous sommes passés d'un silence qui se voulait absolu à un silence qui laisse à la parole une place plus naturelle. Nous ne pouvons nous tenir à l'écart de notre société où l'omniprésence des moyens de communication a tellement bouleversé la façon de se rapporter les uns aux autres. En effet, nos contemporains sont sollicités par mille paroles qui ne cessent de les rejoindre sous forme de multiples informations à travers, le téléphone portable, facebook, les sms etc .... En positif, comme le soulignait le pape François, cela dénote la soif très grande d'être reliés les uns ou autres et de faire partie d'un cercle de proches. En négatif, on entend la difficulté pour beaucoup à se retrouver eux-mêmes. Le silence fait peur et devient insupportable pour certains.
Notre position de retrait nous permet de mieux mesurer la valeur et le poids de la parole vraie, ainsi que ceux du silence vrai. Parole vraie dans l'ouverture du cœur, lors des échanges dans les groupes, ou dans la recherche d'un consensus dans nos lieux de discernement (commission, conseil, chapitre). Nous savons le prix de ces espaces de vérité pour la construction de la communauté et de nos relations fraternelles. Nos moments et nos espaces de silence ménagent une respiration qui peut nous permettre de revenir assez vite à l'essentiel : la rencontre du Seigneur cherché avant tout. Le silence vrai est recueillement tout autant qu'il est présence aux frères. Nos repas ou le travail vécu en silence peuvent en témoigner. A l'avenir, plus nous irons dans le temps, plus notre manière de parler et de vivre le silence, pourra faire sens pour nombre de nos contemporains en recherche d'essentiel. Notre distance par rapport au téléphone portable, à la télévision et à toutes les informations immédiates, par rapport à un usage personnel de facebook, cette distance est une chance. Elle nous préserve de la surenchère d'informations pour demeurer attentifs à cultiver le silence intérieur et la capacité d'habiter avec soi-même, sous le regard de notre Dieu qui nous aime. Une autre écoute du monde peut se développer, davantage orientée vers l'essentiel des évènements et de leurs significations, sans prétendre vouloir tout savoir. Ecoute et regard sur le monde qui voudraient toujours mieux se nourrir, à travers la lectio, de l'écoute et du regard de Jésus pour ses et nos contemporains.( 06.10.2016