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8. ils pratiqueront la charité fraternelle avec désintéressement ;;
9. avec amour ils craindront Dieu ;
Ces signes du bon zèle me semblent devoir être lus ensemble. Les deux veulent en effet nous éclairer sur la qualité de l'amour que nous vivons en pratiquant les deux grands commandements. Car le bon zèle que propose Benoit ne consiste pas seulement à aimer son prochain et à aimer Dieu. Il se reconnait dans la manière d'aimer. Aimer les frères oui, mais les aimer chastement. Craindre Dieu oui, mais le craindre avec amour. Dans les deux cas, l'attention de St Benoit porte sur la distance et sur la proximité vécue dans l'amour, mais de manière inversée. Pour l'amour des frères, l'accent porte sur l'importance d'une distance, d'une liberté à préserver, ce qu'on peut entendre dans le mot« chastement». « Ils pratiqueront la charité ji·aternel/e chastement». Pour l'amour de Dieu, l'accent porte au contraire sur la proximité. En effet, st Benoit part du sentiment de crainte vis-à-vis de Dieu, qui est peut-être le plus présent spontanément dans nos tripes humaines. Et il invite à vivre ce sentiment profond avec amour.« Avec amour. ils craindront Dieu». Dans la juxtaposition de ces deux signes du bon zèle, St Benoit nous laisse un très bel enseignement sur ce qu'il nous faut chercher dans l'amour des frères et de Dieu. Nous ne savons jamais vraiment bien aimer. Nous sommes toujours en recherche d'un équilibre. Comme pour la marche, nous passons d'un pied à l'autre, de la proximité à la distance et vice et versa. L'expérience nous a tous fait éprouver des relations
plus ou moins heureuses, et plus ou moins porteuses de fruits selon que l'équilibre était plus ou moins bien trouvé. Sans que 1'on sache bien comment, pour certaines relations, l'équilibre se trouve
comme naturellement, de manière heureuse, permettant à chacun d'être ce qu'il est, dans un soutien fraternel ou amical réel. Pour d'autresnrelations, c'est plus peineux, voire impossible. Et il peut nous en coûter d'en faire le deuil parce que nous avons beaucoup désiré, espéré dans cette relation. Ce constat nous invite au réalisme, à l'humilité, à la prudence aussi. Dans nos relations, nous ne sommes pas tout-puissants. ni transparents. Une part nous échappe, parce que nous restons en partie pour nous-mêmes toujours un mystère, à fortiori l'autre. D'où l'importance de pouvoir parler de nos relations, pour y voir plus clair. Et avec Dieu? Lorsque je suis tenté de croire qu'il n'y a pas de problème, et que Dieu étant tout Amour, la relation va de soi, Benoit rappelle la distance. Craindre Dieu, non pas pour en avoir peur, mais pour prendre la mesure de son mystère... ne pas oublier d'ôter mes sandales devant lui afin de l'aimer pour ce qu'il est vraiment et que je ne connais que très imparfaitement. A l'inverse, si je peux être paralysé par une crainte obscure, Benoit rappelle que chacun est appelé à se tourner vers Dieu avec amour, avec cette confiance filiale qui découvre peu à peu le visage d'un Père. Le Dieu Tout Puissant me convie en effet à entrer dans l'échange d'amour qu'Il est lui-même.
6. ils s'obéiront à l'envi ;
7. personne ne recherchera ce qu'il juge être son avantage, mais plutôt celui d'autrui ;;
Deux signes du bon zèle: s'obéir à l'envi et considérer le bien des autres avant de rechercher son avantage... Qui mieux que !'Esprit Saint peut nous inspirer une telle attitude? Qui peut nous y entrainer dans la durée, sinon ce feu d' Amour qui tourne sans cesse l'un vers l'autre le Père et le Fils dans l'échange trinitaire. Depuis que Jésus est venu apporter le feu sur la terre, notre humanité est invitée à entrer dans ce mouvement dialogal, dans cet échange de l'amour. L'Esprit Saint répandu dans le cœur des croyants tire ou pousse chacun à entrer dans une autre logique : celle de passer du souci de soi tellement absorbant, au désir du bien de l'autre. Jésus a inauguré sur cette terre ce chemin. Il a imprimé en notre chair, par le don de son Esprit, ce dynamisme nouveau qui prend à rebrousse-poil le vieil homme autocentré sur soi. Ainsi pourrons-nous aimer comme lui-même nous a aimés. Depuis des siècles, et aujourd'hui encore, l'Eglise est non seulement porteuse de ce message, mais plus encore de ce témoignage. Ainsi en est-il de notre vie monastique.
Les recommandations de Benoit peuvent cependant nous faire peur. S'obéir à l'envie : nous savons combien nous pouvons être jaloux de notre indépendance et sourcilleux face à toute ingérence sur notre territoire. S'obéir à l'envi ne peut vouloir dire se mettre sous la dépendance servile d'un autre. Mais cela requiert de nous cette souplesse du cœur qui ne présente pas d'abord ses exigences ou ses diktats, ni ses défenses. Souplesse et disponibilité du cœur prêt à écouter l'autre et à prendre en considération son point de vue. Trop heureux de s'incliner devant lui lorsqu'il le perçoit meilleur et plus utile que le sien. Ne pas rechercher son avantage ... C'est une manière de ne pas se mettre au centre. Le plus important dans notre vie monastique n'est pas ce que chacun porte, mais ce que nous allons faire ensemble de ce que chacun apporte. Et c'est là dans ce faire ensemble que se trouve l'art fraternel. L'art de vivre en frère, c'est l'art d'être soi-même en apportant sa pierre et dans le même temps, c'est l'art de savoir se mettre de côté pour permettre à l'ensemble d'avancer. Il ne s'agit ni de renoncer à donner son point de vue en se retirant, ce qui est une autre manière de se mettre au centre, ni de vouloir occuper tout le terrain en voulant attirer l'attention des autres à soi. Ne pas chercher son avantage requiert de la part de chacun un exercice toujours plus profond de connaissance de soi pour être un frère utile à tous, dans la confiance que Dieu donne le centuple à qui se donne vraiment.
3. Tel est donc le zèle que les moines pratiqueront avec un ardent amour ;:
4. ils « se préviendront d'honneurs mutuels » ;
5. ils supporteront sans aucune impatience leurs infirmités corporelles et morales ;;
Pour commenter ces deux instruments du bon zèle, je voudrais reprendre deux sentences d'Evagre, tirées du Traité sur l'oraison. La première « Heureux le moine qui tient tous les hommes pour Dieu après Dieu» (120) me semble tout à fait apte à éclairer,« ils se préviendront d'honneurs mutuels ». Evagre se fait une haute idée de la dignité humaine qui tend à l'union avec Dieu. Cette union peut être déjà goûtée en partie à travers !'oeuvre de salut opérée par le Christ et actualisée en chacun par la libération progressive du péché et des passions. «L'homme aussi est dit Dieu selon ce mot : «j'ai dit: vous êtes des dieux » dit-il dans une lettre reprenant le Ps 81,6 (Lettre 8 de Basile)... Apprendre à regarder l'autre comme Dieu, c'est apprendre à le regarder selon sa dignité déjà réalisée. Ainsi pouvons-nous nous prévenir d'honneurs mutuels, car nous sommes tous porteurs d'une très haute et belle dignité. Cette dignité nous est offerte comme une grâce depuis que nous avons été adoptés dans le Christ, comme des fils aimés de Dieu. « Heureux le moine », dit Evagre. Il y a en effet un bonheur à quitter le terrain de la comparaison où nous nous mesurons aux autres, pour discerner chez l'autre cette beauté profonde inscrite en lui et qu'il essaie, comme moi, durant toute son existence, de mettre au jour. Se prévenir d'honneurs mutuels, c'est transformer ce regard en un comportement très quotidien qui me fait donner à l'autre sa noble place.
Je passe à la seconde sentence d'Evagre : « Est moine celui qui s'estime un avec tous, par habitude de se voir lui-même en chacun» (124). Etre uni à tous par l'habitude de se voir en chacun... Si Evagre entend d'abord cela sur le plan spirituel de l'union de tous en Dieu, à travers la vertu et la prière, je crois que cette affirmation apporte une belle lumière pour éclairer ce que dit St Benoit : « ils supporteront sans aucune impatience leurs infirmités corporelles et morales)). Supporter l'autre avec ses infirmités est pour chacun de nous une épreuve. Il faut le porter. Combien d'agacements, d'impatiences peuvent alors s'exprimer ou se vivre intérieurement. La faiblesse de l'autre nous éprouve. Pourquoi cela? N'est-ce pas en bonne part parce qu'elle nous renvoie à notre propre faiblesse? Et cela d'autant plus si nous ne voyons pas bien que la faiblesse de l'autre rejoint mes faiblesses cachées encore à mes propres yeux... Pour reprendre Evagre,je serai plus facilement uni à l'autre, et donc je serai plus enclin à le supporter, que je prends l'habitude de me reconnaitre aussi dans ses travers, dans sa faiblesse. Avec lui, je suis faible, comme lui je suis fragile. Aussi, lorsqu'un frère m'énerve, n'y-a+il pas une chance à saisir pour tenter de reconnaitre ce point faible, en partie enfoui, et très semblable au sien...
1. S'il existe un zèle mauvais et amer qui sépare de Dieu et conduit en enfer,
2. il existe aussi un bon zèle qui sépare des vices et conduit à Dieu et à la vie éternelle.
3. Tel est donc le zèle que les moines pratiqueront avec un ardent amour ;:
« Tel est le zèle que les moines pratiqueront avec un ardent amour» (ferventissimo amore)... un fervent amour. Comment garder durant toute notre vie monastique un« ardent, un fervent amour » ? Certainement le bon zèle que nous propose st Benoit veut-il nous y aider. Tous les ans, au martyrologe, nous entendons cette belle définition du moine, tirée de st Jean Climaque : « Celui qui garde sa ferveur de tout refroidissement et, jusqu'à son passage (sa mort), chaque jour, ajoute feu sur feu, désir sur désir»... Le novice qui arrive, et que nous avons tous été, est habité par une belle ferveur. St Benoit la mentionne en parlant des ermites qui ne doivent pas s'engager« dans la ferveur récente de la vie religieuse, mais dans/ 'épreuve prolongée d'un monastère » (RB 1, 3). Il laisse entendre que la ferveur des débuts, toute ardente soit-elle, ne peut donner l'assise nécessaire à la vie solitaire et exigeante d'un ermite. La ferveur récente et la force des grâces reçues ont permis de faire le pas décisif pour suivre le Seigneur. Mais ils pourraient donner l'illusion d'une certaine facilité qui serait en fait trompeuse. La ferveur initiale décuple les forces. C'est sa grâce. Mais elle a besoin du temps pour transformer en maturité plus profonde les intuitions pressenties qui donnent des ailes. Cette ferveur est-elle pour autant illusoire? Est-elle alors appelée à disparaitre au fil du temps, temps qui pourrait jouer le rôle d'un éteignoir? St Benoit et St Jean Climaque nous laissent entendre que non. Car la ferveur et le désir initial ne sont pas des feux de paille, mais ils sont comme un chaudron, un réservoir initial d'énergie destiné à convertir toute notre pâte humaine. Le temps qui passe peut alors devenir un allié. Il fortifie le désir, moins sous le mode exultant et joyeux des premières découvertes, que sous le mode de la persévérance courageusement consentie alors que le poids de la monotonie se fait davantage sentir. Ajouter feu sur feu, désir sur désir va se vivre dans un quotidien très simple, mais de plus en plus fidèle. Si lorsqu'on arrive au monastère notre désir est dilaté par le projet de se donner tout entier à Dieu en réponse à l'expérience faite de sa proximité. Mais plus on avance plus notre désir se dilate par l'intérieur. Il se creuse et s'approfondit au gré du don de soi vécu en vérité, avec attention et charité. Se donner procure alors plus de joie et nourrit davantage le désir que de se garder ou se réserver. Telle est la mystérieuse alchimie du désir qui grandit à mesure qu'il se donne dans la prière, dans le travail et le service des frères. Il grandit parce qu'Il ne trouve pas son énergie en lui-même. Il la reçoit du Seigneur de la Vie qui veut dilater la vie et l'amour chez ceux qui se confient à Lui. C'est l'œuvre de !'Esprit d'ajouter feu sur feu. Confions-nous à sa douce et ardente force.
1. Ce n'est pas seulement envers l'abbé que tous doivent pratiquer le bien de l'obéissance, mais en outre les frères s'obéiront mutuellement,
2. sachant que par cette voie de l'obéissance ils iront à Dieu.
3. Aussi, mis à part les ordres de l'abbé ou des prévôts qu'il institue, ordres auxquels nous ne permettons pas que l'on préfère ceux des particuliers,
4. pour le reste tous les inférieurs obéiront à leurs anciens en toute charité et empressement.
5. Si quelqu'un est pris à contester, on le réprimandera.
6. De plus, si un frère reçoit une réprimande quelconque de l'abbé ou de n'importe lequel de ses anciens pour quelque raison que ce soit, si mince qu'elle puisse être,
7. et s'il sent que l'esprit de n'importe quel ancien est légèrement irrité contre lui ou ému si peu que ce soit,
8. aussitôt et sans délai il se prosternera à terre et fera satisfaction, étendu à ses pieds, jusqu'à ce qu'une bénédiction vienne calmer cette émotion.
9. Celui qui refuse de faire cela, on lui infligera un châtiment corporel, ou bien, s'il est obstiné, on le chassera du monastère.
La vie quotidienne serait-elle possible sans obéissance mutuelle ? St Benoit parle d'obéissance de ! 'inférieur vis-à-vis du supérieur, supérieur signifiant pour lui pas seulement l'abbé ou les frères en charge, mais le frère qui est plus ancien dans l'ordre d'entrée. Aujourd'hui, nous sommes moins sensibles aux rangs selon l'ordre d'entrée. Mais on peut dire que l'obéissance se vit le plus souvent à travers les services demandés par des frères, en fonction de leur charge. On obéit au responsable des transports qui donne une voiture, au comptable qui demande un ticket ou une facture, au linger qui propose de changer tel vêtement usagé, à l'infirmier qui prend un RV médical, au maitre de chœur qui invite à chanter d'une certaine manière, etc... Jour après jour, nous nous obéissons mutuellement à tour de rôle, même l'abbé pour bien des choses de la vie quotidienne... Plus on descend dans les détails et plus l'obéissance s'affine, et avec elle la charité. Lorsqu'on fait le service de table, ou bien le desservice, lorsque des frères savent s'accorder avec souplesse dans leur commune responsabilité pour se répartir le travail, sans que l'un ou l'autre veuille à tout prix imposer son rythme, nous goûtons le bienfait de l'obéissance mutuelle. Dans ces détails, sans mot, on retrouve l'obéissance dans ce qu'elle a de plus originel: l'écoute. Dans un travail ou un service commun, sans nécessairement beaucoup de paroles, nous sommes à l'écoute des uns des autres pour faire ce qui doit être fait. C'est un peu la même chose au chœur durant le chant. Non seulement nous obéissons à celui qui dirige le chant, mais nous nous obéissons aussi mutuellement, en nous écoutant les uns les autres pour être ensemble. A travers tous ces exemples, nous mesurons combien l'obéissance est un bien, pour reprendre l'expression de Benoit. Elle est un bien essentiel à toute vie commune, comme l'est la charité gu'elle sert activement. Elle contribue à ce que la vie, l'amour circule entre nous, dans le service mutuel. Cette obéissance qui n'est pas un dû, devient un don. En obéissant, je me donne. Je fais don de ma vie à mes frères, et à travers eux au Christ. Parfois, l'obéissance me coûte, car le mouvement spontané veut souvent que je préfère me débrouiller par moi-même plutôt que de recevoir ; je préfère organiser les choses plutôt que d'entrer dans la façon d'un autre. Mais là où le mouvement d'indépendance risque de m'isoler, le mouvement d'obéissance créé un lien fraternel plus vivant. Le frère à qui j'obéis est honoré et moi je suis libéré de mon ego encombrant. Soyons heureux de nous faire mutuellement le don, le bien de l'obéissance...
1. On évitera, au monastère, toute occasion de présomption,
2. et nous décrétons que personne n'aura le droit d'excommunier ou de frapper aucun de ses frères, s'il n'en a reçu pouvoir de l'abbé.
3. Mais « on reprendra les coupables en présence de tous, afin de faire peur aux autres. ;»
4. Quant aux enfants jusqu'à l'âge de quinze ans, tous auront soin de les maintenir dans l'ordre et les surveilleront,
5. mais en toute mesure et raison.
6. Si quelqu'un se permet quoi que ce soit contre un adulte sans instructions de l'abbé ou s'emporte sans discrétion contre des enfants, il subira les sanctions de règle,
7. car il est écrit : « Ce que tu ne veux pas qu'on te fasse, ne le fais pas à autrui. ;»
Dans la suite du précédent chapitre entendu hier, celui-ci pose sans fioriture devant nos yeux un interdit : l'interdit de la violence physique, auquel est lié assez explicitement l'interdit de la violence verbale. En effet, st Benoit « décrète que personne n'aura le droit d'excommunier ou de frapper aucun de ses frères». Il y a des limites à ne pas franchir. Pourquoi ? St Benoit donne une raison toute évangélique et scripturaire : « ce que tu ne veux pas qu'on te fasse, ne le fais pas à autrui ! ».
D'où viennent ces situations de conflit où la tension monte à tel point que la colère peut nous emporter et nous faire faire ce que nous regretterons ensuite ? Je crois qu'elles sont liées à deux choses, à des évènements perçus comme injustes qui se répètent, et à un terrain fragile en chacun de nous. Sur les évènements, sur les aspérités de la vie commune, nous n'avons pas beaucoup prise. Parfois, une parole extérieure du P. Abbé ou d'un frère peut aider à une prise de conscience chez un frère qui ne se rend pas compte des tensions qu'il génère, ou des injustices qu'il commet. Reste nous-mêmes. C'est le seul facteur sur lequel nous avons vraiment prise. Ce conflit ou ces conflits peuvent nous permettre de mieux nous connaitre. Si le même genre de problème se passe non pas avec un seul, mais avec plusieurs frères, il faut pouvoir s'interroger si effectivement il n'y a pas en moi un point tellement aveugle que j'en arrive à blesser des frères. Si tel ne semble pas être le cas, mieux me connaitre me permettra de mesurer combien je suis fragile dans tel type de situation. C'est alors à un travail intérieur de vigilance que je suis invité pour pacifier ces parts très irritables en moi. Travail de l'attention autant que travail de la grâce de l' Esprit Saint qui nous connait mieux que nous même. Consentir à ce travail est déjà une victoire sur nous-même. C'est le signe que j'ai quitté le désir d'autojustification et la volonté de ne chercher qu'en l'autre la source des problèmes. Celle-ci se trouve aussi pour une part en moi. Le Saint Esprit peut ensuite nous apprendre à nous désarmer. Mais lui seul, notre Défenseur vient défaire nos systèmes de défense ou d'attaque. Quand surgit une tempête intérieure de pensées qui fulminent contre un frère, invoquons-le. Prenons le au sérieux, Lui, et regardons notre cinéma intérieur avec de l'humour et de la distance. L'Esprit Saint nous établira dans la paix, et montrera bien vite combien la tempête des pensées de colère était vaine et inutile.
1. Il faut prendre soin que personne au monastère, en aucune occasion, ne se permette de défendre un autre moine ou de lui servir comme de protecteur,
2. même s'ils sont unis par un lien de parenté quelconque.
3. Les moines ne se le permettront d'aucune manière, car cela peut être l'occasion de conflits très graves.
L'équilibre des relations dans une communauté est toujours une chose délicate... presque de l'ordre d'un miracle permanent. Quand s'insinuent dans une communauté des germes de division, que tel ou tel s'arroge un rôle de protecteur ou de défenseur d'un autre, ou qu'un groupe fait bloc contre l'ensemble, c'est l'occasion de beaucoup de souffrances. Que faut-il faire pour éviter que cela se produise ? N'y-a-t-il pas une forte attention à avoir pour ne jamais perdre le but de la vie en communauté ? Une vie dans la charité et la patience qui nous tourne ensemble vers le Christ. Quand prennent le dessus des idéaux ou des visions très rationnelles au détriment des personnes, nous sommes en danger. La réalité humaine ne se résout pas avec des équations. Lorsque nous perdons le sens de la croix du Christ qui sauve notre humanité, en pensant que le succès est au bout de nos efforts, et de nos stratégies, nous pouvons être en danger. Car bien des stratégies sont possibles, et on ne parviendra jamais à s'accorder complètement. L'humilité garde dans l'unité; la prétention à avoir raison isole. L'humilité sème la charité, l'orgueil créé le vide autour de soi.
Evagre propose cette sentence bien connue : « Moine est celui qui est séparé de tous et uni à tous» (Traité de l'oraison 124). Ces mots bien ciselés peuvent constituer une belle parade à la tentation de défendre un autre, ou de créer des clans dans une communauté. A chacun, il revient de cultiver sa propre solitude et sas capacité de communion. Aimer notre solitude, et la vivre comme une chance. Nous choisissons un mode de vie avec des prises de distance qui donne une vraie place au silence et au recueillement, pour mieux écouter et rencontrer le Seigneur. Nous consentons à être séparés de tous, de nos amis, de notre famille, et d'avoir une juste distance avec nos frères de communauté (pas de relation fusionnelle). Et en même temps, nous sommes unis à tous, à nos frères de communauté par l'alliance profonde qui nous lie à travers la profession, à la vie à la mort. La foi partagée et le soutien mutuel viennent irriguer notre cœur d'une charité plus profonde que nos mots peuvent l'exprimer, et plus profondes surtout que nos énervement ou nos accrochages. Bien sûr, rien n'est jamais gagné. L'apprentissage du pardon, le voile jeté sur les fautes des autres, la bienveillance du regard à priori sont à cultiver sans cesse. Notre union communautaire pourra alors s'élargir en une communion toujours plus grande dans laquelle beaucoup se sentiront à l'aise, parce que règne une charité vraie qui accueille avec simplicité. Avec courage et joie, devenons des moines séparés de tous et unis à tous.
1. Si l'on enjoint à un frère des choses pénibles ou impossibles, il recevra l'ordre de celui qui commande en toute douceur et obéissance.
2. S'il voit que le poids du fardeau excède absolument la mesure de ses forces, il représentera à son supérieur, patiemment et opportunément, les raisons de son impuissance,
3. sans orgueil ou résistance ni contradiction.
4. Si, après ses représentations, l'ordre du supérieur se maintient sans qu'il change d'avis, l'inférieur saura qu'il est bon pour lui d'agir ainsi,
5. et par charité, confiant dans le secours de Dieu, il obéira.
Ce chapitre envisage l'exercice de l'obéissance monastique jusqu'à son paradoxisme. En certains cas, l'obéissance peut paraitre impossible à assumer et parfois le supérieur peut maintenir la demande. Cette situation extrême invite à nous poser la question : finalement quel sens cela a d'obéir? Est-ce pour faire plaisir au supérieur? Est-ce pour assurer le bon ordre et la cohérence du groupe? Est-ce pour déployer la vie chrétienne avec plus d'efficacité? Nous mesurons bien que ces réponses n'épuisent pas la question. Car notre obéissance n'a de sens qu'au regard de l'obéissance du Christ vécue jusqu'à la mort de la croix. Selon une rationalité purement humaine, l'obéissance religieuse est insensée ou sujette à bien des objections que la faiblesse humaine récemment étalée avec toutes les affaires d'abus ne fait que renforcer. Notre obéissance religieuse brille à la lumière de l'obéissance du Christ ou alors elle est ténèbres. Avec le Christ, nous voulons vivre délibérément selon un dynamisme continu de mort et de résurrection. Avec lui, nous voulons apprendre à nous donner jour après jour, en acceptant une forme de mort, par rapport à toutes nos prétentions d'indépendance, d'autonomie ou d'autosuffisance. Et comme le Christ, nous acceptons d'obéir sans avoir toutes les garanties, ni vouloir que les institutions ou les personnes soient parfaites. Notre obéissance s'appuie sur la foi du Christ qui n'a pas craint de se laisser écraser par la mort injuste, dans la conviction que de cet abime la vie surgirait. La vie véritable offerte à tous dans sa résurrection a été l'horizon de l'obéissance du Christ. Mais nous ne sommes pas le Christ. Aussi le supérieur qui requiert l'obéissance pour une situation concrète doit-il s'assurer que chacun se situe au bon lieu du don de lui-même pour répondre. Selon les uns et les autres, la conscience et la possibilité du don de soi est plus ou moins grande. D'où l'importance de ce dialogue prévu par Benoit pour que le frère puisse dire ses difficultés et s'ouvrir des raisons qui lui rendent la chose impossible. Ce dialogue laisse la place à la liberté de chacun. Car il ne peut y avoir d'obéissance qu'en ce lieu intime de la liberté. Une liberté toujours en chemin. Une liberté appelée à s'élargir dans ses capacités à s'ouvrir à des possibilités méconnues ou à des renoncements imprévus. C'est ici que le terme« vœu d'obéissance» peut trouver tout son sens. Nous nous vouons à l'obéissance, c'est-à-dire que nous désirons cultiver en notre être profond, cette écoute, cette disponibilité à l'inattendu de Dieu qui ne cesse de nous appeler à sortir de nous-mêmes.
1. Les frères qui vont partir en voyage se recommanderont à l'oraison de tous les frères et de l'abbé,
2. et à la dernière oraison de l'œuvre de Dieu, on fera toujours mémoire de tous les absents.
3. Quant aux frères qui reviennent de voyage, le jour de leur retour, à toutes les heures canoniales, quand s'achève l'œuvre de Dieu, ils se prosterneront sur le sol de l'oratoire
4. et demanderont à tous de prier en raison de leurs manquements, de peur de s'être laissé prendre en voyage à voir ou entendre une chose mauvaise ou une parole déplacée.
5. Et personne ne se permettra de rapporter à un autre tout ce qu'il aura vu ou entendu hors du monastère, car cela fait de très grands ravages.
6. Si quelqu'un se le permettait, il subira le châtiment de règle.
7. De même celui qui se permettrait de sortir de la clôture du monastère et d'aller n'importe où et de faire n'importe quoi, même de peu d'importance, sans l'autorisation de l'abbé.
Lorsque Jésus envoie ses disciples en mission, il est attentif aux conditions concrètes de leur voyage. Ils ne doivent emporter que le minimum, pas d'argent, pas de bâton, pas de vêtement de rechange ... L'annonce du Royaume se fait par leur manière d'être dans une dépendance totale, avant de se faire par leurs paroles. Lorsque St Benoit parle des frères en voyage, il ne donne pas de consignes sur les conditions pratiques, si ce n'est dans un autre chapitre, le fait de ne pas s'arrêter pour manger. Mais par contre, il est attentif au lien de communion dans la prière, entre ceux qui sortent et la communauté qui demeure, et cela, aussi bien avant, pendant qu'à leur retour. Cette insistance met en évidence où se situe le cœur de notre vie de moine : une vie de prière, vécue en communion avec des frères. Si le moine qui sort ne peut pas assurer complètement son service de prière, au fil des heures de la journée, la communion des frères qui le portent dans sa prière palliera. Dans sa règle, le Maitre exprime cette conviction que Benoit a pu faire sienne : « Il est bien juste que tous fassent mémoire de l'absent ...en leurs oraisons, puisque c'est à veiller au bien de tous qu'il est occupé. Ainsi, de même qu'un seul au nom de tous procure le bien commun, de même un seul participera à l'oraison de tous » (RM 20, 8-9). Notre communion fraternelle trouve sa plus haute expression dans la prière portée ensemble comme un service de la gloire de Dieu, pour l'Eglise et le monde. Lorsque nous sommes tous présents, nous nous soutenons dans la fidélité et dans la persévérance. Si un frère peine, il sait qu'il peut s'appuyer sur ses frères. De même temporairement, quand un frère est absent. S'il revient à ce dernier de veiller lors de ses sorties à honorer son service de prière, il sait qu'il peut compter sur ses frères. Petit signe de cette communion : chaque soir, à la fin de Complies, le P. Abbé appelle la bénédiction de Dieu, non seulement sur les présents, mais aussi sur les frères absents. Petit rituel quotidien qui s'ajoute aux mentions spontanées, exprimées après la prière litanique des offices de laudes ou de vêpres. Tous, nous nous savons faibles et la communion qui s'exprime dans la prière est un soutien. A tour de rôle, nous nous recommandons à la bonté de Dieu qui veille sur les autres, comme nous croyons et espérons qu'il veille sur nous. Que serait notre service de la prière sans la grâce de Dieu? Une routine, une obligation insensée. Mais avec la grâce de Dieu, il est irrigué de l'intérieur pour devenir un don de nous-mêmes, de toute notre personne. Avec des hauts et des bas, certes. Mais jour après jour, nous apprenons à nous donner. Et en nous donnant, nous nous recevons du Christ qui fait de nous, avec lui, des fils de notre Père des cieux.
1. A la porte du monastère on placera un vieillard sage, qui sache recevoir et donner une réponse, et dont la maturité ne le laisse pas courir de tous côtés.
2. Ce portier doit avoir son logement près de la porte, afin que les visiteurs le trouvent toujours présent pour leur répondre.
3. Et aussitôt que quelqu'un frappe ou qu'un pauvre appelle, il répondra Deo gratias ou Benedic ,
4. et avec toute la douceur de la crainte de Dieu, il se hâtera de répondre avec la ferveur de la charité.
5. Si ce portier a besoin d'aide, il recevra un frère plus jeune.
6. Quant au monastère, il doit être, si possible, construit de telle façon que tout le nécessaire, c'est-à-dire l'eau, le moulin, le jardin et les divers métiers, s'exerce à l'intérieur du monastère,
7. de sorte que les moines ne soient pas obligés de courir au-dehors de tous les côtés, car ce n'est pas bon du tout pour leurs âmes.
8. Nous voulons que cette règle soit lue souvent en communauté, pour qu'aucun frère ne s'excuse sur son ignorance.
Dans une note sur ce chapitre, P. Adalbert souligne que St Benoit répète plusieurs fois que le portier doit donner une réponse (à 4 reprises), tandis que la RM, pour le même sujet, insiste sur le fait que le portier« ferme la porte» (note 4). Cette remarque est très suggestive. St Benoit est davantage intéressé par l'aspect relationnel de cet emploi que le rôle fonctionnel de gardien de la porte du monastère. En terme moderne, on dirait que le portier est avant tout pour lui un réceptionniste. Il est heureux de noter que cela c01Tespond très exactement à ce que nous vivons ici à la Pierre qui Vire. La porte s'ouvre toute seule, il n'y a besoin de personne pour l'ouvrir, comme autrefois. Par contre, il y a besoin d'une présence gui accueille le visiteur, l'hôte qui arrive, ou simplement le passant un peu curieux. S'ajoute à cela la réception des appels téléphoniques qui sont encore une manière de donner une réponse. Donner une réponse : cela parait banal et élémentaire. Mais est-ce si sûr ? Comment vais-je donner la réponse ? Et comment vais-je d'abord accueillir la demande? Comme une personne disponible pour écouter ou comme une personne encore préoccupée par la lecture ou le travail que je fais pour patienter ? Vais-je signifier à la personne qu'elle est la bienvenue ou bien vais-je lui faire sentir qu'elle dérange? Il mérite de se poser la question car accueillir n'est pas seulement une attitude passive où l'on attend que l'autre vienne à soi et s'ouvre des motifs qui l'amène ici. C'est surtout une attitude active qui demande de se disposer vraiment à l'écoute de l'autre sans à priori, et d'essayer de se mettre à sa place. L'étranger appréhende peut-être d'arriver dans un univers tellement inconnu. « Le portier se hâtera de répondre avec la fèrveur de la charité » dit St Benoit. La charité impulsera la juste attitude qui consiste à laisser de la place à l'autre et à lui témoigner de l'intérêt, sans tomber pour autant dans un excès d'indiscrétion. Le portier est donc invité par St Benoit à développer une attitude de bienveillance à priori, empreinte de la douceur du serviteur de Dieu. Une belle tâche qui, remplie avec empressement et discrétion, peut être un beau témoignage pour celui qui arrive. Chacun de nous a déjà sûrement fait la double expérience de ne pas être bien accueilli en un lieu étranger et celle d'être très bien accueilli... La différence n'est pas du tout négligeable. Je remercie la nouvelle équipe qui assure ce service important avec Olivier, les ff. Ambroise, Damase, Fernando et Hugues, ainsi que les frères désignés pour le dimanche. Ils répondent et accueillent en notre nom le Christ qui passe.