vendredi 3 octobre 2025 : journée de solitude pour la communauté, messe vers 6h45 après Laudes.

Commentaires sur la Règle



Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 72, 8-9 Du bon zèle que doivent avoir les moines écrit le 21 mai 2015
Verset(s) :

8. ils pratiqueront la charité fraternelle avec désintéressement ;;

9. avec amour ils craindront Dieu ;

Commentaire :

Avec ces deux recommandations apparaissent les mots « charité » et « amour » (caritas et amor)…Leur place en finale du chapitre semble suggérer que plus le bon zèle s’approfondit, plus grandit l’amour pour les frères et pour Dieu. Comment aimer les frères ? « chastement », répond Benoit. Comment craindre Dieu ? « avec amour ». Tout se passe comme si l’amour pour les frères appelait la juste distance qu’impose la chasteté. Et tout se passe comme si la crainte de Dieu, qui porte déjà en elle cette distance, appelait au contraire à renforcer le lien d’amour. D’un côté, la distance avec les frères doit être préservée pour vivre un amour pur et juste. De l’autre, la distance spontanée avec Dieu doit être vivifiée par l’amour. Dans les deux cas, il s’agit de vivre en vérité la relation avec les autres comme avec Dieu. La finesse de ces deux recommandations de Benoit : « ils pratiqueront la charité fraternelle chastement » et « avec amour, ils craindront Dieu » nous rappelle qu’aimer c’est toujours s’ajuster. Aimer les frères ne peut se vivre dans le désir de fusion qui gomme les différences et qui me fait oublier ma propre solitude. C’est la dynamique de la chasteté que je développais il y a quelques semaines. Aimer dans le respect de l’intimité de l’autre, dans l’acceptation de son rythme et de sa personnalité. Avec Dieu, il peut y avoir au contraire une certaine manière de le tenir trop à distance. Au nom de la crainte ou peut-être davantage au nom de la recherche d’une certaine tranquillité, on ne se donne pas vraiment à lui. On ne s’investit pas vraiment dans l’écoute de sa Parole, dans la disponibilité intérieure aux appels qu’il nous fait au travers des évènements ou des frères…Benoit nous invite à l’aimer avec engagement, dans un désir renouvelé de nous tenir tout entier devant lui et pour lui. Quand il nous exhorte à ne rien préférer à l’office divin, par ex, Benoit nous donne une manière concrète de signifier et de vivre ce lien d’amour avec notre Dieu. Pas seulement le servir en faisant ce qu’il faut faire, mais nous engager avec amour, lui donner du temps dans la prière, le chercher dans une relation personnelle dans la lectio, dans le silence, dans la disponibilité aux mille petits appels de la vie quotidienne. Il est notre Père. Il souhaite que nous le traitions comme tel, avec amour, sans peur ni résistance. (21.05.15)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 72,v 6-7 Le bon zèle des moines écrit le 20 mai 2015
Verset(s) :

6. ils s'obéiront à l'envi ;

7. personne ne recherchera ce qu'il juge être son avantage, mais plutôt celui d'autrui ;;

Commentaire :

De nouveau, comme hier, les deux recommandations entendues s’éclairent l’une l’autre. « Ils s’obéiront à l’envi » laissent entrevoir une obéissance joyeuse, toute donnée. Mais elle pourrait n’être aussi qu’une forme de soumission infantile ou immature. Le second précepte l’éclaire en découvrant le moteur, les motivations profondes qui doivent l’animer. « Personne ne recherchera ce qu’il juge être son avantage, mais plutôt celui d’autrui ». L’obéissance aux frères est mue par un vrai travail sur soi où l’on apprend à faire passer l’intérêt de l’autre avant le sien propre. On peut entendre en arrière fond les consignes laissées par Paul à la communauté de Corinthe, quand il invite chacun à penser d’abord aux autres quand il agit, notamment en mangeant ou non des viandes sacrifiées aux idoles (1 Co 10, 24,33). Est-ce que mon action sera utile à la communauté ? Plus largement, dans l’hymne à la charité Paul dira : « la charité ne cherche pas son intérêt » (1 Co 13, 5). Ainsi se dégager du souci de soi, de cette propension à ne chercher que ce qui nous arrange, est le dynamisme même de l’amour. L’amour qui nous incite à faire passer les autres avant, et à leur obéir avec empressement sans discutailler à l’infini, comme pour mieux faire sentir qu’on existe ou qu’on est important... Quelques exemples de la vie quotidienne ? J’en relève deux : au réfectoire, au libre-service, il y a une manière de se servir de bonnes choses, ou de prendre des bonnes parts qui ne s’intéresse surtout pas de savoir si les autres en auront…La recommandation du coutumier de ne pas prendre en réserve un dessert, par ex, reste un bon repère pour nous aider à ne pas chercher notre intérêt. Dans la liturgie, dans les processions il y a une manière de marcher qui ne se préoccupe que de soi. Au lieu de veiller à marcher ensemble, on avance sans se soucier de son voisin, voire on cherche à imposer son rythme, sans se préoccuper de l’action liturgique qui veut qu’on progresse conjointement.

Personne ne recherchera son intérêt…St Benoit désire nous voir marcher sur la voie de l’amour dans le désintéressement et l’abandon du souci excessif de soi…N’est-ce en vertu de la grande confiance que chacun peut avoir en l’Amour de Dieu qui prend soin de chacun de nous ? C’est Lui qui a pris notre intérêt en main, en nous appelant ici. Nous pouvons lui faire confiance.

(20.05.15)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 72,v 4-5 Le bon zèle des moines écrit le 19 mai 2015
Verset(s) :

4. ils « se préviendront d'honneurs mutuels » ;

5. ils supporteront sans aucune impatience leurs infirmités corporelles et morales ;;

Commentaire :

Je me propose de lire et de commenter deux à deux les recommandations de Benoit sur le bon zèle, car elles s’éclairent l’une l’autre. « Ils se préviendront d’honneurs mutuels » peut en effet éclairer avec profit le « ils supporteront sans aucune impatience leurs infirmités corporelles et morales ». En effet, le risque est grand de n’envisager le fait de supporter les infirmités des frères que comme un minimum auquel on ne peut se dérober, mais sans que cela engage une attitude profonde. On se supporte parce qu’on ne peut pas faire autrement. Aussi pour paraphraser l’évangile, on peut se demander : « les païens n’en font-ils pas autant ? ». Notre vie monastique nous appelle à aller plus loin sur la voie de l’amour fraternel. Et c’est là que le « ils se préviendront d’honneurs mutuels » vient élargir les perspectives. Appelés déjà par Benoit à « honorer tous les hommes » (RB 4, 8), le bon zèle nous incite à rechercher tout ce qui peut honorer les frères. Les honorer, par des attitudes de respect et de bienveillance. Les honorer par un regard positif porté sur eux, par des paroles qui encouragent. Dans ce climat d’honneur mutuel, les infirmités corporelles et morales seront replacées à leur juste place. Le frère, ce frère que j’honore en vertu de son appartenance au Christ dans une même communauté, est bien plus grand que ses petits côtés qui me sautent immédiatement aux yeux. Si mon regard est éduqué à honorer chacun pour ce qu’il est en son mystère devant Dieu, il ne sera pas rapidement obstrué par les images déformantes de ses infirmités. Celles-ci peuvent m’agacer, me déranger ou m’indisposer. Elles ne disent pas tout de la personne. A l’inverse, l’impatience que je peux éprouver ainsi que les énervements, manifestent plutôt l’étroitesse de mon cœur, la petitesse de mon endurance face à une contrariété. Je voudrais tellement que l’autre soit comme moi, réagisse comme moi etc… Mais alors, je deviens la norme et la mesure de tout. Notre vie communautaire nous offre cette chance inouïe de sortir de notre égocentrisme, pour apprendre élargir toujours plus notre regard et notre cœur, à la mesure de celui de Dieu notre Père. Lui sait que chacun d’entre nous est digne d’un très grand honneur, et qu’il vaut bien plus que tous ses défauts, ses limites et son péché. Je porte cette conviction pour moi-même. Elle me permet de me tenir avec confiance sous le regard de Dieu. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour mon frère ? (19.05.15)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 72, v 1-3 Du bon zèle écrit le 09 mai 2015
Verset(s) :

1. S'il existe un zèle mauvais et amer qui sépare de Dieu et conduit en enfer,

2. il existe aussi un bon zèle qui sépare des vices et conduit à Dieu et à la vie éternelle.

3. Tel est donc le zèle que les moines pratiqueront avec un ardent amour ;:

Commentaire :

Qui est vraiment animé du bon zéle sinon Jésus lui-même ? Le passage des vendeurs chassés du Temple révèle ce zèle qui l’habite. En le voyant agir, « un mot de l’Ecriture revint à la mémoire des disciples : « le zèle pour ta maison me dévore » (Jn 2, 17 ; Ps 68, 10). Jésus est rempli d’élan et de vigueur pour accomplir la mission de son Père. Son zèle se laisse entrevoir encore comme un feu intérieur qui le brûle… « Je suis venu apporter le feu sur la terre, et comme je voudrais que déjà il soit allumé » (Lc 12, 49). Ce sera le feu de l’Esprit Saint répandu, comme le fruit de sa passion et de sa résurrection. Le zèle de Jésus est un zèle animé par l’Esprit, un zèle qui l’entraine dans une fidélité sans faille jusqu’à l’obéissance de la mort. En ce sens, il est bien différent du zèle de Paul. Celui-ci reconnait qu’il surpassait ses compatriotes par son zèle acharné pour défendre les traditions de ses pères (cf Ga 1, 14). « J’étais rempli du zèle de Dieu » (Ac 22, 3). Mais son zèle le conduisait à persécuter et à mettre à mort, alors que le zèle de Jésus le conduisit à se laisser consumer et à se donner…

Paul, lui-même converti, va enseigner aux communautés chrétiennes un autre zèle, celui qui vise à rechercher les dons spirituels (1 Co 14, 12)…Un zèle selon l’Esprit en vue de l’édification de la communauté, notamment pour faire un usage modéré du parler en langue… De la même manière, le bon zèle dont parle Benoit ne peut être vécu que dans l’Esprit Saint afin que grandissent la charité et la communion entre les frères. Tout le développement ultérieur du chapitre n’a qu’une visée : exhorter chaque à aller au bout de cet élan de charité que l’Esprit Saint a mis en lui. « N’allons pas nous dérobant à l’Esprit qui régénère… N’allons pas à contrevoie de celui qui nous entraine » chantons-nous durant ce temps pascal. St Benoit nous exhorte à ouvrir grand nos cœurs à l’Esprit Saint, pour qu’il ranime en nous le bon zèle, afin d’aller sans se lasser vers les autres, de nous donner. Sachant notre faiblesse, demandons à l’Esprit Saint d’être notre souffle, notre force… « Viens Esprit de feu, viens nous embraser ! ». (09.05.15)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 71, v 6-9 Que l’on s’obéisse mutuellement écrit le 02 mai 2015
Verset(s) :

6. De plus, si un frère reçoit une réprimande quelconque de l'abbé ou de n'importe lequel de ses anciens pour quelque raison que ce soit, si mince qu'elle puisse être,

7. et s'il sent que l'esprit de n'importe quel ancien est légèrement irrité contre lui ou ému si peu que ce soit,

8. aussitôt et sans délai il se prosternera à terre et fera satisfaction, étendu à ses pieds, jusqu'à ce qu'une bénédiction vienne calmer cette émotion.

9. Celui qui refuse de faire cela, on lui infligera un châtiment corporel, ou bien, s'il est obstiné, on le chassera du monastère.

Commentaire :

St Benoit se montre ici très sévère contre tout ce qui pourrait affaiblir la qualité de l’obéissance entre frères, celle notamment du plus jeune vis-à-vis de l’ancien. Si le plus jeune sent que l’ancien est ému, il doit montrer une attitude d’humilité pour se réconcilier avec ce frère…. Celui qui mépriserait cette démarche de réconciliation jusqu’à l’obstination pourra être exclu….

Derrière ces mots sévères, nous pouvons entendre la grande importance que Benoit attache au climat d’humilité et de réconciliation entre frères… Il ne badine pas sur ces points de vie commune. Sans humilité et sans réconciliation, il n’y a pas de vie chrétienne possible. Le Christ ne nous a pas appelés pour que nous vivions simplement juxtaposés les uns à côté des autres. Mais il veut que nous donnions toute sa mesure à la grâce de réconciliation qu’il a apportée au monde. La réconciliation entre les hommes passe par la réconciliation entre nous. Et nous sortons du chemin voulu par le Christ, lorsque nous nous satisfaisons d’une relation blessée avec un frère, sans chercher à la guérir ou à la rénover. Nous manquons au prophétisme de notre vie religieuse qui veut proposer au monde, non pas la communauté idéale, mais la communauté qui ne se résigne jamais à la division ou aux relations blessées… Toujours recommencer sans se lasser ni se résigner, voilà une attitude prophétique.

La question nous est alors posée : sommes-nous toujours prompts lorsqu’il y a eu un malentendu avec un frère, à faire le premier pas pour retrouver la paix avec ce frère ? Ou bien sommes-nous jaloux de défendre notre bon ou mauvais droit, dans le désir d’avoir raison ? Le désir d’avoir raison est un poison pour la vie commune. Il rend aveugle sur soi et fausse les relations. St Benoit nous propose de vivre l’évangile en ne nous attachant pas à notre fierté ou à notre amour propre blessé, pour privilégier le bien de la relation avec le frère. La relation paisible et juste avec le frère vaut mieux que la préservation de notre illusoire fierté. Quand il y a un problème avec un frère, n’attendons pas, ne laissons pas trainer les choses. S’il le faut, parlons-en avec un frère de bon jugement…pour faire la lumière… Ne laissons pas notre cœur s’épaissir, enveloppé dans ses autojustifications. Gardons le cœur léger, celui qui est toujours prompt à faire le premier pas… (02-05-2015)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 71, v 1-5 Que l’on s’obéisse mutuellement écrit le 01 mai 2015
Verset(s) :

1. Ce n'est pas seulement envers l'abbé que tous doivent pratiquer le bien de l'obéissance, mais en outre les frères s'obéiront mutuellement,

2. sachant que par cette voie de l'obéissance ils iront à Dieu.

3. Aussi, mis à part les ordres de l'abbé ou des prévôts qu'il institue, ordres auxquels nous ne permettons pas que l'on préfère ceux des particuliers,

4. pour le reste tous les inférieurs obéiront à leurs anciens en toute charité et empressement.

5. Si quelqu'un est pris à contester, on le réprimandera.

Commentaire :

« Sachant que par cette voie de l’obéissance ils iront à Dieu »… Depuis le 1er verset de la Règle, Benoit ne cesse de nous enseigner la voie de l’obéissance, comme la voie bonne pour aller à Dieu… Obéissance : ce bon et rude chemin par lequel on devient moine, c’est-à-dire vraiment unifié, « monos », un et non pas seul « solus ». Obéissance qui n’est pas soumission subie mais écoute consentie. Là où la soumission mal vécue risque de nous enfermer sur nous-mêmes, l’écoute nous ouvre une possibilité de relation. De plus l’écoute consentie nous rend à nous-mêmes en nous tournant vers les autres, vers le Christ…

Entre la soumission qui stérilise et l’écoute qui libère, se trouve notre itinéraire de moine. Avec des tâtonnements, avec des lumières, avec des incompréhensions… Le f. Ghislain a bien montré dans ses livres qu’écouter demandait toujours une forme de renoncement, un sacrifice pour s’ouvrir à la parole d’un autre, pour se remettre à une autre vision des choses… Comment grandir sur cette voie de l’obéissance, de l’écoute, qui nous engage à un vrai renoncement intérieur ? Comment non plus subir l’obéissance mais la reconnaitre comme une source vivifiante dans nos vies ?

Trois points me viennent à l’esprit. Le premier est de nous laisser enseigner par la cloche. A son appel, apprendre à consentir à arrêter nos activités non achevées, dans le désir d’honorer le Seigneur en se préparant mieux à l’office…Obéir à la cloche pour mieux nous recentrer sur le Christ, et lui donner la première place. Le second point est de découvrir la joie qu’il y a à se donner aux frères, joie bien plus grande que le premier mouvement qui nous fait tergiverser, objecter ou négocier… Se donner simplement nous fait goûter la joie de tisser l’alliance entre frères, à travers les services rendus. Le troisième point pour grandir dans cette capacité à obéir et écouter, est de savoir réfléchir sur nos refus d’obéir. Pourquoi je dis non ? Pourquoi je résiste aux demandes parfois récurrentes ? Les raisons que j’avance disent-elles vraiment le fond de mon cœur, ou sont-elles des paravents pour me protéger… Où est vraiment mon désir profond ?

Nous tous qui voulons devenir plus obéissants, nous ne pouvons que nous tourner vers le Christ. Il veut nous sauver de tous nos replis et enfermements qui nous isolent et nous rendent sourds. Il nous introduit dans sa joie pascale de serviteur qui écoute chaque matin… (01-05-2015)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 70, v 1-9 Qu’on ne se permette pas de frapper à tort et à travers écrit le 29 avril 2015
Verset(s) :

1. On évitera, au monastère, toute occasion de présomption,

2. et nous décrétons que personne n'aura le droit d'excommunier ou de frapper aucun de ses frères, s'il n'en a reçu pouvoir de l'abbé.

3. Mais « on reprendra les coupables en présence de tous, afin de faire peur aux autres. ;»

4. Quant aux enfants jusqu'à l'âge de quinze ans, tous auront soin de les maintenir dans l'ordre et les surveilleront,

5. mais en toute mesure et raison.

6. Si quelqu'un se permet quoi que ce soit contre un adulte sans instructions de l'abbé ou s'emporte sans discrétion contre des enfants, il subira les sanctions de règle,

7. car il est écrit : « Ce que tu ne veux pas qu'on te fasse, ne le fais pas à autrui. ;»

Commentaire :

« Ce que tu ne veux pas qu’on te fasse, ne le fais pas à autrui »…Ce précepte évangélique revient trois fois dans la Règle : une fois avec les instruments des bonnes œuvres, une fois adressé à l’abbé pour qu’il n’accueille pas un moine étranger sans l’accord de son supérieur, et ici à l’adresse de tout moine afin qu’il n’exerce pas la violence sous prétexte de vouloir corriger autrui… Ainsi tous se retrouvent sous ce précepte évangélique que l’on peut considérer comme une forme négative du commandement : « tu aimeras ton prochain comme toi-même »… Dans les deux formulations négative et positive, la justesse avec laquelle nous sommes capables de nous rapporter à nous-mêmes va nous enseigner la façon de nous rapporter aux autres. En orientant notre regard sur les autres à partir du regard que l’on porte sur soi, le Seigneur ne demande pas des choses extraordinaires : une sorte de justice de base… On pourrait dire : ce n’est pas compliqué…

Mais pourquoi donc est-ce si difficile d’aimer et d’avoir des relations justes et heureuses avec tout le monde ? L’apparente évidence des commandements ne doit pas nous faire oublier deux choses : nous restons pour une part un mystère à nous-mêmes, et à fortiori les autres échappent toujours à notre connaissance. Aussi les deux commandements sont-ils une exhortation à entrer d’abord dans une connaissance toujours plus affinée de nous-mêmes, de nos réactions en certaines occasions, de nos forces et de nos faiblesses, de nos limites. Le « connais-toi toi-même » des grecs reste un bon levier pour mieux habiter notre propre humanité. Mais nous dit l’évangile, il le sera davantage, non pour nous regarder le nombril, mais pour nous ouvrir aux autres, à leur différence, à leur mystère sans en être écrasé ou blessé. Belle et rude école que cette double connaissance de soi et des autres qui ne cesse de nous déplacer, et finalement de nous rendre plus humble et plus vrai… La vie quotidienne se charge de nous l’enseigner. Ne soyons pas effrayer par tout ce qui bute ou nous fait buter. Cela résiste, c’est bon signe…Nous avons encore quelque chose à apprendre sur nous-mêmes et sur les autres. (29-04-2015)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 69, v 1-4 Qu’on ne se permette pas au monastère de défendre un autre écrit le 28 avril 2015
Verset(s) :

1. Il faut prendre soin que personne au monastère, en aucune occasion, ne se permette de défendre un autre moine ou de lui servir comme de protecteur,

2. même s'ils sont unis par un lien de parenté quelconque.

3. Les moines ne se le permettront d'aucune manière, car cela peut être l'occasion de conflits très graves.

4. Si quelqu'un transgresse ce point, on le châtiera rigoureusement.

Commentaire :

Ce chapitre nous fait toucher du doigt l’épaisseur de notre pâte humaine. Pâte appelée à abandonner les vieux ferments, dirait Paul (1 Co 5, 6-8) pour devenir une pâte nouvelle dans le Christ ressuscité. St Benoit met en garde ici contre les vieux ferments toujours prompts à se réveiller : la présomption à s’ériger comme défenseur d’un frère contre l’abbé, les affinités qu’elles soient familiales ou amicales qui peuvent brouiller toutes les cartes et créer de la division. Notre vie communautaire veut nous aider à vivre selon l’homme nouveau celui qui est recréé dans le Christ. Dans le Christ ressuscité, les relations sont transfigurées. Chacun est appelé à se rapporter aux autres, non plus par intérêt, ou par affinité, mais en vertu de la charité qui nous est donnée par l’Esprit Saint. Là où les vieux ferments rétrécissent le regard et le cœur à un petit cercle d’amis ou de gens qui pensent comme nous, la vie de l’homme nouveau en Christ conduit à s’agrandir toujours plus dans sa capacité à être en relation.

En écoutant ce petit chapitre, on voudrait que ce genre de problème n’arrive pas dans notre communauté, problème où la parole devient perfide et où la confiance est blessée. Il veut nous aider à nous tenir chacun sur nos gardes et à nous prémunir de ce qui pourrait nous incliner en ce sens. Tous, il nous faut veiller à la qualité de nos paroles : sont-elles bienveillantes ou viennent-elles parfois insinuer, et sous couvert d’humour salir ? Il nous faut veiller à la qualité de nos regards : sont-ils d’abord ouverts et accueillants ou bien se laissent-ils facilement gagner par le jugement et la dépréciation ? Le Bx Pierre Favre disait qu’il faut être « plus enclin à sauver la proposition de l’autre qu’à la condamner ». Il parlait en pensant entre autre aux nouveaux « hérétiques » d’alors qu’étaient les protestants. Si nous voulons laisser croître en nous l’homme nouveau dans le Christ, afin d’édifier la communauté qui lui plait, nous ne pouvons échapper à ce travail de vigilance intérieure. Qualité de nos paroles, qualités de nos regards, qualités de nos pensées. Ne nous laissons pas gagner par la pollution des pensées négatives, critiques et amères sur les autres. Ces pensées ne sont pas les plus profondes, car elles sont étrangères à l’homme recréé en Christ. Les ruminer nous épuise intérieurement, nous défigure extérieurement. Sachons les éradiquer en les confiant au Christ dans une prière persévérante, mais aussi en les parlant dans l’ouverture du cœur, ou encore en les transformant en service du frère vis-à-vis duquel on a du mal… (2015-04-28)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 68, v 1-5 Si l’on enjoint à un frère des choses impossibles écrit le 25 avril 2015
Verset(s) :

1. Si l'on enjoint à un frère des choses pénibles ou impossibles, il recevra l'ordre de celui qui commande en toute douceur et obéissance.

2. S'il voit que le poids du fardeau excède absolument la mesure de ses forces, il représentera à son supérieur, patiemment et opportunément, les raisons de son impuissance,

3. sans orgueil ou résistance ni contradiction.

4. Si, après ses représentations, l'ordre du supérieur se maintient sans qu'il change d'avis, l'inférieur saura qu'il est bon pour lui d'agir ainsi,

5. et par charité, confiant dans le secours de Dieu, il obéira.

Commentaire :

Avec ce chapitre, nous sommes au cœur de notre engagement à la suite du Christ. Le suivre en portant sa croix, nous dit l’évangile. Cela peut-il se faire sans passages étroits, sans renoncements ? Ou alors, nous risquons de rêver une vie monastique « light », « désincarnée », « une suite du Christ sans renoncement », comme mettait en garde le pape François, dans son homélie du 2 février dernier, lors de la journée de la Vie consacrée.

Ce chapitre peut nous renouveler dans notre acte de foi en l’obéissance. Obéir à l’abbé, obéir à ses frères dans l’unique désir d’obéir au Christ. Suivre le Christ aujourd’hui passe par cette médiation humaine fragile. Le Verbe qui s’est fait chair et parole humaine, donne sa confiance à nos paroles humaines ainsi que la force de son Esprit. Elles vont donner voix à sa Parole. Mystère d’une confiance faite aux hommes, mystère de l’Eglise.

Ce chapitre offre une pédagogie pour entrer plus dans la confiance, dans la profondeur de cet acte de foi, par lequel on accueille la volonté de Dieu dans une demande humaine. A première vue, cette demande peut sembler impossible à celui qui la reçoit. « Le poids du fardeau excède absolument la mesure de ses forces ». Il est alors important de parler. De façon très humaine, Benoit ménage un espace de parole, un espace de confiance mutuelle. De part et d’autre, la manière de parler va traduire ou non le désir d’écouter et de discerner la volonté de Dieu. Pour le frère : est-ce qu’il donne ses objections dans la perspective de ne pas en démordre, par désir d’avoir raison, par souci de préserver une image de lui ou simplement sa tranquillité ? Et pour l’abbé : est-ce qu’il écoute en étant ouvert à ce qu’il n’a pas vu ? Pour les deux, l’acte de foi est requis en vue de rechercher la volonté de Dieu. Pour les deux, le risque est toujours possible de transformer ce dialogue de discernement, en table de négociation où l’on cède une part pour en obtenir une autre. Si l’obéissance est vécue sur le mode de la négociation, on a quitté la suite du Christ. Ce n’est plus Lui que nous cherchons, mais c’est nous-mêmes. En final, il revient au P. Abbé la délicate responsabilité de modifier ou de confirmer sa demande initiale. Dans ce dernier cas, le frère est appelé à prendre appui sur la charité qui est en lui, et sur le secours de Dieu. Pour vivre, avec fruit, l’épreuve de l’obéissance jusque-là, cultivons jour après jour, en toute chose, une attitude intérieure d’ouverture au Christ. « Apprends-moi à faire ta volonté, car tu es mon Dieu » (Ps 142, 10). (2015-04-25)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 67 v 1-7 Des frères envoyés en voyage écrit le 21 avril 2015
Verset(s) :

1. Les frères qui vont partir en voyage se recommanderont à l'oraison de tous les frères et de l'abbé,

2. et à la dernière oraison de l'œuvre de Dieu, on fera toujours mémoire de tous les absents.

3. Quant aux frères qui reviennent de voyage, le jour de leur retour, à toutes les heures canoniales, quand s'achève l'œuvre de Dieu, ils se prosterneront sur le sol de l'oratoire

4. et demanderont à tous de prier en raison de leurs manquements, de peur de s'être laissé prendre en voyage à voir ou entendre une chose mauvaise ou une parole déplacée.

5. Et personne ne se permettra de rapporter à un autre tout ce qu'il aura vu ou entendu hors du monastère, car cela fait de très grands ravages.

6. Si quelqu'un se le permettait, il subira le châtiment de règle.

7. De même celui qui se permettrait de sortir de la clôture du monastère et d'aller n'importe où et de faire n'importe quoi, même de peu d'importance, sans l'autorisation de l'abbé.

Commentaire :

Sortir du monastère n’est pas anodin, pas plus aujourd’hui qu’hier. C’est une rupture dans notre rythme et une ouverture sur d’autres réalités. Le décalage dans la manière de vivre est réel, voire fort différent. Au monastère, le cadre de vie nous porte à être attentif à nos manières de penser, mais aussi à nos manières de parler et de vivre. C’est notre art de vivre pour chercher Dieu, pour grandir en sa présence ainsi qu’au service de nos frères. De la sorte, nous voudrions que « l’Amour de Dieu atteigne en nous sa perfection », pour reprendre la lecture de dimanche dernier.

Comment garder à notre vie monastique sa qualité et son goût intérieur, alors que nous sommes en sortie ? Telle est la question qu’il nous faut garder présente à l’esprit. Les éléments qui nous aident au monastère : le silence, la retenue, le recueillement, la régularité des offices et de la lectio, la présence des frères ne seront plus là pour nous soutenir. Comment demeurer des hommes tournés vers leur Seigneur et au service des frères ?

Chacun trouvera sa manière. Pour ne pas être dans l’illusion, il est bon d’avoir chacun quelques repères. Souvent il ne sera pas possible de prier les heures de l’office selon la vérité des heures. Mais, il faut alors savoir se réserver des moments de prière aux heures plus propices du matin et de soir ; savoir profiter d’un temps libre pour s’arrêter devant le Seigneur. Si nous partons longtemps, savoir aussi donner des nouvelles au monastère sera une manière concrète de rester en communion ; ou encore prier pour les frères restés au monastère ou en union avec eux…

Revenir au monastère après une longue sortie est aussi une étape pour le frère sorti. Il a vécu des rencontres, vu et entendu beaucoup de choses. Comment va-t-il intégrer cela à sa vie cloitrée. Comment ce vécu à l’extérieur va-t-il faire sens et contribuer à la croissance de son chemin ? La rencontre avec le P. Abbé est une manière de relire les évènements vécus, de pouvoir faire la lumière s’il en est besoin sur certains aspects…Pouvoir parler permettra d’assumer tout ce vécu afin qu’il soit, non pas un aparté dans la vie monastique, mais qu’il soit un élément de notre vie, même s’il a pu être négatif ou douloureux… Sortir pour mieux revenir, afin de grandir dans notre propos monastique… Il y a là une grâce à saisir. (21-04-2015)