vendredi 3 octobre 2025 : journée de solitude pour la communauté, messe vers 6h45 après Laudes.

Commentaires sur la Règle



Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 04 63 Quels sont les instruments des bonnes oeuvres ? (suite) écrit le 04 juin 2024
Verset(s) :

63. Accomplir chaque jour par ses actes les commandements de Dieu,

Commentaire :

R.B. 4, 63 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?

« Accomplir chaque jour par ses actes les commandements de Dieu ». Un instrument à première vue banal pour un chrétien, et à fortiori pour un moine, appelé à obéir aux commandements de Dieu. Les précisions « chaque jour » et « par ses actes » nous indiquent cependant qu’il est bon de nous rappeler que l’engagement à la suite du Christ est quotidien et qu’il nous implique dans un agir concret. Je voudrais m’arrêter sur un autre mot qui peut nous ouvrir à une compréhension plus large. C’est le verbe « accomplir » adimplere… « Remplir », devenu au sens figuré « combler, accomplir ». Ce verbe nous laisse entendre qu’avec les commandements de Dieu, il s’agit davantage que simplement faire. Entre faire et accomplir, je perçois la nuance d’un achèvement sans cesse recherché. Face aux commandements de Dieu, peut-on dire vraiment qu’on les a pleinement réalisés, qu’on est quitte ? A commencer par les deux grands commandements, aimer Dieu et aimer son prochain : qui peut s’estimer les avoir pleinement mis en œuvre ? Concernant plus spécialement notre vie monastique, dans son déroulement le plus concret et quotidien, ce verbe accomplir, qu’on pourrait traduire aussi par faire pleinement, jusqu’au bout, peut nous être très utile. En effet, dans bon nombre de domaines de la vie quotidienne, avec le temps, si on n’y prête pas attention, on fait des choses, mais sans les faire jusqu’au bout. Je prends des exemples dans la liturgie : nous avons la coutume, en cas de retard, de rester à la porte de l’église dès le tintement de la cloche pour respecter le début de l’office ou de la messe…il n’est pas rare que plusieurs regagnent leur place alors que le tintement est commencé. Il nous coûte d’accomplir cette petite règle de rester à la porte pour notre retard, et d’attendre la fin du verset ou de l’introduction de la messe, pour regagner notre place. On ne va pas jusqu’au bout, on grignote, on triche… De même pour les silences entre les psaumes, particulièrement aux vigiles. On peine à vivre ces 10-15 secondes de silence. Certains frères ont tendance à les raccourcir… Faire jusqu’au bout. Ou encore pour le début du repas libre-service. Je rappelle que l’on descend au réfectoire aux tintements de la cloche, pas avant. Ici, il faut préserver jusqu’au bout le temps de la prière…ne pas le raboter… Ou encore pour le travail : bien faire notre travail, ne pas l’expédier ou le bâcler. On pourrait multiplier les exemples : notre vie monastique nous invite à accomplir les choses, à aller jusqu’au bout de ce que nous faisons. A travers notre manière de faire jusqu’au bout, c’est au bout de nous-même que nous allons. Alors quelque chose de notre être s’accomplit en vérité.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 04 62 Quels sont les instruments des bonnes oeuvres ? écrit le 31 mai 2024
Verset(s) :

62. Ne pas vouloir être appelé saint avant de l'être, mais l'être d'abord, afin d'être appelé ainsi avec plus de vérité.

Commentaire :

R.B. 4, 62 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?

« Ne pas vouloir être appelé saint avant de l’être, mais l’être d’abord, afin d’être appelé ainsi avec plus de vérité ». Cet instrument sonne étrangement à nos oreilles. Non que quelques illusoires pensées d’être saint ne nous aient jamais traversé l’esprit, mais parce nous percevons assez vite une contradiction dans le fait d’être saint et de vouloir être reconnu ou appelé tel. Sainteté rime plutôt avec humilité, et toute recherche compliquée de reconnaissance rime plutôt avec orgueil ou vanité. En ce jour où nous honorons la Vierge Marie dans son élan généreux qui la tourne toute entière vers sa cousine, me reviennent les très belles lignes de Bernanos sur Marie, qu’il met dans la bouche du curé de Torcy, dans le Journal d’un curé de Campagne. Il met bien en valeur combien Marie, conçue sans péché, ne pouvait qu’être ignorante de sa propre sainteté, ce qui la rendait propre à une humilité sans pareille et à une compassion vis-à-vis de tous. Je cite : « Mais remarque bien maintenant, petit : la Sainte Vierge n’a eu ni triomphe, ni miracles. Son fils n’a pas permis que la gloire humaine l’effleurât, même du plus fin bout de sa grande aile sauvage. Personne n’a vécu, n’a souffert, n’est mort aussi simplement et dans une ignorance aussi profonde de sa propre dignité, d’une dignité qui la met pourtant au-dessus des Anges. Car enfin, elle était née sans péché, quelle solitude étonnante ! Une source si pure, si limpide, si limpide et si pure, qu’elle ne pouvait même pas y voir refléter sa propre image, faite pour la seule joie du Père — ô solitude sacrée ! Les antiques démons familiers de l’homme, maîtres et serviteurs tout ensemble, les terribles patriarches qui ont guidé les premiers pas d’Adam au seuil du monde maudit, la Ruse et l’Orgueil, tu les vois qui regardent de loin cette créature miraculeuse placée hors de leur atteinte, invulnérable et désarmée…. La Vierge était l’Innocence. Rends-toi compte de ce que nous sommes pour elle, nous autres, la race humaine ? Oh ! naturellement, elle déteste le péché, mais, enfin, elle n’a de lui nulle expérience, cette expérience qui n’a pas manqué aux plus grands saints, au saint d’Assise lui-même, tout séraphique qu’il est. Le regard de la Vierge est le seul regard vraiment enfantin, le seul vrai regard d’enfant qui ne se soit jamais levé sur notre honte et notre malheur. Oui, mon petit, pour la bien prier, il faut sentir sur soi ce regard qui n’est pas tout à fait celui de l’indulgence — car l’indulgence ne va pas sans quelque expérience amère — mais de la tendre compassion, de la surprise douloureuse, d’on ne sait quel sentiment encore, inconcevable, inexprimable, qui la fait plus jeune que le péché, plus jeune que la race dont elle est issue, et bien que Mère par la grâce. Mère des grâces, la cadette du genre humain." Confions-nous à la compassion de Marie, pour nous entrainer sur le chemin de la sainteté qui est toujours ignorante d’elle-même.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 04 61 Quels sont les instruments des bonnes oeuvres ? écrit le 23 mai 2024
Verset(s) :

61. obéir en tout aux commandements de l'abbé, même s'il agit lui-même autrement – ce qu'à Dieu ne plaise – en se souvenant du commandement du Seigneur : « Ce qu'ils disent, faites-le ; quant à ce qu'ils font, ne le faites pas. »

Commentaire :

R.B. 4, 61 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?

En guise de commentaire, de cet instrument qui vient prendre à rebrousse-poil notre sens commun, aiguisé aujourd’hui encore un peu plus, du fait des abus, je voudrais partager ces lignes de M. Delbrêl qui nous replace devant le mystère de l’obéissance, qui va toujours au-delà de notre raison, parce qu’il s’agit de chercher et désirer la volonté de Dieu.

« Puisqu’aimer c’est n’avoir qu’une volonté à deux, l’obéissance, recherche et poursuite de la volonté divine, doit, dans une équipe missionnaire, être comme une « fringale » commune, toujours attentive, toujours à l’affût d’un nouveau vouloir de son Seigneur, soit pour chacune, soit pour toutes. C’est l’obéissance qui doit être son élan vital, toujours la même à travers toutes les charges, toujours comblée de la joie des bienheureux quand elle découvre des étapes douloureuses, des efforts écartelants, des faits dont l’incohérence réclame d’attendre et de subir. Aimer, ce n’est pas vouloir tel ou tel « gouvernement » ; aimer, c’est vouloir obéir, coûte que coûte, c’est chercher les rendez-vous de Dieu là où il faut obéir. La vie commune en petit nombre pourra amener une tentation, normale parce que très humaine : ce serait la tentation de super-démocratie où tout serait décidé par tous. Le motif en sera séduisant : le bon sens de plusieurs consciences réunies est mieux assuré que par une seule de ces consciences… Et ce serait vrai s’il s’agissait d’une affaire humaine. Mais quand Dieu est en question, quand il s’agit de l’aimer au maximum, le bon sens tourne à court. Le bon sens est un magnifique outil pour toutes les entreprises que la raison humaine dirige. Mais si Dieu n’est pas contre la raison, il est au-delà de la raison. Pour traiter quoi que ce soit avec lui, il faut rencontrer le mystère. Pour l’aimer, il faut accepter que notre raison soit entièrement dépassée par le mystère. Une obéissance sans mystère est une discipline d’homme : elle n’est pas le mystère de l’obéissance. Notre raison ? Elle nous aide à découvrir ce qu’il y a de nécessaire dans le mystère de l’obéissance…puis elle nous sert à obéir comme des hommes, non comme des choses. Elle nous sert -quand c’est notre rôle- à désigner le plus apte à détenir l’autorité ; elle nous sert, ensuite, à faire de ce qu’il décide les meilleurs actes et les plus bienfaisants. Elle nous sert surtout à nous réjouir de pouvoir être introduits dans le mystère où nous devenons « un autre » ; où nous sommes façonnés au gré de Dieu pour devenir celui qu’il a désiré unir à lui. On peut faire de l’équipe un vrai brasier d’amour par l’obéissance. Mais il y faut autant de terre d’humilité que de bois de charité. Que l’une de nous ait en charge la responsabilité pour une ou plusieurs équipes, le brasier se sera pas allumé, si toutes ne désirent pas l’obéissance… M. Delbrêl, J’aurai voulu… Textes à ses équipières, 1950-1956, Œuvres complètes T. 14, ed. Nouvelle Cité, Paris 2016, p 246-248.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 04 60 Quels sont les instruments des bonnes oeuvres ? écrit le 22 mai 2024
Verset(s) :

60. haïr sa volonté propre,

Commentaire :

R.B. 4, 60 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?

« Haïr sa volonté propre » : voilà un instrument qui peut nous réveiller. L’expression est tranchante, à la manière de l’expression de celle de Luc : « si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère…et même sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple ». Le tranchant de l’appel évangélique apparait ici dans toute sa force pour nous appeler à une rupture. S’agissant d’haïr notre volonté propre, avec quoi devons-nous rompre ? Certainement pas avec notre volonté, car alors nous ne serions plus des hommes. Non pas avec notre volonté, mais avec notre volonté « propre ». Comment entendre cette expression si familière de la tradition spirituelle ? On peut l’entendre négativement et positivement. Négativement, la volonté propre est notre volonté pensée et vécue comme un en-soi. Je veux et je fais comme je l’entends sans prendre la peine de me référer à autrui, à Dieu ou à des repères objectifs. J’exerce ma volonté comme si j’étais seul au monde dans le désir de ne dépendre de personne. Déployer ainsi à ce point sa volonté est peut-être assez rare. Car sommes-nous aussi indépendants que nous ne l’imaginons ? Mais si nous sommes un peu attentifs à notre manière de vivre, nous pouvons repérer ces mouvements qui nous inclinent à n’en faire qu’à notre tête. Je supporte mal alors la contradiction, ou bien qu’une autre idée vienne contrecarrer mon idée, ou bien qu’on ne fasse pas comme je voudrais… Notre volonté propre montre alors son bout du nez au risque de nous enfermer dans une position qui va nous isoler. Nous faisons tellement notre volonté propre que nous devenons incapables de marcher avec les autres ou de faire une œuvre commune. Mais positivement, comment comprendre qu’il faille haïr notre volonté propre ? Parce que notre volonté propre nous met en porte à faux et nous coupe de la volonté de Dieu. Lorsque nous demandons dans le Notre Père : « que ta volonté soit faite », nous confessons implicitement que cette volonté est bonne, et que notre bonheur est d’y participer. La joie de notre vie chrétienne est de découvrir que notre volonté se déploie de plus en plus au fur et à mesure que l’on consent à faire la volonté de Dieu et à entrer dans son dessein. Loin de nous rendre plus étriqué, accorder notre volonté à celle de Dieu, nous dilate le cœur. C’est l’œuvre de l’Esprit Saint d’inscrire en nous la loi divine comme une lumière et une énergie qui peut nous transformer. Pour sortir de la fascination que peut exercer sur nous notre volonté propre et toutes ses illusions de bonheur, demandons la grâce de l’Esprit, comme nous le faisions la semaine passée avec cette oraison : « Nous t’en prions, Seigneur : que ton Esprit, dans sa puissance, répande en nous les dons spirituels ; qu’il change notre coeur en un cœur qui te plaise, parfaitement accordé à ta volonté » (oraison Jeudi 7° Pâques).

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 04 59 Quels sont les instruments des bonnes oeuvres ? écrit le 18 mai 2024
Verset(s) :

59. Ne pas assouvir les désirs de la chair,

Commentaire :

R.B. 4, 59 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?

« Ne pas assouvir les désirs de la chair ». Ici, st Benoit reprend pratiquement mot pour mot, la citation de Paul en Ga 5, 16 que je cite en entier et que nous entendrons demain à la messe : « Je vous le dis : marchez sous la conduite de l’Esprit Saint, et vous ne risquerez pas de satisfaire les convoitises de la chair ». Et Paul de continuer sur l’affrontement qui nous empêche de faire tout ce que nous voudrions. Dans cet affrontement, se distinguent les actions auxquelles mène la chair (inconduite, débauche, impureté…haine divisions, envie, beuverie….) et les fruits de l’Esprit (amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maitrise de soi…). Avec cet appel à ne pas assouvir les désirs de la chair, nous pouvons entendre une invitation à prendre au sérieux les limites que nous offre la vie monastique, limites au-delà desquelles notre vie peut vite devenir insensée. En observant les limites de l’horaire, celles de la mesure dans la parole, dans la nourriture, le sommeil, la possession et l’usage des biens, il nous est donné de contenir la part insensée en nous qui peut tout déstabiliser. Ainsi il n’est pas besoin d’éprouver de grands sentiments de colère pour mesurer en soi-même combien l’irritation éprouvée vis-à-vis d’un frère, si elle est mise en acte, peut être mortifère pour la relation. De même, il n’est pas besoin de se goinfrer de nourriture pour mesurer que l’excès nous alourdit le cœur et finalement nous laisse un goût d’insatisfaction. La limite donnée par le repas fraternel nous enseigne ainsi à maitriser notre appétit, sans chercher autre chose avant ou après. Dans le domaine sexuel, être à l’écoute de ce qui traverse notre cœur, les sentiments, les pensées, peut nous aider à demeurer prudent, pour ne pas dépasser, dans une relation, ce qui pourrait s’avérer dangereux pour notre fidélité. Quand la cloche sonne, une limite nous est donnée pour notre travail ou nos activités. Allons-nous la subir, ou bien allons-nous la prendre comme un secours offert qui nous rappelle que notre temps est donné et que nous ne sommes pas les seuls maitres à bord. Dans nos groupes, l’écoute mutuelle qui nous oblige à accepter la limite de nous taire parfois, mais aussi qui nous demande d’oser notre parole, est une belle école de patience, pour dissiper les mouvements de de rejet de l’autre et les semences de divisions. Oui, soyons attentifs à toutes ces limites offertes par notre vie monastique contre le mouvement insensé de la chair en nous, c’est-à-dire de l’homme pécheur toujours prompt à se servir ou à mettre la main sur les choses et sur les êtres. Apprenons, non à subir ces limites, mais à en faire nos alliés, sous la conduite de l’Esprit Saint.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 04 57-58 Quels sont les instruments des bonnes oeuvres ? écrit le 08 mai 2024
Verset(s) :

57. confesser chaque jour à Dieu dans la prière, avec larmes et gémissements, ses fautes passées,

58. se corriger de ces fautes à l'avenir.

Commentaire :

R.B. 4, 57-58 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?

Ces deux instruments fonctionnent en une sorte de binôme vertueux. Il s’agit de confesser aujourd’hui les fautes passées pour s’en corriger à l’avenir. Comment bien entendre cette recommandation, afin qu’elle n’enferme pas dans le passé en le ressassant sans cesse ? Quelle est la différence entre une confession de ses péchés qui libère et une autre qui enferme et culpabilise ? La question mérite d’être posée. Car nous oscillons souvent entre deux extrêmes : celle de minimiser notre péché et de faire comme si nous n’étions pas pécheurs, une forme de déni, et celle à l’inverse de nous culpabiliser tellement qu’on peut en arriver à désespérer ? Ces deux formes extrêmes sont finalement assez peu chrétiennes, voire franchement païennes. Elles centrent sur le moi pour l’idéaliser ou à l’inverse pour le détester. « Je rendrai grâce au Seigneur en confessant mes péchés » dit le psalmiste (Ps 31). Il y a une confession des péchés qui rend gloire à Dieu. Car elle manifeste avant tout une confiance dans la miséricorde du Seigneur, une assurance que son amour est plus grand que toutes nos fautes. Autrement dit, lorsque nous sommes dans cette disposition, nous sommes surtout attachés à regarder le Seigneur. Nous confessons nos fautes, et nous les regrettons, parce qu’elles ont blessé l’amour de Dieu et de nos frères. N’est-ce pas le retournement que nous avons à vivre dans notre manière de confesser nos péchés pour lui exprimer notre désir de l’aimer davantage. Avouons-le, entrer dans cette nouvelle dynamique de confession de nos péchés ne nous est pas si facile. Comment vivons-nous le sacrement de réconciliation ? Est-ce que nous n’avons pas toujours à progresser pour passer d’une manière de le vivre pour nous mettre en règle avec Dieu, à une manière où nous apprenons à approfondir notre relation avec Lui, comme avec un Père ? Je crois qu’il nous faut accepter que ce passage ne se fasse pas en un jour, s’il n’est peut-être jamais complètement achevé. Autrefois, il fallait souvent se confesser, comme pour être en règle, notamment au regard de la communion sacramentelle. Aujourd’hui, nous courons le risque inverse : celui de déserter ce lieu de grâce mis à notre disposition par l’Eglise. Veillons à revenir à cette source de vie, pas seulement lors des célébrations pénitentielles communautaires. Peut-être ne commettons-nous pas de gros péchés. Mais laissons-nous éduquer par ce sacrement, et à une confiance toujours plus profonde en la miséricorde du Seigneur, et à une finesse toujours plus lucide sur nos péchés, qui nous tiennent encore à l’écart d’une relation filiale vraiment accomplie avec notre Père. Il y a toujours un risque de nous faire illusion sur nous-mêmes, comme le suggère l’auteur de He : « Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang dans votre lutte contre le péché » (12,4).

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 04 56 Quels sont les instruments des bonnes oeuvres ? écrit le 07 mai 2024
Verset(s) :

56. se prosterner fréquemment pour prier,

Commentaire :

R.B. 4, 56 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?

« Se prosterner fréquemment pour prier ». Comme souvent dans la RB, ce sont les adverbes qui sont importants, aujourd’hui « fréquemment ». La dernière fois, nous avions souligné « volontiers », alors que St Benoit nous invitait à écouter « volontiers » les saintes lectures. Les adverbes disent la manière de faire les choses, et dans notre vie monastique comme dans beaucoup d’autres, tout est dans la manière. Que veut-nous dire St Benoit, en nous invitant à nous prosterner fréquemment pour prier ? Comme l’a suggéré le P. Adalbert, dans un article « Orationi frequenter incumbere, une invitation à la prière continuelle » (RAM 41 (1965) p 467-472, cette formule est une manière concrète de proposer le prier sans cesse. De même que le moine se prosterne durant l’office pour des oraisons, de même dans la journée de manière privée, il est invité à se prosterner pour prier. P. Adalbert relève qu’à première vue, cet adverbe « fréquemment » peut paraitre en deçà du commandement du Seigneur de prier toujours « semper », ou de la recommandation de Paul de prier « sans cesse ». Mais il fait remarquer que la formule de Benoit implique une attitude corporelle très engageante qui ne peut se vivre que « fréquemment » et non « sans cesse ». Et le P. Adalbert de conclure : « Nul doute que cette fréquence des oraisons particulières ne soit une manière d’obtenir la prière continue » (ibid p 471). Obtenir la prière continue : tel était l’idéal des moines anciens. Est-il encore le nôtre, moines du XXI°s ? « Devenir prière » était le titre du livre de notre frère ermite Marcel Driot. N’est-ce pas dans cette direction que nous cherchons encore ? La dernière fois, j’insistais sur notre écoute de la Parole de plus en plus fidèle et assidue. Aujourd’hui, il s’agit de notre réponse à donner, en une prière fréquente. Les deux attitudes, écoute et prière, ne sont qu’un même mouvement, celui qui nous garde tournés vers le Seigneur qui nous parle à qui on parle. Comment pouvons-nous le vivre concrètement ? N’hésitons pas à nous arrêter quelques instants au début d’une activité pour l’offrir au Seigneur ou à la fin pour en rendre grâce. Ponctuer notre quotidien de ces petits moments de prière, nous recentre sur Celui qui donne sens à tout ce que nous vivons ici. C’est pour Lui et avec Lui que nous voulons faire ce que nous avons à faire. Parfois lorsque la tentation est là, n’ayons pas peur de nous prosterner ou de supplier Celui qui est la source de toute grâce. Cultivons cet élan et cette simplicité du cœur, même s’il peut nous en coûter parfois, car il nous sort de nous-mêmes. Ou encore, dans le travail ou nos déplacements, reprenons un verset de psaumes, ou bien égrenons des « Je vous salue Marie » ou la prière de Jésus. Laissons-nous conduire par l’Esprit, notre Maitre intérieur.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 04 55 Quels sont les instruments des bonnes oeuvres ? écrit le 03 mai 2024
Verset(s) :

55. Écouter volontiers les saintes lectures,

Commentaire :

R.B. 4, 55 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?

« Ecouter volontiers les saintes lectures ». Cet instrument met l’accent sur « volontiers » (libenter), mot qui a encore d’autres nuances de sens : « de bon gré », « avec plaisir » … Il questionne notre manière d’écouter les « saintes lectures », expression qui désigne avant tout l’Ecriture Sainte. Ecoutons-nous, mais aussi, lisons-nous les Ecritures de bon gré, avec plaisir ? La question mérite qu’on s’y arrête pour vérifier où nous en sommes au fond de notre cœur de notre désir d’être, à travers les Ecritures, dans un contact vivant avec la Parole de Dieu. Il peut être bon de reconnaitre ici, notre pauvreté ou notre peu d’empressement parfois à nous mettre de nouveau sous le faisceau lumineux de la Parole de Dieu. Parfois, nous trainons les pieds pour faire lectio, ou bien nous ne prenons pas au sérieux le temps consacré à la lecture de la Parole dans la liturgie. Nous écoutons d’une oreille distraite, comme si nous n’étions pas concernés. Heureux, sommes-nous si face à cette prise de conscience, nous nous ressaisissons. Car il y va de notre relation à Dieu et au Christ. Hier, lorsque nous entendions : « Si vous gardez mes commandements, vous demeurez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père et je demeure dans son amour » (Jn 15,10), nous pouvions percevoir le désir de Jésus de nous voir partager avec lui, la même intimité qu’il partage avec son Père. Si nous mettons sous le mot « commandements » le mot plus général de « parole » pour éviter de limiter les commandements à des prescriptions morales, nous pouvons comprendre que garder la parole a à voir avec cette écoute profonde à laquelle nous invite St Benoit ce matin. Garder la parole de Jésus, celle délivrée dans les Evangiles, et plus largement toute la Bonne Nouvelle du Salut, la laisser faire son œuvre en nous, c’est demeurer dans l’amour du Christ, dans une relation d’amour unique avec Lui. De même que Lui, Jésus, a gardé tout au long de sa vie terrestre cette relation intime d’écoute, de discernement, et finalement d’obéissance à la Parole de son Père - cette attitude même qui est la sienne de toute éternité - de même, nous sommes invités à entrer dans cette relation profonde avec Jésus, le Christ notre Seigneur, une relation faite d’écoute, d’attention, de vigilance et finalement d’obéissance. En nous assurant, qu’en vivant de cette écoute attentive, nous demeurerons dans son amour, Jésus veut nous découvrir combien là se trouve notre bonheur, notre profond plaisir…Ce plaisir déjà entrevu par les psalmistes : « Je trouve en tes commandements mon plaisir, je n’oublie pas ta parole » (Ps 118, 16)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 04 51-54 Quels sont les instruments des bonnes oeuvres ? écrit le 25 avril 2024
Verset(s) :

51. Garder sa bouche des paroles mauvaises et déshonnêtes,

52. ne pas aimer à beaucoup parler ;

53. ne pas dire des paroles vaines ou qui portent à rire,

54. ne pas aimer le rire prolongé ou aux éclats.

Commentaire :

R.B. 4, 51-54 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?

Voilà quatre instruments qui sont consacrés à la qualité de la parole. C’est dire combien parler est un art difficile qui requiert une attention toute particulière. Faut-il s’en étonner ? Dans le tympan sud de la cathédrale de Chartres, les sculpteurs ont représenté la création d’Adam comme étant l’œuvre du Christ. On voit le Christ qui tient dans ses mains et qui modèle la tête d’Adam à son image. Adam créé à l’image du Verbe fait chair. Adam comme un être de parole créé à l’image de la Parole divine qui a tout créé. Aussi qu’Adam parle n’est pas la moindre des manifestations de sa dignité de créature à l’image de Dieu. Bien parler ou mal parler, le place à un endroit crucial : celui d’honorer ou de déshonorer Celui à l’image duquel il a été fait. Plus encore, parler l’associe de façon étroite à l’œuvre de création divine. Nous savons combien la parole est nécessaire de génération en génération pour que le petit d’homme qui vient au monde se sente accueilli et bienvenu, et combien elle sera déterminante pour que lui-même devienne un être de parole. L’enfant a besoin qu’on lui parle pour pouvoir parler à son tour. Et la parole échangée sera ensuite le vecteur indispensable pour que chacun prenne sa pleine stature et pour que se tissent les relations sociales qui vont structurer et chacun et le corps social de la famille, d’un groupe, d’une cité ou d’une nation. Par la parole, nous participons au grand projet de Dieu de faire se lever des êtres humains libres, ainsi qu’à son dessein de rassembler tous les hommes dans son amitié. A cette lumière, on peut comprendre combien il ne faut pas prendre à la légère notre manière de parler. St Benoit pointe des dérives à éviter : la parole mauvaise ou déshonnête, celle qui détourne de la visée juste ; la parole inutile de celui parle trop, les paroles qui peuvent conduire au rire trop facile, ou à la dérision… La vie monastique avec ses lieux et ses temps de silence voudrait nous apprendre à parler juste, à donner une parole constructive qui aide les autres et la communauté à grandir. En veillant à la qualité de nos paroles, nous apprenons à semer la concorde en ne nous complaisant pas à dire du mal ni à rire des autres. Nous prenons soin les uns des autres en nous adressant la bonne parole dont chacun a besoin pour être encouragé, parfois corrigé, mais toujours avec bienveillance. Par une parole humble, nous nous entraidons les uns les autres à être vrai et à ne pas nous installer dans la mondanité. A notre modeste place, nous participons à la construction du Royaume dans lequel chacun peut déjà et pourra donner toute sa mesure d’être parlant dans la louange et l’action de grâce à Dieu dans le bonheur de se reconnaitre fils et filles d’un même Père.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 04 50 Quels sont les instruments des bonnes oeuvres ? écrit le 24 avril 2024
Verset(s) :

50. Quand des pensées mauvaises se présentent au cœur, les briser aussitôt contre le Christ et les découvrir à l'ancien spirituel.

Commentaire :

R.B. 4, 50 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?

« Quand des pensées mauvaises se présentent au cœur, les briser aussitôt contre le Christ et les découvrir à l’ancien spirituel ». Nous avons là un des instruments les plus précieux de ce chapitre. Notre expérience nous montre qu’il reste toujours d’une très grande actualité. En le mettant en œuvre, nous faisons preuve peut-être au plus haut point de notre liberté, et de notre grande dignité, celle d’être enfin soi-même en vérité. En effet, pouvoir parler au Christ et à un ancien spirituel de ce qui nous habite et dont nous ne sommes pas toujours très fiers, loin de nous abaisser, nous grandit. Ainsi nous grandissons en responsabilité vis-à-vis de nous-mêmes. Nous ne sommes plus ballottés au gré des vents contraires. Nous nous enracinons un peu plus sur le Rocher qu’est le Christ. A l’inverse, rester seul avec nos questions et nos problèmes, nous laissent le plus souvent tristes ou tendus, incapables d’avancer et de voir clair. Car, que nous soyons au temps de St Benoit ou bien au 21°s, nous restons des hommes traversés par pleins de pensées ou de sentiments. Certaines pensées sont neutres, parfois encombrantes comme les soucis du quotidien, d’autres sont heureuses et nous portent à l’action de grâce ce dont il faut nous acquitter avec empressement. Enfin il y a des pensées ou des désirs qui sont plus troubles, plus lourds à porter, voire franchement mauvais. Ces pensées nous laissent dans le brouillard, dans un grand flou. Vouloir s’en défaire tout seul est le plus souvent impossible, en tout cas très illusoire, car ces pensées peuvent être assez pernicieuses pour nous conduire là où on ne voudrait pas aller. En pareil cas, nous expérimentons plus explicitement ce qu’est le combat spirituel. Ici, il faut reconnaitre que seuls, nous sommes souvent bien faibles. S’appuyer sur le Christ dans la prière, mais aussi inséparablement nous ouvrir à un autre, nous préserve de l’orgueil qui voudrait nous faire croire que nous pouvons nous suffire à nous-même. Si cela peut nous humilier à nos propres yeux de parler, cela nous grandit à l’inverse aux yeux de celui à qui l’on s’ouvre. Car l’humilité d’un frère qui accepte d’être en vérité est très grande et belle, jamais méprisable. Telle est notre paradoxale grandeur, accepter d’être avec notre pauvreté devant un autre. Parler en vérité, parfois crever un abcès, ou au moins se décharger d’un fardeau, nous ouvre alors un chemin de liberté. De même, que nous ne pourrions vivre continuellement sous un ciel menaçant et orageux, de même par la parole, notre ciel intérieur se dégage et retrouve la lumière et la légèreté dont nous avons besoin pour vivre. Viens Esprit de Sainteté et de liberté, viens en nous délier la parole vraie pour ouvrir la voie de notre libération.