vendredi 3 octobre 2025 : journée de solitude pour la communauté, messe vers 6h45 après Laudes.

Commentaires sur la Règle



Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, v 62-66 De l'humilité écrit le 07 décembre 2019
Verset(s) :

62. Le douzième degré d'humilité est que, non content de l'avoir dans son cœur, le moine manifeste sans cesse son humilité jusque dans son corps à ceux qui le voient,

63. autrement dit, qu'à l'œuvre de Dieu, à l'oratoire, au monastère, au jardin, en voyage, aux champs, partout, qu'il soit assis, en marche ou debout, il ait sans cesse la tête inclinée, le regard fixé au sol,

64. et se croyant à tout instant coupable de ses péchés, il croie déjà comparaître au terrible jugement,

65. en se disant sans cesse dans son cœur ce que le publicain de l'Évangile disait, les yeux fixés au sol : « Seigneur, je ne suis pas digne, pécheur que je suis, de lever les yeux vers le ciel. »

66. Et aussi avec le prophète : « Je suis courbé et humilié au dernier point. »

Commentaire :

R.B. 7, 62-66 De l'humilité

f. Ambroise

12° d'humilité: 12° indice de l'humilité à !'oeuvre, indice non plus intérieur mais complètement extérieur. Toute l'attitude du moine manitèste cette humilité qui habite le cœur, dans la grande conscience de son indignité devant Dieu. Le moine est comme unifié dans et par l'humilité. Celle-ci n'est pas un vernis, une recherche d'apparence, mais elle prend tout l'être.

« Miracle del 'humilité» entendait-on dans le livre de Matta El Maskine.

Comme le fait remarquer Michaela Puzicha dans son commentaire, la phrase mise ici dans la bouche du moine : « Seigneur, je ne suis pas digne, pécheur que je suis, de lever les yeux vers le ciel» n'est pas une citation littérale de la parole du publicain. N'osant les yeux vers le ciel, ce dernier s'exclame en se frappant la poitrine: « Mon Dieu, montre-toi favorable au

pécheur que Je suis » (Le 18, 13). L'autre partie «_ie ne suis pas digne » est certainement

empruntée au récit de la parabole de l'enfant prodigue, lorsque celui-ci se prépare en lui-même pour dire à son père : « Père, j'ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d'être appelé ton fils ... » (Le 15, 18-19,21). Le moine humble rejoint ainsi deux expériences spirituelles fondamentales dans l'évangile: celle du publicain et celle de l'enfant prodigue. Le premier, pécheur honni de tous, sait se tenir en vérité devant son Dieu, et le second s'estimant avoir perdu sa dignité filiale, ose quand même revenir vers son père. A travers ces deux figures évangéliques, nous pouvons mieux comprendre combien l'humilité est cette découverte peu à peu assumée dans la confiance, de notre profonde indignité devant Dieu. Face à Lui, nous ne pouvons nous prévaloir de rien. Comme le dit St Cyprien commentant la parabole du publicain :

« ce n'est pas de son innocence qu'il espérait le salut» (Dom. Orat. 6). Tout le processus de l'humilité, consiste à faire le travail intérieur du fils prodigue dont on nous dit qu'il« rentra en lui-même » (Le 15, 17). Alors qu'il se trouvait dans la détresse, affamé en train de garder les cochons, il réfléchit et prend le temps d'un vrai retour sur soi, sans concession avec lui-même. Si nous ne sommes pas capables de cet essai de regard lucide sur nous-même, nous ne prenons pas le chemin de l'humilité. L'humilité se fraie un chemin en notre cœur dans la mesure où nous sommes vigilants, sur nous-mêmes, en tout lieu, « au jardin, en voyage, à l'oratoire », nous dit Benoit. Mais cette vigilance n'est vraiment humble, et non le fruit de la tyrannie de notre sunnoi idéal, que si elle est en même temps remise dt soi confiante devant notre Père des Cieux. Devant Lui seulement, notre Père, nous reconnaitre pécheur est un acte d'amour, un acte d'abandon en ses mains de tendresse qui ne veulent que guérir et sauver.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, v 56-61 De l'humilité écrit le 05 décembre 2019
Verset(s) :

56. Le neuvième degré d'humilité est que le moine interdise à sa langue de parler et que, gardant le silence, il attende pour parler qu'on l'ait interrogé.

57. En effet, l'Écriture indique qu'« en parlant beaucoup, on n'évite pas le péché »,

58. et que « l'homme bavard ne marche pas droit sur la terre ».

59. Le dixième degré d'humilité est que l'on ne soit pas facile et prompt à rire, car il est écrit : « Le sot élève la voix pour rire. »

60. Le onzième degré d'humilité est que, quand le moine parle, il le fasse doucement et sans rire, humblement, avec sérieux, en ne tenant que des propos brefs et raisonnables, et qu'il se garde de tout éclat de voix,

61. ainsi qu'il est écrit : « Le sage se reconnaît à la brièveté de son langage. »

Commentaire :

Ces trois degrés de l'humilité peuvent être entendus ensemble. Ils offrent des indices de l'humilité à l'œuvre : la capacité à tenir sa langue(« le moine interdit à sa langue de parler avant qu'on l'ait interrogé»), la retenue dans le rire(« qu'on ne soit pas.facile et prompt à rire ») et enfin la manière de parler avec douceur et gravité (« quand le moine parle, qu'il le fàsse doucement et sans rire. humblement, avec gravité, en ne tenant que des propos brefs et raisonnables, et qu'il se garde de tout éclat de voix »). Ici, point de recette, encore moins des commandements, ni même des recommandations, mais les signes d'une humilité qui prend peu à peu le cœur humain. Celui-ci devient moins préoccupé de se raconter, moins soucieux de faire rire; il est davantage capable d'être lui-même sans avoir besoin de donner de la voix ou de se faire remarquer par son éloquence. Le moine qui cherche Dieu sait que là n'est pas l'essentiel et que la joie est ailleurs. Il nous faut le reconnaitre, nous tenir là n'est pas affaire de conquête ou d'eff01i d'attention sur nos attitudes spontanées ambigües. C'est un don de !'Esprit qui prend peu à peu place en nous pour nous changer de l'intérieur. Un travail de la grâce qui nous libère de nos faux-semblants et tous les masques derrière lesquels nous pensons être quelqu'un. Peu à peu,·1 Esprit Saint nous fait goûter comme un bon fruit la parole juste, mesurée et discrète. Il nous enseigne et nous fait aimer le silence. Aussi, ne devons-nous pas accueillir comme w1 don de l' Esprit, toutes les occasions offertes par la vie qui viennent nourrir notre intériorité, notre habitation heureuse avec nous-même sous le regard de Dieu? Lorsque nous sommes à l'office, à l'oraison ou dans notre lectio, apprenons à demeurer là dans le désir de la rencontre du Seigneur, avec persévérance et patience. Apprenons à tourner notre cœur et notre attention vers Celui qui est là et qui désire nous parler et cheminer avec nous. Lorsque les distractions nous détournent, revenir simplement, et si le combat est trop fort, ne pas abdiquer en abandonnant, mais reconnaitre simplement notre faiblesse, et la confier humblement au Christ. Nourrir notre intériorité ce peut-être dans les relations ne pas prendre ombrage de ne pas avoir la parole, mais se réjouir que des frères puissent s'exprimer. Ce peut-être prier pour un frère avec qui la relation est difficile en menant le combat contre les jugements qui viennent facilement. Ce peut-être donner du temps et de 1'espace à un frère dans le besoin. Nourrir notre intériorité, habiter avec nous-même ... que !'Esprit Saint nous entraine sur ce chemin d'humilité gui décentre de soi...

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, v 55 De l'humilité écrit le 04 décembre 2019
Verset(s) :

55. Le huitième degré d'humilité est que le moine ne fasse rien qui ne se recommande de la règle commune du monastère et des exemples des supérieurs.

Commentaire :

Ce 8° degré pourrait s'appeler le « degré de la vie quotidienne». Vivre selon la règle commune et l'exemple des anciens, c'est accepter de s'enfoncer dans la vie très simple offerte au jour le jour. Là où l'orgueil pourrait nous inciter à chercher à faire toujours du nouveau, à inventer quelque chose d'original, l'humilité nous conduit à trouver notre joie dans le quotidien reçu d'une communauté. Celle-ci en m'accueillant me donne sa vie. Elle m'offre un art de vivre dont j'ai pressenti la valeur, au point de vouloir le faire mien. Cet art de vivre peut se dire avec des mots et dans des traités de spiritualité. Mais il se transmet surtout à travers des personnes qui essaient patiemment et modestement d'en vivre. Il se donne à voir dans telle attitude discrète de don de soi, de renoncement à son intérêt, dans l'empressement à aller à J"église et dans le service qui ne se montre pas. Nos frères nous enseignent par leur élan. La vie quotidienne nous enseigne aussi par sa belle régularité et par sa profondeur. Elle est une école d'humilité qu'elle manifeste de bien des manières et dans laquelle elle nous entraine. Au gré des travaux très simples et des tâches répétitives, nous apprenons à consentir au réel avec humilité. Faire ce qui est demandé, vivre ce qui est à vivre. Accepter de voir mon quotidien balisé par un rythme, celui de la prière au point que parfois j'ai l'impression de ne plus avoir de temps à moi. Tiens, je n'ai plus de temps à moi? Mais ne voulais-je pas donner tout mon temps pour Dieu et pour mes frères? Ou bien est-ce que tout ce que je vis, cette vie très quotidienne, n'est pas ma vie, n'est pas mien? Penser, je n'ai plus de temps à moi, n'est-ce pas le signe qu'une part en moi peine à être unifiée avec la vie que j'ai choisie ? L'humilité sera de pouvoir vivre tout mon quotidien, tout ce qui m'est demandé, avec joie et contentement profond parce que profondément reçu de Dieu et donné à Dieu et aux autres. Ainsi, la vie quotidienne, toute banale qu'elle puisse être, nous éprouve car elle vient vérifier notre désir d'être à Dieu et non plus à nous-mêmes. Elle m'enseigne le vrai chemin de l'humilité qui est d'apprendre à devenir en me laissant façonner par un Autre, le Seigneur, le Créateur de l'Univers dans lequel je suis un infime élément. Au gré des évènements et des sollicitudes diverses, le Seigneur me façonne. Et il m'insère dans son grand projet d'amour pour le monde. Et ma liberté là-dedans? Elle sera moins de chercher à faire des choses originales, que de choisir d'écouter et d'entendre ce que le Seigneur attend de moi. Choisir ce qu'il me propose de vivre au gré de la vie commune quotidienne, vie qu'il m'a donné la joie de rejoindre et d'adopter comme règle de vie et de conduite.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, v 51-54 De l'humilité écrit le 03 décembre 2019
Verset(s) :

51. Le septième degré d'humilité est que, non content de déclarer avec sa langue qu'on est le dernier et le plus vil de tous, on le croie en outre dans l'intime sentiment de son cœur,

52. en s'humiliant et en disant avec le prophète : « Pour moi, je suis un ver et non un homme, l'opprobre des hommes et le rebut du peuple.

53. J'ai été exalté, humilié et confondu. »

54. Et aussi : « Il m'est bon que tu m'aies humilié, pour que j'apprenne tes commandements. »

Commentaire :

A la suite du 6° d'ailleurs, ce 7° degré fait bien saisir combien l'humilité se reconnait à certains indices. Elle n'est pas affaire de paroles, mais elle est là au fond du cœur comme une disposition : « on le croit dans l'intime sentiment de son cœur ». Le moine humble est suffisamment descendu au fond de son cœur pour ne pas se voiler la face sur sa réalité profonde. Cette étonnante prise de conscience n'obéit pas à une volonté volontariste. Elle est plutôt de l'ordre d'un consentement profond à la vie telle qu'elle est donnée, avec ses épreuves et ses contradictions qui mettent à mal toutes les images idéales que 1'on peut échafauder. Ici, l'humilité commence avec l'accueil du mystère que nous restons à nos propres yeux. En descendant peu à peu en son cœur, dans une connaissance plus fine de soi, les faces plus obscures apparaissent ainsi que les intentions pas toujours avouables. Descendre ainsi en ces zones n'est pas toujours confortable, ni plaisant, mais certainement libérateur. Ne pas le faire risque de nous laisser être le jouet de forces ou de mouvements internes qu'avec le temps nous sommes incapables de maitriser ou de dominer : telle peur, telle angoisse, telle mouvement d'animosité, telle attirance qui n'est pas libre, telle désir qui entrave la route... C'est humilité de reconnaitre sa pauvreté, une dépendance ou un excès. Et c'est déjà une libération de pouvoir les nommer afin de mieux les travailler. L'humilité devient comme une maitresse de vie qui nous prend par la main et qui nous montre comment habiter avec nous-mêmes et avec nos forces plus ombrageuses. Ce 7° degré cite le psalmiste et nous suggère que ce travail intérieur qui nous rabote est une voie de docilité à la Parole du Seigneur. « Il est bon que tu m'aies humilié, pour que )'apprenne tes commandements» (Ps 118, 71,73). Le Seigneur ne cherche pas à nous humilier. Mais comme souvent dans la bible, on attribue à Dieu ce qui relève des évènements, les bons comme les moins bons. Même les plus difficiles peuvent devenir source d'enseignement et de progrès dans l'écoute de la Parole. Nous apprenons à nos dépends autant qu'à travers ce que nous choisissons et décidons. Quel qu'en soit les voies emprnntées, l'humilité à !'oeuvre dans nos vies nous ouvre les yeux sur la bonté du projet de Dieu et de sa Volonté. Nous apprenons qu'il nous est bon de lui être docile et fidèle.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, v 49-50 De l'humilité écrit le 29 novembre 2019
Verset(s) :

49. Le sixième degré d'humilité est que le moine se contente de tout ce qu'il y a de plus vil et de plus abject, et que, par rapport à tout ce qu'on lui commande, il se juge comme un ouvrier mauvais et indigne,

50. en se disant avec le prophète : « J'ai été réduit à néant et je n'ai rien su. J'ai été comme une bête brute auprès de toi et je suis toujours avec toi. »

Commentaire :

Plus le moine monte sur l'échelle de l'humilité, plus il descend en son propre cœur. Deux traits ressortent de·ce degré entendus ce matin: l'humilité donne la capacité d'accepter le réel difficile sans en être révolté; l'humilité permet une meilleure connaissances de son néant fondamental

L'humilité donne la capacité d'accepter le réel difficile: « le moine se contente de ce qu'il y a de plus vil et d'abject ». Se contenter ou exiger ? Se contenter ou manifester sa susceptibilité ? Ce 6° degré donne ici un indice fort, un petit baromètre portatif, pour mesurer combien l'humilité est souvent encore loin devant moi. Au lieu de me contenter,je me rebiffe, au lieu d'accepter les évènements,je m'énerve ouje m'irrite. Le réel gui contrarie mes projets ou mes désirs me prend à rebrousse-poil, me surprenant à vouloir que tout soit conforme à mes désirs, que tout colle à ce que je projette, que les autres viennent me conforter. J'oublie que je ne suis gu 'une infime partie de la réalité. Un être fragile qui passe. J'oublie que je reçois tout et que je n'ai rien à exiger. Le moine qui se contente de ce qu'il y a de plus vil et abject est capable de vivre avec lui-même, sans avoir besoin de la reconnaissance des autres, sans leur approbation. Il peut habiter avec lui-même, caché aux yeux des autres. Pour tendre vers ce lieu de liberté avec soi-même, nous pouvons profiter des petites occasions que nous offre la vie quotidienne : ne pas s'offusquer qu'un frère me coupe la parole, prendre le petit bout de fromage ou de pain laissé par tout le monde, accepter le vêtement qu'on me donne, consentir à laisser les autres parler sans être triste de ne pouvoir en placer une ...

L'humilité permet une meilleure connaissance de son néant fondamental. « Le moine se juge comme un ouvrier mauvais el indigne, en se disant ... je suis réduit à néant comme une bête brute ... etje suis toujours avec toi». A ce niveau, il ne s'agit pas de dépréciation de soi au regard d'un idéal qu'on ne peut atteindre, mais plutôt d'une reconnaissance foncière de son néant. Que pouvons-nous prétendre être par nous-même ? Devant Dieu qui est, et qui est bonté, l'humilité nous fait reconnaitre l'abime gui nous en sépare. Et dans le même temps, l'humilité loin d'être dépréciation de soi devant soi, est totale remise de soi à Dieu. Dans la conscience de n'être rien devant Dieu, le moine à la suite du psalmiste (72) peut dire «je suis toujours avec toi». Il a tellement conscience de n'être rien sans Dieu, qu'éclate à ses yeux la forte conviction d'être toujours avec Dieu, toujours se recevant de lui, n'existant que par lui ...

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, v 44-48 De l'humilité écrit le 16 novembre 2019
Verset(s) :

44. Le cinquième degré d'humilité est que, par une humble confession, on ne cache à son abbé aucune des pensées mauvaises qui se présentent à son cœur, ni des mauvaises actions qu’on a commises en secret.

45. L'Écriture nous y exhorte en disant : « Révèle ta voie au Seigneur et espère en lui. »

46. Et elle dit aussi : « Confessez-vous au Seigneur, parce qu'il est bon, parce que sa miséricorde est à jamais. »

47. Et à son tour le prophète : « Je t'ai fait connaître mon délit et je n'ai pas dissimulé mes injustices.

48. J'ai dit : je m'accuserai de mes injustices devant le Seigneur, et tu as pardonné l'impiété de mon cœur. »

Commentaire :

Nouveau degré, nouvel indice que l'humilité transforme notre coeur: nous pouvons

parler à l'abbé ou au père spirituel de nos pensées, de nos péchés. Comme il est difficile d'être

à découvert devant un autre, sans façade, ni masque. Cet exercice est pourtant une des bouées

précieuses de la vie du moine. Dans les périls rencontrés, qui parfois prennent des allures de

naufrage, cette parole appuyée sur l'écoute et l'accueil d'un frère peut nous tirer des flots

menaçants. Sa force? C'est de la vivre comme une parole dite au Seigneur lui-même.« Je t'ai

fait connaitre mon délit .. .J'ai dil: je m'accuserai de mes injustices devant le Seigneur ... »

Cette foi en la présence de Dieu gui est là dans l'entretien spirituel avec un frère est un levier

très fort. Il nous permet de dépasser les légitimes appréhensions, la peur d' être jugé ou méprisé.

La foi en la présence divine nous entraine à regarder notre vie sous la lumière forte et douce du

regard du Seigneur. Son regard est sans complaisance pour le mal et le péché faits ou subis.

Mais il est infiniment miséricordieux pour les pécheurs qui nous sommes. Vivre régulièrement

l'ouverture du coeur, ou dans un autre registre le sacrement de la réconciliation nous rend plus

familier de ce regard divin si profond et subtil. .. Regard que le Seigneur porte sur moi, et donc

aussi sur mon frère ... Connaitre la manière de regarder de Dieu nous engage à changer notre

regard sur nous-mêmes et sur les autres. Si je me laisse vraiment regardé et aimé par Dieu au

creux de mon péché et de mes noirceurs, je ne peux plus regarder ensuite mes frères de la même

manière. Plus je peux parler en vérité sans fausse honte devant un frère, plus je laisse le regard

divin me rejoindre et me transformer. Et cela ne se fait pas en un jour. Il ne suffit pas de le

penser, voire de le désirer. Il faut nous laisser mouiller par la grâce, imbiber par la miséricorde,

afin que notre coeur soit touché. « Tu as pardonné l 'impiété de mon coeur ». Le pardon du

Seigneur a des vertus qu'on ne soupçonne pas. D'expérience désirée en expérience vécue à

travers l'ouverture du coeur ou le sacrement de réconciliation, il fait son oeuvre de libération et

de purification.« J'ai dit.Je rendrai grâce au Seigneur, en confessant mes péchés» (Ps 31 ,5) ...

Oui, la grâce de dire son mal ou son péché devient grâce d~: chanter la bonté du Seigneur et ses

merveilles. - 16 -11-2019

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, v 35-43 De l'humilité écrit le 15 novembre 2019
Verset(s) :

35. Le quatrième degré d'humilité est que, dans l'exercice même de l'obéissance, quand on se voit imposer des choses dures et contrariantes, voire des injustices de toute sorte, on embrasse la patience silencieusement dans la conscience,

36. et que, tenant bon, on ne se décourage ni ne recule, selon le mot de l'Écriture : « Celui qui persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé. ;»

37. Et aussi : « Que ton cœur soit ferme ! Supporte le Seigneur. »

38. Et voulant montrer que le fidèle doit même supporter pour le Seigneur toutes les contrariétés, elle place ces paroles dans la bouche de ceux qui souffrent : « A cause de toi, nous sommes mis à mort chaque jour. On nous regarde comme des brebis de boucherie. »

39. Et sûrs de la récompense divine qu'ils espèrent, ils poursuivent en disant joyeusement : « Mais en tout cela, nous triomphons, à cause de celui qui nous a aimés. »

40. Et ailleurs, l'Écriture dit aussi : « Tu nous as éprouvés, ô Dieu, tu nous as fait passer par le feu, comme on fait passer au feu l'argent. Tu nous as fait tomber dans le filet. Tu nous as mis sur le dos des tribulations. »

41. Et pour montrer que nous devons être sous un supérieur, elle poursuit en ces termes : « Tu as fait chevaucher des hommes sur nos têtes. »

42. En outre, ils accomplissent le précepte du Seigneur par la patience dans les adversités et les injustices : frappés sur une joue, ils présentent aussi l'autre ; à qui ôte leur tunique, ils abandonnent aussi le manteau ; requis pour un mille, ils en font deux ;

43. avec l'Apôtre Paul, ils supportent les faux frères, et ils supportent la persécution et quand on les maudit, ils bénissent.

Commentaire :

Ce degré peut nous effrayer de prime abord, surtout dans le contexte actuel marqué par

les abus. En effet,jusqu'où l'obéissance peut-elle« imposer des choses dures et contrariantes,

voire des injustices de toute sorte » pour reprendre les mots de St Benoit ? La sensibilité

actuelle nous fait regarder avec bea"ticoup de circonspection des propos qui pourraient entrainer

des dérives autoritaires, voire sectaires, au nom de l'obéissance. Mais alléguer ce 4° d'humilité

pour justifier de telles attitudes serait.un réel et inacceptable abus de pouvoir. En fait en ce 4°,

il s'agit d'autre chose.

Ce 4° n'est compréhensible qu'à la lumière des 2° et 3° qui plaçaient le moine sur les

pas du Christ en route vers sa passion. Ce 4 ° veut nous faire comprendre jusqu'où vont

l'obéissance et l'humilité à la suite. de Jésus.« Le disciple n 'est pas au-dessus du maitre» avait

prévenu Jésus. La succession des citations empruntées aussi bien à l' AT qu'au NT font émerger

peu à peu le visage du moine disciple en surimpression du visage du Christ en sa passion. Le

moine, qui supporte silencieusement les injustices,« embrasse la patience silencieusement dans

la conscience» comme Jésus a fini par se taire devant Pilate et Hérode. Ce silence n'est pas

fermeture ou repli, mais consentement dans la conscience ... Face aux outrages ou aux choses

contrariantes, un autre travail est à l 'oeuvre dans le coeur. Le moine devient encore comme le

Serviteur souffrant auquel on a très vite identifié Jésus au lendemain de la résurrection. « Pour

toi, nous sommes mis à mort chaquejour ... comme des brebis d'abattoir» (Ps 43, 23, cfls 53,7).

Par la patience dans les adversités, le moine manifeste en fait dans toute sa profondeur son

visage de disciple de l'Evangile qui met en pratique les préceptes de Jésus : «.frappés sur une

joue, ils présentent aussi l'autre, à qui ôte leur tunique, ils abandonnent aussi le manteau » ...

A travers ce visage esquissé du moine disciple est-ce la tristesse qui domine? Non, mais plutôt

lajoie lorsqu'au centre de ce 4°, St Benoit cite St Paul:« Sûrs de la récompense divine qu 'ils

espèrent, ils poursuivent en disant ioveusement : 'Mais en tout cela, nous triomphons, à cause

de celui qui nous a aimés'» ... Mystère d'une joie qui ne peut être de notre ressort, tant elle est

surhumaine, voire peut-être intolérable à nos yeux trop rationnels. L' humilité du moine disciple

de l'évangile rejoint l'humilité de Jésus qui nous associe à sa victoire sur le mal, victoire sur ce

qui peut nous faire sombrer dans la tristesse, la rancune ou le repli sur soi. Puisse Celui qui nous

a tant aimés en sa passion, nous donner de prendre appui sur son amour aux heures sombres de

l'adversité, de l'injustice ou de l'humiliation. - 15 novembre 2019

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, v 31-34 De l'humilité écrit le 14 novembre 2019
Verset(s) :

31. Le second degré d'humilité est que, n'aimant pas sa volonté propre, on ne se complaise pas dans l'accomplissement de ses désirs,

32. mais qu'on imite dans sa conduite cette parole du Seigneur disant ;: « Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais celle de celui qui m'a envoyé. ;»

33. L'Écriture dit aussi : « La volonté subit un châtiment et la contrainte engendre une couronne. »

34. Le troisième degré d'humilité est que, pour l'amour de Dieu, on se soumette au supérieur en toute obéissance, imitant le Seigneur, dont l'Apôtre dit : « S'étant fait obéissant jusqu'à la mort. »

Commentaire :

Ces deux degrés peuvent être lus ensemble car ils orientent résolument le regard vers le

Christ qui fonde notre obéissance et donne sens à notre humilité. Les deux degrés parlent

d'imitation du Christ en prenant appui sur une parole de Jésus : « Je ne suis pas venu faire ma

volonté, mais celle de celui qui m'a envoyé », et aussi sur la relecture de la passion du Christ par

St Paul: « S'étant fait obéissant jusqu 'à la mort». Avec ces deux citations, on entre dans

l'intelligence du mouvement intime qui a guidé et animé toute la vie de Jésus. Une vie aimantée

de l'intérieur par son union avec le Père. Une vie tendue vers l'accomplissement de sa mission.

En proposant au moine d'imiter Jésus, St Benoit nous propose de faire nôtre ce dynamisme

intérieur de Jésus. Le regarder, l'écouter pour apprendre de lui comment faire la volonté du

Père, dans notre vie quotidienne aujourd'hui. Tout chrétien est appelé à actualiser son baptême

en s'unissant de plus en plus à Jésus pour passer avec lui de la mort à la Vie, de l'esclavage à

la liberté. La particularité de notre vie monastique est d'im;crire ce dynamisme de traversée de

la mort vers la vie, dans une vie concrète d'obéissance à des frères, à un supérieur. Par

l'obéissance, nous sommes étroitement unis à Jésus pour nous tenir au lieu où cela fait mal, au

lieu que le péché a faussé : la volonté. Celle-ci ordonnée initialement à vouloir le bien, le bon

et le beau peut parfois se tromper, et même se perdre dans des choix mortifères. Avec Jésus,

nous entrons dans une s011e de corps à corps avec nous-mêmes, avec cette part qui est encline

à faire le mal. Jésus a lutté sur la croix pour orienter sa volonté toute entière dans l'amour de

son Père et dans le don pour les autres ; le moine par son obéissance apprend à orienter sa

volonté vers le service de Dieu et des autres. Vécue avec Jésus, l'obéissance nous fait sortir de

l'impasse mortifère du péché qui nous centre sur nous-même. Mystérieusement, notre

obéissance nous fait prendre part au combat de Jésus contre le péché. Ce combat traverse toute

l'humanité puisqu'il traverse chaque coeur humain. Oui, St Benoit nous conduit à regarder la

réalité banale de notre quotidien avec ces petites et grandes obéissances, dans la lumière du

mystère de Jésus. Il nous entraine à reconnaitre que notre obéissance accordée à celle de Jésus

participe à la libération des hommes, libération que Jésus ne cesse de déployer par l'Eglise et

pour le monde. L' humilité devient un levier pour l'annonce et le déploiement du salut. - 14novembre 2019

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, v 26-30 De l'humilité écrit le 13 novembre 2019
Verset(s) :

26. Si donc « les yeux du Seigneur observent bons et méchants »,

27. si « le Seigneur, du haut du ciel, regarde sans cesse les enfants des hommes, pour voir s'il en est un qui soit intelligent et qui cherche Dieu »,

28. et si les anges commis à nous garder rapportent au Seigneur quotidiennement, jour et nuit, les actes que nous accomplissons,

29. il nous faut donc prendre garde à tout instant, frères, de peur que, comme dit le prophète dans un psaume, Dieu ne nous voie à un moment « dévier » vers le mal « et devenir mauvais »,

30. et qu'après nous avoir épargnés dans le temps présent, parce qu'il est bon et qu'il attend que nous nous convertissions à une vie meilleure, il ne nous dise dans le futur : « Tu as fait cela, et je me suis tu. »

Commentaire :

Dans la conclusion du 1er degré que nous venons d'entendre, il y a une sorte de

contradiction dans le climat suggéré. D'un côté Dieu est présenté comme un surveillant de tous

nos actes, qui a des anges chargés de lui rapporter ce qu' ils voient, et de l'autre Il est présenté

comme très discret dans le temps présent, en vertu de sa bonté et de son respect de notre liberté,

dans l'attente de notre conversion. D'un côté, l'image d'un Dieu omniscient un peu oppressant,

de l' autre celle d'un Dieu bon, démuni en quelque so11e face à notre réponse espérée. La

première image, un peu effrayante, se veut pédagogique pour réveiller ce qui serait nonchalance

face à l' exigence de conversion. La seconde nous replace devant le mystère de l'attente de Dieu

face aux humains avec lesquels il désire ardemment faire alliance.

Craindre Dieu, n' est-ce pas déjà entrevoir cette attente patiente et aimante de notre

Dieu ? Le plus souvent, il est silencieux, ne se manifestant pas beaucoup. Il nous attend dans

son amour très respectueux de notre libe11é. Son silence creuse un espace entre Lui et nous qui

nous laisse la possibilité d'entrer et de nous engager dans la relation avec lui. Craindre Dieu,

c'est oser s'avancer, un peu sur la pointe des pieds, pour aller à la rencontre de son mystère.

Comme Moïse, il nous faut retirer nos sandales, pour marcher autrement. Notre assurance n'est

pas en nous, ni en ce que nous faisons ou ne faisons pas, mais dans son appel, dans la Parole

qu'il nous adresse. La crainte du Seigneur peut alors s'exprimer dans notre désir d'être à l'affut,

à l' écoute jour après jour .. . Moins que de veiller à ne pas tomber, il nous faut surtout veiller à

ne pas lâcher sa main. S' il a une crainte au sens de peur à avoir, c'est celle de manquer la

relation proposée et suggérée par l' Esprit. Avec douceur, tact et délicatesse, de l' intérieur,

!'Esprit Saint vient éveiller et nourrir en nous le désir de la rencontre avec le Seigneur. Il nous

enseigne la crainte juste, au sens biblique, celle qui nous ouvre les yeux et le coeur à la présence

aimante de Dieu. Viens Esprit Saint nous entrainer dans la crainte du Seigneur qui nous dispose

humblement à sa rencontre et à l'attention fidèle à sa Volonté. - 13 novembre 2019

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, v 19-25 De l'humilité écrit le 12 novembre 2019
Verset(s) :

19. Quant à notre volonté propre, on nous interdit de la faire, quand l'Écriture nous dit : « Et détourne-toi de tes volontés. »

20. Et nous demandons aussi à Dieu, dans l'oraison, que sa volonté soit faite en nous.

21. Avec raison on nous enseigne donc de ne pas faire notre volonté, quand nous prenons garde à ce que dit l'Écriture : « Il est des voies qui paraissent droites aux hommes, et dont l'extrémité plonge au fond de l'enfer »,

22. et aussi quand nous redoutons ce qui est dit des négligents : « Ils se sont corrompus et rendus abominables dans leurs volontés. »

23. Dans les désirs de la chair, croyons que Dieu nous est toujours présent, puisque le prophète dit au Seigneur : « Devant toi sont tous mes désirs. »

24. Il faut donc se garder du désir mauvais, puisque « la mort est placée sur le seuil du plaisir. »

25. Aussi l'Écriture a-t-elle donné ce précepte : « Ne suis pas tes convoitises. »

Commentaire :

Nous sommes toujours dans le Ier degré d' humilité: craindre Dieu, de souvenir de Lui.

St Benoit donne ce matin d'autres indices de la crainte de Dieu qui prend peu à peu de la

consistance en nous : quand nous ne faisons pas notre volonté propre et que nous ne suivons

pas les désirs de la chair. La question qui nous est posée ce matin pourrait se formuler ainsi :

Dieu commence-t-il à être quelqu'un dans ma vie au point que je suis capable de prendre une

distance avec mon premier mouvement qui est de faire ce qui me plait et de satisfaire mes désirs

immédiats avant tout? Est-ce que faire sa Volonté m'importe plus que faire la mienne?

Plusieurs fois par jour, nous demandons dans la prière du Notre Père : « Que ta volonté

soit faite sur la terre comme au ciel». St Benoit s'appuie sur cette prière pour fonder son propos

de mise en garde contre la seule recherche d'accomplir sa volonté propre. En paraphrasant, à la

suite du Maitre, la demande du Notre Père, il omet la fin « sur la terre comme au ciel », et

ajoute « en nous». « Que ta volonté soit faite en nous» .. . Si le moine porte avec tout chrétien

le désir que la volonté bonne de Dieu se fasse sur toute la terre comme au ciel, il sait que cet

accomplissement passe par son propre coeur. Rien ne sert d'appeler de ses voeux que la volonté

du Seigneur se fasse sur la terre, si je ne m'applique pas à la chercher dans ma propre existence

de tout mon coeur, avec toute l'ardeur de mon désir. Si nous nous connaissons un peu nousmêmes,

nous remarquons combien nous pouvons fuir cette volonté, à la manière de Jonas qui

fuit l'appel de Dieu. Ou encore à la manière des Hébreux dans le désert dont le psalmiste

rapporte: « Ils s'empressent d 'oublier ce que Dieu a fait, sans attendre de connaitre ses

desseins. Ils se livrent à leur convoitise dans le désert » (Ps 105, 12-13). Transposé dans notre

vie : la manière avec laquelle on répond à la cloche ou bien à un appel impromptu nous permet

de mesurer aussi notre capacité ou non à résister à la Volonté divine. Tel est l'enjeu de notre

combat quotidien : il s'agit de consentir à entrer dans le mouvement impulsé par notre cadre

monastique afin de nous laisser façonner par lui pour aller plus loin dans l'abandon dans les

mains de Dieu. A chacun, il nous revient d'éduquer notre oreille intérieure afin de reconnaitre

les motions de ! 'Esprit à l' oeuvre pour nous rendre plus docile, plus souple. Unis à tous les

chrétiens dans le monde, nous participons ainsi à la croissance du Royaume faite de tant de

« oui » donnés jour après jour. A la manière d' un ferment, ces « oui » contribuent à faire monter

la pâte humaine en bonté et beauté devant Dieu. - 12 Novembre 2019