vendredi 15 août 2025 : fête de l’Assomption, horaire des dimanches (vigiles la veille à 20h45, messe à 10h) + concert à 16h.

Nota : L’office de None (14h45) sera prié au dolmen de ND de la Pierre-qui-Vire.

Commentaires sur la Règle



Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 30, v 01-03 Des enfants d'âge tendre, comment les corriger. écrit le 26 mars 2020
Verset(s) :

1. Tout âge et degré d'intelligence doit recevoir un traitement approprié.

2. Aussi chaque fois que des enfants et des adolescents par l'âge, ou des adultes qui ne peuvent comprendre ce qu'est la peine d'excommunication,

3. quand donc ceux-là commettent une faute, on les punira par des jeûnes rigoureux ou on les châtiera rudement par des coups, afin de les guérir.

Commentaire :

De manière un peu surprenante, St Benoit envisage aussi dans ce chapitre sur la correction des enfants, le cas « d'adultes qui ne peuvent comprendre ce qu'est la peine d'excommunication. » Un même critère semble réunir ici les deux catégories: la capacité à comprendre la peine d'excommunication. A cette peine qui s'adresse à l'intelligence du cœur et à la conscience d'avoir blessé le corps communautaire, doit alors faire place la peine des jeûnes rigoureux ou celle des coups, « afin de les guérir».

Je retiens ce lien fait entre enfant et adulte qui ne comprennent pas. Il me semble que si l'on est attentif à notre vie, on remarque assez aisément des parts de nous-mêmes que l'on ne comprend pas. Certains comportements nous débordent, des pensées nous obsèdent, des paroles nous échappent, des habitudes nous pèsent dont on aimerait bien se libérer. Bref, une part de nous-même nous échappe. Est-il possible de se corriger, de progresser? Heureux sommes-nous si au moins nous pouvons les reconnaitre et si nous en avons le désir de nous corriger. C'est le signe que nous sommes encore vivants, même à un âge avancé. Car avec l'âge, nous mesurons combien une habitude prise peut vite devenir comme un fait acquis, voire une sorte de droit. Ici, nous avons une grâce qui une grâcequi'.coûte : celle de vivre dans une communauté. Nos frères sont un soutien précieux pour la vie quotidienne par leur présence, par les services échangés et par leur affection discrète. Ils peuvent aussi être une aide vis-à-vis de défauts que nous ne voyons pas toujours, ou que nous ne voulons pas voir. Parfois discrètement par un mot, ou par une question, voire par une remarque, ils nous font sentir combien ce défaut pèse sur la communauté. Comment réagissons-nous? Est-ce que je les envoie balader ou bien est-ce que je me dis qu'il y a peut-être quelque chose à entendre, une chance à saisir pour moi ? Et si, au lieu de me sentir humilié en 111011 amour propre, j'acceptais de me regarder en face sans peur. La vérité ne nous rend-elle pas libre et plus léger?

Oui, ne perdons pas les occasions que la vie commune nous offre de nous garder vivant et vigilant sur nous-mêmes. Rien de plus triste qu'une personne murée en elle-même. Nous sommes appelés à demeurer vivants, attentifs les uns aux autres jusqu'au bout. Même si la fatigue est là, et bien compréhensible avec l'âge qui avance, ne relâchons rien de cette vigilance du cœur. Elle est assurément un acte de charité vis-à-vis de nous-même et des autres. Elle est comme une fenêtre qui baigne de sa lumière la maison. Ne nous en privons pas.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 29, v 01-03 Si les frères qui sortent doivent être reçus de nouveau écrit le 24 mars 2020
Verset(s) :

1. Un frère qui est sorti du monastère par sa propre faute, s'il veut revenir, commencera par promettre de s'amender complètement du défaut qui l'a fait sortir,

2. et alors on le recevra au dernier rang, pour éprouver par là son humilité.

3. S'il s'en va de nouveau, il sera reçu ainsi jusqu'à trois fois, en sachant qu'ensuite on lui refusera toute autorisation de retour.

Commentaire :

Dans un chapitre identique dont on peut penser qu'il a inspiré St Benoit, le Maitre (RM

64) propose globalement la même procédure pour un frère qui« abandonne le monastère et qui revient de son erreur». Mais son attention ne po1ie pas sur le même point. Il recommande de permettre le retour jusqu'à trois fois car« la fidélité de son service divin auprès du Seigneur peut se mesurer à la stabilité de ses pieds auprès des hommes » (RM 64, 2). Le Maitre met donc en avant la capacité d'être stable au milieu des frères pour le service de Dieu. St Benoit, lui, porte son attention sur l'humilité. « On le recevra au dernier rang, pour éprouver par là son humilité». St Benoit invite le frère qui revient à s'éprouver et à vérifier jusqu'à quelle profondeur va son désir de revenir. Est-il capable d'assumer le dernier rang, le rang du nouveau­ venu qui ne tient pas compte de son ancienneté préalable ?

Cette attention de Benoit sur !'humilité proposée au moine prodigue est en fait un bon indicateur de ce qui nous fait vraiment tenir dans la vie monastique. Sans l'humilité cherchée et désirée, est-il possible de demeurer dans cette vie cachée, où ne manquent pas, un jour ou l'autre, les contrariétés, les accrochages et les humiliations de quelque nature qu'elles soient? Se pose alors la question de vérité: quelle est ma référence première? Le Seigneur ou bien une certaine image de moi-même? Le Christ suivi et aimé jusqu'à la mort dans la patience ou bien mes projets et désirs de réussite ? Dans notre vie monastique,!'humilité est comme cette aiguille aimantée de la boussole. Elle indique toujours la bonne direction. Si elle oscille et hésite, elle revient sur le bon cap. L'humilité n'a de cesse de montrer un autre que soi, comme l'aiguille aimantée sous la poussée de la force magnétique. Personne ne peut dire exactement ce qu'est l'humilité, sinon le Christ doux et humble de cœur. Mais chacun de nous peut tendre à rejoindre le bon champ magnétique, en se tenant au plus près du Christ. Il nous revient de nous remettre chaque jour à l'ouvrage pour cela, regarder Jésus le désarmé, pour demander la grâce d'épouser toujours davantage ses sentiments d'humilité....Tant de choses en nous s'hérissent contre l'humilité, en supportant mal jusqu'à l'idée. Et pomiant elle seule ne nous trompera jamais. Nos vaines gloires comme d'ailleurs le ressentiment négatif sur soi, font toujours manquer le but et nous éloigner du Christ, en nous centrant sur nous-mêmes. Le moine prodigue qui revient à l'école de l'humilité n'est, en fait, pas très différent du moine qui est resté au monastère. L'un est l'autre sont appelés à revenir vers Dieu, à faire retour vers Lui avec les armes glorieuses de l'obéissance.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 28, v 01-08 De ceux qui souvent repris ne veulent pas s'amender écrit le 20 mars 2020
Verset(s) :

1. Si un frère a été fréquemment repris pour une faute quelconque, si même après excommunication il ne s'amende pas, on lui infligera une punition plus rude, c'est-à-dire qu'on lui fera subir le châtiment des coups.

2. S'il ne se corrige pas non plus par ce moyen, ou que même, ce qu'à Dieu ne plaise, il se laisse emporter par l'orgueil et veuille défendre sa conduite, alors l'abbé agira comme un médecin sagace :

3. s'il a appliqué tour à tour les cataplasmes, l'onguent des exhortations, la médecine des divines Écritures, enfin le cautère de l'excommunication et des coups de verge,

4. et s'il voit que son industrie ne peut plus rien désormais, il aura encore recours à un remède supérieur : sa prière pour lui et celle de tous les frères,

5. afin que le Seigneur, qui peut tout, procure la santé à ce frère malade.

6. S'il ne se rétablit pas non plus de cette façon, alors l'abbé prendra le couteau pour amputer, comme dit l'Apôtre : « Retranchez le pervers du milieu de vous » ;

7. et encore : « Si l'infidèle s'en va, qu'il s'en aille »,

8. de peur qu'une brebis malade ne contamine tout le troupeau.

Commentaire :

Si le précédent chapitre témoignait de l'extrême sollicitude de l'abbé pour un frère récalcitrant, celui-ci en montre les limites. L'endurcissement d'un frère peut conduire à la rupture complète avec la communauté, non sans que celle-ci ait instamment prié pour lui.

On pourrait se demander si cette façon de faire est en accord avec l'évangile, entendu il y a quelques jours, où Pierre demande à Jésus : « Seigneur. quand mon fi·ère commettra des fètutes contre moi, combien de fàis doi.1·:ie lui pardonner ? Jusqu'à sept .fi,is ? Jésus lui répondit : « Je ne te dis pas jusqu'à sept.fois, mais jusqu'à soixante-dix fàis sept {Ois. » (Mt 18, 21-22) Aux yeux de Jésus, chacun doit tendre au pardon plénier. puisqu'il est lui-même un débiteur insolvable. Ainsi le suggère+il dans la parabole qui suit, entre l'homme gui devait au maitre 60 millions de pièces d'argent, et gui se montre intraitable vis-vis de son collègue qui lui en doit 100. St Benoit ne doit pas ignorer cette péricope, puisqu'au chapitre 23, il a fait allusion au commandement du Seigneur à propos de la correction fraternelle, péricope qui se trouve quelques versets avant la question de Pierre. De toute évidence, on a à faire à deux problématiques différentes, l'une de vie communautaire, et l'autre d'élan spirituel personnel. Dans une dynamique communautaire, comme l'évangile le suggère, la rupture peut s'avérer nécessaire, pour éviter qu'une brebis malade contamine tout le troupeau, commente St Benoit. Dans une dynamique personnelle, chacun est appelé à ne jamais fermer la porte une fois pour toute au pardon, car Dieu lui-même ne le fait jamais à notre égard. Reste que chacun fait ce qu'il peut ensuite avec la grâce de Dieu.

On peut encore se poser une question : si, comme je le disais, avec notre culture moderne nous rechignons à l'idée d'en arriver à ce genre de rupture, quels sont les moyens à notre disposition pour porter un frère qui peine à se laisser porte ? Je n'en vois guère d'autre que la charité et la prière. Il s'agit ensemble de creuser toujours plus profondément la capacité d'aimer ce frère envers et contre tout. Creuser le puits sans fond de la charité dont Paul nous dit qu'elle

« prend patience ...., supporte tout, fait col?fÎance en tout, espère tout, endure tout» (I Co 13,

4,7). La prière sera notre principal instrument pour creuser ce puit, c'est-à-dire pour nous laisser creuser nous-même par le Seigneur qui est Amour sans fond... Chacun mènera ce modeste travail intérieur de vigilance, de patience et de persévérance pour ne pas relâcher son désir et pour ne pas laisser les pensées négatives gui tuent si facilement l'autre prendre le dessus.« Que ton amour Seigneur soit sur nous, comme notre espoir est en toi. » (Ps 32, 22)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 27, v 01-09 Combien l'abbé doit avoir de sollicitude pour les excommuniés écrit le 19 mars 2020
Verset(s) :

1. C'est avec toute sa sollicitude que l'abbé prendra soin des frères délinquants, car « ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. »

2. Aussi doit-il user de tous les moyens comme un médecin sagace ;: envoyer des senpectas , c'est-à-dire des frères anciens et sagaces,

3. qui comme en secret consoleront le frère hésitant et le porteront à satisfaire humblement, et le « consoleront pour qu'il ne sombre pas dans une tristesse excessive »,

4. mais comme dit encore l'Apôtre : « Que la charité s'intensifie à son égard », et que tous prient pour lui.

5. En effet, l'abbé doit prendre un très grand soin et s'empresser avec tout son savoir-faire et son industrie pour ne perdre aucune des brebis qui lui sont confiées.

6. Qu'il sache en effet qu'il a reçu la charge des âmes malades, non une autorité despotique sur celles qui sont en bonne santé.

7. Et qu'il craigne la menace du prophète, par laquelle Dieu dit : « ;Ce qui vous paraissait gras, vous le preniez, et ce qui était chétif, vous le rejetiez. »

8. Et qu'il imite l'exemple de tendresse du bon pasteur, qui abandonnant ses quatre-vingt-dix-neuf brebis sur les montagnes, partit à la recherche d'une seule brebis qui s'était perdue ;

9. sa misère lui fit tellement pitié, qu'il daigna la mettre sur ses épaules sacrées et la rapporter ainsi au troupeau.

Commentaire :

Après 4 chapitres de type disciplinaires sur l'excommunication, ce 5° chapitre nous donne la vraie perspective du problème. Ce chapitre « presqu'entièrement neuf» au regard de la RM laisse bien entrevoir l'esprit que Benoit veut promouvoir au sein de sa communauté. Loin d'exclure un frère, il s'agit de tout faire pour le réintégrer. Et l'abbé joue un rôle essentiel, soutenu par la prière et la charité de la communauté.

Puisque Benoit parle de « l'abbé comme médecin », quels sont les remèdes en son pouvoir pour

ramener un frère qui est excommunié pour fautes ? Je relève une série de mots qui vont tous dans le même sens, celui « d'une charité qui s'intensifie » : « sollicitude, prendre soin (2x), consoler (2x), s'empresser, ne pas perdre, tendresse, pitié, mettre sur ses épaules ... » Oui, ce genre de maladie ne peut être guéri que par la charité, une charité active, qui s'empresse. Une charité qui paie de sa personne. Le Christ reste l'icône à imiter pour l'abbé. Est-il seulement une icône, au sens d'un modèle qu'il suffirait de reproduire?

S'il s'agit de charité, de ce don inestimable autant qu'insaisissable, regarder le Christ, le contempler ne suffit pas. Il s'agit de le laisser vivre lui-même un peu plus en moi, en nous. C'est ainsi que je comprends ce chapitre. Car cette œuvre de salut d'un frère ne peut qu'être celle du Christ, celle de sa charité qui continue d'être active dans l'Eglise et nos communautés, par l'action de l'Esprit Saint. C'est Lui, Jésus, gui peut renouveler le jugement et changer les cœurs, le mien comme celui du frère qui peine. Lui seul connait la blessure secrète, en sa source et en sa souffrance, qui a pu rendre conduire ce frère à se mettre en marge, voire à s'entêter dans ce qui lui semblait être son bon droit. Jésus aide chacun de nous à sortir du«)'avais droit à», ou bien« c'est moi qui ai raison». Il nous apprend que nous sommes aimés par Lui et son Père, dans la douceur de !'Esprit, gratuitement. Il n'y a rien à produire, rien à payer pour être digne de l'amour divin. Et ce n'est pas si facile que cela à accepter vraiment. Jésus entraine l'abbé et la communauté dans son regard à Lui qui n'est jamais jugement, mais toujours accueil. Car le regard de Jésus espère toujours notre retour. Juger une personne, c'est l'enfermer dans son présent qui nous échappe le plus souvent, car manque à notre connaissance son passé et son terreau humain. Laisser Jésus conduire en nous et par nous son œuvre de charité, c'est nous laisser dérouter dans nos appréciations. Accepter de ne pas savoir. Jésus connait le secret de la nouveauté qui peut germer en chacun, telle une graine enfouie depuis des années et qui n'attend que le moment opportun pour sortir. L'espérance de Jésus peut devenir la nôtre.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 26, v 01-02 De ceux qui entrent en rapport avec les excommuniés sans permission écrit le 18 mars 2020
Verset(s) :

1. Si un frère se permet, sans permission de l'abbé, d'entrer en rapport avec un frère excommunié de n'importe quelle façon, ou de lui parler ou de lui faire parvenir un message,

2. il subira une peine d'excommunication similaire.

Commentaire :

Ce petit chapitre sur les excommuniés peut trouver quelques résonances avec notre situation présente de « guerre sanitaire » pour reprendre les mots du Président Macron. Si on remplace le mot « excommunié » par « confiné », on peut faire un certain nombre de parallèle. Dans les deux cas, des mesures sont prises pour tenter de guérir un mal qui touche une, voire plusieurs personnes, et qui n'est pas sans implication sur le groupe. Dans les deux cas, il s'agit de protéger le groupe et d'éviter une contamination qu'elle soit morale ou physique. Cependant la situation de confinement nationale que nous vivons aujourd'hui présente une différence notable. La lutte est menée avant tout contre un ennemi commun qui est invisible. Avec ces quelques nanomètres, il défie toutes nos vigilances et nos défenses, nous rendant tout d'un coup vulnérables, comme rarement nous l'avons éprouvé. Nous l'avions peut-être oublié depuis des décennies. Et si un frère est malade, certes des mesures de quarantaine seront prises plus strictement à son endroit, mais il ne sera pas pour autant exclu car l'ennemi ne sera jamais lui.

Comment vivre ce confinement? Comment en faire non un temps d'exclusion mais un temps favorable pour une autre manière de vivre la communion ? Pour cela, nous devons vivre avec sérieux les mesures de prudence édictées. Elles sont la première façon de marquer notre

solidarité. Le lavage des mains notamment avant le repas, et plus particulièrement pour les frères qui ont un service au réfectoiire, cuisine, pluches, infirmerie; une certaine distance ; le fait de mettre sa main devant la bouche

lorsqu'on tousse ou éternue... Solidarité oui mais non peur ou méfiance de l'autre, car encore une fois, !"ennemi, ce n'est pas lui. Si un frère semble ne pas être assez vigilant, on peut le lui dire fraternellement. Certains ont peut-être plus de temps disponible, en raison d'obligations qui tombent. Ne le perdons pas. Comme habituellement, il est à la disposition de la communauté. Veillons à ne pas nous noyer dans les informations qui peuvent à la longue créer une forme de psychose qui n'apporte rien. Mettons à profit notre distance monastique pour cultiver l'écoute profonde de la Parole en ces temps où le Seigneur nous appelle à être des veilleurs pour son peuple en désarroi. Cultivons la paix et la prière. Mettons à profit ce temps de carême pour lire notre livre de Carême. Ce temps d'épreuve nous requiert en profondeur.

Vivre la distance sans pour autant être isolés. N'oublions pas les frères plus vulnérables. N'oublions pas non plus peut-être certaines personnes dans le monde qui, dans cette situation d'isolement forcé, peuvent se retrouver très seules. Si nous en connaissons. un courrier, un mail, voire un téléphone peuvent être pour elle un vrai réconfort.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 25, v 01-06 Des fautes graves écrit le 17 mars 2020
Verset(s) :

1. Quant au frère qui est coupable de faute grave, il sera exclu à la fois de la table et de l'oratoire.

2. Aucun frère n'entrera aucunement en rapport avec lui sous forme de compagnie ou d'entretien.

3. Qu'il soit seul au travail qu'on lui aura enjoint, persistant dans le deuil de la pénitence, sachant cette terrible sentence de l'Apôtre :

4. « Cet homme-là a été livré à la mort de la chair, pour que son esprit soit sauf au jour du Seigneur. »

5. Quant à la nourriture de son repas, il la prendra seul, dans la mesure et à l'heure que l'abbé aura jugées convenables pour lui.

6. Personne ne le bénira en passant, pas plus que la nourriture qu'on lui donne.

Commentaire :

Lors du précédent chapitre.je soulignais l'importance de distinguer entre faute et péché.

La faute qui est une manifestation du péché n'en épuise pas toute la réalité. Mystérieuse réalité du péché dont la présence se dévoile au fur et à mesure que nous avançons en âge et dans le chemin de la foi. Car le péché ne se comprend vraiment qu'à la lumière de notre relation avec Dieu. Je cite le Catéchisme de l'Eglise Catholique : « Pour essayer de comprendre ce qu'est le péché, il faut d'abord reconnaitre le lien profond de l'homme avec Dieu, car en dehors de ce rapport, le mal du péché n'est pas démasqué dans sa véritable identité de refi1s et d'opposition à Dieu, tout en continuant à peser sur la vie del 'homme er sur l'histoire,, (CEC n° 386). Plus s'affine notre relation avec le Seigneur et avec les autres, plus nous mesurons la prégnance du péché dans notre vie. plus nous éprouvons la force de ses racines en nous. Les saints sont souvent les premiers témoins de cette prise de conscience. Dire cela n'est pas faire preuve de pessimisme envers la nature humaine, mais d'une certaine lucidité sur soi, lucidité qui ne sera jamais totale non plus. Nous restons en partie des aveugles. Cette lucidité vis-à-vis du péché augmente à la mesure que grandit notre connaissance et notre conscience de l'Amour de Dieu et des autres à notre égard. Devant « l'Amour plus grand que les cieux » de notre Dieu, nous mesurons la part de notre ingratitude. de nos fermetures. de nos révoltes peut-être à certains jours. Si « l'Amour du Seigneur est de toujours à toujours » (Ps 102), le nôtre se révèle souvent

« comme une brume du matin. une rosée d'aurore quis'en va» (Os 6,4) pour reprendre les

mots du prophète Osée que nous chantons les dimanches à Laudes. Souligner notre faiblesse, la reconnaitre et la confesser nous place en vérité devant notre Père, avec ce quelque chose qui est là en nous qui nous blesse et nous pèse. Mais la conscience de ce mal qui peut prendre bien des formes, des plus subtiles aux plus lourdes, peut se transfonner en amour de confiance quand elle nous retourne vers notre Père à la manière du fils prodigue : « Père, j'ai péché contre le ciel el contre toi». Lui, qui apparemment était dans son droit, a pris conscience du mal qu'il s'était fait à lui-même, avant peut-être de mesurer (cc que le texte ne dit pas) la blessure qu'il avait infligée à son père. La tendresse débordante, aucunement demandeuse de compte de son père, laisse pressentir cet amour immense qui ne pouvait qu'être blessé par l'ingratitude du fils. Dans l'étreinte du père et du fils est offert à nos yeux. le mystère de la grâce toujours offe1te qui lave notre péché.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 24, v 01-07 Quelle doit être la gravité de l'excommunication ? écrit le 14 mars 2020
Verset(s) :

1. C'est à la gravité de la faute que doit se mesurer la portée de l'excommunication ou du châtiment.

2. Cette gravité des fautes est remise au jugement de l'abbé.

3. Si toutefois un frère se trouve coupable de fautes légères, on le privera de la participation à la table.

4. Celui qu'on aura privé de la table commune sera au régime suivant ;: à l'oratoire, il n'imposera pas de psaume ou d'antienne ni ne récitera de leçon jusqu'à satisfaction.

5. Quant à la nourriture de son repas, il la prendra seul après le repas des frères :

6. si par exemple les frères ont leur repas à la sixième heure, ce frère aura le sien à none ; si les frères l'ont à none, il l'aura à vêpres,

7. jusqu'à ce que, par une satisfaction convenable, il obtienne son pardon.

Commentaire :

St Benoit s'attache à mettre une graduation dans le processus d'excommunication, en distinguant celle qui serait liée à des fautes légères, ainsi dans notre chapitre, et celle qui serait liée à des fautes graves, dans le prochain chapitre. St Benoit ne précise pas la nature de ces fautes, la laissant au jugement de l'abbé pour en déterminer la gravité. Il est heureux que nous n'ayons pas ainsi une sorte de catalogue comme cela se fera plus tard.

Ici Benoit parle de faute (culpa). non de péché (peccatum). Est-il possible de les distinguer? Est-ce souhaitable? S'il n'est pas aisé de les distinguer dans la RB, je crois qu'il est toujours souhaitable de chercher à le faire. Le péché est une notion plus large que celle de la faute. Elle est une notion théologique. La faute appm1ient davantage à la catégorie de !'agir moral, alors que le péché, tout en touchant notre agir, le déborde largement. Dans la société, une faute est sanctionnée (comme infraction au code de la route, comme délits et crimes au regard du code pénal). Dans le l'Eglise, le péché est présenté à Dieu et aux frères pour être pardonné. Dans la société, le fautif est puni d'amendes ou de prison pour lui apprendre à ne pas recommencer et à ne plus nuire à autrui. Dans l'Eglise, le pécheur est invité à se convertir et à se tourner plus personnellement vers Dieu et vers ses frères. Cependant à l'heure des affaires d'abus, il est intéressant de constater qu'aujourd'hui, pour les cas graves, l'Eglise demande que certaines affaires soient d'abord jugées par la justice civile du lieu, avant qu'au sein de l'Eglise, une mesure concrète soit prise pour réordonner les relations qui ont été blessées ou déviées au sein de la communauté ecclésiale. Les affaires montrent q•1e, sous couvert de miséricorde, on ne peut ignorer le préjudice grave qui a été fait à des personnes, souvent plus vulnérables. Une faute doit être sanctionnée. Ensuite. par exemple, un prêtre fautif sera suspendu de ministère pour un temps ou pour toujours, voire relevé de l'état clérical. Les affaires d'aujourd'hui nous remettent devant les yeux combien face à certains comportements inadmissibles, la distinction entre faute et péché est nécessaire. La miséricorde pour le pécheur ne peut faire l'économie de la justice pour le fautif. Mais en dernier lieu, demeure la prévenance envers les malfaiteurs, les abuseurs ou autres personnes fautives autm1t que pour leurs victimes. Car si le fautif est puni par la loi, le pécheur reste encore à guérir. La sollicitude de l'Eglise pour tout homme rappelle qu'elle est porteuse d'une grâce qui ne lui appartient pas : la grâce de manifester la miséricorde de Dieu qui n'est jamais épuisée par aucun de nos crimes si terrible soit-il. En ce temps de Carême. nous ne cessons de chanter et de confesser que notre Dieu est accueillant les bras ouverts à tout prodigue qui se tourne vers lui.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 23, v 01-05 De l'excommunication pour fautes écrit le 11 mars 2020
Verset(s) :

1. Si un frère se montre récalcitrant ou désobéissant ou orgueilleux ou murmurateur et contrevenant sur quelque point de la sainte règle et aux commandements de ses anciens, avec des manifestations de mépris,

2. ses anciens l'avertiront, selon le commandement de Notre Seigneur, une première et une seconde fois en privé.

3. S'il ne s'amende pas, on le réprimandera publiquement devant tout le monde.

4. Si même alors il ne se corrige pas, s'il comprend ce qu'est cette peine, il subira l'excommunication.

5. Mais si c'est une mauvaise tête, il recevra un châtiment corporel.

Commentaire :

A cinq reprises, Benoit utilise la conjonction « si_» : « si un frère se montre récalcitrant ...s 'il ne s'amende pas, si même il ne se corrige pas... » Se dessine alors un cercle vicieux, dans lequel peut s'enfermer un frère. Ni les avertissements, d'abord privés puis publics, ni l'excommunication ne peuvent le faire changer d'attitude. Mystère de l'aveuglement du cœur que ne parvient pas à rejoindre une parole humaine. Commence ainsi dans la Règle tout un parcours pédagogique qui compose ce que l'on appelle communément le code pénitentiel. Lorsque l'on compare la RM et la RB, il est notable de voir que St Benoit prend un soin particulier pour détailler une graduation dans l'évaluation des fautes et dans les peines qui leur correspondent. On peut entendre dans ce déploiement voulu par Benoit sa confiance en une possible conversion, en même temps que l'importance à ses yeux de la place de la communauté et de l'abbé dans le processus de réconciliation d'un frère. Quelque chose est possible qui mérite d'être tenté. Même si en fin de parcours, l'échec est envisagé, tout est fait pour le prévenir.

Il me semble que c'est cela que nous pouvons entendre dans ces chapitres qui paraissent toujours ingrats à nos oreilles modernes : quand un frère va mal, il faut tout faire pour ne pas le laisser dans son aveuglement. Avec Benoit, nous faisons nôtre le commandement du Seigneur qui veut qu'on avertisse une première et une seconde fois en privé. Nous pouvons aussi faire nôtre le fait de prendre le frère pour lui parler à plusieurs. Ensuite nous ne savons plus utiliser le processus d'excommunication avec sa pédagogie propre. Notre culture plus individualiste que communautaire ne nous en offre plus les moyens. Aussi nous ne pouvons que constatés notre impuissance à un certain moment du processus. Et si c'était notre chance? Celle de transformer notre impuissance devant l'aveuglement d'un frère en un atout. Notre culture moderne nous fait entrer plus avant dans la complexité de l'âme humaine, façonnée par une histoire qui lui échappe en bonne partie. Ses agissements ou ses attitudes sont parfois l'expression de mouvements ancrés profondément qui ne sont pas toujours maitrisables ni contrôlables. Notre impuissance n'est que le pendant de la propre impuissance du frère. Mieux connaitre ce phénomène complexe peut être une chance : celle de nous apprendre un profond respect pour ne pas juger, encore moins condamner. Chance encore quand notre impuissance nous entraine à entrer dans la patience, dans une patience aimante vécue dans la lumière de la

patience de Dieu à notre égard. Toute l'œuvre du salut ne nous révèle+elle pas ce visage de Dieu, patient ,miséricordieux ?

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 21, v 01-07 Des doyens du monastère écrit le 27 février 2020
Verset(s) :

1. Si la communauté est nombreuse, on choisira parmi eux des frères de bonne réputation et de sainte vie, et on les nommera doyens,

2. pour qu'ils veillent sur leurs décanies en tout selon les commandements de Dieu et les ordres de leur abbé.

3. Ces doyens seront choisis de telle manière que l'abbé puisse, en sécurité, partager avec eux son fardeau.

4. Et on ne les choisira pas en suivant l'ordre d'ancienneté, mais d'après le mérite de leur vie et la sagesse de leurs enseignements.

5. Ces doyens, si l'un d'eux, venant à s'enfler de quelque orgueil, se montre répréhensible, et si après avoir été repris une, deux, trois fois, il refuse de se corriger, on le destituera

6. et on mettra à sa place quelqu'un qui en soit digne.

7. Pour le prévôt aussi, nous prescrivons de faire de même.

Commentaire :

Avec ce chapitre, Benoit prévoit que l'abbé partage son fardeau avec quelques frères sages, responsables de décanie. Dans une communauté nombreuse, ainsi la charge des frères est-elle répartie et portée par plusieurs. En terme moderne, on pourrait dire que Benoit entend promouvoir la coresponsabilité. Ce mot est en vogue aujourd'hui pour mettre en lumière la place que chacun peut tenir à des degrés divers dans la société. Il est heureux car il ouvre des horizons nouveaux de prise de conscience de la capacité de chacun à répondre de sa vie, de ses actes et de ses paroles. Etre responsable de soi devant les autres, mais aussi être responsable du bien des autres devant la société ou la communauté plus large... Plus va notre connaissance du monde et de ses lois physiques, mais aussi politiques et humaines, plus grandit la conscience plus affinée de notre coresponsabilité. Ceci est patent autour des questions d'écologie. Lorsque les forêts disparaissent en Amazonie ou au Congo, c'est un équilibre global de la planète qui est menacé. Lorsque nous restons chacun et tous ensemble d'insatiables consommateurs d'énergie qui produisent et rejettent beaucoup de CO2, nous impactons toute la terre. Je crois que ces prises de conscience de la coresponsabilité commune à l'égard du bien de tous peuvent être un beau levier de changement dans notre société.

En est-il autrement dans une communauté ? Chacun a des degrés divers nous sommes responsables non seulement de notre vie personnelle devant Dieu et devant les autres, mais nous sommes aussi responsables les uns des autres dans le désir commun qui est le nôtre d'être fidèle à une commune vocation. Récemment un frère me disait sa joie d'avoir été interpellé par un frère sur un point de vie commune par rappmi auquel il était en défaut. Il s'est senti stimulé à progresser. Cultiver les uns envers les autres ce sens de la responsabilité, vécu ce1ies dans la discrétion ne peut que rendre plus vivante et dynamique notre vie communautaire. La vie monastique n'est pas que l'affaire de l'abbé, ou des doyens ou des responsables de groupes ou d'emplois. Chacun à notre place, nous pouvons répondre non seulement de notre vie personnelle mais aussi du bien de la communauté comme de son dynamisme. Etre responsable nous pose d'emblée comme un homme gui est fait pour tous, qui se donne à tous comme il se reçoit de tous. Pour revenir aux doyens dont parle ce chapitre, ceux-ci ont la responsabilité d'être à l'écoute de la communauté afin de pouvoir mieux conseiller l'abbé et discerner dans certaines prises de décisions auxquelles ils sont associés. Prochainement, nous procèderons à l'élection d'un nouveau conseil, comme le droit le prévoit tous les 3 ans.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 20, v 1-5 De la révérence dans l'oraison. écrit le 13 février 2020
Verset(s) :

1. Si, lorsque nous voulons présenter quelque requête aux hommes puissants, nous n'osons le faire qu'avec humilité et révérence,

2. combien plus devons-nous supplier le Seigneur Dieu de l'univers en toute humilité et très pure dévotion !

3. Et ce n'est pas par l'abondance des paroles, mais par la pureté du cœur et les larmes de la componction que nous serons exaucés, sachons-le bien.

4. Aussi l'oraison doit-elle être brève et pure, à moins qu'elle ne vienne à se prolonger sous l'effet d'un sentiment inspiré par la grâce divine.

5. En communauté, cependant, le temps de l'oraison sera tout à fait bref, et dès que le supérieur aura donné le signal, on se lèvera tous ensemble.

Commentaire :

En entendant ces lignes qui nous laissent pressentir l'expérience de prière de Benoit, nous pouvons nous dire au moins une chose : la prière reste un mystère. Je ne sais pas bien prier. La prière est devant moi comme un chemin toujours à parcourir. Non abondance de paroles, comme Jésus le suggérait déjà, mettant en garde contre un rabâchage trop païen. Car le païen a le souci avant tout de se concilier la divinité. En christianisme au contraire, il ne s'agit pas de se concilier notre Dieu, mais de nous laisser réconcilier avec Lui. Tel est son désir comme l'a fortement pressenti Paul: « Laissez-vous réconcilier avec Dieu» (2 Co 5,20). Dans cette lumière, dès lors qu'est-ce que prier? St Benoit parle de pureté du cœur. des larmes de la componction et d'un sentiment inspiré par la grâce divine qui peut conduire à prolonger la prière. li ne parle pas de méthode, ni de temps précis, mais plutôt d'une qualité de présence qui fait signe de l'œuvre de réconciliation qui s'opère dans le cœur. La pureté du cœur, faite d'humilité et de charité selon Cassien et les pères du désert, porte la signature de la grâce divine. Le coeur ne cherche pas son avantage, ni n'est préoccupée de lui-même. li est là. Il s'offre au travail de Dieu, à son silence comme à sa paix, à l'aridité comme à la joie. Il est présent parce que Dieu est là, même s'il semble si souvent absent. Les larmes de la componction sont plus difficiles à comprendre à notre esprit moderne devenu très rationnel. Mais nous pouvons y reconnaitre là un autre fruit de la réconciliation que Dieu opère dans notre cœur : la reconnaissance de notre état de pécheur qui, laissé à lui-même, est le plus souvent enclin à ne s'occuper que de soi, étant si peu sensible au malheur des autres. Pleurer ses péchés était pour les anciens une sorte de grâce de clairvoyance sur soi qui rendait d'emblée compatissant à toute détresse ou faiblesse du prochain. Elle était synonyme d'ouverture confiante à la grâce qui sauve et qui pardonne les péchés. De cette expérience, nous pouvons retenir combien il peut être profitable de cultiver cette connaissance de soi qui va s'approfondissant avec la confiance en Dieu qui seul peut guérir notre être pécheur. Nous reconnaitre pécheur, c'est nous tenir un peu plus ouvert à·1 œuvre de grâce, avec un cœur ouvert el un e.1pril brisé (Ps 50, 19). Chacun de nous a déjà fait cette expérience lorsque la conscience vive du péché nous blesse fortement, de se jeter aux pieds du Seigneur au lieu de se lamenter sur soi et sur son image brisée. Le fruit de paix et de douceur qui est donné et qui nous relève alors, nous laisse entrevoir combien le Seigneur est proche du cœur brisé (Ps 33,19; 146,3) et que cette prière-là lui agréé tout particulièrement.