vendredi 3 octobre 2025 : journée de solitude pour la communauté, messe vers 6h45 après Laudes.

Commentaires sur la Règle



Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 35 v 01-06 Des semainiers de la cuisine. écrit le 13 août 2021
Verset(s) :

1. Les frères se serviront mutuellement et personne ne sera dispensé du service de la cuisine, sauf maladie ou si l'on est occupé à une chose d'intérêt majeur,

2. parce que cela procure une plus grande récompense et charité.

3. Aux faibles, on accordera des aides, pour qu'ils ne le fassent pas avec tristesse,

4. mais ils auront tous des aides suivant l'importance de la communauté et l'état des lieux.

5. Si la communauté est nombreuse, le cellérier sera dispensé de la cuisine, ainsi que ceux qui, comme nous l'avons dit, sont occupés à des tâches d'intérêt supérieur.

6. Les autres se serviront mutuellement dans la charité.

Commentaire :

« Cela procure une plus grande récompense et charité». Se servir mutuellement, ici à la cuisine, est une belle chose aux yeux de St Benoît, car « cela procure une plus grande récompense et charité» Elle est intéressante cette association des deux notes« récompense et charité». Comme si la récompense était associée à la charité. N'y a-t-il pas en effet plus belle récompense qu'un cœur gui est de plus en plus capable d'aimer, de plus en plus dégagé de lui­ même pour se donner aux autres ? Spontanément, quand on rend un service, on attend, plus ou moins consciemment et rapidement une récompense... au moins un merci, un geste de reconnaissance qui montre que l'autre a perçu mon effort et mon dévouement. Peut-être faut-il aussi entendre le mot « récompense » pris isolément, dans le sens où le service mutuel sur cette terre nous promet une belle récompense dans la vie éternelle. Mais Benoît nous propose de chercher plus profondément notre récompense quand il ajoute le mot « charité » de façon un peu inattendue... Ce faisant, il nous entraîne plus loin, à sortir du schéma trop naturel du donnant-donnant, de l'échange de bons et loyaux services entre frères... Ce schéma risque toujours de limiter notre service pour les autres à la mesure de celui qu'ils peuvent nous rendre. En nous invitant à chercher notre récompense dans un accroissement de charité, Benoît veut nous faire accéder à un niveau supérieur dans l'ordre de l'amour: l'amour qui donne sans souci d'abord de recevoir en retour. Aimer toujours plus pour apprendre à aimer dans mesure. Là est notre récompense, une récompense qui ne nous fera jamais défaut, car elle nous fait communier à l'amour de Dieu qui n'a pas de limites. Je voudrais relever un lieu où l'on peut expérimenter cela, mais il y en bien d'autres: ie pense au desservisse après les repas. Quand on fait une première tâche va-t-on vite s'esquiver ou bien cherche-t-on à aider les autres frères qui n'ont pas fini leur service ? Se sauver ou bien prendre un peu de temps pour aider les autres ? Le Seigneur veut nous partager sa joie d'aimer, comme le psalmiste l'avait pressenti : « mon cœur incline à pratiquer tes commandements, c'est à jamais ma récompense» Ps 118,112

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 34 v 01-07 Si tous doivent recevoir également le nécessaire écrit le 12 août 2021
Verset(s) :

1. Comme il est écrit : « On distribuait à chacun selon ses besoins. ;»

2. Ici nous ne disons pas que l'on fasse acception des personnes, – ;à Dieu ne plaise ! – mais que l'on ait égard aux infirmités.

3. Ici, que celui qui a moins de besoins, rende grâce à Dieu et ne s'attriste pas ;

4. quant à celui qui a plus de besoins, qu'il s'humilie de son infirmité et ne s'enorgueillisse pas de la miséricorde qu'on a pour lui,

5. et ainsi tous les membres seront en paix.

6. Avant tout, que le fléau du murmure ne se manifeste sous aucun prétexte par aucune parole ou signe quelconque.

7. Si l'on y est pris, on subira une sanction très sévère.

Commentaire :

« On distribuait à chacun selon ses besoins» ... Cette citation tirée des Ac 4, 34-35 est très suggestive pour notre vie commune. Elle fait écho à la vie de la 1ère cté chrétienne. Je cite le passage plus large : « Aucun d'entre eux n'était dans l'indigence, car tous ceux qui étaient propriétaires de domaines ou de maisons les vendaient, et ils apportaient le montant de la vente pour les déposer aux pieds des apôtres ; puis on les distribuait en fonction des besoins de chacun». Un peu avant on nous disait de même : « Tous les croyants vivaient ensemble et ils avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun » (2, 45).

De ces citations, je retiens le mouvement interne à la 1ère cté chrétienne, mouvement de don et de réception. Si l'on peut remettre à chacun selon ses besoins, c'est qu'auparavant, on a accepté de donner ses biens pour les mettre en commun. Chacun vendant ses propriétés et les apportant pour la communauté, renonce à son autonomie, à un certain standing social. La mise en commun des biens permet alors une nouvelle attention aux personnes, en fonction de ses besoins, et non plus en vertu de ses antécédents familiaux qui les faisait riches ou pauvres.

Dans la vie monastique, nous choisissons de ne rien avoir en propre et de tout mettre en commun. Nous entrons alors dans un certain style communautaire fait de simplicité et de sobriété dans la manière de se nourrir, de se vêtir, de ne pas s'encombrer de superflu. Mais nos besoins peuvent différer. St Benoit parle« d'infirmités», mot à mot, ce« qui n'est pas ferme»

... Chacun nous avons des points gui sont moins fermes que d'autres et qui demandent plus de soin... Comment discerner entre le besoin et le caprice? Le besoin reconnu me construit, le caprice concédé me laisse dans l'illusoire image que je me fais de moi-même. Comment discerner entre le besoin temporaire et la nécessité durable qui s'impose ? Je peux remarquer dans ma vie des choses qui, un temps, me semblaient vraiment indispensables, et dont je peux très bien me passer aujourd'hui. La vie commune est alors une bonne école pour nous aider à aller plus loin dans la liberté vis-à-vis de nos besoins. Comment discerner entre le besoin gui fait vivre pour la communauté du besoin gui marginalise des frères? Le besoin d'un régime ou de permission spéciale parlé et reparlé relie aux frères. Il permet de ne pas culpabiliser, mais d'être simplement soi-même, dans la conscience de ses limites. Accepter mes limites sans les faire peser sur les autres aide ces derniers à les reco1111aitre sans jalousie ni crispation.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 33 v 01-08 Si les frères doivent avoir quelque chose en propre. écrit le 07 août 2021
Verset(s) :

1. Par dessus tout, il faut retrancher du monastère ce vice jusqu'à la racine :

2. que personne ne se permette de rien donner ou recevoir sans permission de l'abbé,

3. ni d'avoir rien en propre, absolument aucun objet, ni livre, ni tablette, ni stylet, mais absolument rien,

4. puisqu'on n'a même pas le droit d'avoir son corps et sa volonté à sa propre disposition.

5. Tout ce dont on a besoin, on le demande au père du monastère, et personne n'a le droit de rien avoir que l'abbé ne lui ait donné ou permis.

6. Que « tout soit commun à tous », comme il est écrit, en sorte que « ;personne ne dise sien quoi que ce soit », ni ne le considère comme tel.

7. Si quelqu'un est pris à se complaire dans ce vice extrêmement pernicieux, on l'avertira une et deux fois ;

8. s'il ne s'amende pas, il subira une réprimande.

Commentaire :

Rares sont les prescriptions de la règle énoncées avec une telle force qui ne supporte aucune exception... Quel absolu Benoit vise-t-il? Il propose à ces moines l'exemple de la 1ère cté chrétienne, citée explicitement, dans laquelle « personne ne disait sien quoi que ce soit et où tout était commun à tous ». Mais la 1ère cté chrétienne vivait-elle exactement sur le mode souhaité par Benoit ? Est-ce que chacun demandait à un supérieur tout ce dont il avait besoin? En fait, Benoit va plus loin que l'idéal des 1ères ctés chrétiennes. Il vise un but qui ne peut se comprendre qu'à la lumière du Royaume. Le moine désire vivre ici-bas d'une manière approchant ce qu'il vivra dans le Royaume. Sa dépendance totale vis-à-vis de la communauté et du supérieur fait signe et incarne la dépendance vis-à-vis de Dieu de qui il se reçoit tout entier et à qui il se donne tout entier sans rien garder. Cette façon de vivre le rapport aux biens est profondément eschatologique. Est-ce réaliste de vivre ainsi ? Cela rencontre un double mouvement de notre culture contemporaine, et donc en nous. Le premier mouvement résiste et le second consent. Le premier résiste car il valorise l'autonomie de la personne, comme une expression de sa dignité et son émancipation. Tout est fait alors pour permettre à chacun d'avoir tout sous la main, et d'en disposer selon son choix, sans rien demander à personne. Le second mouvement, accentué aujourd'hui avec la crise climatique, cherche à mettre davantage en commun (les transports, les logements, le jardin, des outils etc... ). Beaucoup de choses se pensent en « co » : « colocation, covoiturage etc... » Ainsi notre culture contemporaine qui a tant exacerbé l'autonomie de l'individu est-elle en train de retrouver les valeurs d'un être plus communautaire, ainsi que les bienfaits pour la personne d'être reliée et donc en partie dépendante des autres... Et pour nous moine aujourd'hui? Ce chapitre nous redit la visée eschatologique fondamentale recherchée à travers la dépendance consentie. Mais notre vie monastique, foncièrement communautaire, se reçoit aussi de notre culture contemporaine quand elle donne à chacun cette juste autonomie qui veut responsabiliser. Les communs mettant à disposition un certain nombre de produit de première nécessité, ou des appareils en sont une expression. Dans ce domaine, comme dans bien d'autres, tout ce que je peux faire, ou avoir sans crainte d'en parler, est un signe de liberté profonde. Ce que je dissimulerais, ou que je mettrais en réserve furtivement par peur que cela se sache, est le signe que je passe à côté de quelque chose de vrai. Nous sommes faits pour la liberté. La liberté consentie vis-à-vis des biens fait signe et œuvre à notre liberté de cœur.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 32 v 01-05 Des outils et biens du monastère. écrit le 03 août 2021
Verset(s) :

1. Pour l'avoir du monastère en outils, vêtements et biens de toute sorte, l'abbé choisira des frères, de vie et mœurs dont il soit sûr,

2. et il leur remettra ces différents objets, comme il le jugera bon, pour qu'ils les conservent et les recueillent.

3. De ces objets, l'abbé gardera l'inventaire. Ainsi, quand les frères se succèdent à tour de rôle dans l'emploi, il saura ce qu'il donne et ce qu'il reçoit.

4. Si quelqu'un traite les biens du monastère sans propreté ou sans soin, on le réprimandera.

5. S'il ne s'amende pas, il subira les sanctions de règle.

Commentaire :

A une époque où les outils et les biens de consommation étaient plus rares donc plus précieux, on peut comprendre le souci de bien les conserver, manifesté dans ce chapitre. Avoir un outil en fer par ex, comme une faucille, devait représenter un petit trésor. L'épisode de la vie de St Benoit, où ce dernier fait remonter la faucille tombée dans le lac, et console ainsi grandement celui qui l'avait perdu dans l'eau, nous fait pressentir le prix de tout objet alors.

En occident, nous ne connaissons plus aujourd'hui cette préoccupation de manquer. La société de consommation offre tout avec une abondance parfois insolente, abondance dont nous bénéficions nous aussi au monastère. Notre risque n'est plus de ne pas avoir, mais de gaspiller. Parler de risque, c'est déjà prendre une distance par rapport à l'usage de biens. Dans une certaine frange de la société, le fait de jeter n'est pas un problème, le fait que tout doit se renouveler très vite, même si ce n'est pas usagé, non plus. Notre chance à la Pierre-qui-Vire en particulier est de vivre avec des frères qui viennent d'autres pays où le rapport aux objets et aux biens est certainement plus proche de l'époque de St Benoit que de la nôtre. Ils nous sensibilisent ainsi au prix et à la valeur des choses. A l'heure de Laudato Si, le pape François invite toute l'Eglise et le monde avec elle, a levé le regard toujours plus loin pour ne iamais oublier la moitié de la planète qui vit dans une précarité inquiétante. Il nous apprend à comprendre que notre abondance provient, depuis des décennies, pour une bonne part d'un système d'échange injuste, basé sur la surexploitation des ressources naturelles, ainsi que sur une forme d'exploitation des pays les plus pauvres. Nous connaissons l'abondance de produits très peu chers parce que pour une bonne part d'autres- la terre et les pays les plus pauvres-, en ont payé ou en paient encore le prix. Cette vision globale peut donner le vertige. Le réchauffement climatique nous oblige à la regarder en face. Dans notre maison commune, il n'est plus possible d'ignorer l'interaction entre ce qui se vit abondamment ici en Europe et ce qui se survit misérablement en Afrique par exemple.

Ici au monastère, comment nous situer? Comment quitter la mentalité de l'insouciance de qui ne manque de rien ? Comment entrer dans un nouveau rapport à la consommation de biens, d'énergie, d'eau en pensant que ce qui est gaspillé ici est volé là-bas. Comment retrouver une sobriété heureuse ? Ce nouvel impératif moral adressé à nos contemporains rejoint naturellement notre vœu de conversion. Notre manière de vivre peut faire signe à beaucoup.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 31 v 13-19 Du cellérier du monastère, ce qu'il sera. écrit le 27 juillet 2021
Verset(s) :

13. Qu'il ait avant tout l'humilité, et quand il n'y a rien à donner à quelqu'un, qu'il lui offre en réponse une parole aimable,

14. comme il est écrit : « Une parole aimable surpasse le don le plus précieux. »

15. Tout ce que l'abbé lui enjoindra, il en aura la responsabilité ; ce qu'il lui interdira, il ne se le permettra pas.

16. Il fournira aux frères la ration prescrite sans arrogance ni délai, de peur qu'ils ne s'irritent, en se souvenant de ce que mérite, selon la parole divine, « celui qui irritera un des petits. »

17. Si la communauté est nombreuse, on lui donnera des auxiliaires, pour que lui aussi, grâce à leur aide, il remplisse la charge qui lui est confiée sans perdre la paix de l'âme.

18. On donnera ce qui est à donner et on demandera ce qui est à demander au moment voulu,

19. afin que personne ne soit troublé ou peiné dans la maison de Dieu.

Commentaire :

« On donnera... on demandera ... au moment voulu» Ces mots concluant ce beau

chapitre sur le cellérier, résument bien le mouvement d'échange continuel dans lequel nous place la vie conventuelle. Dans ce jeu d'échange de services et de dons, le cellérier occupe une place centrale ... Mais il n'est pas1e seul. Tous, à un titre ou à un autre, nous sommes intégrés

dans ce mouvement d'échange: tour à tour demandeur et donneur. Plus les échanges sont fluides, plus la vie est paisible et heureuse, plus ressort qu'il est bon et qu'il est doux de vivre en frère. Entrer dans ce dynamisme d'échange de dons, de paroles bienfaisantes, de services, exige de renoncer chacun à vivre en circuit fermé, ou en circuit semi-ouvert. Paradoxalement, nous sommes tous capables de râler lorsqu'une chose demandée ne nous est pas accordée, ou bien lorsqu'elle vient trop lentement. Mais souvent, nous ne voyons pas le problème de faire patienter ou de refuser quelque chose que légitimement on est en droit d'attendre de nous. Certes, parfois le temps n'est pas extensible, mais vérifions toujours si l'on ne s'est pas réservé quelques minutes que nous savons aussi très bien perdre à des futilités...

Que faire cependant lorsqu'on ne peut vraiment pas faire ou donner quelque chose ? Quelle attitude adopter? Il n'est pas rare que cette impossibilité suscite parfois la panique, du coup une sorte d'agressivité. Aussi outre le fait que le frère pourrait être en droit d'obtenir de notre part ce qu'il demande, en plus il reçoit une parole sèche, ou même un reproche ... Double injustice ! St Benoit recommande à deux reprises en ce chapitre de donner « une parole aimable», ou« un refus raisonnable», et pour ce dernier, il ajoute« avec humilité». « Avec humilité», petite incise précieuse. Car elle nous dit où trouver, la source d'où jaillira la bonne parole. Elle est du côté de l'humilité, de la conscience de sa pauvreté, conscience qui ne nous écrase pas, mais qui nous rend plus abandonné au Seigneur. Si moi,je ne peux donner, si je n'ai rien à donner, je peux m'appuyer un peu plus sur le Seigneur, sur son amour... Il mettra sur mes lèvres la bonne parole qui redonne courage ou qui console. Demandons cette grâce de l'humilité qui fait surgir les bonnes paroles, utiles et rafraichissantes. Cultivons entre nous et avec les personnes extérieures, cet art de la bonne parole. Cette bonne parole n'est pas feinte, ni hypocrite. Elle jaillit de la conscience assumée de ma faiblesse, et de l'appel à respecter avant tout la personne que j'ai devant moi.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 31 v 07-12 Du cellérier du monastère, ce qu'il sera. écrit le 23 juillet 2021
Verset(s) :

7. Si un frère lui présente une requête déraisonnable, il ne le peinera pas en le repoussant avec mépris, mais avec humilité il opposera à cette mauvaise demande un refus raisonnable.

8. Il veillera sur son âme, en se souvenant toujours de cette parole de l'Apôtre : « Qui fait bien son service, se procure une belle place. »

9. Il prendra soin des malades, des enfants, des hôtes et des pauvres avec toute sa sollicitude, sachant sans aucun doute qu'il devra rendre compte pour toutes ces personnes au jour du jugement.

10. Il considérera tous les vases du monastère et tout son avoir comme les vases sacrés de l'autel ;

11. il ne tiendra rien pour négligeable.

12. Il ne cédera pas à l'avarice ni ne sera prodigue ou dissipateur de l'avoir du monastère, mais il fera tout avec mesure et selon les ordres de l'abbé.

Commentaire :

« Il veillera sur son âme» Petite recommandation de sagesse de St Benoît. S'il est bien conscient que le cellérier est l'honune dédié aux soins des affaires matérielles de la communauté, il rappelle ici.le cellérier à son premier devoir spirituel. Dans la charge complexe de l'économie de monastère, avec ses nombreuses sollicitations de tous ordres, sa quête

spirituelle doit rester vivante... Sa manière de gérer les affaires sera vraiment« monastique» à

la mesure de cette vigilance spirituelle première...

A bien l'entendre, cette petite recommandation de Benoît ne vaut pas que pour le cellérier. notre f. Benoit que nous remercions pour son service... Mais elle vaut pour tous les moines... à commencer par ceux dont le rythme de vie ou le type de travail est plus exposé à la complexité. Je pense particulièrement aux emplois où le rythme de travail est très soutenu avec beaucoup de sollicitations diverses, il est important que chacun veille sur son âme, c'est à dire qu'il veille à cette primauté de la prière et de la présence au Christ dans sa vie. Et cette primauté se conjugue en un certain nombre de priorités qu'il faut tenir: le temps de lectio et de prière personnelle, le temps de respiration pour rompre le rythme et se refaire. Chacun ici est responsable de son organisation du temps... Responsabilité rude à tenir parfois mais responsabilité unique irremplaçable. Personne ne peut veiller sur ma vie à ma place. Assurer la priorité à la lectio et à la prière sera le gage de l'approfondissement de notre vie sous le regard du Christ. Peu importe si le travail est rude ou prenant, si nous mettons le Christ à la première place et cela concrètement dans notre emploi du temps, notre vie va trouver peu à peu son enracinement. Car c'est le Christ aimé et cherché qui conduit nos vies. C'est lui qui nous aide à lâcher et à renoncer à ce qui n'est pas utile, à ce qui nous encombre et qui parfois occupe bien du temps. Pour finalement pas grand-chose...

Oui veillons sur nos âmes, c'est à dire mettons-nous de façon très précise à l'écoute du Christ notre maître... notre guide.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 31 v 01-06 Du cellérier du monastère, ce qu'il sera. écrit le 22 juillet 2021
Verset(s) :

1. On choisira pour cellérier du monastère un membre de la communauté qui ait sagesse, maturité de caractère, sobriété ; qui ne soit pas grand mangeur, hautain, turbulent, injuste, lent, prodigue,

2. mais qui ait la crainte de Dieu. Il sera comme un père pour toute la communauté.

3. Il prendra soin de tout,

4. il ne fera rien sans l'ordre de l'abbé ;

5. il observera les ordres reçus,

6. il ne fera pas de peine aux frères.

Commentaire :

« On choisira un membre de la communauté qui...ait la crainte de Dieu» ... Quand st Benoit donne ce critère de discernement, il l'oppose aux défauts énumérés juste avant:« gros mangeur, hautain, agité, injuste, lent, prodigue» ... Veut-il nous faire comprendre que nous sommes en présence de deux logiques : !'une qui consiste à mettre sa vie continuellement sous le regard de Dieu. et l'autre qui implique une vie toute préoccupée de soi ? Qui de nous peut dire qu'il est résolument dans la première logique, celle d'une vie toute entière tendue vers la lumière de Dieu ? Nos vies sont souvent prises dans cet incessant va et vient de grande ouverture à la volonté de Dieu et de repliement sur soi. L'art de la vie spirituelle n'est-il pas de peu à peu nous poser tout entier sous la lumière de Dieu... Plus que de la recherche d'un équilibre, il s'agit d'une perpétuelle quête, on pourrait dire aussi d'une conquête sur soi, sous l'action de

!'Esprit Saint. Paul parle de l'homme intérieur qui se fortifie.

La vie monastique est une école pour permettre à cet être intérieur de grandir et de se fortifier dans la crainte de Dieu, dans cet amour empreint de respect devant le mystère divin et humain. La discipline proposée, les rappels de la vie commune sont autant de repères qui mettent de la distance entre notre désir de prendre pour nous-mêmes, et notre désir plus profond d'être pleinement nous-mêmes, vulnérables sous le regard de Dieu. Quand par ex, notre coutumier nous invite à ne pas prendre à l'avance d'un dessert au libre-service, pour se le réserver, il met à distance mon fort désir d'être rempli, pour faire advenir mon désir plus profond d'être libre pour rendre grâce plus pleinement lorsque je prendrai le dessert au moment du dessert. Cet exemple est révélateur de beaucoup de lieu de notre vie où nous sommes invités à prendre de la distance avec notre désir trop enclin à se remplir, alors qu'il est ordonné à la liberté, sous le regard de Dieu... Quand la règle nous invite à estimer les autres supérieurs à nous, elle vient mettre un frein, une barrière à notre propension orgueilleuse, hautaine à juger de tout et de tous... Notre désir le plus profond n'est-il d'aimer les autres avec leur faiblesse, comme nous désirons être accueilli avec les nôtres ? Quand la règle nous invite à nous hâter pour aller à l'office ou pour aller à la rencontre de l'hôte qui arrive, ne nous exhorte-t-elle pas sortir d'une certaine lenteur, d'un quant à soi pour être davantage tourné vers Dieu et les autres? Elle vient réveiller notre désir endormi qui ne demande qu'à se donner, et à s'élargir davantage

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 30 v 01-03 Des enfants d'âge tendre, comment les corriger. écrit le 21 juillet 2021
Verset(s) :

1. Tout âge et degré d'intelligence doit recevoir un traitement approprié.

2. Aussi chaque fois que des enfants et des adolescents par l'âge, ou des adultes qui ne peuvent comprendre ce qu'est la peine d'excommunication,

3. quand donc ceux-là commettent une faute, on les punira par des jeûnes rigoureux ou on les châtiera rudement par des coups, afin de les guérir.

Commentaire :

« Tout âge doit recevoir un traitement approprié,, ... Je ne m'attarderai pas ce matin sur la question de la correction, mais sur celle de la formation. Chaque âge, chaque étape de la formation mérite un soin particulier... Touchant la formation de nos jeunes frères, mais finalement aussi notre formation permanente dans notre apprentissage à aimer, j'aimerai dire un mot ce matin sur notre relation avec les femmes. Récemment cette question s'est posée : en vue d'accueillir des jeunes pour le WWOOFING, faut-il admettre au cœur de la clôture des femmes qui viendraient travailler régulièrement dans le jardin avec les jeunes frères ? Ou encore, on recherche actuellement une collaboration avec une école afin d'avoir des stagiaires en alternance pour le développement de la frênette, faut-il accepter des jeunes femmes qui pourraient travailler environ un mi-temps dans la clôture avec des frères ? Après en avoir parlé en conseil.j'ai répondu qu'il ne valait mieux pas... Comment comprendre cette position?

Il me semble important de tenir de la sorte certaines limites. Tout ne nous est pas possible. Nous faisons le choix du célibat parce qu'un jour, l'amour du Christ nous a touchés et nous a attirés à lui pour nouer avec lui une relation privilégiée qui prend tout notre être. Mais nous savons que ce choix du célibat n'est pas sans combat. Notre affectivité met du temps à s'ordonner toute entière dans ce don au Christ et aux autres. Notre corps, notre sexualité masculine a ses propres rythmes et pulsions, comme la sexualité féminine a les siennes. Savoir garder dans notre quotidien habituel une juste distance dans nos relations avec les femmes contribue à vivre avec paix et profondeur notre quête monastique. li ne sert à rien d'éveiller d'inutiles pensées ou pulsions, en feignant d'être au-dessus de possibles attachements... Qui peut se dire complètement neutre ou libre dans le jeu des relations ? Parler ainsi ne signifie pas qu'il nous faut avoir peur des femmes et que toute relation féminine nous soit interdite. Non, mais en vertu de notre choix de vie pour le Christ, la prudence nous invite à vivre ces relations à chaque fois de manière juste, avec discernement. Dans l'ouverture du cœur, il est important d'apprendre à parler de nos relations et de leur impact sur notre affectivité. La formation en ce domaine, qui vaut pour les premières années comme pour toute la vie, consiste dans l'affinement de la connaissance de soi. Nous apprenons à aimer plus en liberté, mus par notre don au Christ, sans nécessairement attendre en retour. Car le Christ est cet ami si unique, que l'aimer davantage, loin de nous rétrécir le cœur nous donne d'aimer plus largement les autres, plus chastement aussi.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 29 v 01-03 Si les frères qui sortent du monastère doivent être reçus de nouveau. écrit le 20 juillet 2021
Verset(s) :

1. Un frère qui est sorti du monastère par sa propre faute, s'il veut revenir, commencera par promettre de s'amender complètement du défaut qui l'a fait sortir,

2. et alors on le recevra au dernier rang, pour éprouver par là son humilité.

3. S'il s'en va de nouveau, il sera reçu ainsi jusqu'à trois fois, en sachant qu'ensuite on lui refusera toute autorisation de retour.

Commentaire :

« Il sera reçu ainsi jusqu’à trois fois ». Dans le_ chapitre précédent, nous avons entendu la grande clémence de St Benoit vis-à-vis d'un frère récalcitrant et endurci dans le but d'éviter à tout prix son renvoi. Ce matin, nous voyons cette même clémence à l'œuvre pour favoriser son retour, jusqu'à trois fois... Généreuse mesure humaine qui voudrait tenter de dire un possible, mais aussi de signifier la miséricorde divine qui elle est sans limite, éternelle ... un possible : trois fois indique une limite maximale. Nos vies humaines ne peuvent faire fi des limites. Nous en avons besoin pour nous structurer, pour ne pas nous bercer d'illusions et nous imaginer tout-puissant.

Mais nous pouvons aussi entendre dans ce « trois fois », une timide manifestation de la clémence divine qui ne se lasse pas de nos allers et retours et de nos tâtonnements. Pour Dieu, rien n'est irrévocable, ni fermé à celui qui revient. Dieu ne nous juge pas, mais il nous accueille toujours parce qu'il veut nous donner la vie, encore et toujours. Mystère de la mansuétude de Dieu qui épouse le mystère de la liberté humaine, en respectant ses possibles errances vers des impasses, sans jamais nous enfermer en celles-ci. Notre liberté a souvent besoin de buter sur un interdit, sur une difficulté, ou sur un échec pour comprendre et voir clair. Ainsi en est-il de notre_ chair humaine qui s'éprouve et avance en s'éprouvant.

Revenir jusqu'à trois fois peut nous faire pressentir aussi la confiance que Benoit porte en la capacité de chacun à puiser en lui les ressources profondes de l'humilité. Humilité à l'œuvre chez le frère parti, comme chez ceux qui le reçoivent de nouveau. Humilité du frère gui tâto1111e en ces allers et retours successifs. Quelque chose se creuse et le frère ne s'enferme pas sur sa propre honte ou sur la conscience de sa misère. Nous pouvons nous souvenir dans le film

« Silence ». sur les martyrs japonais du I 6°s, de ce chrétien qui a apostasié plusieurs fois et qui est revenu sans cesse demander le pardon. L'espérance d'être accueilli de nouveau prime avant tout. Elle oriente le regard non plus sur soi, mais sur les autres avec lesquels on veut vivre de nouveau. Exercice d'humilité aussi pour ceux gui reçoivent et apprennent alors quelque chose de l'humilité de Dieu. Comme lui, ils appre1111ent à ne pas regarder la blessure qu'a pu produire le départ du frère ou les ressentiments éprouvés, pour accueillir de manière nouvelle la relation. L'humilité est source de vie.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 28 v 01-08 De ceux qui sont repris ne veulent pas s'amender. écrit le 17 juillet 2021
Verset(s) :

1. Si un frère a été fréquemment repris pour une faute quelconque, si même après excommunication il ne s'amende pas, on lui infligera une punition plus rude, c'est-à-dire qu'on lui fera subir le châtiment des coups.

2. S'il ne se corrige pas non plus par ce moyen, ou que même, ce qu'à Dieu ne plaise, il se laisse emporter par l'orgueil et veuille défendre sa conduite, alors l'abbé agira comme un médecin sagace :

3. s'il a appliqué tour à tour les cataplasmes, l'onguent des exhortations, la médecine des divines Écritures, enfin le cautère de l'excommunication et des coups de verge,

4. et s'il voit que son industrie ne peut plus rien désormais, il aura encore recours à un remède supérieur : sa prière pour lui et celle de tous les frères,

5. afin que le Seigneur, qui peut tout, procure la santé à ce frère malade.

6. S'il ne se rétablit pas non plus de cette façon, alors l'abbé prendra le couteau pour amputer, comme dit l'Apôtre : « Retranchez le pervers du milieu de vous » ;

7. et encore : « Si l'infidèle s'en va, qu'il s'en aille »,

8. de peur qu'une brebis malade ne contamine tout le troupeau.

Commentaire :

Dans ce chapitre, je suis frappé par la suite de « si ». en cascade... Si le frère excommunié ne s'amende pas... si l'abbé a appliqué ... si le frère ne se rétablit pas non plus de cette façon ... Cette succession de propositions conditionnelles en dit long, à mon avis, sur Je désir de Benoit d'étudier toutes les ressources possibles à mettre en œuvre pour sauver ce frère qui s'entête. Comme législateur, il doit prévoir au mieux la diversité des situations afin de leur offrir le meilleur cadre régulateur possible. Dans cette situation extrême de tension entre un frère et la communauté, on perçoit que prévaut avant tout le sens pastoral.

Nous voyons aussi se côtoyer simultanément un grand esprit de foi et un vrai réalisme. Esprit de foi, quand St Benoit propose en dernier recours la prière qu'il avait déjà recommandée, au précédent chapitre, en début du dispositif mis en place pour le frère excommunié. La prière se fait plus insistante dans la conscience que ce qui est enjeu, n'est pas complètement humain. Nous le croyons, c'est Dieu gui sauve. Mais en de tels cas extrêmes, cela apparait plus clairement. Seule la grâce de ]'Esprit peut toucher le cœur et ouvrir les yeux. Nous pouvons nous souvenir de la parole de Jésus à propos de l'enfant possédé dont les disciples n'avaient pu chasser le mauvais esprit: « Cette espèce-là, rien ne peut la faire sortir, sauf/a prière» (Mc 9, 29). Jésus nous partage peut-être ici avant tout sa propre expérience de priant, tourné vers son Père. Il a appris de cette familiarité à connaitre et à faire la volonté de son Père qui désire le bien de tous. Quand il demande, il est exaucé, car sa demande s'accorde à la volonté du Père. Il nous invite à sa suite, à entrer sur ce chemin d'une prière confiante toujours en quête de s'accorder à la volonté de Dieu. Jésus en a donné le meilleur exemple à Gethsémani : « non pas ce que je veux, mais ce que tu veux»...

En même temps, Benoit fait preuve de réalisme. Parfois la prière ne se réalise pas. Le frère reste campé sur sa position. Notre esprit peut spontanément dire : pourquoi Dieu n'entend­ t-il pas? Il se pose rarement la question : ma prière était-elle juste? Était-elle vraiment enracinée dans la volonté de Dieu ? Le réalisme impose surtout une certaine sobriété, un certain silence à notre esprit trop enclin à vouloir tout expliquer. Le mystère d'un homme est toujours celui d'une liberté, bien ou mal éclairée, libre ou pas vraiment libre, mais en capacité de faire ou de ne pas faire. Devant ces impossibilités à rejoindre un frère, demeure cependant encore la prière. Une prière qui accepte de remettre toute chose en Dieu, dans la confiance qu'il saura en tirer un bien, là où semble prévaloir le mal.