vendredi 3 octobre 2025 : journée de solitude pour la communauté, messe vers 6h45 après Laudes.

Commentaires sur la Règle



Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 09 v 01-11 Combien de psaumes faut-il dire aux heures de la nuit? écrit le 17 mai 2021
Verset(s) :

1. En la saison d'hiver définie ci-dessus, on dira d'abord trois fois le verset : « Seigneur, tu ouvriras mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange. »

2. On y joindra le psaume trois et le gloria.

3. Après cela, le psaume quatre-vingt-quatorze avec antienne, ou du moins chanté d'un trait.

4. Alors suivra l'ambrosien ; ensuite six psaumes avec antiennes.

5. Quand on les aura dits, et qu’on aura dit le verset, l'abbé bénira, tous s'assiéront sur les bancs et des frères liront tour à tour dans un livre posé sur le pupitre trois leçons, entre lesquelles on chantera trois répons.

6. Deux répons seront dits sans gloria, mais après la troisième leçon, celui qui chante dira le gloria.

7. Quand le chantre commencera de le dire, aussitôt tous se lèveront de leurs sièges en signe d'honneur et de révérence pour la Sainte Trinité.

8. On lira aux vigiles les livres d'autorité divine de l'Ancien Testament aussi bien que du Nouveau, ainsi que les commentaires qu'en ont faits les Pères catholiques réputés et orthodoxes.

9. Après ces trois leçons avec leurs répons, suivront les six psaumes restants, qu'on chantera avec alleluia.

10. Après ceux-ci suivra la leçon de l'Apôtre, qu'on récitera par cœur, le verset et la supplication de la litanie, c'est-à-dire Kyrie eleison ,

11. et ainsi s'achèveront les vigiles nocturnes.

Commentaire :

Ce chapitre nous présente le cursus abondant des psaumes à dire et de lectures à entendre durant les vigiles. Nous pouvons réaliser alors combien, dans notre office, la Parole nous est offerte de deux manières, par notre bouche qui la profère et par nos oreilles qui l'entendent. Comme le suggère le Dt 30. 14, la Parole nous est offerte par notre bouche qui la chante : « Elle est tout près de toi cette Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique ». Et comme le dit le psalmiste, au Ps 62. 5-6, chanté le dimanche matin, cette louange est un vrai festin : « Toute ma vie, je vais te bénir, lever les mains en invoquant ton nom. Comme par un fèstin ie serai rassasié, la joie sur les lèvres, je dirai ta louange ». En même temps que nous chantons, que nous faisons un effort pour donner de notre voix, de notre attention, de notre présence, nous sommes nourris, et nourris très abondamment.

Il est heureux de reprendre conscience de cette richesse offerte à chacun de nos offices, et aux vigiles particulièrement. Comme c'est le cas de toutes les réalités de notre vie chrétienne, dans la liturgie, en même temps que nous nous donnons, nous recevons. Dans le même temps, où nous nous fatiguons, nous sommes revigorés. L'office nous fait entrer dans cette dynamique vertueuse qui est profondément spirituelle. Elle est l'œuvre de !'Esprit Saint en nous, lui qui est

« repos dans le labeur, fraicheur dans la fièvre », comme nous le chanterons dans la séquence avant l'évangile, le jour de la Pentecôte. Comme dans toutes les œuvres de !'Esprit Saint, nous mesurons qu'il se passe quelque chose, mais nous ne savons ni bien comment, ni quand ni d'où cela vient... Durant nos offices, est requise de nous une attitude active-passive, qui nous fait être simultanément bien présent dans l'exécution des chants et des lectures, et bien écoutant disponible à la Parole... La Parole dite par nous est toujours une Parole dite pour nous. Les mots se succèdent à profusion. Nous aurions tort de vouloir nous attacher à tous. A travers eux, est semée la Parole gui se fraie un chemin jusqu'à notre cœur. S'il ne nous est pas possible d'être toujours dans une attention soutenue, il nous revient de chercher à être là, et à revenir lorsqu'on part dans les nuages. Par ce mouvement d'attention renouvelée, offrons notre désir d'être disponible à la Parole. Le fruit ne nous appartient pas, mais la terre qui s'offre oui. Soyons devant notre Dieu comme une terre assoiffée...

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 08 v 01-04 Des offices divins au cours des nuits écrit le 06 mai 2021
Verset(s) :

1. En saison d'hiver, c'est-à-dire depuis les Calendes de novembre jusqu'à Pâques, il faut, suivant la norme raisonnable, se lever à la huitième heure de la nuit,

2. afin de se reposer un peu plus de la moitié de la nuit et d'être dispos au lever.

3. Quant à ce qui reste après les vigiles, les frères qui ont besoin d'apprendre quelque chose du psautier ou des leçons, l'emploieront à cette étude.

4. De Pâques aux susdites Calendes de novembre, on réglera l'heure de telle sorte que l'office des vigiles, après un tout petit intervalle où les frères pourront sortir pour les besoins de la nature, soit immédiatement suivi des matines, qui doivent être dites au point du jour.

Commentaire :

Après les chapitres spirituels, les chapitres formant le directoire de l'office liturgique. Sur les 13 chapitres qu'il comprend, 5 sont consacrés aux vigiles, preuve s'il en est de l'importance que Benoit accorde à la prière de la nuit, dans la ligne de la tradition ancienne reçue de l’Égypte. De manière très concrète, St Benoit commence par donner le cadre à cet office : le temps réservé au sommeil pour être dispos au lever, la manière d'utiliser le temps gui suit avant les matines (études en hiver, temps plus court pour les besoins de la nature en été).

On peut entendre dans ces remarques très simples, la conviction que cette prière nocturne fait vraiment partie de la vie quotidienne du moine dans un équilibre global. Nous nous sommes plusieurs fois posés la question à la Pierre-qui-Vire s'il fallait ou non continuer de célébrer les vigiles au milieu de la nuit. Et à chaque fois, conscients de notre fragilité, nous avons pensé qu'il était bon de garder cet horaire, tout en regrettant l'absence d'une petite ou plus grande moitié de la communauté selon les nuits... Les santés ne permettent pas à plusieurs d'y participer, comme elles ne le permettraient pas à un petit nombre en d'autres heures. Ce choix de maintenir les vigiles la nuit a été guidé en premier lieu par la conscience de vivre là une grâce particulière : celle d'une prière gratuite, en lien avec notre monde, une veille d'amour pour le Seigneur. A la différence du jour, la nuit avec son silence et son recueillement permet une aisance réelle dans la prière. Plus profondément, la prière de la nuit imprime à nos journées et à toute notre vie, la marque de la veille. De même que la nuit est raccourcie, et ouverte en quelque sorte, de même nos journées sont comme ouvertes par un certain inconfort ressenti dans notre corps. Nous pouvons éprouver parfois le poids d'une certaine fatigue. Nous devons alors faire attention à notre équilibre, veiller à ne pas être toujours à 150 à l'heure, faire la sieste peut-être, ne pas tarder à nous coucher le soir. Cet inconfort laisse en nous la marque d'un mangue (on ne peut pas faire toutes les lectures qu'on souhaiterait. .. ). Bien sûr, si nous sommes trop fatigués, il faut dormir. Mais il demeure que nous apprenons ainsi à chercher moins à jouir du moment présent, comme s'il était un absolu, qu'à vivre d'une autre attention, celle de la présence au Seigneur, qui est déjà là et qui vient. En quelque sorte, nos vigiles nous font davantage pèlerins, pèlerins toujours en quête d'une rencontre, d'un visage dont nous pressentons confusément qu'ils donneront tout son poids à notre existence...

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07 v 67-70 De l'humilité écrit le 05 mai 2021
Verset(s) :

67. Lors donc que le moine aura gravi tous ces degrés d'humilité, il arrivera à cet amour de Dieu qui est parfait et qui met dehors la crainte.

68. Grâce à lui, tout ce qu'il observait auparavant non sans frayeur, il commencera à le garder sans aucun effort, comme naturellement, par habitude,

69. non plus par crainte de la géhenne, mais par amour du Christ et par l'habitude même du bien et pour le plaisir que procurent les vertus.

70. Cet état, daigne le Seigneur le faire apparaître par le Saint-Esprit dans son ouvrier purifié de ses vices et de ses péchés !

Commentaire :

Le moine qui a gravi tous les degrés de l'échelle de !'humilité est en fait un homme gui est descendu jusqu'aux profondeurs de ses propres abimes, comme le laissait bien entendre le 12° entendu hier. Abime de son cœur broyé par la reconnaissance de son péché... Abime où de façon inattendue, il découvre en lui une source nouvelle qui s'ouvre : « l'Amour de Dieu qui est parfait et met dehors la crainte ... » Mystérieux travail de l'humilité qui, loin d'enfermer sur les misères reconnues, permet de les traverser pour ouvrir une nouvelle possibilité d'aimer. Nous peinons à imaginer comment cela peut se faire, car il s'agit à proprement parler d'une restauration de l'être. Elle est l'œuvre de !'Esprit qui fait apparaitre un tel état en chacun

« purifié de ses vices et de ses péchés... » S'accomplit ainsi la vie nouvelle annoncée par les prophètes. Le moine qui observe« comme naturellement. par habitude et par amour du Christ» les commandements, expérimente la réalisation de la promesse transmise par Jérémie : « Je mettrai ma loi au plus profond d'eux-mêmes; je l'inscrirai sur leur cœur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple» (Jr 31, 33). Nous sommes devant le profond travail de la grâce en nous... comme une promesse de vie surabondante, elle opère déjà.

Il est heureux de garder cet horizon en ligne de mire. Il éclaire notre quotidien très simple et parfois monotone. Cela est d'autant plus heureux que cet horizon est de l'ordre d'un cadeau dont on ne sait pas bien comment il arrive. On peut se demander : comment ne pas manquer ce cadeau? Peut-être n'y-a-t-il rien d'autre à faire que de nous appliquer à vivre notre vie monastique dans une attention de plus en plus fine. Être bien présent dans l'écoute de la Parole, dans la prière, dans l'écoute des frères, dans l'obéissance, dans le service. Il nous revient surtout de garder le désir d'être disponible, de nous laisser faire par !'Esprit qui nous incline ici ou là, nous laisser faire par les évènements qui bousculent les programmes et par les frères qui peuvent nous interpeller. .. Ecoute et humilité vont de pair. Docilité et humilité aussi... Nous touchons là la profondeur du travail spirituel, ce travail mené sous la conduite de !'Esprit. Si nous sommes « des ouvriers » comme le dit St Benoit, notre travail consiste autant, et peut-être plus, à nous laisser travailler qu'à travailler, ou à accomplir des choses. Depuis que lors de notre baptême, l'Amour a été répandu dans nos cœurs, il nous revient de laisser cette source irriguer tout notre être et le transformer. Chercher l'humilité, contribue à éviter les obstructions et à ouvrir toutes les vannes possibles à cette source vivifiante.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07 v 62-66 De l'humilité écrit le 04 mai 2021
Verset(s) :

62. Le douzième degré d'humilité est que, non content de l'avoir dans son cœur, le moine manifeste sans cesse son humilité jusque dans son corps à ceux qui le voient,

63. autrement dit, qu'à l'œuvre de Dieu, à l'oratoire, au monastère, au jardin, en voyage, aux champs, partout, qu'il soit assis, en marche ou debout, il ait sans cesse la tête inclinée, le regard fixé au sol,

64. et se croyant à tout instant coupable de ses péchés, il croie déjà comparaître au terrible jugement,

65. en se disant sans cesse dans son cœur ce que le publicain de l'Évangile disait, les yeux fixés au sol : « Seigneur, je ne suis pas digne, pécheur que je suis, de lever les yeux vers le ciel. »

66. Et aussi avec le prophète : « Je suis courbé et humilié au dernier point. »

Commentaire :

Avec ce 12° d'humilité, St Benoit met en évidence l'ultime signe du moine pénétré d'humilité. Par tout son corps, le moine exprime le moœ1ement intérieur d'abaissement qui l'habite. Comme le publicain dans le temple, il a la tête inclinée, et les yeux fixés au sol, n'osant

lever le regard, convaincu d'être en tout temps et en tout lieu en présence du terrible tribunal de Dieu. De nouveau, cette expression de l'humilité risque plus de nous rebuter que de nous attirer. D'un

point de vue corporel, notre f. Mathias, et Martine Buhrig avec lui, ne seraient pas d'accord de proposer comme modèle un tel homme à la tête inclinée... Notre morphologie humaine, nous diraient-ils, appelle plutôt que nous soyons la tête bien droite, élancée vers le ciel. Dans cette posture redressée, bien droite, ancrée dans le sol et étirée vers le ciel, l'être humain se déploie et respire mieux. En conséquence il fatigue et déprime moins. Bref, il vit mieux, plus humainement. Deux visions de l'homme, deux visions contradictoires? en bonne part oui...

Que retenir dès lors de ce que nous dit St Benoit? Je pense que nous ne pouvons pas prendre ses propos à la lettre et rechercher une humilité qui s'incarnerait dans cette posture corporelle, à nos yeux inadéquate... Il reste que nous pouvons nous laisser enseigner par sa conscience du radical néant de l'homme pécheur face à Dieu. Comme Jésus lui-même le fait comprendre, nous pouvons découvrir combien la figure du publicain qui se reconnait profondément pécheur est une lumière pour notre propre vie spirituelle. En contrepoint, nous mesurons combien l'orgueil peut être le pire danger qui ronge et mine notre vie sous le regard de Dieu. M. Delbrêl a des mots éclairants sur l'orgueil : « Orgueil monumental de notre jugement : on juge les gens, leurs qualités, leurs défauts : comme s'ils s'étaient faits eux­ mêmes, comme si le Seigneur nous était apparu nous le dire. Nous jugeons intelligence, dons, tee, comme si nous étions propriétaires de nous-mêmes. » (Œuvres Complètes, T 14, J'aurai voulu ... Paris 2016, p 174). Ce 12° qui décrit un être à l'esprit broyé dans la conscience de l'extrême petitesse qu'il a de lui-même, nous découvre en contraste, le monumental orgueil qui peut nous animer, ce serait-ce que dans notre propension si spontanée à émettre des jugements sur les personnes, à enfermer tel ou tel dans un défaut ou une apparence défavorable. Monumental orgueil qui nous positionne à la place de Dieu, et qui oublie que l'autre est sauvé par ses soins de la manière qui lui plait... Lorsque nous ouvrons les yeux sur cet orgueil qui peut se tenir tapi en nous, alors nous pouvons dire un peu plus en vérité : « Seigneur, je ne suis

pas digne, pécheur que je suis, de lever les yeux vers le ciel » ...

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07 v 56-61 De l'humilité écrit le 01 mai 2021
Verset(s) :

56. Le neuvième degré d'humilité est que le moine interdise à sa langue de parler et que, gardant le silence, il attende pour parler qu'on l'ait interrogé.

57. En effet, l'Écriture indique qu'« en parlant beaucoup, on n'évite pas le péché »,

58. et que « l'homme bavard ne marche pas droit sur la terre ».

59. Le dixième degré d'humilité est que l'on ne soit pas facile et prompt à rire, car il est écrit : « Le sot élève la voix pour rire. »

60. Le onzième degré d'humilité est que, quand le moine parle, il le fasse doucement et sans rire, humblement, avec sérieux, en ne tenant que des propos brefs et raisonnables, et qu'il se garde de tout éclat de voix,

61. ainsi qu'il est écrit : « Le sage se reconnaît à la brièveté de son langage. »

Commentaire :



Ces 3 degrés d'humilité restent toujours en bonne part hermétiques à notre compréhension spontanée. Dans notre culture contemporaine, on se méfie d'une certaine retenue des paroles et du paraitre qui s'apparente plus à de la maitrise et à du calcul qu'à de l'humilité. Le silence comme la parole, le rire comme la discrétion peuvent être ambigus. Pas l'un plus que l'autre n'est d'emblée signe d'humilité ou de vanité. Un franc rire, une parole toute simple et non feinte peut témoigner d'une réelle humilité. La personne est là sans fard. Elle ne se compose pas un personnage.

Autrement dit, ces degrés d'humilité nous invitent à un discernement plus fin. L'abstention de parole ou de rire n'est pas à elle seule un critère d'humilité suffisant. Ici, Benoit décrit davantage un état auquel le moine serait arrivé, qu'une stratégie pour devenir plus humble. Il ne do1111e pas un mode d'emploi, mais invite plutôt à reco1111aitre quelque chose qui se passe en soi. Comme le suggère St Benoit, auparavant je pouvais être «facile et prompt à rire », ou à parler, et puis un jour, je découvre une certaine liberté à me taire et à rester discret. Je ne suis pas triste qu'on ne me do1111e pas la parole, ou qu'on semble m'oublier. Je n'éprouve plus le besoin« d'en placer une» à tout prix... Je suis heureux d'entendre les autres et de me réjouir avec eux, sans avoir nécessairement mon mot, ou men« bon mot» à sortir... De manière épisodique, si ce n'est de manière constante ou habituelle, nous pouvons éprouver cela, comme une sorte de paix offerte, un état heureux, humble... Je crois que c'est cette humilité là à laquelle pense Benoit.

Dans l'usage de la parole entre nous, je vois un petit exercice d'humilité que nous pourrions pratiquer dans les groupes notamment : celui de s'écouter davantage dans nos échanges, lorsque nous abordons un sujet. En effet, je suis frappé par le fait qu'assez souvent, au lieu d'avoir le souci d'entrer dans la discussion, chacun est préoccupé de dire ce gui lui passe par la tête, sans grande attention à l'échange commun. On arrive alors à une succession de points de vue avec de grandes digressions sans nourrir vraiment la recherche ou l'attention à ce que dit un frère. Il me semble que cette attention est un exercice d'humilité. Il demande en effet de se soucier avant tout de la parole échangée ou du frère qui parle. Il requiert non pas tant d'en placer une à tout prix, mais d'écouter pour apporter sa contribution à l'échange.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07 v 55 De l'humilité écrit le 30 avril 2021
Verset(s) :

55. Le huitième degré d'humilité est que le moine ne fasse rien qui ne se recommande de la règle commune du monastère et des exemples des supérieurs.

Commentaire :



Il est frappant de constater combien dans notre vie humaine, nous ne cessons d'agir en prenant modèle sur les autres. Depuis la tendre enfance jusqu'au dernier souffle, nous apprenons à marcher dans la vie en regardant comment font les autres. Lorsqu'un enseignant, ou un maitre d'apprentissage d'un art ou d'un métier, transmet son savoir-faire, il partage en bonne part ce qu'il a lui-même appris d'autres. S'y ajoutent bien sûr sa manière de voir, ainsi que ses propres trouvailles. Les maitres qui marquent davantage sont alors ceux qui ont réussi des synthèses nouvelles pour ouvrir des chemins non encore défrichés... En va-t-il autrement dans la vie monastique? Nous apprenons celle-ci au contact d'anciens qui nous font voir ce qu'il faut faire, comment on célèbre la liturgie, comment on prie, comment on travaille... au fur et à mesure du temps, nous comprenons mieux comment on devient moine. Nous repérons et apprenons à distinguer les gestes et les paroles qui nous font vraiment vivre de ceux qui pourraient nous égarer. .. les voies de vie et les impasses. Ce 8° degré de l'échelle qui invite à ne pas chercher des voies originales hors de la règle commune et des exemples des anciens, est plein d'humanité. Humanité et humilité vont toujours de pair. C'est être profondément humain et profondément humble que de consentir à ce mouvement de réception de la vie monastique à travers l'imitation et la répétition de tant de gestes et de paroles reçus, souvent à notre insu. L'humilité ici consiste en bonne part à faire confiance à la vie qui est donnée généreusement dans un quotidien tout simple. S'il peut nous en coûter à certains jours, il nous faut faire confiance. Les anciens nous donnent à voir combien est féconde dans la durée la persévérance dans les différents aspects de notre vie monastique. Qu'il s'agisse de la répétition fidèle de la Iectio divina reprise chaque matin et de celle de la prière des heures, mais aussi de la simplicité des services rendus à table ou dans la vie commune, ou encore du travail accompli avec constance. Notre humanité grandit humblement dans ce lent travail, dans cette fidélité à un mode de vie qui veut nous rendre plus à l'écoute de la Parole de Dieu et de la parole des frères. Insister sur ce lent processus de vie reçue par la transmission des plus anciens aux plus jeunes, ne gomme pas la possibilité de nouveauté ou de créativité. Je crois même que c'est dans cette humanisation progressive et humble que va pouvoir naitre d'authentiques nouvelles manières et vivre et de faire. Elles surgiront alors moins comme le désir de faire du neuf pour faire du neuf que comme l'expression d'une fécondité nécessaire à notre aujourd'hui.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07 v 49-54 De l'humilité écrit le 29 avril 2021
Verset(s) :

49. Le sixième degré d'humilité est que le moine se contente de tout ce qu'il y a de plus vil et de plus abject, et que, par rapport à tout ce qu'on lui commande, il se juge comme un ouvrier mauvais et indigne,

50. en se disant avec le prophète : « J'ai été réduit à néant et je n'ai rien su. J'ai été comme une bête brute auprès de toi et je suis toujours avec toi. »

51. Le septième degré d'humilité est que, non content de déclarer avec sa langue qu'on est le dernier et le plus vil de tous, on le croie en outre dans l'intime sentiment de son cœur,

52. en s'humiliant et en disant avec le prophète : « Pour moi, je suis un ver et non un homme, l'opprobre des hommes et le rebut du peuple.

53. J'ai été exalté, humilié et confondu. »

54. Et aussi : « Il m'est bon que tu m'aies humilié, pour que j'apprenne tes commandements. »

Commentaire :



« Il est bon que tu m'aies humilié, pour que j 'apprenne tes commandements » ... Il est bon que tu m'aies humilié.... Pouvoir parler ainsi est déjà un signe notable d'humilité... le 7°. Se juger comme un ouvrier indigne aussi... Mais comme dans toutes les choses spirituelles, elles ne peuvent être vécues et comprises que dans la lumière de !'Esprit de Jésus. Dans le cas présent, il ne s'agit pas d'une dépréciation plus ou moins maladive de soi, selon laquelle on peut être à son égard, un juge implacable ... Derrière cette rigueur apparente, voire dureté, peut se cacher un très grand orgueil. .. celui de se vouloir capable de maitriser absolument son agir, ses pensées etc... L'humilité que cette échelle nous invite à approfondir voudrait nous conduire à ce lieu intérieur où l'on apprend à reconnaitre notre néant radical, existentiel. En ce lieu, nous sommes conviés à ne plus nous appuyer sur l'image que nous nous faisons de nous-même,« j'ai été comme une brute auprès de toi», ou encore sur l'image que les autres devraient nous renvoyer, «je suis l'opprobre des hommes et le rebut du peuple». Autant d'appuis que nous recherchons pensant trouver là notre assurance. Si l'on veut vivre en vérité, il nous faut aller plus loin. Quitter une certaine complaisance avec soi-même qui est illusoire. Car en effet, sous quel regard pouvons-nous nous tenir sans illusion de nous tromper, n'est-ce pas celui de notre Père des cieux ? Lui seul nous connait en toute vérité. Lui seul nous aime pour ce que nous sommes vraiment, et non pour ce que nous cherchons à être ou à faire.

Concrètement, nous pouvons être attentifs à notre vie quotidienne. Nos réactions nous feront signe de là où nous sommes vraiment. De cette manière, M. Delbrêl invitait ses équipières par exemple à « Etre ce que nous sommes. Nous ne savons que très lentement ce que nous sommes. Ce qu'un ensemble de gens nous disent est généralement vrai pour nos défauts, mais nous ne tenons pas à le savoir, et cela ne nous fait pas plaisir. Voir ce que nous pensons de ce qui nous manque; sic 'est bien ce les autres en disent. Voir comment on réagit devant un« as » (on dirait devant quelqu'un de brillant ou de plus doué que nous) : (sommes-nous)pas à l'aise ? troublé ? ... Si une aptitude nous manque, ne pas se trouver désemparé... mais ne pas faire comme si on l'avait»... (Œuvres Complètes, T 14, J'aurai voulu ... Paris 2016, p 175)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07 v 44-48 De l'humilité écrit le 28 avril 2021
Verset(s) :

44. Le cinquième degré d'humilité est que, par une humble confession, on ne cache à son abbé aucune des pensées mauvaises qui se présentent à son cœur, ni des mauvaises actions qu’on a commises en secret.

45. L'Écriture nous y exhorte en disant : « Révèle ta voie au Seigneur et espère en lui. »

46. Et elle dit aussi : « Confessez-vous au Seigneur, parce qu'il est bon, parce que sa miséricorde est à jamais. »

47. Et à son tour le prophète : « Je t'ai fait connaître mon délit et je n'ai pas dissimulé mes injustices.

48. J'ai dit : je m'accuserai de mes injustices devant le Seigneur, et tu as pardonné l'impiété de mon cœur. »

Commentaire :



Dans ce 5° de l'échelle de l'humilité, je suis frappé par le lien qu'il suggère entre la prière et l'ouverture du cœur. En effet toutes les citations bibliques appelées à éclairer et à motiver le bienfait de 1'ouverture du cœur à l'abbé, sont tirées des Psaumes. Il ressort de 1'argumentation de Benoit que dire ses mauvaises pensées ou actions commises en secret à l'abbé, c'est de manière identique les dire au Seigneur, et vice et versa. A travers cette parole à l'abbé, c'est la qualité du dialogue avec le Seigneur dans la prière qui est visée. C'est lui qui est la raison profonde de l'ouverture du cœur: celle-ci vise à libérer la conscience de poids ou de pensées parasites qui empêche la véritable ouverture du cœur au Seigneur. Nous sommes un. Lorsque des pensées nous accaparent l'esprit et le cœur, lorsque des actions commises nous rongent, notre prière et la vérité de notre être devant le Seigneur s'en trouvent perturbées. Un peu comme une eau qui est troublée par les pas qui piétinent dedans et font remonter les boues... Notre cœur est fait pour la paix. Comme moine, appelé à chercher la paix, il nous revient comme une exigence de ne pas négliger les situations qui nous troublent. La tentation est de ne pas les regarder en face, et de les fuir par exemple dans des distractions futiles ou oiseuses, voire dans le travail qui épuise pour mieux oublier. Avec courage, il nous revient de poursuivre la paix, la vraie paix celle gui nous remet en grâce avec le Seigneur et avec nos frères. Là où la prière seule ne suffit pas à dissiper le trouble, l'ouverture du cœur s'offre à nous comme un précieux instrument. Aujourd'hui, on ajouterait aussi le sacrement de la réconciliation. Les deux se conjuguent pour nous redonner cette légèreté des enfants de Dieu qui sont aimés et regardés avec bienveillance par notre Père des Cieux, alors que notre cœur peut nous accuser. Le repentir et l'ouverture du cœur en nous faisant descendre plus profondément dans notre cœur, nous découvrent un Père gui nous aime. Alors que la peur nous enferme dans la fausse image d'un Dieu juge, Dieu notre Père n'attend qu'une chose, que nous revenions à lui et qu'ainsi nous lui fassions l'honneur de croire en sa bonté. « Je rendrai grâce au Seigneur en confessant mes péchés»...

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07 v 35-43 De l'humilité écrit le 27 avril 2021
Verset(s) :

35. Le quatrième degré d'humilité est que, dans l'exercice même de l'obéissance, quand on se voit imposer des choses dures et contrariantes, voire des injustices de toute sorte, on embrasse la patience silencieusement dans la conscience,

36. et que, tenant bon, on ne se décourage ni ne recule, selon le mot de l'Écriture : « Celui qui persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé. ;»

37. Et aussi : « Que ton cœur soit ferme ! Supporte le Seigneur. »

38. Et voulant montrer que le fidèle doit même supporter pour le Seigneur toutes les contrariétés, elle place ces paroles dans la bouche de ceux qui souffrent : « A cause de toi, nous sommes mis à mort chaque jour. On nous regarde comme des brebis de boucherie. »

39. Et sûrs de la récompense divine qu'ils espèrent, ils poursuivent en disant joyeusement : « Mais en tout cela, nous triomphons, à cause de celui qui nous a aimés. »

40. Et ailleurs, l'Écriture dit aussi : « Tu nous as éprouvés, ô Dieu, tu nous as fait passer par le feu, comme on fait passer au feu l'argent. Tu nous as fait tomber dans le filet. Tu nous as mis sur le dos des tribulations. »

41. Et pour montrer que nous devons être sous un supérieur, elle poursuit en ces termes : « Tu as fait chevaucher des hommes sur nos têtes. »

42. En outre, ils accomplissent le précepte du Seigneur par la patience dans les adversités et les injustices : frappés sur une joue, ils présentent aussi l'autre ; à qui ôte leur tunique, ils abandonnent aussi le manteau ; requis pour un mille, ils en font deux ;

43. avec l'Apôtre Paul, ils supportent les faux frères, et ils supportent la persécution et quand on les maudit, ils bénissent.

Commentaire :



En guise de commentaire de ce 4° d'humilité qui introduit dans le mystère de la contradiction et de l'humiliation associant le moine très concrètement au mystère pascal du Christ, je voudrais partager une page de M. Delbrêl (Œuvres Complètes, T 14, J'aurai voulu... Paris 2016, p 180). Elle évoque la manière décapante avec laquelle Dieu nous conduit à

l'humilité à travers les évènements, comme en ce 4°.

Elle recommande tout d'abord de « prier pour demander l'humilité, sans restriction dans les moyens que Dieu voudra. Prier pour reconnaitre la main de Dieu dans les faits qui nous proposeront la vraie humilité. Prier pour les accepter.

« Quand Dieu donne l'humilité, son premier soin est de désorienter sa créature (cf Job). L'évènement arrive, (il est) fait à la mesure de chacun ; (il est) incohérent pour les logiques, logique pour les fantaisistes ; venant des hommes à qui aime les hommes ; (venant) du corps ou de l'esprit à qui se suffisait; il rend débiteur celui qui ne devait rien.

(L'évènement) dépouille celui qui conservait; il change de catégorie celui qui croyait à la sienne ;force l'autre à n'en pas avoir.

Presque toujours, (l'évènement) fait réussir Dieu à travers l'échec d'un homme, quelque fois quand cet homme est mort ...

(L'évènement) fait estimer celui qui se trouve méprisable et qui s'en juge ridicule ; il rend méprisé celui qui se pense le moins misérable ...

Ce mystère de l 'humiliation est celui qui constitue peut-être une épreuve plus rude que l'échec pour la créature de Dieu douée de raison. Les points de repères normaux y disparaissent. Ce mystère seul sans doute peut conduire à une obéissance absolument gratuite de la volonté de Dieu et à un amour gratuit des hommes dont les contradictions font qu'on ne peut rien en attendre»

M. Delbrêl suggère bien, à l'instar de ce 4°, que puisqu'aucun de nous n'aime les contradictions ou les humiliations, pour avancer dans l'humilité, ce sont les évènements qui s'en chargent, en prenant le contrepied de nos assurances ou de nos sécurités. La grâce pour chacun de nous est certainement de reconnaitre à travers eux « la main de Dieu » qui nous apprend ainsi une obéissance plus gratuite à sa volonté, et un amour plus gratuit des hommes alors même qu'on ne peut rien en attendre...

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07 v 34 De l'humilité écrit le 17 avril 2021
Verset(s) :

34. Le troisième degré d'humilité est que, pour l'amour de Dieu, on se soumette au supérieur en toute obéissance, imitant le Seigneur, dont l'Apôtre dit : « S'étant fait obéissant jusqu'à la mort. »

Commentaire :



Pour ce 3° degré, St Benoit fait plusieurs modifications au texte qu'il reçoit de RM 10, 45-51 : d'une part il réduit beaucoup le texte en éliminant plusieurs citations scripturaires, et d'autre part il ajoute la mention « pour l'amour de Dieu». Dès lors ressort avec plus de force de ce 3 ° de 1'échelle plus concis, combien 1'obéissance du moine au supérieur est assimilée à l'obéissance du Christ à son Père.. .Imitant le Seigneur dont /'Apôtre dit: « s'étant fait obéissant jusqu'à la mort». Comparaison vertigineuse car elle associe 1'obéissance à la mort, et elle donne une place délicate à l'abbé. Si cette comparaison peut faire peur et au moine et à

l'abbé, par son aspect difficilement pensable, mais la peur est mauvaise conseillère, elle nous entraine à approfondir le mystère de l'obéissance. Celle-ci place chacun de nous au cœur du mystère pascal du Christ. Lorsque le Seigneur nous appelle à la vie monastique, et à faire vœu d'obéissance, il nous invite à suivre au plus près le Christ. Mystère de notre vocation que nous n'avons pas fini de découvrir et d'approfondir. Mais il serait bien erroné de penser que notre vie monastique est une fom1e de suicide à petit feu. Nous n·emboitons pas le pas à Thomas qui, au moment où Jésus retourne en Judée auprès de son ami Lazare, disait : « Allons-nous aussi pour mourir avec lui (Jésus)» (Jn 11, 16). Oui, nous ne choisissons pas la vie monastique pour mourir, mais bien pour vivre pleinement du Christ. le Vivant. Ainsi voulons-nous donner à notre baptême toute son expression. Morts avec le Christ, nous voulons coopérer activement à la vie nouvelle qui est semée en nous, et ravivée à chaque eucharistie. Dans ce déploiement, notre vœu d'obéissance est comme un levier. En effet, il est l'instrument majeur par lequel le Christ a opéré notre salut, offrant son obéissance aimante en place de notre désobéissance méfiante. Par notre obéissance, nous œuvrons à notre libération en renonçant à l'autonomie illusoire qui nous laisse penser que nous sommes seul au monde. Nous participons ainsi au profond travail de la Rédemption qui se poursuit dans l'Eglise et qui déploie toutes les énergies reçues du Christ ressuscité. Il me semble important pour chacun de nous de nourrir notre obéissance à la lumière du mystère pascal du Christ. C'est lui qui lui apporte tout son sens et sa vraie dimension. Quand St Benoit ajoute l'expression« pour l'amour de Dieu», il nous offre une clé précieuse. Avec le Christ, le moine puise dans son amour pour Dieu la force d'obéir, de soumettre ce qu'il vit au regard d'un autre, dans la recherche du bien de la communauté. L'amour de Dieu accueilli et reconnu dans nos vies, nourrit notre propre capacité à obéir par amour. C'est un échange de vie.