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62. Le douzième degré d'humilité est que, non content de l'avoir dans son cœur, le moine manifeste sans cesse son humilité jusque dans son corps à ceux qui le voient,
63. autrement dit, qu'à l'œuvre de Dieu, à l'oratoire, au monastère, au jardin, en voyage, aux champs, partout, qu'il soit assis, en marche ou debout, il ait sans cesse la tête inclinée, le regard fixé au sol,
64. et se croyant à tout instant coupable de ses péchés, il croie déjà comparaître au terrible jugement,
65. en se disant sans cesse dans son cœur ce que le publicain de l'Évangile disait, les yeux fixés au sol : « Seigneur, je ne suis pas digne, pécheur que je suis, de lever les yeux vers le ciel. »
66. Et aussi avec le prophète : « Je suis courbé et humilié au dernier point. »
Avec ce 12° d'humilité, St Benoit met en évidence l'ultime signe du moine pénétré d'humilité. Par tout son corps, le moine exprime le moœ1ement intérieur d'abaissement qui l'habite. Comme le publicain dans le temple, il a la tête inclinée, et les yeux fixés au sol, n'osant
lever le regard, convaincu d'être en tout temps et en tout lieu en présence du terrible tribunal de Dieu. De nouveau, cette expression de l'humilité risque plus de nous rebuter que de nous attirer. D'un
point de vue corporel, notre f. Mathias, et Martine Buhrig avec lui, ne seraient pas d'accord de proposer comme modèle un tel homme à la tête inclinée... Notre morphologie humaine, nous diraient-ils, appelle plutôt que nous soyons la tête bien droite, élancée vers le ciel. Dans cette posture redressée, bien droite, ancrée dans le sol et étirée vers le ciel, l'être humain se déploie et respire mieux. En conséquence il fatigue et déprime moins. Bref, il vit mieux, plus humainement. Deux visions de l'homme, deux visions contradictoires? en bonne part oui...
Que retenir dès lors de ce que nous dit St Benoit? Je pense que nous ne pouvons pas prendre ses propos à la lettre et rechercher une humilité qui s'incarnerait dans cette posture corporelle, à nos yeux inadéquate... Il reste que nous pouvons nous laisser enseigner par sa conscience du radical néant de l'homme pécheur face à Dieu. Comme Jésus lui-même le fait comprendre, nous pouvons découvrir combien la figure du publicain qui se reconnait profondément pécheur est une lumière pour notre propre vie spirituelle. En contrepoint, nous mesurons combien l'orgueil peut être le pire danger qui ronge et mine notre vie sous le regard de Dieu. M. Delbrêl a des mots éclairants sur l'orgueil : « Orgueil monumental de notre jugement : on juge les gens, leurs qualités, leurs défauts : comme s'ils s'étaient faits eux mêmes, comme si le Seigneur nous était apparu nous le dire. Nous jugeons intelligence, dons, tee, comme si nous étions propriétaires de nous-mêmes. » (Œuvres Complètes, T 14, J'aurai voulu ... Paris 2016, p 174). Ce 12° qui décrit un être à l'esprit broyé dans la conscience de l'extrême petitesse qu'il a de lui-même, nous découvre en contraste, le monumental orgueil qui peut nous animer, ce serait-ce que dans notre propension si spontanée à émettre des jugements sur les personnes, à enfermer tel ou tel dans un défaut ou une apparence défavorable. Monumental orgueil qui nous positionne à la place de Dieu, et qui oublie que l'autre est sauvé par ses soins de la manière qui lui plait... Lorsque nous ouvrons les yeux sur cet orgueil qui peut se tenir tapi en nous, alors nous pouvons dire un peu plus en vérité : « Seigneur, je ne suis
pas digne, pécheur que je suis, de lever les yeux vers le ciel » ...
56. Le neuvième degré d'humilité est que le moine interdise à sa langue de parler et que, gardant le silence, il attende pour parler qu'on l'ait interrogé.
57. En effet, l'Écriture indique qu'« en parlant beaucoup, on n'évite pas le péché »,
58. et que « l'homme bavard ne marche pas droit sur la terre ».
59. Le dixième degré d'humilité est que l'on ne soit pas facile et prompt à rire, car il est écrit : « Le sot élève la voix pour rire. »
60. Le onzième degré d'humilité est que, quand le moine parle, il le fasse doucement et sans rire, humblement, avec sérieux, en ne tenant que des propos brefs et raisonnables, et qu'il se garde de tout éclat de voix,
61. ainsi qu'il est écrit : « Le sage se reconnaît à la brièveté de son langage. »
Ces 3 degrés d'humilité restent toujours en bonne part hermétiques à notre compréhension spontanée. Dans notre culture contemporaine, on se méfie d'une certaine retenue des paroles et du paraitre qui s'apparente plus à de la maitrise et à du calcul qu'à de l'humilité. Le silence comme la parole, le rire comme la discrétion peuvent être ambigus. Pas l'un plus que l'autre n'est d'emblée signe d'humilité ou de vanité. Un franc rire, une parole toute simple et non feinte peut témoigner d'une réelle humilité. La personne est là sans fard. Elle ne se compose pas un personnage.
Autrement dit, ces degrés d'humilité nous invitent à un discernement plus fin. L'abstention de parole ou de rire n'est pas à elle seule un critère d'humilité suffisant. Ici, Benoit décrit davantage un état auquel le moine serait arrivé, qu'une stratégie pour devenir plus humble. Il ne do1111e pas un mode d'emploi, mais invite plutôt à reco1111aitre quelque chose qui se passe en soi. Comme le suggère St Benoit, auparavant je pouvais être «facile et prompt à rire », ou à parler, et puis un jour, je découvre une certaine liberté à me taire et à rester discret. Je ne suis pas triste qu'on ne me do1111e pas la parole, ou qu'on semble m'oublier. Je n'éprouve plus le besoin« d'en placer une» à tout prix... Je suis heureux d'entendre les autres et de me réjouir avec eux, sans avoir nécessairement mon mot, ou men« bon mot» à sortir... De manière épisodique, si ce n'est de manière constante ou habituelle, nous pouvons éprouver cela, comme une sorte de paix offerte, un état heureux, humble... Je crois que c'est cette humilité là à laquelle pense Benoit.
Dans l'usage de la parole entre nous, je vois un petit exercice d'humilité que nous pourrions pratiquer dans les groupes notamment : celui de s'écouter davantage dans nos échanges, lorsque nous abordons un sujet. En effet, je suis frappé par le fait qu'assez souvent, au lieu d'avoir le souci d'entrer dans la discussion, chacun est préoccupé de dire ce gui lui passe par la tête, sans grande attention à l'échange commun. On arrive alors à une succession de points de vue avec de grandes digressions sans nourrir vraiment la recherche ou l'attention à ce que dit un frère. Il me semble que cette attention est un exercice d'humilité. Il demande en effet de se soucier avant tout de la parole échangée ou du frère qui parle. Il requiert non pas tant d'en placer une à tout prix, mais d'écouter pour apporter sa contribution à l'échange.
55. Le huitième degré d'humilité est que le moine ne fasse rien qui ne se recommande de la règle commune du monastère et des exemples des supérieurs.
Il est frappant de constater combien dans notre vie humaine, nous ne cessons d'agir en prenant modèle sur les autres. Depuis la tendre enfance jusqu'au dernier souffle, nous apprenons à marcher dans la vie en regardant comment font les autres. Lorsqu'un enseignant, ou un maitre d'apprentissage d'un art ou d'un métier, transmet son savoir-faire, il partage en bonne part ce qu'il a lui-même appris d'autres. S'y ajoutent bien sûr sa manière de voir, ainsi que ses propres trouvailles. Les maitres qui marquent davantage sont alors ceux qui ont réussi des synthèses nouvelles pour ouvrir des chemins non encore défrichés... En va-t-il autrement dans la vie monastique? Nous apprenons celle-ci au contact d'anciens qui nous font voir ce qu'il faut faire, comment on célèbre la liturgie, comment on prie, comment on travaille... au fur et à mesure du temps, nous comprenons mieux comment on devient moine. Nous repérons et apprenons à distinguer les gestes et les paroles qui nous font vraiment vivre de ceux qui pourraient nous égarer. .. les voies de vie et les impasses. Ce 8° degré de l'échelle qui invite à ne pas chercher des voies originales hors de la règle commune et des exemples des anciens, est plein d'humanité. Humanité et humilité vont toujours de pair. C'est être profondément humain et profondément humble que de consentir à ce mouvement de réception de la vie monastique à travers l'imitation et la répétition de tant de gestes et de paroles reçus, souvent à notre insu. L'humilité ici consiste en bonne part à faire confiance à la vie qui est donnée généreusement dans un quotidien tout simple. S'il peut nous en coûter à certains jours, il nous faut faire confiance. Les anciens nous donnent à voir combien est féconde dans la durée la persévérance dans les différents aspects de notre vie monastique. Qu'il s'agisse de la répétition fidèle de la Iectio divina reprise chaque matin et de celle de la prière des heures, mais aussi de la simplicité des services rendus à table ou dans la vie commune, ou encore du travail accompli avec constance. Notre humanité grandit humblement dans ce lent travail, dans cette fidélité à un mode de vie qui veut nous rendre plus à l'écoute de la Parole de Dieu et de la parole des frères. Insister sur ce lent processus de vie reçue par la transmission des plus anciens aux plus jeunes, ne gomme pas la possibilité de nouveauté ou de créativité. Je crois même que c'est dans cette humanisation progressive et humble que va pouvoir naitre d'authentiques nouvelles manières et vivre et de faire. Elles surgiront alors moins comme le désir de faire du neuf pour faire du neuf que comme l'expression d'une fécondité nécessaire à notre aujourd'hui.
49. Le sixième degré d'humilité est que le moine se contente de tout ce qu'il y a de plus vil et de plus abject, et que, par rapport à tout ce qu'on lui commande, il se juge comme un ouvrier mauvais et indigne,
50. en se disant avec le prophète : « J'ai été réduit à néant et je n'ai rien su. J'ai été comme une bête brute auprès de toi et je suis toujours avec toi. »
51. Le septième degré d'humilité est que, non content de déclarer avec sa langue qu'on est le dernier et le plus vil de tous, on le croie en outre dans l'intime sentiment de son cœur,
52. en s'humiliant et en disant avec le prophète : « Pour moi, je suis un ver et non un homme, l'opprobre des hommes et le rebut du peuple.
53. J'ai été exalté, humilié et confondu. »
54. Et aussi : « Il m'est bon que tu m'aies humilié, pour que j'apprenne tes commandements. »
« Il est bon que tu m'aies humilié, pour que j 'apprenne tes commandements » ... Il est bon que tu m'aies humilié.... Pouvoir parler ainsi est déjà un signe notable d'humilité... le 7°. Se juger comme un ouvrier indigne aussi... Mais comme dans toutes les choses spirituelles, elles ne peuvent être vécues et comprises que dans la lumière de !'Esprit de Jésus. Dans le cas présent, il ne s'agit pas d'une dépréciation plus ou moins maladive de soi, selon laquelle on peut être à son égard, un juge implacable ... Derrière cette rigueur apparente, voire dureté, peut se cacher un très grand orgueil. .. celui de se vouloir capable de maitriser absolument son agir, ses pensées etc... L'humilité que cette échelle nous invite à approfondir voudrait nous conduire à ce lieu intérieur où l'on apprend à reconnaitre notre néant radical, existentiel. En ce lieu, nous sommes conviés à ne plus nous appuyer sur l'image que nous nous faisons de nous-même,« j'ai été comme une brute auprès de toi», ou encore sur l'image que les autres devraient nous renvoyer, «je suis l'opprobre des hommes et le rebut du peuple». Autant d'appuis que nous recherchons pensant trouver là notre assurance. Si l'on veut vivre en vérité, il nous faut aller plus loin. Quitter une certaine complaisance avec soi-même qui est illusoire. Car en effet, sous quel regard pouvons-nous nous tenir sans illusion de nous tromper, n'est-ce pas celui de notre Père des cieux ? Lui seul nous connait en toute vérité. Lui seul nous aime pour ce que nous sommes vraiment, et non pour ce que nous cherchons à être ou à faire.
Concrètement, nous pouvons être attentifs à notre vie quotidienne. Nos réactions nous feront signe de là où nous sommes vraiment. De cette manière, M. Delbrêl invitait ses équipières par exemple à « Etre ce que nous sommes. Nous ne savons que très lentement ce que nous sommes. Ce qu'un ensemble de gens nous disent est généralement vrai pour nos défauts, mais nous ne tenons pas à le savoir, et cela ne nous fait pas plaisir. Voir ce que nous pensons de ce qui nous manque; sic 'est bien ce les autres en disent. Voir comment on réagit devant un« as » (on dirait devant quelqu'un de brillant ou de plus doué que nous) : (sommes-nous)pas à l'aise ? troublé ? ... Si une aptitude nous manque, ne pas se trouver désemparé... mais ne pas faire comme si on l'avait»... (Œuvres Complètes, T 14, J'aurai voulu ... Paris 2016, p 175)
44. Le cinquième degré d'humilité est que, par une humble confession, on ne cache à son abbé aucune des pensées mauvaises qui se présentent à son cœur, ni des mauvaises actions qu’on a commises en secret.
45. L'Écriture nous y exhorte en disant : « Révèle ta voie au Seigneur et espère en lui. »
46. Et elle dit aussi : « Confessez-vous au Seigneur, parce qu'il est bon, parce que sa miséricorde est à jamais. »
47. Et à son tour le prophète : « Je t'ai fait connaître mon délit et je n'ai pas dissimulé mes injustices.
48. J'ai dit : je m'accuserai de mes injustices devant le Seigneur, et tu as pardonné l'impiété de mon cœur. »
Dans ce 5° de l'échelle de l'humilité, je suis frappé par le lien qu'il suggère entre la prière et l'ouverture du cœur. En effet toutes les citations bibliques appelées à éclairer et à motiver le bienfait de 1'ouverture du cœur à l'abbé, sont tirées des Psaumes. Il ressort de 1'argumentation de Benoit que dire ses mauvaises pensées ou actions commises en secret à l'abbé, c'est de manière identique les dire au Seigneur, et vice et versa. A travers cette parole à l'abbé, c'est la qualité du dialogue avec le Seigneur dans la prière qui est visée. C'est lui qui est la raison profonde de l'ouverture du cœur: celle-ci vise à libérer la conscience de poids ou de pensées parasites qui empêche la véritable ouverture du cœur au Seigneur. Nous sommes un. Lorsque des pensées nous accaparent l'esprit et le cœur, lorsque des actions commises nous rongent, notre prière et la vérité de notre être devant le Seigneur s'en trouvent perturbées. Un peu comme une eau qui est troublée par les pas qui piétinent dedans et font remonter les boues... Notre cœur est fait pour la paix. Comme moine, appelé à chercher la paix, il nous revient comme une exigence de ne pas négliger les situations qui nous troublent. La tentation est de ne pas les regarder en face, et de les fuir par exemple dans des distractions futiles ou oiseuses, voire dans le travail qui épuise pour mieux oublier. Avec courage, il nous revient de poursuivre la paix, la vraie paix celle gui nous remet en grâce avec le Seigneur et avec nos frères. Là où la prière seule ne suffit pas à dissiper le trouble, l'ouverture du cœur s'offre à nous comme un précieux instrument. Aujourd'hui, on ajouterait aussi le sacrement de la réconciliation. Les deux se conjuguent pour nous redonner cette légèreté des enfants de Dieu qui sont aimés et regardés avec bienveillance par notre Père des Cieux, alors que notre cœur peut nous accuser. Le repentir et l'ouverture du cœur en nous faisant descendre plus profondément dans notre cœur, nous découvrent un Père gui nous aime. Alors que la peur nous enferme dans la fausse image d'un Dieu juge, Dieu notre Père n'attend qu'une chose, que nous revenions à lui et qu'ainsi nous lui fassions l'honneur de croire en sa bonté. « Je rendrai grâce au Seigneur en confessant mes péchés»...
35. Le quatrième degré d'humilité est que, dans l'exercice même de l'obéissance, quand on se voit imposer des choses dures et contrariantes, voire des injustices de toute sorte, on embrasse la patience silencieusement dans la conscience,
36. et que, tenant bon, on ne se décourage ni ne recule, selon le mot de l'Écriture : « Celui qui persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé. ;»
37. Et aussi : « Que ton cœur soit ferme ! Supporte le Seigneur. »
38. Et voulant montrer que le fidèle doit même supporter pour le Seigneur toutes les contrariétés, elle place ces paroles dans la bouche de ceux qui souffrent : « A cause de toi, nous sommes mis à mort chaque jour. On nous regarde comme des brebis de boucherie. »
39. Et sûrs de la récompense divine qu'ils espèrent, ils poursuivent en disant joyeusement : « Mais en tout cela, nous triomphons, à cause de celui qui nous a aimés. »
40. Et ailleurs, l'Écriture dit aussi : « Tu nous as éprouvés, ô Dieu, tu nous as fait passer par le feu, comme on fait passer au feu l'argent. Tu nous as fait tomber dans le filet. Tu nous as mis sur le dos des tribulations. »
41. Et pour montrer que nous devons être sous un supérieur, elle poursuit en ces termes : « Tu as fait chevaucher des hommes sur nos têtes. »
42. En outre, ils accomplissent le précepte du Seigneur par la patience dans les adversités et les injustices : frappés sur une joue, ils présentent aussi l'autre ; à qui ôte leur tunique, ils abandonnent aussi le manteau ; requis pour un mille, ils en font deux ;
43. avec l'Apôtre Paul, ils supportent les faux frères, et ils supportent la persécution et quand on les maudit, ils bénissent.
En guise de commentaire de ce 4° d'humilité qui introduit dans le mystère de la contradiction et de l'humiliation associant le moine très concrètement au mystère pascal du Christ, je voudrais partager une page de M. Delbrêl (Œuvres Complètes, T 14, J'aurai voulu... Paris 2016, p 180). Elle évoque la manière décapante avec laquelle Dieu nous conduit à
l'humilité à travers les évènements, comme en ce 4°.
Elle recommande tout d'abord de « prier pour demander l'humilité, sans restriction dans les moyens que Dieu voudra. Prier pour reconnaitre la main de Dieu dans les faits qui nous proposeront la vraie humilité. Prier pour les accepter.
« Quand Dieu donne l'humilité, son premier soin est de désorienter sa créature (cf Job). L'évènement arrive, (il est) fait à la mesure de chacun ; (il est) incohérent pour les logiques, logique pour les fantaisistes ; venant des hommes à qui aime les hommes ; (venant) du corps ou de l'esprit à qui se suffisait; il rend débiteur celui qui ne devait rien.
(L'évènement) dépouille celui qui conservait; il change de catégorie celui qui croyait à la sienne ;force l'autre à n'en pas avoir.
Presque toujours, (l'évènement) fait réussir Dieu à travers l'échec d'un homme, quelque fois quand cet homme est mort ...
(L'évènement) fait estimer celui qui se trouve méprisable et qui s'en juge ridicule ; il rend méprisé celui qui se pense le moins misérable ...
Ce mystère de l 'humiliation est celui qui constitue peut-être une épreuve plus rude que l'échec pour la créature de Dieu douée de raison. Les points de repères normaux y disparaissent. Ce mystère seul sans doute peut conduire à une obéissance absolument gratuite de la volonté de Dieu et à un amour gratuit des hommes dont les contradictions font qu'on ne peut rien en attendre»
M. Delbrêl suggère bien, à l'instar de ce 4°, que puisqu'aucun de nous n'aime les contradictions ou les humiliations, pour avancer dans l'humilité, ce sont les évènements qui s'en chargent, en prenant le contrepied de nos assurances ou de nos sécurités. La grâce pour chacun de nous est certainement de reconnaitre à travers eux « la main de Dieu » qui nous apprend ainsi une obéissance plus gratuite à sa volonté, et un amour plus gratuit des hommes alors même qu'on ne peut rien en attendre...
34. Le troisième degré d'humilité est que, pour l'amour de Dieu, on se soumette au supérieur en toute obéissance, imitant le Seigneur, dont l'Apôtre dit : « S'étant fait obéissant jusqu'à la mort. »
Pour ce 3° degré, St Benoit fait plusieurs modifications au texte qu'il reçoit de RM 10, 45-51 : d'une part il réduit beaucoup le texte en éliminant plusieurs citations scripturaires, et d'autre part il ajoute la mention « pour l'amour de Dieu». Dès lors ressort avec plus de force de ce 3 ° de 1'échelle plus concis, combien 1'obéissance du moine au supérieur est assimilée à l'obéissance du Christ à son Père.. .Imitant le Seigneur dont /'Apôtre dit: « s'étant fait obéissant jusqu'à la mort». Comparaison vertigineuse car elle associe 1'obéissance à la mort, et elle donne une place délicate à l'abbé. Si cette comparaison peut faire peur et au moine et à
l'abbé, par son aspect difficilement pensable, mais la peur est mauvaise conseillère, elle nous entraine à approfondir le mystère de l'obéissance. Celle-ci place chacun de nous au cœur du mystère pascal du Christ. Lorsque le Seigneur nous appelle à la vie monastique, et à faire vœu d'obéissance, il nous invite à suivre au plus près le Christ. Mystère de notre vocation que nous n'avons pas fini de découvrir et d'approfondir. Mais il serait bien erroné de penser que notre vie monastique est une fom1e de suicide à petit feu. Nous n·emboitons pas le pas à Thomas qui, au moment où Jésus retourne en Judée auprès de son ami Lazare, disait : « Allons-nous aussi pour mourir avec lui (Jésus)» (Jn 11, 16). Oui, nous ne choisissons pas la vie monastique pour mourir, mais bien pour vivre pleinement du Christ. le Vivant. Ainsi voulons-nous donner à notre baptême toute son expression. Morts avec le Christ, nous voulons coopérer activement à la vie nouvelle qui est semée en nous, et ravivée à chaque eucharistie. Dans ce déploiement, notre vœu d'obéissance est comme un levier. En effet, il est l'instrument majeur par lequel le Christ a opéré notre salut, offrant son obéissance aimante en place de notre désobéissance méfiante. Par notre obéissance, nous œuvrons à notre libération en renonçant à l'autonomie illusoire qui nous laisse penser que nous sommes seul au monde. Nous participons ainsi au profond travail de la Rédemption qui se poursuit dans l'Eglise et qui déploie toutes les énergies reçues du Christ ressuscité. Il me semble important pour chacun de nous de nourrir notre obéissance à la lumière du mystère pascal du Christ. C'est lui qui lui apporte tout son sens et sa vraie dimension. Quand St Benoit ajoute l'expression« pour l'amour de Dieu», il nous offre une clé précieuse. Avec le Christ, le moine puise dans son amour pour Dieu la force d'obéir, de soumettre ce qu'il vit au regard d'un autre, dans la recherche du bien de la communauté. L'amour de Dieu accueilli et reconnu dans nos vies, nourrit notre propre capacité à obéir par amour. C'est un échange de vie.
31. Le second degré d'humilité est que, n'aimant pas sa volonté propre, on ne se complaise pas dans l'accomplissement de ses désirs,
32. mais qu'on imite dans sa conduite cette parole du Seigneur disant ;: « Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais celle de celui qui m'a envoyé. ;»
33. L'Écriture dit aussi : « La volonté subit un châtiment et la contrainte engendre une couronne. »
Au moment où je commençais ce chapitre, le f. Hubert m'annonçait le décès de f. Lazare, frère de St Jean, venu plusieurs années, passer quelques semaines en été. Il est parti rapidement du coronavirus ... Je me disais : que vaut une vie qui peut si vite partir? Quel est son poids au regard des hommes et surtout de Dieu ? Chacun vit, fait des choses, laisse peut être quelques traces, le plus souvent très peu et qui finalement s'estompent vite avec le temps. Ou' est-ce gui reste de notre volonté de faire quelque chose ? Le caractère éphémère de nos vies nous invite vraiment à cette humilité dont parle Benoit... Humilité par rapport à nos ambitions, humilité pour rechercher sans cesse à nous arrimer à la Vie, celle qui durera toujours, et pour laquelle comptent bien peu nos désirs de grandeurs, de notoriété, de réussite de toutes sortes... Lors de son dernier passage, j'ai croisé par hasard le f. Lazare. Il me disait qu'en raison de déménagements, on lui avait repris l'espace où il peignait, et qu'il ne savait pas ce qu'on lui donnerait à la place. Alors qu'en d'autres temps, il aurait mal vécu cette situation inconfortable, il ne s'inquiétait pas, et restait confiant dans le Seigneur, s'émerveillant de pouvoir peindre et faire du beau conscient du don reçu. Émerveillement. disponibilité. accueil, n'avons-nous pas là le signe d'une volonté gui s'abandonne ... L'humilité cherchée avec St Benoit, n'est pas de ne pas avoir de volonté, mais de ne pas en faire un absolu comme si nous étions seuls maitres à bord. Comme Jésus et avec lui, notre volonté est appelée à trouver toute sa joie et tout son poids à faire la Volonté du Père : « Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé». Unir notre volonté à la sienne. Sans renoncer à vouloir, il s'agit d'apprendre à vouloir dans le même mouvement que la Volonté du Père. Comment vivre cela? Il peut y avoir un risque : celui de se faire à l'avance, une idée toute faite de la Volonté de Dieu, avec le risque de la refuser parce que l'idée qu'on s'en fait est tellement haute qu'on ne se sent pas la force. Faire la volonté de Dieu, n'est-ce pas plutôt, accepter de se mettre en chemin, et d'avancer pas à pas, en restant toujours ouvert, pour écouter ce que nous dit !'Esprit Saint, dans la prière, mais aussi dans les évènements et les rencontres ? Notre Dieu, qui nous connait bien, nous découvre peu à peu sa volonté. Et nous faisons l'expérience que même s'il est parfois exigeant, le chemin sur lequel il nous mène est toujours un chemin de vie. Comme le chantons à Sexte, demandons-lui : « Fais nous vouloir ce que tu veux» ...
23. Dans les désirs de la chair, croyons que Dieu nous est toujours présent, puisque le prophète dit au Seigneur : « Devant toi sont tous mes désirs. »
24. Il faut donc se garder du désir mauvais, puisque « la mort est placée sur le seuil du plaisir. »
25. Aussi l'Écriture a-t-elle donné ce précepte : « Ne suis pas tes convoitises. »
26. Si donc « les yeux du Seigneur observent bons et méchants »,
27. si « le Seigneur, du haut du ciel, regarde sans cesse les enfants des hommes, pour voir s'il en est un qui soit intelligent et qui cherche Dieu »,
28. et si les anges commis à nous garder rapportent au Seigneur quotidiennement, jour et nuit, les actes que nous accomplissons,
29. il nous faut donc prendre garde à tout instant, frères, de peur que, comme dit le prophète dans un psaume, Dieu ne nous voie à un moment « dévier » vers le mal « et devenir mauvais »,
30. et qu'après nous avoir épargnés dans le temps présent, parce qu'il est bon et qu'il attend que nous nous convertissions à une vie meilleure, il ne nous dise dans le futur : « Tu as fait cela, et je me suis tu. »
Nous achevons le premier degré de l'humilité que St Benoit énonçait 20 versets plus haut ainsi : « plaçant toujours devant ses yeux la crainte de Dieu, qu'on fuie tout à fait l'oubli». Dans la même veine qu'au début de l'exposition de ce 1" degré, est développée 1'image tout à fait désagréable d'un Dieu qui, non seulement nous observe et « regarde sans cesse », mais a aussi en plus « les anges commis à nous garder qui lui rapportent quotidiennement. jour et nuit les actes que nous accomplissons». Bref cette vision des choses a de quoi nous faire froid dans le dos : celle d'un Dieu gui nous épierait. .. Nous ne pouvons aujourd'hui nous représenter ainsi notre Dieu, trop assimilé alors à tant de pouvoirs autoritaires et dictatoriaux qui veulent tout dominer, espionner et surveiller. ..
Que retenir dès lors de cette conclusion ? Sur le fond, Benoit nous parle du mystère de la présence de Dieu à chacw1 de nous. « Croyons que Dieu nous est toujours présent »... Comment l'entendre comme une bonne nouvelle, c'est-à-dire comme une affirmation qui peut nous aider à vivre ? Confesser que Dieu est présent, plus présent même que nous ne pouvons l'imaginer, nous aide à prendre conscience que nous sommes reliés, mais aussi accompagnés en cette vie. Nous sommes reliés à Dieu dont nous nous recevons totalement. De lui nous tenons
« la vie. le souffle et tout le nécessaire» (Ac 17, 25). Dans la conscience d'avoir tout reçu, peut s'aiguiser alors notre sens de la responsabilité. Comment mettons-nous en valeur ce lien avec Dieu à travers cette vie qu'il nous a offerte? Conscient d'être si petits en ce lien avec l’Éternel, l'Au-delà de Tout, la foi nous assure que nous sommes accompagnés. Dieu ne cesse de chercher à faire alliance avec nous, de marcher avec nous et de venir à notre rencontre. Toute la Révélation est là dans ce compagnonnage fait de moments fort et de moments très quotidiens, comme la liturgie s'en fait parfaitement l'écho. A travers elle, Dieu nous apprivoise, pour nous découvrir son vrai visage de Père et nous apprendre à ne plus avoir peur de sa Présence qui pourrait nous paralyser. En Jésus, il s'est fait proche, nous appelant à entrer en amitié, avec lui, avec grand respect. Il continue de s'inviter dans nos vies. L'Eucharistie, en est un moment privilégié. « N'allons plus sans feux ni lieux quand Jésus nous accompagne. chantons-nous. le voici pain sur la table des baptisés ... ». Oui, Ier degré d'humilité: n'oublions pas que notre Dieu, présent à nos vies, recherche notre amitié, notre disponibilité confiante à sa Parole.
19. Quant à notre volonté propre, on nous interdit de la faire, quand l'Écriture nous dit : « Et détourne-toi de tes volontés. »
20. Et nous demandons aussi à Dieu, dans l'oraison, que sa volonté soit faite en nous.
21. Avec raison on nous enseigne donc de ne pas faire notre volonté, quand nous prenons garde à ce que dit l'Écriture : « Il est des voies qui paraissent droites aux hommes, et dont l'extrémité plonge au fond de l'enfer »,
22. et aussi quand nous redoutons ce qui est dit des négligents : « Ils se sont corrompus et rendus abominables dans leurs volontés. »
Sur le chemin de l'humilité, nous apprenons peu à peu à vivre selon la Volonté de Dieu. Fondamentalement, dans la foi, nous savons que seule cette Volonté est bonne, parce que ce que Dieu veut, ce ne peut être que notre bien et celui de toute l'humanité, et de toute la création ... Notre difficulté est de bien connaitre et reconnaitre cette volonté de notre Père des Cieux. Car elle est forte et profonde. Elle englobe notre vie et celles de tous les hommes dans un projet de vie qui nous oblige sans cesse à sortir de notre petit projet personnel. Celui-ci n'a de sens qu'uni à tous les autres. C'est cela qui est difficile à comprendre pour chacun de nous. De ce point de vue, l'expérience de vie communautaire est une belle école pour apprendre cela: mon projet de vie n'a de sens et d'intérêt qu'uni à celui des autres. Et ensemble, nous œuvrons au projet de Dieu de rassembler et de sauver tous les hommes. Entrer dans un tel projet, à la suite de Jésus, nous fait toujours passer par une forme de mort : celle d'un renoncement à mes seules vues des choses. C'est le mystère de la Croix. Parfois nous peinons à consentir à cette mort, à ce renoncement, à nous tenir avec Jésus à Gethsémani. « Non pas ce que Je veux, mais ce que tu veux». La part de nous-mêmes qui se pense comme un tout, et qui refuse de faire avec d'autres, pour entrer dans un projet plus grand, c'est ce que St Benoit appelle la « volonté propre». Elle n'a pas encore vu et reconnu que faire la Volonté de Dieu est bien plus intéressant et bien plus vivant. Nous sommes ainsi continuellement appelés à un discernement pour rester en éveil : est-ce que je cherche à faire comme je veux, ou bien est-ce que je cherche à entrer dans la Volonté de Dieu? Plus nous avançons, plus ce discernement s'affine. Parfois sous de bonnes intentions, sous de belles apparences se cache en fait un désir fort de faire ce que je veux. En pareille situation, je ne cherche surtout pas à voir si je ne manque pas quelque chose de plus grand, de plus important que mon simple projet immédiat, souvent à court terme. Notre quotidien nous convoque souvent à ce discernement à opérer, par ex dans le choix de mes priorités. Est-ce que je privilégie ce qui est plus facile, ce qui m'intéresse, ce qui est plus agréable, ou bien est-ce que je cherche vraiment ce qui est bon et utile maintenant pour ma vie et celle des frères... ? Apprendre ainsi à suspendre son agir à ce discernement, c'est déjà, à un niveau tout simple, prendre sa croix... C'est déjà choisir la vie, en vue de la vie bonne que Dieu ne peut que vouloir et donner.