vendredi 3 octobre 2025 : journée de solitude pour la communauté, messe vers 6h45 après Laudes.

Commentaires sur la Règle



Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 27 v 01-09 Combien l'abbé doit avoir de sollicitude pour les excommuniés. écrit le 16 juillet 2021
Verset(s) :

1. C'est avec toute sa sollicitude que l'abbé prendra soin des frères délinquants, car « ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. »

2. Aussi doit-il user de tous les moyens comme un médecin sagace ;: envoyer des senpectas , c'est-à-dire des frères anciens et sagaces,

3. qui comme en secret consoleront le frère hésitant et le porteront à satisfaire humblement, et le « consoleront pour qu'il ne sombre pas dans une tristesse excessive »,

4. mais comme dit encore l'Apôtre : « Que la charité s'intensifie à son égard », et que tous prient pour lui.

5. En effet, l'abbé doit prendre un très grand soin et s'empresser avec tout son savoir-faire et son industrie pour ne perdre aucune des brebis qui lui sont confiées.

6. Qu'il sache en effet qu'il a reçu la charge des âmes malades, non une autorité despotique sur celles qui sont en bonne santé.

7. Et qu'il craigne la menace du prophète, par laquelle Dieu dit : « ;Ce qui vous paraissait gras, vous le preniez, et ce qui était chétif, vous le rejetiez. »

8. Et qu'il imite l'exemple de tendresse du bon pasteur, qui abandonnant ses quatre-vingt-dix-neuf brebis sur les montagnes, partit à la recherche d'une seule brebis qui s'était perdue ;

9. sa misère lui fit tellement pitié, qu'il daigna la mettre sur ses épaules sacrées et la rapporter ainsi au troupeau.

Commentaire :

« Les frères anciens et sagaces ...le porteront à satisfaire humblement ... » « Satisfaire humblement », ainsi les frères anciens aideront le frère excommunié à poser des gestes de réparation ou bien à avoir des attitudes qui expriment son désir de revenir dans la communion des frères. Les frères anciens sont comme les ambassadeurs de l'abbé qui, à son tour, doit mettre tout son zèle pour aller chercher Je frère, ou bien faciliter son retour dans la communion des frères. Elle est belle cette exigence recommandée aux anciens et à l'abbé d'aller au-devant du frère. Mais pour l'aider à faire un pas dans l'humilité, cela demande beaucoup d'humilité à ceux qui vont à sa rencontre. Nous sortons du donnant-donnant. II y a toujours la crainte de se faire rembarrer ou encore d'être maladroit et donc d'être contreproductif. Cette démarche comparée au bon pasteur de l'évangile nous parle de la miséricorde du Christ lui-même. II s'est fait doux et humble de cœur, au point de se mettre en recherche de chacun de nous, ou encore de s'abaisser pour nous laver les pieds, Lui de riche qu'il était.... Seul le Christ peut nous apprendre cette humilité qui pem1ettra au frère excommunié de s'ouvrir peut-être à son tour à l'humilité. Il nous faut contempler Je Christ dans la prière, lui demander son aide. et aussi nous exercer les uns et les autres à faire le premier pas.

En effet, nous faisons tous l'expérience de situations où la communion avec un frère est distendue, voire rompue à la suite d'un malentendu, d'un mot de trop ou d'une querelle plus sérieuse. En nous-mêmes, nous pouvons entendre deux discours : le premier qui peut rouler en boucle du genre : « de toute façon, c'est lui qui a commencé, donc à lui de faire Je premier pas... je ne m'abaisserai pas». Et puis Je second plus discret et cependant tenace: « c'est bête d'être ainsi en froid ou en rupture, et la relation avec ce frère est plus importante que mon orgueil. .. et faire un geste me rendra heureux et plus libre... » Dans la balance, c'est toujours l'humilité qui a Je plus de poids. Car elle est du côté du réel, de l'humus. Non seulement elle me libère de mon orgueil, caché sous des apparences très louables, mais l'humilité permet souvent à l'autre de sortir de son mutisme et de faire tomber les murailles derrière lesquelles il s'est retranché. Oui, frères, osons les uns et les autres, à la place où nous sommes, osons faire le premier pas vers l'autre avec lequel nous sommes en froid. Croyons en cette vie possible pour nous et pour Je frère, la communion vaut bien ce renoncement à notre orgueil. ...

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 26 v 01-02 De ceux qui entrent en rapport avec les excommuniés sans permission. écrit le 15 juillet 2021
Verset(s) :

1. Si un frère se permet, sans permission de l'abbé, d'entrer en rapport avec un frère excommunié de n'importe quelle façon, ou de lui parler ou de lui faire parvenir un message,

2. il subira une peine d'excommunication similaire.

Commentaire :

« Sans permission» ... Le cas exposé ici, d'un frère qui se joint à un frère excommunié, part peut-être d'une bonne intention, celle de consoler le réprouvé. Mais elle est inappropriée car elle vient dans le cas présent brouiller les cartes. La discipline de l'excommunication demande en effet un strict respect de la séparation imposée au frère excommunié pour l'engager sur un chemin de conversion.

Il peut arriver aujourd'hui encore, dans des domaines très divers que l'on fasse des choses ou qu'on prenne des initiatives sans permission. Selon les cas, cela peut entrainer des difficultés, parfois des imbroglios qui nécessitent du temps pour récupérer les dégâts causés... Le mot « permission » ne sonne pas très bien à nos oreilles. Car il peut être entendu de façon infantile pour se réduire à l'alternative « du permis et du défendu »... alternative qui peut réveiller en chacun des souvenirs plus ou moins heureux de limites imposées et mal vécues dans l'enfance. En fait le mot latin « iussio » peut être aussi être traduit par « ordre ou commandement». Aussi la question : « ai-je la permission? » peut-elle devenir : « suis-je envoyé, ai-je reçu mandat ou un commandement pour faire cela ou non? Poser ainsi la question nous replace tous dans la conscience vive de notre responsabilité dans la vie commune. Suis-je partie prenante des grandes orientations et des décisions prises? Si j'ai reçu mission, il me reviendra d'en rendre compte, d'en répondre. Si je n'ai pas reçu mission, et que je m'engage à faire une chose dont je sais qu'elle sort du cadre communautaire, je peux troubler la vie de la communauté. En effet, chacun de nous par le lien de la profession engage toujours plus ou moins la communauté, dans tout ce qu'il fait. Aucun de nous peut agir comme s'il était seul au monde, dans une autonomie qui nierait son appartenance au corps communautaire. L'alliance avec la communauté fait désormais partie de l'identité de chacun. J'apprends à être moi-même en faisant tout ce que je fais, avec et pour la communauté. Ce lien fort peut apparaitre contraignant aux yeux de notre mentalité imprégnée d'individualisme. Il vient en effet contrecarrer mes illusions de toute puissance, comme si je pouvais exister seul par moi-même. Finalement cette alliance avec la communauté est une chance pour déployer une ouverture incessante à d'autres points de vue. Dans la confrontation à d'autres visions des choses,je peux devenir vraiment moi-même, un être fait non pour l'isolement, mais pour la communion.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 25 v 01-06 Des fautes graves. écrit le 14 juillet 2021
Verset(s) :

1. Quant au frère qui est coupable de faute grave, il sera exclu à la fois de la table et de l'oratoire.

2. Aucun frère n'entrera aucunement en rapport avec lui sous forme de compagnie ou d'entretien.

3. Qu'il soit seul au travail qu'on lui aura enjoint, persistant dans le deuil de la pénitence, sachant cette terrible sentence de l'Apôtre :

4. « Cet homme-là a été livré à la mort de la chair, pour que son esprit soit sauf au jour du Seigneur. »

5. Quant à la nourriture de son repas, il la prendra seul, dans la mesure et à l'heure que l'abbé aura jugées convenables pour lui.

6. Personne ne le bénira en passant, pas plus que la nourriture qu'on lui donne.

Commentaire :

Ce chapitre de St Benoit offre une interprétation intéressante de la citation de Paul, cette

« terrible sentence» par laquelle il demande qu'un homme coupable de vivre avec la femme de son père, soit « livré à Satan pour la perte de sa chair, afin que l'esprit soit sauvé au jour du Seigneur» (1 Co 5,5). Phrase énigmatique qui, selon la note de la BJ, pourrait signifier qu'un tel homme est « privé du soutien de l'Eglise des saints et dès lors, exposé au pouvoir que Dieu laisse à son Adversaire)) Satan... St Benoit reprend à son compte cette citation pour éclairer le but de la solitude imposée au frère excommunié pour faute grave. Mais il enlève le mot

« Satan ll. La phrase devient : « cet homme-là a été livré à la mort de la chair pour que son esprit soit sauf au jour du Seigneur ll. Autrement dit, le frère qui doit rester seul pour ses repas, et à part à l'oratoire, n'est pas «livré» à Satan, mais « à la mort de la chair)). La simple omission du mot Satan, redonne tout son poids à l'expression « la mort de la chair » présente aussi chez Paul, mais alors difficile à comprendre. Le frère excommunié est « livré à la mort de la chair». On peut comprendre au sens propre qu'il doit vivre une «mortification», une situation qui le fait mourir en sa chair. Le mot « chair '> peut être entendu d'abord en sa dimension personnelle et concrète en ce qu'il va davantage jeûner, mais aussi en sa chair, entendue en sa dimension communautaire, en ce que la solitude imposée vient faire mourir son lien avec les autres. Ce frère est blessé ou mortifié en sa chair entendue personnellement communautairement. Va-t-il enfin comprendre et expérimenter les dommages que ses fautes ont causé au corps communautaire ?

Par contraste, on peut comprendre la profondeur de la communion qui nous lie les uns autres. Elle nous wlit dans un sort commun, dans un même projet où l'on partage tout, les repas, la prière, mais aussi les biens nécessaires pour vivre, le temps donné, la parole échangée. Cette communion a besoin de se ressourcer sans cesse à des paroles vives échangées entre nous, des paroles vraies et justes par lesquelles chacun se donne simplement aux autres et se reçoit d'eux. Cette communion toujours en recherche de son accomplissement nous révèle les uns aux autres avec nos fragilités et nos faiblesses. Consentir à être connu comme nous sommes, sans se cacher ni se rebiffer lorsque nos petits côtés sont mis au jour. La communion vraie entre nous accepte de porter les parts plus ombreuses que chacun lui confie. Elle supporte mal à l'inverse, l'attitude hautaine ou double qui se déroberait à l'affection fraternelle, par peur d'apparaitre tel quel avec sa fragilité. Le frère excommunié n'est-il pas le type du frère qui n'a pas consenti à être avec sa fragilité au milieu de ses frères ?

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 24 v 01-07 Quelle doit être la gravité de l'excommunication? écrit le 09 juillet 2021
Verset(s) :

1. C'est à la gravité de la faute que doit se mesurer la portée de l'excommunication ou du châtiment.

2. Cette gravité des fautes est remise au jugement de l'abbé.

3. Si toutefois un frère se trouve coupable de fautes légères, on le privera de la participation à la table.

4. Celui qu'on aura privé de la table commune sera au régime suivant ;: à l'oratoire, il n'imposera pas de psaume ou d'antienne ni ne récitera de leçon jusqu'à satisfaction.

5. Quant à la nourriture de son repas, il la prendra seul après le repas des frères :

6. si par exemple les frères ont leur repas à la sixième heure, ce frère aura le sien à none ; si les frères l'ont à none, il l'aura à vêpres,

7. jusqu'à ce que, par une satisfaction convenable, il obtienne son pardon.

Commentaire :

Lorsqu'on représente la dernière Cène, Jésus assis avec les douze apôtres, il est intéressant de voir la manière avec laquelle on place Judas. Le plus souvent, si les autres ont une auréole, lui n'en a pas. Par son acte de trahison, il ne participe pas à la sainteté offerte par le Christ, au moins à vue humaine. Une autre manière sera de le mettre en bout de table, par ex le regard et les pieds tournés vers l'extérieur, pour mieux signifier qu'il est déjà occupé en pensée à son projet de livrer Jésus. Le f. Yves dans son missel, a dessiné une chaise vide, bien évidence au premier plan. Judas est parti alors que Jésus est en train de donner le pain à un apôtre. Ces différentes représentations du cas « Judas » mettent bien en évidence combien la table est un lieu de communion ou ne l'est pas. Partager le repas signifie un lien réel entre les convives... Par son projet mortifère, Judas s'est exclu de la vie d'amitié avec Jésus et les apôtres. Jésus ne l'a pas rejeté et lui a peut-être même tendu des perches avec les allusions lancées à tous: « l'un de vous va me livrer».

A la lumière des représentations de cette scène évangélique, s'éclaire bien la description de l'excommunication faite par Benoit au sujet de la table. De manière formelle, elle manifeste et traduit l'excommunication intérieure que Judas vivait et ne pouvait formuler. Un frère s'est coupé de la communion fraternelle par des fautes, même légères, il doit prendre ses repas à part, après tout le monde en en retardant l'heure. Dans le corps communautaire est signifiée la rupture qu'a entrainée la faute d'un frère. L'excommunication voudrait réveiller la conscience du frère. ou tout le moins éviter qu'il ne s'habitue à sa négligence ni ne retombe dans les mêmes travers. Comment assumer notre difficulté d'aujourd'hui, à la différence de Benoit, à signifier les ruptures de communion ? Parfois j'entends tel ou tel se demander : comment dénoncer certaines conduites qui s'apparentent à des ruptures de communion et qui blessent la communauté ? Nous portons le désir de vivre ensemble pour nous entraider et nous tirer vers le haut. Face à des négligences trop répétées qu'une parole ne peut plus corriger, que faire? Le sens communautaire, fort au temps de Benoit, est contrebalancé aujourd'hui par un sens plus aigu de la personne. Comment dès lors pourrions-nous mieux nous entraider quand un frère peine ou se marginalise? Peut-être faut-il grandir dans le sens de la responsabilité mutuelle, les uns vis-à-vis des autres? Nous entrainer, nous éduquer à ne jamais nous satisfaire lorsqu'un frère peine?

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 23 v 01-09 De l'excommunication pour fautes écrit le 08 juillet 2021
Verset(s) :

1. Si un frère se montre récalcitrant ou désobéissant ou orgueilleux ou murmurateur et contrevenant sur quelque point de la sainte règle et aux commandements de ses anciens, avec des manifestations de mépris,

2. ses anciens l'avertiront, selon le commandement de Notre Seigneur, une première et une seconde fois en privé.

3. S'il ne s'amende pas, on le réprimandera publiquement devant tout le monde.

4. Si même alors il ne se corrige pas, s'il comprend ce qu'est cette peine, il subira l'excommunication.

5. Mais si c'est une mauvaise tête, il recevra un châtiment corporel.

Commentaire :

Aux Vigiles, nous lisons le livre des Juges. Ce livre est porteur d'un bel enseignement sur la fidélité du Seigneur qui ne se lasse pas de l'infidélité de son peuple Israël, enclin à l'idolâtrie. Alors qu'Israël se détourne facilement du Seigneur pour servir les dieux des païens au milieu desquels il vit, le Seigneur ne cesse de susciter des juges ou sauveurs pour délivrer son peuple del 'oppression à laquelle le conduit immanquablement l'idolâtrie. Magnifique livre, un peu rude et cru parfois dans ces détails très réalistes, qui veut nous enseigner combien le Seigneur ne se résigne pas à nos ruptures d'alliance.

Ce chapitre de la RB et les suivants qui appartiennent au « code pénitentiel », nous disent il autre chose ? « Comme nos pères, nous avons péché » pouvons-nous dire avec le psalmiste. Et comme eux, le Seigneur vient nous chercher pour nous permettre de revenir en grâce avec lui et avec nos frères. Notre péché ne s'exprime plus sous la forme d'une idolâtrie de type rituelle, qui offrirait des offrandes à un autre dieu que Dieu. Cependant notre péché est toujours idolâtrique. Mais l'idole à qui nous donnons la première place n'est plus de bois ou de pierre, mais souvent elle est souvent l'image que nous nous faisons de nos intérêts ou de nos désirs qui doivent passer avant tout autre chose. En prenant consciemment ou non la première place, nous nous préférons nous-mêmes. Le cadre monastique, donné par la« sainte règle et les commandements des anciens » s'offre comme un outil pédagogique. Son but est de débusquer notre tendance tenace à l'idolâtrie de nous-même, où seul existe le« moi» qui se prend pour dieu, et devant lequel notre Dieu s'évanouit comme la brume matinale. Face à une limite jugée contraignante, le « moi » peut se montrer « récalcitrant ou désobéissant, orgueilleux ou murmurateur ». Il est démasqué dans sa prétention à s' autogérer sans tenir compte de la règle commune. Apparait sa difficulté foncière à demeurer à l'écoute d'une parole autre, celle de Dieu qui l'appelle à la communion, celle des frères qui lui rappelle sa dépendance vitale à la communauté. Lorsque nous butons sur une limite, soit que nous la transgressions, soit que nous la refusions, nous érigeons notre« moi » en idole. Nous entrons dans l'aveuglement sur nous­ même. Nous ignorons les autres et la règle commune. Peu à peu à l'instar du peuple d'Israël, nous nous soumettons à l'oppresseur. Nous pouvons entrer dans une période de grandes souffrances, parce que finalement un « autre » règne en nous qui n'est pas Dieu. Mystère du mal, un temps confondu avec un bien désirable qui, s'il n'est pas démasqué en son caractère trompeur, peut nous entrainer à la ruine.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 22 v 01-08 Comment les moines dormiront écrit le 07 juillet 2021
Verset(s) :

1. Ils auront chacun un lit pour dormir.

2. Ils recevront, par les soins de leur abbé, une literie adaptée à leur ascèse personnelle.

3. Si faire se peut, tous dormiront dans un même local. Si leur grand nombre ne le permet pas, ils reposeront par dix ou par vingt avec leurs anciens, qui veilleront sur eux.

4. Une lampe brûlera continuellement dans cette pièce jusqu'au matin.

5. Ils dormiront vêtus et ceints de ceintures ou de cordes, pour ne pas avoir de couteaux à leur côté pendant qu'ils dorment, de peur qu’ils ne blessent le dormeur pendant son sommeil,

6. et pour que les moines soient toujours prêts et que, quand on donne le signal, ils se lèvent sans attendre et se hâtent de se devancer à l'œuvre de Dieu, mais en toute gravité et retenue.

7. Les frères encore adolescents n'auront pas leurs lits les uns près des autres, mais mêlés aux anciens.

8. En se levant pour l'œuvre de Dieu, ils s'exhorteront mutuellement avec retenue, à cause des excuses des somnolents.

Commentaire :

Comme en bien d'autres occasions, Benoit s'intéresse au« comment». Si nous sommes semblables à tous nos congénères, ayant besoin de dormir, nous avons une manière de vivre le sommeil qui se veut en conformité avec l'ensemble de notre propos monastique.

La mention de «/'ascèse personnelle» à propos de la literie souligne bien combien le sommeil, temps nécessaire de repos, ne nous fait pas sortir de notre vigilance globale. L'ascèse, ou l'art de s'exercer, peut s'appliquer à la qualité du lit, mais aussi au temps consacré au sommeil, ou encore au temps dédié à la détente avant de se coucher. Quels types de lectures faisons-nous, si nous en faisons? De façon générale pour expliciter cette idée d'ascèse,je dirai: vivons-nous notre sommeil et ce temps de repos sous le regard du Seigneur ? Le lui offrons­ nous ? Parfois l'ascèse consistera à ne pas trop veiller pour préserver un juste temps réparateur à notre corps...

Car il y a veille et veille : veille pour se détendre ou pour travailler, mais qui peut conduire à fatiguer indument le corps, si elle se prolonge ; et veille pour demeurer prêt à se lever pour la prière. La lampe gui brûle dans le dortoir, est là pour signifier ce second aspect de la veille. Les moines qui dorment vêtus, sont prêts lorsque retentit le signal, à se hâter pour 1'œuvre de Dieu. Ils s'entraident même en s'exhortant mutuellement, comme peuvent le faire encore aujourd'hui certains frères en frappant à la porte de l'un ou l'autre.

Il y a une double grâce de la nuit pour des moines : celle de nous permettre de récupérer. et celle de nous tenir en éveil pour la prière. Les deux combinées donnent à notre vie une force et aussi une profondeur qui d'année en année creuse notre désir de nous donner plus intensément à Dieu, dans la préparation à l'ultime rencontre. Il est bon d'entretenir cette conscience eschatologique dans notre façon de vivre la nuit et le sommeil. Nous attendons le Seigneur qui vient. Notre attention à ne pas faire n'importe quoi, à éviter les excès, à garder la paix et le silence de la nuit creuse notre ouverture à la rencontre. Si dans la durée, cela représente une vraie ascèse au regard de notre société qui vit beaucoup le soir, soyons heureux de donner ainsi notre vie au Seigneur. Très modestement, nous offrons le témoignage que la vie humaine est tendue vers une Rencontre, et que celle-ci est désirable, parce qu'elle sera heureuse. « Un grand Amour nous attend ll. En fuyant de manière forte l'oubli et le divertissement, nous voulons lui donner déjà toute sa place.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 21 v 01-07 Des doyens du monastère écrit le 06 juillet 2021
Verset(s) :

1. Si la communauté est nombreuse, on choisira parmi eux des frères de bonne réputation et de sainte vie, et on les nommera doyens,

2. pour qu'ils veillent sur leurs décanies en tout selon les commandements de Dieu et les ordres de leur abbé.

3. Ces doyens seront choisis de telle manière que l'abbé puisse, en sécurité, partager avec eux son fardeau.

4. Et on ne les choisira pas en suivant l'ordre d'ancienneté, mais d'après le mérite de leur vie et la sagesse de leurs enseignements.

5. Ces doyens, si l'un d'eux, venant à s'enfler de quelque orgueil, se montre répréhensible, et si après avoir été repris une, deux, trois fois, il refuse de se corriger, on le destituera

6. et on mettra à sa place quelqu'un qui en soit digne.

7. Pour le prévôt aussi, nous prescrivons de faire de même.

Commentaire :

« On mettra à sa place quelqu'un qui en soit digne » ... Ainsi Benoit envisage-t-il le remplacement d'un doyen qui se serait enflé d'orgueil jusqu'à s'endurcir. Il faut alors trouver un autre frère digne de remplir la fonction... Je retiens ce mot de « digne ». Être digne de remplir une fonction, une charge. Pour le bien de la communauté et des frères, celle-ci mérite d'être bien gérée. Aussi est-il important que la bonne personne soit là au bon endroit, digne de remplir la charge confiée. Avec cette exigence, sommes-nous différents d'une entreprise ou d'une société dans la manière de recruter le personnel?

Oui et non. Non. nous ne sol1ll1les pas différents, car le bon sens humain se rappelle à nous. Ainsi prévaut le principe de réalité : tous ne peuvent pas tout faire. Ce principe de réalité peut être parfois difficile à accepter. Des frères aimeraient bien être choisis pour faire telle tâche et peuvent s'imaginer être faits pour tel poste ou telle fonction. Mais s'ils ne se connaissent pas bien encore, ils ne mesurent pas forcément leur limite ou que la tâche excède leur force, leur endurance. « On choisira » dit Benoit... Choisir parmi plusieurs peut générer de la tristesse ou de la frustration chez ceux qui ne sont pas choisis. Comment alors réagir pour rebondir et grandir en liberté ? Le regard de foi s'impose. Il est une bouée pour ne pas sombrer. Vivre tout choix dans la lumière du Christ. Lui qui nous a appelés en ce lieu, ne cesse de nous appeler à travers les différentes tâches qui nous sont demandées. Les tâches qu'on aurait imaginées recevoir comme celles qu'on n'aurait jamais imaginées. Les tâches très cachées comme celles plus en vue, mais aussi plus exposées. Vivre tous ces choix, tous ces appels dans la lumière de notre unique et premier appel, c'est la source d'une paix profonde. Nous vivons pour le Christ.

Oui. dans notre manière de recruter pour remplir une fonction, nous sommes différents d'une entreprise. Comme critère de choix, st Benoit parle pour les doyens de « mérite de la vie, de sagesse des enseignements ». Autant de qualités reconnues qui ne se mesurent pas aisément, mais qui se discernent au gré de la vie. Il n'est pas rare alors qu'à des frères peu compétents techniquement soient confiés des tâches qu'ils pourront malgré tout assurer, en raison de leur qualité de vie, humble. disponible. fraternelle. Pour ces frères, ces qualités humaines et spirituelles sont souvent un puissant levier pour fédérer autour d'eux des énergies et des compétences qu'ils n'ont pas forcément. A côté du principe de réalité, nous trouvons alors cet autre principe important pour des moines : le principe de sagesse et de charité, ces dons déposés en chacun par !'Esprit Saint et qui ne demandent qu'à croitre.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 20 v 01-05 De la révérence dans l'oraison écrit le 25 juin 2021
Verset(s) :

1. Si, lorsque nous voulons présenter quelque requête aux hommes puissants, nous n'osons le faire qu'avec humilité et révérence,

2. combien plus devons-nous supplier le Seigneur Dieu de l'univers en toute humilité et très pure dévotion !

3. Et ce n'est pas par l'abondance des paroles, mais par la pureté du cœur et les larmes de la componction que nous serons exaucés, sachons-le bien.

4. Aussi l'oraison doit-elle être brève et pure, à moins qu'elle ne vienne à se prolonger sous l'effet d'un sentiment inspiré par la grâce divine.

5. En communauté, cependant, le temps de l'oraison sera tout à fait bref, et dès que le supérieur aura donné le signal, on se lèvera tous ensemble.

Commentaire :

Comme le suggère bien Benoit, nous savons très bien adapter nos comportements à la personne que nous avons en face de nous. Si c'est une personne de haute qualité, ayant du prestige ou du pouvoir, nous savons montrer le meilleur de ce que nous sommes. S'il s'agit d'une personne que nous pouvons mépriser intérieurement, nous pouvons être tout autre, et montrer sans vergogne la face la plus sombre de nous-mêmes ... Petitesse de notre cœur, petitesse de notre conscience de la valeur de tout homme qu'il soit grand ou petit... Et avec Dieu, que nous ne voyons pas, comment nous tenons nous? Avec quelle conscience de ce qu'il est, l'abordons-nous? Dieu veut-il d'ailleurs que nous nous tenions devant lui, tout tremblant, ou tout écrasé dans une sorte de terreur qu'il nous inspirerait? Non, le respect ou la révérence humble à laquelle nous convie Benoit n'est pas motivé par la peur, encore moins par la terreur. Le danger pour nous aujourd'hui est peut-être davantage de nous situer dans une sorte d'indifférence, sans attention profonde, avec habitude, avec nonchalance... Notre risque est de ne pas prendre au sérieux l'altérité de Dieu. Il est vrai que ce n'est pas facile. Cela nous demande de grandir dans la conscience et la pratique de la prière comme d'un dialogue. Contrairement à ce que peut penser le non-croyant, nous ne nous parlons pas à nous-même, ni à un mur, mais nous nous tournons vraiment vers un autre. Le monologue avec nous-même ressemble le plus souvent à un cinéma qui tourne en boucle. Le dialogue avec Dieu déploie quelque chose de toujours nouveau, ouvre en nous un espace de paix et de vérité bienfaisant. Comment pouvons­ nous progresser dans ce dialogue, dans le sens d'une vraie altérité? C'est ce que cherche à nous dire Benoit. Étonnamment, son insistance se porte sur la qualité de notre être en prière. non sur des gestes ou une méthode pour tenter de capter Dieu. Plus nous sommes vraiment nous-mêmes dans la prière, plus celle-ci nous fait entrer en altérité avec Dieu. Prier tel que nous sommes, en vérité, n'est-ce pas ce que Benoit désigne avec les mots « humilité et pureté de cœur »? Prier avec nos tripes, avec ce qui nous habite dans le moment, nous touche ou nous tourmente peut­ être, me semble se rapprocher de ce que St Benoit évoque en parlant des larmes de la componction. Si nous sommes vrais dans la prière, nous rejoignons le vrai Dieu, le Dieu qui est vraiment un Autre. Alors vraiment, nous pouvons faire l'expérience que Dieu est aussi tout proche, qu'il nous prend et nous accompagne dans la marche qu'il nous appelle à faire avec lui. Seigneur, apprends-nous à prier ! Apprends-nous à venir vers toi, avec désir, sans masque !

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 19 v 01-06 De la tenue quand on psalmodie écrit le 24 juin 2021
Verset(s) :

1. Nous croyons que la divine présence est partout et que « les yeux du Seigneur regardent en tout lieu les bons et les méchants. »

2. Cependant, c'est surtout quand nous assistons à l'office divin que nous devons le croire sans le moindre doute.

3. Aussi rappelons-nous toujours ce que dit le prophète : « Servez le Seigneur dans la crainte » ;

4. et encore : « Psalmodiez sagement » ;

5. et : « En présence des anges je psalmodierai pour toi. »

6. Considérons donc comment il nous faut être en présence de la divinité et de ses anges,

Commentaire :

Par trois fois, le mot « présence » revient dans ce chapitre : « la divine présence » que nous croyons être partout, « la présence des anges » en laquelle on psalmodie, « la présence de la divinité et de ses anges» qui requiert de nous une manière d'être, appropriée. Mystère de la présence de Dieu qui englobe tout, et qui dans le même temps échappe à notre perception. Quelle autre image que le souffle, l'air peut approcher le mieux cette réalité de la présence divine, invisible à nos yeux, et pourtant bien là. Comme l'air qu'on respire elle est essentielle. Comme l'atmosphère qui protège notre planète, elle nous enveloppe de part en part. Dieu est là, présence spirituelle, présence souffle en laquelle nous respirons sans nous en rendre compte, et présence vitale qui contient toute chose et sans laquelle rien ne serait.

Nos prières et notre chant lui sont adressés et veulent lui rendre honneur et gloire, mot à mot, lui rendre « tout son poids». Ils témoignent qu'une relation est possible avec cette présence divine si présente et si discrète. Si présente soit-elle elle n'est pas oppressante ni écrasante. Discrète, elle nous donne toute notre place pour un dialogue confiant et aimant. Nous pouvons oser nos mots, car cette présence divine les a épousés en entrant en dialogue avec nous. Peu à peu, elle nous a découvert son visage, celui qui est à la fois le Tout autre, celui devant qui Moïse enlève ses sandales, et celui est à la fois le très proche Dieu de tendresse et de pitié. Le visage de Jésus, sa compassion vécue jusqu'à la défiguration de la croix nous laissera une image indélébile de la Présence divine, image reproductible à l'infini sur tout visage humain...

Notre prière de l'office nous assure Benoit, permet de manière plus immédiate la mise en présence avec la Présence divine. En quelque sorte, si Dieu est toujours présent, il nous suffit de nous ouvrir à cette Présence. Plus nous arrivons à l'office à l'avance, plus nous pouvons faire cet exercice de nous remettre dans la foi face à Celui qui est toujours là. Plus nous pouvons déposer devant lui nos soucis, nos travaux non achevés, nos questions. Car plus nous prenons distance avec notre cinéma intérieur, en le remettant à Dieu, plus nous pouvons nous reconnecter à la réalité, celle de nos existences vécues sous son regard, et celle de sa Parole qui a toujours quelque chose à nous dire, à créer en nous. « Faisons-en sorte que notre esprit concorde avec notre voix». Notre esprit fait un acte d'humilité en renonçant à discourir avec lui-même. Il se fait douce violence en revenant aux psaumes chantés par notre voix. Il s'accorde à la Présence.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 18 v 22-25 En quel ordre faut-il dire ces psaumes? écrit le 23 juin 2021
Verset(s) :

22. Par dessus tout, nous donnons cet avertissement : si quelqu'un n'aime pas cette distribution des psaumes, qu'il établisse une autre ordonnance, s'il la juge meilleure,

23. pourvu qu'il maintienne absolument la psalmodie intégrale des cent cinquante psaumes du psautier chaque semaine et la reprise perpétuelle par le commencement aux vigiles du dimanche,

24. car les moines font preuve de par trop de paresse dans leur service de dévotion, quand ils psalmodient moins que le psautier, avec les cantiques accoutumés, en l'espace d'une semaine,

25. puisque nous lisons qu'une fois nos saints Pères accomplirent cela vaillamment en un seul jour. Tièdes que nous sommes, puissions-nous du moins nous en acquitter en une semaine entière !

Commentaire :

Une seule chose importe aux yeux de Benoit : que les moines s'acquittent

« vaillamment» de leur « service de dévotion » ! Nous pourrions ajouter deux adverbes pour qualifier cela : « généreusement ll et « intelligemment ll. Généreusement, Benoit souhaite que les moines ne soient pas trop paresseux, en priant le psautier sur une semaine. Intelligemment, il recommande que leur service de prière s'articule sur le dimanche, comme sur un pivot, la célébration de la Résurrection du Christ.

Quand on y réfléchit : il est étonnant le service de dévotion que nous rendons à Dieu. Jour après jour, chanter des hymnes, proclamer les psaumes, dire des prières. Il est bon de pouvoir nous en étonner. En effet, surtout dans notre monde actuel, passer ainsi des heures à redire semaine après semaine, les mêmes textes, peut paraitre insensé ... Qu'est-ce qui nous pousse à vivre ainsi, ou qu'est-ce qui nous attire? La réponse n'est pas si simple, ni complètement explicable avec des mots. De plus, elle est très personnelle, car très étroitement relié à ce qui nous a attiré à planter notre tente en ce lieu. Si l'expression« service de dévotion ll, qui est une traduction littérale du latin « devotionis servitium ll, peut aussi se traduire « le service qu'ils ont voué ll (dict Blaise,« devotio »), nous mesurons bien qu'il y va bien plus que d'un simple vœu ou engagement qu'on aurait pris et que l'on devrait tenir à tout prix. Nous ne sommes pas là parce que Dieu l'exigerait pour sa gloire. Nous sommes là parce que nous avons perçu, souvent très obscurément, qu'en cette prière se vivait une rencontre unique, jamais épuisée par le temps, entre moi et Dieu, entre nous, son peuple et Dieu. Lui « qui habite les hymnes d'Israël ll (Ps 21,4) se rend mystérieusement présent à son peuple, à la« nation qu'il s'est choisi pour domaine ll (Ps 32, 12). De !'intérieur, par son Esprit, il suscite en son peuple et en ses enfants la prière gui, en l'honorant. nous remplit de vie et d'amour. Le chanter par

« des psaumes, des hymnes et de libres louanges ll devient peu à peu comme une nécessité pour lui exprimer« notre reconnaissance >l (Col 3, 16-17). Les moines choisissent de consacrer leur vie pour qu'elle se laisse habiter toujours plus par cette prière qui les traverse et les transforme. Au milieu de l’Église, ils sont comme« la lampe qui brûle et qui luit»,comme nous le chantons pour la St Jean Baptiste, lampe qui fait signe, lampe auprès de laquelle on vient se réchauffer. .. Ils n'y sont pas pour grand-chose. Le feu ne vient pas d'eux. Mais il leur revient, il nous revient de consentir à nous laisser consumer. Étonnante mission de fidélité cachée, et d'offrande au service de tous.