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7. Celui qui va sortir de semaine fera les nettoyages le samedi.
8. Ils laveront les linges avec lesquels les frères s'essuient les mains et les pieds.
9. Ils laveront aussi les pieds de tous, non seulement celui qui sort, mais aussi celui qui va entrer.
10. Il rendra au cellérier, propres et en bon état, les ustensiles de son service.
11. Le cellérier, à son tour, les remettra à celui qui entre, de façon à savoir ce qu'il donne et ce qu'il reçoit.
De ces lignes entendues, ce matin, je retiens l’insistance de St Benoit pour le nettoyage et la propreté. Au moment du passage de main entre les cuisiniers sortant et entrant, le cuisinier sortant veille à faire le nettoyage des lieux, mais aussi des linges, et à rendre propres et en bon état tous les « ustensiles de son service ». Cette insistance est belle et bonne à entendre. Elle montre combien l’accueil et le service fraternel passe par cette attention aux lieux et aux choses. Donner au suivant les outils propres, en état, c’est une belle manière de l’accueillir, au sens propre de lui faire de la place, de lui laisser toute la place. Sans discours, s’exprime là une profonde charité. Je fais tout pour que le frère qui vient après moi se sente à l’aise et puisse travailler comme il se doit.
Si nos usages pour la cuisine sont différents aujourd’hui, je crois que la vie quotidienne nous donne bien des occasions de vivre cela. Quand je quitte ma place au réfectoire, est ce que je suis attentif à la laisser propre pour qu’un frère puisse s’y tenir sans gêne ? Quand il m’arrive d’entrer avec des chaussures trop chargées en terre, et que je sème des cailloux ou des bouts de terre, est-ce que je pense à nettoyer ? Et même si ce n’est pas moi qui ait sali, est-ce-que j’ai ce réflexe en voyant une grosse saleté au sol dans un couloir ou dans le cloitre, ou bien vers la plonge ou le réfectoire, de la nettoyer, afin que ces espaces demeurent les plus propres et accueillants possibles ? Quand je balaie, est-ce que je laisse le balai plein de pluches et de moutons ? Si j’utilise une pelle ou une pioche, comment je la laisse après usage, est-ce que je la nettoie ? Veillons à garder ainsi cette attention pour le bienêtre de tous. Notre vie fraternelle se décline ainsi à travers une multitude de petits gestes qui montrent non seulement notre attachement au bien commun, mais aussi notre attention délicate aux besoins de nos frères. Quand on voyage, soit dans le train, ou bien lorsqu’on va dans certains lieux communs comme les toilettes, on trouve assez souvent : « veillez à laisser cet espace comme vous auriez aimé le trouver ». C’est une autre déclinaison du précepte évangélique en sa forme positive : « ce que tu veux que les autres fassent pour toi, fais-le aussi pour eux toi aussi ». Le bon sens ici nous appelle, mais nous pouvons parfois ne pas vivre selon le bon sens, oubliant, n’étant pas attentif ou bien simplement paresseux préférant notre tranquillité immédiate au bien commun dont nous sommes tous responsables. Notre manière d’occuper nos espaces n’est jamais neutre pour ceux qui les occuperont après nous. Accueillons alors la joie profonde à procurer de la joie à nos frères, en leur laissant un espace beau et propre.
1. Les frères se serviront mutuellement et personne ne sera dispensé du service de la cuisine, sauf maladie ou si l'on est occupé à une chose d'intérêt majeur,
2. parce que cela procure une plus grande récompense et charité.
3. Aux faibles, on accordera des aides, pour qu'ils ne le fassent pas avec tristesse,
4. mais ils auront tous des aides suivant l'importance de la communauté et l'état des lieux.
5. Si la communauté est nombreuse, le cellérier sera dispensé de la cuisine, ainsi que ceux qui, comme nous l'avons dit, sont occupés à des tâches d'intérêt supérieur.
6. Les autres se serviront mutuellement dans la charité.
« Ils auront tous des aides… » Ainsi Benoit prévoie-t-il, « selon l’importance des communautés et l’état des lieux » que les frères de la cuisine seront aidés dans leur travail. Dans ce service qui revenait régulièrement, cela veut dire qu’un même frère pouvait parfois être un jour le semainier en titre et un autre jour l’aide d’un frère semainier. Aujourd’hui, nos emplois et nos services sont plus spécialisés. Ils nous prennent à une bonne part de temps voire à temps plein comme la cuisine. Ils sont vécus davantage dans la durée. Mais nous gardons trace de l’appel aux aides lorsque pour les dimanches et jour de fêtes, plusieurs frères viennent à tour de rôle aider à la cuisine, mais aussi au réfectoire… Nous vivons alors souvent je crois, comme une expérience heureuse de pouvoir ainsi aider pour un temps des frères dans un autre domaine que le nôtre immédiat. Se vit pour chacun un déplacement de son domaine de compétence à celui d’un autre frère à qui on obéit simplement.
« Ils auront tous des aides » Je remarque parfois qu’il n’est pas rare que des frères aient du mal à se faire aider. Peut-être n’est-ce pas simple pour chacun de nous d’accepter d’avoir besoin d’aide. C’est accepter qu’on ne soit pas tout-puissant dans son travail. Plus pratiquement, avoir des aides, nous invite à renoncer à une certaine efficacité. Il va falloir perdre un peu de temps pour expliquer les choses. Et au final, les choses ne seront peut-être pas faites exactement comme on aurait imaginé. Mais il y a une chose qui ne se mesure pas bien ici, c’est la bonne énergie fraternelle que ce travail commun va avoir créé entre nous. Cette énergie fraternelle est au service non seulement du l’accomplissement du travail mais plus largement, elle dynamise notre vie communautaire. Elle nourrit notre joie et notre désir d’avancer ensemble.
« Ils auront tous des aides ». Si tous, nous sommes concernés, nous pourrions transformer un peu la formule, en « ils seront tous des aides » potentielles… Il nous est bon tous, de demeurer dans cet état d’esprit d’être toujours prêts à aider, et de veiller à ne pas nous enfermer dans notre domaine propre. Sans vouloir se mêler de tout ce qui est toujours pénible, cultivons cette disponibilité intérieure pour être prêts à aider quand on nous le demande, et si on remarque un besoin, de proposer son aide sans s’imposer. Vivre ainsi, c’est aussi se mettre au service de cette énergie fraternelle qui vivifie le tissu communautaire, à la manière de la sève qui irrigue l’écorce et nourrit l’arbre.
1. Comme il est écrit : « On distribuait à chacun selon ses besoins. ;»
2. Ici nous ne disons pas que l'on fasse acception des personnes, – ;à Dieu ne plaise ! – mais que l'on ait égard aux infirmités.
3. Ici, que celui qui a moins de besoins, rende grâce à Dieu et ne s'attriste pas ;
4. quant à celui qui a plus de besoins, qu'il s'humilie de son infirmité et ne s'enorgueillisse pas de la miséricorde qu'on a pour lui,
5. et ainsi tous les membres seront en paix.
6. Avant tout, que le fléau du murmure ne se manifeste sous aucun prétexte par aucune parole ou signe quelconque.
7. Si l'on y est pris, on subira une sanction très sévère.
Il y a quelques jours, nous entendions le chapitre précédent, dans lequel, Benoit insistait sur l’importance de ne rien avoir en propre, avec une certaine radicalité, pour vivre le mouvement du demander et recevoir, en relation avec cette dépendance foncière qu’est la nôtre vis-à-vis de Dieu. Aujourd’hui, ce chapitre vient tempérer cette radicalité, ou peut-être permettre de mieux la comprendre, en introduisant un autre principe tiré des Actes des Apôtres : « On distribuait à chacun selon ses besoins » (Ac 4, 35). Ce principe offre le gros avantage d’éviter de transformer la vie monastique en un communisme sec et sans souffle, où tout est nivelé par le bas, et s’il le faut par la force par la coercition au nom de la propriété de la terre qui revient au peuple. On a vu combien l’idéal fascinant s’est transformé en une sorte de goulag généralisé, avec une pensée unique, un art unique, et une vie sociale où les personnes deviennent des instruments au service d’une idéologie qui pouvait les broyer.
Rien de tel dans la vie monastique. Si chacun est invité à tout demander et recevoir, il n’en demeure pas moins que l’on reste attentif aux besoins de chacun. A l’un on donnera comme cela, et à un autre autrement. Car Dieu n’agit-il pas ainsi avec nous ? Il nous appelle à ce genre de vie, non pas pour nous broyer, mais pour nous permettre de grandir, fort de la discipline communautaire qui peut nous raboter parfois, mais aussi fort de sa grâce qui nous rejoint de manière unique là où nous sommes aujourd’hui. Ici, nous sommes tous convoqués à un exercice spirituel, d’entrer dans le regard que le Seigneur porte sur chacun, regard qui nous échappe en partie, mais nous oblige en retour à un détachement et à une liberté vis-à-vis de nos jugements sur les autres. Pour celui qui a moins de besoin, nous dit Benoit, qu’il rende grâce à Dieu, et celui a plus de besoin qu’il s’humilie et reste discret pour ne pas susciter envie ou jalousie. Dans les deux cas, il s’agit de se décentrer de soi. Faire cette confiance à la communauté, que je peux demander, et qu’on va me donner ce dont j’ai besoin. Notre vie monastique, si elle rabote notre amour propre, et nos volontés propres, les deux qui se révèlent souvent illusoires, ne veut pas nous ôter le désir de vivre. Celui-là passera parfois par les biens, des formations reçus, ou des voyages accomplis. Chacun est alors convié à se réjouir de ce qu’on peut offrir à l’autre, même si à lui, on lui donne rien ou autre chose. Bernanos disait : « Être capable de trouver sa joie dans la joie de l’autre, voilà le sens du bonheur ». En communauté, cultivons ce regard et cette attitude où l’on se réjouit pour le frère qui va peut-être faire quelque chose d’un peu exceptionnel parce que l’on sait que c’est bien pour lui.
1. Par dessus tout, il faut retrancher du monastère ce vice jusqu'à la racine :
2. que personne ne se permette de rien donner ou recevoir sans permission de l'abbé,
3. ni d'avoir rien en propre, absolument aucun objet, ni livre, ni tablette, ni stylet, mais absolument rien,
4. puisqu'on n'a même pas le droit d'avoir son corps et sa volonté à sa propre disposition.
5. Tout ce dont on a besoin, on le demande au père du monastère, et personne n'a le droit de rien avoir que l'abbé ne lui ait donné ou permis.
6. Que « tout soit commun à tous », comme il est écrit, en sorte que « ;personne ne dise sien quoi que ce soit », ni ne le considère comme tel.
7. Si quelqu'un est pris à se complaire dans ce vice extrêmement pernicieux, on l'avertira une et deux fois ;
8. s'il ne s'amende pas, il subira une réprimande.
Avoir quelque chose en propre : Benoit s’y oppose fortement reconnaissant là un vice qu’il craint de voir s’installer au monastère. L’étymologie trouvée sur Wikipedia dit : propre vient de proprius, mot composé de la préposition pro « pour » et de l’adjectif privus, « privé, particulier »…on peut traduire ce qui est pour le particulier, pour chacun…mot duquel est dérivé le mot « propriété », les choses qui sont en propre, en particulier. Cette injonction de Benoit prend à rebrousse-poil notre mentalité moderne, qui a développé un sens aigüe de la propriété privée, l’associant étroitement aux droits individuels. Notre société semble nous dire : pour être vraiment un homme, il faut avoir son autonomie et des biens personnels propres. Elle a tendance à passer en second plan le fait que chacun existe aussi dans un groupe, par, avec et pour d’autres. La vie monastique vient contester ce fait. L’insistance de Benoit laisse entendre cependant qu’hier comme aujourd’hui, cette mise en commun n’était pas évidente pour tous les esprits.
Pourquoi Benoit tient-il tant à ce que les moines n’aient rien en propre ? Il me semble que la pratique qu’il préconise de demander et de recevoir en vue que tout soit effectivement commun à tous, peut en éclairer les raisons. St Benoit invite en effet ses moines à entrer dans une belle circulation de la vie entre chacun des membres de la communauté. Par-là, Benoit veut faire entrer les moines dans une vie qui les garde de l’illusion de s’autosuffire, en amassant et en préservant pour eux-mêmes des objets et des biens. Comme dans la parabole de l’évangile (Lc 12, 14-21) il y a, en nous tous, la tentation du propriétaire qui veille jalousement sur sa fortune et ses terrains dans l’illusion de pouvoir enfin se reposer sur ses biens, en autarcie, et ne dépendre de personne. Restons vigilants lorsque nous sommes tentés de faire des réserves d’un bon produit ou quand nous gardons un livre, un outil, un appareil dont nous n’avons pas un besoin immédiat. Remettons-le dans le circuit communautaire. Car nous dit Benoit, la vraie vie, et peut-être aussi la vraie joie, celle qui peut coûter, c’est de s’inscrire dans l’échange, c’est de placer notre vie avec ses besoins les plus élémentaires (la nourriture, stylo, le papier, les vêtements, l’ordinateur, la voiture) dans le mouvement du demander et du recevoir. Apprendre à tout demander et à tout recevoir, parce qu’ainsi je suis dans la vie authentique, celle qui est toujours reçue des autres, car fondamentalement reçue de Dieu. « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?» interroge Paul (1 Co 4,7). Notre vie où tout est commun entre nous peut alors devenir comme une parabole de la vraie vie, celle qui fait sa place à chacun en partageant tout à tous, et celle qui annonce le Royaume où tous recevront également et ensemble la vie de Dieu.
1. Pour l'avoir du monastère en outils, vêtements et biens de toute sorte, l'abbé choisira des frères, de vie et mœurs dont il soit sûr,
2. et il leur remettra ces différents objets, comme il le jugera bon, pour qu'ils les conservent et les recueillent.
3. De ces objets, l'abbé gardera l'inventaire. Ainsi, quand les frères se succèdent à tour de rôle dans l'emploi, il saura ce qu'il donne et ce qu'il reçoit.
4. Si quelqu'un traite les biens du monastère sans propreté ou sans soin, on le réprimandera.
5. S'il ne s'amende pas, il subira les sanctions de règle.
Ce chapitre sur le soin à apporter aux outils et aux biens du monastère nous invite à prendre de la hauteur dans notre quotidien même. Prendre soin de nos outils, du couteau du cuisinier, du balai pour le ménage, du fer à repasser pour le linge, de l’ordinateur pour tous les usages qu’on peut lui demander, de la pelle ou la bêche pour le jardin, prendre soin de chacun de ses outils, c’est prendre soin de notre travail et aussi du bien être de la communauté et plus largement de tous ceux qui sont bénéficiaires de notre travail d’une manière ou d’une autre. Cultivons cette prise de hauteur de vue pour cultiver dans le même temps la conscience d’être intégré dans une œuvre de création bien plus grande et ample que la seule tâche que nous accomplissons. Lors de la prière de bénédiction des bureaux d’Ezalen que j’ai faite mercredi matin, Thierry avait choisi un texte de Ben Sira dont je cite un extrait qui dit cela : « Il en va du potier, toujours à son ouvrage ; il actionne le tour avec ses pieds, il est en perpétuel souci de son travail et tous ses gestes sont comptés ; de ses mains il fixe l’argile, il la malaxe avec ses pieds, il met son cœur à parfaire le vernis, il passe des nuits à nettoyer le four. Tous ces gens-là ont mis leur confiance dans leurs mains, et chacun possède la sagesse de son métier…Ils consolident la création originelle et leur prière se rapporte aux travaux de leur métier » (Si 38, 29-31, 34).
« Ils consolident la création originelle »… Tels nous sommes tous les uns et les autres dans nos divers travaux dont aucun n’est méprisable, car chacun sert la création originelle. En prenant soin de nos outils, en soignant nos gestes, notre travail, nous entrons dans le mouvement de la création qui se poursuit et auquel nous collaborons de manière aussi étroite que simple. A l’inverse, lorsqu’on bâcle le travail, lorsqu’on cherche à bourrer les choses, à faire au plus vite pour en avoir fini au plus vite, on passe à côté, on manque l’essentiel : la grâce d’être inséré dans un projet qui nous dépasse autant qu’il nous relie à tous. Car souvent nous allons faire payer aux autres notre travail bâclé. Ils devront refaire des choses etc…Lorsqu’on est dans cet état d’esprit guidé par le seul souci de gagner du temps, d’être au top de l’efficacité, on se place au centre. On oublie qu’on n’est qu’un modeste maillon, et qu’on ne peut aller plus vite que la musique. Soyons vigilants sur ce point, car cela peut être une tentation du moine qui veut tellement optimiser le temps, que cela devient une obsession, et que cela créé de la tension autour de lui, rendant difficile toute collaboration. Prendre soin de nos outils, développer cette conscience du bon usage de tout ce qui nous est confié, dans le respect de chose elle-même comme des personnes avec qui on l’utilise, est un bon antidote à ce risque de la quête éperdue de gagner du temps sur le temps. Notre travail, nos services, deviennent alors des lieux de communion, avec les autres et avec Dieu.
13. Qu'il ait avant tout l'humilité, et quand il n'y a rien à donner à quelqu'un, qu'il lui offre en réponse une parole aimable,
14. comme il est écrit : « Une parole aimable surpasse le don le plus précieux. »
15. Tout ce que l'abbé lui enjoindra, il en aura la responsabilité ; ce qu'il lui interdira, il ne se le permettra pas.
16. Il fournira aux frères la ration prescrite sans arrogance ni délai, de peur qu'ils ne s'irritent, en se souvenant de ce que mérite, selon la parole divine, « celui qui irritera un des petits. »
17. Si la communauté est nombreuse, on lui donnera des auxiliaires, pour que lui aussi, grâce à leur aide, il remplisse la charge qui lui est confiée sans perdre la paix de l'âme.
18. On donnera ce qui est à donner et on demandera ce qui est à demander au moment voulu,
19. afin que personne ne soit troublé ou peiné dans la maison de Dieu.
« Que personne ne soit troublé ou peiné dans la maison de Dieu ». Cette phrase concluant le chapitre sur le cellérier dit combien la paix monastique est souvent liée à la manière de gérer les affaires les plus quotidiennes. St Benoit met en évidence deux lieux sensibles qui vont contribuer ou non à cette paix : la gestion de la parole et le respect de la bonne temporalité. Comment répondre à un frère qui pose une question maladroite ou peut-être indiscrète, ou encore qui fait une demande injuste ? La réponse est simple : en opposant une parole aimable. Mais pourquoi est-ce si difficile ? Pourquoi parfois au contraire ces éclats de colère ou d’impatience ? Est-ce parce que la question nous trouve si démuni qu’on ne veut pas perdre la face, alors on se met en colère, sans se rendre compte qu’on perd encore davantage la face… Est-ce parce qu’on a l’impression d’être rabaissé à des considérations qui ne sont pas dignes de nous ? Du coup, on envoie balader l’autre. On le ridiculise au besoin par une parole blessante.
Paradoxalement offrir une parole aimable nous demande de prendre sur nous, de puiser en cette capacité de simplicité ou de vulnérabilité pour rejoindre l’autre là où il est, sans prétention d’être soi-même supérieur ou plus malin… Se comprend mieux dès lors la consigne de Benoit qui précède juste ce passage : « qu’il ait avant tout l’humilité ». Oui, donner une parole aimable demande beaucoup d’humilité pour sortir de soi et aller simplement à la rencontre de l’autre. C’est certainement une grâce à demander pour chacun de nous. Car les occasions de donner une bonne parole en vérité et fraternité sont plus nombreuses qu’on ne le croit.2d lieu sensible : la bonne temporalité dans nos échanges : sans délai, donner et demander au moment opportun. Sans délai : ne pas faire attendre, ou si on ne peut répondre assez vite, le faire savoir pour ne pas faire attendre l’autre. Comme c’est difficile. De nouveau, cela nous demande de mettre l’autre avant nous et avant nos préoccupations. Ne serait-ce qu’en lui communiquant qu’on ne peut dans le moment présent, à condition que cela ne soit pas un alibi. Car il y a une manière de ne pas répondre en son temps à des demandes qui est en fait une manière de faire sentir à l’autre un prétendu pouvoir. De nouveau, la lumière de l’humilité est ici précieuse pour nous sortir de nos prétentions illusoires. Veiller à faire les choses au moment opportun est aussi une source de paix pour tous. Sauf urgence, on ne demande pas un service à un frère après complies, ni lorsqu’il est déjà bien occupé. Question de délicatesse fraternelle. La paix est au bout de toutes ces petites attentions. Nous n’avons pas fini d’être artisan de paix entre nous.
3. Il prendra soin de tout,
4. il ne fera rien sans l'ordre de l'abbé ;
5. il observera les ordres reçus,
6. il ne fera pas de peine aux frères.
7. Si un frère lui présente une requête déraisonnable, il ne le peinera pas en le repoussant avec mépris, mais avec humilité il opposera à cette mauvaise demande un refus raisonnable.
8. Il veillera sur son âme, en se souvenant toujours de cette parole de l'Apôtre : « Qui fait bien son service, se procure une belle place. »
9. Il prendra soin des malades, des enfants, des hôtes et des pauvres avec toute sa sollicitude, sachant sans aucun doute qu'il devra rendre compte pour toutes ces personnes au jour du jugement.
10. Il considérera tous les vases du monastère et tout son avoir comme les vases sacrés de l'autel ;
11. il ne tiendra rien pour négligeable.
12. Il ne cédera pas à l'avarice ni ne sera prodigue ou dissipateur de l'avoir du monastère, mais il fera tout avec mesure et selon les ordres de l'abbé.
« Il prendra soin de tout ». Prendre soin…de tous, de lui-même et de tout objet… Le cellérier doit avoir une attention particulière aux personnes plus fragiles, les « malades, les enfants, les hôtes et les pauvres ». Pourquoi une telle insistance sur ces catégories de personnes ? N’est-ce pas parce qu’elles sont plus vulnérables, en leur corps, pour les malades, par leur âge, pour les enfants, parce qu’ils ne sont pas chez eux, pour les hôtes, et tout simplement parce qu’ils n’ont rien, pour les pauvres. Pour toutes ces personnes, un sourire, l’accueil, le pain offert ou le café, la disponibilité à écouter représente comme une fortune. Il n’est qu’à nous souvenir chacun, un jour ou l’autre d’avoir ainsi bénéficié d’une attention ou d’en avoir manqué, alors que nous étions dans une situation précaire, voire de détresse… Nous avons pu mesurer alors combien la qualité de l’attention, du soin qu’on nous portait pouvait représenter comme un véritable baume. Combien les personnes plus vulnérables ne le ressentent-elles pas ?
Attentif aux autres, le cellérier doit aussi veiller sur lui-même, « veiller sur son âme », dit St Benoit. Cette précision sur l’âme est intéressante, car il y a une manière de veiller sur soi, de prendre soin qui ressemble beaucoup à une forme de recherche de son petit confort, où toute l’énergie est déployée pour préserver sa tranquillité, ou son temps. Veiller sur son âme, nous indique qu’il y a une préoccupation à surtout ne jamais oublier, c’est celle de notre vie intérieure, ou pour dire autrement celle de notre relation avec le Seigneur. Sauf exception où le frère appelle en urgence, le cellérier comme chacun de nous doit veiller à ne jamais délaisser ce souci de la prière, de la lectio, cette attention où le Seigneur est placé au centre… « Dieu premier servi », disait Jeanne d’Arc. Le soin des plus vulnérables, et le soin de sa relation avec le Seigneur bien posés, assez naturellement on peut comprendre que St Benoit recommande de prendre grand soin des vases et de tout l’avoir du monastère, comme on prend soin des vases sacrés de l’autel. Car tous les objets qui passe dans nos mains, quel qu’ils soient, s’ils sont traités avec respect, dignité, vont nous aider à être vraiment au service des autres. Dans l’attention qu’on leur porte va se jouer le soin de notre âme, en ce qu’elle s’unifie dans tout ce qu’elle fait. Aucune tâche n’est méprisable et ne doit être bâclée. Je pense au desservice ; J’attire l’attention sur un point : il n’est pas rare de voir des frères qui ont dans les mains un objet d’usage commun, une pelle ou une balayette les jeter à terre au lieu de le déposer. Cela dénote une forme de mépris. Personne n’aurait l’idée de jeter un livre sur une table, ou une assiette ou un outil, au lieu de les poser. Mis en commun, il nous revient de veiller sur eux. Ils sont un trait d’union entre nous au service des uns des autres.
1. On choisira pour cellérier du monastère un membre de la communauté qui ait sagesse, maturité de caractère, sobriété ; qui ne soit pas grand mangeur, hautain, turbulent, injuste, lent, prodigue,
2. mais qui ait la crainte de Dieu. Il sera comme un père pour toute la communauté.
Je retiens tout particulièrement ce matin, le titre de ce chapitre… « Du cellérier du monastère, ce qu’il sera ». Parlant du cellérier, on aurait attendu « du cellérier, ce qu’il fera », tant nous sommes prompts à penser la gestion des affaires temporelles uniquement dans leur aspect technique. St Benoit évoque bien sûr ces aspects dans ce chapitre. Mais il se préoccupe de poser d’abord un sorte de portrait du cellérier, avec des balises humaines et spirituelles à ne pas perdre de vue s’il veut bien remplir sa charge. J’espère que ces caractéristiques n’effraient pas trop nos frères cellériers sortant et rentrant. Moins qu’un portrait idéal qui ne sera jamais atteint par personne, je crois qu’il faut les entendre comme des guides pour permettre au cellérier de tendre vers ce qu’il est appelé à devenir, « un père pour toute la communauté ». Je vais les reprendre rapidement.
« Sagesse », pour savoir prendre du recul par rapport aux situations et en découvrir les moyens concrets qui leur donneront du sens. « Maturité de caractère » mûri par l’expérience, mûri par la patience du temps. « Sobriété » pour aller à l’essentiel et ne pas se perdre dans des choses qui ne sont pas nécessaires. Car la recherche du Royaume et de sa justice nous presse. « Pas grand mangeur », consigne qui, au temps de St Benoit, pouvait revêtir une exigence particulière pour celui qui détenait les clés des réserves de nourriture et de boisson. « Pas hautain », pour que le cellérier n’oublie pas que la garde des biens à lui confiés ne le met pas au-dessus des autres. Elle est un service qui lui demande de se rendre accessible à tous. « Pas agité », ce point est délicat et demande au cellérier d’aller chercher en lui sa quille intérieure. C’est elle qui le laissera assez stable dans ses réactions et ses sentiments intérieurs, pour ne pas être trop balloté au gré des multiples injonctions parfois contradictoires. « Pas injuste », chercher la justice pour tous et chacun, en essayant de rejoindre chacun dans ses besoins, sans perdre de vue le bien de tous. « Pas lent », pour être au service de l’élan communautaire qui entraine chacun à un dépassement de soi. « Pas prodigue », si l’économe n’est pas économe qui le sera ? « Qu’il ait le crainte de Dieu ». Dans ce catalogue de repères, ce dernier, avec sa note spirituelle, nous découvre comme un fondement premier et nécessaire sur lequel tous les autres repères trouvent leur bon ancrage. En se souvenant que tout ce qu’il fait et vit est pour le Seigneur, le cellérier va pouvoir devenir, avec ce qu’il est, avec ses qualités, ses forces et ses faiblesses, ce père pour toute la communauté. En remerciant notre f. Benoit qui a été très généreusement au service de notre communauté, nous souhaitons à f. Xavier de trouver peu à peu sa propre manière de servir la communauté comme un père.
1. Tout âge et degré d'intelligence doit recevoir un traitement approprié.
2. Aussi chaque fois que des enfants et des adolescents par l'âge, ou des adultes qui ne peuvent comprendre ce qu'est la peine d'excommunication,
3. quand donc ceux-là commettent une faute, on les punira par des jeûnes rigoureux ou on les châtiera rudement par des coups, afin de les guérir.
« Afin de les guérir ». Nous n’avons plus au milieu de nous comme encore nos pères dans les années 1925-35 environ, avant la construction de l’école… Mais qui que nous soyons, le propos de chercher à nous corriger afin de guérir demeure un élément toujours actuel de notre travail de conversion. Pour cela, on peut entendre ce chapitre comme un appel lancé à chacun de nous à laisser vivre la part d’enfant en lui qui est prompte à se laisser corriger sans en faire un drame. L’enfant qui fait une bêtise, sait souvent qu’il va recevoir une remontrance ou une correction. Il ne s’offusque pas quand on la lui donne. S’il n’est pas content sur le moment, il oublie très vite l’orage, pour retourner à ses jeux et revenir se faire câliner par ses parents. Pourquoi est-ce si difficile d’accepter qu’on nous corrige par une parole, ou qu’on nous fasse une remarque ? Est-ce parce que cette part d’enfant est trop enfouie sous les traits d’un adulte devenu un peu rigide, tellement aveugle sur lui-même qu’il ne peut supporter une parole qui le contredise… ? On peut trouver ici une application très concrète à la parole de Jésus, « si vous ne devenez pas semblable à cet enfant, vous n’entrerez pas dans le Royaume de Dieu ».
Invitation faite à chacun de nous à laisser vivre davantage cette part d’enfant suscitée par l’Esprit Saint. L’enfant selon l’Esprit n’est pas susceptible. Il sait rire de lui-même et de ses erreurs. Il ne se prend pas trop au sérieux. Il accepte de se faire bousculer dans ses habitudes ou dans ses certitudes. Oui, une remarque ou une correction est souvent pour nous tous une bonne occasion d’aller plus loin sur le chemin de la liberté intérieure qui a à voir avec la légèreté de l’enfant. Il est bon de réfléchir un peu sur les réactions que nous sommes capables d’opposer dans de tels moments : besoin de se justifier, de répliquer immédiatement pour faire à notre tour une remarque à celui qui a osé nous en faire une…mais toi, tu es comme cela… Et ensuite, il n’est pas rare de partir énervé, en colère, en claquant la porte, pour s’installer dans la bouderie ou le mutisme. Quand nous traversons de telles situations, asseyons-nous quelque part. Osons regarder en face ce qui se passe en nous, pour tenter d’y voir plus clair ? Pourquoi je réagis comme cela alors que je sais que le frère a raison ? Pourquoi est-ce que je ne supporte pas d’être remis en cause ? Ma faiblesse me fait-elle si peur ? Alors remettons-nous devant le Seigneur, sous sa Lumière jamais aveuglante, toujours éclairante. Demandons-lui ce qu’il veut nous dire là ? N’est-ce pas une chance qui m’est offerte pour accueillir du nouveau et retrouver un peu de la fraicheur et de la joie de l’enfant de de Dieu ? Oui, ne laissons pas passer ces moments de frictions qui nous mettent à mal apparemment, car ils peuvent nous faire grand bien.
1. Un frère qui est sorti du monastère par sa propre faute, s'il veut revenir, commencera par promettre de s'amender complètement du défaut qui l'a fait sortir,
2. et alors on le recevra au dernier rang, pour éprouver par là son humilité.
3. S'il s'en va de nouveau, il sera reçu ainsi jusqu'à trois fois, en sachant qu'ensuite on lui refusera toute autorisation de retour.
En écho avec ce chapitre qui nous laisse entrevoir une possible réintégration d’un frère sorti par sa faute, je voudrais partager quelques réflexions entendues hier par internet, lors d’un colloque sur la justice réparatrice suscitée par la CRR vis-à-vis des victimes d’abus sexuels dans l’Eglise. Importance pour les victimes d’être écoutée et crue. Plusieurs témoins ont insisté sur ce fait d’une écoute qui croie sincèrement, comme premier lieu de réparation. A l’inverse, l’une a témoigné du fait de ne pas avoir été crue, ni vraiment accueillie, du coup elle a le sentiment de quelque chose qui n’est pas réglé. Importance que les actes soient nommés comme des crimes, des agressions sexuelles, des souffrances infligées et non par des euphémismes… Importance d’une instance 1/3 comme la CRR entre la personne et l’Eglise-congrégation. Importance d’une démarche qui emmène la personne dans une progression, pour pouvoir dire, être rétabli dans la relation avec l’institution qui fait une lettre de reconnaissance et donne une participation financière (même si peu ont évoqué ce point), de pouvoir devenir soi-même, acteur de nouveau de sa vie (par ex certains s’engagent fortement dans un combat pour que ne se relâche pas la vigilance sur ces problèmes, notamment par rapport à la prévention).
Il est intéressant que les personnes témoignent d’un avant et d’un après la démarche restauratrice (émotions mieux gérées, changt physiques, plus grand soin de soi, restauration des relations avec l’entourage « victimes collatérales », par ex : 1 vict = 35 pers famille éloignées de l’Eglise ; poursuite du combat-associations de victimes). Conscience que la « honte a changé de camp » qui participe à la réparation. En même temps, des réactions de personnes victimes pointaient que certains instituts n’avaient pas été à la hauteur et les laissaient dans une grande frustration. Pour la CRR, importance de mettre la victime au centre, en la croyant, mais aussi en l’associant toujours dans la démarche pour ce qu’elle souhaite et envisage afin de sortir grandie. Exemple du Québec : rencontre entre des victimes et des agresseurs qui peuvent dire aux premières qu’ils reconnaissent le mal qu’ils ont fait : cela aide les victimes, même si ce n’est pas leur propre agresseur. Sur l’importance de la présence du 1/3, par ex la CRR a été choisie par l’EPUF comme médiateur pour tous les cas qu’ils repèrent dans l’Eglise protestante. Ce 1/3 établit un lien de confiance, et avec la victime et avec l’institution. Un provincial a souligné le besoin de 1/3 aussi entre la congrégation et l’auteur d’abus. P. Goujon insistait sur la différence de temporalité pour la victime qui est dans l’urgence et l’institution qui a besoin de temps pour agir et se transformer. Car il s’agit d’une conversion profonde d’attitude et de regard. En soulignant fortement que la réparation bute toujours sur quelque chose d’irréparable.