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1. Il ne sera aucunement permis à un moine de recevoir ou de donner, sans permission de l'abbé, lettres, eulogies ou petits présents quelconques, ni de ses parents, ni d'aucun homme, ni entre eux.
2. Même si ses parents lui envoient quelque chose, il ne se permettra pas de l'accepter avant d'en avoir référé à l'abbé.
3. Si l'abbé permet qu'on l'accepte, il sera en son pouvoir de donner la chose à qui il veut,
4. et le frère à qui on l'avait envoyée ne s'en fâchera pas, « pour ne pas donner d'occasion au diable. »
Les cadeaux, donnés et reçus : c’est par cette question que Benoit termine les chapitres consacrés aux relations avec les personnes de l’extérieur.
Un objet peut être considéré de divers points de vue : son utilité, sa beauté, sa valeur affective. Son utilité est objective : Benoit dira ailleurs que chacun doit recevoir de l’Abbé ce qui lui est nécessaire. Demander, et recevoir, nous savons bien que c’est pour nous la première façon de vivre la pauvreté. Sur la beauté des choses, la Règle nous recommande de ne pas nous préoccuper de la couleur du tissus de nos vêtements, nous contenter de choses simples. Mais un objet peut aussi avoir pour nous une valeur objective, liée à ce qu’il évoque pour nous. Une personne, une période de notre vie, un lieu qui nous a marqués. Dans ce cas, ce n’est ni l’utilité, ni la beauté de l’objet qui importent, mais la charge affective que nous y mettons. L’objet prend alors une valeur symbolique. Un cadeau peut avoir cette triple dimension : son utilité, sa beauté, sa charge symbolique.
Dans ce chapitre, Benoit ne considère ni l’utilité, ni la valeur de l’objet, mais son poids affectif. Recevoir un cadeau, donner des cadeaux, c’est une manière d’exister aux yeux des autres. Comme dans les chapitres précédents, Benoit met le doigt sur un point important de notre vie d’homme : notre affectivité. Il faut dire d’abord que le désir de posséder est une pathologie, le signe d’une carence. Nous souffrons tous de déséquilibres liés à notre histoire. Il est bon d’en prendre conscience. D’oser les reconnaître. De pouvoir les nommer. C’est la condition nécessaire pour pouvoir grandir. C’est le but de ces chapitres : non pas nous culpabiliser. Mais nous aider à voir plus clair en nous-mêmes. Si nous nous justifions, si nous nous fermons le cœur, quand nous les entendons, cela nous montre à quel point nous sommes emprisonnés en nous-mêmes. La Règle nous offre une bonne grille de lecture de ce que nous vivons. Pour nous aider à discerner nos points faibles, sans les masquer sous des justifications. C’est seulement quand nous pouvons reconnaître nos petitesses qu’une guérison est possible. Pour advenir à l’être que nous sommes vraiment. Celui que nous sommes appelés à devenir par vocation. (2011-08-25)
16. La cuisine de l'abbé et des hôtes sera à part, afin que les hôtes arrivant à des heures incertaines, – ils ne manquent jamais au monastère, – les frères n'en soient pas dérangés.
17. Dans cette cuisine entreront en charge pour l'année deux frères qui remplissent bien la fonction.
18. S'ils en ont besoin, on leur procurera des aides, pour qu'ils servent sans murmure, et inversement, quand ils ont moins d'occupation, ils iront au travail là où on leur commande.
19. Et l'on y veillera, non seulement pour eux, mais aussi dans tous les services du monastère :
20. quand ils en ont besoin, on leur attribuera des aides, et inversement, quand ils sont libres, ils obéiront aux commandements qu'on leur donne.
21. Quant au logement des hôtes, il sera confié à un frère dont l'âme est pénétrée de la crainte de Dieu.
22. Il y aura là des lits garnis en nombre suffisant, et la maison de Dieu sera administrée par des sages et sagement.
23. Celui qui n'en a pas reçu l'ordre n'entrera aucunement en rapport avec les hôtes ni ne conversera avec eux,
24. mais s'il les rencontre ou les aperçoit, il les saluera humblement, comme nous l'avons dit, et demandant une bénédiction, il passera son chemin en disant qu'il n'a pas permission de converser avec un hôte.
La suite de ce chapitre, sur l’accueil des hôtes, passe d’une Foi et d’une Charité débordantes, à une attitude réservée, presque défiante ! Le mystère de la vie monastique est dans ce contraste : La ferveur de l’hospitalité. Et les exigences d’une conversion qui est toujours en chantier. P. Adalbert dit ceci : « C’est seulement dans le Royaume de Dieu qu’il ne sera plus nécessaire de jeûner et de se taire, de se tenir sur ses gardes, et de se séparer du prochain. Mais ces jeûnes et ce silence, cette prudence et cette séparation conduisent effectivement au Royaume de Dieu. »
Après avoir proclamé que, dans l’hôte qui passe, c’est le Christ lui-même qui est accueilli, Benoit insiste sur la séparation nécessaire entre les moines et les hôtes. Une maison des hôtes à part, avec un réfectoire à part. De plus, comme les hôtes n’entrent pas dans le bâtiment réservé aux moines, de même les moines ne vont pas, sauf s’ils en ont reçu la mission, dans le bâtiment réservé aux hôtes.
Seul l’Abbé, et les frères nommés par l’Abbé, pour un temps, ont le responsabilité des hôtes. Il n’est pas bon qu’un frère se mêle d’aller évangéliser les hôtes de sa propre initiative !
« L’hôtellerie sera confiée à un frère dont l’âme est pénétrée de la crainte de Dieu. » « La maison de Dieu sera administrée sagement, par des sages. » Nous sommes dans la maison de Dieu, une maison de prière. Nous devons avoir comme première préoccupation de garder au monastère son vrai visage. Sinon, que trouveraient les hôtes ? L’empressement et la gentillesse ne suffisent pas. Quand nous avons à accueillir, nous sentons bien où cesse le don de soi, où commence la recherche de nous-mêmes. Accueillir, même nos parents ou nos amis, cela peut être une occasion très bonne pour grandir dans la crainte de Dieu : c'est-à-dire la préoccupation première de sa présence, et la recherche de sa gloire. Il y a là matière à grandir dans le véritable amour de Dieu et du prochain. Ces rencontres, recevons les comme une mission : c’est Dieu qui m’y invite. (2011-08-24)
1. Tous les hôtes qui se présentent doivent être reçus comme le Christ, car il dira : « J'ai été hôte et vous m'avez reçu. »
2. « A tous » on rendra les honneurs qui leur sont dus, « surtout aux frères dans la foi » et aux étrangers.
3. Lors donc qu'un hôte sera annoncé, le supérieur et les frères iront à sa rencontre avec toutes les politesses de la charité.
4. On commencera par prier ensemble, et ensuite on échangera la paix.
5. Ce baiser de paix ne doit se donner qu'après qu'on ait prié, à cause des illusions du diable.
6. En saluant, on donnera toutes les marques d'humilité à tous les hôtes qui arrivent ou qui partent.
7. La tête inclinée, le corps prosterné par terre, on adorera en eux le Christ que l'on reçoit.
8. Une fois reçus, on conduira les hôtes à l'oraison, et après cela le supérieur s'assiéra avec eux, lui ou celui qu'il aura désigné.
9. On lira devant l'hôte la loi divine, pour l'édifier. Après quoi, on lui donnera toutes les marques d'hospitalité.
10. Le supérieur rompra le jeûne à cause de l'hôte, sauf si c'est un jour de jeûne majeur que l'on ne puisse violer,
11. tandis que les frères continueront à observer les jeûnes accoutumés.
12. L'abbé versera l'eau sur les mains des hôtes.
13. L'abbé, ainsi que toute la communauté, lavera les pieds de tous les hôtes.
14. Après le lavement des pieds, on dira ce verset : « Nous avons reçu, ô Dieu, ta miséricorde au milieu de ton temple. »
15. On accordera le maximum de soin et de sollicitude à la réception des pauvres et des étrangers, puisque l'on reçoit le Christ davantage en leur personne, la crainte des riches obligeant par elle-même à les honorer.
Accueillir tous les hôtes comme le Christ. Les honorer tous. Benoit insiste sur tous. Son souci, il l’a dit au ch 4, c’est d’ « honorer tous les hommes ». Sans faire entre eux de différence, sans tenir compte de la fortune, ni du niveau social. Au contraire, puisque c’est le Christ que l’on reçoit, le plus grand soin doit aller à ceux qui lui appartiennent le plus : les « frères dans la foi ». (L’expression vient de Galates 6/10.) Et les pauvres, les étrangers, ceux dont le Christ a partagé l’indigence. Toute la tradition biblique nous l’a dit : l’hôte, l’étranger, est envoyé par Dieu. Parfois, c’est Dieu lui-même.
Benoit décrit l’hospitalité avec ferveur. Il la conçoit comme un hommage au Christ. Comme un accueil du Christ. Il la décrit comme une liturgie : prière, baiser de paix, lecture de la Parole de Dieu, repas : on va jusqu’à rompre le jeûne à cause le l’hôte, car il représente l’Epoux, en compagnie duquel on ne peut jeûner. (Mat 9/15) Jusqu’au Lavement des pieds. Pour s’assurer que cet hôte est bien un envoyé de Dieu, Benoit demande de commencer par prier avec lui. C’est une pratique que nous avons perdue, et qui surprendrait ceux que nous accueillons. Mais prier avant d’aller rencontrer celui qui arrive, ou celui qui demande à nous voir, c’est nous remettre devant Dieu, et dans la vérité de cet accueil. L’hôte qui vient au monastère n’y vient pas pour une rencontre ordinaire. Confier à Dieu cette rencontre, avant de s’y rendre, prier pour celui que nous allons rencontrer, cela change notre façon de l’aborder, de l’écouter, ce que nous allons dire. Pour Benoit, l’hôte n’est pas seulement celui qui demande l’hospitalité, celui qui demande un service, il est un signe de Dieu. « Dieu, nous avons reçu ton amour, ta miséricorde, au milieu de ton temple. » L’hôte nous apporte quelque chose. C’est un don. L’hôte n’est pas celui qui dérange le bel ordre du monastère, notre vie solitaire et tranquille. Il est l’irruption de la miséricorde de Dieu dans notre vie. Il y a comme un renversement évangélique : les hôtes sont un don que Dieu fait à la communauté. Pourquoi ? Peut-être parce qu’ils nous rappellent que nous ne sommes pas venus nous installer au monastère. Nous sommes des étrangers, des passants sur la terre. Le monastère n’est pas notre maison, c’est la maison de Dieu : nous pouvons être tentés d’en faire notre propriété. Nous ne devrions pas pouvoir dire à un hôte : « vous n’êtes pas chez vous ! » En acceptant d’être dérangés, nous entrons dans une démarche de libération. (2011-08-23)
1. L'oratoire sera ce que signifie son nom, et on n'y fera ou déposera rien d'autre.
2. L'œuvre de Dieu achevée, tous sortiront dans un silence complet et l'on aura le respect de Dieu,
3. en sorte qu'un frère qui voudrait prier à par soi en particulier, n'en soit pas empêché par l'importunité d'un autre.
4. Si en outre, à un autre moment, il voulait prier à part soi en privé, il entrera et il priera sans bruit, non à voix haute, mais avec larmes et application du cœur.
5. Donc celui qui ne fait pas ainsi, on ne lui permettra pas de demeurer à l'oratoire, une fois achevée l'œuvre de Dieu, comme il a été dit, de peur qu'un autre n'y trouve un empêchement.
La place de ce chapitre dans la Règle est intéressante : Après les chapitres sur la discipline intérieure du monastère, les absences, voici l’oratoire. En effet, l’oratoire, c’est le centre du monastère, le cœur de ses différentes activités. Non seulement l’Office Divin doit nous aider à devenir des hommes de prière, mais tout, dans le monastère, doit y concourir.
Benoit écrit pour des cénobites, et pourtant notre vie commune reste subordonnée à la solitude avec Dieu. Il faut que tout, dans le monastère soit organisé pour que chacun puisse s’adonner à la prière personnelle, prolongée, « avec l’application du cœur. »
Le moine de St Benoit n’a pas de cellule. L’oratoire est pour lui le lieu de l’office divin, et celui de la prière personnelle. Il faut donc éviter deux obstacles : Transformer l’oratoire en lieu de travail, ou en dépotoir. Eviter que des frères bruyants empêchent les autres de prier.
« Afin qu’un autre frère ne soit pas gêné. » Ce rappel de Benoit, à propos de l’oratoire, s’applique à toute notre vie. Ce n’est pas une règle de politesse. Ce qui est en cause, c’est le respect de l’autre. Même dans la prière, pour éviter que ma prière devienne une gêne pour les autres. Ce qui gêne, c’est l’envahissement d’un moi bruyant et bavard. Benoit souligne ici cette enflure du moi, qui empêche de voir l’autre. Qui emprisonne dans le moi. Et il met en évidence, dans ce chapitre, que cela peut arriver aussi à des hommes qui prient beaucoup. Ou plutôt, qui s’imaginent être des hommes de prière.
On peut se demander pourquoi Benoit a choisi de souligner ce point justement au sujet de l’oratoire. Il aurait pu le faire à propos du réfectoire, ou du travail. Pourquoi insister sur l’importance de l’autre, sur le respect du frère, en parlant de la prière personnelle ? Là où on l’attendrait le moins !
Benoit fait ainsi du respect de l’autre, de l’amour de l’autre, le critère de vérité de toute démarche spirituelle. C’est que dit St jean : « Celui qui dit qu’il aime Dieu, et qui n’aime pas son frère, est un menteur. » Et Jean de la Croix commente : « c’est sur l’amour que nous serons jugés. » (2011-08-20)
1. Un frère qui est envoyé pour une commission quelconque et dont on attend le retour au monastère ce jour-là, ne se permettra pas de manger au dehors, même s'il y est invité tout à fait instamment par quiconque,
2. sauf si son abbé lui en a donné l'ordre.
3. S'il fait autrement, il sera excommunié.
Pour comprendre ce court chapitre, il faut d'abord se rappeler sa source. La RM avait, sur ce sujet des repas des frères en voyage, un chapitre très compliqué et très long. Il énumérait les circonstances, le jour de la semaine, la qualité de celui qui invitait : moine, laïc ordinaire, ou personne de piété, l'insistance de celui qui invitait... Une casuistique très élaborée, qui prenait en compte toutes ces variables, et la durée du voyage.
Coupant court à toutes ces considérations, Benoit laisse la question au jugement de l'Abbé. Au lieu d'être définie à l'avance par la Règle, la conduite à tenir est décidée sur le moment, par l’Abbé.
La sévérité apparente de Benoit s'explique : nous avons tous en mémoire des exemples de moines qui ont perdu leur vocation à cause de leurs relations avec les gens de l'extérieur du monastère. Même des communautés ont pu se décomposer lorsque des moines se sont mis à mener des vies parallèles.
Aujourd'hui, nous ne formulerions pas ce chapitre tout-à-fait comme il est écrit. Mais demander au P. Abbé si l'on doit manger à l'extérieur, ou bien lui en rendre compte, nous savons bien que c'est le chemin de la vraie liberté du cœur.
A un moment ou à un autre de notre vie monastique, nous faisons tous l'expérience du poids de la vie commune. Alors nous rêvons de relations différentes. Les gens de l'extérieur, les hôtes, nous prennent pour des saints ! Nos frères nous connaissent mieux, ils ont moins d'illusion. Mais les occasions de contacts ne manquent pas. Et il est si facile de trouver de bonnes raisons pour ne pas demander la permission : après tout, nous sommes adultes ! Benoit nous met en garde ici contre cette fausse liberté. Loin de nous rendre vraiment libres, elle nous éloigne du but de notre vie. Il y a des moments où demander une permission requiert un effort immense. Mais c'est aussi le plus bel acte vraiment libre que nous puissions poser. (2011-08-19)
1. Les frères qui sont au travail tout à fait loin et qui ne peuvent se rendre à l'oratoire à l'heure voulue, –
2. et l'abbé estime qu'il en est bien ainsi, –
3. célébreront l'œuvre de Dieu sur place, là où ils travaillent, en fléchissant les genoux avec crainte de Dieu.
4. De même ceux qui sont envoyés en voyage ne laisseront point passer les heures prescrites, mais les célébreront de leur côté comme ils pourront, et ne négligeront pas de s'acquitter de cette prestation de leur service.
Pour Benoit, l'Office Divin n'est pas seulement un acte communautaire, auquel on est obligé quand on est avec les frères. Il est pour chacun une obligation personnelle, qui découle de notre désir de prier sans cesse.
Au ch sur le Carême, Benoit rangeait la prière, avec le jeûne, dans les
« prestations de notre service ». Ici Benoit reprend la même expression :
« servitutis pensum », en l'appliquant à la prière de l'Office seule. Le pensum,
dans la Rome antique, était la charge de travail que devait fournir chaque jour
un esclave. L'Office Divin est le devoir personnel du serviteur de Dieu qu'est le
moine.
Il serait intéressant de faire le relevé de toutes les exhortations à la prière, de toutes les prescriptions relatives à la prière que Ton trouve dans la Règle. C'est presque étonnant, puisqu'il s'agit d'un texte écrit pour des moines, des hommes qui font profession de prière. En réalité, nous le savons par expérience, la prière est à la fois ce qui nous attire et ce qui nous rebute le plus. Il y a en nous une attirance secrète vers la prière, un tel besoin de prier, de rester avec Dieu, de demeurer, que toute exhortation à la prière nous trouve réceptifs et consentants. Mais il y a aussi une répugnance naturelle au labeur qu'elle nous impose. A l'aridité d'une activité qui ne contente pas notre besoin humain de pensée et d'action. C'est pourquoi nous avons besoin d'être sans cesse rappelés à la prière par la succession des heures. Que nous soyons au chœur, avec la communauté, ou pris par un travail, ou en dehors du monastère. Les exhortations à la prière sont utiles pour renouveler notre Foi.
Si nous nous laissons toucher par ces encouragements à prier, nous sentirons se développer en nous une conscience de priants. Notre relation avec le Christ sera plus vivante. Peu à peu la prière nous deviendra comme une seconde nature.
(2011-08-18)
5. Donc en ces jours ajoutons quelque chose aux prestations ordinaires de notre service : oraisons particulières, abstinence d'aliments et de boisson,
6. en sorte que chacun offre à Dieu, de son propre mouvement, avec la joie de l'Esprit-Saint, quelque chose en plus de la mesure qui lui est imposée,
7. c'est-à-dire qu'il retranche à son corps sur la nourriture, la boisson, le sommeil, la loquacité, la plaisanterie, et qu'il attende la sainte Pâque avec la joie du désir spirituel.
8. Cependant ce que chacun offre, il doit le proposer à son abbé et le faire avec l'oraison et l'agrément de celui-ci,
9. car ce qui se fait sans la permission du père spirituel sera mis au compte de la présomption et de la vaine gloire, non de la récompense.
10. Tout doit donc s’accomplir avec l’agrément de l’abbé.
« Attendre la Sainte Pâque, avec la joie du désir spirituel. » II y a un lien entre le désir et le jeûne. Le jeûne manifeste l'humble condition de l'homme devant Dieu. Il suscite, dans le cœur du moine le désir spirituel. C'est très clair dans ce ch sur le Carême. « En ces jours, ajoutons quelque chose aux prestations ordinaire de notre service : oraisons, abstinence d'aliment et de boisson... en sorte que chacun offre à Dieu, de sa propre volonté, avec la joie du Saint esprit, quelque chose en plus de la mesure qui lui est imposée. » Un peu libéré de ses autres appétits, de ses passions, de ses instincts, le moine pourra retrouver l'élan premier qui le porte à « désirer la vie éternelle de toute son ardeur spirituelle » comme le dit encore Benoit au ch. 4. L'homme ne vit pas seulement de pain : il lui faut apprendre à solliciter le Pain de la Parole, à entrer dans la faim et la soif de choses inconnues, à soupirer après une autre table : « Mon âme a soif de Dieu, le Dieu vivant ». La faim physique est parfois un bon moyen de réveiller la faim pour Dieu, la faim de Dieu. Ce désir, l'Eucharistie nous dit qu'il est désir de Dieu même, de sa Présence nourrissante.
Il faut être en situation de manque, pour éprouver le désir. « L'homme comblé, qui n'a plus rien à désirer, est un homme qui s’ennuie. Il en vient à regretter !e temps où il avait faim et soif : alors, il désirait, et, en désirant, il se sentait vivre. Maintenant, comblé, tout le dégoûte ! Jusqu'à lui-même », dit Bertrand Vergely. Et encore : « II y a une absurdité dans l'absence de manque ! Le manque n'est-il pas la condition du désir ? Ne mesure-t-on pas la force d'une présence à l'absence qu'elle est capable de créer en nous ? Attendre, c'est une autre manière de m'unir à l'autre. Qui ne sait pas attendre ne s'appartient pas, et ignore son désir. » (Bertrand Vergely, « Sens et non-sens de la souffrance » Etudes juin 1993)
Le verset du PS 118, que nous chantons à la profession monastique, parle de ce désir, de cette attente : « Reçois-moi, Seigneur, selon ta Parole, et je vivrai, et ne me déçois pas dans mon attente. » Qu'avons-nous fait de notre attente ? Quel est notre désir ? N'oublions pas que c'est Dieu Lui-même qui nous attend. Il attend que nous nous tournions vers Lui. « Dieu attend chaque jour que nous répondions par nos œuvres à ses enseignements » dit Benoit dans le Prologue (v.35). Dieu nous attend. Tournons-nous vers Lui, avec toute la Joie du désir spirituel ! (2011-08-17)
1. Bien que la vie du moine doive garder en tout temps l'observance du carême,
2. cependant, comme il en est peu qui aient cette vertu, nous recommandons que pendant ces jours du carême on garde sa vie en toute pureté,
3. et que l'on efface en ces jours saints à la fois toutes les négligences des autres temps.
4. Nous y parviendrons en renonçant à tous les vices et en nous appliquant à l'oraison avec larmes, à la lecture et à la componction du cœur, ainsi qu'à l'abstinence.
« Que l'on efface en ces jours saints du Carême toutes les négligences des autres temps. » (49/3) Quinze fois, dans la Règle, St Benoit parle de nos négligences, s'adresse aux négligents On peut même être étonnés de la place qu'il leur donne. Fidèle à toute la Tradition Monastique, Benoit voit dans la tiédeur, l'acédie, le ver rongeur de la fidélité du moine à l'appel qu'il a reçu de Dieu. Négligence est synonyme à ses yeux de relâchement, de paresse, et même de mauvaise vie. C'est pourquoi, tout au long de la Règle, il s'applique à dénoncer les lieux, les temps où la négligence menace le frère, et donc la communauté ! Il commence par donner à l'Abbé la consigne de réprimander et de corriger avec particulière attention « les négligents et les rebelles » (2/25) Puis il recommande au moine de ne pas négliger l'exactitude, ni au Chœur, ni au réfectoire. De ne pas être négligent pour la Lectio Divina. Ni pour l'Office Divin quand il est en voyage. Il insiste pour qu'on ne néglige pas les frères malades, sans doute parce que c'est un précepte évangélique. Peut être aussi parce que c'est un point où l'on est facilement négligent, avec l'excuse de toutes les autres charges qui prennent notre temps. On peut penser encore que chacun de nous est visé par ce précepte qu'il donne au cellérier : « ne rien tenir pour négligeable. » (31/11) « Considérer tous les biens du monastère comme vases sacrés ! » Mais comme le relâchement peut se glisser au fil des jours, avec l'habitude, cette grande mangeuse de nos élans, alors, le Carême est là pour nous permettre d'effacer, par une reprise en mains, toutes les négligences de l'année. Car Benoit, quand il parle de négligence, ne pense pas qu'elle est caractéristique de quelques mauvais moines : au dernier ch. de la Règle il nous dit que son programme n'a rien à voir avec l'héroïque perfection des Pères. C'et tout juste un petit commencement, « pour nous qui sommes paresseux, de mauvaise conduite, et négligents. » La tentation est de faire le catalogue des négligences des autres: c'est une perte de temps, et c'est souvent malveillant. Nous devons faire effort pour être moins sévère envers les autres. Et plus lucides envers nous-mêmes. Quels sont les points de négligence dans ma vie ? Puis-je accepter une remarque d'un autre ? Quel usage est-ce que je fais du chapitre des coulpes ? Puis-je reconnaître mes manquements devant la communauté ? Pas seulement la vaisselle cassée ! Puis-je demander pardon à un frère ? (2011-08-16)
22. Le dimanche, de même, tous vaqueront à la lecture, sauf ceux qui sont affectés à différents services.
23. Cependant si quelqu'un est négligent et paresseux au point de ne pas vouloir ou pouvoir apprendre ou lire, on lui assignera un ouvrage à faire, pour qu'il ne reste pas inoccupé.
24. Aux frères malades ou délicats on assignera un ouvrage ou métier approprié, de façon qu'ils ne soient pas oisifs et que la violence du travail ne les accable point ou ne les mette en fuite.
25. L'abbé doit avoir égard à leur faiblesse.
Pour St Benoit, le dimanche est avant tout consacré à la Lectio Divina. Mais il demande à L'Abbé de prendre en compte la faiblesse des frères. Ce qui est important, c'est d'aider chacun à rester un chercheur de Dieu.
Ce qu'il faut combattre, c'est l'oisiveté. Le mot latin, OTIOSITAS, est un dérivé négatif du terme OTIUM, qui signifie repos. Le repos est bon et nécessaire. Et même la détente. Les Pères du désert savaient que la détente est utile pour les moines. Vous vous souvenez de cet apophtegme : Un riche négociant d'Alexandrie va au désert pour chasser. Il tombe sur un groupe de jeunes moines en train de jouer aux boules, avec des cailloux. Scandalisé, il va trouver leur Abba. Celui-ci lui répond : « Tu as un bel arc. Tend-le. Encore. Encore. -Non, si je le tends encore je vais le casser.- Les moines, c'est pareil. » Savoir se détendre est bon. Mais l'oisiveté est un faux repos, pas une détente, ni un repos en Dieu. Elle peut avoir l'apparence du repos, mais elle nous laisse dans le vague. Elle ne donne ni la joie, ni la paix du cœur. Mieux vaut alors s'occuper pour le service des frères. C'est meilleur que les occupations oiseuses, sans rapport avec cette recherche de Dieu qui nous a amenés au monastère. L'oisiveté que vise Benoit n'est donc pas l'absence d'occupation, ni le repos, ni la détente, mais le fait de fuir Dieu dans des tâches oiseuses, de tuer le temps.
Pour combattre l'oisiveté, Benoit demande que le remède soit proportionné aux capacités des frères. « Sans les accabler, ni les mettre en fuite. » II revient à l'Abbé de considérer la faiblesse et la fragilité de chacun, pour proportionner l'effort à la capacité. Ce n'est pas si simple. Il y a le risque de sous estimer la capacité d'un frère, et qu'il tombe dans la paresse et la négligence. Ou de le surestimer, avec le risque qu'il se décourage, ou prenne la fuite ! Cela demande à l'Abbé, et à nous tous, une vraie conversion : nous avons tendance à juger qu'une chose est possible ou non, qu'un frère est paresseux ou excessif, en fonction de notre propre échelle de valeurs. Prendre en considération la capacité du frère, pas la nôtre, c'est très difficile. Le regard que nous portons sur nous-mêmes est aussi faussé que celui que nous portons sur les autres. Il s'agit d'un long travail de conversion, pour que peu à peu, notre regard sur les frères s'approche de celui que Dieu porte sur lui. Un long travail de discernement, un fruit de l'Esprit Saint.(2011-08-13)
10. Des Calendes d'octobre au début du carême, ils vaqueront à la lecture jusqu'à la fin de la deuxième heure.
11. À la deuxième heure, on célébrera tierce, et jusqu'à none tous travailleront à l'ouvrage qui leur est assigné.
12. Au premier signal de la neuvième heure, chacun quittera son ouvrage, et ils se tiendront prêts pour le moment où retentira le second signal.
13. Après le repas, ils vaqueront à leurs lectures ou aux psaumes.
14. Aux jours de carême, depuis le matin jusqu'à la fin de la troisième heure, ils vaqueront à leurs lectures, et jusqu'à la fin de la dixième heure ils feront ce qui leur est assigné.
15. En ces jours de carême, chacun recevra un livre de la bibliothèque, qu'il devra lire à la suite et intégralement.
16. Ces livres doivent être distribués au début du carême.
17. Avant tout, bien sûr, il faut désigner un ou deux anciens qui circulent dans le monastère aux heures où les frères vaquent à la lecture.
18. Ils veilleront à ce qu'il ne se trouve pas de frère atteint d'acédie, qui vaque à l'oisiveté ou au bavardage au lieu de s'appliquer à la lecture, et qui non seulement se fait tort à lui-même, mais en outre distrait les autres.
19. Si l'on en trouve un, – à Dieu ne plaise, – on le réprimandera une fois, deux fois ;
20. s'il ne s'amende pas, il subira la réprimande de règle, de telle façon que les autres en conçoivent de la crainte.
21. Un frère n'entrera pas en rapport avec un autre frère à des heures qui ne conviennent pas.
Ce passage de la Règle nous parle encore de travail, et de Lectio. Lorsqu'il parle de la Lectio Divina, Benoit emploie toujours le même verbe : VACARE. C'est le mot qui a donné en français vacances. VACARE, c'est faire le vide, vider son cœur, son esprit, de toute préoccupation. La Lectio suppose donc un chemin de vide, une recherche de la paix, du silence du cœur. La lectio suppose ce désir de la paix du cœur, et surtout elle nous aide à trouver cette paix. Pour que la Parole de Dieu puisse résonner dans notre cœur, il faut qu'il ne soit pas trop encombré.
Vaquer à la Lectio, faire silence en soi, chercher la paix du cœur, pour que se mette à chanter en nous la symphonie des Ecritures. Au plus profond de notre être, comme une musique silencieuse. Comprendre l'Ecriture, c'est bien plus que comprendre un texte. C'est entrer dans le mystère de ce que nous sommes sous le regard de Dieu.
A propos du travail, Benoit nous dit : « Tous travailleront à l'ouvrage qui leur est assigné. » L'une des caractéristiques du travail monastique, c'est qu'il nous est prescrit. Nous ne l'avons pas choisi. C'est aussi le cas pour beaucoup d'hommes et de femmes, qui pourtant ne sont pas moines. Mais ce qui est en cause, pour nous, est bien plus fondamental qu'une affaire d'organisation des tâches. Le chemin de l'intimité avec Dieu passe par une dépossession. De nos idées, sur Dieu, sur la prière, sur nous-mêmes. Quand nous reprenons l'initiative, quand nous organisons notre vie à notre guise, bien souvent c'est parce que nous cherchons à échapper à cette confrontation avec l'autre, avec l'altérité de Dieu, avec notre propre altérité.
St Benoit conjugue sous de multiples variantes ce principe spirituel fondamental : Recevoir son travail, recevoir sa nourriture, recevoir ses vêtements, recevoir une charge. Apprendre à renoncer à sa volonté propre, aux compensations faciles, pour devenir libre. Pour s'ouvrir peu à peu à la Joie de Dieu. ( 2011-08-12)