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14. Restaurer les pauvres,
« Restaurer les pauvres ». Pauperes recreare. Cet instrument fait penser spontanément au fait de nourrir les pauvres. Mais les mots latin de recreare et français de restaurer laissent entendre bien davantage que le seul don de nourriture. Restaurer, remettre debout, redonner confiance, recréer. Nous avons encore en mémoire le parcours de Martine Buhrig nous parlant des personnes dans la rue à Lyon et tout le lent travail d’accompagnement pour aider quelques uns à s’en sortir. Pour elle, le travail de « restauration » allait même jusqu’à l’expression artistique proposée à ces personnes. Les aider en leur procurant le gite et le couvert, ainsi que l’amitié, mais leur faire confiance jusqu’à cette proposition artistique. Dimanche dernier, nous recevions ces personnes de l’Association Alcool Assistance. Là aussi dans l’épreuve que peut représenter la dépendance à l’alcool, l’attention ne porte pas uniquement sur boire ou non de l’alcool. Ces personnes nous expliquaient que, pour aider une personne à sortir de la dépendance, il fallait prendre en compte toute sa réalité humaine et sociale. S’arrêter de boire demandait un vrai réapprentissage de la vie, de la confiance en soi, de la confiance dans les relations. Là encore c’est toute la personne à laquelle il s’agit de redonner sa dignité ; dignité qu’elle avait perdu à ses yeux, mais que le regard de ses amis accompagnateurs peut lui redonner.
Nous pouvons rendre grâce pour toutes ces initiatives dans lesquelles on veut restaurer l’homme blessé. Ce partage d’expériences ne nous laisse pas indifférents. Nous savons à travers l’expérience de nos propres pauvretés, que le pauvre ce peut être nous aussi, au gré des épreuves ou des difficultés de la vie. Heureux sommes-nous si ce partage d’expériences vécues à l’extérieur du monastère, nous aide à changer notre regard sur la détresse de nos frères proches ou lointains. La charité du Christ veut par là aussi nous ouvrir les yeux et nous agrandir le cœur.
13. aimer le jeûne.
« Aimer le jeûne ». Cet instrument peut-il nous aider à aimer le jeûne ? Ce n’est pas sûr car aimer le jeûne rencontre bien des résistances en nous, et la première de toutes sera peut-être : « Faut-il aimer le jeûne ? » et « pour quoi ? ».
Cet instrument se présente comme beaucoup d’autres dans ce chapitre sous la forme infinitive. Il n’est pas à l’impératif pour nous commander d’aimer le jeûne, seulement à l’infinitif. Il est là dans notre trousse à outils, comme un instrument disponible pour nous faire entrevoir quelque chose, nous montrer une direction dans laquelle nous pourrons nous engager avec profit si nous le voulons. Cet instrument veut donc nous faire entrevoir qu’il y a quelque chose d’aimable dans le jeûne. Et qu’y a-t-il qui peut être aimable dans cette pratique qui vient nous prendre à rebrousse poil de nos inclinations naturelles ?
La pratique du jeûne que nous vivons actuellement en ce temps de Carême peut nous aider à répondre. Cette réponse pourra être différente selon les expériences. La pire chose que nous dirions peut-être, c’est qu’il nous en coûte de jeûner, au début surtout et peut-être tout le long des 40 jours. Le jeûne nous oblige à nous confronter au manque. Manquer nous fait souvent peur. Allons-nous être capables de tenir ? Manquer nous oblige à lâcher prise plus profondément, quant à notre désir de confort et quant au souci de notre sécurité assurée par nous-mêmes. En éprouvant le manque, en touchant du doigt les limites de notre autonomie, nous pourrons réapprendre notre dépendance foncière à l’égard de Dieu. De lui, l’Auteur de la vie nous recevons tout. Sans lui, nous ne sommes rien. Le jeûne nous donne de l’expérimenter de manière très concrète. Si l’exercice de jeûner peut nous réapprendre cette foncière et heureuse dépendance, il n’aura pas été vain. Il aura alors peut être creusé en nous le repentir, cet élan filial qui nous tourne plus simplement et plus librement vers notre Père. C’est là que le jeûne peut devenir aimable : quand il nous donne de vivre plus librement et plus heureusement cet élan vers notre Père. Chaque année le temps du Carême voudrait nous apprendre ou nous réapprendre cela : lâcher nos sécurités pour goûter à nouveau de façon plus authentique notre relation avec notre Dieu.
12. ne pas rechercher les plaisirs,
« Ne pas recherche les plaisirs ». Voilà un nouvel instrument délicat à commenter. Nous ne pouvons pas faire fi de toutes les connotations dont est marqué ce mot plaisir, négatives ou positives, restrictives ou excessives. Le Père Denis a fait une belle conférence sur ce thème, que l’on peut trouver dans les Nouvelles de la PQV en 2010 à laquelle j’emprunte l’une ou l’autre réflexion.
La vie est bonne et c’est un plaisir de l’éprouver. C’est un plaisir de la goûter en toutes ses manifestations telles que nos sens les reçoivent. Plaisir de voir les merveilles de la nature, la beauté des êtres. Plaisir de goûter les bons plats. Plaisir d’entendre une musique, le silence. Plaisir de sentir, de toucher. La vie bonne nous rejoint et c’est un plaisir de l’accueillir et de la recevoir. Souvent même, nous manquons ou nous passons à côté de ces plaisirs là tout simples parce que nous ne vivons qu’au rythme de nos soucis ou de nos projets. Le plaisir est la marque d’une certaine harmonie réussie entre nous et la vie bonne, entre nous et les personnes que nous côtoyons, entre nous et Dieu. Le plaisir est alors là offert, donné par une sorte d’adéquation à la vie, aux autres et à Dieu. Moment de joie, espace de plénitude dont il est heureux de garder mémoire. Si ces moments ou ces espaces sont désirables, faut-il s’y accrocher ? Faut-il les rechercher comme pour mieux les retenir ? Le plaisir éprouvé restera toujours limité et le déplaisir peut rapidement lui succéder au gré des situations ou des relations qui viennent nous bousculer. Le plaisir est limité car il appartient au registre de la gratuité et de l’échange de don. Ce qui est don est donné et ne se retiens pas. En ce sens, il s’oppose à la puissance qui voudrait être sans limite. La puissance veut posséder et demeurer à jamais dans la possession. En ce sens, ne faudrait-il pas dire que la puissance ne peut être qu’en Dieu et qu’elle n’est pas de ce monde ? Les psychanalystes montrent que loin de confondre plaisir et jouissance, comme on le fait fréquemment, il faut les opposer dans nos vies humaines. Le plaisir porte en lui une limite qui est inhérente à la vie bonne. Il introduit dans une juste et heureuse relation, alors que la jouissance cherche la fusion voire la captation des choses, des êtres. Ce qui n’est pas possible.
Ne pas rechercher les plaisirs, dit Benoit. On pourrait comprendre : ne pas rechercher la jouissance et goûter les plaisirs de la vie bonne, de la vie avec les autres, de la vie avec Dieu. Le plaisir donné et rendu est grâce en toute chose
11. Châtier le corps,
« Châtier le corps » Instrument toujours difficile à entendre et à commenter dans notre contexte culturel si prompt à offrir le maximum de douceurs à notre corps. Cet instrument passe pour du masochisme tout simplement. Une première question qu’on peut se demander : les anciens étaient –ils plus masochistes que nous ? Les écrits monastiques nous rapportent des récits de prouesses ascétiques, mais ils veillent aussi à nous rapporter les histoires de tel ou tel qui n’a pas fait preuve de discernement dans ses pratiques corporelles et qui est tombé dans la démesure, fatale à son équilibre physique et psychique. A notre différence, des anciens vivaient cette conviction forte qu’en travaillant sur le corps, on pouvait sûrement agir sur l’âme. D’où leur attention particulière pour l’ascèse touchant la nourriture, le sommeil, la parole. Leur but n’est pas de tuer le corps, mais de le travailler pour libérer l’âme de ses passions qui s’expriment dans et par des mouvements corporels.
Evagre a une pensée qui est assez significative de cette recherche : «Qui réduit en servitude ses chairs sera sans passion, qui les nourrit souffrira en elles des douleurs » (Aux moines 6). Comment entendre cet instrument aujourd’hui ? Certainement tout d’abord, en trouvant un autre mot à la place de châtier : « discipliner ou exercer ? ». Ensuite en essayant de mieux comprendre le lien entre notre cœur, notre âme et notre corps. Nous savons mieux aujourd’hui que les troubles ou les dérèglements éprouvés dans notre corps, ont leur source en bonne part dans notre histoire et dans des difficultés relationnelles vécue lors de notre petite enfance, le plus souvent à notre insu. Des mouvements, des pulsions mal orientées nous traversent sans que l’on en comprenne toujours bien la cause et ils nous encombrent ou nous pèsent. Quelque chose de notre désir, de notre cœur profond est blessé et qui s’exprime dans des mouvements corporels, voire dans des addictions diverses où notre corps est mis en otage. Au sens propre on peut ainsi devenir esclave de la boisson, de la nourriture, de relations aliénantes. Notre corps pris au piège de ces mauvaises habitudes nous donne alors un signal d’alarme. S’il a besoin d ‘être discipliné pour ne pas nous entrainer dans la déchéance qui peut venir vite, il nous envoie un signal fort. En nous une blessure est là qui appelle un chemin de guérison du cœur, de l’âme, du désir. Et plus que les anciens, nous savons l’importance de la parole, de la relation renouvelée sur ce chemin de guérison. Châtier le corps ? Nous dirions donc plus volontiers : «discipliner notre vie corporelle et libérer la parole »
10. Se renoncer à soi-même pour suivre le Christ.
« Se renoncer à soi-même pour suivre le Christ ». Heureuse coïncidence, ce matin nous entendrons dans l’Evangile la même invitation de la part de Jésus. Cela nous redit si nous l’avions oublié que la RB ne veut rien d’autre que de nous entrainer sur les chemins de l’Evangile à la suite du Christ. La liturgie de ce second jour de Carême nous propose donc cette péricope en Luc 9 dans laquelle Jésus annonce sa passion : «Il faut que le Fils de l’Homme souffre beaucoup et que le 3°jour il ressuscite ». Et aussitôt il ajoute : «Celui qui veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive ». Au début du Carême, la liturgie oriente nos regards vers Pâques, vers le mystère pascal du Christ. Durant 40 jours, nous allons nous préparer à vivre cette fête. Mais qu’est-ce que nous voulons dire quand nous disons : « nous préparer » à la fête Pâques ? Hier dans une oraison nous demandions la grâce de mieux nous unir à la passion du Christ. En nous orientant vers Pâques, la liturgie veut nous aider à vivre ces fêtes de telle façon que la grâce dont elles sont porteuses donne vraiment tout son fruit. Grâce d’union du Christ en sa passion, grâce d’union au Christ en sa Résurrection. Par notre baptême, cette grâce est déjà à l’œuvre en nos vies comme ferment. Et la liturgie est comme ce bain ou ce milieu qui va activer ce ferment en nous permettant d’entrer dans une relation toujours plus personnelle avec le Christ. Car le Christ veut nous entrainer dans son propre mystère de mort et de résurrection pour nous donner en plénitude sa gloire. Mais cela il ne veut pas le faire sans nous, ni malgré nous. Et c’est là le sens de son invitation à renoncer à soi-même et à prendre sa croix. Pour que le mystère pascal du Christ nous atteigne et nous transforme dès maintenant, Jésus nous engage à faire comme lui, à se renoncer à nous-mêmes, à entrer dans cette mort mystérieuse qui nous libère de notre ombre ou de tous nos masques de laideur ou encore de nos illusions sur nous-mêmes. Cette mort là n’est pas suicide, mais au contraire libération de la vie sans goût, qui végète et qui vivote. Oui, si nous ne consentons pas à cette mort-là, si nous ne laissons pas le Christ nous apprendre à la vivre avec lui, nous ne gouterons pas dès ici-bas la vie véritable. La puissance de la résurrection déjà à l’œuvre. N’ayons pas peur de renoncer, de lâcher prise sur ces choses dont nous pressentons bien qu’elles nous enserrent et nous entravent. Le Christ est avec nous.
9. et « ne pas faire à autrui ce qu'on ne veut pas qu'on nous fasse ;».
« Ne pas faire à autrui ce qu’on ne veut pas qu’on nous fasse ». Cette formule empruntée au livre de Tobie rappelle en négatif la formule que l’on trouve en Matthieu et Luc. « Tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faites le vous-mêmes pour eux ». Mt 7,13. Formule que Matthieu présente comme un résumé de la Loi et des Prophètes.
Nous ne sommes pas loin de ce qu’on entendait jeudi soir au réfectoire dans la bouche d’Hillel : « ce qui est détestable à tes yeux, ne le fais pas à autrui ». Hillel présentait ce précepte comme un condensé de la Torah, le reste n’en étant qu’un commentaire. Adiu Steinsaltz poursuit en disant que cette formule d’Hillel est une adaptation en négatif du commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». L’amour du prochain est ainsi proposé comme le résumé de la Loi. Paul en Gal 3.14 s’inscrit dans la même ligne quand il affirme : «Par la charité, mettez vous au service les uns des autres. Car un seul précepte contient toute la Loi en sa plénitude : tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
Avec cet instrument de la RB nous avons comme un résumé des Ecritures. Sa place à la fin de la série des instruments apparentés au décalogue laisse penser qu’on le considère un peu ainsi.
«Ne pas faire à autrui ce qu’on en veut pas qu’on nous fasse ». Ce précepte qui résume la Loi est un précepte qui semble appartenir à la sagesse universelle. Il semble que nous pourrons le rencontrer dans la bouche de sages d’autres traditions religieuses. Son enracinement profondément humain nous redit combien toutes les Ecritures prennent à bras le corps notre réalité humaine. La forme négative «Ne fais pas » ne gomme pas la face sombre de notre agir qui peut nuire à autrui. L’être humain est fragile et c’est à partir de sa propre fragilité reconnue et assumée qu’il peut vraiment aller à la rencontre des autres. Toutes les Ecritures sont un enseignement pour nous aider à assumer notre propre fragilité dans la lumière de Dieu qui nous crée et nous sauve pour nous permettre de nous tourner vers les autres.
Comment entendre concrètement ce précepte pour nous aujourd’hui ? Je vous donne quelques exemples concrets : ne laisse pas un livre sans fantôme à la bibliothèque, ce que tu n’aimerais pas trouver .. ne laisse pas une voiture avec un réservoir vide en rentrant de course, ce que tu n’aimerais pas trouver… Ne laisse pas une place sale au réfectoire ou aux toilettes à ton suivant, ce que tu n’aimerais pas trouver… ne laisse pas à ton frère un fruit gâté dans le plat commun, ce que tu n’aimerais trouver. La vie quotidienne commune est notre école pour apprendre à aimer.
8. Honorer tous les hommes,
« Honorer tous les hommes ». Dans cet instrument, il me semble que l’on peut entendre l’écho d’un grand amour. Amour qui habitait le cœur de Benoit, lui qui avec grand liberté se détache du commandement mosaïque : « tu honoreras ton père et ta mère » pour l’élargir et l’appliquer à tous les êtres humains. Oui, il faut beaucoup d’amour pour honorer tous les hommes, car honorer engage un regard, une attitude et des gestes bien concrets.
Un regard. Honorer tous les hommes engage un regard de bienveillance a priori, pour essayer de rejoindre l’autre là où il est, pour le comprendre, même s’il montre des attitudes ou une conduite repoussante voire mauvaise. Dieu seul regarde tous les hommes de ce regard là pour atteindre cette part virginale en lui, lieu d’un commencement toujours possible Dieu seul peut nous aider à élargir notre regard à le purifier. Demandons-lui cette grâce.
Une attitude. Honorer tous les hommes nous engage dans une attitude d’ouverture et de confiance a priori. L’inverse d’honorer sera de se fermer ou d’avoir peur de l’autre, du frère. Honorer l’autre nous entraine à laisser nos défenses et les jugements qui nous confortent dans notre fermeture.
Des gestes. Honorer tous les hommes peut nous emmener bien loin dans le don de nous-mêmes. Des gestes d’attention, un billet, un service rendu seront dans notre quotidien la manière immédiate de rester ouvert. Ce sera d’accepter de passer quelques minutes pour un frère ou une personne en renonçant à ne penser qu’à soi.
Honorer tous les hommes. Acceptons de ne pas savoir faire, mais ne baissons pas les bras. Désirons entrer plus avant dans cette voie d’amour qui va changer notre regard sur les autres, notre attitude et nos gestes à leur égard. Avec la grâce de Dieu, à demander humblement, nous allons nous agrandir et faire grandir autour de nous.
7. ne pas porter faux témoignage. »
« Ne pas porter de faux témoignage ». L’injonction est ferme car les conséquences peuvent être fatales pour la personne incriminée. Jésus en est un exemple type. A son procès, on a cherché à tout prix à produire deux faux témoins pour garder les apparences d’une juste procédure. Durant toute sa vie, il a dérangé. Ses ennemis ont été à l’affût du moindre écart de paroles ou de geste pour le faire taire. On a commencé par médire en le calomniant : c’est un possédé, c’est un ivrogne et un glouton. On l’a finalement condamné à mort. Un processus similaire recommencera avec Etienne qui fut lapidé.
Dans chacun des cas, on remarque combien des phénomènes d’entrainement jouent à fond. L’accusation grandit et prend de l’importance au fur et à mesure que les uns et les autres consentent à entrer dans le jeu du dénigrement et de la calomnie. Nous sommes face à des mécanismes humains qui se répètent dans la grande comme dans la petite histoire. Et nos monastères n’échappent pas à la possible tentation. Quand il y a un conflit entre frères, le pas est vite franchi d’accuser un tel et de lui coller à la peau des étiquettes et des propos malveillants. Un pas supplémentaire est fait quand on attribue au frère des intentions mauvaises. « Il fait cela par ce que …il veut cela … il pense cela.. » etc Celui qui accuse cherche des oreilles complices pour qu’augmentent les avis et les analyses qui enfoncent le frère de façon souvent injuste.
Méfions-nous des bavardages sur les frères. Veillons à demeure libre et à toujours chercher la vérité. Soyons vigilants pour ne pas donner notre oreille ou notre voix à ceux qui facilement critiquent les frères, médisent et parfois calomnient. Chacun de nous est plus grand que ses erreurs. Chacun de nous a besoin de frères qui puissent écouter et éventuellement dire en face une parole, mais pas de mauvaises langues qui parlent toujours par derrière. Avec le psalmiste nous pouvons redire : « Mets une garde à mes lèvres, Seigneur ! Veille au seuil de ma bouche. Ne laisse pas mon cœur pencher vers le mal, ni devenir complice des hommes malfaisants » Ps 140.3-4.
6. ne pas convoiter,
« Ne pas convoiter ». Depuis le jardin d’Éden, nous sommes enclins à la convoitise, à ce mystérieux désir de prendre par nous-mêmes et pour nous-mêmes. Nous sommes alors sous l’emprise d’une grande illusion, orchestrée par le grand Illusionniste qu’est par excellence le Mauvais esprit. Ce dernier veut nous faire croire que tout est à portée de main et que tout nous appartient. Comme s’il n’y avait pas de limites et que tout est bon à prendre. Du fait de cette illusion première et tenace, notre désir est fragilisé. Il a perdu son élan premier et fécond qui l’inclinait à se tourner vers son Dieu pour tout recevoir de sa main. Ainsi notre désir blessé peine-t-il désormais à trouver sa juste posture. Là où notre désir est fait pour la relation dans l’échange où l’on donne et reçoit, la convoitise détourne le désir et nous incline à mettre la main sur tout.
Elle rabaisse tout à l’état de choses à prendre. Le désir construit des personnes, la convoitise chosifie tout, même des personnes. Si le désir déploie en nous la vie, lentement, sans craindre la patience et les balbutiements, la convoitise stérilise notre vie et nos relations.
« Ne pas convoiter ». Avec cet instrument nous sommes renvoyés à exercer sans cesse un discernement, entre désir et convoitise. Discernement par l’intelligence et par les actes. Par notre intelligence, nous pouvons mesurer et apercevoir si telle pensée ou si tel désir est juste ou non. Nos expériences passées peuvent nous aider à voir si telle direction, si telle motion est dangereuse ou non, vraie ou illusion. Car nos actes finalement mettent en lumière les fruits des désirs qui nous ont fait faire telle ou telle chose. Nous mesurons plus ou moins vite les fruits de liberté pour nous-mêmes et pour les autres. C’est la grandeur de notre vie humaine que de pouvoir tirer profit de nos expériences passées, heureuses ou malheureuses. Ainsi nous apprenons à affiner notre discernement pour devenir un peu plus des hommes de désir, moins soumis aux pièges de la convoitise.
5. ne pas voler,
« Ne pas voler ». Un nouvel instrument qui fait écho à l’impératif : « Tu ne voleras pas ». Est-ce une tentation pour un moine ? Sûrement comme pour tout humain. Prendre pour soi un bien qui appartient à autrui. Plus subtilement, cet instrument nous engage à être vigilants dans notre relation aux biens. A nous moines qui nous engageons par la profession à ne rien avoir en propre, la tentation est davantage de nous approprier les choses. Nous ne volons pas puisque tout est commun entre nous. Mais il peut arriver que nous retenions des choses sans les avoir reçues. Nous accaparons des biens qui ne nous ont pas été remis par la communauté. Si c’est le cas, ayons le courage d’en parler, de nous tenir dans la lumière.
Dans le « tu ne voleras pas » que nous radicalisons dans la vie monastique en un « tu ne t’approprieras pas » l’enjeu n’est pas dans la chose elle-même. Il est dans le cœur de chacun et dans la relation qu’il entretient avec ses semblables. Le voleur est une personne qui est aveuglée par l’envie de posséder. Pour cela, elle n’hésite pas à nuire à son semblable, à porter atteinte à sa dignité. Celui qui s’accapare des choses dans une communauté est esclave de lui-même. Il n’est plus libre intérieurement. Et il porte atteinte à la communauté en lui manquant de confiance. Il ne s’appuie par vraiment sur elle. Il se débrouille par lui-même « qui vole un œuf, vole un bœuf » dit le proverbe. On pourrait transposer « qui s’approprie un œuf, s’approprie un bœuf » . Sans devenir scrupuleux à l’extrême, ne soyons pas trop négligent sur ce point, car le risque est là de s’installer à son compte. Un bon critère de discernement est de se demander si, ce que j’ai à mon usage, je l’ai vraiment reçu de la communauté, ou par l’intermédiaire d’un frère qui me l’a confié. Ayons à cœur d’être clair dans ce domaine. Nous éviterons de devenir un agrégat de vieux garçons égoïstes. La mise en commun des biens est un des moyens privilégiés de bâtir une communauté de frères.