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35. ni adonné au vin,
36. ni grand mangeur,
37. ni ami du sommeil,
R.B. 4, 35-37 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?
Dans ces trois instruments, je perçois un risque lorsqu’on les entend. C’est celui de voir assez spontanément ce défaut chez les autres. L’instrument destiné à l’édification de chacun peut alors se retourner en instrument de jugement sur mon frère. Or en ces domaines, la boisson, la nourriture et le sommeil, nous touchons des aspects de notre humanité tellement basiques et tellement complexes en leur équilibre, qu’il est bien prétentieux de vouloir porter un jugement sur les autres. Il n’y a qu’à considérer notre propre expérience et l’instabilité de nos équilibres en matière de nourriture, de boisson et de sommeil pour nous en convaincre. Nous sommes souvent en recherche de cet équilibre entre le trop et le pas assez. Le trop qui mobilise beaucoup notre désir en quête d’avoir toujours plus et le pas assez qui peut préoccuper l’esprit dans la crainte de ne pas avoir assez. Ces instruments sont donc d’abord pour chacun des rappels utiles pour chercher la mesure qui est la nôtre, et qui ne sera pas celle du voisin. Pour l’un, l’attention se portera davantage sur la nourriture, pour un autre il s’agira de veiller à la mesure de la boisson, et un autre sur le sommeil. Ces instruments veulent nous aider à ne pas nous laisser enfermer dans une dépendance telle que nous perdons une certaine maitrise de nous-mêmes. Si dans la vie spirituelle, celle-ci n’est pas la fin en soi, mais bien la pureté du cœur et la charité, apprendre à demeurer libres en nos appétits et notre désir de repos, nous garde cependant davantage éveillés pour le combat spirituel et tournés vers les autres. Cette attention est un travail spirituel, comme cette période de carême nous le fait expérimenter. Si ce travail n’est que préoccupation humaine, il court le risque en nous centrant sur nous-mêmes, de perdre son but de nous libérer justement de nous-mêmes. Ce travail est à vivre dans un dialogue avec le Seigneur. C’est Lui qui peut nous aider à trouver la bonne mesure qui est la nôtre en matière de jeûne et de veille. C’est Lui qui peut nous inspirer telle vigilance et alors il nous en donnera la force. Il y a notre pratique communautaire qui s’offre comme une proposition de base pour un exercice commun, un entrainement fraternel à sortir chacun de notre zone de confort. Ensemble, nous allons au désert dans lequel nous choisissons de nous laisser conduire par l’Esprit, sûr qu’à l’instar de Jésus, des anges vont nous servir, ce pain du ciel ou ce breuvage spirituel que les Hébreux ont aussi eu en partage. N’ayons pas peur de manquer. Ecoutons l’Esprit qui nous entraine à lâcher nos sécurités pour nous faire découvrir de nouvelles capacités à aimer, à nous donner.
34. Ne pas être orgueilleux,
R.B. 4, 34 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?
« Ne pas être orgueilleux ». Il est presque surprenant que l’on trouve cet instrument dans la trousse à outil du moine, tant l’orgueil est présenté dans toute la tradition monastique comme le péché par excellence, voire la source de tous les autres. Était-ce vraiment nécessaire de recommander de « ne pas être orgueilleux » ?
Après l’étonnement, nous pouvons essayer de comprendre cette insistance. Le psalmiste qui loue la joie de goûter et d’être illuminé par la loi du Seigneur, demande à la fin : « Préserve aussi ton serviteur de l’orgueil qu’il n’ait sur moi aucune emprise. Alors je serai sans reproche pur d’un grand péché » (Ps 18, 14). Peut-être le psalmiste fait-il l’expérience souvent mise en valeur par les anciens moines : celle d’une intimité heureuse avec son Seigneur dont il pressent cependant le risque de s’en attribuer quelque origine, alors qu’elle est un don du Seigneur qui lui-même inspire la crainte et qui illumine son serviteur. L’orgueil a cette caractéristique de s’immiscer de manière subtile pour gâcher le meilleur en nous donnant de penser que nous en sommes l’auteur. Le psalmiste le laisse bien entendre lorsqu’il demande « Qu’il n’ait sur moi aucune emprise ». Oui, ces mots nous entrainent à la vigilance face à ce mal qui nous fait sortir d’une dépendance heureuse du Seigneur dont nous recevons tout, souvent à travers les autres, pour nous placer dans cette illusion de nous suffire nous-même, avec nos propres forces. Orgueil de la pensée qui s’estime supérieure et qui juge facilement ; orgueil de la chair qui s’illusionne de sa propre force ou puissance et qui méprise les plus faibles ; orgueil de la situation sociale qui oublie que ce qu’elle a est reçu et qui se replie sur ses richesses ; orgueil du pauvre qui s’enferme dans sa misère dans l’amertume et la révolte, orgueil du pécheur qui se refuse au pardon dans la difficulté de reconnaitre sa faute… En quelque sorte, de tous les côtés, l’orgueil peut venir piquer et nous prendre dans son filet, pour nous détourner de notre Dieu et de nos frères. Je conclurai avec ces mots du Pseudo-Macaire, un moine du 4°-5°s : « Si quelqu’un dit : ‘je suis riche, je suis mon maitre, j’ai fait fortune et je n’ai plus besoin de rien’, celui-là n’est pas chrétien, mais objet de mépris et instrument du diable. En fait dans la rencontre de Dieu, il n’y a pas de satiété ; plus on le goûte, plus on le découvre, et plus on est affamé et pris par une ardente passion pour Dieu ; plus on s’efforce de progresser dans cette rencontre, plus on se sent pauvre, démuni et privé de tout ; et l’on dit : ‘Je ne mérite pas que le soleil brille sur moi’. Voilà le signe du chrétien, voilà le signe de l’humilité » (Homélie 15, 37).
29. Ne pas rendre le mal pour le mal,
30. ne pas faire d'injustice, et de plus supporter patiemment celles qui nous sont faites,
31. aimer ses ennemis,
32. quand on nous maudit, ne pas répondre en maudissant, mais bénir au contraire,
33. souffrir persécution pour la justice.
R.B. 4, 29-33 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?
Ne pas rendre le mal pour le mal…supporter l’injustice…bénir au lieu de maudire, aimer ses ennemis. Avec ces instruments, nous sommes au cœur de l’évangile et de sa logique d’amour qui brise la logique du mal. Comme nous l’entendons tous ces midis, à travers la lecture des Routes de la Soie, la logique du mal est comme une spirale qui n’a d’autres fins que l’anéantissement de l’ennemi. On a reçu un coup, on va en donner deux fois plus. L’illusion de cette logique, son aveuglement profond est de croire qu’on peut exterminer le mal et la violence par le mal et la violence. Illusion mortifère qu’il faut souvent malheureusement, pour s’en débarrasser, pousser jusqu’au paroxysme de la violence et des destructions, pour enfin comprendre que tout ceci est vain. La seconde guerre mondiale avec ses destructions massives nous l’avait montré. Mais il semble que cette compréhension rationnelle ne suffise pas pour changer les cœurs des générations futures, et leur éviter d’entrer dans la même spirale de la violence, comme nous le voyons sous nos yeux aujourd’hui encore. Sommes-nous des idéalistes, nous chrétiens, et particulièrement nous les moines, pour vouloir tenir cette logique évangélique de rendre le bien pour le mal et de supporter l’injustice plutôt que de vouloir nous faire nous-même justice ? Non, car il y va du fondement de notre foi : en Jésus, le mal a été vaincu par l’amour. Mais comment est-il possible d’avoir une telle ligne de conduite ? Pour ne pas nous faire illusion nous-mêmes, la première chose est de reconnaitre que, laissés à nos seules forces, nous en sommes incapables. Cette logique évangélique n’est pas le fruit de nos réflexions et de notre bonne volonté. Que nos réactions immédiates à la moindre petite parole ou geste qui nous dérange ou nous blesse, suffisent à nous en convaincre. Nous sommes si susceptibles et si peu enclins à supporter l’offense ! Cette logique évangélique qui veut et fait du bien à celui qui ne nous en a pas fait, est un don à demander à Celui-là seul qui en ouvert le chemin. De Jésus Vivant qui a vaincu le mal par son amour sur la Croix, de Lui seul peut nous venir la force d’aimer nos ennemis et de leur faire du bien. Si nous voulons entrer dans la spirale qui répond au mal par le bien, il nous faut beaucoup contempler Jésus et le prier pour recevoir ce qui ne peut venir que de son Esprit Saint. Lui seul peut nous donner de transformer l’offense, et toutes les amertumes qu’elle génère, en énergie d’amour qui retourne la situation et ouvre une voie de pardon. La question qui nous est posée est peut-être : avons-nous le désir d’entrer sur cette voie ? En ces jours de carême, demandons à l’Esprit de nous guider à travers la faiblesse reconnue de notre cœur. Laissons-le libérer en nous de nouvelles forces d’aimer.
27. Ne pas jurer, de peur de se parjurer,
28. émettre la vérité de son cœur et de sa bouche.
R.B. 4, 27-28 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?
Après des instruments en forme négative, « ne pas entretenir de tromperie dans son cœur, ne pas donner de paix mensongère », nous entendons un instrument en forme positive : « émettre la vérité de son cœur et de sa bouche ». A l’opposé des manœuvres troubles, opter pour la clarté et la vérité. Faire la vérité…faire… C’est un travail de faire la vérité, car celle-ci peut nous coûter. Cela nous oblige à affronter la réalité sans fard, sans faux semblants, sans esquiver ou tricher. Nous pouvons tous nous parer sous des apparences pour cacher nos ombres ou nos misères. Faire la vérité pour dire la vérité de cœur et de bouche, non pas la vérité des autres, mais la mienne, oui c’est un vrai travail sur soi
La lecture de Jérémie entendue hier à la messe faisait un lien suggestif entre « écoute et vérité ». « Tu leur diras toutes ces paroles et ils ne t’écouteront pas… Alors tu leur diras : Voilà bien la nation qui n’a pas écouté la voix du Seigneur son Dieu, et n’a pas accepté de leçon ! La vérité s’est perdue, elle a disparu de leur bouche » (Jr 7, 27-28). Cette citation de Jérémie suggère que de ne pas écouter la voix du Seigneur a pour conséquence immédiate de ne pas dire la vérité. « La vérité s’est perdue, elle a disparu de leur bouche ». C’est un peu surprenant à première vue, mais peut-être est-ce finalement plein d’enseignements. Ecouter la parole du Seigneur peut avoir plusieurs sens : celui d’accepter de se laisser interpeller par elle. Mais aussi le sens d’accueillir et de garder une parole autre qui peut faire bouger ma pensée, et finalement me faire agir d’une manière nouvelle, voire imprévue non programmée. Ecouter la parole du Seigneur m’oblige à voir la réalité sous la lumière divine, une lumière qui peut mettre en évidence mes ombres, mes compromissions avec le mal, mon péché. Vais-je consentir ou non à ce dévoilement ? Vais-je accepter de me laisser déplacer ? Ecouter a alors à voir avec la vérité en ce sens que la parole m’introduit dans une recherche d’ajustement toujours plus grande. La parole m’aide à quitter mes demi-mesures et à choisir plus résolument la suite du Christ. Oui, la parole viens nous chercher chacun pour nous conduire vers notre vérité, celle qui rime avec liberté. Pour grandir en capacité de dire et de faire la vérité, apprenons à écouter la voix du Seigneur avec plus de confiance. Car il s’adresse à nous, non sous la forme d’une parole éblouissante qui nous mettrait à nue sans pitié. Oui, le Seigneur est bon. Il nous apprend à nous accommoder à sa lumière progressivement, comme lorsqu’on sort de l’obscurité vers la lumière, notre œil s’accommode à la pleine lumière. Apprenons à retenir et garder la parole de vérité qui vient libérer en nous la parole vraie et libre.
22. Ne pas accomplir l'acte qu'inspire la colère,
23. ne pas réserver un temps pour le courroux.
24. Ne pas entretenir la tromperie dans son cœur,
25. ne pas donner une paix mensongère,
26. ne pas se départir de la charité.
R.B. 4, 22-26 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?
Colère, courroux, tromperie, mensonge, paix mensongère…nous avons ici un cocktail explosif de sentiments ou d’attitudes. L’actualité en Israël-Palestine nous montre à grande échelle les dégâts que peuvent produire la colère ou la vengeance. Le livre sur les Routes de la soie (P. Francopane) place sous nos yeux les révélations glaçantes de tromperies et de double jeu à grande échelle qui sont source de très profonds et durables ressentiments entre les peuples. Mais ce spectacle du monde ne fait-il pas qu’exacerber à grande échelle ses sentiments et ses attitudes qui peuvent traverser tout cœur humain, notre propre cœur ? Regarder comme en miroir ces conflits planétaires et nos propres conflits intérieurs ou interpersonnels, nous montre qu’il s’agit du même combat spirituel qui se joue sur deux échelles différentes. Cette constatation peut nous inviter à ne pas rester seulement comme des spectateurs plus ou moins complaisants de l’actualité, comme si nous y étions complètement extérieurs. Non, nous pouvons les entendre au contraire avec cette attention douloureuse face à un mal qui peut aussi traverser notre cœur, ou celui de notre proche voisin. La question nous est renvoyée : comment rester vigilant dans notre cœur pour que la colère qui peut surgir pour des raisons qui ne dépendent pas toujours de nous, ne sème pas en nous de la rancune, sorte de bombe à retardement, prête à exploser au moindre signe ? Comment ne pas laisser des paroles ou des pensées négatives nourrir en nous l’amertume ou le ressentiment ? Comment ne pas nous installer dans un double jeu de tromperie ou de paix mensongère parce que nous avons été pris à notre propre piège ? Outre ces instruments entendus qui fonctionnent comme des limites à ne pas franchir, nous pouvons faire nôtre le dernier instrument lus ce matin : « ne pas se départir de la charité ». Ultime barrière à ne pas franchir. Ne pas abandonner la charité. Celle-ci est en nos cœurs, comme une belle lumière à ne jamais laisser s’éteindre. Entre nous, elle est un ciment à ne pas laisser se déliter. Un frère est-il insupportable ou bien difficile à comprendre dans ses réactions ? Garder la charité, cette attitude foncière qui veut ne pas faire de mal, dans la conviction que ce bien de l’amour entre nous est plus grand que toutes les blessures ou les incompréhensions qu’on peut s’infliger. Plus que l’expression de notre bonne entente mutuelle, la charité nous précède comme un cadeau, le don de l’Esprit qui est là en chacun de nous et entre nous. Amour répandu dans nos cœurs, il atteste au plus intime que dans l’Amour seul est la Vie véritable. Il nous permet de reconnaitre que l’autre est toujours plus grand que ses misères. Oui, ne perdons jamais de vue le pouvoir libérateur de cet amour tapis au plus profond de notre être de moine et de chrétien.
20. Se rendre étranger aux actions du monde,
21. ne rien préférer à l'amour du Christ.
R.B. 4, 20-21 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?
Voilà deux instruments « Se rendre étranger aux actions du monde ; ne rien préférer à l’amour du Christ », que l’on peut entendre ensemble pour éviter un contresens : celui de mépriser le monde. Car il s’agit plutôt de bien établir une hiérarchie dans notre existence en posant d’abord le Christ préféré en toute chose ou en toute action en ce monde.
Cette question est délicate et l’enjeu spirituel important. En effet, il s’agit pour nous, et personnellement et communautairement, d’habiter pleinement notre monde, de l’aimer avec tout ce qu’il offre et cherche aussi. Nous venons de ce monde, et ce monde nous façonne. Tout en choisissant de nous mettre à l’écart dans la vie monastique, nous faisons aisément nôtres les grandes aspirations de notre monde (p.e le sens du droit des personnes bien mis en évidence depuis la révolution française…). Nous sommes aussi traversés par ses ambiguïtés voire ses impasses (comme pays occidental, nous participons en bonne part à notre insu à des compromissions avec des pouvoirs qui bafouent ces mêmes droits, pour préserver notre bien-être économique...). Comme chrétien et comme moine, nous cherchons comment grandir en liberté, et personnellement et communautairement, vis-à-vis de certaines aliénations que la lumière de l’évangile met davantage en relief. C’est la grâce de notre vie chrétienne de nous entrainer sur le chemin d’un discernement toujours plus subtil loin des divisions trop facile entre bons et mauvais. Sur ce chemin de discernement, nous avons une boussole sûre, elle-même cependant à toujours bien utiliser : notre préférence pour le Christ. Et le Christ ici n’est pas une idée, fut-ce une certaine idée du bien ou de la morale chrétienne. Non, mais bien une personne. Pour avancer au milieu de ce monde, nous le suivons comme une personne qui s’est faite proche et qui nous accompagne au plus près, si nous lui faisons confiance. Oui, notre préférence pour le Christ détermine déjà un bon nombre de choix. Ces choix restent libres, et le deviennent même de plus en plus au fur et à mesure que nous entrons dans une plus grande connaissance du Christ, notre frère et Seigneur. Préférer le Christ, entrer plus intimement dans son Amour et son amitié ouvre en nous un autre regard et une autre sensibilité. Oui, par la méditation des Ecritures, par la prière d’adoration, par la méditation de la vie des saints, par la réflexion théologique, apprenons à regarder les choses comme lui les regardent, à sentir les situations comme il les sent, à aimer les personnes comme il les aime. Notre préférence pour Jésus, le Christ rendra notre cœur semblable au sien qui a tant aimé le monde.
11. Châtier le corps,
12. ne pas rechercher les plaisirs,
13. aimer le jeûne.
14. Restaurer les pauvres,
15. vêtir les gens sans habits,
16. visiter les malades,
17. ensevelir les morts,
18. secourir ceux qui sont dans l'épreuve,
19. consoler les affligés.
R.B. 4, 11-19 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?
Il me semble qu’il y a une cohérence à recevoir ensemble les différents instruments que nous venons d’entendre. Tous, ils se placent comme une mise en pratique de l’instrument qui précédait et déjà commenté : « se renoncer à soi-même pour suivre le Christ ». Ils sont une expression de ce renoncement envers soi-même et au service des autres. Je distingue deux sous-ensembles : ceux qui ont à voir avec le corps personnel (châtier le corps, ne pas rechercher les plaisirs, aimer le jeûne) et ceux qui ont à voir avec les corps des autres (restaurer les pauvres, vêtir les gens sans habits, visiter les malades, ensevelir les morts, secourir ceux qui sont dans l’épreuve, consoler les affligés). Un paradoxe ressort alors fortement : d’un côté, il y a une vraie exigence qui est demandée vis-à-vis de son corps personnel et de l’autre, il y a une vraie attention à porter aux corps des autres dans leur détresse et ce, jusque dans le soin des morts. Ce paradoxe est là pour nous redire que St Benoit ne promeut pas un mépris du corps, comme l’expression « châtier son corps » pourrait nous le faire penser. Le corps n’est pas méprisé, il doit même être très honoré en toutes les personnes dans le besoin. Sur le plan personnel, le corps n’est pas méprisé, mais soumis à une discipline qui lui permet d’être vraiment au service du Christ. A la suite de Paul qui dit qu’il « traite durement son corps » en comparant son engagement apostolique à celui d’un athlète ou du lutteur (1 Co 9, 25-27), le moine est invité à demeurer vigilant par rapport à son propre corps. Aimer le jeûne, ne pas rechercher les plaisirs : comment cultiver en nous cet élan spirituel qui fait passer en second plan le souci de soi et le contentement immédiat ? Comment découvrir la force qui réside dans cette juste maitrise de nos appétits et nos désirs ? Certainement en essayant et en persévérant dans l’exercice, comme nous le faisons en ce temps de carême. Certainement aussi en demandant la grâce d’une lumière intérieure vis-vis des peurs qui peuvent nous habiter (peur de manquer, peur de ne pas avoir assez d’énergie …) Cette attention pour canaliser notre corps et ses désirs peut nous aider à être plus libre vis-vis de nous-mêmes, et plus attentifs aux besoins de nos frères. Tout ceci est un travail de longue haleine, dont nous connaissons chacun les avancées et les reculs. Comme des coureurs de fond, nous reprenons l’entrainement jour après jour. Dans cette course à la suite du Christ, la grâce nous précède puisqu’elle nous a appelés là. Elle nous seconde et nous soutient. Exprimons-lui notre désir d’être plus libre vis-à-vis de nos désirs plus ou moins bien ordonnés afin d’aimer plus en vérité.
10. Se renoncer à soi-même pour suivre le Christ.
R.B. 4, 10 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?
« Se renoncer à soi pour suivre le Christ ». Avec toi, f. Jean Marie, nous recevons cet instrument en ce jour où tu renouvelles tes vœux temporaires pour 2 ans. Un instrument exigeant, délicat à comprendre, et ce d’autant plus que nous entendions il y a quelques jours le commandement « aimer son prochain comme soi-même ». Comment entendre ces deux instruments qui appellent à « s’aimer soi-même et à se renoncer soi-même » ? Tous deux sortent de la même bouche de Jésus, le premier comme un commandement, le second comme un conseil à qui veut lui emboiter le pas de plus près. Ces deux instruments sont précieux à entendre ensemble pour se garder de mécompréhension sur l’un et sur l’autre. Ainsi d’un côté, s’aimer soi-même sera toujours plus grand que se dorloter soi-même ou se la couler douce et de l’autre se renoncer soi-même ne voudra jamais dire se maltraiter ou se mépriser. Le premier manifeste cette douceur à l’égard de soi indispensable pour aimer vraiment et le prochain et Dieu. Le second, se renoncer soi-même, est comme un aiguillon qui nous réveille au cas où nous aurions tendance à nous placer au centre de toutes nos préoccupations. Avec ces deux instruments, nous sommes comme un marcheur qui pratique la marche nordique, avec ces deux bâtons. Dans une alternance incessante, nous prenons appui tantôt sur un bâton et tantôt sur l’autre. Un seul but à atteindre jour après jour : avancer sur le chemin de l’amour, à la suite du Christ, à la lumière de la pédagogie monastique. Apprendre à sa suite à aimer d’un amour qui nous décentre de nous-même. Sans nous oublier, découvrir cependant que la vraie joie n’est plus d’être au centre. Là où nous pouvons être tenté de monopoliser l’attention ou la parole, la vraie joie sera de la donner, de la faire circuler. Ou encore si nous voulons à tout prix préserver notre temps, l’économiser, la vraie joie sera d’apprendre à le recevoir de Dieu.
Avec toi, f. Jean Marie, par amour du Christ, nous marchons sur ce chemin du juste amour de soi sans cesse aiguillonné par l’appel au renoncement à soi. Avec toi, nous rendons grâce pour ce que le Seigneur nous a donné de vivre depuis ton entrée. Nous le prions de t’accompagner de sa grâce pour ces deux années à venir et nous trouver plus fidèles avec toi à son appel.
9. et « ne pas faire à autrui ce qu'on ne veut pas qu'on nous fasse ;».
R.B. 4, 9 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?
« Ne pas faire à autrui ce qu’on ne veut pas qu’on nous fasse ». Cette formule négative est tirée du livre de Tobie. On la trouve ainsi exprimée dans notre traduction liturgique d’une manière encore plus explicite : « Ne fais à personne ce que tu détestes ». Nous connaissons sa transformation en une formulation positive dans le NT, en Mt 7,12 et en Lc, 6, 31 : « Donc tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour, faites-le pour eux, vous aussi » Et Mt ajoute : « Voilà ce que disent la Loi et les Prophètes ». Ce passage de la formulation négative à la formulation positive est certainement un des ressorts de la Loi nouvelle dans l’Esprit, apportée par Jésus, non pas une loi nouvelle parce qu’elle serait autre, différente. Non, il s’agit bien de la même loi que Moïse a reçue au Mont Sinaï comme expression de l’alliance entre Dieu et son peuple. Mais en Jésus cette loi se trouve comme illuminée de l’intérieur, par l’amour même que Jésus a lui insufflé en l’accomplissant pleinement, durant toute son existence terrestre jusqu’en sa passion. L’alliance avec Dieu, inséparable de l’alliance entre nous, ne peut se réduire à des préceptes : « tu ne feras pas ». Ces préceptes ne sont que l’écorce d’un amour qui est toujours positif. Paul le dit à sa manière : « N’ayez de dette envers personne, sauf celle de l’amour mutuel, car celui qui aime les autres a pleinement accompli la Loi. La Loi dit : ‘Tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras pas de vol, tu ne convoiteras pas’. Ces commandements et tous les autres se résument dans cette parole : ‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même’. L’amour ne fait rien de mal au prochain. Donc, le plein accomplissement de la Loi, c’est l’amour » (Rm 13, 8-10). Si telle est la dynamique de l’amour révélé par le N.T., à la lumière de l’amour vécu par Jésus, comment comprendre que dans notre trousse à outil, nous offrant les instruments des bonnes œuvres, soit privilégiée la formulation négative tirée de Tobie, plutôt que celle positive des évangiles ? Il semble qu’elle vient appuyer la reprise du décalogue, qui comme l’avons entendu, remet sous les yeux de tous des limites à ne pas franchir au risque de se perdre. Sa présence peut ainsi suggérer que tous, nous restons pour une part des hommes marqués par le péché, qui avons besoin de la loi, de limites précises. Certes tous nous sommes déjà habités par l’Esprit qui déploie déjà en nous la vie nouvelle et la loi de l’amour. Mais jusqu’à notre dernier souffle, nous aurons besoin de quelques gardes fous pour ces parts de nous-mêmes encore un peu folles qui peuvent si vite tomber dans le péché. Aucun ne peut prétendre faire l’ange au risque de faire la bête. Ces modestes instruments nous rappellent à l’humble vérité de notre condition humaine toujours en chemin.
8. Honorer tous les hommes,
R.B. 4, 8 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?
Pour commenter cet instrument, je suis allé voir un article du P. Adalbert qui essaie de comprendre l’originalité de cet instrument des bonnes œuvres chez Benoit qui, je le cite, « d’un article du Décalogue jugé inopportun pour des moines (honorer son père et sa mère) fait une maxime d’hospitalité » (note 8, RB 4,8). P. Adalbert montre alors dans un article dédié à cet instrument comment St Benoit fait de cet honneur rendu à tout homme une règle qui éclaire toutes les situations d’hospitalité que les moines ont à vivre, que ce soit lors de l’accueil des hôtes (RB 53), mais aussi l’accueil des frères dans la foi, ou du tout-venant à la porterie. Je le cite : « C’est en effet à cette maxime fondamentale du chapitre 4 que peuvent se ramener toutes les prescriptions de la règle en matière d’hospitalité…St Benoit veut réagir contre tout manque de respect à l’égard des petits. Les moines ne doivent pas considérer ceux du dehors d’un point de vue autre que celui d’où ils se considèrent entre eux. Benoit leur demande la même indifférence à l’égard de la situation mondaine, qu’il s’agisse du rang des frères ou de la réception des hôtes. Dans les deux cas, le seul principe de différentiation est d’ordre surnaturel. De même qu’au sein d’une communauté on ne préfère pas l’homme libre à l’esclave, le plus vieux au plus jeune, mais le plus vertueux à celui qui l’est moins et le premier appelé à celui qui est entré plus tard, de même à la porte du monastère on ne fait pas plus de cérémonie pour le riche que pour le pauvre, mais les plus grands honneurs vont à ceux qui sont les plus proches de Dieu. Ceux-ci sont de deux sortes : les uns appartiennent au Seigneur par leur consécration visible ou une valeur manifeste, les autres, par le mystère de la présence du Christ dans les hommes les plus déshérités de ce monde. Les premiers sont « de la maison » parce qu’ils communient de cœur et d’esprit à la « foi » des moines, les seconds parce qu’ils représentent, fût-ce à leur insu et malgré eux, celui qui s’est fait pauvre et étranger pour nous. Ainsi s’opère à la lumière de la foi, un véritable renversement de la hiérarchie sociale de ce monde. Une telle pureté évangélique ne peut que parler à nos cœurs, à une heure où le corps du Christ tout entier aspire à devenir plus effectivement l’Eglise des pauvres » (in Ad. de Vogüé, Honorer tous les hommes, RAM 1964, p 137-138). Notre frère Adalbert écrit cet article en 1964…en plein concile.