vendredi 3 octobre 2025 : journée de solitude pour la communauté, messe vers 6h45 après Laudes.

Commentaires sur la Règle



Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 05, 10-13 De l’obéissance écrit le 18 juillet 2024
Verset(s) :

10. Ceux qui sont pressés du désir d'avancer vers la vie éternelle,

11. ceux-là adoptent la voie étroite, dont le Seigneur dit : « Étroite est la voie qui conduit à la vie » ;

12. ne vivant pas à leur guise et n'obéissant pas à leurs désirs ni à leurs plaisirs, mais marchant au jugement et au commandement d'autrui, demeurant dans les cœnobia, ils désirent avoir un abbé pour supérieur.

13. Ces hommes-là, certes, imitent la maxime du Seigneur, dans laquelle il dit : « Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais celle de celui qui m'a envoyé. »

Commentaire :



Hier je parlais de l’obéissance sans délai, obéissance à comprendre avant tout dans les petites choses de la vie quotidienne sur lesquelles on ne tergiverse pas, sinon alors tout devient compliqué. Il me semble que la notion de délai peut bien rendre compte d’une certaine graduation dans la manière de vivre l’obéissance. En effet, si nous voulons servir le Christ sous les « armes glorieuses de l’obéissance » pour reprendre les mots du prologue, nous ne sommes pas pour autant comme à l’armée où tout ordre venant d’un supérieur ne se discute pas. Nous avons intégré la milice du Seigneur, qui est un autre type d’armée. En ses rangs, il s’agit de mener un combat spirituel qui va chercher très profondément notre consentement. Or ce consentement, nous apprenons peu à peu à le donner dans toute sa profondeur. Et c’est là que l’on peut repérer une certaine graduation dans la manière de vivre l’obéissance qui va respecter la progressive émergence de notre consentement. De l’obéissance sans délai au frère qui demande un service, à l’obéissance qui requiert du temps et de la réflexion pour répondre au supérieur qui confie une mission délicate, il y a place à bien des formes d’obéissance qui se caractériseront par plus ou moins de temps consacré à l’échange. On retrouve en quelque sorte cette graduation dans la règle elle-même, entre ce chapitre 5 qui se place du point de vue du moine pour présenter une obéissance idéale sans délai tendue vers la vie éternelle, et le chapitre 68 qui se place un peu plus du côté du supérieur pour examines le cas d’une obéissance difficile qui nécessite un temps de dialogue. Notre culture, à la différence de celle de St Benoit, nous a rendus beaucoup plus sensibles à cette dimension dialogale de l’obéissance, lui redonnant finalement sa dimension fondamentale d’écoute, écoute du frère interpellé par un appel ou une demande, mais aussi écoute du supérieur pour prendre en compte les questions du frère. Les deux frères sont dans une relation d’écoute parce que tous les deux cherchent à faire la volonté de Dieu. Les abus vécus dans l’Eglise ont aiguisé notre regard critique vis-à-vis de l’obéissance. Est-elle encore possible alors que se font jour les fragilités et les conditionnements dans lesquels sont pris celui qui obéit et celui qui demande ? C’est un nouveau défi qui se présente à nous. Défi d’humilité et de patience pour le supérieur qui doit abandonner ses schémas mondains d’autorité, défi d’humilité et de confiance pour le frère qui apprend à se recevoir d’un autre. Défi qu’il n’est possible de résoudre que si l’on remet le Christ au centre, lui qui appelle l’un et l’autre à sa suite, dans une forme d’abaissement, terreau d’une vie nouvelle en gestation.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 05 01-09 De l’obéissance écrit le 17 juillet 2024
Verset(s) :

1. Le premier degré d'humilité est l'obéissance sans délai.

2. Elle convient à ceux qui estiment n'avoir rien de plus cher que le Christ.

3. À cause du service saint qu'ils ont voué, ou à cause de la crainte de la géhenne et de la gloire de la vie éternelle,

4. aussitôt qu'un supérieur leur commande quelque chose, comme si c'était commandé par Dieu, ils ne peuvent souffrir le moindre délai dans l'accomplissement.

5. C'est d'eux que le Seigneur a dit : « Dès que son oreille a entendu, il a obéi. »

6. Et il dit encore aux docteurs : « Qui vous écoute, m'écoute. »

7. Ces hommes-là, donc, abandonnant sur-le-champ leurs intérêts personnels et délaissant leur volonté propre,

8. les mains libres immédiatement et laissant inachevé ce qu'ils faisaient, avec une obéissance qui emboîte le pas, font suivre à leurs actes la voix de celui qui ordonne.

9. Et comme au même instant, l'ordre proféré par le maître et l'œuvre accomplie par le disciple, les deux choses se déroulent ensemble, à vive allure, avec la rapidité qu'inspire la crainte de Dieu.

Commentaire :



Hier, je parlais des défis que nous fait rencontrer la stabilité dans un monastère. Avec l’obéissance, proposée ce matin à notre méditation, c’est un autre défi et pas le moindre que nous vivons. Là où notre société valorise beaucoup l’autonomie, l’initiative personnelle et la capacité à décider de sa vie, l’obéissance vécue en communauté nous entraine dans une autre logique de vie. Est-elle incompatible absolument avec la culture ambiante ? Vient-elle la prendre complètement à rebrousse-poil ou bien se présente-t-elle comme une alternative critique à certains fonctionnements dont on mesure aussi les impasses ? Il n’est pas facile de répondre à ces questions. La réponse va dépendre de la manière avec laquelle on comprend l’obéissance, mais aussi de la manière avec laquelle chacun l’intègre dans sa vie personnelle. La présentation donnée par St Benoit peut paraitre idéale, si elle prétend tout dire de l’obéissance. Ainsi une obéissance, qui emboite le pas à la voix d’un frère qui ordonne quelque chose, concerne avant tout les petits gestes de la vie quotidienne où il s’agit de ne pas tergiverser, ni toujours discuter sur les moindres détails d’une action commune. Comme dans bien d’autres situations de la vie humaine, on obéit au frère chantre qui donne la note, au frère linger qui demande de rendre un linge inutile, au frère des transports qui demande nos heures, etc, comme dans la vie civile, on obéit au gendarme qui siffle de s’arrêter, au contrôleur qui demande le billet de train, au professeur qui pose une question, au médecin qui donne un médicament etc… En fait, de multiples manières, on ne cesse de s’obéir mutuellement sans même y penser. A l’inverse, les pinailleurs et les personnes qui discutent sans cesse sont vite perçus comme des empêcheurs de tourner en rond, et comme des gens inaptes à la vie en société. L’obéissance, entendue dans cette acception très concrète, se révèle être, comme le dit ailleurs St Benoit, un bien précieux pour le vivre ensemble. Elle le rend possible, supportable, et même heureux. A ce niveau-là très concret, l’obéissance dans notre vie communautaire ne présente pas une originalité extrême. A ceci près cependant, qu’en choisissant de vivre ensemble 24h/24, cette obéissance concrète, nous la donnons aux même frères, et cela dans toutes les dimensions de la vie (le travail, les repas, la prière, la gestion des biens, de notre temps…). Là où l’obéissance au médecin ou au contrôleur sera très ponctuelle, l’obéissance mutuelle en communauté nous replace les uns face aux autres jour après jour. Comment l’affronter pour en faire un atout et non un fardeau ? Là est un vrai défi humain et spirituel pour chacun de nous

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 04 78 Quels sont les instruments des bonnes oeuvres ? (suite) écrit le 16 juillet 2024
Verset(s) :

78. Quant à l'atelier où nous accomplirons assidûment tout cela, c'est la clôture du monastère et la stabilité dans la communauté.

Commentaire :

R.B. 4, 78 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?

Où allons-nous exercer l’art spirituel ? Nous moines, nous choisissons de le faire dans cet atelier qu’est « le cloître du monastère et la stabilité dans la communauté ». Il est heureux que St Benoit précise et introduise un nouvel élément au regard de ce qu’il emprunte au Maitre. Ce dernier dit ceci : « Quant à l’atelier, c’est le monastère. C’est là que les outils du cœur sont disposés dans la clôture du corps, et que peut s’accomplir l’œuvre de l’art divin, sous un contrôle et moyennant la persévérance » (RM 6,1). St Benoit précise donc que le cloître n’est pas seulement à entendre de façon spirituelle (le cœur dans le corps). Il est bien concret : l’atelier où le moine s’exerce est l’espace des bâtiments et des terrains du monastère, circonscrit par la clôture. Et il introduit ce nouvel élément : « la stabilité dans la communauté ». D’un côté, le cadre offert par la clôture du monastère, et de l’autre l’insertion stable dans une communauté. Le cadre offert par la clôture est spécifique : un certain retrait, le silence, la distance par rapport aux moyens de communications, par rapport à nos relations familiales et amicales. Dans notre monde super connecté, toujours à l’affût d’un lien, d’un contact, d’une information, ce cadre se présente comme un défi pour nous. Quels sont les fruits espérés pour que nous osions encore le maintenir face à une certaine pression de la société, qu’on pense au développement de la téléphonie mobile ? Le fruit espéré n’est-il pas celui d’une disponibilité plus profonde pour la prière, notre premier service ? Nous choisissons ce cadre contraignant par certains aspects, pour atteindre une meilleure qualité de présence à soi-même, aux autres et au Seigneur, qualité de présence qui refuse les faux échappatoires, les distractions illusoires qui vident toujours plus. Et en même temps, sauf à être ermite, nous avons besoin de ce tissu de relations fort qu’offre la communauté des frères. Le lien établi entre nous par la profession nous rend responsables les uns des autres. Nous cheminons ensemble, nous soutenant mutuellement, nous supportant dans nos faiblesses, nous corrigeant parfois. Cette stabilité qui est aussi fidélité peut nous éprouver parfois. Mais le fruit espéré n’est-il pas à ce prix ? Celui d’un amour qui nous creuse parce que toujours un peu plus vrai. Ensemble, nous apprenons à aimer, à vivre d’une plus grande capacité à aimer, alors que bien des aspérités sont là. L’épreuve du temps, le sentiment du déjà connu sont un défi permanent. Ils ont à voir avec le mystère de la croix. Participer aux souffrances du Christ par la patience, nous dit St Benoit dans le prologue. Tel est peut-être la part des moines au mystère du salut qui continue de se déployer en notre monde…

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 04 75-77 Quels sont les instruments des bonnes oeuvres ? (suite) écrit le 12 juillet 2024
Verset(s) :

75. Tels sont les instruments de l'art spirituel.

76. Si nous les exerçons sans cesse, jour et nuit, et les remettons au jour du jugement, nous recevrons du Seigneur cette récompense qu'il a promise :

77. « Ce qu'aucun œil n'a vu, aucune oreille entendu, ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment. »

Commentaire :

R.B. 4, 75-77 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?

Avec ces mots, Benoit achève ce chapitre sur les instruments des bonnes œuvres. Nous en avons entendu 74. Nous ne les avons certainement pas tous retenus. Mais certains sont peut-être davantage restés dans notre mémoire. Les garder à la mémoire nous offre un repère. Chacun pourrait faire la liste de ces instruments qui comptent davantage pour lui, parce qu’en certaines circonstances, ou simplement en raison de nos lieux respectifs de combat, ils s’offrent comme un outil pour exercer notre vigilance sur tel point de notre vie. Ce pourra être des instruments visant à fortifier la charité fraternelle « honorer tous les hommes », « ne pas faire à autrui ce qu’on ne veut pas qu’on nous fasse », « émettre la vérité de son cœur et de sa bouche », ou bien des instruments utiles pour demeurer assidu dans notre quête de Dieu et notre prière « ne rien préférer à l’amour du Christ »,« confier son espoir à Dieu », « écouter volontiers les saintes lectures » « ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu », ou bien encore des instruments précieux pour gérer notre propre combat spirituel, en nos parties de notre vie plus vulnérables « se renoncer à soi-même pour suivre le Christ », « aimer le jeûne », « aimer la chasteté ». Ces instruments sont-ils bien en état de marche ? Tel est le propre de l’artisan de savoir entretenir ses outils, de connaitre où ils sont rangés pour le cas échéant les utiliser sans tarder. Des instruments, nous pouvons aussi en avoir d’autres, comme ces sentences qui nous reviennent à la mémoire parce qu’ils nous ont parlés un jour et fortifiés sur un point précis, ou simplement parce qu’ils entretiennent notre élan spirituel. Veillons à ne pas les négliger car nous pouvons les considérer comme des grâces de la part du Seigneur qui nous donne ces paroles utiles pour notre marche. A ce propos, St Benoit introduit dans cette partie conclusive du chapitre une conviction qui pourrait bien être tirée de la parabole des talents. Quand il dit que ces instruments, nous les remettrons au jour du jugement, comme les serviteurs de la parabole remettent les talents qu’ils ont fait fructifier, il suggère qu’il prend très au sérieux ces instruments qui peuvent nous orienter sur notre route, qu’ils soient tirées ou non de l’Ecriture. Autrement dit, soyons à l’écoute de ces paroles repères qui viennent comme des petits signaux, ou des petites lumières et qui peuvent se révéler très précieuses dans tous les discernements que nous ne cessons de faire jour après jour. Faisons confiance à cette mémoire du cœur qui a su garder ce qui nous est vraiment utile. Et rendons grâce au Seigneur pour ce trésor de paroles bonnes et bénéfiques.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 04 74 Quels sont les instruments des bonnes oeuvres ? (suite) écrit le 10 juillet 2024
Verset(s) :

74. Et ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu.

Commentaire :

R.B. 4, 74 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?

« Ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu » … Cet instrument se présente comme un roc pour notre vie humaine et spirituelle. Un roc contre lequel toutes les tentations de découragements, de dépit sur nous-même, ou de dégoût de la vie peuvent se briser. Car si nous désespérons de nous-même, il y a Quelqu’un, le Seigneur de nos vies, qui ne désespère jamais de nous. Lui notre Créateur et notre Sauveur, Lui, à qui nous avons voué notre vie et notre confiance, ne cesse de chercher pour nous et avec nous les chemins de vie et de sens sur lesquels nous allons pouvoir grandir. Et parfois, et peut-être plus souvent qu’on ne le pense, ce chemin passe par nos frères qui sont là comme une main tendue au service de plus grand qu’eux-mêmes. Combien de fois, n’avons-nous pas fait l’expérience d’un geste ou d’une parole qui nous rétablit dans la confiance en nous-mêmes et dans la conscience d’être aimé de Dieu. Je pense au sacrement de réconciliation qui est un lieu où la source de la miséricorde divine s’épanche abondamment. En ce sacrement où nous pouvons exister tel que nous sommes avec nos faiblesses et notre péché, sans crainte d’être jugé, nous est offerte l’assurance de la miséricorde de Dieu. Le prêtre, ministre de ce sacrement, est alors un instrument privilégié de l’amour de Dieu toujours offert. Et même si parfois il peut arriver qu’il ne puisse donner l’absolution, il doit le faire avec beaucoup d’humilité et trouver les mots qui disent que la bénédiction de Dieu est toujours offerte au pécheur en chemin. A côté du sacrement de réconciliation, d’autres occasions ne manquent pas où, mutuellement, nous nous témoignons la miséricorde de Dieu. Lorsque nous nous trouvons dans une situation de vulnérabilité physique ou morale, nous sommes comme des mendiants qui tendons à nos frères et sœurs une main attendant de leur part reconnaissance, pardon et accueil. Si nous sommes accueillis, alors dans la foi, nous pouvons bénir Dieu qui nous manifeste ainsi sa miséricorde. Si au contraire, on nous ferme la porte au nez, nous pouvons en éprouver une blessure réelle. Je pense à la phrase de la philosophe S. Weil : « Quand nous manquons de miséricorde, nous séparons violemment une créature de Dieu » (La connaissance surnaturelle p 49). Dans notre vie communautaire, comme dans notre vie humaine tout court, nous sommes les uns pour les autres des instruments de la miséricorde de Dieu. Plus nous sommes à une place où les autres peuvent légitimement en attendre ce signe de notre part, plus nous sommes exposés. Plus il nous revient de cultiver sans cesse l’humilité pour ne pas blesser par notre aveuglement ou notre inconscience les personnes rencontrées qui espèrent beaucoup de notre part. Que le Seigneur garde nos pieds du faux-pas.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 04 73 Quels sont les instruments des bonnes oeuvres ? (suite) écrit le 28 juin 2024
Verset(s) :

73. faire la paix avec son contradicteur avant le coucher du soleil.

Commentaire :

R.B. 4, 73 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?

Dans cet instrument reçu de la Règle du Maitre, Benoit change deux mots qui sont assez significatifs. Là où le Maitre met « ennemi », il met « contradicteur », en latin « discordante » (celui qui est en discorde) et là où le Maitre a « revenir en grâce », il met « faire la paix » ou « rentrer en paix ». Je vois dans ces changements assez minimes en apparence, un souci de Benoit de coller le plus possible à la réalité. En effet, au monastère, nous n’avons pas forcément beaucoup d’ennemis avec lesquels nous réconcilier avant le coucher du soleil. Mais par contre nous pouvons avoir des frères avec lesquels il y a eu des accrochages, des discordes qui ne nous laissent pas indemnes. Nous pouvons éprouver comme un poids, quelque chose qui pèse. Ce frère n’est pas un ennemi, et ne le devient pas non plus parce qu’il y a eu un accrochage. Mais il demeure une gêne entre lui et moi. Avec l’expression « faire la paix ou rentrer en paix », St Benoit suggère une démarche concrète à faire, davantage que l’appel à rentrer en grâce. Il s’agit de poser un geste, par ex de mettre un billet pour s’excuser, pour demander pardon ou pour manifester que, ce qui s’est passé, a dépassé ses intentions ou son désir, reconnaitre sa maladresse…. Et parfois, pouvoir même si le tort est de façon assez évidente du côté du frère, mettre un mot pour manifester qu’on ne veut pas en rester là… Ce genre de petit geste, porté par l’intention de demeurer en paix avec soi-même et de préserver le lien de paix fraternel, a un poids bien plus important qu’on imagine. Il joue le rôle de désamorcer un conflit qui pourrait s’envenimer. Oui, osons ce geste de paix concret. Ne laissons pas s’installer une discordance qui repose le plus souvent sur de l’incompréhension. Le risque est grand ensuite de tout interpréter de travers. Nous sommes forts les uns et les autres pour nous faire des cinémas intérieurs sur les intentions des autres, évidemment le plus souvent en leur défaveur. Oser un geste, un mot, coupe court à nos pensées sauvages si promptes à surgir. Cet instrument s’enracine dans une citation de Paul aux Ephésiens que je cite : « Si vous êtes en colère, ne tombez pas dans le péché ; que le soleil ne se couche pas sur votre colère. Ne donnez pas prise au diable » (Ep 4,26). « Ne donnez pas prise au diable », conclue Paul. Le « diabolos », celui qui divise, ou le Satan, celui qui accuse, est toujours prompt en cas de conflit avec un frère, à attiser en nos pensées, toutes sortes de sentiments accusateurs et hostiles à son endroit. Oui, lorsque ces pensées roulent dans notre cœur contre un frère, ne soyons pas dupe. Prenons du recul pour ne pas être le jouet du mauvais esprit. Il est si prompt à souffler sur la petite étincelle de discorde pour en faire le brasier d’une guerre. Aussi alors, tournons-nous vers le Christ. Demandons-lui de disperser toutes ses pensées illusoires par son Esprit de paix.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 04 72 Quels sont les instruments des bonnes oeuvres ? (suite) écrit le 27 juin 2024
Verset(s) :

72. Dans l'amour du Christ, prier pour ses ennemis,

Commentaire :

R.B. 4, 72 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?

« Dans l’amour du Christ, prier pour ses ennemis » … Pourrions-nous prier et aimer nos ennemis, sans l’amour du Christ ? Pourrions-nous vivre par nous-mêmes cette manière de nous rapporter à ceux qui nous font du mal, ou à tout le moins à ceux dont on sent qu’ils ne nous veulent pas du bien ? Certes le Christ nous l’a demandé…mais en serions-nous capables si son amour ne nous habite pas ? C’est la pointe de cet instrument : nous orienter vers la source dans laquelle nous allons puiser la force de prier et d’aimer nos ennemis.

Comment découvrir et laisser vivre cette source en nous ? et peut-être tout d’abord comment pouvons-nous parler de source en nous ? Je pense à la citation de Jn 7, 37-39 : « Au jour solennel où se terminait la fête, Jésus, debout, s’écria : ‘Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi ! Comme dit l’Ecriture : De son cœur couleront des fleuves d’eau vive. En disant cela, il parlait de l’Esprit Saint qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui… ». Depuis notre baptême qui nous a plongés dans la mort et la résurrection du Christ, une source s’est ouverte en nous, le don de l’Esprit-Saint, le don de l’Amour donné avant même que nous ayons fait quelque chose pour le mériter. Une source est ouverte qui, comme celle qui sort du côté du Temple, ne demande qu’à s’élargir pour devenir fleuve d’eau vive pour nous et pour ceux qui nous entourent. Don de l’Esprit, manifestation et expression de l’Amour du Père et du Fils pour nous, nous sommes irrigués, habités, vivifiés par un Amour qui n’a pas son origine en nos efforts et en nos désirs… Pour le reconnaitre, nous avons une boussole, c’est le Christ. Lui a pleinement donné visage à cet Amour dont il est lui-même gratifié par le Père dans l’Esprit. Lui a vécu son humanité en aimant. En sa chair, l’Amour a pris notre chair, en ses mains, l’Amour nous a touchés, en sa bouche l’Amour a résonné à nos oreilles, en son cœur transpercé, l’Amour s’est répandu sur notre humanité. Oui, regardons Jésus, contemplons en Lui l’Amour qui s’est incarné en des gestes et en des paroles bien concrètes, dans la vérité et dans une exigence toujours déroutante. Parmi ces exigences, prier pour nos ennemis, les aimer n’est accessible à notre bien faible volonté qu’à condition de laisser se réveiller cette source en nous, la même qui a permis à Jésus sur la Croix de pardonner à ses bourreaux. Regardons Jésus, contemplons le pour orienter notre cœur vers la source qui, en nous, ne demande qu’à sourdre. Elle seule peut nous déborder pour nous emmener là où spontanément nous n’avons pas envie d’aller…

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 04 70-71 Quels sont les instruments des bonnes oeuvres ? (suite) écrit le 26 juin 2024
Verset(s) :

70. Et vénérer les anciens,

71. aimer les jeunes.

Commentaire :

R.B. 4, 70-71 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?

Ces deux instruments avec celui qui les précède et celui qui les suit fait partie d’un petit ensemble de 4 instruments ajoutés par Benoit à l’ensemble reçu de la Règle du Maitre. Sur ces 4 instruments, 3 touchent les relations pour inviter à les soigner, et le dernier concerne l’humilité. Cette attention de Benoit au soin des relations est remarquable. La vie cénobitique ne peut se construire sur d’autres bases que celles du respect, de la juste reconnaissance de l’autre et de l’amour échangé. En cette période d’élections où, pour donner l’illusion de rassembler sous une même identité, il est tentant d’exclure le différent et l’étranger pour en faire des boucs émissaires, St Benoit nous entraine dans une autre vision de la vie en société. Dans la micro société qu’est une communauté monastique, chacun a sa place. Le rassemblement des uns et des autres se fait, à la fois par l’engagement de chacun à se donner à la communauté, et à la fois par la reconnaissance de chacun par tous. « Un pour tous, tous pour un » : la devise de la Suisse, popularisée par le roman des Trois Mousquetaires. Pour être sûr de ne pas nous faire illusion, et de ne pas nous payer de mots, St Benoit propose à chacun, quelque soit son âge de s’exercer à cet amour mutuel, en allant aux marges. « Vénérer les anciens et aimer les jeunes ». Deux instruments qui obligent à sortir de soi, à se décentrer, là où assez spontanément, on va vers le « même », même âge, même manière de voir les choses, même capacité d’agir… Pour les plus jeunes, c’est une réelle sortie de soi que de consentir à aller vers l’ancien, surtout dans notre société si friande de vitesse et d’efficacité. Vénérer l’ancien dans son pas plus lent, dans sa difficulté à trouver ses mots, dans ses maladresses, dans sa tête qui part un peu ou beaucoup… Lui faire l’honneur de notre présence bienveillante, sans jugement. Lui faire la joie d’une compagnie qui va égayer ses longs moments de solitude souvent plus subis que désirés… Aimer les jeunes demande aussi pour les plus anciens une sortie de soi. Apprendre sans peur à entrer dans leur univers si inconnu tant les évolutions des manières de penser et de vivre sont rapides. Accepter d’être dérouté sans s’affoler. Les aimer, et les honorer de notre confiance à priori, non aveugle, mais tranquille. Les aimer, et leur faire l’espace nécessaire pour qu’ils prennent leur place demandera de faire taire pour un temps le récit de nos expériences ou de nos « guerres ». Dans nos groupes, particulièrement, mais plus globalement dans la vie commune, les occasions ne manquent de nous mettre les uns à l’écoute et au service des autres… de nous vénérer et de nous aimer par le respect et la bienveillance à priori qui voudrait ne laisser personne de côté. Nous pouvons rendre grâce d’être conviés à cette école de vie.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 04 65 Quels sont les instruments des bonnes oeuvres ? (suite) écrit le 06 juin 2024
Verset(s) :

65. ne haïr personne,

Commentaire :

R.B. 4, 65 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?

« Ne haïr personne ». Dans l’Ecriture, on trouve plusieurs fois le commandement de ne pas haïr son frère, depuis le Lv 19, 17 : « Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur » jusqu’à la 1ère lettre de St Jean : « Celui qui a de la haine contre son frère est dans les ténèbres (2, 11) …quiconque a de la haine contre son frère est un meurtrier (3,15) … ». Ici, l’instrument va plus loin : « ne haïr personne ». Dans le cœur du moine, il ne doit pas y avoir trace de haine contre quiconque, pas seulement contre son frère, mais contre tout être humain… Est-ce un commandement de plus ? Peut-être pouvons-nous l’entendre davantage comme un pare-feu ou bien comme un contre-poison. En effet, laisser entrer la haine dans notre cœur, n’est-ce pas laisser pénétrer les ténèbres en nous ? N’est-ce pas laisser s’introduire le germe de la violence qui peut nous rendre meurtrier de l’autre, que ce soit par le sang versé, par la réputation bafouée ou par le mépris. Comment nous tenir hors de ce danger ? A nos seules forces, ce n’est pas possible. Il nous faut alors regarder vers la source de l’Amour, et nous y abreuver. St Jean dans la même épitre poursuivait le verset cité : « Voici comment nous avons reconnu l’amour : lui, Jésus, a donné sa vie pour nous » (1 Jn 3, 16). En cette fête du Sacré-Cœur, il nous est donné de nous approcher de la source de l’Amour qui s’épanche depuis le Cœur ouvert du Christ. Voilà le seul cœur humain qui n’a jamais eu trace de haine en Lui. « Cœur plus ouvert qu’un ciel à l’infini, qu’une mer sans rivage », qui s’est vidé et totalement donné « pour rendre l’homme à ses frères ». En honorant, le Sacré-Cœur, nous accueillons cette grande grâce d’être aimé de façon totalement gratuite. Non seulement, le Christ nous offre son Amour qui nous purifie de tout mal, mais il nous donne part à son Esprit pour nous rendre capable d’aimer à notre tour comme Lui. Seul l’Esprit peut ôter en nous toute tentation de haïr, et transformer tous nos égoïsmes en capacité de nous tourner vers les autres. Mais cette fête du Cœur du Christ nous indique ou nous rappelle un autre chemin pour apprendre à aimer : le chemin d’une intimité plus grande avec le Christ. A Marguerite Marie, le Christ Ressuscité a révélé son grand désir de faire rayonner sur chacun de nous son amour comme un feu brûlant. Il ne nous demande qu’une chose : de lui faire cet honneur d’accepter de nous laisser aimer par lui et de lui rendre amour pour amour. Au pied de la Croix, à la source de tous les sacrements, particulièrement de l’eucharistie, nous pouvons nous tenir avec amour pour recueillir cet amour du Christ, et le laisser rendre notre cœur semblable au sien. Nous exprimerons cela demain, lors de la prière de consécration proposée pour ce jubilé et lors du temps de prière silencieuse que nous pourrons prendre le soir à partir de 19h45.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 04 64 Quels sont les instruments des bonnes oeuvres ? (suite) écrit le 05 juin 2024
Verset(s) :

64. aimer la chasteté,

Commentaire :

R.B. 4, 64 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?

Pour essayer de rendre cet instrument plus compréhensible, en espérant ne pas en trahir le sens, il me semble qu’on pourrait le transcrire ainsi : « aimer à aimer avec justesse ». Aimer, nous cherchons tous et toujours comment le vivre au gré des relations qui nous sont données de vivre, aux différents âges de la vie. Chaque relation s’offre à nous comme une opportunité pour aimer. Cet amour pourra prendre bien des couleurs, des couleurs plus ternes de la relation banale aux couleurs plus vives et contrastées de la relation plus profonde ou plus intense. Et cependant, comme le suggère les tableaux du P. Angelico, avec leurs dégradés de gris, même dans les couleurs les plus ternes, les subtilités de tons sont importantes. Il apparait alors qu’aucune couleur n’est vraiment insignifiante. Ainsi dans les couleurs de l’amour, du plus banal au plus profond, rien n’est insignifiant pour manifester à l’autre un intérêt et pour lui exprimer le respect auquel il a droit. Paradoxalement, c’est peut-être dans ses couleurs les plus ternes comme dans ses couleurs les plus vives que l’amour se révèle être le plus difficile pour être juste. Dans les relations banales de travail, de service ou de rencontres passagères, le risque est d’aimer sans aimer, de nouer des liens parce qu’il le faut, mais sans nous donner vraiment. Le risque est que seul prime l’intérêt immédiat de chacun. Ici, comme moine, nous pouvons nous interroger sur notre manière d’aimer dans nos relations très quotidiennes : est-ce que l’intérêt de l’autre passe avant mon propre intérêt dans le désir de l’aimer et de le servir, ou bien suis-je préoccupé de faire en sorte que l’autre serve à mes besoins immédiats pour le travail ou pour tel service ? Il me semble que lorsque nous sommes dans le premier cas, se construisent des relations fraternelles qui donnent de la joie, alors que dans le second cas, les relations laisseront un arrière-goût, voire le sentiment amer, d’être utilisé par l’autre, mais pas aimé. Dans les relations plus intenses, comme l’amitié ou la franche complicité, aimer avec justesse sera davantage dans l’attention à trouver la bonne distance, celle qui préserve la liberté de chacun, dans le respect de sa vocation unique devant Dieu. Dans une communauté, cette amitié-là vécue avec justesse laissera aussi toujours la place aux autres frères ou à d’autres personnes, alors qu’à l’inverse, une amitié possessive risque de se clore sur elle-même, voire d’exclure les autres. Plus la relation est forte et juste, plus grandit la conscience du mystère de l’autre, et le désir de le respecter. C’est là le don véritable de la chasteté à demander les uns pour les autres : nous aimer dans tous nos types de relations, avec respect, avec ce regard bienveillant qui préserve le mystère de l’autre qui est toujours plus grand que ce que j’en sais ou que j’en perçois.