vendredi 3 octobre 2025 : journée de solitude pour la communauté, messe vers 6h45 après Laudes.

Commentaires sur la Règle



Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 39, 06-11 De la quantité de nourriture écrit le 29 avril 2020
Verset(s) :

6. S'il arrive que le travail devienne plus intense, l'abbé aura tout pouvoir pour ajouter quelque chose, si c'est utile,

7. en évitant avant tout la goinfrerie et que jamais l'indigestion ne survienne à un moine,

8. car rien n'est si contraire à tout chrétien que la goinfrerie,

9. comme le dit Notre Seigneur : « Prenez garde que la goinfrerie ne vous appesantisse le cœur. »

10. Quant aux enfants d'âge tendre, on ne gardera pas pour eux la même mesure, mais une moindre que pour les plus âgés, en gardant en tout la sobriété.

11. Quant à la viande des quadrupèdes, tous s'abstiendront absolument d'en manger, sauf les malades très affaiblis.

Commentaire :

« Rien n'est si contraire à tout chrétien que la goinji-erie »... Nous avons là le seul usage dans la règle du mot chrétien, dans lequel Benoit inclue le moine, faisant de lui un chrétien parmi les autres. L'autre usage du mot «chrétiens» se trouve dans le chapitre sur l'élection de l'abbé (RB 64,4), mais justement pour les distinguer des moines et pour désigner

l'ensemble des croyants des alentours, appelés à veiller afin d'éviter tout dérapage dans le processus de choix du supérieur.

Il est heureux de nous voir ici inclus parmi les chrétiens, comme aimait le faire si souvent le P. Denis lorsqu'il répétait volontiers« On ne devient que lentement homme, femme, philosophe, vrai. On devient lentement chrétien. J'espère mourir chrétien». Devenir humain, devenir chrétien. Ce n'est pas peut-être pas un hasard si cette mention de la vie monastique intrinsèquement liée à la vie chrétienne, se fait à propos de la nourriture. Sur ce terrain, nous nous retrouvons un parmi les autres, à devoir assumer la gestion d'un besoin élémentaire : se nourrir. Autour de ce besoin se cristallisent beaucoup d'attention en quête d'un équilibre jamais atteint. Jusqu'à notre mort, il nous faudra manger, et nous situer face à la peur de manquer, au désir d'être rassasié, au plaisir de goûter, à la joie de pmtager avec d'autres etc... Veiller au juste équilibre entre ces diftërents aspects fait partie de notre dignité humaine. En quoi regarde­

t-elle notre dignité chrétienne '? Comme nous l'entendons ces jours-ci à l'eucharistie, notre dignité chrétienne nous porte à cultiver le désir d'un autre pain,« celui qui descend du ciel et donne la vie au monde» (Jn 6, 33). Jésus, l'envoyé du Père, s'offre à nous comme le vrai pain de vie. Notre désir humain, éveillé par la grâce baptismale, nous porte à ne pas laisser s'assouvir cette faim profonde de Dieu, de sa Parole, d'une relation vivante avec Lui. Il nous revient de veiller à ne pas laisser le plaisir « pour la nourriture qui se perd" obscurcir le plaisir de « la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle» (Jn 6, 27). Si la goinfrerie appesantit le cœur, quel plaisir éprouve-t-il ? Est-il vraiment heureux ? Le psalmiste affirme : « Leur cœur alourdi s'est fermé, moi Je prends plaisir à ta loi » (Ps 118, 70). Le plaisir de la Loi garde assurément le cœur ouvert et léger. Car par sa Loi, par sa Parole, par son Pain, notre Dieu désire

nous faire plaisir. Il vient nourrir en nous la joie profonde à l'écoute de sa Parole et à la réception du Pain de Vie. N'est-ce pas là que notre plaisir rejoint le plus sûrement le plaisir de Dieu?

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 39, v 01-05 De la quantité de nourriture écrit le 28 avril 2020
Verset(s) :

1. Nous croyons qu'il suffit à toutes les tables pour le repas quotidien, qu'il ait lieu à sexte ou à none, de deux plats cuits, en raison des diverses infirmités,

2. pour que celui qui ne peut manger de l'un, fasse son repas de l'autre.

3. Donc deux plats cuits suffiront à tous les frères ; et s'il y a moyen d'avoir des fruits ou des légumes tendres, on en ajoutera un troisième.

4. Une livre de pain bien pesée suffira pour la journée, qu'il y ait un seul repas ou déjeuner et souper.

5. Si l'on doit souper, le cellérier gardera le tiers de cette même livre pour le rendre au souper.

Commentaire :

En écoutant ce chapitre, je me disais que l'on pourrait entendre le « il suffit » de St Benoit différemment en pensant à environ 800 millions de la population mondiale qui n'a pas ce qui lui« suffit» en matière alimentaire, soit I habitant sur I O. Le« il suffit l> donne une sorte de ratio pour les moines qui veulent apprendre à contenir leur appétit. Pour bon nombre d'humain, mieux vaudrait dire « il faudrait >l tant la limite raisonnable est rarement atteinte, voire jamais. D'un côté, les riches que nous sommes, doivent apprendre à contenir, de l'autre les pauvres vivent sans cesse dans la quête du strict nécessaire. Le « il suffit » de st Benoit peut dès lors être perçu, non seulement comme un salutaire rappel à notre propension à dépasser les limites, mais aussi comme un exercice de solidarité. Ici, nous choisissons d'avoir des menus gui compo1ient des limites: nous ne mangeons pas de viande, nous ne buvons du vin qu'aux jours de fêtes, de même pour les pâtisseries. Le soir, nous n'avons qu'un plat de légumes ou féculents. A certains jours, peut-être une part de nous-mêmes râle-t-elle contre ce qu'elle estime comme insuffisant, ou pas bien cuisiné, ou servi en trop petite quantité. Ne faut-il pas alors que nous relevions la tête de notre assiette, au sens propre et figuré pour nous remettre dans la réalité? Au sens propre, en prenant le temps de manger. plutôt que d'ingurgiter, afin de goûter et apprécier ce qui est peut-être moins abondant aujourd'hui ... Au sens figuré, relever la tête, c'est nous souvenir de cette part d'humanité qui n'a pas le nécessaire. Ce1ies y penser ne va pas changer leur sort immédiatement. Mais cela peut changer mon regard. Cela peut m'apprendre à penser ma vie sous le mode de l'action de grâce. Je suis un privilégié, et je peux remercier Dieu de ne manquer de rien. J'évoquais ces familles à Venise pour lesquelles on collecte des victuailles, parce qu'elles ne peuvent s'en fournir. Bien des gens de nos régions vont facilement aux restos du cœur ou à la Croix Rouge pour bénéficier d'une aide alimentaire. Garder mon cœur solidaire en pensée, en attention, en prière, peut en contrecoup me rendre plus libre vis­ vis de mon appétit parfois tyrannique. Nos libres services, nos petits déjeuners peuvent devenir des lieux d'entrainement à cette libe1ié solidaire. Prendre ce qui est devant moi, un fruit un peu abimé, ou bien un morceau de pain ou de fromage mal coapé... Finir un plat que personne ne prend spontanément et permettre aux autres d'avoir du bon plat... Il y a bien des manières d'exercer déjà entre nous la solidarité, où la pensée de l'autre, de mon frère, de mon voisin n'est pas évacuée. Même si c'est un libre-service. je ne mange pas comme si j'étais tout seul.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 38, v 05-12 Du lecteur hebdomadier écrit le 25 avril 2020
Verset(s) :

5. Et il se fera un silence complet, en sorte que, dans la pièce, on n'entende personne chuchoter ou élever la voix, sinon le seul lecteur.

6. Quant à ce qui est nécessaire pour manger et boire, les frères se serviront à tour de rôle, de telle sorte que nul n'ait besoin de rien demander.

7. Si pourtant on a besoin de quelque chose, on le demandera en faisant retentir un signal quelconque, plutôt qu'en élevant la voix.

8. Personne non plus, dans la pièce, ne se permettra de poser aucune question sur la lecture ou sur autre chose, pour ne pas donner d'occasion,

9. sauf si le supérieur voulait dire brièvement un mot pour l'édification.

10. Le frère lecteur hebdomadier prendra le mixte avant de commencer à lire, à cause de la sainte communion et de peur que le jeûne ne lui soit pénible à supporter.

11. Mais c'est plus tard qu'il prendra son repas, avec les hebdomadiers de la cuisine et les serviteurs.

12. Les frères ne liront ni ne chanteront tous à la suite, mais seulement ceux qui édifient les auditeurs.

Commentaire :

R.B. 38, 5-12 Du lecteur hebdomadier

« il se.fera un silence complet» ... S'il est vrai que le réfectoire est un lieu quasiment liturgique, avec la prépondérance donnée à la lecture, la qualité du silence fait aussi partie du repas. Il va favoriser l'écoute et l'accueil de la parole, cette Parole divine qui cherche à se faire entendre sous tant d'expressions humaines. Le silence n'est pas un luxe. Nos frères malentendants le savent. Car l'écoute durant le repas n'est pas si aisée. Elle doit frayer son chemin entre les bruits des couverts, celui des plats qu'on manie et dépose sur les tables. Elle peut être troublée par l'attention légitime portée à son voisin qui demande quelque chose ou que l'on voit manquer de quelque chose. Et puis, parfois l'attention doit se concentrer sur ce qu'il y a dans notre assiette, sur un poisson pour ne pas avaler une arête... Autant de facteurs qui ont de quoi troubler le silence, l'écoute et l'attention.

Je voudrais relever trois points sur lesquels on pourrait améliorer le silence et favoriser ainsi le recueillement et le calme du repas : au début du repas, un point à l'attention des servants et aide aux servants, et un autre à la fin du repas. Tout d'abord au début du repas. Je demande aux frères plongeurs de veiller à ne pas faire marcher la machine dès qu'ils voient les frères an-iver et prendre peu à peu place au réfectoire, jusqu'au coup de gong à la fin du martyrologe. La machine est bruyante et n'aide pas à entrer paisiblement dans le repas qui s'ouvre par la prière et la lecture du martyrologe. Si le frère plongeur ne se rend pas compte ou oublie, je demande aux frères de service d'aller lui faire signe de couper la machine.

J'attire l'attention des frères aide aux servants, ceux qui sortent les plats du chariot chauffant pour les distribuer sur les tables. Parfois les plats et les couvercles sont posés bruyamment sur le chariot, et de même les plats ensuite sur les tables. Pendant quelques minutes, cela fait un fond sonore bruyant que l'on pourrait diminuer en faisant attention et en prenant son temps, De même le chariot qui porte les pots de tisane peut être bruyant si on n'y prend garde... Les frères servants de table doivent veiller aussi au bruit lorsqu'ils ramassent les plats vides.

Dernier lieu d'attention pour garder le calme et la paix à nos repas. Je rappelle une règle qu'on s'est donné depuis longtemps. A la fin du repas, avant le coup de gong et raction de grâce, on ne rassemble pas les couverts. ni les assiettes ni les verres. On les laisse à la place de chacun. Là encore j'insiste, si on voit un frère qui oublie et veut le faire, on lui fait signe d'attendre le coup de gong... Sachons apprécier ce calme et cette paix que nous procurent nos repas en silence. Ils sont un trésor que beaucoup nous envie.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 38, v 01-05 Du lecteur hebdomadier écrit le 24 avril 2020
Verset(s) :

1. La lecture ne doit jamais manquer aux tables des frères. Il ne faut pas non plus que la lecture y soit faite au hasard par le premier qui aura pris un livre, mais un lecteur pour toute la semaine entrera en fonction le dimanche.

2. En entrant, après la messe et la communion, il demandera que tous prient pour lui, afin que Dieu éloigne de lui l'esprit d'orgueil.

3. Et tous, à l'oratoire, diront par trois fois ce verset, qui sera toutefois entonné par lui : « Seigneur, tu m'ouvriras les lèvres, et ma bouche annoncera ta louange. »

4. Et alors, ayant reçu la bénédiction, il entrera en fonction pour la lecture.

5. Et il se fera un silence complet, en sorte que, dans la pièce, on n'entende personne chuchoter ou élever la voix, sinon le seul lecteur.

Commentaire :

Quand St Benoit aborde le repas, il commence par la mention de la lecture : « la lecture ne doit jamais manquer à la table desf,-ères ». Seulement ensuite, viendront les deux chapitres sur la quantité de nourriture et de boisson. Petit ou gros détail qui en dit long sur nos repas pensés avant tout comme des lieux de réfection de l'esprit, de l'âme avant la réfection du corps. Cela est bien signifié par le caractère liturgique de l'entrée en service du lecteur, célébrée à l'oratoire. Il invoque alors Dieu en reprenant les mêmes paroles qu'à l'ouverture des vigiles:

« Seigneur, tu m'ouvriras les lèvres, el ma bouche publiera ta louange». Comme dans la liturgie, la Parole de Dieu reste au centre de notre recherche, même au réfectoire. Même lorsque nous lisons des livres très profanes, comme la guerre entre Vercingétorix et César, ou encore l'histoire secrète des arbres. Dans tous les cas, il s'agit d'apprendre à écouter Dieu, à continuer à apprendre sa manière à Lui, mystérieuse et profonde, de conduire son dessein de salut.[br

Je voudrais me contenter ici de citer longuement le P. Denis dans le commentaire qu'il

fait de ce chapitre en 1964. Car il dit cela de manière profonde. « On pourrait résumer ce chapitre en disant: pour le chrétien. pour le moine, il n y a pas de lecture profane. Ou plutôt, ce qui en soi est profane cesse de l'être du fait qu'il est lu ou écoulé avec une mentalité chrétienne. Il n y a qu'une histoire. l'histoire de l'Amour créateur et rédempteur à l 'œuvre dans le monde. Cela nous l'apprenons par la Parole de Dieu, la Bible. L'histoire d'Israël, c'est le

résumé. le condensé de l 'histoire cosmique et de ma propre histoire. Tout le reste, la grande comme la petite histoire, en est l'illustration qu'il nous faut, nous, remettre dans le contexte, dans la pensée de Dieu. Il y a une manière chrétienne de lire ou d'entendre l 'information la plus banale. C'est une parcelle de 1'histoire de Dieu parmi les hommes. En l'écoutant, nous ne sommes pas des auditeurs passifs, nous y entrons. nous en devenons acteurs. Acteur comme le Christ lui-même est l'acteur de l 'histoire. Acteurs par la prière, l'offrande de nous-mêmes. Il n'est rien qui n'intéresse le chrétien, car tout est signe et passage de Dieu. Mais pour être autre chose que des curieux ou des dilettanles, nous avons besoin de la grâce d Dieu. Pour écouter avec les oreilles du Christ. pour aimer avec son cœur : il nous.faut invoquer « Seigneur ouvre mes lèvres ... ». On pourrait ajouter : « Seigneur, ouvre les oreilles de mon cœur ».

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 37, v 01-03 Des vieillards et des enfants écrit le 23 avril 2020
Verset(s) :

1. Bien que la nature humaine incline par elle-même à l'indulgence pour ces âges, celui des vieillards et celui des enfants, l'autorité de la règle doit cependant y pourvoir.

2. On aura toujours égard à leur faiblesse et on ne les astreindra nullement aux rigueurs de la règle en matière d'aliments,

3. mais on aura pour eux de tendres égards et ils devanceront les heures réglementaires.

Commentaire :

Avec délicatesse, Benoit prévoit que la Règle ait des égards pour les vieillards et les enfants... Il souhaite même que son autorité pèse de tout son poids pour qu'ils ne soient pas soumis aux même rigueurs, forte à l'époque en matière de jeûne notamment.

Que dans une communauté comme la nôtre, il y ait des jeunes et des anciens est pour les uns et les autres, une chance et une épreuve, et finalement une opportunité pour progresser chacun à l'âge où il en est.

Une chance. Pour les plus anciens, la présence des jeunes apporte joie et soutien dans la vie la plus quotidienne. Un service rendu, un sourire, une blague peuvent donner un vrai rayon de soleil à une journée monotone, souvent vécue dans l'espace réduit de la cellule. Pour les plus jeunes, les anciens sont comme les premiers de cordée qui ouvrent l'ascension vers le sommet. Ils sont témoins que la course ne se gagne que dans la persévérance. La joie simple, la charité qui ne se paie pas de mots, la rugosité qui peut masquer une vraie sensibilité s'offrent à voir comme les fruits d'un combat quotidien avec soi-même et avec Dieu.

Une épreuve. Pour les anciens, les plus jeunes par leur rapidité, leurs raccourcis sans nuance peuvent faire peur ou sembler loin de la réalité, celle-là qu'ils ont apprise au gré d'une longue expérience. Le sentiment de ne plus être pris en compte, voire d'être dépassé peut générer amertume ou dépit sur soi. La tentation serait alors le « à quoi bon rester dans la course

? » ou encore le repli sur soi. Pour les jeunes, l'épreuve est de ne pouvoir avancer ou de voir les

choses bouger comme ils le souhaiteraient. Le sentiment de ne pas voir ses aspirations être écoutées, parce que toujours rabotées par l'expérience de ceux qui précèdent et dont l'ombre peut paraitre si présente. La tentation de l'abandon de la course, ou de l'impatience peut guetter.

Alors entre jeunes et vieux, quelles opportunités saisir pour progresser ensemble ? Car si Dieu nous a réunis ici, c'est certainement parce qu'il y a pour tous un profit à retirer. A travers leur démarche plus hésitante, peineuse parfois mais aussi à travers leur parole plus pondérée les anciens disent aux plus jeunes, le beau poids de la vie, sans taire la mystérieuse part de souffrance de toute existence humaine. Ils font pressentir que la vie devient de plus en plus belle à la mesure des limites acceptées et des faiblesses assumées. Ne gagne pas le plus fort, mais le plus aimant. Les plus jeunes, à travers leur élan humain et spirituel, rappellent aux anciens que leur désir n'a pas d'âge, que celui-ci demeure vivant quand ils continuent de se donner dans la prière et dans la présence aux autres, alors qu'apparemment ils peuvent faire de moins en moins de choses. Le zèle des plus jeunes vient soutenir celui des plus anciens à brûler jusqu'au bout.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 36, 01-06 Des frères malades écrit le 21 avril 2020
Verset(s) :

1. Il faut prendre soin des malades avant tout et par-dessus tout, en les servant vraiment comme le Christ,

2. puisqu'il a dit : « J'ai été malade, et vous m'avez rendu visite »,

3. et : « Ce que vous avez fait à l'un de ces plus petits, c'est à moi que vous l'avez fait. »

4. Mais les malades, de leur côté, considéreront que c'est en l'honneur de Dieu qu'on les sert, et ils ne peineront pas, par leurs vaines exigences, leurs frères qui les servent.

5. Il faut pourtant les supporter avec patience, car des hommes de cette espèce font gagner une plus grande récompense.

6. L'abbé veillera donc avec le plus grand soin à ce qu'ils ne souffrent d'aucune négligence.

Commentaire :

La citation reprise de la parabole du jugement dernier en Mt 25 : « J'ai été malade, et vous m'avez visité » et « ce que vous avez fait à l'un de ces plus petits, c'est à moi que vous l'avez (ait» est plus qu'une norme morale, elle joue le rôle de fond d'écran, comme sur un ordinateur, ou bien le rôle d'un décor sur une scène de théâtre... Benoit ne veut pas tant nous donner de bonnes raisons, les plus théologiques qui soient, pour agir au service de nos frères. Mais il nous fait entrer dans sa grande vision de la réalité présente. Celle-ci trouve toute sa profondeur à la lumière de ce qui vient lorsque le Christ se manifestera et qu'il ressaisira tout dans son Royaume, Entre le temps présent et le temps à venir, il n'y a pas de coupure, mais une profonde continuité. Il s'agit du même Royaume qui est en train de s'élaborer, de prendre consistance.

En nous invitant à reconnaitre le Christ dans chaque frère malade ou affaibli, dans chaque personne blessée en ses facultés mentales ou physiques, Benoit nous entraine à regarder ce monde comme le lieu de l'avènement du Royaume. Les personnes qui souffrent et dont les souffrances nous éprouvent ne sont pas une réalité dont il faudrait au plus vite résoudre la situation pour passer à autre chose ensuite. Non, comme les pauvres, les malades, nous les auront toujours avec nous, les souffrants seront toujours à nos côtés et des mourants nous précèderont toujours dans notre propre mort. Le regard évangélique dans lequel nous entraine Benoit est d'accepter humblement de faire route avec nos frères souffrants, parce qu'avec eux le Royaume advient. Il prend consistance dans leur souffrance accompagnée et soulagée, dans un sourire échangé, dans une attente qui sait patienter... Sur leur visage défiguré, ou bien absent, notre charité active et présente fait apparaitre le visage du Christ. En communauté, c'est une chance de pouvoir accueillir, et si possible garder dans la mesure de nos forces, nos frères anciens et malades. Ils nous sortent de l'illusion d'un monde sans souffrance, du rêve de l'homme augmenté toujours en capacité de dépasser ses limites. Ils nous obligent à aller plus loin dans le don de nous-mêmes en étant avec eux et pour eux présents. Dans le« prendre soin » de leurs souffrances avec patience, nous prenons part à leur côté à ce mystérieux travail d'enfantement du Royaume dont ils sont les principaux acteurs, à travers l'humble offrande d'eux-mêmes. Nous les aidons à vivre ce passage étroit à travers la limite et un jour à travers la mort. Et ils nous aident èn nous permettant de déployer l'amour et la patience dont nous portons les germes, semés par !'Esprit. Le Royaume s'édifie les uns par les autres, les uns à travers les autres.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 35, 07-18 Des semainiers de la cuisine écrit le 17 avril 2020
Verset(s) :

7. Celui qui va sortir de semaine fera les nettoyages le samedi.

8. Ils laveront les linges avec lesquels les frères s'essuient les mains et les pieds.

9. Ils laveront aussi les pieds de tous, non seulement celui qui sort, mais aussi celui qui va entrer.

10. Il rendra au cellérier, propres et en bon état, les ustensiles de son service.

11. Le cellérier, à son tour, les remettra à celui qui entre, de façon à savoir ce qu'il donne et ce qu'il reçoit.

12. Quand il n'y a qu'un repas, les semainiers recevront auparavant, en plus de la ration normale, un coup à boire et un pain chacun,

13. pour que, au moment du repas, ils servent leurs frères sans murmure et sans trop de fatigue.

14. Mais aux jours sans jeûne, ils attendront jusqu'aux grâces.

15. Le dimanche, aussitôt après la fin des matines, les hebdomadiers entrant et sortant se courberont à tous les genoux à l'oratoire, en demandant que l'on prie pour eux.

16. Celui qui sort de semaine dira ce verset : « Tu es béni, Seigneur Dieu, qui m'as aidé et consolé. »

17. L'ayant dit trois fois, celui qui sort recevra la bénédiction. Puis celui qui entre continuera en disant : « Dieu, viens à mon aide ; Seigneur, hâte-toi de m'aider. »

18. Tous répéteront les mêmes mots par trois fois, et ayant reçu la bénédiction, il entrera.

Commentaire :

Les détails ne manquent dans ce chapitre. Ils laissent entendre que pour St Benoit tout est important. dans la gestion des services notamment : lavages des instruments, des linges ainsi que lavement des pieds des frères. Cette organisation porte en elle-même plus gu' elle-même, elle veut faire entrer dans une dynamique profonde de service à la manière du Christ (lavement des pieds). Là où notre mentalité moderne a tendance vouloir tout faire vite, surtout les tâches jugées de moindre importance, soi-disant pour se consacrer à de plus importantes, l'accent est mis ici sur la qualité de chaque geste. Les frères sont ainsi invités à être tout entier dans le service jusqu'au bout et à le transmettre aux autres dans un même esprit, celui du Christ serviteur. De plus, Benoit est soucieux de permettre à chacun d'assumer son service en toute paix et égalité d'âme. Hier, il recommandait qu'on donne des aides aux frères plus faibles afin qu'ils ne travaillent pas« avec tristesse». Ce matin, il permet, qu'aux jours de jeûne où le seul repas se situe vers 16h00, les frères de cuisine prennent « un coup à boire et un pain » afin qu'ils« servenl leursfrères sans murmure et sans trop de {a/igue.» Il arrive aujourd'hui que des frères demandent à prendre quelque chose entre les repas, ce que l'on ne fait pas habituellement, pour tenir bon dans leur activité.

Ces dernières mentions de la tristesse, du murmure ou de la fatigue possible dans le service rejoignent notre expérience commune. Quand nous vivons un service, surtout si on a l'impression d'être seul, ou bien que les autres. sensés aider, semblent déserter, le murmure ou la tristesse s'invitent facilement dans notre cœur. Servir de façon cachée peut être une épreuve qui vient révéler notre fragilité, ce qui habite notre cœur. notre difficulté à être seul, notre besoin de mesurer ce que nous donnons etc... Dans cette lumière s'éclaire bien le petit rituel que propose Benoit pour la désignation hebdomadaire des services, que nous vivons chaque samedi matin. Les frères qui sortent de service remercient Dieu qui « a aidé et consolé », tandis que les frères qui entrent implorent en disant comme au début de l'office : « Dieu viens à mon aide ; Seigneur hâte-/o idem 'aider». Seule la prière peut donner le vrai sens et la paix à nos services souvent cachés, répétitifs, peu valorisants selon un regard mondain. A travers ce rituel, les replacer dans la prière, est une invitation à transformer en prière, nos moments de murmure, de fatigue ou de tristesse qui pourront survenir au cours de nos services. Plutôt que de récriminer contre un frère ou contre le responsable, se tourner vers le Seigneur Jésus gui est avec nous, Lui qui n'a pas craint de revêtir le tablier de service. Lui demander la force. la patience. l'amour de cette tâche... Lui demander la grâce de l'humilité et de la paix.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 35, 01-06 Des semainiers de la cuisine écrit le 16 avril 2020
Verset(s) :

1. Les frères se serviront mutuellement et personne ne sera dispensé du service de la cuisine, sauf maladie ou si l'on est occupé à une chose d'intérêt majeur,

2. parce que cela procure une plus grande récompense et charité.

3. Aux faibles, on accordera des aides, pour qu'ils ne le fassent pas avec tristesse,

4. mais ils auront tous des aides suivant l'importance de la communauté et l'état des lieux.

5. Si la communauté est nombreuse, le cellérier sera dispensé de la cuisine, ainsi que ceux qui, comme nous l'avons dit, sont occupés à des tâches d'intérêt supérieur.

6. Les autres se serviront mutuellement dans la charité.

Commentaire :



« Les frères se serviront mutuellement ....les autres se serviront mutuellement dans la charité». Je repense aux propos de Daniel Marguerat entendu au repas. Face à la crise sanitaire actuelle, il affirmait : « le risque absolu. en ce temps de sauve-qui-peut général, est le repli individualiste ...L'Evangile nous dit que c'est ensemble que nous serons sauvés. Hier, les jeunes défilaient dans les rues en demandant aux ainés: aidez-nous à sauver la planète. Aujourd'hui les ainés demandent aux jeunes: aidez-nous à rester en vie. Nous serons sauvés ensemble. Les Eglises pourraient être ces lieux où l'on cultive l'entraide, où l'on tisse des liens entre les gens et les générations. Plus que jamais, il apparait que sur cette Terre, nous sommes confiés les uns aux autres» (in la Croix du 1 I .04.2020)... Nous sommes confiés les uns aux autres. Cette intuition très juste trouve aujourd'hui une pertinence aigüe. Si l'un faillit par négligence ou désinvolture dans le respect des règles sanitaires, il peut facilement entrainer les autres dans sa chute, dans la maladie. La crise environnementale nous dit la même chose. De plus en plus apparait fortement notre interdépendance en tout lieu de la planète. Nous sommes confiés les uns aux autres. J'ai besoin des autres, sans eux je ne peux rien faire. Et les autres me sont confiés. Une part de leur vie m'est donnée en responsabilité. La prise de conscience, à laquelle

D. Marguerat appelle les Eglises, nous avons déjà la chance d'y être convoqués par Benoit. Comme en ce chapitre sur la cuisine, assurée à tour de rôle dans le service mutuel. Certes ici à la PqV, nous venons d'en confier la charge à un employé, Wadi. Mais j'entends le mouvement inverse en train de se produire à Tournav. Au moment du départ en retraite de leur cuisinier, m'écrivait P. Joël: « nous avons décidé de reprendre nous-mêmes le service, ce que nous faisons depuis mi-mars et qui s'avère possible avec quatre équipes motivées.» Aussi rien n'est inéversible dans nos vies communautaires. J'entends que la cuisine reste un lieu hautement symbolique de notre vivre ensemble, de notre être ensemble où nous sommes confiés les uns aux autres. La présence des frères François d'Assise, Mathias, de f. Barnabé et Jean Marie une matinée à la cuisine, des frères Placide, Rémi, Bruno-Marie, Paul et Toussaint aux pluches, de

f. Jean Noël aux fromages, de f. Guy et Olivier au réfectoire manifestent cette entraide mutuelle. Il faut être attentif à tous nos lieux d'entraide mutuelle, ou simplement de présence communautaire les uns aux autres. Etre à l'heure au début des repas et de l'office, c'est vivre cette mutuelle responsabilité de notre vie commune. Les autres ont besoin de ma ponctualité comme moi je prends appui sur la leur. De même peut s'inscrire dans cette visée l'appel lancé par f. Piene pour donner un coup de main au jardin, dans une entraide mutuelle.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 34, v 01-07 Si tous doivent recevoir également le nécessaire écrit le 02 avril 2020
Verset(s) :

1. Comme il est écrit : « On distribuait à chacun selon ses besoins. ;»

2. Ici nous ne disons pas que l'on fasse acception des personnes, – ;à Dieu ne plaise ! – mais que l'on ait égard aux infirmités.

3. Ici, que celui qui a moins de besoins, rende grâce à Dieu et ne s'attriste pas ;

4. quant à celui qui a plus de besoins, qu'il s'humilie de son infirmité et ne s'enorgueillisse pas de la miséricorde qu'on a pour lui,

5. et ainsi tous les membres seront en paix.

6. Avant tout, que le fléau du murmure ne se manifeste sous aucun prétexte par aucune parole ou signe quelconque.

7. Si l'on y est pris, on subira une sanction très sévère.

Commentaire :

Ce chapitre 34 forme avec les deux précédents, une sorte de tryptigue qui permet d'aborder les différentes facettes du rapport aux biens dans une communauté monastique. RB 32 donne la conviction de base : les biens sont la propriété du monastère et tous doivent en prendre soin. RB 33 accentue l'aspect communautaire: dans notre vie commune, tout est commun à tous, aussi « par-dessus /oui, il faut retrancher le vice de la propriété ». Et aujourd'hui RB 34 met en avant la dimension personnelle : sans faire « acception de personnes», il est important de faire droit à des besoins différents des personnes, eu égard aux infirmités. Bel équilibre d'une vision où s'entrelacent désir de bâtir une vie vraiment commune et attention aux personnes toujours uniques. Car comme le suggère le titre, « si tous doivent recevoir également le nécessaire», le nécessaire, l'indispensable n'est jamais complètement similaire pour les uns et les autres. Selon que l'on soit jeune ou ancien, en bonne santé ou non, en situation de travail plus accablant ou non... l'égalité ne réduit pas par l'octroi de rations similaires.

Comment tout faire pour consolider la vie commune en évitant les originalités revendiquées ? Comment tout faire pour permettre aux besoins légitimes d'être honorés? Nous savons combien notre vie communautaire est une force et un soutien. Le régime commun qu'elle propose, s'il vient raboter nos prétentions individuelles à avoir ceci ou à faire cela, se révèle comme une force motrice heureuse et efficace pour nous tirer hors de notre médiocrité. Que serions-nous sans le soutien de la cloche et des frères pour vivre la prière aux heures régulières, ou pour vivre un certain jeûne, etc... pour ne pas nous embourgeoiser? Un frère me disait une fois combien étant seul durant plusieurs jours, il mesurait ce manque fraternel pour demeurer fidèle à la prière. Et en même temps, il est heureux que notre vie commune ne soit pas un rouleau compresseur pour permettre d'honorer de légitimes besoins reconnus et discernés. L'échange de parole avec l'abbé permet au frère d'assumer simplement son besoin et à la communauté de ne pas s'estimer affaiblie dans son élan unanime. Si l'élan unanime dans une pratique commune est une force à sans cesse valoriser, il reste que le vrai ciment d'une communauté réside dans la charité entre ses membres. Pouvoir regarder avec charité un frère à qui sont accordées des facilités, sans jalousie ni mépris, n'est-ce pas peu à peu apprendre le regard de Dieu sur les êtres, tous différents et aimés de lui ? Pouvoir demeurer libre intérieurement par la prière d'action de grâce, si l'on a moins de besoin, et par l'humilité qui ne revendique rien, lorsqu'on en a davantage, nous permettra de vivre dans la paix. Dans les deux, cas, nous décentrer de nous-même pour nous recevoir et de Dieu notre Père et des autres.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 33, v 01-07 Si les moines doivent avoir quelque chose en propre écrit le 01 avril 2020
Verset(s) :

1. Par dessus tout, il faut retrancher du monastère ce vice jusqu'à la racine :

2. que personne ne se permette de rien donner ou recevoir sans permission de l'abbé,

3. ni d'avoir rien en propre, absolument aucun objet, ni livre, ni tablette, ni stylet, mais absolument rien,

4. puisqu'on n'a même pas le droit d'avoir son corps et sa volonté à sa propre disposition.

5. Tout ce dont on a besoin, on le demande au père du monastère, et personne n'a le droit de rien avoir que l'abbé ne lui ait donné ou permis.

6. Que « tout soit commun à tous », comme il est écrit, en sorte que « ;personne ne dise sien quoi que ce soit », ni ne le considère comme tel.

7. Si quelqu'un est pris à se complaire dans ce vice extrêmement pernicieux, on l'avertira une et deux fois ;

Commentaire :

Si hier, nous voyions que les biens du monastère sont à tous et à chacun, c'est-à-dire au monastère, aujourd'hui St Benoit enfonce le clou avec fermeté : il faut retrancher iusqu 'à la racine le vice de la propriété. Vivre le rapport aux biens qui nous sont confiés avec détachement et liberté. St Benoit s'appuie ici sur Cassien qui dit ceci : «Delà vient que plusieurs, qui avaient méprisé des fortunes considérables, sommes énormes d'or et d'argent et domaines magnifiques, se sont laissé, par après, émouvoir pour un grattoir, pour un poinçon, pour une aiguille, pour un roseau à écrire. S'ils eussent constamment regardé à la pureté du cœur, jamais ils ne seraient tombés pour des bagatelles, après avoir préféré se dépouiller de biens considérables et précieux ...il s'en trouve qui sont si jaloux d'un manuscrit qu'ils ne sauraient souffrir qu'un autre y jette seulement les yeux ou y porte la main ; et cette rencontre qui les invitait à gagner en récompense douceur et charité, leur devient une occasion d'impatience et de mort. Après avoir distribué toutes leurs richesses pour 1'amour du Christ, ils retiennent leur ancienne passion et la me/lent à des fi1tilités, prompts à la colère pour les défendre. » (Conf. I, 6,1). Le même Cassien relate encore ce qu'il a vu dans les monastères d'Egypte: « Dans d'autres monastères aussi, nous voyons celte règle actuellement observée avec une si grande rigidité que personne n ·ose dire -pas même en parole- que quelque chose est sien, et c'est un grave motif de reproche que de la bouche d'un moine sorte l'expression « mon codex» (mon livre), « mes tablettes » (mon cahier ), « mon crayon », « ma tunique », « mes sandales », et il faut accomplir une pénitence proportionnée si à l'occasion, par inadvertance ou ignorance, une telle parole a échappé» (ibid). li est bon je crois, de réentendre ces lignes qui plongent dans la tradition monastique qui nous porte et qui témoigne de la prise au sérieux par les anciens de l'appel à la pauvreté volontaire pour suivre le Christ. Il est intéressant de remarquer que notre désir de nous rassurer par quelques objets va se cristalliser sur des objets finalement sans grande importance : un ordinateur, des vêtements, des chaussures....des objets reçus... Veillons dans notre cœur à la liberté intérieure, et ne perdons pas une occasion de nous alléger, de faire du tri dans nos affaires, de jeter. Car il y a toujours le risque que les objets que l'on croit posséder, nous possèdent eux-mêmes davantage, pour reprendre une expression connue. Nous pouvons nous souvenir d'anciens comme f. Denis ou f. Jacques qui portaient cette belle vigilance de liberté concrète.