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11. Quand donc quelqu'un prend le titre d'abbé, il doit diriger ses disciples par un double enseignement,
12. c'est-à-dire qu'il montrera tout ce qui est bon et saint par les actes plus encore que par la parole. Ainsi, aux disciples réceptifs il exposera les commandements du Seigneur par la parole, aux cœurs durs et aux plus simples il fera voir les préceptes divins par ses actes.
13. Inversement, tout ce qu'il enseigne aux disciples à regarder comme interdit, qu'il fasse voir par ses actes qu'on ne doit pas le faire, « ;de peur qu'en prêchant aux autres, il ne soit lui-même réprouvé »,
14. et qu'un jour Dieu ne lui dise, à cause de ses péchés : « ;Pourquoi proclames-tu mes ordonnances et recueilles-tu dans ta bouche mon alliance, alors que tu hais la discipline et que tu as rejeté mes paroles derrière toi ? ;»
15. Et : « Toi qui voyais le fétu dans l'œil de ton frère, dans le tien tu n'as pas vu la poutre. »
Après voir considéré la charge de l'abbé, en ses fondements théologiques, puis en sa finalité : la vie éternelle où apparaitra toute chose sous le jugement de Dieu, st Benoit en vient aux recommandations plus concrètes. La première qui est faite à l'abbé, est qu'il soit cohérent. Cohérent en ses paroles et en ses actes dans l'enseignement des commandements du Seigneur et des préceptes divins.
Est-il possible à un humain d'être totalement cohérent? Le seul qui l'ait été vraiment est Jésus. Entre son enseignement et sa vie, existe une belle continuité, une belle limpidité. Ses paroles de feu ont bousculé les disciples et encore davantage, et dérangé les maitres de son époque. Rien de convenu dans ses mots : une grande liberté, une grande clarté de vue, une vraie autorité. « D'où tiens-tu ton autorité )), demandent souvent à Jésus, les pharisiens et les docteurs de la loi qui sont, comme subjugués, pris à revers par son enseignement ? Ils cherchent la cohérence du côté des signes. Ils aimeraient voir ses paroles confinnées par un signe. Ils ne voient pas, car ils ne veulent pas ou ne peuvent pas reconnaitre tous les signes qui s'étalent pourtant sous leurs yeux : guérisons, libération d'esprit mauvais, conversions diverses. Car ils supportent mal la liberté qu'il prend par rapport à leur observance étroite de la loi, trop souvent réduite à des préceptes humains (les coutumes rituelles, l'observance figée du sabbat). Jésus, dans sa liberté, révèle une cohérence plus grande que la seule cohérence légaliste. II révèle la cohérence del'Amour de son Père qui veut sauver tous les humains et qui fait sa place à chacun. Apparait alors le visage oublié d'un Dieu Père qui viem à la rencontre de chaque être pour vivre avec lui une relation d'amour. Non pas une relation de soumission fondée sur la peur, mais une relation d'alliance offerte gratuitement. « Ecoute Israël ...Tu aimeras... )) Et Jésus va être cohérent jusqu'au bout en ses paroles, en acceptant d'être livré aux mains des hommes, de donner sa vie et de mourir. « Il fallait)) que le Fils de l'homme mem1... pour révéler la manière avec laquelle Dieu désire tisser la relation avec chacun. II se met à nos pieds pour les laver et nous accueillir tel que nous sommes.
Profonde cohérence de l'enseignement et de la vie de Jésus En laquelle l'autorité de
l'abbé peut se fonder, de laquelle elle se reçoit, et sans laquelle elle n'est rien.
6. L'abbé se rappellera toujours que son enseignement et l'obéissance des disciples, l'une et l'autre chose, feront l'objet d'un examen au terrible jugement de Dieu.
7. Et l'abbé doit savoir que le pasteur portera la responsabilité de tout mécompte que le père de famille constaterait dans ses brebis.
8. En revanche, si le pasteur a mis tout son zèle au service d'un troupeau turbulent et désobéissant, s'il a donné tous ses soins à leurs actions malsaines,
9. leur pasteur sera absous au jugement du Seigneur et il se contentera de dire au Seigneur avec le prophète : « Je n'ai pas caché ta justice dans mon cœur, j'ai dit ta vérité et ton salut. Mais eux s'en sont moqués et ils m'ont méprisé. »
10. Et alors, les brebis qui auront désobéi à ses soins auront enfin pour châtiment la mort triomphante.
Hier, Benoit invitait l'abbé à se souvenir de son nom, et à travers lui des fondements théologiques de sa charge, remplie au nom du Christ. Aujourd'hui, il l'invite aussi à se souvenir, mais cette fois, de la fin vers laquelle lui et les frères tendent : le jugement de Dieu. Au départ, l'abbé se reçoit du Christ au nom duquel il agit. Au terme, il devra rendre compte de sa mission devant Dieu, comme les frères eux-mêmes le feront pour leur propre conduite. Nous n'aimons pas entendre parler de jugement de Dieu. Et l'imagerie utilisée par Benoit nous rebute spontanément quand il parle de « châtiment et de mort triomphante ... » Y-a-t-il pourtant quelque chose à entendre ?
Je vois deux points. Le jugement de Dieu commence dès cette vie. Et nous sommes solidaires jusque dans la vie éterneHe. Dès cette vie, le jugement de Dieu se dévoile : la justice à rechercher nous est annoncée, et la vérité du salut de Dieu nous est dévoilée. Notre foi au Christ place nos existences sous une lumière heureuse et exigeante. Heureuse, elle nous attire parce que nous percevons combien elle est bonne. Sous son faisceau lumineux, nous découvrons avec bonheur le dessein de Dieu pour chacun et pour toute l'humanité. Mais lorsque nous sortons de ce faisceau, mettant un pied dans les ténèbres, la lumière du Christ nous juge en montrant notre éloignement, lié à nos incohérences, à nos lâchetés, ou à nos duretés, en un mot à notre péché. Heureux sommes-nous si nous consentons à ce jugement, pour nous remettre en cause et pour avancer dans la confiance. Car le Christ qui marche à nos côtés, désire nous entrainer toujours plus loin dans la vérité et la justice, sans jamais nous retirer son amour.
Jusque dans la vie éternelle, nous sommes solidaires. La vie monastique nous lie pour le temps présent et pour le temps à venir. A! 'abbé est confiée une responsabilité, celle de garder le troupeau en entier et dans l'unité. Concrètement, il lui revient de stimuler chacun, d'encourager, d'éclairer et parfois de corriger. Ainsi tous pourront aller au bout de leur vocation : la rencontre personnelle avec son Dieu, rencontre qui sera en même temps vécue dans la communion avec tous, quand « Dieu sera tout en tous » (1 Co 15, 28). Cet horizon de communion peut nous rendre tous vigilants pour soigner notre sens de la responsabilité les uns envers les autres dès maintenant. L'abbé l'est en premier par la quête de la justesse de sa parole et de ses actions. Mais tous peuvent soutenir, garder et porter le frère par une parole, par son exemple, par une présence fraternelle bienveillante. « Que le Christ nous fasse parvenir tous ensemble à la vie éternelle» (RB 72, 12).
1. L'abbé qui est digne de gouverner le monastère, doit toujours se rappeler le titre qu'on lui donne, et vérifier par ses actes le nom du supérieur.
2. Il apparaît en effet comme le représentant du Christ dans le monastère, puisqu'on l'appelle d’un des noms de celui-ci,
3. selon le mot de l'Apôtre : « Vous avez reçu l'esprit d'adoption filiale, dans lequel nous crions : abba, père ! »
4. Aussi l'abbé ne doit-il rien enseigner, instituer ni commander qui soit en-dehors du précepte du Seigneur,
5. mais son commandement et son enseignement s'inséreront dans l'esprit de ses disciples comme un levain de justice divine.
Les premières lignes de ce chapitre viennent fonder !'.importance donnée au service de l'abbé dans un monastère, comme la position de ce chapitre sur l'abbé, situé tout au début de la règle le suggère déjà. Benoit donne donc une place prééminente à l'abbé,« qui apparait, qu'on croit être, comme le représentant du Christ». Il est intéressant de noter que c'est ce fondement théologique que donne d'abord Benoit à la figure de l'abbé. A ses yeux, le fait d'être digne de gouverner le monastère, autrement dit d'avoir les qualités requises ne suffit pas. Ainsi, 1'autorité n'est pas fondée d'abord sur l'excellence du sujet appelé à gouverner. De même, si l'abbé est élu par la communauté qui choisit l'un des siens, ce n'est pas ce critère qui est d'abord mis en lumière ici, puisque St Benoit n'en parle qu'à la fin de sa règle, au chapitre 64. Autrement dit, le critère démocratique, s'il est important, n'est pas le plus déterminant. Le fondement de l'autorité de l'abbé est d'abord de l'ordre de la foi. On croit, on reconnait que l'autorité de l'abbé se fonde dans celle du Christ, dont elle fait signe.
On pourrait se demander : pourquoi est-il nécessaire de donner un tel fondement théologique à la figure du supérieur ? Pourquoi ce fondement sur la foi ? Pourquoi la légitimité démocratique et l'excellence du sujet ne suffiraient-elles pas pour fonder son autorité? En fait, sans le dire explicitement de manière théorique, Benoit suggère ici, et il le met en lumière dans toute la règle, que sans le regard de foi porté sur l'autorité de l'abbé, la vie monastique mangue sa vraie finalité. Sans ce regard de foi sur l'autorité de l'abbé, la vie monastique ne serait plus ce qu'elle est : un chemin de recherche de Dieu et d'amitié avec le Christ en qui on désire unifier toute notre existence. Car le regard de foi porté sur l'autorité du supérieur, rejoint tous ces autres regards de foi que le moine est invité à porter sur le frère malade, sur le pauvre accueilli, sur le plus jeune inspiré par !'Esprit lors d'un chapitre, sur les frères auquel j'obéis en vertu du bon zèle etc... Dans toutes nos relations, relation à l'autorité, aux frères, à l'étranger ou au pauvre, chacun est invité à reconnaitre le Christ dans celte part unique de son mystère. A travers chacune de ses relations, chacun est invité à nouer une relation de plus en plus vraie et intime avec le Christ pour le laisser conduire et emplir toute son existence. Ainsi chacun devient pour l'autre un révélateur du Christ, mais aussi un instrument par lequel le Christ agit en sa vie pour la façonner en une vie de disciple. Que le Seigneur Jésus gui nous appelle à vivre de son mystère nous vienne en aide.
6. La troisième et détestable espèce de moines est celle des sarabaïtes. Aucune règle ne les a éprouvés, grâce aux leçons de l'expérience, comme l'or dans la fournaise, mais ils sont devenus mous comme du plomb.
7. Par leurs œuvres, ils restent encore fidèles au siècle, et on les voit mentir à Dieu par leur tonsure.
8. A deux ou trois, voire seuls, sans pasteur, enfermés non dans les bergeries du Seigneur, mais dans les leurs, ils ont pour loi la volonté de leurs désirs.
9. Tout ce qu'ils pensent et décident, ils le déclarent saint ; ce qu'ils ne veulent pas, ils pensent que c'est interdit.
10. La quatrième espèce de moines est celle que l'on nomme gyrovague. Toute leur vie, allant par les différentes provinces, ils se font héberger trois ou quatre jours par les celles des différents moines,
11. toujours errants et jamais stables, asservis à leurs propres volontés et aux tentations de la bouche, et en tout plus détestables que les sarabaïtes.
12. La misérable conduite de tous ces gens-là, mieux vaut la passer sous silence que d'en parler.
13. Laissons-les donc et venons-en, avec l'aide du Seigneur, à organiser la valeureuse espèce des cénobites.
Il peut paraitre curieux à nos yeux, que St Benoit compte les sarabaïtes et les gyrovagues parmi l'espèce des moines. Comme le suggère St Benoit en final, mieux vaudrait en fait taire leur conduite. Pourquoi alors en parler quand même ? Ne le fait-il pas en fait sous le mode du repoussoir. En eux, nous avons sous les yeux ce qu'il ne faut surtout pas faire. Mais une fois dit cela, sommes-nous quitte pour autant? Les sarabaïtes et les gyrovagues ont transformé en genre de vie certaines habitudes ou manières de vivre dont nous nous savons tout à fait aussi capables (prendre pour loi la volonté de nos désirs). Ces deux espèces « mentent à Dieu» par leur tonsure. Ils se font passer pour moines alors qu'ils n'en vivent rien profondément. Ils sont les hommes de l'apparence. Hier matin, nous entendions Paul annoncer à Timothée que dans les derniers temps surviendront des gens « égoïstes, cupides, ... » La liste qu'il dresse de leurs défauts est longue. Parmi ceux-ci, il en signale un qui rejoint bien celui des sarabaïtes et des gyrovagues, hommes de l'apparence. Je cite : « ils auront les apparences de la piété, mais rejetteront ce qui fait sa force» (2 Tm 3, 5). L'apparence est sauve, mais le désir et la volonté ne sont pas là. Ces mots peuvent venir nous interpeller tous. Comment ne pas être des hommes de l'apparence de piété ? Surtout comment ne pas rejeter, ou délaisser ce qui fait la force de notre relation avec Dieu. Rien ne serait plus triste qu'un moine pratiquant, participant à l'office, mais qui ne cherche plus intérieurement, qui reste finalement étranger à lui-même. Le Seigneur qui nous appelle ici nous donne la force d'accomplir ce qu'il a éveillé en nous. Il ne nous est pas demandé de faire bonne figure, mais de rester toujours vigilants intérieurement à la Parole et à la Présence de Celui qui nous appelle. Ne pas rejeter ce qui fait la force de notre relation avec le Seigneur passe pour nous par des choix très concrets. Prendre soin de notre temps de lectio du matin, ne pas le laisser grignoter. Etre fem1e et généreux sur le temps donné. Savoir s'arrêter le soir après vêpres pour l'oraison. J'invite les frères à rester à l'église. Le soutien fraternel est une force. Cette vigilance concrète devient peu à peu une vraie force. Parfois, nous peinons. Nous pouvons avoir le sentiment de perdre notre temps, de nous ennuyer devant Dieu. Mais l'expérience montre qu'il n'en est rien. Le Seigneur qui est là, hôte discret de nos vies, présence silencieuse. irrigue notre cœur de son Esprit. Non par de grandes révélations, mais par les dons de force, de persévérance et de patience. Il nous creuse pour nous habituer à sa Présence qui ne peut que nous bousculer. C'est elle que nous ne cesserons de découvrir, infiniment grande et aimante, lorsque nous paraitrons devant à lui.
3. Ensuite la seconde espèce est celle des anachorètes, autrement dit, des ermites. Ce n'est pas dans la ferveur récente de la vie religieuse, mais dans l'épreuve prolongée d'un monastère
4. qu'ils ont appris à combattre le diable, instruits qu'ils sont désormais grâce à l'aide de plusieurs,
5. et bien armés dans les lignes de leurs frères pour le combat singulier du désert, ils sont désormais capables de combattre avec assurance les vices de la chair et des pensées, sans le secours d'autrui, par leur seule main et leur seul bras, avec l'aide de Dieu.
Par trois fois dans ce bref passage, le verbe « combattre » revient. La métaphore du combat continue d'être utilisée depuis sa première mention au début du prologue, où l'on parle des annes de l'obéissance... Combattre gui ? Le diable. Combattre comment ? Seul, après avoir combattu au sein des rangs fraternels. Combattre quoi ? Les vices de la chair et des pensées. La pointe de ce bref passage sur les ermites porte sur le comment? Il y va d'un discernement pour savoir si le moine qui a un désir de vie érémitique est capable de mener seul le combat. Le monastère et la vie cénobitique sont à cet égard une bonne école de discernement. La nuit précédente aux vigiles, nous entendions un proverbe qui éclaire bien ce propos : « Le fer s'aiguise avec le fer, et !'homme s'aiguise à rencontrer son prochain» (Pr 27, 17). Les rencontres fraternelles nous aiguisent. La vie fraternelle nous rend plus ajusté et plus habile au combat spirituel. De quelles manières ? Tout d'abord, à travers la vie fraternelle, s'aiguise la connaissance de nous-mêmes. Par le contact avec les frères, nous sommes moins enclins à l'illusion sur nous-mêmes. Parfois telle parole qui sort de nos lèvres ou de telles réactions instantanées qui dépassent ce que nous aurions voulu au départ, nous surprennent. Se révèle alors à nos propres yeux une part encore inconnue de notre être, ou bien une part que nous peinons à regarder en face. Ensuite à travers la vie fraternelle. s'aiguise notre capacité à aimer. La présence des frères est un appel permanent à aimer. Appel à être attentif aux besoins d'un ancien. Appel à écouter un frère dans la tristesse ou l'angoisse. Appel pour un service à rendre. Appel mais aussi soutien. Ma capacité à aimer se trouve aiguisée aussi parce que je fais l'expérience d'être aimé. d'être soutenu. S'aiguise ainsi mon sens de la reconnaissance: que serai-je sans mes frères qui sont là à mes côtés, qui préparrnt le repas, font le linge, le ménage etc... offre une oreille qui écoute? Finalement à travers la vie fraternelle, s'aiguise notre capacité à combattre les forces d'adversité, le diable. Celui-ci se manifeste subtilement à travers les mauvaises pensées ou paroles qui sèment le trouble pour salir ou détruire l'autre, à travers celles qui ôtent la paix du cœur. Me connaissant mieux moi-même, je perçois davantage où se trouve le lieu du vrai combat. Il n'est pas contre le frère qui m'irrite, ni contre l'obstacle qui se présente devant moi. Il est en mon cœur, en mon esprit contre les pensées négatives sur les autres, sur moi-même, sur le monde, contre mes peurs, mes lâchetés. Dans ce combat intérieur, le soutien fraternel, à travers notamment l'ouverture du cœur, se révèle être précieux. Comment voir clair, si l'on ne casse pas le cinéma intérieur en perçant l'abcès par la parole?
1. Il est clair qu'il existe quatre espèces de moines.
2. La première est celle des cénobites, c'est-à-dire vivant en monastères ; ils servent sous une règle et un abbé.
A la fin du prologue,je relevais le propos de Benoit« d'instituer» une école du service du Seigneur. De cette institution des cénobites, il donne aujourd'hui trois piliers majeurs : des hommes vivant dans un monastère, une règle et un abbé. Pour qu'une communauté monastique vive vraiment selon l'évangile, ces trois piliers sont nécessaires. Je suis frappé de remarquer comment chacun des trois piliers est à la fois très stable et très changeant. Peut-être, est-ce en cette combinaison de stabilité et de changement que réside le secret de la vie monastique et de sa transmission de génération en génération, par de-là les ruptures ou les disparitions ? La communauté est stable dans le sens où elle vit comme un corps constitué par une histoire, avec un visage propre, une identité reçue qui se traduit par des coutumes propres, une liturgie avec ses traits originaux. Et en même temps la communauté est en perpétuel changement. Des anciens la quittent et des jeunes la rejoignent. Au gré des générations qui se succèdent, ses facons de vivre évoluent et son visage se patine autant qu'il se rajeunit. De même la règle est stable comme un texte précis écrit au 6°s. Parmi d'autres règles, elle s'est imposée comme une référence équilibrée favorisant la vie. Transmise comme telle, elle n'a pas connu de remaniements. Mais par contre, de siècles en siècles, elle a fait l'objet d'interprétations et d'applications diverses. Tout en restant stable, sa compréhension a évolué pour donner naissance à ces textes qui l'ont enrichie et précisée, comme les Constitutions et bien d'autres déclarations. L'abbé offre un point stable pour la communauté des frères. Il est ce repère personnel autour duquel se rassemble la communauté et avec lequel chaque frère vit une relation unique d'obéissance. Avec sa personnalité propre, l'abbé sert la communauté et l'accompagne avec son charisme durant une période donnée de son histoire. Et le moment venu, l'abbé passe et laisse sa place à un autre. Il sait qu'il n'est que de passage.
Ainsi entre stabilité et changement, la communauté, vivant sous une règle et un abbé parcourt son chemin vers le Royaume. A la fois, elle lui donne chair dans une époque donnée avec des réalisations, des intuitions, un témoignage de vie et de prière. A la fois, elle sait que son but n'est pas de laisser de traces. Son avenir dans le Royaume est sa vraie destinée. Cette aspiration profonde est le gage de sa liberté, vis-à-vis de chaque époque mais aussi de son juste enracinement en chacune. En effet, en tendant vers le Royaume avec liberté, ne prend-elle pas le moyen le plus sûr d'être à l'écoute pour mieux servir l'époque où elle se trouve ? Que !'Esprit affine en nous le goût du Royaume, et nous apprenne et cette liberté et cet enracinement.
47. Si toutefois une raison d'équité commandait d'y introduire quelque chose d'un peu strict, en vue d'amender les vices et de conserver la charité,
48. ne te laisse pas aussitôt troubler par la crainte et ne t'enfuis pas loin de la voie du salut, qui ne peut être qu'étroite au début.
49. Mais en avançant dans la vie religieuse et la foi, « le cœur se dilate et l'on court sur la voie des commandements » de Dieu avec une douceur d'amour inexprimable.
50. Ainsi, n'abandonnant jamais ce maître, persévérant au monastère dans son enseignement jusqu'à la mort, nous partagerons les souffrances du Christ par la patience, afin de mériter de prendre place en son royaume. Amen.
Cette fin de la conclusion du prologue est paradoxal , : elle évoque la course dans la voie des commandements de Dieu avec une douceur d'amour inexprimable ... mais aussi la persévérance jusqu'à la mort qui donne de partager les souffrances du Christ par la patience... D'un côté une aisance dans l'amour et la douceur, de l'autre l'âpreté de la mort et de la souffrance. On aimerait s'arrêter à la première partie. Mais les deux nous sont mises devant nos yeux comme des éléments déterminants de notre course sur cette terre. II nous faut les regarder ensemble et en face. Le don de grâce et le nécessaire passage par la mort vécue avec le Christ. N'est-ce pas là un témoignage au sens fort du terme, un martyr, qui donne à voir dans nos existences la Bonne Nouvelle de la mort et de la résurrection du Christ ?
Comme don de grâce, la vie monastique nous fait entrevoir dès le début, une joie, une force pleine de promesse : la vie d'amitié avec le Christ. Cette union pressentie dans l'appel entendu a éveillé notre désir de nous laisser saisir par le Christ. Comme la femme du Cantique, nous avons entrevu quelqu'un, mais nous n'avons pu le saisir. Jour après jour, nous nous remettons en quête de ce visage et de cette rencontre unitive. Car nous percevons combien notre relation avec le Christ vécue dans le quotidien a une capacité d'unir tout notre être au diapason de notre désir le plus profond. Peu à peu, des désirs qui semblaient importants autrefois se trouvent relativisés à la lumière de cette relation première avec le Christ. De nouvelles capacités d'aimer nos frères, de nous donner s'éveillent et donnent du goût à la vie la plus simple. Le coeur s'élargit à son insu. Mais ce mystérieux travail de la grâce est indissociable d'un autre labeur, celui de la souffrance et de la mort consentie. Souffrance de certaines frustrations, souffrance face à ses limites qui apparaissent de plus en plus nettes l'âge avançant, souffrance face à des échecs ou à des chutes sur lesquels il n'est plus possible de revenir. Que faire de cette souffrance ? La ruminer avec regret et amertume ou bien l'accepter en la confiant au Christ. L'assumer en l'unissant à sa Passion qui est toujours rédemptrice. En Christ, aucune souffrance n'est perdue ou insensée lorsqu'elle lui est donnée, abandonnée. Par la patience, non par des macérations en des pratiques doloristes, marcher avec le Christ vers notre mort dans la confiance en sa victoire. Lui le Vivant, ressuscité, est à nos côtés comme compagnon gui donne le pain du ciel de chaque jour et comme gage de la vie à venir. « Seigneur, tu es ma lumière et
mon salut».
45. Il nous faut donc instituer une école pour le service du Seigneur.
46. En l'organisant, nous espérons n'instituer rien de pénible, rien d'accablant.
47. Si toutefois une raison d'équité commandait d'y introduire quelque chose d'un peu strict, en vue d'amender les vices et de conserver la charité,
48. ne te laisse pas aussitôt troubler par la crainte et ne t'enfuis pas loin de la voie du salut, qui ne peut être qu'étroite au début.
La conclusion du prologue que nous venons d'entendre est touchante. Elle nous met au plus près du projet de St Benoit d'instituer un monastère. Elle nous laisse aussi pressentir son état d'esprit qui ne veut rien faire de dur ou de pénible. St Benoit est conscient de faire une œuvre pas banale: celle d'organiser la vie d'un groupe d'hommes, des chrétiens qui veulent se vouer totalement et ensemble par le don d'eux-mêmes dans la prière et le service mutuel. Selon les mots utilisés, il créé une institution. Notre vie monastique est une institution au sens moderne du terme, c'est-à-dire une structure sociale organisée en vue d'un but bien précis : celui de permettre à des chercheurs de Dieu de mener à bien, avec d'autres, leur commune quête spirituelle. Comme toute institution, elle a sa loi : la règle. Elle a son organisation hiérarchique avec les modes de désignation de l'abbé, du prieur, des doyens et des divers officiers. Elle comporte des manières précises pour admettre de nouveaux membres, voire pour en exclure en cas de problèmes. Elle organise les activités du groupe (prière, travail, repas, rencontre, accueil) et propose un horaire. Elle dicte les devoirs et les droits de chaque membre. Penser notre vie monastique comme institution ne nous est pas familier au premier abord. Et pourtant, cette institution est vitale pour rendre possible, et le vivre ensemble et un certain dynamisme spirituel. L'absence de normes fait le lit soit de l'anarchie, soit de la dictature de quelques-uns. Plus profondément, sans cette institution, manquerait à notre élan premier, la colonne vertébrale qui permet de tenir debout dans la durée. Dans le mot « institution » (institutio) ou dans le mot
« constitution » (constitutio) qui lui est proche, et que St Benoit utilise encore plus, il y a le mot
« status » (action de se tenir, position, posture). L'institution, la constitution va permettre à chacun et tous ensemble de se tenir dans la juste posture, celle fixée par le but recherchée. Pour ne pas laisser la ferveur des débuts se refroidir, nous avons besoin de cette règle, de ces normes.
St Benoit a quelques scrupules en donnant une organisation ayant force de loi à une quête qui est avant tout spirituelle. Il craint« d'introduire quelque chose d'un peu strict». Il le propose cependant dans la conviction qu'au début, il est normal que le chemin apparaisse étroit. Sur les limites qu'il donne, viennent buter nos recherches encore désordonnées, nos désirs non ajustés... Ainsi apprenons-nous que nous ne sommes ni tout puissant, ni le centre du monde. Je poursuivrai demain...
35. Achevant ainsi son discours, le Seigneur attend que nous répondions chaque jour par des actes aux saints enseignements qu'il vient de nous donner.
36. Voilà pourquoi les jours de cette vie nous sont accordés comme un sursis en vue de l'amendement de notre mauvaise conduite,
37. selon le mot de l'Apôtre : « Ne sais-tu pas que la patience de Dieu te conduit à la pénitence ? »
38. Car le Seigneur dit, dans sa bonté : « Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive. »
39. Nous avons donc interrogé le Seigneur, frères, au sujet de celui qui habitera dans sa demeure, et nous avons entendu le précepte donné pour y habiter, mais pourvu que nous remplissions les devoirs incombant à l'habitant.
40. Il nous faut donc tenir nos cœurs et nos corps prêts à servir sous la sainte obéissance due aux préceptes.
41. Et pour ce que la nature en nous trouve impossible, prions le Seigneur d'ordonner au secours de sa grâce de nous l'accorder.
42. Et si, fuyant les châtiments de la géhenne, nous voulons parvenir à la vie perpétuelle,
43. tandis qu'il en est encore temps et que nous sommes en ce corps et qu'il reste le temps d'exécuter tout cela à la lumière de cette vie,
44. il nous faut à présent courir et accomplir ce qui nous profitera pour toujours.
« Le Seigneur attend que nous répondions chaque jour par des actes aux saints enseignements qu'il vient de nous donner »... Comment ne pas nous laisser égarer par ce geme de langage un peu scolaire ? Comment ne pas nous tromper sur l'image de notre Dieu que ces lignes peuvent induire, l'image d'un Dieu surplombant donnant et attendant impatiemment en retour... Ce langage risque de nous entrainer à faire fausse route.
Demeure profonde et vraie la conviction qui est exprimée là : le Seigneur nous attend. Non en vertu d'un droit qu'il aurait sur nous, mais en vertu du désir qui l'habite de nous voir vivre pleinement. « Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive ». Le Seigneur n'exige rien de nous, il désire que nous ayons « la vie en abondance » pour reprendre les mots de Jésus en Jean. En fait ce langage que je qualifie d'un peu scolaire pour parler de Dieu qui attend que nous répondions par des actes à ses enseignements n'est-il pas davantage révélateur de nous-mêmes et de notre difficulté à nous donner entièrement ? C'est la trace du péché de nous enfermer dans des rapports de donnant-donnant. Nous l'expérimentons trop bien entre nous. Et nous le projetons sur Dieu. Ne sachant pas aimer gratuitement, nous projetons sur Dieu l'image d'un père gui demande des comptes... Combien d'enseignements de la bible ne portent-ils pas ces traits de langage? N'est-ce pas la manière avec laquelle Dieu nous rejoint dans un premier temps, en nous prenant là où nous sommes vraiment. Quand nous nous rebiffons spontanément devant ce type de langage jugé trop infantile et indigne de Dieu, et de nous, sommes-nous honnêtes avec nous-mêmes. N'est-ce pas nous qui sommes encore
infantiles, si peu capable d'aimer gratuitement? si peu capable d'aimer si l'on ne nous a pas aimé en premier, ou donné quelque chose? Avec Dieu, sommes-nous désireux de l'aimer en lui donnant gratuitement de notre temps, dans la prière, et dans le service des frères ? Parfois, nous nous découvrons piteusement bien étroits, bien peu ouverts à l'inconnu, à l'autre, et nous refuserions que le Seigneur nous secoue un peu ? Oui, notre péché nous aveugle et sur notre étroitesse souvent très réelle, et sur le véritable amour de Dieu qui ne peut se manifester totalement, tant nous sommes portés à calculer avec lui... Il est alors très sage le conseil que nous laisse St Benoit : « et pour ce que la nature en nous trouve impossible, prions le Seigneur d'ordonner au secours de sa grâce de nous l'accorder».
22. Si nous voulons habiter dans la demeure de ce royaume, on ne saurait y parvenir, à moins d'y courir par de bonnes actions.
23. Mais interrogeons le Seigneur avec le prophète, en lui disant : « ;Seigneur, qui habitera dans ta demeure, et qui reposera sur ta montagne sainte ? »
24. Cette question posée, frères, écoutons le Seigneur nous répondre et nous montrer le chemin de cette demeure,
25. en disant : « C'est celui qui marche sans se souiller et accomplit ce qui est juste ;
26. qui dit la vérité dans son cœur, qui n'a pas commis de tromperie par sa langue ;
27. qui n'a pas fait de mal à son prochain ;; qui n'a pas laissé l'injure atteindre son prochain ;» ;;
28. qui, lorsque le malin, le diable, lui suggérait quelque chose, l'a repoussé loin des regards de son cœur, lui et sa suggestion, l'a réduit à néant, et s'emparant de ses petits – les pensées qu'il lui inspirait – les a écrasés contre le Christ.
29. Ce sont ceux-là qui, craignant le Seigneur, ne s'enorgueillissent pas de leur bonne observance, mais qui, estimant que ce qui est bon en eux ne peut être leur propre œuvre, mais celle du Seigneur,
30. magnifient le Seigneur qui opère en eux, en disant avec le prophète : « Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom rends gloire ! »,
31. de même que l'Apôtre Paul, lui non plus, ne s'attribuait rien de sa prédication et disait : « C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis. »
32. Et il dit encore : « Celui qui se glorifie, qu'il se glorifie dans le Seigneur. »
33. De là aussi la parole du Seigneur dans l'Évangile : « Celui qui écoute ce que je viens de dire et le met en pratique, je le comparerai à un homme sage, qui a bâti sa maison sur la pierre.
34. Les eaux sont venues, les vents ont soufflé et ont heurté cette maison, et elle n'est pas tombée, parce qu'elle était fondée sur la pierre. ;»
C'est une des richesses de la règle, que de faire s'entrechoquer les images... pour nous suggérer un sens, pour nous éveiller au mystère de notre vie chrétienne et monastique. Dans le passage que nous venons d'entendre, je retiens deux images apparemment contradictoires : au début Benoit parle de courir pour atteindre la demeure du Royaume, une course qui se traduit par l'accomplissement de bonnes actions... et à la fin, il concluait en reprenant l'évangile, que celui qui met en pratique les commandements ressemble à un homme qui a bâti sa maison sur le roc... Deux images, celle de la course et celle de la maison bâtie sur le roc, pour dire une même réalité : la mise en pratique de l'évangile. Courir et bâtir sur le dur, c'est finalement tout un pour Benoit. Nos vies de disciples de Jésus se courent et se bâtissent dans le même moment. La course dit qu'il n'y a pas de temps à perdre lorsque l'on tend vers le Royaume. La construction signifie à l'inverse le temps de la mesure patiente et réfléchie. La course mobilise toutes nos énergies, comme si tout se jouait en un instant très court. La construction compte sur le déploiement du temps, elle en a besoin pour que peu à peu s'élève la maison. Etre des coureurs constructeurs, c'est donc être inséparablement des personnes investies totalement dans
!'instant présent, et en même temps des personnes qui savent regarder le long terme pour y engager avec constance leur effort. Si s'engager totalement dans l'instant conduit à être épuisé et très vite à devoir s'arrêter, à quoi bon? Si s'engager dans la durée conduit à se perdre dans les méandres de détails ou dans un certain dilettantisme, rien n'aboutira. Chaque jour, nous vivons comme si tout se jouait en ce jour. Et chaque jour, nous avançons dans la conscience que le chemin peut être long. Ainsi aucune de nos fidélités quotidiennes à la Parole n'est négligeable: c'est le sens de notre constance dans la prière de l'office dans la lectio sans cesse reprises, mais aussi de notre travail et de nos activités dans lesquels nous nous donnons totalement pour Dieu et nos frères. Tenir ensemble l'intensité et la constance de l'engagement n'est pas à notre seule portée. C'est un don de !'Esprit Saint, don de force et de sagesse à mendier chaque jour. Nous pouvons commencer nos journées en lui demandant d'être notre force et notre sagesse pour nous donner totalement.