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65. ne haïr personne,
« Ne hair personne». Dans l'édition de la RB établie par le P. Adalbert, on trouve en note de cet instrument deux références bibliques, toutes deux tirées de l'AT, !'une du Lévitique, l'autre du Deutéronome. En Lévitique 19, 17, un peu avant le commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », on trouve cette référence : « tu n'auras pas dans ton cœur de haine pour ton frère ». Et le Deutéronome va un peu plus loin, du frère le commandement s'étend aux voisins:« Tu ne tiendras pas l'Edomite pour abominable car c'est ton frère; ni
!'Egyptien, car tu as été un étranger dans son pays» (Dt 23, 8). Les références à l'Edomite et à !'Egyptien sont touchantes car elles viennent contredire bien d'autres passages où ces peuples sont voués aux gémonies... Qu'on pense au Ps 136, « souviens-toi, Seigneur, des fils du pays d'Edom » qui sonne comme un cri pour appeler la vengeance sur ceux qui ont trahi Israël en se mettant du côté de l'envahisseur babylonien, lors de la prise de Jérusalem. Mais malgré toutes les guerres fratricides et tous les conflits entre voisins, la Parole résonne pour rappeler l'essentiel : l'autre reste un frère, et chacun doit se souvenir qu'il a été un jour débiteur de son frère. Ces références bibliques sont suggestives car elles parlent de personnes, « l'Edomite », et non Edom, de «!'Egyptien» et non de l'Egypte. Nous savons combien nous sommes capables de rapides généralisations sur les peuples : les anglais sont comme çà, on ne peut pas avoir confiance dans les arabes, les chinois ne cherchent que leurs intérêts etc... Il est facile de cultiver à partir de ces considérations générales une méfiance vis-à-vis des personnes rencontrées alors qu'elles sont le plus souvent inconnues. Quand St Benoit propose de : « ne haïr personne», il met en avant le seul primat à tenir: le respect de toute personne quelle qu'elle soit. Chaque personne vaut pour elle-même, et non en raison de ses origines, de ses capacités etc... Ce primat de la personne est exigent. Ne laisser place en son cœur pour la haine envers personne. Comment rester vigilant ? Peut-être en veillant déjà à ne pas laisser entrer en son cœur, le mépris, ce regard qui déconsidère, juge ou rabaisse l'autre. Ici, la garde est sévère et difficile à tenir. Une chose peut nous aider à ne pas tomber dans ce travers. C'est de nous souvenir, sinon de ce que l'autre nous a fait un jour ou l'autre pour nous, du moins de ce que Dieu a fait et continue de faire pour lui. Comme moi, il est aimé, préféré par notre même Père commun, par notre unique Créateur.
21. ne rien préférer à l'amour du Christ.
22. Ne pas accomplir l'acte qu'inspire la colère,
23. ne pas réserver un temps pour le courroux.
24. Ne pas entretenir la tromperie dans son cœur,
25. ne pas donner une paix mensongère,
Après« Se rendre étranger aux actions du monde », voici un autre groupe d'instruments offerts par Benoit, parmi lesquels la maxime « ne rien préférer à l'amour du Christ» peut paraitre un peu décalée. Là où cet instrument nous rappelle le primat de l'amour du Christ, l'amour reçu de lui comme l'amour qu'on lui porte, les autres instruments visent de toute évidence les relations fraternelles à préserver de la colère, de la tromperie et du mensonge. Avec la retraite sur M. Delbrêl encore toute proche, je repèrerais volontiers un lien entre tous ces instruments, lien qui peut nous faire entrer dans une véritable dynamique de l'amour. Le P. G. François a souligné combien les deux grands commandements de l'amour de Dieu et du prochain étaient à la fois liés l'un à l'autre, mais aussi combien chacun avait sa valeur propre. A travers les textes de M. Delbrêl, se perçoit fortement combien elle vit profondément de ces deux commandements, l'amour reçu de Dieu et l'amour pour Dieu fait d'adoration et de silence qui habite son cœur, et l'amour du prochain fait de temps donné et d'attention délicate envers chaque personne. Deux amours distincts gui s'appellent l'un et l'autre pour n'en faire qu'un.
Ainsi dans les instruments entendus, « ne rien pr1férer à l'amour du Christ » est là comme un rappel fort du premier commandement. Amour reçu du Christ à ne préférer à aucun autre amour, amour donné au Christ, l'aimé préféré avant tout autre, amour du Christ qui ne fait qu'un avec l'amour de Dieu. C'est la relation fondamentale qui est là et que l'on cherche à approfondir. Il nous irrigue comme une source. Dans cet amour premier peut s'oser, se nourrir. se fortifier l'amour du frère. M. Delbrêl a cette phrase: « Nous n'arriverons à cet amour des autres qu'en connaissant l'amour dont nous sommes aimés nous-mêmes. Alors nous deviendrons de parfaits imitateurs.» Dieu notre Père, le Christ nous ont aimé en premier. Leur amour nous précède, sans qu'on sache toujours bien comment. N'est-ce pas cet amour qui, prenant toujours plus de place en notre cœur peut rendre la colère, la tromperie ou le mensonge tout à fait inadéquat ... Un décalage apparait de plus en plus grand entre ces mouvements de défense plus ou moins réflexe en nous qui nous troublent et l'amour du Christ qui apaise le cœur. Les mouvements d'animosité contre nos frères nous mettent en état de guerre, l'amour du Christ fait de nous des artisans de paix. Regardons vers le Christ, apprenons de lui la douceur, la paix qui console et la vérité qui libère.
64. aimer la chasteté,
« Aimer la chasteté». Mettre des mots sur cette belle réalité n'est jamais facile. Mais le fait que St Benoit nous invite à«, l'aimer » est un encouragement. Il y a quelque chose à prendre à bras le corps pour rendre plus fécond notre engagement dans le célibat à la suite du Christ. La chasteté nous conduit à prendre en considération notre profonde solitude, solitude qui est portée de façon manifeste dans le célibat, mais solitude que les époux doivent aussi savoir cultiver dans le couple. Car la solitude est inséparable du mystère de l'unicité de chaque personne. Assumer sa propre solitude, respecter celle de l'autre intimement liée à son mystère, n'est-ce pas une des tâches de qui veut « aimer la chasteté »... M. Delbrêl a des paroles fortes sur la solitude du célibat : « La solitude du célibat est incomparablement plus grande que toute autre. Elle rend désertique et affamée tout une part de notre corps ; elle lèse le mécanisme de notre psychologie, de notre affectivité; elle décapite notre être, même surnaturel e ce qui est une des plus nobles aptitudes : l'amour, ce que tous les êtres humains appellent amour. » Elle poursuit :
« Si cette solitude n'est pas considérée par nous comme un bien. le bien le plus précieux que Dieu nous ait donné et que nous lui rendons, nous resterons dans une fragilité téméraire. Il faut en choisissant le célibat, choisir, désirer. aimer âprement la solitude. Il faut en connaitre les traits avant de la rencontrer, pour que nous la trouvions sans surprise et la possédions, dans toutes ses dimensions, pour l'offrir authentiquement au Seigneur qui nous la donne » (M. Delbrêl, Œuvres complètes, T 14, « J'aurai voulu» p 246). Ainsi en écho à St Benoit, M. Delbrêl parle+elle de« choisir, désirer. aimer âprement la solitude»... C'est l'inverse de subir, ou encore d'une situation où l'on resterait intérieurement dans le flou. Il nous faut apprendre à regarder en face dans son âpreté cette solitude, pour ne pas rêver de quelque chose d'autre ou regretter. Et même précise Madeleine, il nous faut considérer cette solitude « comme un bien. le bien le plus précieux que Dieu nous ait donné ». En nous appelant au célibat, le Seigneur nous donne en même temps de découvrir que la solitude est un bien précieux. C'est le bien qui creuse en nous la possibilité d'une relation unique avec Lui, une relation qui donne en même temps son sens et sa beauté à toutes les autres relations. La solitude assumée et choisie, offerte par amour du Seigneur veut ainsi nous entrainer plus loin dans l'amour. Mystérieux et chemin unique pour chacun de nous qui transforme une situation désertique où l'amour semble exclu en une possibilité d'aimer toujours plus grande.
63. Accomplir chaque jour par ses actes les commandements de Dieu,
« Accomplir chaque jour par ses actes les commmandements de Dieu ». « Chaque ;our ». Dans la vie monastique, on n'imagine pas se mettre en congé de notre recherche de Dieu. En ce sens, il n'y a pas de vacances, dans la poursuite et l'accomplissement de la volonté du Seigneur. Jour après jour, cette quête nous rassemble. Jour après jour, nous la reprenons et nous l'affinons pour progresser dans notre fidélité au Seigneur et dans notre écoute de sa Parole. Dans ce « chaque jour», réside certainement la difficulté que nous avons à imaginer de prendre des vacances, au sens d'une interruption assez nette avec le rythme quotidien. Dans le labeur quotidien de veille dans la prière, d'attention aux frères dans les services et le travail et de présence aux personnes qui passent, se vit un engagement si profond et si total que s'en extraire peut sembler y renoncer. Car nous percevons que, dans notre vie monastique, pouvoir se reposer et se détendre, ce n'est pas s'extraire de notre vie d'attention et d'écoute, comme s'il y avait une vie à côté de notre vie monastique. Mais il s'agit plutôt intégrer dans notre quotidien, dans la semaine ou le mois, des temps de respiration autre, qui permettent d'élargir quelque chose en nous sans quitter notre propos. A l'encontre de notre société qui valorise beaucoup les loisirs comme un ailleurs pour s'évader du quotidien, perçu comme oppressant par beaucoup, notre vie monastique voudrait soigner l'équilibre quotidien entre toutes les activités de la journée, vécues dans le don de soi. Certes parfois, nous pouvons éprouver une tension face à une multitude de choses à accomplir. Ici, il nous faut avoir le courage de discerner si cette tension est réelle ou si nous n'en sommes pas à l'origine pour une part plus ou moins grande. En effet, nous sommes tout à fait capable de nous mettre la pression, soit par désir d'en finir avec le risque d'aller plus vite que la musique, soit par désir de nous réserver du temps par ailleurs. Comme critère de discernement, notre vie propose de faire les choses au temps voulu. Aller à la prière quand la cloche sonne, sans s'accrocher à ce qu'on fait, est une bonne manière de lâcher la pression. Faire le travail ou le service qui est demandé maintenant, sans remettre à plus tard est une autre manière d'entrer dans un rythme moins stressant. Faire les choses quand elles doivent être faites, au moment qui convient, c'est finalement faire confiance à Dieu. C'est Lui le Maitre du Temps. Lui seul a la vision juste de ce qui convient. Nous laisser conduire par Lui à travers les évènements, les sollicitations diverses, nous fait pressentir parfois une harmonie supérieure, qui est source de paix, et finalement de vrai repos.
20. Se rendre étranger aux actions du monde,
« Se rendre étranger aux actions du monde ». En lisant cet instrument m'est venue assez spontanément en écho la lecture que nous faisons ces jours-ci au réfectoire : l'encyclique du pape François, « Fratelli Tutti ». Que fait-il d'autre sinon de nous inviter à nous rendre
« étrangers aux actions du monde » ? Les actions du monde dont il parle sont autant des
manières de vivre que de penser qui nous éloignent de l'idéal évangélique de «_fraternité universelle », le seul avenir possible pour notre planète fragilisée par les guerres, les divisions et les périls écologiques. « Je propose, dit-il, que nous fixions l'attention sur certaines tendances du monde actuel qui entravent la promotion de la fraternité universelle » (9). En fait, il nous entraine à un changement de regard sur notre monde pour discerner un fossé intolérable qui se creuse entre les nations riches et les nations pauvres de notre terre. Je le cite:
« De nombreuses formes d'injustice persistent aujourd'hui dans le monde, alimentées par des visions anthropologiques réductrices et par un modèle économique fondé sur le profit, qui n'hésite pas à exploiter, à exclure et même à tuer l'homme. Alors qu'une partie de l'humanité vit dans l'opulence, une autre partie voit sa dignité méconnue, méprisée ou piétinée et ses droits fondamentaux ignorés ou violés. Qu'est-ce que cela signifie quant à l'égalité des droits fondée sur la même dignité humaine ? » (24). La parole du pape François veut nous réveiller d'une certaine léthargie qui considérerait que l'état actuel du monde est normal et que la manière de vivre occidentale avec toutes ses performances techniques et économiques est le seul modèle valable pour tous, alors qu'il laisse tant d'êtres humains sur la touche. Là où le pape nous invite le plus à quitter la pensée du monde c'est, me semble-t-il, lorsqu'il nous invite inlassablement à ne pas penser notre vie de façon individualiste. mais à reconnaitre que toute vie pour être véritablement humaine est inséparablement communautaire et fraternelle. « Dans ce monde qui avance sans un cap commun, se respire une atmosphère où « la distance entre l'obsession envers notre propre bien-être et le bonheur partagé de l'humanité ne cesse de se creuser et nous conduit à considérer qu'un véritable schisme est désormais en cours entre l'individu et la communauté humaine. [... ] (31) Ce thème revient sans cesse pour mettre en évidence le péril que cela entraine à l'intérieur de nos sociétés riches elles-mêmes et entre l'ensemble des nations. Contre ces tendances du monde, le pape François promeut avec audace la recherche d'une autre culture de« la charité sociale et politique» (176). A la manière du bon Samaritain,
il s'agit de « raviver notre vocation de citoyens de nos pays respectifs et du monde entier, ba.·. tisseurs d'un nouveau lien social (66). de façon paradoxale, on pourrait dire qu'aujourd'hui se rendre étranger aux actions du monde, c'est vouloir vivre en citoyen du monde, solidaire et conscient des problèmes des autres.
14. Restaurer les pauvres,
15. vêtir les gens sans habits,
16. visiter les malades,
17. ensevelir les morts,
18. secourir ceux qui sont dans l'épreuve,
19. consoler les affligés.
« Se renoncer à soi-même pour suivre le Christ ». Après le premier ensemble d'instruments commentés hier, concernant davantage la discipline de vie personnelle, ceux entendus ce matin abordent la suite du Christ très concrète. Chaque verbe indique une action précise envers des personnes concrètes. La charité n'est jamais« en gros», mais toujours « en détail » : « restaurer les pauvres, vêtir les gens sans habits, visiter les malades, ensevelir les morts, secourir ceux qui sont dans l'épreuve, consoler les affligés»... Nous n'avons pas là un catalogue d'actions qu'il faudrait appliquer, mais des exemples pour vivre à la manière du Christ, très concrète et très personnelle. Jésus a su se faire proche, toucher, écouter, prendre par la main comme nous l'entendions .hier de la belle-mère de Simon... Il nous revient de nous mettre à son école, en étant moins préoccupé de l'œuvre à accomplir que de la personne à rencontrer, à écouter d'abord. Nous ne pourrons pas éradiquer la pauvreté mais nous pouvons nous faire proches des personnes qui croisent nos routes, comme le dit superbement le pape François dans « Fratelli tutti ». Et dans un monastère, les premières personnes dans le besoin que nous rencontrons, ce sont nos frères... ceux qui sont plus âgés et qui sont malades, mais aussi chacun de nous, le jour où il est en dessous, qu'il boit le bouillon et que rien ne va plus. Entre nous, la charité gui rejoint vraiment l'autre n'est pas d'abord celle qui cherche à être efficace, à gagner du temps. Mais au contraire, c'est la charité qui accepte de perdre du temps, d'être simplement là à l'écoute, dans une apparente impuissance peut-être. La charité se fait alors présence. écoute, encouragement. sourire. L'aide plus concrète s'inventera alors d'elle même d'une façon très à propos, délicate et respectueuse. Paradoxalement, il peut être plus difficile de vivre cette charité dans la proximité fraternelle de tous les jours. Nous nous sommes habitués les uns aux autres, à nos petits côtés, à nos agacements ou encore à nos terrains réservés. Et nous risquons toujours de réagir de façon reflexe, conditionnés par les expériences malheureuses passées. Or celui qui est dans le besoin attend toujours quelque chose de nouveau de notre part, une disponibilité de cœur qui est la reconnaissance dont il a besoin à cet instant
« t ». Vivre de cette charité-là ne peut-être qu'un don de Celui qui en est la source et auprès
duquel il nous faut venir puiser dans la prière, la contemplation, l'eucharistie. « En nous le sacrement de votre amour s'opère, priait M. Delbrêl, nous nous lions à vous avec toute la force de notre obscure foi, nous nous lions à eux (nos frères) avec la force de ce cœur qui bat par vous, nous vous aimons, nous les aimons pour qu'une seule chose soit faite avec nous tous »...
10. Se renoncer à soi-même pour suivre le Christ.
11. Châtier le corps,
12. ne pas rechercher les plaisirs,
13. aimer le jeûne.
« Se renoncer à soi-même pour suivre le Christ ». Placé à la tête d'un petit ensemble d'instruments, ce verset évangélique me semble jouer un rôle d'ouverture ou d'introduction aux 3 instruments qui suivent et que nous avons lus ce matin ainsi qu'aux 6 autres que nous lirons demain. Plus précisément, je rattache volontiers les trois instruments entendus ce matin :
« châtier le corps, ne pas rechercher les plaisirs et aimer le jeûne » à « se renoncer à soi
même », la première partie du vt 1O. Les autres instruments liés à la charité se rattachant bien comme nous le verrons demain à la seconde partie : «poursuivre le Christ».
En filigrane de ces instruments, on peut entendre cette question : est-il possible de suivre le Christ sans accepter de se renoncer à soi-même? Dans l'appel qui nous a conduits ici au monastère, nous avons tous été touchés par le Seigneur d'une manière qu'on ne sait pas bien expliquer : un attrait, un désir, un mouvement, une lumière, une évidence nous ont mis en mouvement. Quelque chose qui, tout en nous laissant très libre, emportait notre assentiment et notre consentement, avec joie et goût. Et nous avons fait un certain nombre de renoncements... Entrés au monastère, comment garder cet élan initial ? Comment ne pas perdre la saveur de cette libe1té première qui peut tout lâcher pour suivre le Seigneur ? Si nous avons moins de choses à abandonner, à condition toutefois de ne pas s'attacher à de nouvelles, St Benoit nous entraine dans une attention plus précise à nous-mêmes, à notre corps, à notre rapport au plaisir, à la nourriture, ces lieux fondamentaux de notre vie quotidienne... Avec l'expression« châtier le corps», reprise de Paul (1 Co 9, 27), St Benoit assimile le moine à un athlète qui est engagé dans une course où il doit maitriser son corps. Dans cette lumière sportive, nous pouvons entendre les trois instruments « châtier le corps, ne pas rechercher les plaisirs, aimer le jeûne». Il s'agit de demeurer vigilant pour ne pas perdre l'élan et la liberté pour la course. Par expérience, nous savons que, s'il est heureux de faire parfois un bon repas, de marquer une fête, il est aussi précieux de ne pas s'installer dans une recherche sans limite des petits ou des grands plaisirs. Le risque est de nous faire perdre l'élan intérieur, de devenir mou et lourd, finalement sans goût. Faisons attention, dans nos repas, de ne pas prendre des habitudes de vieux garçons qui s'installent dans la recherche des petits plaisirs immédiats. En ce sens, le jeûne vécu avec ses modalités différentes selon les temps liturgiques veut nous exercer, à ne pas faire du plaisir de la nourriture, le seul horizon de notre bonheur. Pouvoir nous priver, et nous rendre compte
que nous en sommes capables, nous rend à notre désir plus profond, le désir de chercher, le
désir d'aimer, le désir de Dieu.
10. Se renoncer à soi-même pour suivre le Christ.
« Se renoncer à soi-même pour suivre le Christ ». Ces paroles, pourtant évangéliques, sonnent souvent de manière forte à nos oreilles comme un appel gui dérange. Se renoncer pour quitter quelque chose que nous connaissons et aller vers quelque chose que nous ne connaissons pas... Cela nous coûte. Ainsi lorsque nous trainons les pieds nous manifestons notre peine à faire confiance à Jésus. Le suivre, oui mais jusqu'où ?
Comment fortifier notre foi, comment la rendre plus adulte, plus virile ? Certainement est-ce l'œuvre du Saint Esprit, qui nous recréé en bonne part «presqu'à notre insu» pour reprendre les mots de l'hymne du Christ Roi... Peut-être aussi faut-il nous entrainer à changer de regard sur notre vie chrétienne, tourner le regard de 1'arrière vers l'avant ? Spontanément, nous sommes portés à considérer ce à quoi nous renonçons, nous regardons vers l'arrière. Et si nous regardions mieux ce vers quoi nous allons : une vie de plus grande amitié avec le Christ? En effet, quand le Christ nous appelle à renoncer à nous-mêmes pour le suivre, il n'est pas sadique, et ne nous veut pas du mal. Il ne nous demande pas de nous faire harakiri pour prendre une image martiale... Il nous invite à quitter ce gui ne peut que vieillir, finalement ce qui n'a pas d'avenir. Quitter les vieilles habitudes, les attachements qui nous endorment, ou qui nous pèsent, voire qui nous défigurent. Se renoncer soi-même pour suivre le Christ, loin d'être un fardeau, est une bonne nouvelle. Le Christ a un projet sur nous : celui de nous voir plus léger pour le suivre, plus libre pour œuvrer avec lui an service du Royaume. Il entrevoit aussi notre visage à venir, que nous imaginons avec peine, le fils de Dieu transfiguré qui un jour rayonnera de la clarté du Christ. En nous appelant à le suivre, le Christ nous fait l'honneur de croire en nous. Il nous rend responsable avec lui de notre renouvellement dans !'Esprit. En même temps qu'il nous fait don de sa grâce, en même temps, il nous fait collaborateur de son œnvre en nous et pour les autres. Que cette espérance que le Christ a en nous, nous conforte dans notre foi. Ayons confiance en la confiance que le Christ nous porte lorsqu'il nous appelle. Comme nous le disons certains soirs:« le Seigneur nous espère plus que nous espérons en lui»... C'est un grand motif d'encouragement pour oser faire aujourd'hui le pas utile afin de suivre davantage le Christ.
9. et « ne pas faire à autrui ce qu'on ne veut pas qu'on nous fasse ;».
Cet instrument conclue en quelque sorte le petit ensemble des instruments repris du décalogue. Dans son énoncé en« ne... pas», il est dans l'esprit du décalogue dont la formulation est essentiellement négative. Nous parlons beaucoup aujourd'hui des « gestes barrières». On pourrait dire, cet instrument est un « instrument barrière ». Il indique une limite au-delà de laquelle la vie devient impossible. Si je me permets de faire des choses à autrui, que lui-même ne serait pas en droit de me faire, je sors de l'échange fragile qui rend possible toute vie ensemble, etje m'impose. L'autre est traité en inférieur. La commune condition d'égalité est bafouée... La violence a tous les droits.
Dans cet instrument « barrière », « ne pas faire à autrui ce qu'on ne veut pas qu'on nous fasse », nous pouvons entendre le bienfait des limites pour toute vie en société, et en particulier en communauté. La philosophe Simone Weil a cette phrase : « Le mal est l'illimité. mais il n'est pas infini. Seul l'infini limite l'illimité» (La Pesanteur et la Grâce p 75). Si on considère notre expérience, on remarque qu'effectivement, le mal et le péché se situent le plus souvent dans le refus des limites. Il en est ainsi au jardin d'Eden, lorsqu'Eve se laisse séduire en refusant la limite imposée par la Parole de Dieu... « Tu ne mangeras pas »... Dans tous les champs de notre action et de notre vie, nous pouvons ainsi repérer ces moments où l'on force la limite (prendre à autrui quelque chose), où on joue avec elle au risque de mettre en danger les autres (par exemple en enfreignant des règles du code de la route), où l'on contourne la limite en se donnant bonne conscience Ge peux médire sous prétexte de vouloir dire la vérité sur autrui)... Notre vie monastique est une bonne école pour apprendre à faire des limites une aide, un soutien pour notre faiblesse. Accepter la limite de la cloche par ex, c'est entrer dans une conscience plus juste et plus réelle que mon temps n'est pas extensible à souhait. Ne pas accepter la limite de la cloche, chercher à grignoter du temps à tout prix, c'est prendre le risque inutile de me tendre, et finalement de m'user la santé. C'est une forme de péché, péché contre moi-même car je m'abime la santé; péché contre Dieu car je ne lui fais pas confiance: lui qui conduit ma vie sait ce qui est bien pour moi. Au lieu de me mettre à son écoute par mon obéissance à la cloche, je m'entête à braver la limite... Ce péché qui est une forme d'endurcissement signe mon aveuglement sur ma propre existence. J'oublie qu'elle est prise dans le mouvement de la lente et immense croissance du Royaume qui vient.
7. ne pas porter faux témoignage. »
8. Honorer tous les hommes,
« Ne pas porter faux témoignage, honorer tous les hommes ». Ces deux instruments à la suite!'un de l'autre nous indiquent et le poison et son antidote. Le poison : dire des choses mensongères pour salir et casser la réputation d'une personne, voire pour le faire tuer physiquement comme nous en trouvons des exemples dans la Bible... je pense à la fausse dénonciation de Nabot qui conduit à sa mort, le tout orchestré par Jézabel, la femme d' Achab. L'antidote: porter un regard bienveillant sur tout homme, l'honorer en ce qu'il est, avant de le regarder pour ce qu'il fait.
Porter faux témoignage sur quelqu'un, c'est tenter de mettre la main sur lui voire de l'anéantir, en le rabaissant aux ye1,1x des hommes. Ainsi Achab a-t-il eu gain de cause pour prendre la vigne de Nabot. L'autre compte pour peu aux yeux de son adversaire qui pense pouvoir en disposer à son gré. Honorer tous les hommes, nous invite à nous tenir résolument sur l'autre versant, en acceptant qu'entre l'autre et moi, il y a un abîme infranchissable qui m'impose le respect absolu. Honorer l'autre, tous les autres, nous oblige à élargir sans cesse notre regard et à revoir nos préjugés. L'autre est autre, un être qui m'échappe en son mystère.
« Honorer tous les hommes » se révèle alors être, à la lumière de notre foi chrétienne, une des plus sûres boussoles pour nous tenir avec justesse dans la relation, dans toute relation. Comme le commandement de l'amour du prochain, « honorer tous les hommes» est un instrument de l'horizon, horizon vers lequel on tend. Il est toujours devant nous, plus on avance et plus il recule, car le champ d'action est si vaste. Comme dit le cantique du Siracide qu'on chante le mercredi à Laudes:« croit-on avoir fini, on ne fait que commencer ... » (Si 18, 7). Faut-il nous décourager, ou bien nous résigner devant une tâche impossible? Non, patiemment, aujourd'hui il faut commencer à honorer tous ceux que le Seigneur met sur notre chemin. Les honorer en apprenant à faire taire les jugements abrupts extérieurs, mais aussi en travaillant pour éteindre les jugements intérieurs qui ont vite faits d'enfermer l'autre et de le sortir de mon champ de charité... Honorer tous les hommes m'oblige à une guerre incessante avec moi-même contre mes prétentions à juger de tout et de tous... sous la conduite de !'Esprit Saint qui est artisan de discernement et de paix. Viens Esprit de Sainteté, viens Esprit de lumière.