vendredi 3 octobre 2025 : journée de solitude pour la communauté, messe vers 6h45 après Laudes.

Commentaires sur la Règle



Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 67, v 01-07 Des frères envoyés en voyage écrit le 22 mars 2022
Verset(s) :

1. Les frères qui vont partir en voyage se recommanderont à l'oraison de tous les frères et de l'abbé,

2. et à la dernière oraison de l'œuvre de Dieu, on fera toujours mémoire de tous les absents.

3. Quant aux frères qui reviennent de voyage, le jour de leur retour, à toutes les heures canoniales, quand s'achève l'œuvre de Dieu, ils se prosterneront sur le sol de l'oratoire

4. et demanderont à tous de prier en raison de leurs manquements, de peur de s'être laissé prendre en voyage à voir ou entendre une chose mauvaise ou une parole déplacée.

5. Et personne ne se permettra de rapporter à un autre tout ce qu'il aura vu ou entendu hors du monastère, car cela fait de très grands ravages.

6. Si quelqu'un se le permettait, il subira le châtiment de règle.

7. De même celui qui se permettrait de sortir de la clôture du monastère et d'aller n'importe où et de faire n'importe quoi, même de peu d'importance, sans l'autorisation de l'abbé.

Commentaire :

En ce petit chapitre sur les frères envoyés en voyage. il est intéressant de voir que St Benoit met d'abord l'accent sur la prière. La prière unit les frères restés aux frères sortis. et la prière soutient et accueille les frères rentrés de voyage. Mettre ainsi la prière au centre met en évidence combien le lien de communion est essentiel entre les frères. Ensuite elle rappelle que lors d·une sortie comme dans la clôture du monastère la veille du cœur reste l'enjeu spirituel majeur. Alors que la clôture est une aide pour garder notre cœur en veille pour Dieu, ne pas nous disperser, ni trop errer, la sortie nous rend plus vulnérable aux diverses sollicitations. Va alors se révéler la qualité de notre vie intérieure, de son enracinement et de sa stabilité. Peut apparaitre alors notre fragilité lorsque nous sommes laissés à nous-mêmes, sans le soutien des frères, du cadre de l'horaire ou la vie communautaire. Quand l'arbre est au milieu de la forêt, il supporte très bien la tempête, lorsqu'il est seul dans la plaine, il est plus démuni. Doit-on en avoir peur ? Non, car nos sorties peuvent être une belle occasion de grandir en liberté. En effet au cœur de notre faiblesse davantage reconnue, nous pouvons faire une expérience renouvelée de la grandeur de notre responsabilité de moine. Personne ne peut faire le travail le plus profond à notre place. Notre désir de Dieu, notre volonté de lui do:1ner notre vie peut alors trouver de nouvelles manières de s'éprouver et s'exprimer. Allons-nous rester, et comment, des hommes en état de veille pour l'amour de Dieu et de nos frères? Ou bien allons-nous nous laisser aller à l'oubli, à la distraction ? Demeurer en état de veille demandera une certaine prudence dans les dispositions à prendre pour notre manière de vivre concrètement, tout ne nous convient pas en matière de logement, de rencontres etc... Plus profondément, demeurer en état de veille requiert de notre part de savoir honorer Celui que nous désirons servir par quelques rendez­ vous bien choisis pour la prière de l'office ou la prière silencieuse, selon le temps disponible. Demeurer en état de veille nous donnera peut-être alors de gouter la richesse et la profondeur de certaines rencontres, ou de collaborations vécues avec d'autres. Notre regard peut s'élargir ainsi que notre cœur à d'autres réalités jusqu'alors inconnues. Dieu nous surprend et nous rejoint... Il était là et nous ne le savions pas. Son mystère est grand !

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 58, v 24-29 De la façon de recevoir les frères écrit le 11 février 2022
Verset(s) :

24. S'il a des biens, il les distribuera aux pauvres préalablement, ou par une donation en bonne et due forme il les attribuera au monastère, sans se réserver rien du tout,

25. puisque, à partir de ce jour, il sait qu'il n'aura même plus pouvoir sur son propre corps.

26. Aussitôt donc, à l'oratoire, on lui enlèvera ses propres effets dont il est vêtu, et on l'habillera des effets du monastère.

27. Quant aux vêtements qu'on lui a enlevés, on les remettra au vestiaire pour y être conservés,

28. afin que, si jamais il consentait à sortir du monastère, sur la suggestion du diable, – ce qu'à Dieu ne plaise ! – on lui enlève alors les effets du monastère avant de le mettre dehors.

29. Cependant sa pétition, que l'abbé a prise sur l'autel, il ne la reprendra pas, mais on la conservera au monastère.

Commentaire :

Dernière étape dans le rite de profession selon St Benoit : le rite du changement de vêtement. On enlève au nouveau venu ses effets personnels pour le revêtir des effets du monastère. Par là s'exprime la dépossession des biens que veut vivre le moine qui renonce à tout ce qu'il possède en entrant au monastère. Petite précision ultime de Benoit : les effets personnels du moine sont conservés pour être rendus à l'intéressé dans le cas où il quitterait le monastère ... Benoit n'est pas dupe de la fragilité humaine. Cette mention est en même temps un beau signe explicite que le monastère n'est pas une prison qui retiendrait ses membres. Ceux­ ci sont là et y restent parce qu'ils sont libres. Cette éventualité d'un départ repose la question de la fidélité déjà évoquée précédemment, question sensible à notre époque qui peine à vivre des engagements durables pour privilégier une succession d'engagements ponctuels.

li y a quelques jours, j'évoquai, à propos de la délibération à laquelle le jeune frère s'exerce, l'image évangélique de celui qui, pour construire une tour ou aller faire la guerre, doit d'abord s'asseoir et calculer pour voir s'il peut aller jusqu'au bout... Cette parabole, présente seulement en Luc (14, 28-33), se conclue par la formule:« ainsi donc. celui qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient, ne peut pas être mon disciple». Cette formule signifie à celui qui veut être disciple de Jésus que le bon moyen d'aller jusqu'au bout est de renoncer à tous ses biens. Bâtir la tour, combattre une armée à la suite de Jésus en allant jusqu'au bout ne sera possible que si l'on renonce à tous à ses biens ou encore pour prendre une expression qui précède cette péricope, que si l'on prend sa croix. Jésus nous laisse entrevoir que là s'enracinera profondément notre fidélité. Quel paradoxe étonnant de fonder notre fidélité à la suite de Jésus sur le renoncement et sur la croix? Ceci ne peut être qu'une grâce reçue du Seigneur. Une grâce qui est là comme une source que nous reconnaissons en nous et qu'il nous revient d'entretenir au jour le jour. Le renoncement à nous-même, vécu de mille manières dans la vie quotidienne, sera notre manière de désensabler la source et d'éviter qu'elle ne se bouche. Exigence de vigilance sur nous-mêmes, mais aussi sur notre manière de faire fructifier ensemble l'héritage reçu de la vie monastique. En reconnaissant l'appel du Seigneur, son appel à tout lui

donner, laissons vivre cette source de grâce offerte et avançons sans risquer de défaillir en chemin.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 58, v 17-23 De la façon de recevoir les frères écrit le 09 février 2022
Verset(s) :

17. Avant d'être reçu, il promettra devant tous à l'oratoire, persévérance, bonne vie et mœurs, et obéissance,

18. devant Dieu et ses saints, en sorte que, si jamais il fait autrement, il sache qu'il sera damné par celui dont il se moque.

19. De cette promesse, il fera une pétition au nom des saints dont il y a là les reliques et de l'abbé en charge.

20. Cette pétition, il l'écrira de sa propre main, ou s'il ne sait pas écrire, un autre l'écrira à sa demande, et le novice y mettra un signe et la posera de sa main sur l'autel.

21. Quand il l'aura déposée, le novice entonnera aussitôt ce verset ;: « ;Reçois-moi, Seigneur, selon ta parole et je vivrai, et ne me confonds pas dans mon attente. ;»

22. Au verset, toute la communauté répondra par trois fois, en ajoutant ;: « ;Gloire au Père ;».

23. Alors le frère novice se prosternera aux pieds d'un chacun afin que l'on prie pour lui, et à partir de ce jour il sera compté comme membre de la communauté.

Commentaire :

Quatre moments marquent le rituel de la profession tel que le décrit ici Benoit et que nous retrouvons en bonne part dans notre profession actuelle. La promesse orale, la rédaction et la signature de l'engagement, la prière à Dieu et la demande d'intercession vis-à-vis des frères. Le premier moment est la promesse prononcée oralement devant Dieu, les saints et les frères présents. Promesse de vivre toute son existence dan ce mouvement de don de soi. vécu dans la persévérance, la conversion de sa vie et l'obéissance. Le Seigneur, le Dieu des promesses est le premier témoin, mais aussi le premier concerné par notre fidélité, comme la prière qui suit le montre. A lui appartient l'avenir, à lui est confiée notre fidélité. Le second moment est la mise par écrit de cette promesse. Rien de notre vie humaine n'est insignifiant, encore moins une parole prononcée solennellement. La mettre par écrit, c'est signifier que notre vie s'inscrit dans une histoire, qu'elle la marque et l'influence. Histoire d'une communauté, d'une région, d'une Eglise locale qui elle-même a été marquée et faconnée par des saints dont les reliques gardent le souvenir, la trace. Le troisième moment est celui de la prière. « Reçois­ moi selon ta parole » Au Seigneur qui a appelé est demandé qu'il accompagne et achève son

œuvre. Le Dieu de la Promesse peut-il se renier ? A travers cette prière, nous exprimons notre profonde incapacité seul, à mener à bien le don de nous-mêmes. Puissions-nous garder au cœur cette prière, cette attitude de profonde dépendance à l'égard du Seigneur de qui nous viendront les vivres dont nous avons besoin pour avancer chaque jour. Dernier moment, la demande d'intercession faite au pied des frères. Si la communauté est prise à témoin par le frère qui s'engage devant elle. elle est mise aussi à contribution. La fidélité dans l'engagement ne sera pas possible sans elle, sans sa prière, sans sa bienveillance. Au terme du rituel. Benoit conclue :

« A partir de ce jour. le frère sera compté comme membre de la communauté». Désormais il est membre à part entière de ce corps. Comme tous les autres membres, il accepte de vivre sous le signe de la promesse: non sous le signe de la certitude que tout est joué désormais, mais sous le signe de la confiance que tout est jouable. Il consent à s'insérer dans l'histoire concrète de la communauté, avec ses aléas, avec ses pesanteurs ou ses échecs. Cette histoire va devenir peu à peu la sienne, histoire qu'il reçoit autant qu'il met en œuvre. Si le moine s'engage, ce n'est pas comme un vainqueur. mais plutôt comme un mendiant, un mendiant de la grâce de Dieu sans laquelle rien de bon de peut se faire, et comme un mendiant du soutien de ses frères, sur lesquels il aura besoin de prendre appui ...

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 58, v 14-16 De la façon de recevoir les frères écrit le 07 février 2022
Verset(s) :

14. Et si, quand il en aura délibéré avec lui-même, il promet de tout garder et d'observer tout ce qu'on lui commande, alors il sera reçu en communauté,

15. en sachant que la loi de la règle établit qu'il ne lui sera pas permis, à dater de ce jour, de sortir du monastère,

16. ni de secouer de son cou le joug de la règle, qu'il lui était permis de refuser ou d'accepter durant cette délibération si prolongée.

Commentaire :

« Quand il aura délibéré avec lui-même ». C'est un vrai travail de discernement auquel St Benoit convie le novice à s'exercer. Il s'agit donc pour le jeune frère de« délibérer avec lui­ même ». L'expression latine, ainsi traduite, mérite qu'on s'y arrête: « si habita secum deliberatione ». On pourrait traduire mot à mot, « s'il habite avec lui-même / par la délibération » ... le mot à mot me semble très suggestif pour éclairer tout le processus de discernement de sa vocation. Il s'agit« d'habiter avec soi-même lorsqu'on délibère», d'être pleinement soi-même en paix. Lorsqu'on délibère, on pèse le pour et le contre. On évalue si l'on peut ou non faire telle ou telle chose; ou comme dit l'évangile, si l'on peut bâtir jusqu'au bout une tour, ou bien faire la gue1Te avec 5000 hommes contre un adversaire qui arrive avec 10000. La formation monastique de plusieurs années offre un critère global de discernement : celui de la capacité ou non de vivre cette vie avec sa discipline propre, ses exigences ainsi que son appel à s'abandonner totalement dans les mains du Seigneur. Est-ce que cette vie me donne la paix. la joie, celles qui résistent aux épreuves ou à l'usure? Est-ce que je perçois ses côtés plus âpres, plus exigeants, comme des leviers pour aller plus loin dans le don de moi-même. ou bien sont-ils des poids lourds qui m'empêchent de vivre? Est-ce que j'ai l'impression qu'en cette vie se trouve le jardin où le Seigneur me plante pour me faire grandir selon sa volonté 9 Plutôt que de parler d'épanouissement, est-ce que je pressens que là il y aura pour moi un accomplissement dans le don et le détachement de moi-même pour mieux aimer le Seigneur et mes frères ? Autant de questions qui peuvent nourrir la délibération. Autant de questions que le nouveau venu doit affronter. Dans le cas d'une confirmation de l'appel premier, peu à peu, comme une eau agitée qui décante, un choix peut s'affirmer. Le jeune frère mesure qu'il habite vraiment avec lui-même, à travers son ressenti. la paix éprouvée. les lumières reçues. Dans cette phase de discernement, il est important de pouvoir repérer, voire de noter sur un cahier. ce gui se passe en nous. Nous croyons que le Seigneur a guidé nos pas jusqu'ici. Aussi s'il nous appelle vraiment, et si nous prenons tous les moyens offerts pour y répondre, nous croyons que le Seigneur continuera de nous accompagner et de nous soutenir. Cette confiance dans le Seigneur, liée au sérieux de la démarche intérieure que chacun met en œuvre en n'éludant aucune question ni aucune ombre de sa vie, éclaire la question angoissante qui revient souvent: pourrai-je être fidèle demain? La fidélité du Seigneur sera le gage de notre fidélité, non l'inverse.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 58, v 09-13 De la façon de recevoir les frères écrit le 15 janvier 2022
Verset(s) :

9. S'il promet de tenir bon et de persévérer, après une période de deux mois on lui lira cette règle à la suite,

10. et on lui dira : « Voici la loi sous laquelle tu veux servir. Si tu peux l'observer, entre ;; si tu ne peux pas, tu es libre de t'en aller. »

11. S'il tient encore, alors on le conduira au logement des novices mentionné plus haut, et on recommencera à l'éprouver en toute patience.

12. Et après une période de six mois, on lui lira la règle, afin qu'il sache ce pour quoi il entre.

13. S'il tient encore, après quatre mois on lui relira de nouveau cette règle.

Commentaire :

« Voici la loi sous laquelle tu veux servir. Si tu peux! 'observer, entre ; si tu ne peux pas, tu es libre de t'en aller». La loi dont parle Benoit, est la règle qui est lue en entier au nouveau venu, trois fois en un an. La règle est une loi, mais elle n'est pas la Loi. avec un« L » celle qu'accomplit le Christ. La première qui régit une communauté monastique peut être observée ou non. La seconde illuminée et assumée par l'Evangile de la grâce demeure comme le socle et l'appel de toute vie chrétienne. Autrement dit, la règle reste un petit instrument afin de mieux marcher sous la conduite de l'Evangile.

S'il en est ainsi, pourquoi cette insistance de Benoit sur la lecture de la règle ? La règle offre tm art de vivre qui embrasse la vie humaine en toutes ses dimensions. Veut-on vraiment lui soumettre toute notre existence ? Telle est la question que pose en filigrane Benoit. Se soumettre à la règle est un grand acte de libe1ié. Librement, on choisit de se mettre sous une loi qui va conditionner tous les aspects de mon existence. Sommes-nous masochistes en faisant cela? Non, nous le faisons parce que nous avons déjà percu qu'avec elle, nous nous mettons sous la conduite du « seul Maitre. le Christ, dont le joug rende libre », pour reprendre les mots de l'hymne de la St Benoit. Comme il le dira plus loin, la règle peut s'apparenter à un joug, cette barre de bois, mise sur le cou des bêtes, qui permet de tirer plus efficacement une charge, en le faisant à plusieurs. Librement choisi, ce joug nous donne avec d'autres de concentrer tous nos efforts sur un unique objet : tirer, porter. unifier tout notre être, toute notre vie au service du Christ et de son Evangile. Car la charge que nous p01ions, c'est d'abord nous-même, mais aussi les autres. Là où laissé à nous-même, nous peinerions par ex à nous lever pour la louange de Dieu, le joug de la cloche réveille en nous des énergies nouvelles. Là où vivant seul, nous pourrions nous laisser aller à nos petits plaisirs, le joug de la vie commune nous découvre au­ delà de ses exigences, le plaisir profond que procure la loi de la charité. Ce joug mobilise toutes nos énergies. Il donne à nos faiblesses mises en commun une force nouvelle. Certes, se mettre sous le joug de la règle passe par une accoutumance à une certaine rugosité ressentie sur notre cou, le cou de notre fierté. Cela demande de la patience, de l'amour, mais aussi de la foi. car au début notre pâte humaine peut nous sembler lourde à tirer, voire rebelle. Mais si notre cœur veille et se tourne en vérité vers le Christ de lui nous recevons la force, et peu à peu plus de légèreté et d'aisance.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 58, v 05-08 De la façon de recevoir les frères écrit le 14 janvier 2022
Verset(s) :

5. Après cela il sera dans le logement des novices, où ils apprennent, mangent et dorment.

6. On leur donnera un ancien qui soit apte à gagner les âmes, qui veillera sur eux avec la plus grande attention.

7. On observera soigneusement s'il cherche vraiment Dieu, s'il s'applique avec soin à l'œuvre de Dieu, à l'obéissance, aux pratiques d'humilité.

8. On lui prédira toutes les choses dures et pénibles par lesquelles on va à Dieu.

Commentaire :

Deux aspects ressortent du passage que nous venons d'entendre: l'un plus pragmatique, l'autre plus spirituel. Le premier donne le cadre de la formation, le second la visée. Le cadre rappelle combien notre vie monastique est très humaine : on apprend, on y mange, on y dort, et on est accompagné par un ancien expérimenté. La vie monastique ne peut pas s'enraciner sans ce terreau humain qui offre un équilibre vital. Elle ne vient pas détruire notre humanité, mais plutôt l'accomplir. Pour cela st Benoit donne la visée : chercher Dieu. Et il précise les moyens offe11s pour vivre réellement cette recherche: s'appliquer à l'œuvre de Dieu, à l'obéissance, aux pratiques d'humilité, être averti des choses dures et pénibles par lesquelles on va à Dieu. La recherche de Dieu a ses moyens humains et spirituels propres qu'il est imp011ant de bien connaitre pour les mettre vraiment en œuvre. Si on les reprend, on mesure que la recherche de Dieu intéresse toute notre réalité humaine. D'une part, elle donne sens à notre quête d'apprendre, mais aussi à notre manger et à notre dormir. Elle offre une raison profonde de vivre au quotidien, en unifiant toute notre vie sous le regard de Dieu. D'autre part, la recherche de Dieu va se déployer dans la prière, la liturgie, dans la lectio notamment, mais aussi dans les relations, à travers l'obéissance particulièrement, cette écoute affinée, enfin dans les moments plus rudes peut-être où nous allons être entrainés à pratiquer l'humilité. Et St Benoit poursuit dans la même ligne, il faut savoir qu'aller à Dieu nous fera traverser des choses difficiles et pénibles. Mieux vaut le savoir au départ pour ne pas en étonné ou encore effrayé car la voie est parfois étroite comme il le souligne à la fin du prologue (48).

Pourquoi cela peut-il être difficile ? Parce que la croix fait pai1ie du chemin du chrétien, et du moine en particulier. La croix se manifestera peut-être à travers tout ce que l'on peut porter de lourd, de notre propre fait ou du fait des autres que l'on doit porter, parfois supporter par amour. La croix, c'est aussi tout ce gui se met en travers de la route, notre route imaginée, la maladie peut-être, l'échec, une grosse épreuve ou une tentation à affronter, ... La croix sera peut-être à vivre dans le consentement à une mission difficile confiée, ou encore à une fidélité vécue dans la sécheresse et la nuit... Mystère de nuit ou de souffrance que nous sommes appelés à traverser avec Je Christ, en le regardant et en le laissant nous enseigner sa manière à lui d'aimer en de telles circonstances ... Qu'il nous vienne en aide, Lui le Vivant qui s'est relevé d'entre les morts !

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 58, v 01-04 De la façon de recevoir les frères écrit le 13 janvier 2022
Verset(s) :

1. Quand un nouveau venu arrive pour la vie religieuse, on ne lui accordera pas facilement l'entrée,

2. mais comme dit l'Apôtre : « Éprouvez les esprits, pour voir s'ils sont de Dieu. ;»

3. Si donc l'arrivant persévère à frapper, se montre patient à supporter, au bout de quatre ou cinq jours, les mauvais traitements qu'on lui inflige et les difficultés d'entrée, et persiste dans sa demande,

4. on lui permettra d'entrer, et il sera dans le logement des hôtes pendant quelques jours.

Commentaire :

Ce matin, je voudrais m'arrêter d'abord sur le titre de ce chapitre: « de la façon de recevoir les frères »... « De la façon », « comment » : la vie monastique à la suite de St Benoit nous apprend à être attentif à la manière de vivre les choses, ici de recevoir les frères nouveaux­ venus désireux de mettre leur pas dans ceux du Christ. Pour St Benoit, il ne suffit pas de faire les choses, mais il faut les faire de la bonne manière, si on veut qu'elles portent vraiment du fruit. Nous pourrions décliner cette conviction sous tous les modes, pour tous les aspects de notre vie: il ne suffit pas d'être à l'office, mais il nous faut nous y donner de bon cœur; il ne suffit pas d'accomplir une tâche, il faut nous y impliquer en aimant le Seigneur et les frères pour qui on travaille, etc... Ici, en ce début de chapitre, nous pouvons être étonnés par la manière qu'il propose pour recevoir les nouveaux venus. Le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'est pas très «tendance» ni « politiquement correcte » à nos yeux modernes. Pour résumer de manière lapidaire et humoristique, on pourrait dire que recevoir les nouveaux venus, c'est d'abord les faire attendre à la porte! Benoit prend le contre-pied d'un mouvement naturel qui voudrait qu'on ouvre grandes les portes pour rendre plus facile l'intégration au nouveau­ venu. Là, où le désir d'avoir des recrues peut incliner à une certaine souplesse, Benoit oppose une rigueur qui veut permettre un discernement. Car son but n'est pas, par une sorte de sadisme, de faire souffrir le nouveau venu, non il s'agit d'« éprouver les esprits pour voir s'ils sont de Dieu ». Le nouveau-venu est-il conduit par !'Esprit de Dieu ou non ? Vient-il vraiment pour chercher Dieu, ou vient-il pour trouver ici une sotte de refuge idéal ? La manière abrupte que propose ici Benoit n'est pas transposable comme telle aujourd'hui. Mais il nous faut en retenir son dynamique spirituelle qui est de venir contrecarrer notre pente spontanée. Là où l'on voudrait gommer la rudesse de la vie monastique en sa durée, dans le lent dépouillement de soi qu'elle entraine. Dès le début, le nouveau venu doit expérimenter ce qu'il aura à vivre durant toute son existence : passer avec le Christ par une forme de mort à soi-même, pour renaitre avec Lui, homme nouveau. Nos échanges récents sur le départ de f. Jean Paul peuvent nous rendre plus vigilants sur la nécessité de ne pas oublier cette clé de discernement. Il est bon que tous, le

P. Abbé, le maitre des novices, mais aussi chacun, nous rendions compte de notre vie par une

attitude vraie et des paroles claires. La vie monastique est belle, mais exigeante, d'une exigence qui n'est pas tant dans la dureté de pratiques que dans le don intime de soi au Seigneur et aux frères, don sans cesse à renouveler.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 57, v 01-09 Des artisans du monastère écrit le 15 décembre 2021
Verset(s) :

1. S'il y a des artisans au monastère, ils exerceront leur métier en toute humilité, si l'abbé le permet.

Commentaire :

Dimanche dernier, dans l'évangile, nous entendions Jean donner des conseils qm peuvent trouver des échos dans les recommandations faites par Benoit aux artisans. Aux publicains, le Baptiste disait: «n'exigez rien de plus que ce qui vous est.fixé» et aux soldats :

« contentez-vous de votre solde » (Le 3, 12-14). Et St Benoit en résumé : « gardez-vous de toute fraude dans les transactions, ainsi que du fléau de l'avarice en fixant des prix un peu meilleur marché » ... Comme pour les auditeurs de Jean le Baptiste, notre conversion passe par une vigilance réelle dans notre manière de travailler, de faire du commerce, finalement dans notre relation aux choses et aux personnes rencontrées. Allons-nous vivre notre travail, notre commerce, nos relations sous le regard et la lumière de Dieu ? Ou bien allons-nous les vivre en prenant tous les moyens possibles pour faire du profit 9 Quel est le moteur de notre action : l'efficacité, la réussite, l'honneur qu'on en tire ou bien la gloire de Dieu, afin qu'en tout il soit honoré, et reconnu ? La question ne me semble pas anodine à l'heure où nous sommes en train de chercher à mettre en route un nouvel emploi? Par quoi est motivée notre recherche? Nous pouvons énumérer plusieurs motifs : retrouver une activité de production autour de laquelle collaborer à plusieurs frères, pouvoir dégager un revenu pour vivre davantage du travail de nos mains, offrir un produit du terroir qui puisse donner satisfaction à ceux qui l'achèteront. Spontanément, je crois, nous ne mettrons pas en avant, le motif donné par St Benoit : « pour qu'en tout Dieu soit glorifié» ... Pourquoi? Sûrement parce qu'aujourd'hui nous sommes sensibles à la distinction des domaines, chacun ayant sa dynamique propre, le spirituel d'une pait et l'économique de l'autre. Mais, si cette distinction est importante, quels repères nous donner pour qu'apparaisse clairement que l'activité sera faite par des moines qui cherchent Dieu? Je pense à plusieurs : à la manière de vivre les relations entre nous : donner place à l'écoute mutuelle, au partage des idées, des initiatives ; dans les relations avec les collaborateurs extérieurs : vraie ouverture et en même temps discrétion sans familiarité, pouvoir leur dire nos limites liées au primat de la prière qui façonne nos vies ; dans le développement de l'activité. penser à cet esprit de paix et de recherche de Dieu avec lequel nous voulons vivre toute chose, concevoir cette activité au service de notre désir de chercher Dieu, et non l'inverse en liant notre quotidien à des cadences ou à des exigences qui seraient inappropriées. Oui, notre vie monastique trouve tout son sens quand apparait, par sa justesse, son équilibre, sa paix, le plus souvent sans mot, que notre cœur, notre existence est vouée à l'amitié avec le Seigneur qui a fait toute chose et vers lequel nous allons.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 56, v 01-03 De la table de l'abbé écrit le 14 décembre 2021
Verset(s) :

1. La table de l'abbé sera toujours avec les hôtes et les étrangers.

2. Cependant chaque fois qu'il y a moins d'hôtes, il aura le pouvoir d'inviter ceux des frères qu'il voudra.

3. Cependant il faut toujours laisser un ou deux anciens avec les frères pour le bon ordre.

Commentaire :

« Pour le bon ordre», avec ces mots, le P. Adalbert traduit le ternie latin« disciplina». La traduction est heureuse et suggestive, car le même mot latin peut se traduire par discipline, exigence. voire sanctions selon ses usages différents dans la règle. Parler de « bon ordre » est plus intéressant que de parler de « discipline », ce qui risque toujours de nous enfermer dans le registre étroit du permis et du défendu. En effet, si nos règles et coutumes monastiques se présentent comme une fom1e de discipline, il ne faut jamais oublier que c'est pour nous apprendre l'art d'être disciple, disciple du Christ à la manière de Benoit. Les exercices communautaires veulent façonner en nous un être intérieur plus libre pour aimer. .. Et nous savons que les entraves les plus profondes, celles qui nous retiennent le plus dans leurs filets, ne sont pas les entraves extérieures, mais bien celles plus intérieures, les passions, les mauvaises habitudes, le péché... En ce sens, l'expression« bon ordre» que Benoit utilise pour dire le bien fondé de certaines règles durant les repas suggère une dynamique. Si St Benoit prescrit ici des manières de faire pour le repas, si nous en avons d'autres nous aussi, ce n'est pas pour le plaisir esthétique que tous marchent de la même façon et qu'aucune tête ne dépasse. Non, le bon ordre. ici durant les repas, comme ailleurs, veut nous faire grandir dans cet ordre communautaire qui ne peut être que celui de la charité. Si nous vivons ensemble, c'est pour nous faire mutuellement le don de la charité. Je me donne, tu te donnes, nous nous donnons, et nous faisons signe que dans la vie humaine tout est don... Quand, au début du repas, nous nous attendons pour prier, nous nous témoignons d'abord que la présence de tous est importante. Si l'un manque, la communauté est comme amputée. Ensuite dans la prière, nous nous témoignons les uns aux autres de notre joie et de notre confiance, à tout recevoir de notre Père des Cieux, le Créateur de tout bien. Lorsque nous nous attendons avant de passer au plat suivant, nous nous disons notre attention mutuelle. Ce qu'est l'autre dans son rythme, dans ses besoins est important pour moi. Je ne suis pas uniquement préoccupé de me remplir le ventre, et après, après moi le déluge. Il s'agit bien ici, du« bon ordre de la charité», non d'une discipline sèche qui voudrait que tous fassent tout en même temps. Ainsi, nous apprenons à marcher ensemble, non pour marcher au même pas, comme un régiment de parachutistes, mais pour nous soutenir les uns les autres, en nous attendant parfois, en accélérant à d'autres fois, en se réjouissant toujours de marcher dans une même direction, sous la conduite d'un même Seigneur.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 52, v 01-05 De l'oratoire du monastère écrit le 30 novembre 2021
Verset(s) :

1. L'oratoire sera ce que signifie son nom, et on n'y fera ou déposera rien d'autre.

2. L'œuvre de Dieu achevée, tous sortiront dans un silence complet et l'on aura le respect de Dieu,

3. en sorte qu'un frère qui voudrait prier à par soi en particulier, n'en soit pas empêché par l'importunité d'un autre.

4. Si en outre, à un autre moment, il voulait prier à part soi en privé, il entrera et il priera sans bruit, non à voix haute, mais avec larmes et application du cœur.

5. Donc celui qui ne fait pas ainsi, on ne lui permettra pas de demeurer à l'oratoire, une fois achevée l'œuvre de Dieu, comme il a été dit, de peur qu'un autre n'y trouve un empêchement.

Commentaire :

«L'oratoire sera ce que signifie son nom» ... Cette phrase anodine en apparence est pleine d'enseignement, à l'heure, où l'on prend conscience avec le rapport de la Ciase du poids des mots, et des dommages qui s'ensuivent lorsque, derrière des euphémismes, l'on cache des réalités tordues. St Benoit rappelle ici une évidence que 1'on pourrait étendre à tous nos lieux. Dans le chapitre, vivons le rassemblement de la communauté, dans le réfectoire vivons la joie de se refaire en nos corps, dans la cellule vivons le recueillement et le repos, le bienfait d'être un avec nous-même, dans les parloirs vivons la possibilité tranquille d'échanger... et dans l'oratoire, vivons la grâce de parler avec Dieu, tous ensemble et chacun individuellement dans l"intime du cœur. Valoriser ainsi nos lieux, c'est prendre la mesure du caractère structurant de nos espaces pour notre être communautaire. Ils contribuent à vivifier la communauté dans le respect mutuel, dans la discrétion, et dans la force de marcher ensemble... Que tout ne soit pas possible partout est une chance et une source d'équilibre et de paix pour tous et pour chacun. C'est une des raisons pour lesquelles on insiste sur le silence. Le silence dans nos lieux communautaires est le garant d'un climat sain où nous assumons tous ensemble une juste distance. sans froideur ni mépris... Une distance qui voudrait être aussi bien au service de la chasteté entre nous, pas de familiarité idiote, qu'au service de notre union et proximité avec Dieu. L"insistance de Benoit sur le silence à l'oratoire veut certainement mettre l"accent sur ce point.« Tous sortiront dans un silence complet et l'on aura le respect de Dieu». A l'oratoire. plus qu'en aucun autre lieu, le silence veut servir dans le même temps et les frères et Dieu : les frères pour qu'ils puissent se recueillir sans gêne extérieure. et Dieu pour qu•ll puisse parler au cœur de chacùn. De ce point de vue, l'oratoire est emblématique de ce que voudrait être le monastère tout entier, une maison de Dieu. Une maison où Dieu est honoré pour lui-même el en chaque frère. Dans l'oratoire, le silence favorisera plus particulièrement le cœur à cœur avec Dieu. Je pense ici à la belle figure d'Anne, la mère de Samuel. qui « prolongeai! sa prière» pour demander la grâce d'avoir un enfant,« parlait dans son cœur: seules ses lèvres remuaient et l'on n'entendait pas sa voix» (1 Sa 1, 12-13). On l'imagine prosternée, « elle pleurai/ abondamment» nous dit le texte. St Benoit parle de prier « sans bruit ...avec larmes et application du cœur ». L'oratoire, et d'une certaine manière aussi la cellule, voudrait permettre cette prière gui engage tout le cœur, cette prière où chacun peut exister tel qu'il est devant son Dieu. N'hésitons pas à venir prier dans notre église, dans les temps hors office, avant les offices. Goûtons aussi la joie qu'il y a, à le faire en silence chaque soir après les vêpres.