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3. Ensuite « ne pas tuer,
4. ne pas commettre d'adultère,
5. ne pas voler,
6. ne pas convoiter,
7. ne pas porter faux témoignage. »
R.B. 4, 3-7 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?
En quelque sorte, en plaçant ces commandements du décalogue (« ne pas tuer, ne pas commettre d’adultère, ne pas voler, ne pas convoiter, ne pas porter de faux témoignages ») au début de ce catalogue des bonnes œuvres, St Benoit remet ses moines sous la loi commune à tous les membres du Peuple de l’Alliance. Leur consécration ne les met pas à part. Comme moine, nous participons à cette même pâte humaine que le Seigneur a choisi de travailler, à la façon d’un potier, pour en faire son œuvre, une œuvre d’amour, instrument de sa paix et de sa justice. Et dès le départ, cette pâte est traversée par bien des contradictions. « Le cœur de l’homme est enclin au mal dès sa jeunesse » peut-on lire dans la Genèse, dans la bouche de Dieu alors que Noé est sorti de l’arche pour offrir un sacrifice (Gn 8, 21). Constat très réaliste que toute la bible nous invite à regarder en face, sans complaisance, mais aussi sans dureté. Car ce constat n’est pas l’expression d’une fatalité, mais celle de la miséricorde du Seigneur. En effet, dans ce même récit de la Genèse, le Seigneur poursuit : « jamais plus je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait » (Gn 8, 21). Et un peu plus loin, on nous dit « Dieu bénit Noé et ses fils » (Gn 9,1) … « Dieu dit encore à Noé et à ses fils : Voici que moi, j’établis mon alliance avec vous, avec votre descendance après vous (Gn 9, 8) … » Dieu décide de faire alliance avec cet homme-là, et pas avec un autre, avec cet homme blessé dès sa jeunesse. Et toute l’histoire biblique sera celle de cette alliance souvent malmenée par les infidélités de l’homme, et toujours renouvelée par la fidélité de Dieu. La croix de Jésus représentera le sommet de la révélation de cette alliance : Dieu, en son Fils, consent à être lui-même blessé au cœur par la dureté du cœur de l’homme. A travers ce cœur blessé, il nous dit combien il nous aime. Il prend sur lui nos blessures. Là où le cœur de l’homme blessé et blessant autour de lui ne pouvait espérer sortir de cet spirale mortifère, le cœur de Jésus ouvert se révèle être un cœur blessé comme il n’y en a jamais eu, et un cœur guérissant tout être humain au plus intime. De son cœur transpercé sortent l’eau et le sang qui lavent mystérieusement et profondément celui qui consent à se placer sous ce flot de miséricorde. Chacun, nous sommes conviés à oser croire et à nous approcher de ce Dieu, et plus particulièrement de ce cœur blessé du Christ qui est plus grand que notre cœur. Si ce dernier peut-être tenté au regard de ses complications de se condamner, « Dieu est plus grand que notre cœur, et il connait toutes choses » nous assure st Jean (1 Jn 3,20).
2. ensuite « son prochain comme soi-même ».
R.B. 4, 2 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?
« Aimer son prochain comme soi-même ». Après l’amour de Dieu, nous avons les deux autres amours intimement liés : l’amour du prochain et l’amour de soi-même. Amour de Dieu, amour du prochain et amour de soi, voilà une triade indissociable qui nous introduit dans le mystère de l’amour. S’il manque un des membres, l’amour est en quelque sorte défiguré.
Aimer son prochain comme soi-même est toujours devant nous, inachevé, sans cesse à recommencer. Nous pouvons recevoir comme une précieuse lumière cette étroite relation faite entre amour du prochain et amour de soi. Les deux amours interagissent comme pour mieux se supporter et s’entraider. La vie monastique qui laisse beaucoup d’espaces où nous nous retrouvons face à nous-mêmes, offre cette opportunité de mieux se connaitre soi-même, et on peut l’espérer l’opportunité de mieux s’aimer soi-même. En ce sens, elle offre une voie privilégiée pour mieux aimer nos frères, nos proches prochains. Plutôt que d’en avoir peur, sachons ici mettre à profit les frictions, ou les heurts, ou les incompréhensions de la vie quotidienne. Apprenons à ne pas réagir tout de suite, mais à prendre le temps de la méditation pour comprendre ce qui s’est passé. Avant de dire « c’est la faute de l’autre » ou bien « de toute façon il est toujours comme cela », essayons de prendre du recul pour voir ce qui se passe d’abord de notre côté. C’est une chance qui nous est offerte de mieux nous connaitre en nos réactions et de progresser. On évite alors ce risque si fréquent de projeter sur l’autre les défauts qu’on n’arrive pas à regarder en soi. L’histoire de la paille et de la poutre est toujours si prompte à se répéter. Vivre ainsi demande du courage, le courage de regarder en face ses faiblesses, ses limites, ses fautes peut-être. Il nous en coûte. Et pourtant, n’est-ce pas notre grande chance d’espérer d’apprendre à aimer un peu mieux nos proches. La vie quotidienne qui nous place au coude à coude les uns et les autres, s’offre comme un rendez-vous continuel de la charité. Consentons à regarder en face nos réactions pas toujours ajustées, nos agacements pas toujours justifiés, nos jugements souvent infondés. Avec sourire, reconnaissons nos propres difficultés. S’il le faut, demandons pardon. Avec la grâce de Dieu qui conduit ce patient travail d’attention à soi-même, nous pourrons développer un regard plus bienveillant sur l’autre, une parole plus conciliante et trouver le geste qui apaise. A la mesure que nous nous connaissons mieux nous-même, notre cœur peut s’élargir pour laisser une place un peu plus grande à chacun de nos frères.
1. En premier lieu, « aimer le Seigneur Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces » ;
R.B. 4, 1 Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?
Nous commençons ce long chapitre des instruments des bonnes oeuvres qui nous accompagnera tout le long de notre carême. Ce chapitre apportera son éclairage sur ce chemin de notre cœur à parcourir pour aller à la rencontre du cœur du Christ, comme je le disais la veille des cendres. Et nous retrouvons le premier instrument qui, s’il est lié au second, tu aimeras ton prochain, mérite toujours d’être distingué. « Aimer le Seigneur de tout son cœur… » Ce commandement, le premier, le plus grand de la loi de Moïse, est le socle de toute l’alliance entre Dieu et son peuple. Entre Dieu et son peuple, il sonne comme une promesse. Il est au futur dans la bible. Il nous rappelle que la relation dans laquelle Dieu convie son peuple est d’abord une question d’amour : un amour qui prend tout le cœur, toute l’âme, toutes les forces. Et on peut supposer que si cet amour est appelé à prendre chacun tout entier, c’est qu’il en est ainsi pour Dieu. Lui-même est pris tout entier, totalement dans son amour pour son peuple, et pour l’humanité. Dieu demande et promet de vivre ce qu’il vit lui-même, Lui qui est Amour, Père, Fils et Esprit, un seul Dieu Amour de Trois Personnes.
L’insistance de l’appel « de tout ton cœur » sonne comme la prise en compte de notre difficulté à être unifié dans l’amour. Après le commandement donné à Moïse, cette recommandation est faite au peuple : « Ces paroles que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cœur » (Dt 6, 6). Et nous savons qu’elles peuvent ne pas y rester, car notre cœur peut être habité par bien d’autres paroles, bien d’autres intérêts qui l’éloignent de cette relation avec Dieu. Il y a peu, nous entendions comme une plainte de Jésus à l’égard des pharisiens à qui il citait cette phrase du prophète Isaïe : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi » (Mc 7,6 // Is 29, 13). Nous pouvons entendre cet appel avec beaucoup d’attention, nous qui prononçons et invoquons si souvent le nom de notre Dieu. Où est notre cœur lorsque nous psalmodions ? Où notre cœur lorsque nous célébrons l’eucharistie ? Le Seigneur ne nous demande pas des choses extraordinaires, simplement d’être là, de désirer revenir à ce que nous disons et célébrons lorsque les distractions nous emmènent ailleurs. Notre cœur est près de lui surtout lorsqu’il peut humblement reconnaitre ses manquements, ses infidélités, ses difficultés. Voilà l’une des plus belles offrandes que nous puissions lui faire. Tenons-nous ainsi en vérité avec confiance sous son regard. Ainsi nous prêterons un peu plus notre cœur, au travail de la grâce qui, seule peut nous entrainer à aimer d’un amour plus sincère.
7. Tous suivront donc en tout la règle comme leur maîtresse, et nul n'aura la témérité de s'en écarter.
8. Personne au monastère ne suivra la volonté de son propre cœur,
9. et nul ne se permettra de contester avec son abbé insolemment ou en dehors du monastère.
10. Si quelqu'un se le permet, il subira les sanctions de règle.
11. De son côté, cependant, l'abbé fera tout dans la crainte de Dieu et le respect de la règle, sachant qu'il devra sans aucun doute rendre compte de tous ses jugements au juge souverainement équitable qu'est Dieu.
12. S'il est question de choses moins importantes pour le bien du monastère, il aura recours seulement au conseil des anciens,
13. comme il est écrit : « Fais tout avec conseil, et quand ce sera fait, tu ne le regretteras pas. »
R.B. 3, 7-13 De l’appel des frères en conseil
« Tous suivront en tout la règle comme leur maitresse… Personne au monastère ne suivra la volonté de son propre cœur »… Tous, personne : aussi bien les moines que l’abbé. Cette insistance est bonne aussi à entendre pour l’abbé qui doit lui-même chercher à ne pas faire la volonté de son propre cœur. Lui aussi, et personnellement, et en sa charge, cherche à faire la volonté de Dieu. « Il fera tout dans la crainte de Dieu et le respect de la règle » insiste Benoit. C’est la beauté de notre vie, et un des fruits les plus précieux à recueillir que d’acquérir cette capacité à prendre de la distance vis-à-vis de notre propre point de vue. Chacun, nous avons des idées, et une volonté pour les accomplir. Chacun, nous désirons faire des choses, et pour nous même et pour la communauté. Mais est-ce bien la volonté de Dieu sur nous et sur la communauté ? Comment être sûr que nous ne nous illusionnons pas sur nous-mêmes ? La vie commune avec son projet propre nous engage par nature à œuvrer, non d’abord pour notre bien personnel, mais pour le bien de tous. Comme moine cénobite, communautaire, nous y travaillons parfois laborieusement et nous goûtons aussi parfois la joie de voir notre réalisation personnelle intimement liée à celle de la vie de la communauté. Nous découvrons que nous devenons nous-mêmes au plus profond, non dans l’affirmation de soi, mais dans un certain effacement derrière le bien commun. Mais ceci est bien plus subtil que les mots essaient de le dire. En effet, cette alchimie par laquelle la somme des individus devient une communauté unie, sans pour autant dissoudre les singularités dans un grand tout sans visage, n’est pas une œuvre humaine. Tous les différents essais qu’a connu l’histoire jusqu’au communisme du 20°s, se sont tous révélés infructueux, jusqu’à devenir finalement totalitaires. La communion que notre vie de communauté voudrait signifier et qu’elle tend à vivre et à rebâtir sans cesse est une œuvre divine. L’insistance de Benoit pour que l’abbé, mais finalement aussi tous les moines craignent Dieu, pose les uns et les autres dans une relation triangulaire avec Dieu. C’est Lui qu’il s’agit d’écouter, de laisser nous guider, les uns avec les autres, les uns par les autres (fais tout avec conseil !), pour peu à peu devenir un dans un même projet de vie. Chacun suspend sa volonté immédiate par désir d’écouter la volonté de Dieu qui ouvre un possible avenir bâti ensemble bien plus riche que la somme de toutes nos richesses personnelles. Ce projet de Dieu sur nous, nous le cherchons, et au fur et à mesure nous le découvrons comme bon pour la communauté et bon pour chacun. Que le Seigneur nous donne la patience et l’humilité pour nous laisser malaxer à l’écoute de sa volonté pour nous aujourd’hui….
1. Chaque fois qu'il sera question au monastère de quelque chose d'important, l'abbé convoquera toute la communauté et dira lui-même de quoi il est question.
2. Une fois entendu le conseil des frères, il en délibérera à part soi et fera ce qu'il juge le meilleur.
3. Or si nous avons dit que tous seraient appelés au conseil, c'est que souvent le Seigneur révèle à un inférieur ce qui vaut le mieux.
4. Or donc les frères donneront leur avis en toute soumission et humilité, et ils ne se permettront pas de défendre leur opinion effrontément,
5. mais la décision dépendra de l'abbé : celle qu'il juge être plus opportune, tous y obéiront.
6. Toutefois, s'il sied aux disciples d'obéir au maître, il convient que celui-ci dispose toute chose avec prévoyance et justice.
R.B. 3, 1-6 De l’appel des frères en conseil
Ce chapitre reste une référence forte pour la manière de conduire nos réflexions et nos partages communautaires. Nous trouvons là une lumière précieuse : invitation faite à tous de donner son avis et en même temps à ne pas s’y attacher, nécessaire écoute mutuelle, et en particulier du plus jeune dans la foi que Dieu peut parler à travers lui, rôle de l’abbé dans la délibération que notre droit et nos coutumes tempèrent en donnant aussi une place déterminante à la communauté pour certaines décisions. Pour faire écho à ces lignes de Benoit, j’ai trouvé sous la plume de M. Delbrêl des recommandations faites à ses coéquipières qui consonnent bien. Je la cite : « Si nous demandons à celles qui y sont intéressées, de se soumettre en vérité à une décision prise, nous ne devons pas oublier de nous y soumettre nous-mêmes. Nous avons tendance à garder notre point de vue. Or ce point de vue une fois brassé avec celui des autres doit sortir de nous. Il a apporté ce qu’il devait apporter, il ne compte plus » (M. Delbrêl, Œuvres complètes, T. 14, Paris 2016, p 47). M. Delbrêl pointe bien ici une difficulté que nous pouvons tous éprouver un jour ou l’autre dans nos échanges communautaires, celle de ne pas parvenir à lâcher un point de vue, une fois une décision prise dans un sens qui ne correspond pas à celui que j’aurai envisagé ou souhaité. J’aime bien l’idée de Madeleine du brassage des points de vue, brassage au terme duquel va naitre une décision. Nous devons accepter que notre point de vue soit brassé avec tous les autres points de vue, qu’il sorte de nous et qu’il ne nous appartienne plus. C’est un travail de deuil peut-être, mais certainement de liberté. M. Delbrêl poursuit : « Notre démission vis-à-vis de nous-mêmes n’a de valeur que si nous endossons avec le sérieux même de la Providence, l’inter-contrôle de nos libertés. Dieu aura le droit de nous demander des comptes extrêmement stricts sur la place que dans nos pensées aura tenu la responsabilité mutuelle, que nous assumons pour aller toutes ensemble vers lui… » M. Delbrêl insiste ici sur la manière de cultiver dans notre pensée le sens de notre responsabilité mutuelle pour les décisions que nous prenons ensemble. Pouvoir assumer vraiment les décisions prises, même celles pour lesquelles je ne suis pas favorable, c’est être vraiment responsable de la communauté avec tous. Pouvoir assumer ces décisions, c’est aussi faire confiance à la Providence, et entrer dans un esprit de foi en Dieu. Le Seigneur en effet se sert des points de vue des uns et des autres, pour nous aider à discerner les contours que prendra sa Volonté pour nous, ici et maintenant. C’est une belle œuvre à laquelle il nous est proposé de consentir.
37. Et qu'il sache que, quand on se charge de diriger les âmes, on doit se préparer à en rendre compte.
38. Et autant il sait avoir de frères confiés à ses soins, qu'il soit bien certain qu'il devra rendre compte au Seigneur de toutes ces âmes au jour du jugement, sans parler de sa propre âme, bien entendu.
39. Et ainsi, craignant sans cesse l'examen que le pasteur subira un jour au sujet des brebis qui lui sont confiées, en prenant garde aux comptes d'autrui, il se rend attentif aux siens,
40. et en procurant aux autres la correction par ses avertissements, lui-même se corrige de ses vices.
R.B. 2, 37-40 Ce que doit être l’abbé
St Benoit n’est pas avare en allusions au jugement final, au cours duquel l’abbé devra rendre des comptes. C’est en effet la 5° mention qu’il fait dans ce chapitre sur l’abbé. Rendre compte : l’image est moins liée ici à l’intendant qu’au pasteur (7,9,32,39) à qui sont confiés les frères pour qu’il les conduise toutes vers le royaume et la vie éternelle. Cette exhortation vigoureuse faite à l’abbé joue le rôle de mise en garde pour qu’il n’oublie pas qu’il est au service du seul Bon Pasteur qu’est le Christ, lequel « nous conduira tous ensemble à la vie éternelle ».
Cette insistance de Benoit sur le jugement final qui ne nous est pas familière, est cohérente cependant avec sa vision assez verticale de l’autorité de l’abbé. Celle-ci est comprise dans la lumière et au service de l’autorité du Christ. C’est ce regard de foi qui prime, invitant l’abbé et les frères à le faire leur. Dans cette dynamique, l’abbé est comme placé sous l’autorité directe de Dieu, ce que le jugement final manifestera pleinement. Aussi l’abbé doit-il garder à l’esprit la pensée du jugement final, cette pensée jouant le rôle de « garde-fou » pour lui éviter tout faux-pas grave et dommageable pour les frères. Il est intéressant que Benoit ne mette pas en évidence, un autre garde-fou qui pourrait pourtant fonctionner : la communauté et les régulations fraternelles et humaines, puisque l’abbé a été choisi par les frères. Ce point nous distingue fortement de lui, et met en évidence les changements de vision qui nous séparent. Aujourd’hui, nous sommes plus sensibles à faire valoir ce recours humain et fraternel comme garde-fou ou contre-poids à l’autorité de l’abbé. Nos constitutions et nos coutumes laissent ainsi une place plus grande à ces structures horizontales comme autant de régulations de l’autorité de l’abbé (chapitre conventuel, conseil, visite canonique …). Dès cette vie présente, et pas seulement demain lors du jugement, l’abbé doit rendre compte de sa manière de guider la communauté. L’abbé vit non seulement sous le regard de Dieu, mais aussi sous le regard de ses frères. Si le danger de cette régulation peut-être de paralyser l’abbé, la chance d’une telle perspective est la prise au sérieux de la responsabilité de tous les frères dans la marche de la communauté. Ceux-ci peuvent interpeller l’abbé ou poser des questions, ou encore faire appel à des recours extérieurs. Les frères sont ainsi acteurs, non seulement de leur propre progrès, mais aussi, avec l’abbé acteurs, chacun à sa place, de la vie du monastère.
30. L'abbé doit toujours se rappeler ce qu'il est, se rappeler le titre qu'on lui donne, et savoir que « plus on commet à la garde de quelqu'un, plus on lui réclame ».
31. Et qu'il sache combien difficile et ardue est la chose dont il s'est chargé, de diriger les âmes et de se mettre au service de caractères multiples : l'un par la gentillesse, un autre par la réprimande, un autre par la persuasion... ;
32. et selon la nature et l’intelligence d’un chacun, il se conformera et s’adaptera à tous, de façon non seulement à ne pas subir de perte dans le troupeau commis à sa garde, mais aussi à se féliciter de l’accroissement d’un bon troupeau.
33. Avant tout, qu'il ne laisse point de côté ni ne compte pour peu de chose le salut des âmes commises à sa garde, en prenant plus de soin des choses passagères, terrestres et temporaires,
34. mais qu'il songe sans cesse qu'il est chargé de diriger des âmes, dont il devra aussi rendre compte.
35. Et pour ne pas se plaindre d'un éventuel manque de ressources, qu'il se souvienne qu'il est écrit : « Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît » ;
36. et encore : « Rien ne manque à ceux qui le craignent. »
R.B. 2, 30-36 Ce que doit être l’abbé
Dans ces quelques lignes, st Benoit porte un regard assez paradoxal sur la fonction de l’abbé. En effet, celui-ci est chargé de diriger les âmes et de se mettre au service de caractères multiples. Diriger et se mettre au service. Habituellement, dans nos fonctionnements humains, ces deux actions ne sont pas perçues pour aller ensemble. Soit on dirige, soit on est au service. Peut-être est-ce cela qui est ardu et difficile pour reprendre les mots de Benoit : tenir ensemble et diriger et se mettre au service. Tout au long du paragraphe, Benoit tient la tension. En effet, il maintient fortement le fait que l’abbé doive diriger les âmes, en ajoutant que ce n’est pas « peu de chose le salut des âmes commises à sa garde », et qu’il doit « songer sans cesse qu’il est chargé de diriger des âmes dont il devra aussi rendre compte ». Et par ailleurs concernant le fait de « se mettre au service de caractères multiples », Benoit ajoute que « selon la nature et l’intelligence d’un chacun, il se conformera et s’adaptera à tous ».
Comment comprendre cette tension dans laquelle Benoit place la charge de l’abbé ? Y-a-t-il d’autres clés que la contemplation du mystère du Christ ? Si l’abbé est explicitement sommé de ne pas oublier qu’il devra rendre des comptes au jour du jugement de sa manière d’avoir guidé et rassemblé son troupeau, il lui est demandé au début de notre paragraphe de « se rappeler ce qu’il est et le titre qu’on lui donne ». Comme nous l’avons déjà vu ce titre d’abbé renvoie à l’autorité du Christ qu’il représente. Si les frères sont invités à croire pour reconnaitre en l’abbé une autorité qui renvoie à celle du Christ, l’abbé lui-même est engagé à ne pas oublier toutes les implications de ce titre qu’on lui donne. En quelque sorte, l’abbé doit lui-même sans cesse regarder le Christ et contempler son mystère. Le Christ a enseigné, guidé ses disciples en se faisant proche et en les rejoignant par son langage simple et ses gestes immédiatement compréhensibles. Lui, le Seigneur et le maitre s’est fait leur serviteur. Aujourd’hui, nous n’aimons pas, avec raison, parler de « diriger » les âmes. Que retenir dès lors de ces lignes de St Benoit pour l’abbé et pour tous ceux qu’on appelle plus volontiers aujourd’hui « accompagnateurs » ? Peut-être qu’ils sont conviés à la fois à espérer et vouloir le meilleur pour l’autre, son salut, sa croissance, une vie en plénitude en donnant une parole, en interpellant parfois, et à la fois ils sont invités à se mettre au service et à écouter le mystère que chacun porte, en acceptant de ne pas savoir ni pouvoir marcher à la place de l’autre dans la liberté de son chemin.
23. Dans son enseignement, d'autre part, l'abbé doit toujours observer la norme que l'Apôtre exprime ainsi : « Reprends, supplie, réprimande »,
24. c'est-à-dire que, prenant successivement des attitudes diverses, mêlant les amabilités aux menaces, il se montrera farouche comme un maître et tendre comme un père.
25. C'est dire qu'il doit reprendre durement les indisciplinés et les turbulents, supplier d'autre part les obéissants, les doux et les patients de faire des progrès ; quant aux négligents et aux méprisants, nous l'avertissons de les réprimander et de les reprendre.
26. Et qu'il ne laisse point passer les fautes des délinquants, mais qu'il les retranche jusqu'à la racine dès qu'elles commencent à se montrer, pendant qu'il en a encore le pouvoir, se souvenant de la condamnation d'Héli, le prêtre de Silo.
27. Les âmes bien nées et intelligentes, qu'il les reprenne une et deux fois par des admonitions verbales,
28. mais les mauvais sujets, durs, orgueilleux, désobéissants, que les coups et le châtiment corporel les arrêtent dès le début de leur faute, vu qu'il est écrit : « On ne corrige pas un sot avec des mots »,
29. et encore : « Frappe ton fils de la verge et tu délivreras son âme de la mort. »
R.B. 2, 23-29 Ce que doit être l’abbé
Un nouveau devoir incombe à l’abbé, celui de « reprendre, supplier et réprimander… ». C’est la partie la plus redoutable du ministère abbatial. Elle est dans la continuité de son ministère d’enseignement…Il enseigne, mais parfois cela résiste… Il rappelle des façons de faire pour que nous marchions ensemble. Mais des frères continuent de marcher comme si de rien n’était. Aveuglement ? Endurcissement ? Faiblesse ? Oubli ? Ici l’abbé doit discerner d’où vient la résistance et en fonction adapter sa manière de corriger : par l’encouragement ou par la remontrance.
St Benoit demande à l’abbé de ne pas relâcher son attention pour aider les frères à progresser. Car il est serviteur d’un projet plus grand que lui. A travers sa parole et son ministère, Dieu veut dire quelque chose au frère et réaliser son projet d’amour sur le frère. Ce dernier a choisi la vie monastique pour se convertir, pour marcher plus concrètement et plus réellement à la suite du Christ. Normalement, il est prêt à accepter toute remarque pour avancer… Quelques frères me disent de temps en temps : « surtout n’hésite pas à me dire s’il y a quelque chose qui ne va pas, que je dois corriger… » Est-ce que chacun a en lui cette disposition intérieure libre pour recevoir une remarque ou une remontrance éventuelle ? Si on ne sent pas très libre, voulons-nous le devenir davantage ? C’est là que se joue vraiment pour chacun le dynamisme de la conversion. Voulons-nous vraiment progresser ? Acceptons-nous d’être aidés par une parole autre qui vient éclairer la part aveugle de nos comportements ? Cette question est centrale. Si nous cultivons en nous ce désir, si chaque jour, devant Dieu nous lui demandons cette grâce de progresser, nous accepterons plus profondément les remarques ou les remontrances qui viendront toujours nous déranger…. Nous sommes si aveugles sur nous-mêmes !
Plus le frère cultivera en lui cette liberté et ce désir de progresser, et plus il acceptera d’être éventuellement corrigé, plus l’abbé pourra être regardé comme un père, et non plus comme un surveillant ou comme un gardien que l’on craint. Derrière cela, c’est la propre relation de chacun avec Dieu qui se dessine : le laisse-ton vraiment nous conduire, nous enseigner, et éventuellement nous corriger, parce qu’on a confiance en Lui comme envers un Père ?
11. Quand donc quelqu'un prend le titre d'abbé, il doit diriger ses disciples par un double enseignement,
12. c'est-à-dire qu'il montrera tout ce qui est bon et saint par les actes plus encore que par la parole. Ainsi, aux disciples réceptifs il exposera les commandements du Seigneur par la parole, aux cœurs durs et aux plus simples il fera voir les préceptes divins par ses actes.
13. Inversement, tout ce qu'il enseigne aux disciples à regarder comme interdit, qu'il fasse voir par ses actes qu'on ne doit pas le faire, « ;de peur qu'en prêchant aux autres, il ne soit lui-même réprouvé »,
14. et qu'un jour Dieu ne lui dise, à cause de ses péchés : « ;Pourquoi proclames-tu mes ordonnances et recueilles-tu dans ta bouche mon alliance, alors que tu hais la discipline et que tu as rejeté mes paroles derrière toi ? ;»
15. Et : « Toi qui voyais le fétu dans l'œil de ton frère, dans le tien tu n'as pas vu la poutre. »
R.B. 2, 11-15 Ce que doit être l’abbé
D’où vient le fait que chacun de nous est plus sensible aux actes qu’aux paroles, aux exemples concrets qu’à l’enseignement ? St Benoit distingue les disciples réceptifs plus ouvert aux enseignements des disciples aux cœurs durs ou plus simples ouverts aux exemples. En fait, il y a certainement en nous les deux types de personnes, avec une part ouverte et une part fermée plus ou moins aveugle. Aussi chacun de nous est plus sensible aux actes et aux exemples parce qu’en eux se manifeste d’emblée une cohérence de vie. Tous, nous sommes désireux de cohérence pour nous-mêmes et pour les autres. Et la cohérence que nous cherchons tous à faire grandir dans nos vies n’est pas petite. Elle n’est rien moins que la cohérence évangélique. Une cohérence et une logique face auxquelles nous sommes tous en deçà. Mais nous pourrions nous tromper sur l’objectif : celui de penser cette cohérence comme une performance à atteindre et qui, une fois atteinte, nous laisserait quittes. Non, cette cohérence évangélique qui peut se dessiner un moment à notre intelligence, nous échappe très vite. Elle demeure devant nous comme un appel. De la sorte face à elle aucun ne peut s’enorgueillir de l’avoir atteinte. Tous, nous commençons chaque jour, comme nous l’entendions hier aux vigiles de la part de St Antoine.
Quand l’abbé doit montrer par sa vie ce qu’il enseigne, doit-il montrer une perfection ? Et quelle perfection ? Ou doit-il simplement témoigner de l’élan qui l’habite, élan qu’il doit lui aussi travailler et alimenter par la prière et par l’exercice quotidien de la vie commune ? A défaut de montrer qu’il arrive à faire ce que la règle demande à tous, il doit témoigner qu’il essaie lui-aussi d’affronter ses exigences pour les laisser transformer sa vie. Comme pour chacun, l’abbé peut avoir des occasions de se servir au lieu de servir, de prendre ou de faire pour soi ce que les autres ne peuvent pas prendre ou faire. Surtout dans les sorties par exemple ou dans les lieux plus solitaires. Pouvoir vivre alors selon la règle commune à tous les frères sans profiter de sa position est parfois un combat, mais certainement aussi une belle occasion de laisser grandir en soi cette cohérence évangélique qui unifie notre vie. Le bonheur n’est-il pas là ? Non dans l’assouvissement de petits ou grands plaisirs, mais dans la croissance d’une unification de l’être sous le regard de Dieu et la bienveillance des frères. On cherche, on avance. Parfois, on recule, mais on cherche cette unification encore de nouveau. Une certitude, le Seigneur est avec nous. Il n’est jamais chiche dans son aide lorsque nous la lui demandons.
1. L'abbé qui est digne de gouverner le monastère, doit toujours se rappeler le titre qu'on lui donne, et vérifier par ses actes le nom du supérieur.
2. Il apparaît en effet comme le représentant du Christ dans le monastère, puisqu'on l'appelle d’un des noms de celui-ci,
3. selon le mot de l'Apôtre : « Vous avez reçu l'esprit d'adoption filiale, dans lequel nous crions : abba, père ! »
4. Aussi l'abbé ne doit-il rien enseigner, instituer ni commander qui soit en-dehors du précepte du Seigneur,
5. mais son commandement et son enseignement s'inséreront dans l'esprit de ses disciples comme un levain de justice divine.
6. L'abbé se rappellera toujours que son enseignement et l'obéissance des disciples, l'une et l'autre chose, feront l'objet d'un examen au terrible jugement de Dieu.
7. Et l'abbé doit savoir que le pasteur portera la responsabilité de tout mécompte que le père de famille constaterait dans ses brebis.
8. En revanche, si le pasteur a mis tout son zèle au service d'un troupeau turbulent et désobéissant, s'il a donné tous ses soins à leurs actions malsaines,
9. leur pasteur sera absous au jugement du Seigneur et il se contentera de dire au Seigneur avec le prophète : « Je n'ai pas caché ta justice dans mon cœur, j'ai dit ta vérité et ton salut. Mais eux s'en sont moqués et ils m'ont méprisé. »
10. Et alors, les brebis qui auront désobéi à ses soins auront enfin pour châtiment la mort triomphante.
St Benoit emprunte en bonne part ce chapitre de l' abbé au chapitre 2 la Règle du Maitre qui porte le même titre. Il y a cependant des différences. Je note ainsi qu'à la fin de son chapitre 2, le Maitre parle de l'abbé comme de « l'artisan du saint art » (RM 2, 51). Je le cite : « L'abbé sera l'artisan du saint art que nous allons dire. Ce n'est pas à lui-même qu'il attribuera le
ministère de cet art, mais au Seigneur, dont la grâce opère en nous toute oeuvre saintement accomplie par nous». Pour le Maitre, l'abbé est ainsi un artisan du saint art. Il exerce le ministère d'enseigner !'art spirituel, art que le chapitre suivant développe, et qui correspond au chapitre 4 de la RB.
Cette image de l'abbé artisan me parait suggestive pour comprendre la place de l'abbé que les moines sont invités à croire et à reconnaitre comme père, comme figure de l'autorité du Christ. Fondamentalement, c'est le Christ qui est Père pour Benoit. Parler de l'abbé comme père dit le sens ultime de sa fonction : permettre à chacun et à tous, de se mettre sous l'autorité du seul Père, le Christ. A côté de la figure du père, la figure de !'artisan dit le serviteur qui remplit des tâches pour que chacun et tous ensemble au monastère vivent selon la volonté de
Dieu. L'abbé-père fait signe. L'abbé-artisan fait des choses. L'abbé du monastère est un frère choisi parmi ses frères, pour être à la fois le signe de cette paternité du Christ sous l'autorité duquel on veut vivre, et à la fois il est ce frère qui a la mission précise d'enseigner, mais aussi de corriger, rassembler, entrainer comme nous le verrons plus tard.
Il enseigne. Une des conséquences du titre d'abbé qu'on lui donne, c'est qu'il ne « doit rien enseigner, instituer ni commander qui soit en dehors du précepte du Seigneur, mais son commandement et son enseignement s'insèreront dans l'esprit de ses disciples comme un levain de justice divine ». L'abbé qui enseigne est cet artisan qui est lui-même un instrument au service de la parole divine. S'il ne doit pas s'écarter du précepte du Seigneur, il n'est pas condamné à simplement répéter. Non, il est invité à se laisser lui-même travailler par la Parole
de Dieu, par l'enseignement du Christ, afin que ses propres paroles, ses commandements, tout ce qu'il dit soit comme un « ferment de justice divine » dans l'esprit de ses frères. Lourde responsabilité qui ne peut-être que l'oeuvre de la grâce, grâce qui peut faire de la faiblesse des mots ou des gestes d'un homme une lumiere ou une source de vie. Je vous remercie de prier pour moi.