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1. A la porte du monastère on placera un vieillard sage, qui sache recevoir et donner une réponse, et dont la maturité ne le laisse pas courir de tous côtés.
2. Ce portier doit avoir son logement près de la porte, afin que les visiteurs le trouvent toujours présent pour leur répondre.
3. Et aussitôt que quelqu'un frappe ou qu'un pauvre appelle, il répondra Deo gratias ou Benedic ,
4. et avec toute la douceur de la crainte de Dieu, il se hâtera de répondre avec la ferveur de la charité.
5. Si ce portier a besoin d'aide, il recevra un frère plus jeune.
« Il répondra ‘Deo gratias’ ou ‘Benedic’ ». Comment comprendre ces réponses données par le portier à ceux qui frappent à la porte du monastère ? Pour la première ‘Deo gratias’, saint Augustin en offre des éléments de compréhension quand il dit dans un commentaire du Ps 132, 6 : « Que signifie ‘Grâce à Dieu’ ? Parler ainsi c’est remercier Dieu. Or vois si un frère ne doit pas rendre grâce à Dieu quand il rencontre un autre frère. Quand ceux qui demeurent en Jésus-Christ se voient mutuellement, n’y-a-t-il pas lieu de se féliciter ? » (cf in M. Puzicha, TII p. 295). On rend grâce à Dieu parce qu’on se reconnait frère, et qu’il est au milieu de nous, ou parce que dans le frère on reconnait Dieu. La seconde formule ‘Benedic’, elle, équivaut à une demande de bénédiction telle qu’on la trouve dans le chapitre 63, 15 qui incite les plus jeunes à demander la bénédiction de l’ancien, ou dans le chapitre sur les hôtes lorsqu’on les rencontre sans s’attarder, en leur demandant simplement leur bénédiction (53,24). Ces formules quasiment liturgiques étaient semble-t-il comprise et entendue par beaucoup. Elles témoignent d’un profond esprit de foi. Dans l’étranger qui frappe à la porte, on reconnait d’emblée soit un frère dans la foi pour lequel on rend grâce à Dieu, soit même le Christ dont on désire recevoir la bénédiction.
Je suis sensible à ces témoignages de foi dont la règle porte la trace. Quand on y réfléchit, le fait de regarder l’inconnu qui arrive dans un regard de foi, pour en rendre grâce à Dieu, génère une attitude de profonde humanité. Le portier mû par « la douceur de la crainte de Dieu », répond avec « la ferveur de la charité »…. La foi suscite la charité, elle l’alimente et la fortifie. Il n’est jamais facile pour le portier et les hôteliers, d’être souvent dérangés par les hôtes ou les personnes de passage qui ne manquent pas. Humainement ce peut-être à la limite de nos forces. St Benoit, ici, nous donne une piste à creuser : cultiver le regard de foi. Quand un hôte arrive et dérange, apprendre à reconnaitre le Christ, Dieu qui nous visite ou qui nous fait signe… En reconnaissant ainsi le Seigneur, nous nous décentrons de nos préoccupations et du désir de maitriser notre temps. Nous apprenons à nous recevoir de Lui, dont la Volonté est bonne. S’il survient, à travers cet hôte, inattendu, il désire sûrement nous dire quelque chose…Peut-être simplement déjà, nous inviter à lui remettre notre temps et tous nos plans… C’est Lui qui conduit nos vies. Il nous invite à la souplesse, et surtout à aimer tous ceux qui passent. Qu’Il nous vienne en aide pour dire plus librement « Deo gratias » Merci à Dieu. (20.03.15)
11. Aussi nous semble-t-il opportun, pour la sauvegarde de la paix et de la charité, que l'abbé règle à son gré l'organisation de son monastère.
12. Si faire se peut, c'est par des doyens que l'on organisera, comme nous l'avons établi antérieurement, tous les services du monastère, selon que l'abbé l'établira.
13. Ainsi, plusieurs en étant chargés, un seul ne s'enorgueillira pas.
14. Si le lieu l'exige ou si la communauté le demande raisonnablement avec humilité et que l'abbé le juge opportun,
15. l'abbé choisira qui il voudra avec le conseil des frères qui craignent Dieu, et il se l'ordonnera lui-même comme prévôt.
16. Ce prévôt, cependant, exécutera respectueusement ce que son abbé lui commande, sans rien faire contre la volonté ou les ordres de l'abbé,
17. car plus il est élevé au-dessus des autres, plus il lui faut observer avec soin les prescriptions de la règle.
18. Si ce prévôt se montre vicieux ou que, séduit par l'élèvement, il s'enorgueillisse, ou qu'il soit convaincu de mépris pour la sainte règle, on l'avertira verbalement jusqu'à quatre fois.
19. S'il ne s'amende pas, on lui appliquera la correction des sanctions de règle.
20. Si même alors il ne se corrige pas, on le destituera de son rang de prévôt, et l'on mettra à sa place un autre qui en soit digne.
21. Si même ensuite il n'est pas tranquille et obéissant en communauté, on ira jusqu'à le chasser du monastère.
22. Cependant l'abbé songera qu'il doit rendre compte à Dieu de tous ses jugements, de peur que le feu de l'envie ou de la jalousie ne brûle son âme.
Tout d’abord ce chapitre me donne l’occasion de dire merci au f. Yvan pour son service de prieur et pour son attention à chacun. Il contribue à la « la sauvegarde de la paix et de la charité » dans la communauté…Pour Benoit, sauvegarder la paix et la charité n’est pas une des moindres missions de l’abbé dans le monastère. Il la facilite en réglant l’organisation des charges, ici du prieur, mais aussi de la vie quotidienne avec justice. Benoit note aussi l’importance du rôle des doyens. Plus généralement, aujourd’hui aussi, la consultation et l’écoute de la communauté facilite une bonne organisation de la vie communautaire, comme nous l’expérimentons avec nos recherches autour de l’office des vigiles.
En a-t-on fini pour autant avec « la sauvegarde de la paix et de la charité », quand on a bien organisé le monastère ? L’organisation ne sera jamais parfaite. Elle pourra parfois susciter des frustrations ou des insatisfactions, liées aux faiblesses humaines ou aux lenteurs inévitables. Elle n’empêchera pas les inévitables frottements et les conflits petits ou grands. Comment alors demeurer dans la paix et dans la charité ? Ici Benoit parle de l’élèvement ou de l’orgueil qui peut guetter le prieur, mais aussi de l’envie ou de la jalousie qui peut brûler l’âme de l’abbé. Ce réalisme des écueils toujours possibles peut nous renvoyer chacun à notre travail intérieur de vigilance pour ne pas laisser les pensées mauvaises et troublantes nous envahir. La « sauvegarde (custodia) de la paix et de la charité » n’est pas sans rappeler « la garde des pensées ». J’évoquais l’autre fois les tempêtes intérieures qui peuvent survenir si on n’y prend pas garde. La question nous est posée : Quand nous voyons le vent venir, celui des pensées troubles qui commencent à nous envahir, allons-nous lui ouvrir la porte et les fenêtres de notre cœur ? Allons-nous le laisser nous habiter, ou bien allons-nous lui interdire l’accès ?
Je cite un apophtegme qui nous dit ce combat : Certains demandèrent un jour à abba Sylvain : « Quel genre de vie as-tu pratiqué pour obtenir cette sagesse ? ». Et il leur répondit : « Jamais, je n’ai laissé pénétrer dans mon cœur une pensée attirant la colère de Dieu » (Sylvain 6). (19.03.15)
1. Trop souvent il est arrivé que l'ordination d'un prévôt engendre de graves conflits dans les monastères.
2. Il en est en effet qui s'enflent d'un méchant esprit d'orgueil et qui, estimant être de seconds abbés, usurpent le pouvoir, entretiennent des conflits et mettent la dissension dans les communautés,
3. surtout dans les lieux où le prévôt reçoit l'ordination du même évêque et des mêmes abbés qui ordonnent l'abbé.
4. Combien cela est absurde, il est facile de s'en rendre compte : dès le début, dès son ordination, on lui donne matière à s'enorgueillir,
5. ses pensées lui suggérant qu'il est soustrait à l'autorité de son abbé,
6. puisque « toi aussi, tu as été ordonné par les mêmes qui ont ordonné l'abbé. ;»
7. Il en résulte envies, disputes, médisances, rivalités, dissensions, destitutions,
8. et ainsi, abbé et prévôt étant de sentiments opposés, il est inévitable que leurs âmes soient en danger, tant que durent ces dissensions,
9. et leurs subordonnés courent à leur perte, du fait qu'ils flattent leurs partisans.
10. La responsabilité de ce dangereux fléau pèse au premier chef sur ceux qui se sont faits les auteurs d'un tel désordre.
« Il est inévitable que leurs âmes soient en danger, tant que durent ces dissensions, et leurs subordonnés courent à leur perte ». Quand Benoit évalue les dégâts causés par les dissensions provoqués en communauté, ici par le prieur, il songe d’abord aux préjudices spirituels pour toutes les personnes impliquées : l’abbé, le prieur, et les partisans de l’un et l’autre. Les personnes et la communauté sont en danger. Elles se sont laissées gagnées de l’intérieur par le mal de l’orgueil, de l’envie et de la médisance. Du coup elles ne sont plus en capacité de prendre du recul. Elles sont débordées intérieurement, incapables de se maitriser. Il en découle disputes, dissensions, rivalités…
Ces lignes peuvent tous nous ramener à la modestie si nous sommes un peu lucides. Tous nous sommes fragiles. Dans des situations d’adversité, nous pouvons connaitre des tempêtes intérieures, soit très sporadiques, soit très lancinantes. Elles nous secouent et nous ballottent au gré des pensées de colère, d’amertume, de jalousie, ou bien au gré du vent plus sournois de la tristesse qui assombrit tous les horizons. Que faire ? Comment faire la lumière ? Avoir le courage de parler est notre recours immédiat. Parler peut nous aider à revenir à la réalité de laquelle les pensées troublantes nous ont souvent tirés, nous faisant errer comme un bateau perdu, loin des côtes. Celui qui a pris cette habitude de parler ces propres tempêtes intérieures saura mieux repérer les petites tempêtes qui ne manquent pas au quotidien. Il apprendra à aussi mieux les contourner ou à les apaiser. Prier le Seigneur de la paix qui connait, et notre cœur et celui de notre adversaire présumé. Il peut lui seul donner la lumière et la douceur…Il le fera d’autant plus facilement que nous lui abandonnons notre propre misère, sans plus nous préoccuper de vouloir changer les autres.
Mais Benoit veut aussi veiller à la manière d’organiser la vie commune. Elle sera juste et équilibrée pour ne pas donner prise à ces vents de tempêtes. Dans la maison de Dieu, les choses doivent être réglées sagement (cf RB 53,22). Il désire donc ici proposer une solution juste pour la possibilité d’avoir un prieur en communauté soit un facteur de paix. Il revient à l’abbé d’y veiller. (17.03.15)
16. Il ne sera pas agité et inquiet, il ne sera pas excessif et obstiné, il ne sera pas jaloux et soupçonneux à l'excès, car il ne serait jamais en repos.
17. Dans les ordres qu'il donne, il sera prévoyant et réfléchi, et que l'œuvre qu'il commande soit selon Dieu ou selon le siècle, il usera de discrétion et de mesure,
18. en songeant à la discrétion de saint Jacob, qui disait : « Si je fais peiner davantage mes troupeaux à marcher, ils mourront tous en un jour. »
19. Prenant garde à ce texte et aux autres sur la discrétion, mère des vertus, il mettra de la mesure en tout, en sorte que les forts aient à désirer et que les faibles n'aient pas à prendre la fuite.
20. Et surtout, qu'il garde en tous ses points la présente règle,
21. afin qu'après avoir bien servi, il entende le Seigneur lui dire, comme au bon serviteur qui distribua en son temps le froment à ses compagnons de service :
22. « En vérité, je vous le dis, il l'établira sur tous ses biens. »
« Prenant garde à ce texte et aux autres sur la discrétion, mère des vertus, il mettra de la mesure en tout …» La discrétion, on dirait aujourd’hui le discernement, mère des vertus, selon Cassien, est encore appelée « la voie royale » dans un apophtegme que je cite :
Abba Joseph interrogea abba Poemen : « Comment faut-il jeûner ? » Abba Poemen lui dit : Pour ma part, je préfère que celui qui mange chaque jour mange peu, afin de ne pas se goinfrer ». Abba Joseph lui dit : « Lorsque tu étais plus jeune, ne jeûnais-tu pas deux jours de suite, abba ? Et le vieillard dit : » En vérité, même trois jours, et quatre, et toute la semaine. Et tout cela, les Pères l’éprouvèrent comme ils en étaient capables ; et ils trouvèrent préférable de manger chaque jour, mais en petite quantité ; et ils nous livrèrent la voie royale, qui est légère »… (Poemen, 31).
La « voie royale » du discernement est « légère » (ici à propos du jeûne fait avec modération), car elle permet aux forts de désirer et aux faibles de ne pas prendre la fuite. Sans cette voie royale, une vie en communauté n’est pas possible. Il s’agit de permettre à chacun de donner pleinement toute sa mesure, avec les forces qui sont les siennes. Cela exige de l’abbé une attention réelle aux frères pour soutenir et encourager à progresser, sans décourager. Les frères de leur côté, sont aussi appelés à un discernement continuel, pour reconnaitre les appels de l’Esprit à grandir et à se libérer des chaines petites ou grandes. Car qui peut prétendre être libre et exempt de progrès à accomplir ?
Discerner est un don du Saint Esprit qu’il nous faut tous demander, l’abbé et les frères. Le demander, c’est le désirer. Le désirer, nous met en disposition d’écouter la volonté du Seigneur, au jour le jour. Le Seigneur ne nous attend pas pour réaliser des choses extraordinaires, mais pour faire celles qui contribueront à son dessein de salut pour nous et pour le monde. En vivant notre ministère de louange et de prière, en nous donnant dans service humble de nos frères, en cultivant la gratuité et l’offrande cachées de nous-mêmes, nous vivons selon le commandement de l’amour de Dieu premier servi, et de l’amour de nos frères. Quand nous recherchons cette « voie royale du discernement », nous apprenons à nous décentrer de nous-même, pour nous tourner plus résolument vers le Seigneur, vers les autres… simplement comme de bons serviteurs. (14.03.15)
7. Quant à l'abbé qui a été ordonné, il songera toujours à la charge qu'il a reçue et à celui auquel il devra « ;rendre compte de sa gestion ;».
8. Il saura qu'il doit plutôt « servir que régir ».
9. Il doit donc être « savant » dans la loi divine, pour savoir et avoir d'où « tirer le neuf et l'ancien », chaste, sobre, miséricordieux.
10. Et que « la miséricorde l'emporte toujours sur le jugement », afin qu'il obtienne pour lui le même traitement.
11. « Qu'il haïsse les vices et qu'il aime les frères. »
12. Dans ses réprimandes même, qu'il agisse prudemment et « ;sans rien de trop », de peur qu'en voulant trop gratter la rouille, il ne brise le vase.
13. Il ne perdra jamais de vue sa propre fragilité, et se souviendra « ;qu'il ne faut pas écraser le roseau cassé. »
14. Nous ne voulons pas dire par là qu'il permettra aux vices de se développer, mais qu'il les retranchera prudemment et avec charité, suivant qu'il lui semblera opportun pour chaque individu, comme nous l'avons déjà dit.
15. Et il s'efforcera « d'être plus aimé que redouté ».
Cette page compte parmi les plus belles de la Règle. Elle se détache de l’ensemble par son équilibre et sa profonde humanité. Benoit demande beaucoup à l’abbé. De manière synthétique, et moderne, on pourrait dire qu’il demande à l’abbé de mettre la personne, le frère, au centre de toutes ses préoccupations.
Le frère servi d’abord, avant le souci de son pouvoir ou de son autorité : « servir plutôt que régir ». Le frère aimé, non jugé, regardé avec miséricorde, alors que ses vices sont haïs. Le frère considéré avec prudence et charité dans les réprimandes qui lui sont faites, sans chercher à trop gratter, ni à écraser le roseau cassé…
Pour vivre cet équilibre fait de prudence et de charité, Benoit donne deux conseils à l’abbé : puiser dans les Ecritures pour « savoir et avoir d’où tirer du neuf et de l’ancien », et ne jamais perdre de vue « sa propre fragilité ». D’un côté, connaissance de la façon de faire de Dieu lui-même avec ses enfants, connaissance de sa pédagogie qui n’a qu’un souci : notre salut. Et de l’autre connaissance de soi afin de mieux savoir rejoindre l’autre dans sa recherche, dans ses tâtonnements…sans trop d’illusion sur soi-même.
En préparant ce chapitre, j’ai trouvé deux apophtegmes qui disent en positif et en négatif la disposition que doit avoir l’abbé :
« Un frère qui avait péché fût chassé de l’église par le prêtre. Abba Bessarion se leva et se joignit à lui en disant : « Moi aussi, je suis un pécheur ». (Bessarion 7)
« Abba Isaac le Thébain vint un jour dans un coenobium et, voyant un frère commettre un péché, le condamna. Lorsqu’il revint au désert, un ange du Seigneur vint se tenir devant la porte de sa cellule disant : « Je ne te laisse pas entrer ». Mais lui insista disant : « Qu’y a-t-il ? » Et l’ange lui répondit : « Dieu m’a envoyé te demander où tu désires qu’il jette le frère coupable que tu as condamné ». Aussitôt, il se repentit et dit : « J’ai péché, pardonne-moi ». Et l’ange dit : « Lève-toi, Dieu t’a pardonné. Mais dorénavant, garde-toi de juger quelqu’un avant que Dieu ne l’ait fait ». (Isaac le Thébain, 1) - 2015-03-13
1. Dans l'ordination de l'abbé, on prendra toujours pour règle d'instituer celui que se sera choisi toute la communauté unanime dans la crainte de Dieu, ou même une partie de la communauté, si petite soit-elle, en vertu d'un jugement plus sain.
2. C'est pour le mérite de sa vie et la sagesse de son enseignement que l'on choisira celui qui doit être ordonné, même s'il est le dernier par le rang dans la communauté.
3. Si même toute la communauté choisissait d'un commun accord une personne complice de ses vices, – ;à Dieu ne plaise ;! ;–
4. et que ces vices viennent tant soit peu à la connaissance de l'évêque au diocèse duquel appartient ce lieu et des abbés ou des chrétiens du voisinage,
5. ils empêcheront la conspiration des méchants de l'emporter, et ils institueront dans la maison de Dieu un administrateur qui en soit digne,
6. sachant qu'ils en recevront une bonne récompense, s'ils le font avec une intention pure et par zèle pour Dieu, de même qu'ils commettraient au contraire un péché, s'ils négligeaient de le faire.
Comment choisir l’abbé ? St Pacôme, et les moines d’Egypte prévoyaient qu’il soit désigné par le supérieur en place. De même les Pères du Jura, et le Maitre. Pour St Basile, le supérieur sera élu par « des prieurs d’autres communautés » (cf Michaela Puzicha, Commentaire de la RB, 2015, p 264). Le Maitre précise encore que si le supérieur décède avant de nommer son successeur, ce soit l’évêque qui désigne le supérieur du monastère. Le Code de Justinien requiert de même que l’évêque choisisse l’abbé. Seul St Honorat de Lérins, qui lui-même nomme son successeur, demande à ce dernier que le suivant soit élu par la communauté. En voyant cette diversité de pratiques antérieures à Benoit (Pacôme, Pères du Jura, Basile et Lérins) ou plus contemporaines (comme le Maitre ou Justinien), on mesure la part d’originalité dont il a dû faire preuve. Cette comparaison fait ressortir aussi la force de conviction de Benoit qui fait délibérément confiance à la communauté. Celle-ci est apte à désigner son supérieur. S’il mentionne les écarts possibles d’une majorité, voire de la totalité de la communauté, ceux-ci ne sont pas des raisons suffisantes pour lui enlever ce droit à élire son supérieur. Dans ces cas extrêmes seulement devra intervenir l’autorité ecclésiale.
A propos de cette intervention ecclésiale, je voudrais noter deux points. Le premier, les moines ne sont pas isolés, mais insérés et membre à part entière de l’Eglise qui a un droit de regard sur leur vie. Celle-ci est invitée à intervenir, sous peine de péché d’omission, s’il y a des abus à corriger. On retrouve en filigrane l’injonction de Jésus : « si ton frère vient à pécher, va trouver ton frère, puis… dis-le à la communauté … (Mt 18,15-18) ». Le second point est la vision ecclésiale qui se dégage de ces lignes quand Benoit évoque non seulement les évêques, mais aussi les autres abbés et même les chrétiens du voisinage. Quand il pense Eglise, il pense tout le peuple de Dieu, pourrait-on dire. C’est toute l’Eglise qui est prise à témoin et qui est intéressée au bon développement de la vie monastique. Ces deux points demeurent d’actualité encore aujourd’hui, à travers le recours à l’autorité suprême en cas de difficulté, et à travers l’intérêt de tout le peuple de Dieu pour une vie monastique fervente. Ils témoignent de la justesse de la vision de l’insertion ecclésiale de la vie monastique dont est porteuse la Règle. Nous sommes membres à part entière du Peuple de Dieu, portés par lui autant que le portant dans la prière. (12.03.15
1. Si un abbé demande qu'on lui ordonne un prêtre ou un diacre, il choisira parmi les siens quelqu'un qui soit digne d'exercer le sacerdoce.
2. Quant à celui qui sera ordonné, il se gardera de l'élèvement ou de la superbe,
3. et il ne se permettra rien en dehors de ce que l'abbé lui commande, sachant qu'il sera soumis bien plus encore aux sanctions de la règle.
4. Et sous prétexte de sacerdoce, il n'oubliera pas l'obéissance et la discipline de la règle, mais de plus en plus il progressera vers Dieu.
5. Il regardera toujours comme sienne la place qu'il avait de par son entrée au monastère,
6. sauf pour le service de l'autel et si le choix de la communauté et la volonté de l'abbé voulaient le promouvoir en raison du mérite de sa vie.
7. Toutefois il saura garder pour lui-même la règle établie pour les doyens et prévôts.
8. S'il se permet d'agir autrement, on ne le jugera pas comme prêtre, mais comme rebelle.
9. Et si, après de nombreux avertissements, il ne se corrige pas, on fera même intervenir l'évêque comme témoin.
10. Si même alors il ne s'amende pas, ses fautes devenant notoires, on le mettra à la porte du monastère,
11. si toutefois son obstination est telle qu'il ne veuille pas se soumettre ou obéir à la règle.
Comment être vraiment au service de la communauté en tant que prêtre ? Telle est la question sous-jacente à ce chapitre et telle est aussi notre question aujourd’hui. A la seule différence qu’entre Benoit et nous, la difficulté ne se situe pas au même endroit. Pour St Benoit, la crainte est que le prêtre fasse valoir des droits ou une certaine présomption en raison de son sacerdoce qui lui conférait une dignité très reconnue et très honorée alors. Aujourd’hui, nous participons à l’esprit ambiant de notre société sécularisée occidentale, où le sacerdoce est plutôt dévalorisé. Le risque est alors que l’on ne veuille plus présider ou faire l’homélie, en se laissant paralyser par la peur de ne pas être à la hauteur, ou par celle d’affronter un auditoire exigeant. Si le contexte et la difficulté sont différents entre l’époque de Benoit et la nôtre, le problème de fond reste le même. Voulons-nous être au service de la communauté ? Voulons-nous laisser de côté le souci de nous-mêmes qu’il soit motivé par la présomption ou par la peur, afin de nous préoccuper d’abord du bien de la communauté et de la gloire de Dieu ?
Finalement c’est une chance de vivre dans une Eglise, et dans une communauté, où l’on porte une vraie exigence à l’égard des prêtres, exigence d’authenticité, de simplicité et de disponibilité. Cela nous ramène à l’essentiel de la fonction sacerdotale qui est d’être un service de la vie de foi de la communauté et des personnes. Le frère prêtre n’est pas plus malin qu’un autre. Il n’est pas forcément un orateur très habile. Mais il ne lui est pas demandé de briller. Il lui est demandé d’être un serviteur humble et fidèle de l’action liturgique qu’il célèbre et un témoin engagé dans l’écoute de la Parole qu’il proclame et qu’il commente. Service, engagement, humilité sont des mots qui peuvent illuminer l’exercice du sacerdoce dans une communauté monastique. Ils ne sont que la traduction de ce que Jésus recommandait à ses disciples hier dans l’évangile les invitant à l’imiter, lui qui « n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie ». Oui, regardons Jésus, laissons-nous enseigner par lui, pour être vraiment les serviteurs humbles, dociles et disponibles au service de son dessein. Sachons répondre sans tergiverser aux demandes de services qui nous sont faites dans la liturgie, mais aussi parfois pour le sacrement de réconciliation. Ne nous dérobons pas, mais consentons humblement sans chercher à tout maitriser. Le Seigneur est avec nous pour œuvrer à travers les pauvres instruments que nous sommes. Il n’a pas voulu d’autres façons d’agir. (2015-03-12)
10. Les jeunes honoreront leurs anciens, les anciens aimeront leurs inférieurs.
11. En ce qui concerne les noms dont on s'appellera, il ne sera permis à personne d'en appeler un autre par son nom tout court,
12. mais les anciens appelleront les jeunes du nom de frères, tandis que les jeunes donneront à leurs anciens le titre de nonni, qui signifie « ;Révérend Père ;».
13. Quant à l'abbé, puisqu'il apparaît comme le représentant du Christ, on lui donnera les titres de seigneur et d'abbé, non qu'il se les arroge de lui-même, mais pour l'honneur et l'amour du Christ.
14. Mais de son côté, il devra y songer et se conduire de façon à être digne d'un tel honneur.
« Pour l’honneur et l’amour du Christ ». Ce que Benoit dit à propos des noms donnés à l’abbé « pour l’honneur et l’amour du Christ » ne vaut-il pas aussi pour tout frère ? On peut le penser quand il recommande aux plus jeunes d’honorer les anciens et aux anciens d’aimer les plus jeunes. Entre les jeunes et les anciens, se vit une relation fondée sur l’amour et l’honneur, parce que c’est le Christ qu’on veut aimer et honorer en chacun. Dans la communauté monastique de Benoit, chacun, à sa place, fait signe du Christ aux autres frères, quelle que soit la manière avec laquelle on s’appelle : « frère, révérend père, seigneur ou abbé ». Chacune de ses appellations veut témoigner d’un respect affectueux qui, dans la lumière du Christ, prend en compte la personne à laquelle on parle….un plus jeune, un ancien ou l’abbé. A cet égard, il faut relever que l’insistance de Benoit pour que les anciens appellent les plus jeunes, « frère », est un beau fruit de la culture romaine. Dans celle-ci, il était fort mal élevé de s’appeler directement par son nom. C’était perçu comme du mépris, qui ne pouvait que rappeler celui avec lequel un maitre s’adressait à son esclave. Le fait que les anciens appellent les plus jeunes « frère » était une manière d’éviter que les anciens méprisent les plus jeunes. Anciens ou jeunes, ils sont frères en Christ.
Aujourd’hui, nous avons laissé les diverses appellations de la règle pour ne garder entre nous que celle de « frère » et celle de « Père Abbé ». La première exprimant notre commune condition de fils de Dieu, chercheur engagé dans une même aventure monastique, la seconde manifestant la fonction de celui qui préside la communauté. Si nous pouvons être tentés de nous appeler aujourd’hui directement par notre prénom, ce sera moins par mépris que par commodité, voire par familiarité. Nous appeler « frère » relève donc d’une volonté : la volonté de manifester ce lien profond qui nous unit en Christ : nous sommes tous frères en Lui, en vertu de notre baptême et de notre engagement monastique, même le Père Abbé. Etre frère est un don qui nous est fait et que nous désirons faire grandir. Car la vie fraternelle ne s’arrête pas le jour où il y a des difficultés. Au contraire, c’est ce jour-là qu’elle commence. Le Christ nous a rassemblés pour que nous nous entraidions à sortir de nous-mêmes et de notre propension à nous penser comme le centre du monde. Nous appeler « frère », c’est reconnaitre ce lien vital comme un cadeau, mais aussi comme un appel à aimer en vérité…appel chaque jour à reprendre. (2015-03-10)
5. Si par la suite il veut se fixer définitivement, on ne s'opposera pas à cette volonté, surtout que l'on a pu apprécier sa vie au temps où il recevait l'hospitalité.
6. S'il s'est montré exigeant ou vicieux au temps où il recevait l'hospitalité, non seulement il ne faut pas l'agréger au corps du monastère,
7. mais encore on lui dira poliment de s'en aller, de peur que sa misère ne vicie encore les autres.
8. S'il ne mérite pas d'être mis dehors, non seulement, s'il le demande, on le recevra et on l'agrégera à la communauté,
9. mais encore on le persuadera de rester, pour que son exemple instruise les autres,
10. et parce qu'en tout lieu on sert le même Seigneur, on est au service du même roi.
11. Si même l'abbé voit qu'il en est digne, il pourra le mettre à une place un peu plus élevée.
12. D'ailleurs ce n'est pas seulement le moine, mais aussi ceux de l'ordre des prêtres et de celui des clercs dont il a déjà été question, que l'abbé peut établir à une place supérieure à celle de leur entrée, s'il voit que leur vie en est digne.
13. Mais l'abbé se gardera de jamais recevoir à demeure un moine d'un autre monastère connu, sans le consentement de son abbé ou sans lettre de recommandation,
14. car il est écrit : « Ce que tu ne veux pas que l'on te fasse, ne le fais pas à autrui. ;»
« On lui dira poliment de s’en aller »…Même pour le cas d’un moine à qui on demande de partir, le ton veut rester juste, « poli »… St Benoit ne perd pas de vue le « honorer tous les hommes » qu’il a prescrit au début de la règle. De manière générale, il se montre accueillant aux moines de passage à qui il ouvre plus facilement les portes qu’aux prêtres, ou même qu’aux nouveaux venus. Les hommes qui se présentent sont déjà expérimentés…
Nous faisons aujourd’hui encore l’expérience enrichissante d’accueil des moines venant d’autres communautés. C’est une ouverture, mais aussi un réconfort. C’est une ouverture heureuse sur d’autres cultures et sur d’autres approches de la vie monastique qui marquent tout humain et tout moine en devenir. L’évangile et la vie monastique vont à la rencontre des cultures et se trouvent enrichis par elles en retour. On ne sait pas toujours bien dire comment. Les mots sont souvent impuissants à exprimer ce qu’on ressent… Un chant, une prière, un geste, une manière de parler ou de s’adresser seront autant de signes d’une autre façon de vivre, mais aussi de chercher Dieu. On entrevoit alors la noblesse et la profondeur de chaque culture dans sa quête de rejoindre et de se laisser rejoindre par Dieu. Nous pouvons nous réjouir d’avoir ainsi parmi nous nos frères du Burkina, du Vietnam et du Chili. Ils nous aident à développer notre sensibilité et notre attention aux personnes et aux cultures. Ils nous entrainent à sortir de nos schémas habituels. Soyons prêts à leur donner l’occasion de nous partager un peu de leur vie.
Accueillir ainsi des frères étrangers est aussi un réconfort. Ils viennent vivre notre vie monastique. En partageant le quotidien dans la prière, le travail, la vie fraternelle et les services communautaires, ils nous encouragent et nous édifient au sens propre. Ils apportent leur pierre à la construction de la communauté, mais aussi leur savoir-faire, leur disponibilité et surtout leur désir d’être moine. A travers eux, nous mesurons la fécondité de la vie monastique portée autrefois à leurs pères et grands-pères par nos pères et grands-pères. Nous goûtons alors quelques fruits de l’arbre plus récemment planté en de nouvelles terres. Oui réjouissons-nous de vivre cet échange de dons, dans l’action de grâce à Dieu qui déploie la richesse de ses dons dans une belle diversité. (2015-03-04)
1. Si un moine étranger arrive de provinces lointaines, s'il veut habiter au monastère en qualité d'hôte
2. et se contente de la coutume locale telle qu'il la trouve, sans troubler le monastère par ses vaines exigences,
3. mais en se contentant simplement de ce qu'il trouve, on le recevra aussi longtemps qu'il le désire.
4. S'il fait quelque critique ou remarque raisonnable, avec une humble charité, l'abbé examinera prudemment si le Seigneur ne l'aurait pas envoyé précisément pour cela.
En quelques lignes, nous avons là un petit traité sur « l’art de faire des remarques et sur l’art de les recevoir ». St Benoit nous laisse des recommandations qui peuvent valoir, non seulement pour les moines de passage, mais pour tout moine…
Comment faire une remarque ? Nous savons tous combien c’est délicat. Délicat pour ne pas blesser, délicat pour que la parole puisse porter du fruit. Faire une remarque, dire quelque chose à un frère, c’est quitter le confort de l’indifférence pour s’intéresser à la vie du frère. Cela demande un engagement dans la vie concrète autant que dans la parole. Car il ne s’agit pas de dire quelque chose si on ne le vit pas un tant soit peu soi-même…St Benoit qualifie la remarque de « raisonnable ». Celle-ci sera précise et claire. Elle portera sur quelque chose de précis. Elle ne sera pas un jugement sur la personne ou sur son comportement global. Le risque est vite là de passer de l’affirmation « ce point-là ne va pas » à « tu es toujours comme cela » ou « tu fais toujours cela ». Pour se garder de ce risque, il nous faut vérifier ce qui nous anime : est-ce « une humble charité ? » comme dit St Benoit, ou bien est-ce le désir d’en découdre avec un frère, de lui dire ses 4 vérités et de défouler notre agressivité ? L’appel à une « humble charité » ne peut que nous remettre dans une vérité plus profonde, la nôtre comme celle du frère qui est plus grand que le défaut repéré. Une humble charité va nous établir dans la douceur et la patience, autant que dans le courage de dire les choses.
Comment recevoir une remarque ? En se demandant si le Seigneur n’aurait pas envoyé ce frère précisément pour me dire cela. Replacer toute chose dans la recherche de la volonté du Seigneur. Voilà le meilleur moyen de sortir de la tyrannie de notre susceptibilité chagrine. Voilà l’autre face de « l’humble charité ». Humble charité qui aime mieux le progrès suscité par la remarque que l’illusion d’une fausse image de soi. Nous tenons là une clef très précieuse pour notre progrès spirituel : être toujours prêts à nous demander si le Seigneur ne veut nous dire quelque chose au gré des évènements et des paroles reçues… Soyons toujours à l’affût de ce qui pourra nous aider à progresser et nous n’aurons pas à craindre les remarques. Nous serons heureux de ne pas être abandonné à nos illusions sur nous-mêmes…(2015-02-28)