vendredi 3 octobre 2025 : journée de solitude pour la communauté, messe vers 6h45 après Laudes.

Commentaires sur la Règle



Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 12 ; De quelle manière célébrer la solennité des matines. écrit le 25 octobre 2024
Verset(s) :

1. Aux matines du dimanche, on dira d'abord le psaume soixante-sixième sans antienne sur le mode direct.

2. Après quoi on dira le cinquantième avec alleluia.

3. Après quoi on dira le cent dix-septième et le soixante-deuxième,

4. puis les Bénédictions et les Laudes, une leçon de l'Apocalypse par cœur et le répons, l'ambrosien, le verset, le cantique de l'Évangile, la litanie, et c'est tout.

Commentaire :

Le titre de ce chapitre est un peu surprenant. En effet, il parle de la « solennité des matines », pour désigner l’office des laudes. La RM que St Benoit reprend à sa manière n’avait pas cette expression, parlant simplement des matines. Benoit utilise peut-être ce mot « solennité » parce qu’il parle des matines-laudes du dimanche. En fait, non, car dans le chapitre suivant sur la façon de célébrer les laudes durant la semaine, il parle de nouveau de la solennité des matines : « Aux jours ordinaires, on célébrera la solennité des matines, de cette façon » … D’une manière singulière, il attache donc ce mot solennité à l’office de Laudes et à aucun autres offices du jour et de la nuit. Comment comprendre cette particularité de langage qui semble donner à l’office de laudes un poids certain au regard des autres offices ? Par ailleurs, Benoit utilise le mot « solennité » dans le sens que nous lui connaissons aujourd’hui, pour parler des fêtes qui ont le même déploiement liturgique que le dimanche. Ainsi dans le chapitre 14 : « aux fêtes des saints et à toutes les solennités, on célèbrera comme nous avons dit de célébrer le dimanche ». Benoit en parlant ainsi, veut-il souligner que cet office de Laudes a un caractère unique du fait qu’il donne une pleine mesure à la louange d’adoration et de reconnaissance remplie de gratitude envers Dieu, pour son œuvre de création et de salut, notamment à travers le chant des Ps 148-149-150 ? Ceux-ci en effet sont comme le sommet du psautier et sonnent comme une grande hymne triomphale à la gloire du Dieu créateur et Sauveur. Ou encore, l’office de Laudes tiendrait sa solennité de la mémoire qu’il permet de faire de la résurrection du Christ.

Le dimanche bien sûr, mais aussi chaque jour de la semaine, à cette heure où le jour point, nous nous souvenons que le Christ Ressuscité est désormais la véritable lumière qui donne sens à notre existence et qui peut nourrir notre joie. Chaque matin, en sortant des ténèbres de la nuit, nous accueillons comme à frais nouveau Celui qui par sa résurrection, nous a délivrés une fois pour toute de l’emprise des ténèbres du mal et du péché. Le chanter, l’acclamer, Lui « l’astre d’en haut », venu nous visiter « pour illuminer ceux qui habitent dans les ténèbres et l’ombre de la mort ». Ce qu’il a accompli une fois pour toute au matin de Pâques, il continue de l’accomplir en tous ceux qui se confient à Lui par leur louange matinale. Cet office est encore solennel, pas banal, parce qu’avec le lever du soleil, nous accueillons le Christ astre d’en haut qui aujourd’hui poursuit son œuvre de salut « pour nous conduire au chemin de la paix ». Oui, le chanter est inséparablement faire l’expérience de son salut toujours offert.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 11 ; Comment célébrer les vigiles le dimanche. écrit le 24 octobre 2024
Verset(s) :

1. Le dimanche, on se lèvera plus tôt pour les vigiles.

2. A ces vigiles, on gardera la mesure, c'est-à-dire qu'après avoir modulé, comme nous l'avons réglé plus haut, six psaumes et le verset, tous s'assiéront, en bon ordre et selon leur rang, sur les banquettes, et on lira dans un livre, comme nous l'avons dit plus haut, quatre leçons avec leurs répons.

3. C'est seulement au quatrième répons que celui qui chante dira le gloria. Quand il l'entonnera, aussitôt tous se lèveront avec révérence.

4. Après ces leçons suivront six autres psaumes pris dans l'ordre, avec antiennes comme les précédents, et le verset.

5. Après quoi on lira de nouveau quatre autres leçons avec leur répons, selon l'ordonnance indiquée plus haut.

6. Après quoi on dira trois cantiques des prophètes, déterminés par l'abbé ; ces cantiques seront psalmodiés avec alleluia.

7. On dira aussi un verset, l'abbé bénira, et on lira quatre autres leçons du Nouveau Testament, selon l'ordonnance indiquée plus haut,

8. mais après le quatrième répons, l'abbé entonnera l'hymne Te Deum laudamus .

9. Celle-ci achevée, l'abbé lira la leçon de l'Évangile, tous se tenant debout avec honneur et crainte.

10. La lecture de celle-ci achevée, tous répondront Amen , et l'abbé enchaînera aussitôt l'hymne Te decet laus , et la bénédiction donnée, on entonnera les matines.

11. Cette ordonnance des vigiles sera gardée le dimanche également en toute saison, que ce soit en été ou en hiver,

12. sauf si – à Dieu ne plaise – on se lève en retard : on abrégera un peu les leçons ou les répons.

13. Mais qu'on mette tous ses soins à éviter que cela n'arrive. Si cela se produisait, que celui qui est responsable de l'accident par sa négligence en fasse une digne satisfaction à Dieu dans l'oratoire.

Commentaire :

Pour Benoit, la caractéristique principale des vigiles du dimanche au regard de celle de la semaine, est certainement l’abondance des lectures, 4 au premier nocturne, 4 au second, toutes prises dans l’AT, puis après les 3 cantiques des prophètes de nouveau 4 lectures tirées cette fois du NT, avant la lecture finale de l’évangile. Chaque lecture est suivie d’un répons. Cela fait donc au total 12 lectures et 12 répons, qui font le pendant aux 12 psaumes. Par rapport aux vigiles de semaine, la mesure de lectures est multipliée par 3. Cette abondance n’est pas sans rappeler l’abondance des lectures de la Vigile Pascale, dont je ne sais si le nombre actuel que nous connaissons, 7 + l’épitre, était en vigueur au temps de Benoit. L’office des vigiles est donc empreint d’une belle solennité qui fait sa part belle aux lectures. Comme si, la célébration de la Résurrection du Seigneur appelait cette plongée dans les Ecritures pour y entendre toutes les résonnances que celles-ci peuvent contenir à son sujet. Sans cesse, il nous faut les scruter et les approfondir pour bien saisir le « conformément aux Ecritures » de Paul, lorsqu’il affirme : « le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Ecritures…il est ressuscité conformément aux Ecritures » (1 Co 15, 3-4).

Cette solennité des vigiles dominicales dans le cursus liturgique de Benoit, nous la vivons globalement dans la célébration de notre dimanche, même si la quantité de lectures et de psaumes est moins importante. Elle nous redit la place centrale du dimanche dans notre vie chrétienne, pour honorer la résurrection du Christ. Son passage par la mort dont il sort vainqueur, vivant glorifié, est la lumière de notre vie. Comme un flambeau, qu’on pense à la flamme olympique, cette lumière s’est transmise de générations en générations, de siècles en siècles. Elle a éclairé bien des ténèbres humaines, bien des abimes de désespoir. Elle est encore offerte à notre temps et d’abord à nous-mêmes. Notre risque à nous chrétiens serait de considérer cette bonne nouvelle de la résurrection du Christ, à la manière d’un théorème. Nous sommes d’accord sur le raisonnement, nous savons que cela fonctionne, donc nous le répétons, en espérant que le théorème soit compris par tous. Mais la résurrection du Christ est bien plus qu’un théorème ou une idée si pertinente soit elle. Elle est une vie transmise, la vie du Christ Vivant en personne qui nous offre de devenir avec lui plus vivant. La célébration répétée de notre dimanche voudrait nous exposer à cette vie plus vivante offerte, pour qu’elle vienne nous pénétrer par toutes les pores de notre corps, par tous les aspects de notre existence. Ouvrons nos cœurs, notre intelligence non seulement à la bonne nouvelle de la résurrection, mais aussi au Christ vivant à nos côtés.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 10 ; Comment célébrer la louange nocturne en saison d’été. écrit le 18 octobre 2024
Verset(s) :

1. De Pâques aux Calendes de novembre, d'autre part, on maintiendra intégralement toute la quantité de psalmodie indiquée plus haut,

2. excepté qu'on ne lira pas de leçons dans un livre en raison de la brièveté des nuits, mais à la place de ces trois leçons, on en dira de mémoire une de l'Ancien Testament, suivie d'un répons bref.

3. Tout le reste, on l'accomplira comme il a été dit, c'est-à-dire qu'on ne dira jamais aux vigiles nocturnes une quantité moindre que douze psaumes, non compris les psaumes trois et quatre-vingt-quatorze.

Commentaire :

Ces chapitres liturgiques de la règle commencent par quatre chapitres sur les vigiles, de 8 à 11, auxquels s’ajoute le 14°. Il est intéressant de voir qu’à chaque fois, les vigiles sont désignées de manière différente : les offices divins au cours de la nuit, les heures de la nuit, la louange nocturne (aujourd’hui), les vigiles enfin, deux fois. Cette variété est peut-être l’effet d’une recherche littéraire. Mais elle nous instruit sur la finalité de ce temps de prière. Quand on parle « d’offices divins » au cours de la nuit, on met peut-être davantage en avant l’aspect de service à remplir. Ailleurs Benoit parlera de notre « prestation de service ». Quand on parle des « heures de la nuit », on retrouve l’idée de sanctification du temps et des heures. Quand St Benoit utilise le mot « vigiles » pour le dimanche et les jours de fêtes, on a en arrière fond l’antique coutume de célébrer chaque dimanche une vigile, en l’honneur de la résurrection, écho de la vigile pascale.

Aujourd’hui, notre chapitre fait intervenir une autre notion en parlant de « louange nocturne ». C’est la seule mention de la louange (laus) dans les titres de ces chapitres liturgiques, qui n’est pas sans rappeler que chaque office des vigiles commence par le verset repris 3 fois : « Seigneur, tu ouvriras mes lèvres et ma bouche publiera ta louange ». Et le dimanche, c’est encore par une hymne de louange (« te decet Laus », « à toi la louange ») que se conclue l’office. Ce relevé suggère combien l’office des vigiles est pleinement une œuvre de louange, alors qu’il n’a pas comme dans l’office des matines, les psaumes de louange que sont les Ps 148-5-150, appelé Laudes, et qui ont donné leur nom à notre office de Laudes. Nous est suggéré que la louange rendue à Dieu n’est pas liée au style littéraire des psaumes. Ainsi l’office des vigiles compte beaucoup de psaumes imprécatoires, mais aussi historiques relisant l’oeuvre de salut réalisée pour Israël. On pourrait dire en considérant le verset d’introduction des vigiles, que dès qu’on ouvre la bouche pour chanter Dieu, nous lui offrons déjà une louange. Et si c’est pour lui adresser un cri, une plainte, un appel, c’est encore une louange. Dieu n’est-il pas loué dès l’instant où on se tourne vers lui, et qu’on confesse par ce mouvement de foi qu’on compte sur lui, et qu’il est notre secours ? Ainsi la nuit, offrons-nous à Dieu une louange à nous tenant en sa présence, peut-être pas bien réveillé, ni toujours très présent, mais là pour nous adresser à lui. En portant le cri et l’espérance des hommes, dans la foi nous répondons au désir d’alliance que le Seigneur a révélé peu à peu en Israël et scellé en Jésus.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 9 ; Combien de psaumes faut-il dire aux heures de la nuit. écrit le 17 octobre 2024
Verset(s) :

1. En la saison d'hiver définie ci-dessus, on dira d'abord trois fois le verset : « Seigneur, tu ouvriras mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange. »

2. On y joindra le psaume trois et le gloria.

3. Après cela, le psaume quatre-vingt-quatorze avec antienne, ou du moins chanté d'un trait.

4. Alors suivra l'ambrosien ; ensuite six psaumes avec antiennes.

5. Quand on les aura dits, et qu’on aura dit le verset, l'abbé bénira, tous s'assiéront sur les bancs et des frères liront tour à tour dans un livre posé sur le pupitre trois leçons, entre lesquelles on chantera trois répons.

6. Deux répons seront dits sans gloria, mais après la troisième leçon, celui qui chante dira le gloria.

7. Quand le chantre commencera de le dire, aussitôt tous se lèveront de leurs sièges en signe d'honneur et de révérence pour la Sainte Trinité.

8. On lira aux vigiles les livres d'autorité divine de l'Ancien Testament aussi bien que du Nouveau, ainsi que les commentaires qu'en ont faits les Pères catholiques réputés et orthodoxes.

9. Après ces trois leçons avec leurs répons, suivront les six psaumes restants, qu'on chantera avec alleluia.

10. Après ceux-ci suivra la leçon de l'Apôtre, qu'on récitera par cœur, le verset et la supplication de la litanie, c'est-à-dire Kyrie eleison ,

11. et ainsi s'achèveront les vigiles nocturnes.

Commentaire :

Notre office des vigiles est riche en nourriture spirituelle. Sans qu’on sache trop comment, il nous apporte jour après jour ces nutriments nécessaires à notre croissance. Psaumes répons, lectures sont les plats de choix abondants qui varient quotidiennement. A propos des psaumes, fr. Jean Noël qui ne peut plus venir me disait son regret de ne plus retrouver certains psaumes de la nuit. Alors il pallie en lisant le psautier en continue dans la journée. Cette réflexion nous fait pressentir la place unique qu’ont les psaumes dans notre prière. Ils sont ce support merveilleux de notre dialogue avec le Seigneur. Avec eux, nous apprenons à prier, nous nous ajustons devant le Seigneur. Les psaumes sont parfois le miroir de ce que nous vivons et cherchons sur le moment. Ils nous offrent le reflet du cœur de l’homme affronté aux grandes questions ou crises qu’il peut traverser seul et avec d’autres. Et en filigrane, ils nous donnent à entendre le battement du cœur de notre Dieu qui nous cherche et qui nous attend pour vivre une relation toujours plus intime avec lui. Ils nous font partager aussi les espoirs de notre humanité qu’ils transforment les plus souvent en un cri d’espérance irrésistible. Oui soyons heureux d’être invités à cette familiarité avec le psautier.

Lorsque nous partons en voyage, prenons-le comme compagnon de route, et quand nous le pouvons, même dans un petit laps de temps, reprenons quelques psaumes. Priés alors dans un tout autre contexte, ils prennent soudain une singulière résonnance. Les lectures longues, surtout celle de l’AT, représentent une autre part substantielle de notre nourriture aux vigiles. Là encore, plongeons dans ces textes qui nous font entendre à travers la quête de tout un peuple, la voix de Dieu qu’ils ont cherché, avec lequel ils ont lutté par leur résistance parfois, et par lequel ils ont été sauvés, recrées, remis sur les routes de l’espérance. La lecture du 2d nocturne représente souvent une belle introduction au texte de la messe du lendemain, une bonne préparation pour ceux qui feront leur lectio sur l’évangile du jour. Les références de la première lecture sur la feuille programme et la photocopie de la seconde lecture disponible sur la table de la salle des casiers peuvent être utiles si on veut les retrouver, ou simplement les faire sienne pour qui n’est pas à l’office. Il serait dommage de se priver totalement de ces nourritures. Le répons qui suit la 1ère lecture est encore une source très suggestive par les résonnances bibliques qu’il indique. Toute lecture biblique n’est vraiment pleine de sens que reliée à d’autres textes, et notamment à l’évangile qui lui procure souvent un accomplissement à la lumière du mystère du Christ. De veilleur à qui coûte parfois de se lever et de durer dans la nuit, nous pouvons devenir par notre écoute des hommes gratifiés, enrichis…

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 8 ; Des offices divins au cours des nuits. écrit le 16 octobre 2024
Verset(s) :

1. En saison d'hiver, c'est-à-dire depuis les Calendes de novembre jusqu'à Pâques, il faut, suivant la norme raisonnable, se lever à la huitième heure de la nuit,

2. afin de se reposer un peu plus de la moitié de la nuit et d'être dispos au lever.

3. Quant à ce qui reste après les vigiles, les frères qui ont besoin d'apprendre quelque chose du psautier ou des leçons, l'emploieront à cette étude.

4. De Pâques aux susdites Calendes de novembre, on réglera l'heure de telle sorte que l'office des vigiles, après un tout petit intervalle où les frères pourront sortir pour les besoins de la nature, soit immédiatement suivi des matines, qui doivent être dites au point du jour.

Commentaire :

Toute société a besoin de gens qui veillent la nuit pendant que les autres dorment. Ils veillent pour que le monde continue de bien tourner, car il est impossible d’arrêter le mouvement de la vie. Qu’on pense à tous les métiers de la santé ou de la sécurité, mais aussi à de nombreuses entreprises qui assurent les 3/8 pour que les machinent ne s’arrêtent pas… Ils veillent sur la vie pour que celle-ci soit la meilleure possible pour tous. Sur le plan spirituel, peut-on dire aussi la même chose : des hommes et des femmes veillent dans la nuit pour que la vie selon l’Esprit ne cesse pas de se manifester ni de se donner… Apparemment cela ne sert à rien. Cela ne se vend ni se s’achète. Mais cela fait signe à qui sait lire. Certains comptent sur ce signe pour donner du sens à leur existence. Ainsi le fait que nous priions au milieu de la nuit, que nous consacrions du temps pour la louange gratuite redonne du courage à un tel qui connait des insomnies, ou à un autre qui est dans l’épreuve, ou encore dans l’activité professionnelle, à la mère de famille qui allaite.

Nous savons aussi le prix de ce lever de nuit. Il nous en coûte non seulement de nous lever, mais aussi de garder une hygiène de vie pour que ce lever soit possible (faire la sieste, manger raisonnablement, ne pas travailler toujours sur les nerfs). Les santés empêchent parfois de se lever, et font qu’aujourd’hui nous sommes moins nombreux à l’office. Nous aurons à en reparler. Mais reste la question première : comment demeurons-nous des veilleurs ? Comment nous laissons-nous traverser et animer par la quête de Dieu et de sa présence ? N’est-ce pas cela dont notre monde a aussi besoin ? De sentir que des hommes et des femmes sont là, occupés à tendre l’oreille, à affiner leur compréhension du mystère de la vie, de Dieu, qu’ils ne veulent pas en relâcher… A nous moines, il revient de nous exercer à ce lent travail de l’attente patiente pour la transformer en attente aimante. A nous moines, il revient de ne pas nous départir de cette quête, pour accueillir ce que Dieu veut nous donner et ce vers quoi il nous entraine au-delà de ce que nous imaginons… Oui, cultivons ce sens de la veille. Un frère me disait que parfois, surtout à l’extérieur, il lui arrive de se réveiller en pleine nuit, notamment vers 2h00. Plutôt que de tourner dans son lit et ne pas réussir à retrouver le sommeil, il se lève et il prie. Puis il se rendort ensuite plus facilement. Veiller en disant quelques psaumes avant de dormir ou en se levant, si on n’a pu aller aux Vigiles. Veiller pour tenir en éveil notre mémoire du Seigneur … « Vers ton nom, vers la mémoire de toi, va le désir de l’âme » (Is 26, 8).

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, 70 ; De l’humilité écrit le 15 octobre 2024
Verset(s) :

70. Cet état, daigne le Seigneur le faire apparaître par le Saint-Esprit dans son ouvrier purifié de ses vices et de ses péchés !

Commentaire :

J’avais gardé ce dernier verset du long chapitre sur l’humilité, parce qu’il met bien en valeur combien ce travail de l’humilité est une « œuvre divine », comme nous l’avons déjà rencontré, une œuvre de l’Esprit Saint qui purifie le cœur de l’homme qui se confie à Lui. Pour éclairer cette conviction, je voudrais de nouveau donner la parole à ces maitres qui l’ont vraiment expérimenté. Ici, Isaac le Syrien (A. Louf. L’humilité.Parole et Silence2002, p 95-96)

« Celui qui est vraiment humble n’a pas besoin de chercher une occasion pour trouver l’humilité ; il en est rempli et la possède d’une façon quasi naturelle, sans se fatiguer. Il l’a reçue en lui-même comme une grâce qui dépasse toute la création et toute la nature, et se considère à ses propres yeux comme un pécheur, comme un homme de rien et méprisable. Il est entré dans le mystère de toutes les natures spirituelles, il possède la sagesse de toute la création, mais il sait d’une certitude absolue qu’il ne sait rien. Dans son cœur, il est humble sans rien faire pour cela, sans rien forcer. Mais est-ce vraiment possible qu’un homme devienne tel et que sa nature soit à ce point transformée ? Il ne faut pas en douter, car la puissance mystérieuse qu’il a reçue le rend parfait en toute vertu. C’est la puissance-même que les bienheureux apôtres reçurent tous la forme du feu, c’est-à-dire le paraclet, l’Esprit Consolateur. C’est ce qu’avait dit l’Ecriture : ‘Les mystères seront révélés aux humbles’ (Ps 24, 9). Cela signifie que les humbles sont capables de recevoir en eux cet Esprit des révélations qui découvrent les mystères. Mais quelqu’un dira : que faire ? comment acquérir cette humilité ? par quels moyens puis-je être digne de la recevoir ? Je me fais violence à moi-même et quand je pense l’avoir acquise, je me rends compte que des pensées qui lui sont contraires tourmentent mon esprit, et je tombe dans le désespoir. A celui qui pose toutes ces questions, l’Ecriture répond : ‘Il faut que le disciple soit comme son Maitre et le serviteur comme son Seigneur’ (Mt 10, 25). Vois ce qu’a fait pour l’acquérir Celui qui nous demande l’humilité et nous a donné cette grâce. Imite-le et tu trouveras. Lui auquel ceux qui ont accompli et sanctifié leur vie rendent gloire ainsi qu’au Père qui l’a envoyé et au Saint Esprit, maintenant et toujours et pour les siècles des siècles. Amen »

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, 67-69 ; De l’humilité écrit le 01 octobre 2024
Verset(s) :

67. Lors donc que le moine aura gravi tous ces degrés d'humilité, il arrivera à cet amour de Dieu qui est parfait et qui met dehors la crainte.

68. Grâce à lui, tout ce qu'il observait auparavant non sans frayeur, il commencera à le garder sans aucun effort, comme naturellement, par habitude,

69. non plus par crainte de la géhenne, mais par amour du Christ et par l'habitude même du bien et pour le plaisir que procurent les vertus.

Commentaire :

En guise de commentaire, je voudrais poursuivre la lecture du P. Louf, dans son livre sur l’humilité (Parole et Silence 2002, p 40-42). La dernière fois, il offrait une compréhension du passage étonnant de la crainte à l’amour, qui se réalise en celui qui est humble… Si nous sommes tous en chemin, peut-être pouvons-nous fugitivement en percevoir parfois quelque chose. Je le cite : « Peu à peu ce sentiment joyeux de contrition prédomine dans l’expérience spirituelle. De cette ascèse de pauvreté, se lève chaque jour un homme nouveau. Il est tout entier paix, joie, bienveillance, douceur. Il reste à jamais marqué par le repentir, mais un repentir plein de joie et d’amour qui affleure partout et toujours, et demeure à l’arrière-plan de sa recherche de Dieu. Un tel homme a désormais atteint une paix profonde, car il fut brisé et reconstruit en son être tout entier, par pure grâce. Il se reconnait à peine. Il est devenu différent. Il a touché de près l’abime profond du péché, et au même instant, il a été précipité dans l’abime de la miséricorde. Il a enfin appris à déposer les armes devant Dieu, à ne plus se défendre devant lui. Il a renoncé à toute justice personnelle et n’a plus de projet de sainteté. Ses mains sont vides ou ne gardent que sa misère, mais il ose l’exposer devant la miséricorde. Dieu est enfin devenu vraiment Dieu pour lui. Et rien que Dieu. Ce que veut dire : Salvator, Sauveur du péché. Il est même presque réconcilié avec son péché comme Dieu s’est réconcilié avec celui-ci. Il est heureux et reconnaissant d’être faible... Sa justice, il ne la possède qu’en Dieu seul. Il ne lui reste que ses blessures, mais soignées et guéries par la miséricorde, et qui se sont épanouies en merveilles. Il ne sait plus que rendre grâce et louer Dieu qui est toujours à l’œuvre en lui pour accomplir ses merveilles.

Pour ses frères et ses proches, il est devenu un ami, si bienveillant et si doux. Il comprend leurs faiblesses. Il n’a plus confiance en lui-même mais en Dieu seul. Il vit tout entier saisi par l’amour de Dieu et par sa Toute-puissance. C’est pourquoi, il est pauvre aussi, vraiment pauvre -un pauvre en esprit- et proche de tous les pauvres et de toutes les formes de pauvreté, spirituelle et corporelle. Il est le premier de tous les pécheurs, pense-t-il, mais un pécheur pardonné. C’est pourquoi il sait frayer, tel un égal et un frère, avec tous les pécheurs du monde. Il se sent proche d’eux car il ne se sent pas meilleur que les autres. Sa prière préférée est celle du publicain, devenue comme sa respiration, et comme le battement du cœur du monde, son désir le plus profond de salut et de guérison : « Seigneur Jésus, prends-pitié de moi pécheur !’ »

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, 67 ; De l’humilité écrit le 28 septembre 2024
Verset(s) :

67. Lors donc que le moine aura gravi tous ces degrés d'humilité, il arrivera à cet amour de Dieu qui est parfait et qui met dehors la crainte.

Commentaire :

« Lors donc que le moine aura gravi tous ces degrés d’humilité, il arrivera à cet amour de Dieu qui est parfait… » Etonnante conclusion. Alors qu’au 12° degré, le moine avait le sentiment d’être plongé au plus profond de l’abîme de son péché, avec un fort sentiment de crainte, il apparait en fait qu’il est arrivé à un sommet envié par tous, la capacité à aimer Dieu sans crainte. C’est la réalisation de ce mystérieux théorème de l’humilité qui veut que qui s’abaisse soit élevé, et qui s’enfonce dans la profondeur de son néant se trouve comme tout entier relevé dans l’amour de Dieu qui l’habite comme à son insu. On aimerait connaitre davantage comment se fait le passage de l’un à l’autre état, ce passage opéré par l’Esprit Saint nous assure St Benoit.

Dans son livre sur l’humilité, le P. A. Louf a ce développement que je cite longuement : « L’humilité ne se réduit pas à l’estime plus ou moins grande, plus ou moins tempérée, que l’homme aura de lui-même. Elle est d’un tout autre ordre, car elle transcende le domaine des qualités et des vertus, elle s’identifie avec l’être nouveau, né de la grâce du baptême et qui porte enfin tout son fruit. Si on voulait encore parler de vertu, elle serait une vertu englobante, le cœur de pierre broyé, et ressuscité en cœur de chair, dont toutes les autres vertus découlent. Comme le dira Isaac le Syrien : ‘L’humilité est le vêtement de Dieu’ (Discours 77). Un tel homme se sait désormais faible et pécheur, mais il a fini par détourner les yeux de sa misère pour ne plus contempler que la miséricorde de Dieu. La brisure de son cœur, la contrition, s’est insensiblement transformée en joie humble et paisible, en amour et en action de grâce. Aucune faute, aucun péché ne sont niés ou excusés, mais ils ont été noyés et engloutis dans la miséricorde. Là où le péché abondait, la grâce ne cesse de surabonder (Rm 5, 20). Tout ce que le péché avait brisé est restauré par la grâce en mieux, bien mieux qu’auparavant. Sa prière porte encore les traces du péché et de sa misère, et sans doute pour toujours, mais la faute est dorénavant une heureuse faute, une ‘felix culpa’, comme nous le chantons à chaque Vigile Pascale, une culpabilité qui est engloutie par l’amour. Entre la contrition et l’action de grâce, il n’y a presque plus de différence. Toutes deux se compénètrent, et les larmes du repentir sont aussi bien des larmes d’amour » (A. Louf. L’humilité, Parole et Silence 2002, p 39-40)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, 62-66 ; De l’humilité écrit le 27 septembre 2024
Verset(s) :

62. Le douzième degré d'humilité est que, non content de l'avoir dans son cœur, le moine manifeste sans cesse son humilité jusque dans son corps à ceux qui le voient,

63. autrement dit, qu'à l'œuvre de Dieu, à l'oratoire, au monastère, au jardin, en voyage, aux champs, partout, qu'il soit assis, en marche ou debout, il ait sans cesse la tête inclinée, le regard fixé au sol,

64. et se croyant à tout instant coupable de ses péchés, il croie déjà comparaître au terrible jugement,

65. en se disant sans cesse dans son cœur ce que le publicain de l'Évangile disait, les yeux fixés au sol : « Seigneur, je ne suis pas digne, pécheur que je suis, de lever les yeux vers le ciel. »

66. Et aussi avec le prophète : « Je suis courbé et humilié au dernier point. »

Commentaire :

« Partout, qu’il soit assis, en marche ou debout… le moine manifeste sans cesse son humilité…» Avec ces mots, St Benoit signifie que l’humilité n’est pas limitée à un espace (l’église par ex) ou à un temps (la prière). Elle ne connait pas la distinction sacré-profane, car elle prend toute la personne. Elle transforme tout l’être. Cette situation n’est pas sans rappeler les mots de Moïse lorsqu’il communique le « shéma Israël » à son peuple : « Ecoute Israël, le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Ces paroles que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cœur. Tu les rediras à tes fils, tu les répèteras sans cesse, à la maison ou en voyage, que tu sois couché ou que tu sois levé… » (Dt 6, 4-7)

D’un côté, nous avons la manifestation d’une attitude, l’humilité, et de l’autre une invitation à se mettre sous la parole « tu aimeras le Seigneur ton Dieu », dans les deux cas, la personne est entièrement absorbée en toutes les circonstances de la vie, toujours et partout… Dans le deux cas, se vit une unification de l’être sous le regard de Dieu… Si la parole de Moïse se présente comme un appel à mettre en œuvre (vivre à l’écoute et dans l’amour de Dieu), la règle décrit un état de fait qui peut nous sembler exagéré ou bien nous paraitre confiner à une excessive culpabilité… se croyant à tout instant coupable de ses péchés, il croie déjà comparaitre au terrible jugement de Dieu. Comment comprendre ces paroles ? Peut-être sommes-nous là au cœur d’une conscience qui a été au bout de la perception de son néant et de son indignité radicale devant Dieu. Elle n’a rien à lui présenter. Elle ne peut se prévaloir, ni de ses propres forces ni de son propre mérite.

Mystère d’une conscience complètement à nue, non pas recroquevillée sur elle-même, mais totalement exposée sous la lumière de Dieu, en tout son néant, abaissée à ses propres yeux, mais élevée aux yeux de Dieu. Il n’est pas facile de parler de l’humilité, car elle semble toujours se dérober sous nos pas… Je voudrais finir avec cet apophtegme : « On demandait à un ancien ce qu’était l’humilité. Il répondit : « L’humilité est une œuvre grande et divine. Le chemin de l’humilité est fait de fatigues du corps et de rejet des péchés et de bien d’autres choses encore ». Un frère lui dit : « Mais que signifie : bien d’autres choses encore ? » « Ceci, répondit l’ancien : ne pas voir les péchés des autres, mais toujours ses propres péchés, et supplier Dieu incessamment ». (Nau 323)

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 07, 60-61 ; De l’humilité écrit le 26 septembre 2024
Verset(s) :

60. Le onzième degré d'humilité est que, quand le moine parle, il le fasse doucement et sans rire, humblement, avec sérieux, en ne tenant que des propos brefs et raisonnables, et qu'il se garde de tout éclat de voix,

61. ainsi qu'il est écrit : « Le sage se reconnaît à la brièveté de son langage. »

Commentaire :

Dans ces lignes, on perçoit quel genre de parole est vraiment porteuse de vie, et pour nous-même et entre nous…quel genre de parole donne vraiment du fruit. Quand un frère parle de cette manière, on le remarque tout de suite. Ces mots brefs, bien pesés, sans prétention ni désir de s’imposer viennent comme un baume dans la conversation. Ils apaisent, ils font du bien, ils contribuent à construire quelque chose entre nous. On peut se demander dès lors : Pourquoi le plus souvent, avons-nous tant de mal à nous tenir dans cette justesse de paroles ?

Pourquoi sommes-nous tentés facilement de hausser le ton, ou bien de vouloir attirer l’attention par nos paroles ? Chacun, il peut être bon pour nous-mêmes d’essayer de comprendre ces mécanismes qui nous entrainent à l’extérieur de nous-mêmes, à la recherche de reconnaissance peut-être ou bien de sécurité… L’humilité recherchée et accueillie comme un don de Dieu vient changer nos façons d’être et de vivre ensemble. A quel genre de travail intérieur nous convoque-t-elle ? Elle nous invite à déplacer notre regard vers le Seigneur qui est le centre de notre vie, à faire silence en faisant taire tous les bruits intérieurs et toutes les préoccupations qui nous centrent sur nous-mêmes.

Le P. Denis dans un commentaire de ce chapitre a de belles lignes sur le silence comme lieu de profonde communion avec Dieu qui œuvre en nous. Je le cite : « Nous sommes tous prêts à faire des déclarations de principe sur la grandeur du silence et sa nécessité dans un monastère. Que faisons-nous, en réalité, du silence ? Le pratiquons-nous avec délicatesse et générosité, par amour de Dieu, par respect du dialogue que Dieu désire maintenir avec chacun de nous ? Le vrai silence, c’est cela : il est communion intime au Verbe de Dieu qui se communique à nous et par nous. Il atteint le plus intime de ceux avec qui nous vivons, il est respect d’une parole, il est Parole lui-même. Le silence est essentiellement constructif. Il est respect de l’œuvre de Dieu en nous, collaboration avec Dieu. Et le P. Denis de conclure : Pensons à telle occasion qui va très probablement se présenter aujourd’hui, où nous aurons à faire un effort de fidélité au silence et de vraie charité. » (Comtaire RB, Ed St Léger, p 239).