vendredi 3 octobre 2025 : journée de solitude pour la communauté, messe vers 6h45 après Laudes.

Homélies

Liste des Homélies

Homélie du 01 novembre 2002 — Toussaint — Père Abbé Luc
Cycle : Année A
Info :

Année ABC - Messe de la Toussaint - 1 Novembre 2002

Ap 7 2-4, 9-14; 1 Jn 3 1-3; Mt 5 1-12a

Homélie Père Abbé Luc

Texte :



2002

Frères et soeurs,

La liturgie de ce jour nous invite à l’émerveillement et à l’espérance, comme veulent en témoigner et les luminaires et la grande peinture sur la grille qui représente la foule des saints auprès de Dieu. Aujourd’hui, cette fête est sous le signe de la joie et de la lumière, car nous célébrons le mystère de l’Eglise déjà présente auprès de Dieu, de cette Eglise qui nous devance dans la lumière... Le peuple des saints...

Emerveillement, oui nous pouvons nous émerveiller de ce que tant d’hommes et de femmes partagent déjà la vie de Dieu, dans l’attente de la résurrection finale quand toutes choses seront définitivement récapitulées par le Christ. “J’ai vu une foule immense que nul ne pouvait dénombrer” nous dit St Jean dans l’Apocalypse.

Emerveillement devant le nombre incalculable de ces personnes qui depuis des siècles ont accompli leur pèlerinage sur terre, pour trouver en Dieu le repos éternel.

Mais émerveillement aussi, car cette profusion d’être vivants devant Dieu notre Père n’est pas un ramassis de personnes anonymes. Chacun devant Dieu reste unique et objet de son unique Amour. C’est encore le cri émerveillé de St Jean : “voyez comme il est grand, l’amour dont Dieu nous a comblés, il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu - et nous le sommes !!!”

Chacun reste appelé par son nom unique et personnel d’enfant de Dieu...C’est pourquoi, nous aimons en ce jour nous rappeler des visages qui nous ont précédés, les plus connus comme le peuple des humbles gens qui ont modestement suivi leur chemin humain dans la recherche de plus de vérité et d’amour...

Cette nuit, nous avons fait mémoire de ces figures illuminées par la rencontre de Dieu depuis Adam, Eve, Abel le Juste, Abraham, Moïse et les Prophètes jusqu’à ceux qui ont croisé le regard miséricordieux du Christ. Et nous avons poursuivi cette fresque de visages avec tous les disciples du Christ qui, depuis la Galilée jusqu’aux limites de notre terre, ont témoigné de l’évangile.

Faire mémoire du nom de ces saints c’est nous rappeler que la sainteté a toujours un visage. Dans ces visages d’hommes et de femmes, c’est la sainteté de Dieu qui se donne à voir et à reconnaître.

Ainsi l’Eglise nous offre-t-elle en exemple ces figures, comme des témoins de la sainteté de Dieu. Mais en ce jour, nous voulons aussi nous souvenir de tous nos proches, connus de nous seulement, pas des grandes figures, mais de vrais témoins qui ont vécu à nos côtés et qui ont été comme des lampes sur nos routes. Peut-être pas des grands saints, mais des saints aussi, parce qu’enfants de Dieu. Par leur réponse à l’appel de Dieu, ils nous ont découvert quelque chose de l’Amour de notre Père pour chacun.

S’émerveiller devant ces visages humains traversés par un éclat de la sainteté de Dieu, c’est aussi nous familiariser avec la Sainteté de Dieu qui déjà nous façonne. Mais avouons-le, nous ne savons pas bien ce que nous disons quand nous affirmons que Dieu est Saint, trois fois Saint... Nous sommes devant un mystère qui se montre et qui nous échappe à la fois. Mystère de la vraie Vie, celle qui a un poids d’éternité, mystère du véritable Amour qui ne déçoit jamais, mystère de Beauté.

Mais ce que nous savons c’est que ce mystère ne nous est pas refusé , que nous sommes conviés à y entrer : “Soyez saint car moi je suis saint” disait Dieu à son peuple dans l’ancien testament, en lui rappelant les exigences de la justice, de la miséricorde et de l’accueil de l’autre.

Il est bon en ce jour de réentendre le désir de notre Dieu de voir briller l’éclat de sa sainteté sur chacun de nous.

Et Jésus dans l’Evangile ne nous dit-il pas la même chose quand il nous révèle qu’ils sont heureux les pauvres de coeurs, les doux, les coeurs purs, les artisans de paix et de justice car ils ont trouvé le chemin d’éternité.

Déjà sur cette terre, ils portent en eux un éclat de la sainteté de Dieu, qui ne peut connaître de fin jusqu’à la vie éternelle.

Ces visages d’hommes et de femmes humbles, doux, pacifiques, assoiffés et affamés de justice nous rendent plus proche cette sainteté que nous pourrions penser très loin de nous, inaccessible et finalement peu désirable... “Heureux sont-ils” nous dit Jésus car leur vie a ce goût d’éternité que nul ne pourra leur ravir...

Ainsi en ce jour de fête, nous sommes invités à entrer dans la pédagogie de notre Dieu qui veut nous familiariser avec ce qu’il est le Dieu Saint pour nous partager sa vie éternelle.

Là où la sainteté pourrait nous faire peur, là où elle peut nous paraître réservée à une élite, tous ces visages dont nous faisons mémoire aujourd’hui nous font pressentir que devenir des saints c’est entrer dans ce chemin qui nous donnera notre vrai visage humain. Etre des saints n’enlève rien à notre humanité, au contraire cela lui donne sa pleine mesure, toute sa beauté en nous faisant partager la joie de Dieu.

Devenir des saints, c’est l’appel profond que nous avons reçu lors de notre baptême quand nous avons revêtu le Christ, quand nous avons reçu cette assurance d’être des enfants aimés de Dieu notre Père.

Et si devenir des saints, c’était apprendre à nous laisser aimer par Dieu, apprendre à nous laisser apprivoiser par son Esprit-Saint et apprendre à vivre en amitié avec le Christ ?

2002-11-01

Homélie du 11 août 2002 — 19e dim. ordinaire — Frère Guillaume
Cycle : Année A
Info :

Année A - 19° Dimanche du Temps Ordinaire

1 R 19 9-13; Rom 9 1-5; Mt 14 22-33

Homélie du F.Guillaume

Texte :

Frères et sœurs,

Les trois lectures de ce dimanche nous rapportent 3 expériences de Dieu, faites par des hommes très différents, dans des situations ou des contextes très différents aussi.

Dans la 1èrelecture, c’est la rencontre de Dieu avec le prophète Elie, au sortir d’une caverne après la nuit : Dieu qui se cache et qui se révèle tout à la fois de manière surprenante, dans le murmure d’une brise légère, ou « dans le bruit d’un fin silence », comme l’on traduit aussi, après les fracas de l’ouragan, du tremblement de terre et du feu.

Avec le second texte, c’est la rencontre de Dieu avec l’apôtre Paul dans une expérience d’incompréhension et de tristesse : un Dieu qui se cache et qui se révèle tout à la fois dans le mystère de l’histoire du salut d’Israël, le peuple de l’Alliance et des Promesses, qui avait tout pour reconnaître le Christ, comme Messie, et qui pourtant l’a rejeté et le rejette encore.

Enfin l’Evangile nous présente la rencontre de Dieu avec les disciples dans une barque, vers la fin de la nuit. Un Dieu qui se cache et qui se révèle tout à la fois dans ce fantôme qui marche sur les eaux et qui n’est autre que Jésus lui-même, confessé comme Fils de Dieu, en finale.

Revenons si vous le voulez bien sur ces trois expériences, ces trois manifestations si déconcertantes pour l’homme, quand Dieu vient le rejoindre, là et au moment où il ne l’attend pas. Dieu qui déjoue toutes les prévisions, toutes les mainmises, toutes les violences aussi.

L’épisode d’Elie à l’Horeb, dans le 1er livre des Rois, fait suite à celui des sacrifices du Mont Carmel. Elie vient de faire massacrer, sur l’ordre express de Dieu, pas moins de 450 prêtres de Baal, en réponse aux massacres non moins violents du roi Achaz et de la reine Jézabel. Ecœuré par tant de violence, découragé, voire déprimé, Elie cherche à fuir au désert en sécurité, et il prend la route de l’Horeb, ce haut lieu symbolique de la Bible, où Moïse avait reçu les tables de la Loi. Elie s’attend à de nouvelles révélations de Dieu dans des manifestations de puissance, comme ce fut le cas au temps de l’Exode : ouragan, tremblement de terre, feu. Hé bien non, Dieu, cette fois-ci n’est pas dans ce déploiement de violence des forces naturelles : il fait reconnaître sa présence dans un souffle de paix, dans ce murmure de brise légère, qui n’est pas sans rappeler sa promenade dans le jardin d’Eden, au soir du 6ème jour de la Création, dans le récit de la Genèse. Ce soir-là, Adam et Eve l’avait reconnu à son pas.

La leçon à retirer de cette 1ère lecture est claire : elle vise à déconstruire une certaine représentation de Dieu, comme Tout Puissant, violent et terrifiant. Au contraire, Dieu sait se faire pauvre dans le secret de sa création, pour venir au devant de sa créature.

Dans la seconde lecture, nous assistons aux plaintes et à la souffrance de Saint Paul qui a du mal à admettre que Dieu ne puisse pas se révéler à ses frères de race, les juifs, de la même manière qu’il a procédé avec lui, sur le chemin de Damas. Cette expérience de conversion de Paul avait fait suite à une série de violences aussi : le futur apôtre, Saul à l’époque, faisait massacrer les chrétiens avec zèle, sans scrupules. Il avait assisté au martyre d’Etienne, en approuvant ce meurtre. Et voilà que Jésus lui était apparu et s’était fait reconnaître dans la faiblesse de la Croix et aussi dans la charité de la communauté des frères de Damas. Paul a compris alors. Tous ses projets ont été renversés : un seul lui reste désormais à cœur : annoncer l’Evangile, amener les hommes à la conversion au Christ. Et là il ne comprend pas, car le mystère du salut en Jésus-Christ de ses frères juifs lui résiste, et c’est la cause pour lui d’une immense douleur, un vrai déchirement du cœur.

La leçon de ce texte demeure actuelle pour nous. Sommes-nous, comme Paul, préoccupés du salut de tous nos frères, les hommes ? Comment abordons-nous en ce XXI° siècle la rencontre des autres religions, des autres cultures, de tous ceux qui ne partagent pas nos convictions ? Nous savons bien qu’il y a là un immense défi et que nul d’entre nous n’en connaît la réponse. Il nous faut faire confiance à l’Esprit Saint, qui est le maître de l’histoire et de la vie ; il nous faut respecter la souveraine liberté de Dieu et des hommes, nos frères.

Enfin la 3ème lecture : l’évangile de St Matthieu des marches de Jésus et de Pierre sur les eaux : un récit où les notes de violence ne sont pas absentes non plus : un vent contraire, une barque battue par les flots, la peur des disciples qui leur fait pousser des cris. Dieu va se manifester à eux dans une scène éminemment pascale, qui évoque les récits de la Résurrection de Jésus après sa Passion. Pensons aux 11 apôtres, au soir de Pâques, apeurés et enfermés dans une maison aux portes verrouillées : Jésus vient à leur devant, et les rassure : « la paix soit avec vous ». Jésus, ressuscité, marchant au bord du lac, alors que les disciples, dans leur barque, ont passé toute la nuit à pécher sans rien prendre. Le disciple bien-aimé reconnaît son Maître ; « c’est le Seigneur », et aussitôt, Pierre se jette à l’eau et vient rejoindre Jésus à la nage cette fois-ci, et non pas en marchant sur les eaux. Et l’on pourrait relire les apparitions de Jésus Ressuscité à Marie Madeleine, à Thomas… toujours de façon étonnante, surprenante, invitant au dépassement de la peur, du doute et de la tristesse. Dans tous ces récits, c’est la confiance dans la personne de Jésus, qui est mise à l’épreuve ; si le disciple, c’est-à-dire chacun de nous, prête attention à sa parole, à son regard, à sa tendresse, alors il n’a rien à craindre. Son cœur devient brûlant et il est envahi d’une joie et d’une paix profonde, que rien ni personne, ni aucune tempête ne peuvent enlever. C’est bien là la leçon que nous livre cet évangile d’aujourd’hui, où la barque symbolise l’Eglise et où nous nous reconnaissons dans la générosité et la faiblesse de Pierre.

Alors pour conclure, que ces trois textes médités nous invitent à l’écoute du Seigneur qui ne cesse de venir à notre rencontre. Comme nous l’avons chanté dans le Psaume : « J’écoute, que dira le Seigneur Dieu : ce qu’il dit, c’est la paix, pour son peuple et ses fidèles ».

Refusant toute violence, dominant nos tristesses et nos peurs avec la grâce de Dieu, accueillons alors dans cette eucharistie, le Christ qui vient nous proposer sa paix, son salut, son Amour. Oui, « amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent. Le Seigneur nous donnera ses bienfaits, et notre terre donnera son fruit. »

AMEN (2002-08-11)

Homélie du 04 août 2002 — 18e dim. ordinaire — Frère Matthieu
Cycle : Année A
Info :

A 2002 TO 18° Dimanche 4 août 2002

Lectures : Is 55, 1-3 / Ro 8, 35-39 / Mt 14, 13-21

Homélie de frère Matthieu

Texte :

Jésus se retire au désert...

Dans l'épisode qui précède selon l'évangéliste Mathieu, Jésus vient de recevoir l'annonce de la mort de Jean-Baptiste ; Jésus sait que Jean et lui ont destin lié depuis son Baptême dont a été dit " qu'il accomplissait toute justice " ; il sait que Jean était le nouvel Elie venu préparer les chemins du Seigneur ; Jean, mort, il sait donc aussi qu'il se trouve désormais en première ligne, qu'il doit prendre définitivement le relais, un rôle qu'Hérode lui-même lui a reconnu puisqu'il l'a désigné comme " Jean le Baptiste, ressuscité des morts "... Et cela mérite méditation et prière...

Mais les foules en décident autrement : elles aussi ont appris la mort de Jean et elle savent qu'elles n'ont désormais plus que Jésus à suivre... et elles n'hésitent pas... Et ce sont ces foules qui le précèdent dans le désert et qui vont lui donner, selon Matthieu, qui vont nous donner, les réponses que la mort de Jean appelait.

A la vue des foules, Jésus est " saisi de pitié ", et ce n'est pas un hasard si l'évangéliste emploie ici un terme que la Bible ne réserve qu'à Dieu, à un Dieu maternel, dont les entrailles sont remuées au plus profond de lui...

Et Jésus guérit tous ceux qui sont là " sans pouvoir ", les " démunis ", les " pauvres ", selon une expression qui ne se trouvent qu'ici dans l'évangile.

Puis, comme le soir vient, et que les disciples suggèrent de renvoyer cette foule affamée et trop nombreuse, Jésus prend l'initiative de les nourrir, et c'est la multiplication des pains qui est au cœur de notre évangile.

En faisant ces gestes, Jésus semble renouveler les miracles que la Bible attribuait au prophète Elisée dans le second Livre des Rois, au chapitre 4 : guérisons, résurrection même, et multiplication des pains... Jésus est ainsi présenté comme le nouvel Elisée, et comme tel, il est confirmé dans sa mission de poursuivre l'œuvre de Dieu qu'avait inauguré Jean Le Baptiste.

Mais en réalisant cette multiplication des pains, Jésus se révèle bien plus que cela : il " ordonne ", il fait " s'attabler " les foules et c'est " sur l'herbe "... en ce lieu désertique ! C'est qu'il s'agit de bien autre chose, Jésus, comme Dieu au Psaume 22, conduit son peuple aux " prés d'herbe fraîche " où il vaut leur donner le véritable repos... Les disciples lui apporte alors " cinq pains et deux poissons " : là encore le signe est à déchiffrer ; il s'agit selon la Bible et toute la Tradition, de la nourriture du festin messianique des derniers temps, celui qu'annonçait le livre d'Isaïe dans la première lecture, et l'abondance de nourriture - il va rester douze paniers, de quoi nourrir encore toutes les tribus d'Israël ! - et la satisfaction de tous dont la faim est apaisé, disent bien qu'il s'agit déjà du repas du Royaume, de ce Royaume que Jésus, selon l'évangile de Matthieu, nous a présenté dans toutes ses annonces au long du chapitre 13 comme nous l'avons entendu dans l'évangile de dimanche dernier.

Ainsi donc Jésus nous est présenté comme le Messie-Roi qui invite au festin du Royaume de Dieu ; il pose même les gestes de Dieu, lui qui préside à ce festin...

Mais l'évangéliste veut nous dire plus encore, et en un sens, mieux encore...

Ce festin messianique, il n'est qu'anticipé et nous n'y avons part encore qu'en espérance... Mais, insensiblement, le récit oublie peu à peu, les poissons, pour ne garder que le pain... et les gestes, et les paroles de Jésus, reprennent exactement ceux et celles qui furent les siens au soir de la Cène lorsqu'il institua son Dernier Repas, nous le transmettant à travers les disciples, qui, comme dans notre évangile, jouent un rôle primordial : ils apportent la nourriture, " fruit de la terre et du travail des hommes ", et il sont les serviteurs qui distribuent cette nourriture au temps voulu... Il suffit de relire le chapitre 26 de l'évangile de Matthieu pour avoir la confirmation de ce " passage " à l'Eucharistie.

Ainsi, c'est bien à nous que cette page d'évangile s'adresse, c'est bien à nous qu'est rappelé que l'Eucharistie, à laquelle Dieu nous invite, dimanche après dimanche, est le repas, déjà messianique - car la nourriture que nous y recevons est déjà vie éternelle - mais encore de ce monde-ci, pour nous qui sommes toujours en marche à la suite du Christ et en quête de sa miséricorde.

Et le pain, celui de la Parole, comme celui de la Table eucharistique, nous est toujours offert et avec lui, à travers lui, l'inlassable miséricorde qui émeut notre Seigneur jusqu'aux entrailles et qui guérit tous ceux qui viennent à lui comme des pauvres, " dénués de toute volonté de puissance, de toute prétention à s'en tirer par eux-mêmes, pauvres parmi les pauvres, pauvres comme ces " petits " de l'Evangile dont Matthieu se plaît à nous répéter qu'ils sont les seuls à hériter du Royaume, à pouvoir accueillir pleinement l'Evangile de Jésus qui accomplit toute Justice et qui donne la Vie.

Allons à la rencontre de cette Miséricorde du Seigneur qui nous est offerte encore une fois aujourd'hui en cette célébration ! Amen.

Frère Matthieu Collin

Homélie du 17 février 2002 — 2e dim. du Carême — Frère Guillaume
Cycle : Année A
Info :

Année A - Carême 2° Dimanche - 17 février 2002

Genèse 12,1-4 ; 2 Tim. 1,8-10 ; Matth. 17,1-9

Homélie du F.Guillaume

Texte :

Frères et sœurs,

Le Carême, pour nous chrétiens spontanément, c’est d’abord un temps : 40 jours entre le mercredi des Cendres et le dimanche de Pâques, en référence aux 40 jours et aux 40 nuits que Jésus a passés au désert, ou les 40 années du peuple hébreu entre sa sortie d’Egypte et son entrée en Terre Promise. Un temps, tout comme le Ramadan pour les musulmans qui dure un mois lunaire pour le jeûne, la prière et le partage, ou bien encore la Grande Retraite de Méditation et de purification pour les bouddhistes tibétains : 3 ans, 3 mois, 3 jours.

Mais le Carême, ce sont aussi des lieux, des espaces, des mouvements, des déplacements. Dimanche dernier, la liturgie nous invitait à partir au désert avec Jésus. Le désert, lieu symbolique par excellence de la rencontre de Dieu, mais aussi de celle des Démons. Dimanche prochain, nous irons en Samarie, à Sycar, près du puits de Jacob, et les dimanches suivants à Jérusalem, du côté de la piscine de Siloé avec l’aveugle-né, à Béthanie dans la maison de Lazare et de ses sœurs et à Jérusalem encore pour les Rameaux et la Semaine Sainte.

Aujourd’hui, nous méditons avec la 1ère lecture, le départ d’Abraham depuis son pays d’origine en Chaldée, pour un pays que le Seigneur lui promet de lui indiquer. Et Abraham part, sans savoir où il va, comme le dira l’épitre aux Hébreux, mais il part, confiant dans la Parole de Dieu et obéissant dans la foi. C’est l’itinéraire de toute vie spirituelle, chrétienne ou non, religieuse ou laïque, nous le savons bien : lâcher-prise, abandon et confiance, mais en retour bénédiction et fécondité imprévisibles, non-programmables.

Et l’Evangile, lui, nous fait monter, à l’écart, sur une haute montagne, avec Pierre, Jacques et Jean, qui accompagnent Jésus : c’est l’épisode de la Transfiguration. Chaque année, la liturgie nous demande de nous y arrêter dans notre marche vers Pâques ; et nous écoutons ce récit dans chacune de ses versions évangéliques : Matthieu, Marc et Luc. Cette année Matthieu. Nous pouvons le diviser en deux parties distinctes :

- une première où domine l’expérience visuelle. Jésus est transformé aux yeux des disciples éblouis. Transformé, littéralement « métamorphosé », en grec. Et en même temps, c’est l’apparition de Moïse et d’Elie. Le pauvre Pierre ne sait plus très bien comment se situer face ou à côté d’eux : il bafouille, il fait une proposition concrète qui n’est pas retenue : personne ne semble l’écouter ou faire attention à lui. St Luc ira jusqu’à dire qu’il ne savait pas ce qu’il disait.

- et puis il y a une seconde scène qui se superpose à la 1ère, où dominent la voix et l’audition d’une parole sortie de la nuée lumineuse. Parole mystérieuse du Père des Cieux, en écho et presque identique à celle du Baptême de Jésus dans les eaux du Jourdain : « celui-ci est mon Fils bien aimé, en qui j’ai mis tous mon amour ». Avec l’ajout propre à la Transfiguration : « écoutez-le ! ». Au baptême, la parole s’adressait à Jésus lui-même, comme l’envoyé, ici elle s’adresse aux disciples et plus largement à toute la communauté chrétienne, désignant Jésus comme le Prophète qu’il faut écouter.

Après cette vision et cette audition extraordinaires, qui ont plongé les disciples dans la frayeur et la prosternation à terre, c’est le retour à l’ordinaire, la voix familière de Jésus, son contact et sa proximité. Ils peuvent lever les yeux à nouveau : Jésus est là, tel qu’ils le connaissaient et il est seul. Ils sont rassurés : ouf ! Mais que s’est-il donc passé ? Silence, ordonne Jésus : pas un mot avant que le Fils de l’Homme ne soit ressuscité d’entre les morts.

Ce texte est riche à bien des égards : on peut en faire une longue lectio divina, avec tous les renvois à l’Ancien Testament qu’il autorise : on peut en faire une contemplation des relations de Jésus avec son Père et avec l’humanité, une méditation du rôle et des réactions de chacun des personnages. Mais en quoi peut-il nous rejoindre, nous aussi et nous modifier, dans ce temps de conversion qu’est le Carême.

Je crois qu’il vise à nous déloger de certaines de nos représentations sur la personne même de Jésus. Représentations trop immédiates ou figées, trop utilitaires peut-être aussi, si nous attendons quelque chose de lui, mais quoi.

Même si nous savons bien que les Evangiles sont de tardives compositions littéraires mises par écrit après l’événement pascal de la mort et de la Résurrection de Jésus, nous pouvons penser et croire que cet épisode a réellement eu lieu durant sa vie terrestre et qu’il se situe à un moment-clé des évangiles. Après la confession de foi de Pierre à Césarée, après la 1ère annonce de la Passion, après les paroles sur la condition des disciples et l’annonce du retour prochain du Seigneur. Pour bien faire, mais cela serait trop long, la liturgie devrait nous faire entendre l’ensemble de ces passages. On ne peut isoler la Transfiguration de la réalité de la Passion et de la Résurrection du Christ, ni de son retour dans la Gloire. La Transfiguration nous révèle le sens même du mystère pascal, comme anticipation de ce que nous célèbrerons durant les Jours de la Semaine Sainte. Méditée en ce 2ème dimanche de Carême elle vient stimuler notre élan, relancer notre foi et notre espérance, si jamais nous étions guettés par le découragement ou le doute.

Jésus n’est pas seulement le maître qui parle bien et enseigne les foules, il n’est pas seulement le compagnon de route qui fait le bien en guérissant les malades : il est le Témoin de la Gloire de Dieu sur terre, une Gloire qui resplendira sur la Croix, se manifestera à la Résurrection et se révèlera définitivement à son Retour. En fait, on peut comprendre le désir de Pierre de vouloir fixer ce moment merveilleux à l’aide de tentes, car cet échange partagé avec Jésus en Gloire, avec Moïse et Elie, c’est ce qui nous est permis d’espérer de vivre aux derniers temps. Mais les derniers temps ne sont pas encore arrivés : nous nous tenons dans l’entre-deux du déjà-là et du pas-encore. Pourtant Pâques a levé l’interdiction du silence faite aux disciples. Nous avons, à leur suite et à notre tour, à proclamer à temps et à contretemps que Jésus est le Seigneur, qu’il est le Fils Bien-Aimé du Père, en qui tous les croyants sont fils et frères. Nous avons à dire à tous ceux qui sont prosternés dans leurs peurs de vivre ou leurs fatigues d’être eux-mêmes : « relevez-vous et n’ayez pas peur ! ». C’est cela, je crois, le profond message de la Transfiguration, et pour terminer je laisserai la parole à un poète :

« Voyez, les temps sont accomplis,

Sur quels chemins d’incandescence

Et Dieu vous convoque à l’oubli

Entendrez-vous le Bien-Aimé

De ce qui fut vos servitudes.

Vous parlant depuis la Nuée ?

Qu’il vous prépare à ses souffrances !

Suivez Jésus Transfiguré.

Demain, il sera crucifié

En signature d’alliance

(2002-02-17)

Homélie du 06 janvier 2002 — Epiphanie du Seigneur — Frère Servan
Cycle : Année A
Info :

Année ABC – Epiphanie – 8 Janvier 1989

Is 60 1-6 ; Ep 3 2-6 ; Mt 2 1-12

Homélie du F.Servan

Texte :

Epiphanie, fête de sainte Lumière, de la manifestation parmi les hommes de celui qui est le Fils de Dieu, splendeur du Père, « reflet resplendissent de la gloire du Père » comme dit l'épitre aux Hébreux, « lumière née de le lumière ", lumière sensible, visible, audible, par qui nous recevons, percevons la lumière inaccessible de Dieu, mais lumière ombrée, afin de ne pas nous éblouir, nous écraser, mais afin de nous attirer doucement et tout homme qui fait le Bien (qui fait la vérité) vient à cette Lumière.

« Elle s’est manifestée (Epiphané) la grâce de notre Dieu pour le salut de tous les hommes » Tite 2,11

« S’est manifestée (Epiohané) la bonté de. Dieu notre sauveur et son amour pour les hommes » 3,4

« Debout ! Resplendis, Jérusalem, elle: .est venue; ta lumière ! »

Retenons un aspect ! Voyons comment l’Epiphanie, pour l'Eglise: d'aujourd’hui, et d'hier, c’est un double, programme d'illumination pour les hommes !

- Première face de ce programme : que toutes les nations, à travers l'histoire, reçoivent et accueillent la lumière du Christ et de son Evangile et lui apportent les richesses de leurs cultures : (et quand. on pense ici aux potentialités de l'Extrême Orient, par exemple, certains estimeront qu'on n'en est qu'au début de l’histoire du salut) !

- Deuxième face de ce programme qu'en chaque croyant, la lumière divinisante du Christ grandisse et irradie toujours plus à partir du cœur toute son humanité : l'esprit, le corps, les sens, l'affectivité, depuis le moment de son baptême (où l’on peut chanter : Eveille-toi, Ô toi qui dors, et sur toi resplendira le Christ » ( Ep 5,14), jusqu'à sa mort.

On peut remarquer comment ce double programme est bien rappelé par l'oraison de la fête : «Aujourd'hui, tu as révélé (manifesté) ton Fils Unique aux nations (et tu continues de le révéler dans l'aujourd'hui incessant de l'histoire chrétienne) grâce à l'étoile qui les guidait ; daigne nous accorder, à nous (à chacun de nous) qui te connaissons déjà par la foi, d’être conduits jusqu'à la claire vision de ta splendeur (voici la croissance de lumière à l'intérieur de chacun) ».

Et il est bien important pour la santé et la beauté de l'Eglise de' tenir au mieux ensemble ces deux croissances, ces deux aspects.

Il faut se garder de ces deux unilatéralismes qu’on peut caricaturer comme suit :

- ou une mystique élitiste cultivant ses fleurs d’intériorité dans le secret du cloitre,

- ou une militance trop activiste et un peu grossière, charnelle trop quantitative, trop braquée sur les statistiques d'adhérents. (L’église n’est pas un syndicat qui compte ses troupes).

Ici on peut remarquer combien dans notre église on est surpris souvent de ces recensements : « tant de pratiquants, tant de gens à la messe, tant de jeunes à tel week-end, encore tant de jeunes accédant au sacrement de confirmation etc

D’ailleurs, ne; pas trop vite sourire de cela; car se cache maladroitement: derrière cette petite manie, la conviction que le salut du Christ, sa lumière, sont, faites pour tous les hommes.

Donc bien tenir à ces deux croissances de la lumière; du Christ: parmi toutes les nations, à l'intime de chacun. Ici je citerai deux témoins : l’un, d’une jeune église en expansion missionnaire ; l’autre, de notre vieille église d'Occident au creuset de la sécularisation.

- le Cardinal Kim, de Séoul, de cette Corée du Sud qui n’est pas seulement performante industriellement, mais aussi porteuse d'un christianisme jeune et actif. Il disait récemment : Nous baptisons beaucoup, c’est vrai : chaque année, cent mille baptêmes de plus. Mais de là à être chrétien, en profondeur, il y a une marge. Sommes-nous vraiment évangélisés, y compris les évêques, les prêtres, religieux et religieuses ? Je, sens que, non ; la foi n’est pas assez profonde. (Interview, dans La Croix du 6 Janvier 1989).

- Et un vieux, théologien' de chez nous, le père Congar, depuis: sa retraite. du Val de Grâce, dans ses Entretiens d’automne. Le sort de l’Eglise me semble de plus en plus être lié à une vie spirituelle et même surnaturelle, celle de la vie chrétienne. Je pense qu’actuellement seuls peuvent tenir debout, les chrétiens qui ont une vie intérieure. Dans l'ancien type de chrétienté, il y avait une espèce de mise en condition, sans donner de sens: péjoratif à ce terme, je: veux dire, une sorte d’enveloppement, de cadre, dans lequel on entrait et on restait. Tandis qu’aujourd'hui, étant donné que nous vivons dans un monde sécularisé (et particulièrement sous l’influence des médias) je crois qu'il est impossible de garder une vie chrétienne sans une certaine vie intérieure. On a dit : « c’est faute de: squelette que' certains animaux se sont entourés de carapace » (cas de la tortue !). Je crois (qu’aujourd'hui la carapace - qui serait le système d’ancienne chrétienté - est en grande partie dissoute, écaillée en quelque' sorte, et que le besoin d’une sorte de charpente intérieure devient plus impérieux » (Op Cité p.11)

« Quand ils virent l’étoile ; ils éprouvèrent une très grande joie. Quand ils virent l’Enfant avec Marie sa Mère, ils se prosternèrent ». Frères et Sœurs, que cette joie lumineuse des mages, symbole des nations païennes soit toujours plus la nôtre et celle de beaucoup tout au long de notre marche à l’étoile. (1989-01-08)

Homélie du 24 décembre 2001 — Noël - Messe de minuit — Père Abbé Luc
Cycle : Année A
Info :

Année ABC - Messe de la nuit de Noël 2008

Is 9 1-6; Tit 2 11-14; Lc 2 1-14

Homélie du Père Abbé Luc

Texte :

2008

Frères et soeurs,

Dans cette nuit de Noël, nous voici rassemblés ...et chacun de nous vient avec des souhaits, des attentes personnelles, des désirs sûrement bien différents...Nos hôtes, les adultes et les enfants , les frères de la communauté. Si nous sommes là, c’est qu’il est important pour chacun de nous de ne pas laisser passer cette nuit sans la célébrer. Nous désirons nous arrêter quelques minutes pour méditer, prier, chanter, écouter la parole de Dieu...regarder la crèche...Une femme est là, un homme à ses côtés, et au milieu un bébé auquel on porte une attention toute spéciale...

En cette nuit, il est bon, frères et soeurs, de nous arrêter pour contempler la crèche comme on regarde une icône. Cette scène toute simple et banale d’une famille autour d’un enfant, beaucoup d’entre vous l’ont vécu par expérience quand un premier enfant est venu au monde...Parents et amis se réunissent alors autour du nouveau-né et ne se lassent pas de le regarder...d’écouter son souffle très régulier et discret... de guetter ses mouvements...Un petit d’homme, c’est tellement nouveau...et c’est toujours étonnant..! Peut-être dira-t-on qu’il ressemble à son père ou à sa mère, parce qu’il faut bien dire quelque chose... mais en fait, il ressemble d’abord à lui-même. Car unique il est, et unique il restera...et deviendra...Et que va-t-il devenir?

Cette question habitait déjà certainement le cœur des parents de Jésus. A cet instant précis, Marie et Joseph ne le savent pas comme tout parent...Ils ont bien entendu parler qu’il serait appelé “Fils du Très-Haut”. Et les anges dans le voisinage parlent de lui comme du “Messie, du Sauveur” que tout le peuple attend...Mais qu’est-ce-que cela signifie vraiment...?

Devant la crèche, à la manière d’une icône, nous sommes placés devant le mystère d’un enfant comme les autres. Et cependant l’attitude recueillie de Marie et de Joseph, presqu’en prière, nous indique que le mystère de cet enfant-là est encore autre...Toute la vie de Jésus, mais aussi sa mort et sa résurrection ne cesseront pas d’en dévoiler la profondeur.

Avec l’enfant Jésus, nous sommes devant un enfant comme les autres, et devant un enfant, pas comme les autres....Regarder la crèche, 2000 ans après, méditer les récits de la naissance de Jésus, c’est nous remettre devant le mystère de cet homme auquel Dieu a lié si étroitement son destin. En regardant Jésus, nous croyons qu’il est “Dieu avec nous”, le “Verbe fait chair”...

Si nous réfléchissons quelques instants, nous pouvons mesurer combien c’est étonnant ou invraisemblable de dire cela...Cette certitude de notre foi ne vient pas d’une évidence de l’intelligence. Elle est un don reçu, et un don à accueillir, à approfondir.

Aussi nous faut-il prendre le temps, le temps de la foi patiente et aimante pour reconnaître sous les traits de la chair notre Dieu, présent. “En lui viens reconnaître ton Dieu, ton Sauveur” chantions-nous au début de l’Eucharistie. Cette présence de Dieu se donne à voir sous une telle simplicité que l’on peut, soit passer à côté, soit en découvrir peu à peu la beauté et la grandeur. Ainsi le regard de la foi veut nous apprendre à reconnaître la présence de Dieu sous les traits de la quotidienneté, à le chercher là toujours.

Ce sera la simplicité d’une rencontre mais aussi la simplicité des signes de la Liturgie, un peu de pain et du vin pour donner la Vie.

Frères et soeurs, cette fête de Noël vient nous redire que sur le chemin de la foi, nous sommes tous des mal-voyants. Devant le mystère de Dieu fait homme en Jésus Christ, il faut sans cesse réajuster notre regard, et notre coeur, pour accueillir cette Lumière qui n’éblouit pas du Dieu très Proche et très Discret. C’est sa façon à lui de nous rejoindre, la façon de l’Amour.

Accueillons le, lui qui se donne en cette Eucharistie.

(2008-12-25)

Homélie du 25 février 2001 — 8e dim. ordinaire — Frère Servan
Cycle : Année C
Info :

Année C - 8° Dimanche du Temps Ordinaire - 25 février 2001

Si 27 4-7; 1 Co 15 54-58; Lc 6 39-45

Homélie du F.Servan

Texte :

Des hommes qui parlent et qui portent du fruit comme les arbres, paroles d'hommes comme fruits des arbres: l'homme au risque de la parole. Tel est, me semble-t-il, le thème principal de ces paroles de Dieu que nous venons d'entendre.

Nous savons que la Bible se méfie des paroles et des beaux discours non suivis

par des actes, ce qui sera rappelé dans l'Evangile de Luc, juste après le passage que nous

venons d'entendre : « Pourquoi m'appelez-vous : Seigneur, Seigneur; et ne faites-vous

pas ce que je dis ! »

Mais la Bible attache aussi une grande importance à la parole de l'homme,

surtout dans les écrits de Sagesse; car, si le bavard ne marche pas droit sur la terre; en

revanche, une bonne parole vaut mieux qu'un don excellent. Faisant écho à cette tradition de Sagesse, nous avons tous les enseignements des traditions monastiques d'Orient et d'Occident. Par exemple, dans notre RB, " voici le onzième degré d'humilité: le moine, dans ses propos, s'exprime doucement et sans rire (non pas sans sourire, mais en évitant de glousser comme un paon qui centre sur lui les regards), brièvement et sans éclats de voix ..." Et puisque nous allons commencer prochainement les exercices du Carême, nous nous rappellerons que notre Règle nous recommande pour ce temps la sobriété des paroles (bavardages et cancans) tout autant que dans l'alimentation ... pour attendre la sainte Pâque avec la joie du désir spirituel.

Si nous considérons un peu l'ensemble des textes entendus (sans oublier le Psaume où le juste arbre toujours vert se met à chanter et à bénir le Seigneur. Et en entendant : « vieillissant, il fructifie encore », les frères ne peuvent s'empêcher de penser à ce vieux moine qu'ils ont confié hier à la terre dans l'espérance de la Résurrection.... Donc, les textes, et avec eux n'oublions pas de convoquer la vie de tous les jours, de vous tous rassemblés dans cette église, avec votre expérience heureuse et malheureuse de paroles échangées au travail, au bureau, en famille, en communauté !

Alors ... on peut hésiter entre PESSIMISME (ce que vous retrouveriez au ch.3

de la Lettre de Saint Jacques sur la langue ... ) et un OPTIMISME tempéré, disons mieux: une espérance, liée à la Résurrection du Christ, cette force désormais à l'œuvre dans nos vies.

Sur la balance, côté pessimisme ... nous avons un bon lot d'images: celles de ce vieux sage un peu bougon, Ben Sirac:" Ecoutez l'homme parler apparaissent ses petits côtés et les petits sentiments de son cœur, comme des déchets restant dans le tamis ... ". Suivent les images encore plus fortes de l'Evangile : des aveugles qui tombent dans un trou (Bruegel), des gens qui vont et viennent avec une grosse poutre dans l'œil (image surréaliste mais bien réelle); pas mal d'arbres aux fruits pourris ou amers, sans parler des ronces et des épines de la vanité et de la jalousie!

Mais, en regardant plusieurs détails du texte de l'Evangile, je vois qu'il y a un passage vers une guérison de la parole, pour le disciple du Christ : un chemin, une espérance qui se dit par des verbes au futur :" Mais celui qui est bien formé sera comme son maître" (je médite " sera comme son maître " doux et humble de cœur ... et par lui à l'image du Père riche en miséricorde et surabondant dont on vient juste de nous parler auparavant). A l'école de ce maître, avec l'aide de tes frères, peut-être en participant à quelque atelier d'Ecoute et communication, et en plus un peu d'Oraison à l'église ou au milieu des arbres. .. tu pourras peu à peu réduire la grosse poutre dans ton œil :" Alors tu verras clair !" Cà chante ces mots-là.

Alors tu verras clair pour aider ton frère à enlever ses pailles, doucement, avec des paroles comme des bons fruits: les unes un peu fermes comme des bonnes pommes de terroir, pleines de vitamines; les autres consolantes et suaves comme des poires de curé!

"Des pommes d'or avec des ciselures d'argent telle une parole dite à propos; un anneau d'or, un vrai joyau telle la réprimande du sage pour l'oreille attentive. " (Proverbes 25,11)

Dans l'Evangile enfin, vous aurez peut être remarqué que l'homme bonifié par la parole de son Maître " tire le bien du trésor de son cœur " Luc précise " trésor " ... alors qu'il n'est pas dit que le cœur de l'homme mauvais est un cloaque plein d'immondices ! Autant d'indices qui nous disent la puissance de la Résurrection à l'œuvre dans nos vies et nos paroles!

Telle est bien notre foi chrétienne - et j'espère aussi un peu notre expérience - : le mal et le péché, et l'erreur demeurent bien dans nos vies d'hommes et dans nos paroles ... mais ils ne sont pas les plus forts. L'Apôtre Paul pouvait dire :" Rendons grâce à Dieu qui nous donne la victoire " ... et encore :" ce qui est périssable en nous (entre autres la parole maladroite ou malheureuse) deviendra impérissable. "O Mort, O langue, où est ton dard venimeux?"

" Au dernier jour ... grande et définitive victoire !" ... mais dès maintenant,

petites victoires ... à l'école de notre maître.

Programme pour le temps du Carême, programme pour notre vie: Des paroles-déchets dénoncées par le sage, le disciple bien formé pourra monter par degrés jusqu'à ce beau chant qui déborde du cœur, devenir ce bel arbre qui chante dans le vent, , qui chante pour son Dieu et l'annonce à ses frères! (2001-02-25)

Homélie du 25 juin 2000 — Saint Sacrement - Fête Dieu — Frère Guillaume
Cycle : Année B
Info :

Année B - Fête du Corps et du Sang du Christ - 25 Juin 2000

Is 63 16b-17, 64 2b-7; 1 Co 1 3-9; Mc 13 33-37

Homélie du F.Guillaume

Texte :

Fête du Corps et du Sang du Christ : fête de l’Eucharistie.

Voici quelques mois, le père Maurice Bellet publiait un ouvrage sur l’eucharistie, et il donnait à son livre le titre suivant : «la chose la plus étrange ». Et en sous-titre : « manger la chair de Dieu et boire son sang ».

Frères et sœurs, nous qui sommes réunis ici dans cette église, baptisés chrétiens et pratiquant de la messe hebdomadaire pour la plupart, avons-nous bien conscience de participer à une chose très étrange et de tenir un langage qui a toute les raisons de paraître insensé ou délirant à un non-croyant ; nous disons en effet que nous allons manger la chair de notre Dieu et que nous allons boire son sang ? Allons donc, quels propos invraisemblables, insoutenables ? Qu’est-ce que ce cannibalisme, plus ou moins déguisé ?

Ne pensons pas que cet étonnement ou que le scandale que nous pouvons provoquer en affirmant cela soit le fait de notre situation actuelle de civilisation avancée, post-moderne, post-chrétienne, qui serait dégagée des mythes et croyances désuets. Cette « chose très étrange », ce langage délirant avait choqué les propres contemporains de Jésus, alors qu’il les enseignait à Capharnaüm, dans son grand Discours sur le Pain de Vie, rapporté dans l’Evangile de Jean. Jésus disait :

« Je suis le Pain Vivant qui descend du Ciel. Celui qui mangera de ce pain vivra pour l’éternité. Et le pain que je donnerai, c’est ma chair donnée pour que le monde ait la Vie.

Car ma chair est vraie nourriture et mon sang est vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. »

A ces mots, beaucoup de ses disciples se mirent à dire : « cette parole est rude. Qui peut continuer à l’écouter ? Et Jésus, conscient du scandale qu’il vient de provoquer les interpelle :

« les paroles que je vous ai dites sont Esprit et Vie. Mais il en est parmi vous qui ne croient pas ».

Et effectivement, à partir de ce moment-là, c’est-à-dire, à propos de cette chose très étrange dont Jésus leur parlait, beaucoup cessèrent de faire route avec lui.

Jésus se tourne alors vers les douze et leur demande :

« Vous aussi, n’avez-vous pas l’intention de partir ? »

Et nous connaissons l’admirable réponse inspirée à Pierre :

« Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Et nous, nous avons cru, et nous savons que tu es le Saint de Dieu ».

Alors, nous qui sommes venus à cette liturgie, où nous fêtons le Corps et le Sang du Christ, nous nous reconnaissons en Pierre. Nous ne comprenons peut-être pas bien entièrement le sens mystérieux des paroles de vie éternelle de Jésus, nous ne savons peut-être pas bien la portée de ce que nous accomplissons, mais nous lui faisons confiance ; nous avons foi en lui, et surtout, nous rapprochons ses paroles de l’exemple de sa vie, quand il la donne jusqu’à mourir par amour pour nous sur la Croix. La Puissance de Dieu se révèle en Lui : la mort est vaincue par la Résurrection. Car l’Eucharistie est inséparable du Mystère Pascal ; elle est la célébration actualisée de Vendredi Saint et de Pâques, elle qui fut instituée le Jeudi Saint, au cours du dernier Repas de Jésus avec ses disciples.

Tout semble se tenir, et il n’y a rien à ajouter. Pourquoi alors tant de querelles, tant de divisions, aussi bien sur le fond (théologique), que sur la forme (les manières de célébrer) ? L’Eucharistie a prêté le flanc aux plus grandes polémiques et violences entres chrétiens (songeons aux guerres de religions), ce qui prouve qu’elle touche à quelque chose d’essentiel pour notre vie de foi. Le Concile Vatican II la présente comme « la source et le sommet de toute la vie du chrétien ».

Sans entrer dans des détails de théologie, il me semble possible de distinguer deux aspects importants à tenir aujourd’hui comme hier.

D’abord l’aspect rituel. En assistant à l’eucharistie et en y répondant, le chrétien est « un homme rituel » , tout comme le croyant d’une autre religion qui accomplit des rites, des liturgies où il s’engage tout entier dans une relation avec le Divin.

Le rite est une donnée constituante de l’homme en société. Et même dans un monde sécularisé il est facile de repérer de nouvelles formes de rites, que ce soit dans les manifestations sportives, les médias, les concerts, etc. L’eucharistie, comme rite chrétien constitue l’Eglise, en tant que Peuple de Dieu.

Mais le rite à lui seul, ne suffit pas à définir l’eucharistie, car elle est en même temps et surtout un mode d’existence pour le chrétien. Etre chrétien, c’est vivre « eucharistié », c’est-à-dire en état d’action de grâce, comme le demande Saint Paul dans ses lettres.

Toute la vie doit correspondre à cette action de grâce, qui est don de soi, par amour pour les autres, comme Jésus l’a été. L’institution de l’eucharistie, le Jeudi Saint, conjoint ces deux aspects. Jésus, au cours du Dernier Repas avec ses disciples prononce les paroles répétées à chaque messe : « prenez et mangez, ceci est mon corps, prenez et buvez, ceci est mon sang » ; elles constituent le nouveau rite, mais au cours de ce même repas, Jésus lave les pieds de ses disciples, mettant en œuvre le commandement nouveau de l’amour : « c’est un exemple que je vous donne : ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi ».

Nous n’inventons pas l’Eucharistie, lorsque nous la célébrons. Nous l’accueillons comme le Don de Dieu par excellence, le Don de sa vie à laquelle nous nous identifions et que nous devons porter aux autres à notre tour. L’eucharistie est au service de la communion.

L’être humain ne se nourrit pas seulement de pain. Il se nourrit de ce qui lui donne de subsister en humanité : à savoir l’amour et la parole, ou plutôt la parole qui est amour.

Manger la chair de Dieu, boire son sang, ce sera aussi manger la Parole de Dieu, l’écouter et l’assimiler, l’incorporer. Ce sera aussi donner notre vie et servir nos frères, dans la sueur, les larmes et le sang, goutte après goutte.

Après avoir été nourris à la Table de la Parole, approchons-nous maintenant de la Table où vont être déposés le pain et le vin pour y êtres consacrés. Auparavant, nous allons proclamer le Credo qui ne mentionne pas explicitement l’eucharistie, mais qui s’attache à la profession de foi trinitaire en Dieu : Père , Fils et Esprit Saint. Pourtant, en réponse aux paroles du Christ à la consécration, nous chanterons : « il est grand, le Mystère de la foi », et nous reprendrons un condensé du Credo.

Frères et sœurs, que cette Fête du Corps et du Sang du Christ, cette Fête-Dieu, en l’Année Jubilaire, soit pour nous l’occasion de fortifier notre foi en l’Eucharistie, dans l’accueil toujours nouveau du Don de la Vie de Dieu en nous.

AMEN (2000-06-25)

Homélie du 23 avril 2000 — Dimanche de Pâques — Frère Guillaume
Cycle : Année B
Info :

Année ABC - Messe du jour de Pâques - 22 avril 1998

Ac 10 34-43; Col 3 1-4; Jn 20 1-9

Homélie du F.Guillaume

Texte :

Peu de temps avant sa mort, on posa cette question à Confucius, le Grand Sage de la Chine : Il mais

à quoi passeriez-vous votre vie, si elle était à refaire ?" Confucius répondit simplement: "si

elle était à refaire, je passerais ma vie à réinventer la signification originelle des mots".

Frères et sœurs, en ce dimanche de Pâques, où nous célébrons dans la foi et dans la joie la

Résurrection du Christ, notre Seigneur, arrêtons-nous, si vous le voulez bien, à la signification originelle

de ce mot: "Résurrection" ; cherchons à lui rendre un sens, à partir de notre expérience d'homme et de

croyant, à la lumière des Ecritures, en confrontation avec l'expérience des premiers témoins : Madeleine,

Pierre, Jean et Paul. Car Saint Paul nous en avertit dans sa lettre aux Corinthiens: "si Christ n'est pas

ressuscité, notre prédication est vide, et vide aussi votre foi : vous êtes encore dans vos

péchés"

Très simplement d'abord remarquons que le mot de "résurrection" provient du verbe "ressusciter"

qu'il vaut mieux prononcer "re-susciter" pour en souligner la double composition : Une particule "re" et un

verbe "susciter". La particule "re" signifie à nouveau, avec une idée soit de retour en arrière, comme on

parle de restauration, de reprise d'une situation antérieure, soit de recommencement, en avant, c'est-à-dire

de renouvellement, si ce n'est une recréation, dans une situation totalement inédite, différente de toute

situation précédente.

Le verbe "susciter" indique lui aussi la naissance, l'éveil à un monde encore inconnu, en rapport avec

la vie. Jésus n'a-t-il pas associé les deux réalités quand il dit à Marthe, à la mort de son frère Lazare : "Je

suis la Résurrection et la Vie" ?

Ainsi l'étymologie du mot de résurrection nous place dans le registre vital du temps et de l'histoire,

selon les dimensions du passé, du présent et de l'avenir.

Entre le passé et le présent, il définit une rupture, une rupture instauratrice, qui conserve cependant

quelque chose d'essentiel du passé. Christ ressuscité, au matin de Pâques, est à la fois le même et un autre

pour les disciples qui l'ont connu avant sa mort sur la Croix. Marie Madeleine dans le jardin, le prend pour

le jardinier, les pèlerins d'Emmaüs cheminent avec lui sans le savoir. Les pêcheurs de Tibériade ne

reconnaissent pas immédiatement l'étranger sur le rivage, près du feu. Le corps glorieux du Christ

ressuscité est ainsi différent de celui qui parcourait les routes de Palestine, enseignant les foules et

guérissant les malades : pourtant, il conserve les marques de la Passion, et Thomas pourra le reconnaître

formellement, en avançant sa main et en la portant dans les plaies du côté du Christ transpercé. Thomas et

Jean auront le droit de toucher: Marie-Madeleine, en revanche se voit interdire ce droit Elle est renvoyée à

l'annonce du message, par la parole et dans la foi: invitation à entretenir désormais avec son Bien Aimé un

nouveau type de relation où le corps est investi autrement que par le contact immédiat, sensible.

Pour les disciples d'Emmaüs, c'est à la fraction du pain que le Christ se fait reconnaître, tout en

disparaissant aussitôt à leurs yeux de chair: là encore, invitation à un nouveau rapport, dans le mystère

sacramentel de l'eucharistie, où le Christ Ressuscité présent réellement en son corps et en son sang, se

donne dans le pain et le vin : nouveau contact, nouveau toucher.

La Résurrection signifie ainsi une rupture instauratrice par rapport au passé ; elle est en même temps

l'irruption du monde humain, terrestre dans le monde divin, céleste, dans le Royaume annoncé et promis.

Elle engage alors un rapport entre le présent et l'avenir, le déjà-là et le pas-encore.

Saint Paul dans la seconde lecture d'aujourd'hui nous l'affirme : "du moment que vous êtes

ressuscités (dès maintenant) avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve

le Christ, assis à la droite de Dieu. C'est en haut qu'est votre but, non sur la terre; en

effet, vous êtes morts avec le Christ, et votre vie reste cachée avec lui en Dieu. Quand

paraîtra le Christ, votre vie, alors, vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire".

Notre propre résurrection est donc engagée dès maintenant avec celle du Christ Nous sommes entrés avec

lui, par le baptême, dans le Royaume, dans la vie éternelle, dès lors que nous sommes associés, plongés

dans le mystère de la Mort et de la Résurrection du Christ Nous avons part à la connaissance de ce

mystère, à partir du moment où, comme le disciple Jean, nous croyons, même sans voir. Et nous sommes

appelés à vivre dans l'Esprit Saint une vie nouvelle, une nouvelle création.

n s'agit bien d'une tension entre le déjà-là du Royaume inauguré et le pas-encore du Royaume achevé

L'enjeu de cette tension se situe dans la responsabilité de notre engagement présent, ici et maintenant

Elle met en acte notre espérance, "une espérance pleine d'immortalité", comme le disait déjà le livre

de la Sagesse dans l'A.T. Car "si nous avons mis notre espérance dans le Christ pour ce

monde-ci seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. Mais non,

Christ est ressuscité, prémisse de tous ceux qui doivent aussi ressusciter avec lui au

Dernier Jour". Il nous faut espérer contre toute espérance, comme Abraham quand il fut soumis à

l'épreuve, il nous faut croire en l'impossible qui constitue ou re-constitue un réel plus réel que toutes les

réalités de notre imaginaire. Il nous faut enfin aimer de cet amour qui nous vient de l'Esprit Saint et qui est

la puissance dernière à l'œuvre dans la Résurrection.

Croire à la Résurrection, c'est donc croire au poids de ce qui fait l'importance de notre vie : les

événements, les rencontres, les expériences profondes que nous pouvons vivre ici-bas, sans nous y

attacher outre mesure, car la figure de ce monde est appelée à passer. Tout sera suscité à nouveau, re-

suscité: notre vie sera reprise et récapitulée dans le Christ, dans la lumière et la Communion définitive,

dégagée de tout péché, quand Jésus soumettra tout à son Père et qu'il sera tout en tous.

Méditer sur le mystère de la Résurrection, ré-inventer la signification originelle du mot,

c'est donc être invité à porter un regard sérieux sur notre existence, lui donner un sens, au-delà des échecs,

de l'absurde, du péché et des petites morts que nous connaissons tous plus ou moins. Sans déserter le

quotidien, c'est vivre dans l'attente, la confiance et l'espérance. C'est croire en vérité et avec sérieux ce que nous allons vivre tous ensemble dans un instant:

"J’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir"

AMEN (1998-04-12)

Homélie du 25 décembre 1999 — Noël - Messe du jour — Frère Matthieu
Cycle : Année B
Info :

Année ABC - Messe du Jour de Noël 1998

Is 52 7-10; Heb 1 1-6; Jn 1 1-18

Homélie du F.Matthieu

Texte :

b]1998

Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous ...

Ainsi tout est dit, et il n’y a plus, pour comprendre cette Parole de l’Evangile, qui résume si parfaitement le mystère que nous célébrons aujourd’hui, qu’à méditer les Ecritures pour espérer en découvrir le sens, celui que le Seigneur lui-même veut nous y faire entendre.

Il a habité parmi nous...

Jean emploie ici un verbe bien particulier, tellement particulier qu’il joue avec une grande subtilité sur les deux langues, le grec et l’hébreu, les deux langues de la Révélation biblique il faut entendre : il a planté sa tente au milieu de nous - le mot grec eskènôsen ...

Mais il faut entendre aussi : il a manifesté La Présence , c’est-à-dire la Présence de Dieu, parmi nous, ce que la tradition biblique et juive appelle la Shekhinah , la Présence même du Dieu qui habite au milieu de son peuple en marche au désert, la Présence même du Seigneur sur l’Arche de l’Alliance entre les deux Kerubim , ces deux figures angéliques qui délimitent l’espace - si l’on eut parler ainsi - où Dieu trône dans le Saint des Saints.

Approfondissons ces deux images de l’Ecriture.

Il a planté sa tente au milieu de nous.

Il ne s’agit pas de n’importe quelle tente, ni de n’importe quel lieu de campement ; il s’agit du désert de l’Exode où le peuple marche, de la terre de servitude à la terre promise, de campement en campement, et Dieu comme chacun des israélites, « a choisi d’habiter sous la Tente », la Tente que le livre des Nombres appelle la Tente du Rendez-vous , car le Dieu vivant et vrai est le Dieu de l’Alliance, celui qui toujours tient table ouverte pour le passant que nous sommes, pour le passant qu’est tout homme en quête de sens...

Lorsque le Verbe se fait chair, lorsque Jésus naît de la Vierge Marie, il inscrit sa chair comme la « Tente du Rendez-vous » au milieu de son peuple et alors il n’est nullement étonnant que ce soit des bergers, les derniers en Israël à être encore des nomades, à ne pas être sédentarisés, installés, les derniers à être encore en marche, qui soient les premiers alertés par les anges pour venir le reconnaître Celui qui habite sous la tente avec les hommes en marche, avec les hommes qu’Il invite à marcher à sa suite, avec nous qu’il invite à le suivre aujourd’hui... Et il ne sera pas plus étonnant que, parmi les nations, ce soient des Mages venus d’Orient, des Mages qui ont osé, à cause de l’étoile apparue dans le ciel, le grand voyage qui les entraîne sur les routes d’Israël, qui soient les premiers à trouver l’Enfant pour se mettre à son service comme nous-mêmes nous sommes invités, aujourd’hui, à nous mettre à nouveau au service de Celui qui a planté sa Tente au milieu de nous.

Lorsque le Verbe se fait chair, lorsque Jésus naît de la Vierge Marie, il se manifeste comme le Dieu de l’Exode, celui qui a choisi de s’inscrire au cœur de l’histoire d’un peuple pour le sauver de son péché et, à travers Israël, pour sauver tous les hommes en leur faisant retrouver le chemin qui, à la suite de Jésus, les ramène vers cette terre qu’ils n’auraient jamais dû quitter.

Venons-en à la deuxième figure, celle de la Shekhinah , de la Présence du Dieu qui habite entre les Kerubim sur l’Arche de l’Alliance.

Oui, le Dieu trois fois Saint, Celui que les cieux ne peuvent contenir , Celui dont la terre est l’escabeau de ses pieds , est là, aujourd’hui, réellement présent dans l’enfant de Bethléem.

Et pour que cette merveille puisse s’accomplir, la Tradition biblique et juive a bien compris qu’il fallait toute la Puissance de Dieu, car seul il pouvait inventer , choisir de se restreindre , de se mettre à notre portée, de se couler à notre mesure, et c’est bien là la plus grande merveille de son amour, le signe le plus évident de cet amour qui ne recule devant rien pour revenir à hauteur des hommes pécheurs que nous sommes.

Et cet acte de Dieu, se restreignant par amour, aujourd’hui, dans le Verbe fait chair en Jésus, à Bethléem de Judée, il nous est manifesté comme définitif, sans repentance possible pourrait-on dire : plus jamais, Dieu ne pourra quitter cette Tente qui est au milieu de nous, plus jamais Dieu ne pourra s’éloigner de nous, remonter au ciel, comme il le fit après le péché d’Adam...

Avec Jésus, Verbe fait chair, Dieu implanté en notre terre, nous est donnée la certitude absolue que l’amour de Dieu est bien celui que tous les Prophètes avaient entrevus et espérés, celui dont tout homme rêve un jour, un amour qui n’est que gratuité, un amour qui n’est qu’amour et qui ne peut se décourager devant aucune de nos impasses, devant aucune de nos infidélités, devant aucune des folies ou des violences des hommes.

Oui, aujourd’hui, Dieu a fait définitivement alliance avec nous, Il marche avec nous sur nos chemins, Il a pris parti pour nous par delà toutes nos dérives et toutes nos lâchetés. C’est ce Dieu-là que nous contemplons dans l’Enfant de la crêche, Dieu restreint par amour...

Et si nous étions un peu sages, un peu réveillés de nos égarement, au lieu de l’obliger à nous suivre dans toutes nos errances - et, par amour, il a décidé de ne nous abandonner nulle part, fut-ce au fond de la mort -, au lieu de l’obliger à nous suivre, nous essayerions de nous mettre à sa suite sur ce chemin de Vie qu’il nous propose à nouveau en ce matin de Noël. Amen.

Frère Matthieu Collin