Homélies
Liste des Homélies
Année A - Pâques 5° Dimanche – 24/04/2005
Actes : 6,1-7 ; 1Pierre : 2,4-9 ; Jean :14,1-12
Homélie du F.Guilaume
Frères et sœurs,
Un thème me semble unir les 3 lectures que nous venons d’entendre : celui de la demeure, ou du demeurer, un thème qui parcourt d’ailleurs un peu toutes les Ecritures Saintes..
De quoi s’agit-il en fait dans la lecture des Actes avec cette récrimination dans la 1ère communauté chrétienne des frères de langue grecque contre ceux de langue hébraïque ? On sent comme un reproche fait par les premiers aux seconds, et parmi ces derniers aux Douze Apôtres (qui sont tous d’origine juive) de ne pas s’intéresser suffisamment à eux, de les désavantager, au sujet de cette question du service des repas des veuves. Les frères grecs souhaiteraient que les apôtres prennent en charge et s’occupent eux-mêmes de ce service. La réponse des Douze est simple et claire : non, ce n’est pas à nous, apôtres de faire cela. Pour nous, il nous faut demeurer fidèles à notre mission, à notre service d’annoncer la Parole et d’animer la prière de la communauté. Ne nous demandez pas de tout faire, de tout organiser, et s’il y a un besoin à satisfaire, soyez imaginatifs, créez de nouvelles fonctions, adaptées aux différents besoins. L’important, c’est que chacun soit à une place reconnue, acceptée, et qu’il y demeure fidèle.
Ce « demeurer fidèle » dans une vocation reçue par Dieu et dans l’Eglise est une parole de Dieu à entendre encore pour chacun d’entre nous aujourd’hui. Demeurer fidèle à un engagement, à une parole donnée, à un « oui », à une promesse, que cet engagement soit définitif ou pour un temps seulement, mais tenir bon avec persévérance, malgré les obstacles, les difficultés de tous genres. Cela n’est pas évident dans une société comme la nôtre qui fait l’éloge de la mobilité et du changement ce qui génère beaucoup d’instabilité , de démesure et aussi des tentations de démission.
La seconde lecture joue avec la métaphore de la pierre ou des pierres. Il y est question de la construction du Temple de Dieu, qui est par excellence sa Demeure parmi les hommes. Cette Demeure, jadis symbolisée par la Shekinah est la Présence mystérieuse de Dieu accompagnant son peuple dans son pèlerinage terrestre, au désert d’abord durant l’exode, ensuite au Temple à Jérusalem, puis en exil à Babylone, et de nouveau en Terre Sainte. Cette demeure, à l’heure où les temps sont accomplis, va désormais s’appuyer sur une nouvelle pierre angulaire, une pierre sur laquelle on butera, un roc qui fera tomber : le Christ Jésus en personne. Car le Verbe de Dieu est venu habiter chez les siens, et il a établi sur la terre sa Demeure. Avec lui, nous sommes maintenant et à jamais associés en tant que pierres vivantes à la construction du nouveau Temple de Dieu, qui est le Corps du Christ, l’Eglise et nous sommes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui appartient à Dieu. Quel projet merveilleux, quelle grandiose perspective !
L’Evangile de Jean, lui, nous place à la fois dans une atmosphère d’échange confiant entre un maître et ses disciples devenus des amis, et il nous propulse aussi vers de larges horizons spirituels et mystiques.
Au tout début de l’évangile, les disciples avaient posé la question à Jésus qui les appelait à le suivre : « Maître, où demeures-tu ? » Et Il leur avait répondu : « Venez et voyez ! ». Dans ce dernier entretien avant la Passion, le thème de la demeure revient. Les disciples n’ont toujours pas compris où Jésus veut les entraîner, où il veut en venir avec eux. Quel chemin, quel lieu, quelle rencontre avec Dieu propose-t-il donc ? Le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils ne voient pas clair, qu’ils sont troublés et même bouleversés, car ils sentent la gravité de l’heure, que Jésus va les quitter bientôt, puisqu’il leur a annoncé son départ.
Jésus dans ses réponses cherche à les rassurer, certes, mais il veut surtout les éclairer, les aider à dépasser leurs conceptions trop étroite de la foi, de leur représentation de Dieu, de leur vie spirituelle. L’horizon de la connaissance de Dieu, leur dit-il, ne se limite pas à ce monde-ci. Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures, et si je m’en vais, c’est pour vous préparer une demeure pour chacun de vous
Jésus appelle à un dépassement de la vision de près, de la vision ordinaire. Il s’agit de reconnaître l’œuvre de Dieu dans sa personne même, lui, l’ami déroutant, le fils de l’homme, fils de Marie, Fils de Dieu. Cela fait beaucoup à la fois, et pourtant l’enjeu du salut est là. Nous aussi, comme les disciples, nous avons à entrer dans cette « œuvre de dieu », cet « Opus Dei »-là. C’est la seule demeure qui procure le vrai bonheur, la vraie vie, la vie éternelle.
L’erreur serait de croire que la vie éternelle est réservée à l’au-delà de notre mort, à un futur ou un avenir inaccessible, ici-bas. Non, la vie éternelle, c’est de connaître Dieu et celui qu’il a envoyé : Jésus-Christ, dès maintenant et là où nous sommes, même si c’est d’une manière encore incomplète. C’est découvrir la demeure qui nous est préparée à l’intime de nous-mêmes, par la prière et la méditation de la Parole, c’est accueillir l’Esprit Saint et l’amour répandu dans nos cœurs, c’est vivre de cet amour dans nos relations inter-personnelles. Car « Dieu est Amour, qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui ».
Le Christ a préparé pour nous et il continue de préparer une demeure personnelle, par la victoire de la Croix et la Résurrection. Il est assis à la droite du Père, où il nous attend. Nous possédons déjà d’une certaine manière ce que nous espérons, comme le dit l’auteur de l’épître aux Hébreux en définissant la foi, et nous connaissons ce que nous ne voyons pas. Car voir ce qu’on espère, ce n’est plus espérer, mais espérer sans voir, c’est l’attendre avec persévérance et posséder déjà des prémisses, des arrhes de vie éternelle, dans cette attente. Heureux sommes-nous alors, si nous croyons, même sans voir !
Les trois textes de la liturgie de ce 5ème dimanche de Pâques nous invitent ainsi à être dynamiques, à ne pas nous décourager, à ne pas nous arrêter en chemin. L’Evangile nous veut imaginatifs, constructifs, positifs.
Nous allons maintenant offrir l’Eucharistie, entrer dans la grande prière du Christ à son Père, puis communier à son Corps et à son Sang. Et gardons en mémoire les paroles de Jésus : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi, et moi en lui », et encore : « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée ».
AMEN (2005-04-24)
A – 2005 -Dimanche 27 mars 2005
Dimanche de la Résurrection
Lectures : Ac 10, 34a, 37-43 / Col 3,1-4 / Jn 20, 1-9
Homélie de frère Matthieu
Vous l’aurez peut-être remarqué, l’évangile de la résurrection que nous venons de lire est la conclusion du récit de la Passion, que nous avons lu, vendredi, lors de la liturgie de la Croix. Ainsi achevons-nous aujourd’hui, avec cette eucharistie de Pâques, la grande célébration pascale – c’est une évidence !
Mais ce qui est peut-être moins évident, si nos voulons y réfléchir, c’est que ces deux célébrations doivent ainsi rester ensemble dans nos vies : deux faces d’un même Mystère pascal : Dieu nous a donné son fils pour que nous soyons sauvés, dans sa mort et sa résurrection.
Oui, c’est parce qu’il a pris notre humanité, chair de péché, c’est parce qu’il a traversé nos morts, c’est parce qu’il est descendu jusqu’en nos enfers, que le Christ Jésus nous a sauvés de notre péché, nous a arrachés à nos morts et à la mort, nous a tirés des enfers pour nous faire passer avec lui vers la vie et la résurrection, dans le royaume de son Père.
Ce n’est pas le meilleur de nous-même qui est sauvé dans la mort et la résurrection du Christ, c’est le pire de nous-même, cette part, que nous préférons si souvent ne pas voir, cette part, dont nous désespérons parfois… et qui peut nous conduire à désespérer de Dieu même, à nous éloigner de Lui.
Oui, dans la réalité de notre baptême, nous avons été plongés avec le Christ dans sa mort et dans sa résurrection, avec lui nous avons fait ce passage impossible de la mort à la vie, de notre péché vers notre salut, de la création blessée à la nouvelle création où aucune mort n’a plus d’empire. Voilà notre foi… et dans ce matin de Pâque, il faut redécouvrir ce don inouï de notre Dieu.
Voilà notre foi… Mais nous ne le savons que trop, cette foi, au quotidien, est bien difficile à vivre… alors que nous sommes confrontés à la part de mal et de péché, encore si présente en nos vies, pour ne rien dire de notre monde.
N’en soyons pas étonnés ! les réactions des premiers disciples de Jésus nous disent bien que la foi pascale est tout sauf une évidence…
La plupart du temps, nous ne retenons de l’évangile lu aujourd’hui que la foi du disciple bien-aimé, qui semble nous être donnée en exemple : ‘il vit et il cru !.. Pourtant si nous avons bien écouté notre évangile, nous avons remarqué que cela n’est pas aussi simple...
Car, il n’y a pas seulement le disciple bien-aimé, mais aussi Marie de Magdala et Pierre… et il ne s’agit pas de n’importe qui…
Marie Madeleine, elle était là au pied de la Croix, elle sera la première à rencontrer Jésus ressuscité, la première à porter ‘l’Evangile’ de la résurrection.
Et Pierre, n’est-il pas celui qui a confessé le Christ, celui qui est revenu de son reniement, celui que Jésus va établir comme le pasteur de son troupeau ?
Que nous dit l’Evangile ?
Marie vient au tombeau de grand matin, elle voit… mais seulement la pierre enlevée et elle s’enfuit… et elle va dire à ses frères son affolement devant ce qu’elle comprend comme la disparition, le vol du cadavre de Jésus… elle est bien loin alors de croire en la résurrection !
Et Pierre ? Il part en courant au tombeau, il entre dans le sépulcre… vide… Il voit le linceul resté là… il voit, mais de son constat minutieux, il ne semble rien tirer qui est à voir avec la foi !
Et le verset qui clôt le récit – on ne nous l’a pas fait lire ! – nous dit qu’après cela, Pierre et Marie rentrent chez eux… et le disciple bien aimé avec eux…
Nous voilà sans doute plus à l’aise pour avouer nos difficultés à croire, même en ce matin de Pâques !
Mais l’Evangile n’en reste pas là…
Il nous fait remarquer d’abord que ces interrogations, de Marie, de Pierre, ne restent pas dans le secret de leur cœur : Marie va parler aux disciples, ils vont ensemble au tombeau… et ils regardent ensemble et ils cherchent ensemble…
Oui, ils sont en recherche et c’est bien là ce qui nous est demandé, à nous aussi : être en quête du Mystère, et le rester ; ensemble, à l’écoute les uns des autres, comme nous avons fait en célébrant ces liturgies pascales, chercheurs ensemble. Oui, dans cette quête d’intelligence de notre foi, il ne faut pas rester seul !
Mais l’Evangile nous indique encore et surtout le lieu essentiel de toute recherche : les Ecritures… c’est là qu’il s’agit de voir – l’Evangile reprend le mot ! Oui, voilà bien l’essentiel : nous savons désormais où chercher, que lire, relire et méditer : les textes de notre Bible, ‘Moïse les Prophètes et les Psaumes’, dirait saint Luc.
C’est toujours le temps d’y revenir, de donner à cette lecture le pas sur toute autre lecture… si toutefois nous voulons être sérieux avec notre ‘être chrétien’ !
Oui, dans la quête d’intelligence de notre vie dans le Christ, les Ecritures sont le passage indispensable qu’il faut traverser et retraverser sans relâche… et ensemble aussi, en Eglise, à la suite de tous les croyants qui nous ont précédés et nous transmettent ce qu’ils ont eux-mêmes reçu et compris.
Oui, alors, mais alors seulement, nous pourrons faire et refaire l’expérience personnelle de la présence de Jésus, le ressuscité… au cœur de nos morts, au cœur de nos vies… dans le quotidien, aujourd’hui et demain.
Amen.
Frère Matthieu Collin
Année A - Messe de la Vigile Pascale - 26 mars 2005 à Venière
Mt 28 1-10
Homélie du F.Sébastien
« Vous, les femmes du matin de Pâques, allez dire à ses disciples qu’il est ressuscité d’entre les morts… » Parole d’ange.
Mais aujourd’hui, quels sont-ils ses disciples ? A-t-on le droit de parler naïvement de la résurrection des morts sans penser au monde concret qui nous entoure, à tel ou telle dans nos familles, parmi nos connaissances, à tous ceux et celles pour qui cela ne signifie rien. Absurde !
Je pense à cet ami qui ne manque pas une occasion : « Personne n'est jamais ressorti du trou... Alors, arrête tes histoires ! » Boulonné. Rien à dire...
Je n'en pense pas à moins à ces Égyptiens qui, il a quelque 6000 ans bâtissaient des demeures d'éternité, tantôt grandioses, tantôt d'humbles caches dans le sable. Mais, pour eux, la vie dans l'au-delà, une fois passé le siphon, ressemblait beaucoup à la vie en-deçà: mêmes boisson, nourriture, ustensiles, mobilier, même organisation sociale.
Il en va tout autrement avec notre foi. Notre vie continuera, mais elle connaîtra une transformation qui dépassera tout ce que l'homme peut imaginer : ce sera la vie même de Dieu en nous. Inimaginable !
Au temps de Jésus, en Israël, dans ce peuple que l’Esprit Saint avait éduqué, enseigné, illuminé de tant de manières et par tant de prophètes et de grands mystiques, beaucoup de Juifs, et des plus fervents, ne croyaient pas en la résurrection des morts ; ils pouvaient même la ridiculiser avec des petits histoires farfelues comme celle de la femme aux sept maris successifs restée sans enfant.
Une enquête récente révèle que 20 % des catholiques pratiquants ne croient pas à la résurrection! Et les autres que croient-ils au juste? Ce serait passionnant - et surprenant - de partager là-dessus si nous avions le temps. Une petite suggestion à titre de formation permanente: prenez le Catéchisme de 1'Église catholique et lisez tranquillement les pages consacrées à la résurrection des morts et à la vie éternelle. Très nourrissant.
Mais à côté de l'approche intellectuelle, indispensable, il y a les témoignages vécus. Eux aussi nous ouvrent des horizons.
Anita, 6 ans. Une famille tranquillement athée. Anita va porter des fleurs sur la tombe de sa grand-mère qu'elle aimait beaucoup, et c'était réciproque. Elle revient en courant, rayonnante : « Papa, Papa, c'est mamie !... c'est mamie qui me l'a donné. » Tout contre la tombe, elle a aperçu une minuscule touffe de fleurettes qui avait poussé là par hasard et les a cueillies. Un cadeau de mamie, c'est évident ! « Mais non, ma chérie, tu sais bien que ta grand-mère est morte… – Si, c’est mamie ! – Mais non ! – « SI ! » À la suite des sept frères Macchabées, dont elle n’avait jamais entendu parler, c'est Anita, leur lointaine petite sœur hors la foi, qui était la plus forte.
Tagore, le poète bengali. Pas chrétien, mais grand croyant. La femme qu'il aime vit ses derniers jours:
« Paix, mon cœur, que l'heure de la séparation soit douce;
que ce ne soit pas une mort, mais un accomplissement.
Vivons du souvenir de notre amour et que notre douleur se change en chansons.
Que l'envolement dans le ciel finisse par le repliement des ailes sur le nid. (... )
Je m'incline et j'élève ma lampe pour éclairer ta route.»
Oscar Roméro, chrétien, évêque, devenu défenseur des pauvres et des opprimés dans un Salvador livré à la violence des puissants. Les menaces se multiplient pour le faire taire. En 1980, quinze jours avant d'être atteint en pleine poitrine d'une balle explosive alors qu'il célèbre l'eucharistie, il avait écrit:
« J'ai souvent été menacé de mort. Mais comme chrétien, je ne crois pas qu'il y ait de mort sans résurrection. Si on me tue, je ressusciterai dans le peuple salvadorien. Je dis cela sans me vanter, avec la plus grande humilité.
Comme pasteur, je suis obligé, par mandat divin, de donner ma vie pour ceux que j'aime, pour tous les Salvadoriens, même pour ceux qui vont peut-être me tuer. Si les menaces .viennent à exécution, dès maintenant, j'offre mon sang à Dieu pour la rédemption et la résurrection du Salvador. » - Effectivement, il n'y a de résurrection individuelle qu'avec les autres et pour les autres. Jésus a commencé et il donne de continuer -. (...) « S'ils réussissent à me tuer, vous pourrez dire que je pardonne et bénis ceux qui le feront. Ah ! s'ils pouvaient se convaincre qu'ils perdront leur temps. Un évêque mourra, mais l'Église de Dieu, qui est le peuple, ne périra jamais ».
Pour lui, et pour tant d’autres, l’ange du Seigneur est descendu du ciel. Il a roulé la pierre, il s’est assis dessus. Son apparence est celle de l’éclair et son vêtement blanc comme neige. Avec lui, le ciel est descendu sur la terre. Les morts rhabillés de blanc montent dans le tourbillon. Heureux les yeux qui se ferment pour mieux voir, les oreilles qui entendent comme jamais encore :
« Ne craignez pas ! Vous cherchez Jésus le crucifié, il n’est pas ici. Il est ressuscité, comme il l’avait dit. » C’était donc vrai. Tout était vrai ! Alléluia !
(2005-03-26)
Année A - Dimanche des Rameaux – 20 mars 2005 -
Homélie du F.Sébastien
Nous voici déjà bien engagés dans la première des grandes liturgies de la semaine sainte de l’an de grâce 2005. Nous voici affrontés à la grande question : comment, par la grâce de ces liturgies, passer de la tête au cœur ? Comment nous laisser saisir par le mystère du Christ, pour que nos vies en soient renouvelées, et le monde du même coup ? Les deux se tiennent !
Je vous propose, aujourd’hui, de nous aider d’une méditation, que je trouve exemplaire, une méditation d’un saint moine du 7e siècle, un certain André de Crète, de l’île de Crète.
Je lis :
« Quand la foule des Juifs entendit que Jésus venait à Jérusalem, elle s’avança vers lui avec des rameaux d’olivier en s’écriant : “Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le Roi d’Israël”. »
Je m’arrête : Quand la foule entendit… s’avança… s’écriant… Tout cela, nous l’avons fait. Très bien. Mais après ? Voilà toute la question. Eh bien, après, maintenant, suivons André…
Je lis : « Nous aussi… » – nous, c’est lui et nous, lui qui, du haut du ciel, en ce moment, s’efforce de nous accompagner – « nous aussi saluons le Christ par les mêmes paroles. En guise de palmes, offrons-lui nos chants de louange, avant sa passion ». Toujours commencer par la louange. Avec André, nous sommes en train de passer des palmes matérielles aux paroles intérieures, de ces paroles cordiales qui pourraient se murmurer en nous tout au long de ce dimanche, comme un hommage d’amour personnel au Christ qui vient, qui vient pour visiter notre Jérusalem actuelle : “Jésus, Roi béni, toi qui es venu, viens, viens encore” !
Mais André ne le sait que trop, les paroles, mêmes les gestes, peuvent n’être que platoniques. Et c’est pourquoi il nous entraîne plus loin : « Acclamons-le, non pas avec des branches d’olivier, mais en nous honorant mutuellement dans la charité. » Inattendu ! Serait-ce un dérapage ? Déjà quitter le Christ des Rameaux pour retomber dans la banalité de la charité fraternelle à toutes les sauces ? Moi, je préfère reconnaître une admirable glissade, comme il en survient souvent dans une authentique expérience spirituelle, une de celles où l’on reconnaît le Doigt de Dieu à l’œuvre : un Dieu surprenant. André se laisse faire. Spontanément – mais parce que c’est la pente de son cœur – il est passé de la louange des lèvres à la charité concrète. Il est passé du Christ accueilli au prochain en qui nous pouvons, sans illusions, lui prouver notre amour. Un dérapage cela ? Non, saint André est toujours dans la liturgie des Rameaux, mais désormais dans sa profondeur existentielle. Il continue : « Étendons aux pieds du Christ, comme des vêtements, les désirs de nos cœurs ». Cela va très loin ! C’est que l’homme est tout entier dans ses désirs ; ils sont comme sa carte d’identité, son vrai moi devant Dieu qui murmure : « Dis-moi tes désirs, je te dirai qui tu es. » Ces désirs-là attirent le Christ, irrésistiblement. André en joue habilement, cela fait partie des jeux de l’amour : « Étendons à ses pieds les désirs de nos cœurs afin… ?…afin qu’il porte vers nous ses pas et fasse en nous sa demeure » Vers moi aplati par terre, l’attirant… Dieu attiré, piégé : il ne pourra pas résister. La meilleure raison c’est qu’il ne désire que cela ! C’est vraiment le propre désir de son cœur qu’il glisse dans nos cœurs d’homme et de femmes, impatient qu’il est de s’exaucer lui-même, et nous avec ! La voilà, je pense, la véritable entrée de Jésus Roi, aujourd’hui, dans la Jérusalem des cœurs qui l’attendent. Mais ce n’est pas tout : « …afin qu’il fasse en nous sa demeure, afin qu’il nous place tout entiers en lui et lui tout entier en nous. » Pas moins ! On reconnaît là le désir le plus essentiel de la vie spirituelle, et même de la vie mystique, le désir d’un saint, André, le désir, plus ou moins conscient, des modestes croyants que nous sommes tous… Et il faut dire : « oui ! » C’est ce désir que les liturgies de la semaine sainte doivent commencer à satisfaire, en le faisant grandir, un peu plus chaque année…
Alors, sans attendre, dès maintenant, par nos désirs vrais, tels qu’ils sont, attirons, accueillons le Christ, Seigneur et roi de l’univers, Celui dont notre monde a tant besoin,
Quant à lui, il n’a besoin que d’une ânesse heureuse, consentante, pour s’asseoir dessus, et d’un petit âne, trottinant devant, les oreilles en V…
Qui veut l’être ?
Année ABC - Mercredi des Cendres - 9 mars 2011
Homélie du Père Abbé Luc
Déjà dans certains courriers ou dans certaines salutations, je reçois déjà ce souhait : Bonne entrée en Carême, bonne montée vers Pâques. Ces souhaits entre chrétiens sont heureux, car ils nous redisent l’orientation fondamentale de notre vie : vivre de la Pâque du Christ, mourir avec lui pour vivre avec lui.
Comment nous aussi, dès maintenant nous préparer à entrer dans cette quarantaine qui voudrait raviver en nous, et le don déjà reçu à notre baptême, et le désir d’y conformer davantage notre vie ?
La première chose est, je crois, de mettre les bonnes lunettes pour regarder ce temps. Si nous mettons des lunettes toutes en grisaille, lunette qui ne nous font considérer que les points plus rudes nous risquons de passer à côté, en nous décourageant. Ces lunettes en grisaille nous centrent sur nous-mêmes, alors qu’il s’agit de mieux regarder le Christ, pour mieux le connaître lui et la puissance de sa Résurrection. Avant de commencer, il peut être bon de se demander où en suis-je dans mon désir de mieux connaître et mieux aimer le Christ ? Qu’est-ce que je perçois comme appel dans ma vie la plus quotidienne pour que le Christ ait davantage la première place ? Si je prends le temps de cette écoute, j’ai des chances de rejoindre, et mon désir profond et le désir de l’Esprit qui ne cesse de nous apprendre à nous tourner vers notre Père. En d’autres termes, choisir de mettre le cap sur Pâques, c’est choisir dès maintenant d’entrer dans une attention et une écoute plus fine, plus aimante du Christ et de son Esprit en nous. Cette quarantaine voudrait nous faire grandir dans une amitié plus grande avec le Christ. Si nous mettons les lunettes qui nous font regarder vers le Christ, nous découvrirons que les autres moyens, le jeûne, la veille, le partage seront une aide pour nous sortir de nous-mêmes. En effet, laissé à nous-mêmes, la pente naturelle fait que nous nous centrons sur notre petit confort et nos soucis au risque de nous recroqueviller ? Notre pratique commune du jeûne vient nous entraider à un sursaut intérieur. Je rappelle que si des frères ont des difficultés de santé qu’ils m’en parlent. L’important est ce que le jeûne permet de liberté et de décentrement et non le jeûne en lui-même. Mais que cela passe par une parole. Comme nous mettrons l’accent sur les Vigiles du samedi, avec un temps de recueillement propice à la prière et à la lecture, je propose que nous n’ayons pas cette année, le temps des cinq minutes de prière après les complies. Enfin, je souhaiterai rencontrer chacun durant le Carême, pour parler de sa manière avec laquelle il vit l’ouverture du cœur à un frère. Qu’en est-il pour chacun de ce lieu important pour nous, de l’accompagnement spirituel, qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui manque ? Comment faire pour que cette relation soit vraiment occasion de grandir dans la vie spirituelle ? Je ferai donc signe à chacun durant ce Carême. (2011-03-05)
Année ABC - Epiphanie du Seigneur 2005
Is 60 1-6; Eph 3 2-3a, 5-6; Mt 2 1-12
Homélie du Père Abbé Luc
2005
Frères et soeurs,
Il y a peu, je lisais le témoignage d’une religieuse qui avait partagé pour un temps la vie d’une communauté Emmaüs femmes, comme notre frère Daniel a pu le faire en son temps avec des hommes. Cette religieuse raconte qu’un jour, ces femmes qui connaissent la grande pauvreté parlaient entre elles de Noël que l’on venait de fêter. L’une d’elle demande à la religieuse : “et toi Annie, qu’est-ce que tu as eu pour Noël ?” Annie répond : “nous, tu sais, on ne se donne pas vraiment de cadeaux...juste parfois des petites choses pour se dire notre amitié...On partage plutôt avec d’autres”. La femme reprit: “c’est vrai, les soeurs, elles, elles font la pauvreté...Vous vous donnez aux autres....et nous, ben, on ne peut plus que recevoir...” Et la religieuse de commenter : “cette remarque produit en moi un choc en me montrant qui est le pauvre : celui qui ne peut que recevoir...”
En ce jour où nous fêtons l’Epiphanie, nous venons adorer Jésus, le Fils de Dieu qui est naît en prenant la dernière place, dans une étable. Il a voulu se tenir là avec les pauvres comme celui qui reçoit tout, Lui qui est l’origine de tout... Comme une enfant, il a reçu la vie et l’affection d’une mère et d’un père. Et aujourd’hui, il reçoit de ses étrangers inconnus en quelque sorte son investiture royale sur tous les peuples : de l’or, de l’encens et de la myrrhe...Ainsi s’y est pris notre Dieu pour se révéler au monde : il se fait petit, parmi les exclus pour recevoir des autres la manifestation de sa dignité...Sur la Croix, Jésus ne fera rien d’autre quand il attendra tout du Père jusqu’au dernier souffle dans l’attente de la Résurrection...Compté parmi les pécheurs, il s’en remettra totalement à son Père qui peut le sauver.Ainsi la crèche nous montre-t-elle les moeurs de notre Dieu. Nous pouvons en tirer deux leçons.
La première : quand nous venons aujourd’hui adorer avec les mages l’Enfant dans la Crèche, il est bon de nous rappeler que notre Dieu n’est pas un Dieu terrible, écrasant de puissance qui voudrait nous arracher notre reconnaissance, notre adoration ou notre obéissance. Quand viennent parfois nous hanter ces images d’un Dieu oppressant, souvenons-nous qu’Il n’a rien à voir avec cette idole de terreur. Rappelons-nous plutôt qu’Il veut se révéler à nous dans la mesure où nous sommes capable de le reconnaître très proche de nous dans nos pauvretés, dans notre petitesse, dans notre péché. Et il lui plaît que nous le confessions là comme notre Dieu, notre Sauveur lui qui s’est chargé de nos péchés, de nos maladies, comme dira Pierre. Apportons-lui comme or, encens et myrrhe le coffret de notre confiance et de notre amour. Nous manifesterons par là qu’il est le Vrai Dieu, non l’idole de la Puissance, mais le Père de toute miséricorde...
La seconde chose que nous apprends cette fête touche à nos relations humaines.Les mages ont manifesté la dignité de cet enfant à ses parents pauvres...Ces hommes justes, ces chercheurs ont su être à l’écoute des signes. Ces mages nous montrent combien nous pouvons à notre tour révéler à nos proches toute leur dignité...si nous sommes attentifs aux événements, si nous savons écouter ce qui traverse la vie de nos proches, de nos frères de communauté. Nous pouvons par l’or de notre reconnaissance, par l’encens de notre bienveillance et par la myrrhe de notre amitié leur manifester qu’ils sont toujours plus grands que ce qu’ils peuvent penser d’eux-même. Ici, je pense à notre frère Daniel qui durant ces dernières années de grand abaissement à ses propres yeux et aux nôtres a reçu toute sa dignité des soins quotidiens de nos frères infirmiers. A l’instar des mages, ces derniers lui ont manifesté sa dignité d’homme, d’enfant de Dieu au coeur de sa pauvreté qui nous pouvait nous la masquer...
Rendons grâce à notre Dieu qui nous apprends aujourd’hui quelle adoration il attend de nous, et quelle dignité nous pouvons recevoir les uns par les autres.(2005-01-02)
Année ABC - Messe de la Toussaint - 1 Novembre 2004
Ap 7 2-4, 9-14; 1 Jn 3 1-3; Mt 5 1-12a
Homélie du Père Abbé Luc
2004
Peut-être avez-vous remarqué, frères et soeurs, combien les lectures de ce jour nous parlent beaucoup de voir, de vision... Elles semblent nous dire : “attention, il y a quelque chose à regarder” ! C’est Jean dans l’apocalypse qui nous dit qu’il a vu un ange tenant un sceau pour imprimer la marque du Dieu vivant, et aussi qu’il a vu une foule immense de toutes races devant le trône et devant l’Agneau. C’est encore le même Jean dans son épître qui nous invite à nous associer à sa contemplation : “Voyez comme il est grand, l’amour dont le Père nous a comblés : il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu”...
En cette fête de la Toussaint, il y a donc quelque chose à voir...Dans quelle direction, nous faut-il tourner nos regards ? Vers le ciel ? Peut-être... Vers la terre des hommes ? Peut-être...Il me semble que Jean nous indique une première direction : vers nous-mêmes. Non pas pour nous admirer ou pour faire de l’introspection, mais bien plutôt pour nous émerveiller de ce que l’Amour de Dieu a fait pour nous : il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu, et nous le sommes vraiment ajoute notre texte.
Oui, frères et soeurs nous sommes aimés d’un grand amour qui change tout de notre vie d’homme et de femme. Nous sommes enfants de Dieu, aimés chacun d’une manière unique, investis d’une grande dignité à ses yeux. “Tu comptes beaucoup pour moi, tu as prix à mes yeux et je t’aime” avait déjà entendu et compris le prophète Isaïe...Nous pouvons le croire avec plus d’assurance aujourd’hui encore dans la lumière de Jésus, le Fils de Dieu. Il est venu comme un frère parmi nous, pour nous faire connaître cette relation profonde dans laquelle Dieu désire nous faire entrer...Par sa mort et sa résurrection, il nous ouvre l’espace de la vie divine. En Lui, nous sommes enfants, fils de Dieu. Et quand il viendra nous lui serons semblables...Ce matin, il nous est proposé d’ouvrir nos yeux, de laver notre regard pour reconnaître ce que nous sommes, des êtres infiniment aimés en Jésus-Christ de toute éternité et pour l’éternité. Laissons, frères et soeurs ces paroles de Jean nous illuminer, nous renouveler de l’intérieur dans la foi que Dieu nous aime, et que cet Amour peut faire en nous des merveilles.
Et ici, nous pouvons tourner nos regards vers le Ciel, vers tous ces vivants qui nous précèdent auprès de Dieu. Leur vie est là pour attester combien il est grand l’amour de Dieu...combien il peut ouvrir des chemins inattendus dans le coeur de chacun...Il a façonné en eux un visage de belle humanité, un visage de sainteté...Il y a les visages bien connus parce que reconnus par l’Eglise. Il y a aussi tous ces visages que nous gardons en mémoire, comme de petites lampes précieuses sur nos routes personnelles. Leur amitié avec Dieu, leur vie profondément humaine, leur humble parcours nous font signe de cette possible relation qui transfigure nos vies humaines...Ils se sont laissés enfantés par Dieu, ils ont accepté de naître d’un autre, de renaître à tous les âges de leur existence... Tout en étant des hommes et des femmes pleinement de cette terre, ils ont cru à cette relation ouverte sur un ailleurs. Ils ont accepté que s’ouvre une brèche dans les évidences trop terrestres. Ils ont pris le chemin de la foi. Ils ont consenti à devenir fils et fille du Très-Haut.
A la suite de tous ces enfants de Dieu qui ont fait briller dans leur vie l’Amour du Père qui les comblait, accueillons sans peur ce regard de notre Dieu sur nous. Et si notre vie nous semble faire obstacle à cet Amour, si nous nous en sentons si peu digne, souvenons-nous que Dieu aime d’abord les pécheurs que nous sommes. Et si nous peinons encore à le reconnaître en nos vies, pourquoi ne pas aller à la rencontre d’un de ses amis, en lisant une vie ou des écrits de saints...Ils sont de bons maîtres, et bons amis pour nous accompagner dans cette découverte inouie de ce que nous sommes : des enfants de Dieu...
Année C - 23° Dimanche du Temps Ordinaire - 5 septembre 2004
Sg 9 13-18; Phm 9-17; Lc 14 25-33
Homélie du F.Servan
"De grandes foules faisaient route avec Jésus ... "
Cela fait maintenant deux mois que l'évangile de Luc, entendu cette année (le dimanche nous fait marcher à la suite de Jésus montant à Jérusalem, marche ponctuée par des paroles plutôt énergiques, voire dures, telles celles que nous venons d'entendre.
Il m'a semblé, d’ailleurs, entendre dans la nef dite « des fidèles » de lâches soupirs de soulagement (je ne saurais dire si c'était côté gauche ou côté droit) qui, je pense, voulaient dire : " OUF! Ces paroles ne nous concernent pas, elles sont pour les moines ou pour les religieuses qui quittent leur famille, renoncent à leurs biens et font vœu d'obéissance !"
Les moines vous répondront :" Bien merci, pour l'honneur que vous nous faites! Et c'est vrai que dans notre Règle de Saint Benoît nous lisons: "Avant tout, aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces et se renoncer soi-même pour suivre le Christ, ne rien préférer à l'amour du Christ. Mais au début de cet évangile n'avez-vous pas entendu: " de grandes foules faisaient route avec Jésus "
(Pour ce qui est de la réalité historique, Luc exagère sans doute, mettons que cela fasse une bonne troupe d'hommes et de femmes suivant Jésus depuis la Galilée ; mais sans doute que lui et l'Esprit Saint nous comptaient dedans, nous, avec d'autres de par le monde et au fil des siècles: alors, oui, de
grandes foules y compris ceux qui ont soupiré dans la nef !
Plutôt que de nous renvoyer la balle, mieux vaut nous livrer ensemble à une démarche de sagesse (cette sagesse dont nous a parlé la première lecture qui nous invite à nous asseoir en entendant ces paroles) !
On se demandera par exemple : QUI PARLE ? Se mettant ainsi en avant, dans la fréquence des pronoms possessifs : « Mon disciple ... vient à MOI …marche derrière MOI ... Me préfère" ...Moi JE SUIS le CHEMIN, Moi Je suis la lumière du monde, qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres.
Et non seulement, il parle, mais Il REGARDE:
« Il se retourna et leur dit ». S'il se retourne, c'est qu'il les regarde. Et si moi je le regarde (dans le secret de ma chambre ou dans l'assemblée liturgique), il peut me donner sa force, mettre en nous ce possible qui est en Dieu. - Dans un passage parallèle de l'évangile selon Marc, ce regard de Jésus est bien explicité : « Après avoir regardé le jeune homme riche, regardant autour de lui, Jésus dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui ont des richesses d'entrer dans le Royaume de Dieu ». Et, comme ils étaient déconcertés, stupéfaits ... Jésus reprit en FIXANT SUR EUX SON REGARD : « Mes enfants, pour les hommes, c'est impossible, mais pas pour Dieu » ! Tout comme il ne faut jamais entendre les dix commandements de la Torah de Moïse, en oubliant la phrase introductive: « C'est moi le Seigneur votre Dieu qui vous ai libérés », de même il ne faut jamais entendre l'évangile sans ce regard qui encourage!
(Comme me l’écrivait une amie psychologue, en son langage particulier : « le renoncement n’est pas directement sous le contrôle de la volonté, mais dépend de la qualité d’un « être aimé » et d’un « être regardé » qui seule ouvre à la confiance dans l’autre » C’est bien dit !!
Et A QUI PARLE-T-IL qui regarde-t-il ?
Les foules, mais aussi, chacun en particulier: « Si quelqu'un, celui d'entre vous ». Dans tous les cas, à un homme qui marche (pas seulement qui passe un temps plus ou moins long sur la terre : « UN JOUR QUI S'EN VA, UNE HEURE DANS LA NUIT » comme l'a dit le psaume, 80 ans et plus, mais qui doit qualifier et orienter ce temps de vie en en faisant un chemin sensé, éclairé en cela par la Parole de Dieu. C'est ainsi que par ta Sagesse les chemins des habitants de la terre sont devenus droits « Heureux l’homme qui marche selon la Loi du Seigneur » dira encore le psaume.
Et ... QUE DIT-IL ... à cet homme qui, avant de pouvoir construire sa tour, sa vie ... de pouvoir se défendre, voire attaquer l’ennemi, l’autre soi, le concurrent , menaçant son pré carré et avant qu'à l'automne de sa vie un corps périssable n'alourdisse son esprit, commence par être un petit d'homme bien démuni (si on le compare aux animaux mieux programmés ) ayant donc bien besoin de
la protection d'une famille et à travers elle de l'appui sur les biens nécessaires ...
Que lui dit-il? ... peut-être ceci:
« Quand je vous ai parlé de « me préférer à … de renoncer à ... de porter sa croix pour marcher derrière moi » ce n’était pas invite à tuer la nature, à faire de mes paroles comme une pluie de cendres culpabilisantes sur vos bonheurs terrestres.
- J'ai dit aussi : d'honorer ses parents et d'aimer le prochain « comme soi-même » donc il y a un bon amour de soi-même.
Et parlant: de l'homme et de la femme, mon apôtre précisera : « Nul n’a jamais haï son propre corps; au contraire on le nourrit, on en prend soin!"
NON! C'était vous appeler à la vie nouvelle du Royaume de Dieu que je suis venu semer sur la terre, vous appeler à en vivre et à en témoigner, redonnant force nouvelle aux deux grands commandements de l'Amour, Je vous appelle à sortir de l'étroit (parfois de la famille, souvent de vous-mêmes) pour devenir Fils et Filles de Dieu et Frères de tous ! Vivant toujours davantage dans la relation-respiration avec ce PERE surprenant dont j'ai tant aimé vous parler et qui est là dans le secret ... (respiration intime mais pas sans conséquences bien concrètes dans la vie de chaque jour : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait).
Et je vous appelle à vous faire le Frère de beaucoup, par-delà le cercle restreint de vos proches. Paul invite Philémon à voir Onésime non plus comme un esclave (type de la relation étroite, aliénée) mais comme un frère bien-aimé!).
Je vous ai parlé de son regard, fixé sur nous. En écho, un chrétien parlant à d’autres chrétiens, dans l’épreuve, l’auteur de la lettre aux Hébreux leur écrit : « Fixant nos yeux sur le Chef de notre foi, (qui la mène à la perfection), Jésus, qui au lieu de la joie qui lui était proposée, endura une croix et est assis désormais à la droite de Dieu. Songez à celui qui a enduré de la part des pécheurs une telle contradiction afin de ne pas défaillir par lassitude de vos âmes.
Enveloppés d’une si grande nuée de témoins, rejetons tout fardeau et le péché qui nous assiège pour courir avec constance l’épreuve qui nous est proposée » Héb 12 (1998-09-06)
Année C - 22° dimanche du Temps Ordinaire 29 août 2004
Siracide, 3 :17-29 ; Hébreux,12 :18-24 ; Luc 14 :1-14
Homélie du F.Guillaume
Frères et sœurs,
L’évangile que nous venons d’entendre rapporte ce que l’on a pu appeler « des propos de table » tenus par Jésus, à l’occasion d’invitations à des repas qui ne manquèrent pas tout au long de sa vie terrestre. Ici, Jésus est invité, un jour de Shabbat, chez un pharisien, mais on sait qu’il s’asseyait tout aussi bien à la table des publicains et des pécheurs, qu’il n ‘a pas refusé d’aller à une noce à Cana et qu’il a partagé bien des repas ici ou là avec les foules et ses disciples, jusqu’à la dernière Cène, avant sa Passion et même encore après sa mort et sa Résurrection.
Aujourd’hui, dans ces « propos de table », Saint Luc nous livre deux sentences de Jésus qui insistent sur deux conduites à tenir en matière de repas, valables tout aussi bien à notre époque qu’à la sienne, pour vivre selon l’Evangile :
- d’une part, l’humilité, traduite concrètement par l’effacement devant les autres,
- d’autre part le désintéressement, le don sans attente de gain en retour de la part des autres, bref, une générosité sans calcul une gratuité surtout à l’égard des plus démunis.
Humilité et Générosité : ce sont là des valeurs qui peuvent être mises à mal dans notre monde d’aujourd’hui, tout comme au temps de Jésus. Prenons-les l’une après l’autre.
Dans notre société, nous le savons bien, tout est organisé et pensé pour que l’homme se réalise par une mise en avant de lui-même. Il faut qu’il soit le plus performant, qu’il recherche la première place, et cela dès son plus jeune âge, dès l’école maternelle. C’est ce qu’un sociologue, Alain Ehrenberg a pu appeler : « le culte de la performance » pour un individu devenu de plus en plus incertain et fatigué d’avoir à être lui-même, à devoir toujours faire ses preuves pour réussir, pour correspondre à une image idéalisée qu’il se fait de lui-même ou que lui dicte les autres de façon tyrannique. Ne pouvant pas la plupart du temps y parvenir, il tombe alors dans la dépression, écrasé par le sentiment de son insuffisance…
Jésus, par une remarque pleine de bon sens et de prudence, qu’il tire d’ailleurs de la sagesse traditionnelle juive, oppose à cette stratégie de la mise en avant de soi, une autre stratégie qui en prend le contre-pied. Cette autre stratégie, paradoxalement, parvient au meilleur résultat, à savoir cette première place si désirable…
« Qui s’abaisse sera élevé et qui s’élève sera abaissé ». Comprenons bien que Jésus ne prêche pas la démission, l’aplatissement devant les autres ou un refoulement de son désir qui serait générateur de frustrations : il propose un changement de perspective, vis-à-vis du regard que l’on a sur soi et sur les autres. L’humilité et l’effacement sont en fait des chemins de vérité, pour qui se met à la suite du Christ. Ces attitudes rejoignent l’homme dans son être profond, bien davantage que le paraître ou le faire. Elles requièrent du courage, de l’énergie et de la volonté, qui proviennent de la force de l’Esprit. Le but recherché en finale, c’est l’entrée dans le Royaume des Cieux, promis à ceux qui se convertissent, en retrouvant un cœur d’enfant, plein de confiance. Car l’attitude qui s’oppose le plus à la conversion, c’est ce sentiment de justice personnelle et de supériorité que Jésus dénonçait chez les pharisiens.
La crédibilité de cette sentence de Jésus sera confirmée par l’exemple qu’Il a donné lui-même de sa vie. « Lui, de condition divine, n’a pas revendiqué d ‘être l’égal de Dieu, mais il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à mourir sur une croix » On a pu dire de lui, qu’il avait tellement pris la dernière place, que personne ne pourra jamais plus la lui ravir.
La seconde sentence de notre évangile concerne le désintéressement : la générosité du don qui n’attend pas de contre-partie. Ainsi nous dit Jésus pour le choix des invités, quand on donne un repas : « invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles et tu seras heureux parce qu’ils n’ont rien à te rendre. Cela te sera rendu à la résurrection des justes. »
Là encore, par un paradoxe et un renversement de situation, la récompense la meilleure sera offerte à celui qui aura sacrifié ses amis, ses parents en accordant la préférence aux pauvres, aux petits, aux handicapés de la vie. Cela n’est pas évident ni spontané. Et pourtant ? Peut-être connaissez-vous l’histoire de ce petit garçon de 10 ans qui va visiter sa petite sœur malade à l’hôpital. Le médecin s’adresse à l’enfant et lui dit : « Tu sais, ta petite sœur est très malade, elle risque de mourir, elle ne peut être sauvée que si tu veux bien lui donner ton sang, car elle a besoin de sang, et il n’y a que le tien qui soit vraiment compatible avec le sien, parce que vous êtes frère et sœur. » Le petit garçon tout d’un coup a très peur, il réfléchit, il hésite et puis finalement, il accepte. Une heure après le prélèvement, le médecin revient et le petit garçon lui demande : « Dites, docteur, maintenant, quand est-ce que je vais mourir ? ». L’enfant avait réellement cru, en donnant son sang, donner sa vie pour sa sœur, et il n’avait pas tort.
Une autre illustration de générosité gratuite nous a été rapportée par notre voisin, le Père Régnault, prêtre à St Léger Vauban. Il nous disait combien il avait été frappé, lors des ses voyages en Inde, par la manière dont les gens pratiquaient l’aumône. Quand un pauvre reçoit une pièce d’un passant, ce n’est pas le pauvre qui remercie, mais c’est le donateur, car, ce dernier, dans un esprit religieux, rend grâce à Dieu de lui avoir offert la possibilité d’exercer son devoir d’aumône, en plaçant ce pauvre sur son chemin.
Ces exemples (et chacun pourrait en apporter d’autres) nous montrent que la générosité n’est pas absente du cœur de l’homme, même si ce cœur est très conditionné par l’esprit du monde et la recherche du profit et du plaisir immédiat et égoïste.
Ainsi, l’évangile d’aujourd’hui nous adresse une leçon de bonheur : c’est dans l’ouverture à autrui, dans le désir de laisser la place aux autres, la meilleure place, c’est dans un don sans calcul que résident la joie la plus grande et l’espérance d’être accueilli un jour à notre tour dans le Royaume, à la Résurrection des Justes.
L’Evangile propose un horizon non pas chimérique, mais il porte nos regards trop étroits, trop limités au-delà de nos intérêts immédiats. Il n’est pas fuite de nos responsabilités pour notre terre : au contraire, car il nous renvoie à l’attention à porter à nos frères, aux plus pauvres surtout. Mais il est aussi et surtout attente de la Résurrection des morts et de la vie du monde à venir, comme nous allons le proclamer en finale du Credo, dans un instant.
Alors, offrons cette eucharistie, avec joie, en accueillant le sacrement du Corps et du Sang du Christ, lui qui s’est livré par amour pour nous, afin que nous ayons la vie, la vie en abondance, la vie éternelle.
Amen (2004-08-29)
Année ABC - Fête de st Jean-Baptiste - 24 Juin 2004
Is 49 1-6; Ac 13 22-26; Lc 1 57-80
Homélie de F.Guillaume
Tous disaient : « Que sera donc cet enfant ? »
Voilà bien la question de toujours que se posent les parents, les familles à la naissance d’un des leurs. C’est bien celle que je me suis posée, il y a quelques jours, en apprenant la venue au monde de mon 5ème petit-neveu, prénommé Foucault. Que sera donc Foucault ? Il y a des chances qu’il vive jusqu’au XXIIème siècle, dans la mesure où les progrès de la médecine vont augmenter encore l’espérance de vie, à moins qu’il ne soit fauché par un accident ou une maladie prématurément , ou bien qu’une catastrophe pire encore que celles que nous avons connues au XX° siècle ne vienne dévaster ou détruire notre planète « Terre » que nous savons en danger et soumise à bien des menaces. Chacun peut y aller de sa prophétie de bonheur ou de malheur pour l’avenir, mais revenons au prophète Jean-Baptiste. Qu’est-il donc devenu après sa naissance ? Qui est-il pour nous aujourd’hui ? Laissons-nous interroger par lui, en ce jour, comme Jésus interrogeait ses disciples dimanche dernier dans l’évangile : pour vous qui suis-je ?
Je vous propose de méditer 3 aspects de cette figure évangélique, si chère à la tradition monastique, dans la ligne du prophète Elie. Jean d’ailleurs n’a-t-il pas été désigné comme le nouvel Elie attendu pour les temps messianiques ?
En premier lieu, on peut dire que Jean est le prophète du courage. Courage dans l’annonce de la Vérité et dans la dénonciation du mensonge. Ce zèle lui a coûté la vie, nous le savons dans une sombre histoire de jalousie et d’infidélité conjugale dans l’entourage de la famille d’Hérode. Jean n’était pas l’homme des arrangements ou des compromissions : il a rappelé la loi du mariage, et plus largement il rappelait à ses contemporains la Loi de Dieu et ses exigences de Justice et de respect des autres.
Aujourd’hui encore nous avons besoin d’entendre des prophètes courageux, dans bien des domaines et pas seulement ceux de la morale conjugale ou familiale. Notre monde et notre société ne sont ni meilleures, ni pires que celles du 1er siècle. A notre place, si petite soit-elle, et quand les circonstances nous le commandent, avons-nous, nous aussi, le courage de dire la vérité, quoiqu’il nous en coûte ? Sommes-nous, comme Jean, des affamés et des assoiffés de la Justice de Dieu ? Des passionnés de la Vérité ?
En second lieu, je dirais que Jean est le prophète de l’effacement. « Il faut qu’il grandisse, et que moi, je diminue ! » Jean a toujours eu la conscience de n’être qu’un Précurseur et qu’un Autre, plus grand que lui, devait venir après lui. Il s’est considéré comme un ami de l’Epoux, qui se tient là, à ses côtés, à son écoute et cette simple présence le remplissait de joie. « Telle est ma joie, et elle est parfaite ». Ce sentiment d’être à sa place, et rien qu’à sa place, n’enlève rien à l’importance de sa mission, à la valeur du baptême qu’il conférait aux foules qui venaient à lui, au bord du Jourdain. Jésus l’a reconnu et a fait l’éloge de Jean : « parmi les fils des hommes, aucun, je vous le dis, n’a été plus grand que Jean, et pourtant le plus petit dans le Royaume de Dieu est plus grand que lui ! ».
A nous aussi, à la suite de Jean, il est nous est demandé de savoir bien nous positionner par rapport à Dieu, au Christ et par rapport aux autres. « Un homme ne peut rien s’attribuer à lui-même au-delà de ce qui lui est donné du Ciel ». En tant que moine, que moniale, nous avons à tenir notre place dans l’Eglise et dans le monde. Nous aussi d’une certaine manière nous sommes envoyés devant le Christ et par lui. Nous sommes ses amis. « Celui qui a l’épouse est l’époux : quant à l’ami de l’époux, il se tient là, il écoute, et la voix de l’époux le comble de joie. »
Enfin, je terminerai mon petit tableau du portrait de Jean, en disant qu’il a été le prophète des Temps Nouveaux. A la charnière des Deux Testaments, il annonce, en première ligne, le Règne de Dieu et la vie d’un monde à venir. A la différence des apôtres, il n’a pas suivi Jésus sur les routes de Palestine. Il n’était pas là à l’heure de la Passion au Mont des Oliviers, ni au Golgotha. Il n’a pas partagé avec eux la joie de la Résurrection et il n’a pas vécu physiquement les débuts de l’Eglise, à la Pentecôte. Pourtant, on peut affirmer qu’aucun de ces événements n’étaient étrangers à sa vie, à son espérance, à son attente. Comme tous les grands témoins de l’Ancienne Alliance, à la suite d’Abraham, il avait vu par anticipation, le Jour du Seigneur : Jour de fête et de joie. Car il a cru en celui qui devait venir et il l’a désigné comme l ‘Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Jésus a été pour lui bien davantage qu’un simple petit cousin : il était l’Envoyé de Dieu pour un baptême de feu et d’Esprit Saint.
Nous aussi, bien que situés maintenant dans la Nouvelle Alliance et dans l’Eglise, nous avons à être les témoins de l’espérance qui nous habite et qui nous fait attendre la venue du Christ dans la Gloire. Nous attendons la Résurrection des morts et la vie du monde à venir, comme nous le chantons chaque dimanche dans le Credo. Avec une connaissance certes enrichie par rapport à celle de Jean, puisque la Croix et Pâques ont inauguré une ère nouvelle. Cependant nous sommes encore dans l’attente de l’accomplissement de cette ère, et en cela nous sommes bien les frères, les sœurs, les amis de Jean-Baptiste, dont la naissance, la vie et la mort demeurent pour nous un exemple incomparable.
(2004-06-24)