Homélies
Liste des Homélies
SAINTE MARIE MERE DE DIEU
Nb 6, 22-27 ; Ga 4, 4-7 ; Lc 2, 16-21
Père Abbé Luc
Frères et soeurs,
L’Eglise, et tout particulièrement les Eglises d’Orient, aime honorer Marie du titre de Mère de Dieu. Un titre étrange et paradoxal : Dieu peut-il avoir une mère, lui qui est à l’origine de tout, lui qui est le Père unique source de vie ? Mais nous le savons, ce titre donné à Marie, l’a été au concile d’Ephèse en 431, pour exprimer d’abord le mystère de Jésus, le Fils de Dieu venu dans la chair, né d’une femme. C’est pour mieux souligner la réalité de cette naissance de Dieu devenu homme que les Pères ont voulu qualifier Marie, Mère de Dieu, afin de mieux honorer la gloire de son fils Jésus, le Fils de Dieu…
Notre foi nous fait entrer dans un mystère qui nous demande sans cesse d’accepter d’être déplacé, non pas déplacé n’importe comment ou encore vers le non-sens. Non, notre foi nous engage à accepter de laisser certains raisonnements trop immédiatement logiques, pour entrer plus avant dans une autre logique, celle de Dieu. Une logique qui se révèle être encore bien plus profonde, bien plus humaine parce que toute divine. L’Incarnation, comme la Passion de Jésus, sa Résurrection, le don de l’Esprit, comme le mystère de l’Eglise sont autant de points de repère forts qui, mis les uns en lien avec les autres, nous découvrent l’étonnant projet de Dieu sur l’humanité. Oui, à travers tout cela se dessine une profonde logique d’amour, logique divine qui déplace notre logique humaine. Logique divine qui ouvre tout d’un coup des perspectives insondables à notre logique humaine. L’Amour de Dieu manifesté dans notre chair fait alors éclater notre Amour humain pour lui donner de nouvelles dimensions.
St Paul essaie de dire cela à sa manière quand il affirme que Dieu a envoyé son Fils, qu’Il est né d’une femme, qu’Il a été sujet de la Loi juive pour faire de nous des fils qui peuvent comme le Fils unique appelé Dieu « Abba-Papa »…En trois phrases, Paul a dit pratiquement tout le mystère du salut. Quelques phrases qu’il faudra pourtant développer en des milliards de pages à travers les siècles et sous toutes les latitudes pour que tout homme puisse chacun à sa place essayer de mieux entrer dans le mystère…Quelques phrases qu’il faudra sans cesse répéter pour permettre à tous d’entendre de ses propres oreilles cette Bonne Nouvelle inédite : Dieu, le Maitre de toute chose, nous envoie son Fils, celui qui partage son intimité pour partager notre humanité. Dans ce partage d’amour, c’est toute notre humanité qui retrouve une nouvelle beauté. De sa laideur, de son péché, elle est lavée. De son esclavage, elle est rachetée, par le seul fait que le Fils qui est libre a accepté de devenir comme un esclave. Il a accepté de nous libérer de l’intérieur de notre esclavage. Par sa présence totalement libre jusque dans nos chaines de souffrances et de mort, il a redonné à notre humanité sa dignité de fils et de filles de Dieu. Il nous a laissé son Esprit pour que, du plus intime de notre cœur, nous puissions dire en toute confiance : Abba-Papa…à notre Dieu.
Voilà notre foi, voilà notre manière de comprendre cette formidable logique divine. Voilà cette belle lumière offerte à notre cœur et à notre intelligence. Et en même temps, nous faisons l’expérience qu’il n’est pas facile de rester toujours sous cette lumière. Le quotidien et ses soucis, les découragements ou les moments de doute peuvent parfois éclipser cette lumière que nous avons reconnue et à laquelle nous croyons. Nous faisons l’expérience qu’il nous est difficile de laisser l’Esprit dire en nos cœurs Abba-Papa-Père, au travers de toutes nos situations de vie.
C’est ici que nous pouvons regarder Marie, telle que nous la présente aujourd’hui St Luc. D’une certaine manière, Marie n’avait pas tout l’éclairage du mystère de Jésus que nous avons, quand elle l’a mis au monde, quand elle l’a allaité et peu à peu accompagné dans sa croissance humaine, jusqu’à son âge adulte. Elle avait entendu des paroles mystérieuses de l’Ange qui lui donnait un éclairage sur toute l’histoire de son peuple en attente du Messie. Elle pouvait comprendre que cet enfant était celui que son peuple attendait depuis si longtemps. Mais de là à penser tout ce que nous pensons sur Jésus, Marie devait en être bien loin. Et cependant, « elle retenait tous ces évènements et les méditait dans son cœur ». Marie n’a pas fait de grand développement intellectuel, mais elle a laissé résonner tous ces évènements dans lesquels sa vie a été prise et totalement bouleversée. Elle s’est donnée toute entière à ce qu’elle avait à vivre. Elle a fait confiance à la Parole entendue et s’est laissé guider par elle sans tout comprendre. Avancer avec confiance sans tout bien comprendre. Demeurer à l’écoute de l’Esprit et de la Parole humblement sans tout maitriser. Voilà la lumière de vie que nous offre Marie. Voilà ce savoir faire du croyant qu’elle a expérimenté et qui lui a permis de remplir sa mission unique et irremplaçable.
En l’honorant ce matin, nous rendons grâce à Dieu de ce qu’il a fait en elle, et par elle pour que se réalise son projet d’amour en Jésus. Réjouissons-nous de pouvoir maintenant, à la suite de Marie, entrer dans la vie pleine des fils en nous unissant à l’action de grâce du Christ mort et ressuscité.
(2011-01-01)
Messe de la nuit de NOEL 2010
Is 9, 1-6 ; Tt 2, 11-14 ; Lc 2, 1-14
Père Abbé Luc
Frères et sœurs,
En ces temps de fête, une chose m’étonne chaque année un peu plus, c’est le besoin que nous avons les uns et les autres, notamment entre chrétiens, de nous souhaiter un joyeux Noël. De même à Pâques, nous aimons nous adresser les vœux de « Joyeuses Pâques ». Nous reçevons beaucoup de vœux de joyeux Noël, auquel on ajoute les vœux pour l’année nouvelle. Le contraste est fort par exemple avec les fêtes civiles : nous ne nous souhaitons pas un joyeux 14 juillet, ni un joyeux 11 novembre…!! On peut se demander : est-ce nous nous souhaitons un « joyeux Noël » parce que l’on craindrait que la fête se déroule mal ou qu’elle ne soit pas « joyeuse » ? N’est-ce pas plutôt une conviction très simple et très chrétienne qui s’exprime là ? La conviction que ces fêtes doivent nous apporter une joie à ne pas manquer…Comme si par les vœux que nous échangeons de « joyeux Noël ou de joyeuses Pâques » nous voulions nous aider à aller au cœur de ce que la fête doit nous apporter : la Joie qui est signe de la grâce à l’oeuvre…
Chaque année, les fêtes liturgiques nous donnent de faire mémoire des grands évènements de la vie de Jésus. Par là, elles veulent nous permettre de communier à la Joie profonde du salut que Jésus a apporté. En effet, ces fêtes ne sont pas de simples rappels biographiques. Non, à chaque fois que nous faisons mémoire de la mort et de la résurrection du Christ, de sa naissance à Bethléem, de son Ascension, de la venue de l’Esprit Saint à la Pentecôte, etc…nous accueillons et nous revivons dans notre aujourd’hui la grâce de salut qui a animé la vie de Jésus et de ses disciples. Ainsi nous sommes au cœur du mystère de la liturgie chrétienne : nous rappelons qui s’est passé hier, cela devient présent dans notre aujourd’hui et déjà cela annonce notre avenir en Dieu quand tout sera récapitulé dans le Christ. Car en Eglise, nous sommes le Corps du Christ. En nous son mystère prend peu à peu toute sa mesure.
Ainsi en ce jour, nous fêtons la naissance de Jésus dans l’histoire des hommes. Nous nous émerveillons de l’amour fou de notre Dieu qui a désiré partager notre condition humaine. Cela nous réjouit beaucoup. Mais la grande joie qu’il nous faut aussi recueillir à travers cette naissance du Christ, c’est la joie de notre propre naissance qui est à l’œuvre. Comme nous le chanterons lors de la préface : « Par lui, le Christ, s’accomplit en ce jour l’échange merveilleux où nous sommes régénérés. Lorsque ton Fils prend la condition de l’homme, la nature humaine en reçoit une incomparable noblesse. Il devient tellement l’un de nous que nous devenons éternels ».
Elle est là, la joie qu’il nous faut recueillir en ce Noël 2010. C’est la joie de mesurer que cette naissance de Jésus nous entraine dans un échange merveilleux où notre nature humaine reçoit une incomparable noblesse. Oui, par cette naissance de Jésus, nous devenons éternels… Nous balbutions en disant cela. C’est la foi de l’Eglise, c’est notre foi qui donne un éclairage fantastique à notre vie humaine. Sous cette belle et grande lumière, nous pouvons goûter cette joie et méditer ce qu’elle peut signifier. Oui, par notre baptême, nous sommes déjà renés dans le Christ. Le péché et le mal, la mort n’ont plus sur nous l’emprise d’une fatalité implacable. Ils sont là comme un poids que le Christ a déjà pris sur lui. Notre nouvelle naissance est à l’œuvre comme un ferment discret qui traverse toute notre histoire, nos échecs, notre péché et nos souffrances. Paul dirait que l’homme ancien s’en est allé et que l’homme nouveau est déjà là…
Bien sûr, nous faisons l’expérience que la joie n’est pas toujours notre quotidien, que la grisaille du quotidien semble parfois avoir plus de prise…Mais justement, cette fête de Noël nous redit qu’il y a, en notre cœur de croyant, une joie qui est là bien plus profonde. Cette joie ne demande qu’à grandir et à illuminer notre quotidien. C’est la joie de savoir que notre vie est déjà sauvée et aimée par Dieu, jamais abandonnée. Nous l’oublions souvent, et nous vivons trop comme si Dieu n’était pas venu au milieu de nous en Jésus. Comme s’il n’était pas à nos côtés. Ce soir, réapprenons le goût de cette joie simple et profonde de notre foi. Comme une nappe souterraine, elle est là en nous qui ne demande qu’à libérer des énergies de vie.
En cette Eucharistie, accueillons pleinement la Vie du Christ Ressuscité qui nous est offerte. Il est à la source de notre Vie nouvelle, et de notre Joie. (2010-12-25)
3° Dimanche de l'Avent
Homélie du F.Ghislain
Délaissant un peu les textes de ce jour, je voudrais vous parler de l’Avent, que nous célébrons en ce moment et qui va bientôt finir.
Dans l’esprit et les textes de la liturgie, durant l’Avent, nous attendons moins la fête de Noël, en nous retournant vers le passé de la Nativité de Jésus, que le Retour du Christ dans la Gloire au dernier jour, et le début, pour toute la création de Dieu, du bonheur qui ne finira pas et où nous serons pour toujours dans la charité et dans la louange. S’il est vrai, comme dit l’Ecriture que, aux yeux du Seigneur, mille ans sont comme un jour, cela ne tardera pas. Bientôt, selon l’évangile de saint Matthieu que nous lisons cette année, « comme l’éclair part du levant et brille jusqu’au couchant, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme ».
Une telle attente, pourtant, est-elle possible ? On ne peut attendre que ce qui va arriver, et le même évangile nous dit que , de ce retour, personne ne connaît ni le jour ni l’heure. L’Eglise primitive pensait que Jésus reviendrait vite, dans l’espace d’une ou deux générations, et voici deux mille ans écoulés. Le projet de l’Avent est-il réel ou d’une piété toute théorique ?
Pour répondre, je ferai une supposition. Si le Christ revenait, comme l’éclair, à Noël prochain, il pourrait nous dire : « Je vous avais annoncé comme signes de grands troubles à Jérusalem » ; or ils sont aujourd’hui si grands que personne ne sait comment la paix reviendra ; tout au contraire semble enfoncer la Ville et la Terre Saintes dans la guerre et la haine. Je vous avais annoncé « des guerres, des famines, des tremblements de terre ». Or les medias ne vous ont rien laissé ignorer de tout cela. Depuis un demi-siècle, quand une guerre est finie à un endroit de la terre, une autre commence à un autre, et elles sont meurtrières comme elles ne l’ont jamais été. Pour ce qui est des famines et des séismes, les ONG ne suffisent pas à la besogne de venir en aide à des victimes littéralement innombrables. Quant au futur immédiat, des esprits, pessimistes certes, vous disent, malheureusement non sans fondement, que le XXe siècle serait sans doute celui du terrorisme biochimique, pratiquement imparable. Les signes que je vous avais donnés se sont largement réalisés. Vous pouviez donc m’attendre.
En vous rappelant ces paroles du Christ, je ne veux pas dire que la fin du monde soit pour demain. L’humanité durera peut-être encore des milliers d’années. Mais je dis que, si le Christ revenait maintenant, nous n’aurions pas à être étonnés, car ce qui se passe aujourd’hui suffit largement à correspondre aux signes donnés par Jésus. Donc, on peut , on doit réellement se préparer à sa venue, comme si celle-ci avait lieu demain. Et c’est ce que nous rappelle l’Avent.
Mais alors, que signifie se préparer ? Qu’avons-nous à faire, toutes affaires cessantes, pour manifester notre attente ? Ici encore l’évangile de saint Matthieu est tout à fait clair : « Tout ce que vous aurez fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’aurez fait. Venez, les bénis de mon Père ». Les chrétiens en attente se préoccupent des petits et des pauvres : c’est suffisant pour un Avent véritable et c’est absolument nécessaire. Cela peut s’entendre littéralement, et il ne manque pas de personnes et de groupes qui partagent effectivement la condition des pauvres, un à un, et cherchent à les aider, ce qui d’ailleurs leur fait découvrit qu’ils reçoivent d’eux plus qu’ils ne leur donnent. Mais cela peut s’entendre aussi de tout effort que nous faisons pour rendre plus humaine et plus équitable la communauté des hommes :la manière dont nous gérons notre vie de famille et notre vie professionnelle, l’engagement que nous prenons dans une action quelconque, éventuellement une militance politique…, et, en tout temps, notre prière, car il n’est pas en notre pouvoir de faire advenir pleinement la justice et la paix.
L’Eglise n’est pas sans péché, le Pape Jean-Paul II ne cesse de le rappeler par ses multiples demandes de pardon. Elle aurait certes pu faire beaucoup mieux pour répondre à l’injonction de Jésus au chapitre 25 de saint Matthieu. Et, pourtant, imparfaite et lente comme elle est, elle a tout de même fait beaucoup durant les siècles passés dans le sens de l’Evangile. Et maintenant, l’Eglise, c’est nous, et le souci des pauvres nous est confié, non pas comme une bonne œuvre parmi d’autres, mais comme le signe unique de l’attente du Seigneur, la caractéristique de l’Avent permanent d’un retour du Seigneur, qui peut se produire d’une minute à l’autre. A chacun de nous de vérifier, sans anxiété ni scrupule, mais avec loyauté, que le souci des hommes, surtout les plus démunis, est humblement présent au cœur de sa vie personnelle et de sa communauté chrétienne. Le Seigneur alors peut venir, il nous trouvera vigilants.
Année A - Avent 1° Dimanche - 28/11/1999
Isaïe 63,16b-17 64,2b-7 ; 1Cor 1,3-9 ; Marc 13,33-37
Homélie du F.Guillaume
Frères et sœurs,
C’est à 4 reprises que nous venons d’entendre le verbe « veiller » dans ce court passage de l’Evangile de St Marc. Et par 3 fois, à l’impératif présent : « veillez ! », comme un ordre commandé par Jésus au petit groupe de ses disciples d’abord, et en finale à tous.
La liturgie de ce 1er dimanche de l’Avent nous invite donc une nouvelle fois à méditer sur ce thème de la vigilance, de l’attente du retour du Seigneur, comme s’il n’avait pas été suffisant d’écouter les paraboles du même type durant tous les derniers dimanches du cycle liturgique précédent depuis la Toussaint.
J’aimerais ce matin insister sur quelques notes plus spécifiques à cet évangile de Marc la place de la nuit, avec son corollaire du sommeil, le rôle particulier confié au portier qui par fonction ne doit pas dormir, enfin l’effet de surprise, « à l’improviste » dit la traduction, du retour du Maître.
La nuit – le sommeil.
La nuit, opposée au jour est le symbole de l’obscurité, des ténèbres, de la mort. Bien qu’elle puisse avoir un aspect positif, tout comme le désert, l’eau, le feu, c’est le côté symbolique négatif qui domine le plus souvent dans les textes bibliques.
La nuit, hier comme aujourd’hui, c’est le temps de toutes les atrocités, des vols, des crimes, des violences. Je ne sais si vous avez lu le très beau livre d’Elie Wiesel, prix Nobel de la Paix, où il donne son témoignage personnel de rescapé des camps de concentration nazis. Le titre du livre est « la nuit » et en voici un passage :
« Jamais je n’oublierai cette nuit, la première nuit de camp qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée.
Jamais je n’oublierai cette fumée.
Jamais je n’oublierai les petits visages des enfants dont j’avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet.
Jamais je n’oublierai ces flammes qui consumèrent pour toujours ma Foi.
Jamais je n’oublierai ce silence nocturne qui m’a privé pour l’éternité du désir de vivre.
Jamais je n’oublierai cela, même si j’étais condamné à vivre aussi longtemps que Dieu lui-même. Jamais. »
Saint Marc, lui, évoque les 4 veilles qui découpaient le temps de la nuit pour les romains (un peu comme les 4 quarts des marins) : le soir, à minuit, au chant du coq, le petit matin. Et l’on peut associer ces 4 veilles à 4 moments de la Passion et de la Résurrection de Jésus, ce qui confère alors une note éminemment pascale à ce texte.
- la première veille, c’est le soir, à la tombée du jour, au commencement de la nuit : Jeudi Saint, le temps des derniers entretiens de Jésus avec ses disciples : c’est le don de l’eucharistie,
- la deuxième veille, au milieu de la nuit, après la sortie de Judas (« il faisait nuit » rapporte Saint Jean), c’est le moment de la prière de Jésus à Gethsémani. Jésus veille, les disciples dorment, accablés. C’est le temps du procès, des interrogatoires de Jésus avec Caïphe, avec Pilate, le temps des deux premiers reniements de Pierre, au coin du feu. En plus de l’obscurité, il faisait froid, cette nuit-là,
- la troisième veille, au chant du coq :le troisième reniement de Pierre et le regard de Jésus. Repentir de Pierre qui pleure, accueillant le pardon, tandis que Judas va se pendre à la même heure, enfermé dans son péché et son désespoir,
- la quatrième veille enfin, au petit matin, à l’aube. C’est le temps de toutes les scènes de la Résurrection, avec Marie Madeleine, Pierre et Jean, les anges, etc.
A chacun de ces moments, Jésus est présent. Il veille, il est attentif aux situations, à ses disciples, il vient, il re-vient vers eux. Ces derniers, qu’ils soient endormis ou éveillés, ne sont pas vraiment présents. Ils vivent à côté des événements. Ils sont du côté du sommeil, de la mort. Ce n’est qu’à la lumière de la rencontre du Ressuscité, le Jour de Pâques, qu’ils vont réaliser toute l’ampleur de la nuit dans laquelle ils avaient été plongés.
Ensuite, il y a la mention du portier. Dans la parabole, c’est au portier seul qu’il est recommandé de veiller. Aux autres serviteurs, le maître, à son départ, assigne un travail qui semble être plutôt de jour ; la nuit, ils peuvent dormir en paix, le portier monte la garde, au service de tous
Mais après la parabole, quand Jésus reprend son adresse aux disciples, il étend cette fonction propre au portier, à tous : « ce que je vous dis là, je le dis à tous : veillez ! »
La porte, nous le savons par l’évangile de Jean, c’est le Christ lui-même, pasteur de son troupeau. Il monte la garde, jour et nuit, contre les loups et les voleurs. Le portier, c’est non seulement celui qui veille, mais c’est celui qui fait entrer ou sortir, qui exerce un discernement, un jugement.
Tous alors, nous avons à devenir ce portier-berger pour les troupeaux, petits ou grands qui nous sont confiés et sur lesquels nous avons à veiller. Dans l’Eglise, nous ne devons pas nous reposer sur tel ou tel ministre de la veille ; ce n’est même pas à tour de rôle que nous avons à veiller ; tous ensemble, à tout moment, veillons.
Enfin, la mention de l’improviste « » propre à Marc. Par surprise, ou plus exactement dans un « non-savoir », car l’expression revient par deux fois : « vous ne savez pas quand viendra le moment », « vous ne savez pas quand le maître de la maison reviendra ». Non savoir, non-programmé de l’avenir, où se joue le retour du Seigneur et l’événement de sa rencontre avec nous.
Aujourd’hui, 28 Novembre, nous commençons une nouvelle année liturgique, et dans un mois et deux jours, nous entrerons dans un nouveau siècle et même un nouveau millénaire. Que seront-ils ? Radicalement, nous ne le savons pas, alors que nous savons que trop bien ce qu’ont été les précédents. Certains prédisent que le XXI° siècle sera religieux, spirituel, ou alors qu’il ne sera pas. Sera-t-il le siècle des catastrophes nucléaires ou biologiques, de l’anéantissement de la vie, ou alors sera-t-il celui de la réconciliation entre les peuples, les nations et les religions, comme nous pouvons, nous devons l’espérer ? En fait, nous ne le savons pas, et c’est très bien ainsi.
L’Evangile ne commande qu’une seule chose : acceptant de nous tenir dans ce radical non-savoir, qui est aussi un non-pouvoir et un non-avoir, il nous faut nous « tenir éveillés, sans reproche, solidement établis dans le Christ jusqu’au bout », comme le dit Saint Paul, dans la 2° lecture aux corinthiens, dans « l’espérance que Dieu est fidèle, lui qui nous a appelés à vivre en communion avec son Fils, Jésus-Christ, Notre Seigneur ».
Et comme le disait tout aussi bien à sa manière le prophète Isaïe, dans la connaissance bienheureuse que :
« Tu es Seigneur, notre Père, notre Rédempteur,
nous sommes l’argile, et tu es le potier,
nous sommes tous l’ouvrage de tes mains ».
AMEN (1999-11-28)
Année C - 25° Dimanche du Temps Ordinaire - 19-09-2010
Amos 8, 4-7 ; 1 Timothée 2, 1-8 ; Luc 16, 1-13
Homélie du F.Guillaume
Frères et sœurs, avouons-le, le texte de l’évangile que nous venons d’entendre a de quoi nous surprendre, voire même nous choquer, nous scandaliser. Quoi donc ? Jésus ferait-il l’éloge de la malhonnêteté, de l’escroquerie en donnant en exemple un intendant qui fait le généreux aux dépens de son maître, en gaspillant ses biens ?
Quel contraste entre cet homme riche et le maître de la parabole des talents, qui, lui, fait l’éloge de ses serviteurs qui ont fait fructifier l’argent qu’il leur avait confié : 5 talents supplémentaires pour celui qui en avait reçu 5, 2 autres pour celui qui en avait reçu 2. Félicitations et accueil dans la joie pour ces 2 bons gestionnaires, malédiction et reproche au contraire pour le malheureux qui a fait perdre de l’argent à son maître avec son seul talent reçu, mais enfoui en terre, alors qu’il aurait pu rapporter des intérêts à la banque ;
Remarquons que ces textes appartiennent au genre des paraboles. Le propre de ce genre de récit est de dégager une leçon, au-delà de la 1ère impression, laquelle a pour but de surprendre, de dérouter (au sens étymologique de paraballein en grec), de piquer la curiosité, un peu comme le genre des énigmes ou des Proverbes que pratiquaient beaucoup les sages et les rabbins au temps de Jésus et qui ont toujours cours dans la tradition juive. Plusieurs de ces paraboles (tout spécialement dans l’évangile de Luc) ont pour objectif de faire réfléchir sur la question de l’argent. Une question de tous les temps, hier comme aujourd’hui.
En préparant cette homélie, il m’est revenu en mémoire une nouvelle que j’ai lue, il y a un mois environ dans le journal et qui avait alors frappé ma curiosité, comme la vôtre aussi peut-être.
Un homme actuel, considéré depuis des années comme le plus riche du monde, M. Bill Gates, fondateur de la Sté Microsoft qui équipe les logiciels de plus de 90% des ordinateurs de la planète, cet homme a invité et il a réussi à persuader une quarantaine de milliardaires comme lui, d’abandonner la moitié de leur fortune personnelle, soit de leur vivant, soit à leur mort, afin de le donner à des fondations ou des ONG en faveur des malades des pays pauvres, en Afrique, en Asie ou ailleurs. Et le journal donnait publiquement les noms de ces riches qui s’engageaient par promesse à faire cet abandon de leurs biens. On sait que M. Bill Gates et sa femme œuvrent déjà depuis plusieurs années à travers une telle fondation.
Avec tout cet argent, faut-il le qualifier nécessairement de « trompeur », en soupçonnant la façon dont il a été acquis, les programmes de santé dépasseraient largement les budgets nationaux de certains pays aidés.
Mais j’en reviens à l’habileté du gérant de notre parabole, face à l’argent qui lui a été confié par son maître. Son intelligence est de se servir de cet argent pour se préparer des bons contacts, une fois qu’il sera sans emploi, au chômage. Or, les auditeurs de Jésus, ces pharisiens qui aimaient l’argent (St Luc nous le dit au verset suivant), n’ont pas su, eux, se servir de leur richesse pour se préparer des contacts dans l’au-delà. Ces contacts, ce sont les pauvres, qu’ils méprisent, comme le décrit si bien une autre parabole : celle du riche qui faisait des festins somptueux tous les jours, sans voir le pauvre Lazare, à sa porte, mais qu’il retrouvera, à sa mort, dans l’au-delà, en situation inversée, aux cotés d’Abraham.
L’habileté du gérant trompeur est donc d’avoir su investir dans le domaine des relations ou des ressources humaines. Il s’est fait des amis avec l’argent trompeur, afin que, le jour où l’argent ne sera plus là, ces amis l’accueillent dans les demeures éternelles à côté d’Abraham et de Lazare.
C’est cela le bon choix et c’est cela le sens des félicitations de ce propriétaire riche et désintéressé, prêt à sacrifier 50% ou 20% de ses bénéfices (il lui en restera encore une bonne somme). Il a reconnu dans son gérant un sens des relations humaines, à l’opposé de l’égoïsme d’un gestionnaire dont le seul objectif aurait été d’augmenter ses profits ou ses capitaux financiers.
La morale de cette parabole est donc d’élargir notre regard à propos de l’usage de l’argent. L’argent est-il pour nous une idole qui peut nous faire perdre de vue notre vrai destin, à savoir l’entrée dans une relation de vie avec les autres, avec les pauvres, avec Dieu lui-même ?
Il faut se servir de l’argent, sans jamais être asservi par lui. L’argent en lui-même est neutre. Il ne peut jamais être une fin en soi, mais seulement un moyen en vue d’une seule fin : le Royaume annoncé et promis à tous.
Saint Paul nous le dit fort bien dans la seconde lecture : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à connaître pleinement la vérité ». Tous, c’est-à-dire aussi bien les riches milliardaires avec M. Bill Gates, que les millions de malades à qui ils souhaitent venir en aide.
A chacun de nous maintenant d’examiner quel rapport il entretient avec l’argent, et quel usage en fait-il .
L’évangile, les paraboles ne sont pas d’abord des textes moralisants. Ils ne visent en fait que l’urgence de notre conversion, de notre salut et de notre bonheur. Dieu ou l’argent font-ils notre bonheur ? Voilà la vraie question qui nous est posée aujourd’hui. (2010-09-19)
Année ABC - Fête de st Benoît - 11 Juillet 2010
Pro 2 1-9; Col 3 12-19; Mt 5 1-12a
Homélie de F.Guillaume
Les 3 lectures que nous venons d’entendre évoquent chacune à leur manière la recherche du bonheur par l’homme et pour l’homme. La vie monastique selon Saint Benoît, qui n’est qu’une forme de vie chrétienne parmi d’autres, est bien une vie de recherche du bonheur qui implique le désir de Dieu, le désir d’aimer et d’être aimé.
Le livre des Proverbes nous dit que rechercher le bonheur, c’est rechercher et accueillir la Sagesse, en faisant appel à la raison et à l’intelligence. Le sage, mais peut-être est-ce la Sagesse elle-même en personne, éduque ainsi son fils : « mon fils, si tu acceptes mes paroles, si mes préceptes sont pour toi un trésor, alors tu comprendras ce que sont la justice, l’équité, la droiture, toutes choses qui conduisent au bonheur ».
Ces versets de l’Ecriture dans l’Ancien Testament ont fortement inspiré Saint Benoît quand il a entrepris la rédaction de sa Règle et en particulier son Prologue et les premiers mots : « Ecoute ô mon fils les préceptes du Maître et prête l’oreille de ton cœur… Le Seigneur cherchant son ouvrier dans la multitude du peuple à laquelle il fait entendre ses appels dit : qui est celui qui désire la vie et souhaite voir des jours heureux, connaître le bonheur ? Que si, à cette demande, tu lui réponds : c’est moi, me voici, alors Dieu te réplique : si tu veux jouir de la vie véritable et éternelle, garde ta langue de tout mal et fais le bien. Cherche la paix et poursuis-la !
Et St Benoît ajoute : voyez comme le Seigneur, dans sa bonté, nous montre le chemin de la Vie.
La seconde lecture, tirée de la lettre de Saint Paul aux Colossiens développe ce programme d’une vie authentiquement chrétienne, dans l’amour, la recherche et l’accueil de la paix du Christ. Ces versets sont en consonance parfaite avec la Règle de Saint Benoît. Le chemin de la vie monastique est un chemin où le moine n’a rien de plus cher que l’amour du Christ et il cherche à accueillir la paix dans son cœur en combattant toutes les formes de murmure et de ressentiment, toujours possibles dans une vie communautaire entre frères. « Par-dessus tout, revêtez l’amour. C’est le lien parfait. Que règne en vos cœurs la paix du Christ à laquelle vous avez été appelés tous en un seul corps, une seule communauté. Vivez dans l’action de grâces ! ».
Pour Benoît, cette vie dans l’action de grâces a son lieu privilégié dans la célébration de l’office divin, cet Opus Dei qui est la liturgie des Heures, le jour et la nuit. Rien ne devra être préféré à l’œuvre de Dieu. Tout l’horaire, le travail, la lecture et l’étude, l’accueil sont ordonnés à la priorité de la prière, quelle soit prière liturgique communautaire ou prière personnelle, privée. Et si Benoît n’ignore pas que la prière peut prendre l’aspect d’un combat, un combat spirituel, il sait qu’elle est pour le moine un authentique chemin de bonheur aussi.
Enfin l’Evangile qui a été choisi pour cette fête est celui que nous avons à la Toussaint : les béatitudes.
Jésus, au début de son enseignement public, trace à ses disciples le chemin sur lequel il les invite à le suivre, à marcher, comme Chouraqui traduit ce passage, en s’inspirant de l’hébreu : « en marche, vous les pauvres de cœur, en marche, vous les artisans de paix… »
Chacune des ces béatitudes est aussi tout à fait en consonance avec la Règle de Saint Benoît. La vie monastique, comme toute vie chrétienne, comme la vie du Peuple de Dieu est une longue marche, orientée par le désir du vrai bonheur. Et ce vrai bonheur, nous dit Jésus, est tout en paradoxe, car il vient contester les fausses promesses de richesse, de gloire, de plaisir et de rires humains, trop terrestres. Saint Benoît transcrit ce texte évangélique en rédigeant des chapitres sur l’humilité, la retenue dans les paroles, l’obéissance à un Abbé et à ses frères, et dans une longue section détaillant ce qu’il appelle les instruments de l’art spirituel. Il ne fait pas du renoncement à sa volonté propre une fin en soi, mais un moyen pour accéder à une plus grande liberté d’aimer. Rien ne lui tient davantage à cœur que cette liberté du moine dans l’amour.
Frères et sœurs, en cette belle fête, rendons grâces au Seigneur pour le don qu’il a fait à son Eglise de la vie et de l’œuvre de son ami Benoît, ainsi que pour toute la tradition religieuse qu’il a entraînée à sa suite. Rendons grâces pour tous les fruits de sagesse, de paix et de bonheur dont cette tradition bénédictine s’est enrichie à travers les siècles jusqu’à nous, en Europe, mais aussi sur les tous les continents, dans les pays de mission. Rendons grâces pour ces espaces de liberté, de charité et de paix profondes que les monastères peuvent encore offrir aujourd’hui à tous les hommes de bonne volonté et à tous les chercheurs de vrai bonheur. AMEN (2010-07-11)
Année C - 14° Dimanche du Temps Ordinaire
IS 66 10-14; Gal 6 10-18; Lc 10 1-12,17-20
Homélie du F.Sébastien
Comme deux cerfs-volants qui s’élèvent de la terre
et se mettent à évoluer joyeusement dans le ciel,
j’ai vu deux mots se détacher et s’élever des lectures de ce jour
et nous faire signe là-haut.
Deux mots, très humbles qui sont deux forces,
les plus puissantes au monde.
Deux forces désarmées, et à cause de cela désarmantes.
Vous l’avez deviné : La joie et la paix.
Deux armes puissantes contre tout ce qui fait mal, abîme ou décourage.
Il y a trop de tristesses dans notre monde pour que nous ne nous soyons pas des artisans de cette joie,
de cette paix
qui dopent la vie et gonflent les voiles de l’espérance.
C’est pour chacun, chacune d’entre nous, la plus belle des tâches, comme aussi le plus simple et le plus efficace de tous les programmes de vie spirituelle. Pas si facile ! ce qui est une garantie d’authenticité.
Mais il y faut des convictions.
Les lectures de ce jour sont là pour les enraciner dans nos cœurs.
Dans la première lecture, nous écoutons le prophète qui se cache derrière Isaïe, au retour de l’exil, à une époque où Jérusalem est rongée par les désillusions.
Le prophète travaille à encourager ses compatriotes.
Comment ? Pas avec des programmes compliqués.
D’emblée, il prend les grands moyens :
il les invite à pratiquer la joie par la paix, et la paix par la joie. C’est génial ! Écoutons-le :
Isaïe 66, 10-14 « Réjouissez-vous avec Jérusalem, soyez dans la joie à cause d’elle, vous tous qui l’aimez ; que vos cris de joie se mêlent aux siens, vous tous qui pleuriez sur elle ...
12 Car voici ce que dit le Seigneur Dieu : « Je fais que la paix, comme un fleuve se dirige vers elle, .... Je vous consolerai comme celui que sa mère console,.... Vous allez voir, votre cœur sera dans la joie ! ».
Effectivement, Dieu, notre Dieu, est un être de bonheur,
un bonheur en Trois personnes,
toutes portes ouvertes, accueillant,
ne songeant qu’à partager avec qui veut.... Le voulons-nous ?
pour nous, et pour ceux que nous aimons.
Est-ce fermer les yeux
Sur les misères de notre monde, les ravages du péché, les désespoirs ?
ou les ouvrir sur ce qui permet de les traverser ?
Tous nous avons besoin d’un refuge où l’on peut se reposer à l’abri des attaques du mal. Je pense à la magnifique parole de Néhémie, en son chapitre huit : « La joie de Dieu est notre forteresse. » ! La joie même de Dieu, notre forteresse ! Et si c’était vrai ! Eh bien ! C’est vrai !
Un jour, j’ai entendu un homme qui témoignait. Il avait traversé un long temps d’épreuve et y avait appris à se battre. « Maintenant, disait-il, quand je sens monter l’angoisse, je m’efforce de faire le sous-marin. Je pense au récit de la tempête apaisée – les disciples affolés, abandonnés par Jésus qui dort à l’arrière du bateau sur le coussin. Moi, je ne sais pas affronter la tempête en surface, alors je descends dans mon sous-marin, je ferme le capot. Au-dessus la mer est agitée, mais j’ai foi qu’au-dessous c’est le calme, la paix, que Jésus est là : “Ne crains pas, je suis avec toi”, Il concluait. « C’est efficace.... mais il y faut une certaine détermination, si l’on peut ».
Oui, mystérieusement Jésus est toujours là avec sa paix divine, sa joie imprenable, celle qui apaise la tempête, jusqu’à la prochaine....
Dans l’évangile que nous venons d’écouter,
Jésus apprend à ses disciples à se faire artisans de sa paix, au milieu des turbulences de la vie.
Il commence de façon déroutante :
« Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups ! ». C’est clair et réaliste, on peut donc écouter la suite :
«En quelque maison que vous entriez, – où et à qui que vous alliez –
dites d’abord « Paix à cette maison ! »
C’est la raison de notre venue. Que ce soit votre programme de vie, toujours et partout.
Cette paix offerte, c’est la grande paix de Dieu apportée au monde par Jésus, par ses disciples,
par quiconque en fait son programme de vie.
Cette paix, à nous de la recevoir, afin de la donner,
elle va combler notre cœur de joie,
de la joie même de Dieu, qui est notre forteresse,
imprenable ! (2013)
Année C - 13° Dimanche du Temps Ordinaire - 27 juin 2010
1 R 19 16-21; Gal 5 13-18; Lc 9 51-62
Homélie du F.Servan
" Comme le temps approchait où Jésus allait être enlevé de ce monde ... "
... et enlever le péché du monde, ouvrir à notre humanité un chemin de
libération et d'humanisation sous la conduite de l'Esprit. ..
" ... il prit avec courage la route de Jérusalem." (littéralement : il durcit sa face, son visage) ... avec courage, car il sait qu'il va vers la ville qui tue les prophètes.
Avec ces paroles commence une très longue section de l'Evangile de Luc que l'on a précisément intitulé: " En route vers Jérusalem" ; dix chapitres, depuis ici le ch 9 jusqu'au ch 19 ... où sont regroupés divers enseignements, paroles et rencontres de Jésus, comme les trois paroles regroupées ici sur la suite du Fils de l'Homme pour jeter avec lui la semence du Règne de Dieu parmi les hommes.
Si la première petite scène liée au refus d'accueil par un village de Samaritains
convient plutôt bien à nos esprits démocratiques et tolérants, et encouragés par notre Eglise à respecter la liberté religieuse – ce qui est à vérifier dans le concret ! ..... " Pas de violence en matière de religion!" (il y en a déjà assez comme cela sur la terre des hommes), « Remets ton épée au fourreau » dira encore Jésus. Pas de messianisme, de force et de violence, à la manière du prophète Elie qui, selon un récit pittoresque du Livre des Rois, avait fait descendre le feu du ciel pour détruire deux sections de soldats chargés de l'arrêter (Tel un superman avec ses rayons laser).
Par contre, les trois brèves paroles qui suivent nous déconcertent par leur radicalisme.
Ici, l'on n'a plus affaire au bon Jésus ( celui qu'on privilégie, je pense, au Catéchisme!), l'homme aux paraboles si vivantes, qui guérit les malades, béni les enfants, fréquente les pécheurs, hommes et femmes, et leur annonce le pardon de Dieu surabondant
en miséricorde ( c'est d'ailleurs un aspect bien souligné dans l'Evangile de Luc) ... mais à un
Jésus radical, qui entraîne à sa suite dans l'urgence de ce qu'il appelle le Royaume de
Dieu, qu'il est venu semer sur la terre, qui est la grande affaire de sa vie:" Je suis venu
allumer un feu sur la terre !" -" Cherchez d'abord le royaume de Dieu "
Trois paroles où l'on reconnaît le langage imagé, radical et en excès qui était celui
du Seigneur :" Les renards ont des terriers ... " mais Jésus, lui, est un itinérant, " l'Homme
qui marche" (c'est le titre d'une méditation de Christian Bobin) ...
.. . et cette perle d'ironie christique:" Laisse les morts enterrer leurs morts"
-(entendez: les morts spirituels qui n'ont pas voulu renaître en accueillant ma parole)
- cela ne vise donc pas les bons chrétiens qui se dévouent pour célébrer les obsèques et annoncer l'espérance de la résurrection aux familles en deuil « et qui met la main à la charrue ... " Quand on commence à labourer le champ où Dieu va faire éclore son Règne, on ne peut regarder en arrière ... pas de d'abord ni de en arrière! C'est le cas de dire:" Vivante est la Parole de Dieu, énergique et plus tranchante qu'aucun glaive à double tranchant!"
Sans prétendre émousser le tranchant de ce glaive, il nous faut cependant dépasser la lettre - ici comme ailleurs- une lecture littéraliste de ces trois exemples de suite du Christ : nous faudrait-il tous partir sur les routes? Plus que des normes de conduite applicables a tout un chacun nous aurions plutôt là, avec ces paroles imagées des avertisseurs bien sonores, à entendre par chacun dans sa vie, à tel moment, en telle situation, sous la conduite de l'Esprit. Le plus important c'est le "SUIS-MOI" adressé à chacun, que l'on soit vigoureux ou malade et diminué ... que sais-je encore! Vis ta vie avec moi, marche ta vie avec moi, et, quand ça devient trop dur, je te prends sur mon dos pour un bout du chemin (cf l'histoire bien connue des traces de pas sur le sable). C'est forcément courage, c'est aussi paix et joie." Et l'homme découvre, s'il fait route en Lui une vie nouvelle".
Des missionnaires itinérants qui quittent maison et famille pour annoncer l'Evangile, bien sûr qu'il en faut... mais il faut aussi des maisons, des familles, des villages, des communautés qui accueillent la semence du Règne de Dieu pour la faire fructifier dans leur vie courante. A ceux-là l'apôtre Paul a rappelé: "Marchez sous la conduite de l'Esprit, libérez-vous de l'égoïsme, mettez-vous par amour au service les uns des autres" ... alors des chemins de liberté s'ouvriront dans vos cœurs .. et s'épanouiront les beaux fruits de l'Esprit!
Pour marcher à la suite du Christ sur les routes du monde ou dans vos maisons, vos activités dans la cité ou au monastère: " courez avec endurance (je cite la Lettre aux Hébreux), les regards fixés sur celui qui est l'initiateur de la foi et qui la mène à son accomplissement, Jésus, lui qui a enduré de la part des pécheurs (à Jérusalem) une belle opposition contre lui, afin de ne pas vous laisser accabler par le découragement.
(Quand nous communions à l'Eucharistie; nous avons part à son courage!) et aussi, regardez cette
nuée de témoins de la première et de la Nouvelle Alliance (tous ces bons entraîneurs qui ont
suivi Jésus sur la route)
Parmi beaucoup, un seul exemple, celui de Dietrich Bonhoeffer, ce pasteur luthérien allemand qui en 1937, donc en pleine dictature nazie, a écrit un vigoureux commentaire du Sermon sur la Montagne et des paroles que venons d'entendre, pour secouer son église endormie: Pas de grâce à bon marché, mais la grâce qui coûte et fait prendre parti ( "Nachfolge" en allemand, ce qui donne en français " vivre en disciple" ou la "suivance", la marche à la suite du Christ.
Et, ce qu'il a écrit il l'a vécu, arrêté en 1943, éloigné de sa famille et de sa fiancée, exécuté par pendaison le 9 avril 1945, à l'âge de 39 ans. Mais ses écrits et son témoignage auront un grand rayonnement entre autres sur ces communautés œcuméniques que nous connaissons: Taizé, Grandchamp, Bose. A lire et relire son beau livre de 1939 " de la vie communautaire"
En guise de conclusion - une fois n'est pas coutume - je me permets de vous conseiller un petit livre, venu justement de Taizé. Un petit livre, pour moi tombé du ciel et qui ne m'est pas tombé des mains. Au contraire cela a réveillé ma foi. Sous le titre" CHERCHEZ ET VOUS TROUVEREZ" c'est un recueil de réponses brèves, mais pleines d'expérience et de ton sympathique aux questions posées par les jeunes qui prennent part aux rencontres internationales de Taizé. Glissé entre deux romans dans votre sac de vacances, je pense que cela peut nous aider à marcher plus dynamiques sur la route de notre vie à la suite du Christ. (2010-06-27)
Année C - Fête du Sacré-Coeur - 11 Juin 2010
Ez 34 11-16; Rom 5 5-11; Lc 15 3-7
Homélie du F.Guillaume
Fête du Sacré Cœur du Christ Jésus. Fête de la manifestation de l’amour de Dieu le Père pour nous, à travers son Fils et par l’œuvre de l’Esprit Saint. Fête de l’incarnation, si nous prenons le temps d’examiner le sens que nous donnons à ce mot de cœur, tant au plan anthropologique que théologique.
Dieu s’est fait chair. Il a pris un corps d’homme. On pourrait dire aussi Dieu s’est fait cœur. Son amour s’est incarné dans un cœur, un cœur sacré, un cœur divin, très pur, très saint.
Dans toutes les cultures, et la Bible n’y échappe pas, le cœur est considéré comme le lieu où résident les sentiments, l’affectivité, l’amour.
Certes, il est d’abord un organe physique, où circule le sang, nécessaire à toute vie. Arrêt du cœur, crise cardiaque ou AVC sont synonymes de mort physique, on le sait que trop bien.
Ce mot de cœur revient à longueur de pages dans les textes bibliques et il offre une grande richesse pour dire l’Alliance, l’Amour de Dieu pour son Peuple et pour chacune de ses créatures.
La liturgie d’aujourd’hui retient l’image un peu bucolique du Bon berger qui prend soin avec amour de chacune des brebis de son troupeau. Une image que le Christ s’appliquera à lui-même, dans l’Evangile de Jean. Une image qui risque de paraître un peu décalée et peu parlante pour la majorité de nos contemporains (surtout les jeunes) qui vivent dans les villes et non plus dans les campagnes.
Le prophète Ezéchiel, par delà l’image cherche à dire combien le bon, le vrai berger est touché dans son cœur par la blessure, l’égarement ou la malnutrition d’une seule de ses brebis. Et il fera tout pour la ramener au bercail. L’évangile de Luc qui le reprend, insiste, lui sue la joie que ce berger ressent et qu’il cherche à faire partager à ses proches, quand il l’a retrouvée et qu’il l’a remise en communion avec les autres brebis non égarées et non souffrantes du troupeau. Ainsi le cœur est aussi le siège de la joie possible, d’une joie profonde et non pas de surface.
C’est la joie de la réconciliation du pêcheur et de son salut par la vie du Christ Ressuscité, comme nous le rappelle aussi Saint Paul dans la seconde lecture : « la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pêcheurs. Et si Dieu nous a réconciliés avec lui par la mort de son Fils, quand nous étions encore ses ennemis, à plus forte raison, maintenant que nous sommes réconciliés, nous serons sauvés par la vie du Christ Ressuscité. »
Le cœur du Bon Berger qui se laisse émouvoir, le cœur du Transpercé sur la Croix qui laisse échapper du sang et de l’eau, le cœur du Ressuscité qui se laisse approcher et toucher par la main de l’apôtre Thomas, ne sont qu’un seul et même cœur qui dit le même amour de Dieu pour nous les hommes et pour notre salut.
Cette fête du Sacré Cœur du Christ ne peut alors que nous renvoyer à l’essentiel de notre foi et de notre engagement, à savoir le double commandement de l’Amour. Aimer le Seigneur de tout notre cœur, de toute notre âme et de toute notre force, et nous aimer les uns les autres tout aussi cordialement. « Diligite alterutrum » : tel était l’invitation du Père Muard à ses fils avec le souhait d’en faire la devise de notre monastère, en l’inscrivant non pas seulement sur des montants de pierre, mais bien dans des cœurs de chair, des cœurs de frères.
Oui, vraiment, l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. Entrons avec joie et action de grâces dans cette eucharistie de jour de fête.
(2010-06-11)
Année C - 3° Dimanche de Pâques
Ac 5 27-32, 40-41; Ap 5 11-14; Jn 21 1-19
Homélie du F.Sébastien
« Pierre, un jour, tu étendras les mains, un autre te mettra ta ceinture et te mènera là où tu ne voudrais pas aller... » C’est cette finale de l’évangile que nous venons d’entendre qui m’a arrêté.
Le fait est qu’ un jour, il y a bien longtemps, après un incident douloureux qui m’avait surpris, je cherchais confusément à comprendre, mais je n’y arrivais pas. Je m’en suis ouvert à une amie, une protestante, – en ce moment elle m’écoute du haut du ciel. Trois jours plus tard une lettre m’arrivait, avec ces quelques mots : « Dans la vie, il n’est pas impossible que ce qui nous arrive soit l’exaucement d’une ancienne prière oubliée. » Cela m’a fait beaucoup réfléchir,...
Qui, dans le passé, n’a pas eu ses petits ou ses grands élans de générosité ? Au début du mariage, au moment d’un engagement, sous le dynamiste d’un exemple enthousiasmant, on pense grand, on s’y voit déjà...
Le P. Muard, le fondateur de notre monastère, rêvait du martyre, Thérèse de l’Enfant Jésus aussi...
Plus banalement, dans la prière, on peut s’être donné à Dieu avec confiance, en lui laissant carte blanche, parfois en imaginant ce qui pourrait arriver. C’était très sérieux. Et Dieu nous prenait très au sérieux… Mais l’heure n’était pas venue, ni la grâce donnée.
Et voilà qu’un jour, sans crier gare, Dieu exauce, sous une toute autre forme, souvent pas spectaculaire du tout. L’ancienne prière oubliée est exaucée. Tel fut le cas pour Simon Pierre, le Simon-Pierre de la finale de notre évangile.
Dans la cour du grand prêtre, par trois fois, Pierre, le compagnon de la première heure, renie son maître : « Je ne connais pas cet homme ».
Jésus, qui est sur le point d’être condamné à mort, sait parfaitement que celui qu’il a choisi un jour au bord du lac pour lui confier la responsabilité de l’équipe apostolique vient de le renier, par trois fois.
En passant près de lui, Jésus se retourne et regarde furtivement son homme, qui se voit regardé. Dans les yeux de son maître il n’y a pas l’ombre d’un reproche. Pierre s’enfonce alors dans une affreuse solitude ; c’est l’heure de son jugement, avec son péché affiché sur son front, et Jésus qui sait tout, et se tait.
Il préférerait mille fois que Jésus parle, qu’il dénonce son péché, qu’il le blâme, lui donne une punition, le condamne, ce serait juste, cela le soulagerait. Mais non, Jésus ne regarde plus Pierre qui ne le quitte pas des yeux. Silence de l’amour qui refuse d’accabler, qui laisse son ami seul avec sa conscience en pleine lumière, la lumière aveuglante de l’amour qui le pénètre jusqu’au cœur.
C’est l’heure du choc affreux de tout le mal que j’ai fait, et je ne le savais pas, avec l’amour miséricordieux qui se tient là, en silence, et m’encourage.
L’homme n’est plus que sa conscience douloureuse, hyper sensibilisée, brûlée par le feu dans lequel il se jette lui-même pour être purifié.
C’est la plus grande souffrance qui se puisse connaître parce que c’est la souffrance même de l’amour plongé dans l’expérience de son non-amour. Et c’est en même temps le début de la plus grande joie jamais connue, parce que l’amour est là, c’est lui qui agit. Il ne rejette pas, ne condamne pas ! Au contraire il m’aime plus que jamais. Il me sauve ! C’est de la folie !
Pierre vient de faire l’expérience brûlante du passage par l’enfer de son non-amour ; il lui reste à faire, au bord du lac, l’expérience d’un pardon qui n’est qu’amour.
Ce fut au bord du lac, un soir qu’il n’oubliera jamais, Ce soir-là, Pierre a été totalement pardonné par son maître, recréé à neuf, remis en charge.
Par la suite, dans ses prières, que de fois a-t-il dû repenser à son Maître cloué sur la croix, pour lui, avant tout pour lui Pierre, pour effacer ses affreux reniements et le remettre avec confiance à la tête de son troupeau !
N’a-t-il jamais été soulevé par un désir fou de remonter le temps, de rejoindre Jésus mourant pour lui, de ne pas le laisser seul sur la croix ? Il l’avait dit autrefois : «Jésus, je suis prêt aller en prison avec toi, à donner ma vie pour toi » Et c’était sincère !
Mais l’heure n’était pas venue, ni la grâce donnée comme ce soir-là, au bord du lac. Maintenant Jésus peut parler clair à son ami : « Un jour tu étendras les mains, un autre te ceindra et te mènera là où tu ne voudrais pas... »
Ce fut à Rome, lors de la persécution, lorsque le cri de Jésus devint celui de Pierre, et des chrétiens autour de lui : « Père sauve-moi de cette heure ! Mais non, c’est pour cette heure que je suis venu ». L’heure de l’ancienne prière oubliée.
Pour Pierre ce fut les bras en croix, la tête en bas, emporté au ciel par l’Esprit qui murmurait en lui :
« Jésus, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime ! » (2013)