vendredi 3 octobre 2025 : journée de solitude pour la communauté, messe vers 6h45 après Laudes.

Homélies

Liste des Homélies

Homélie du 07 septembre 2008 — 23e dim. ordinaire — Frère Guillaume
Cycle : Année A
Info :

Année A - 23° dimanche du Temps Ordinaire - 7/09/2008

Ez : 33,7-9 ; Rom : 13,8-10 ; Mat : 18,15-20

Homélie du F.Guillaume

Texte :

Frères et sœurs,

Le passage d’évangile que nous venons d’entendre fait partie d’un ensemble de chapitres où St Matthieu aborde la vie de la communauté chrétienne sous différents aspects. Ce dimanche et dimanche prochain, il nous parle de la communauté comme lieu du pardon et de la réconciliation : c’est l’unité et la communion de la vie fraternelle qui sont en jeu. Les deux dimanches suivants, ce sera la communauté comme lieu de conversion, une conversion de vie et de mœurs qui s’adresse à chacun des membres et pas seulement à certains qui en font profession comme les moines, le jour de leur engagement. Enfin, les deux derniers dimanches de ce temps de rentrée aborderont la communauté sous l’angle du service. Là encore l’esprit de service n’est pas seulement réservé aux diacres ou aux ministres ordonnés de l’église, mais il est exigé de tous les baptisés, tous les membres de la communauté chrétienne.

Aujourd’hui donc il est question de pardon à accorder ou à refuser, suite à un péché commis par un chrétien, un péché dont la nature n’est pas précisée, mais qui semble être public, grave et menaçant pour l’unité de tous. Une situation que l’on retrouve dans d’autres contextes, aux origines de l’église, dans les épitres de Saint Paul, de Saint Jacques ou de Saint Jean, avec des examens et des tentatives de solution différentes.

Saint Matthieu, lui, fait appel en tout premier lieu à la parole, une parole échangée, en privé d’abord avec le coupable, puis à deux ou trois, comme c’était l’usage dans la tradition juive, et enfin une parole commune en présence de toute l’assemblée.

En entendant ce texte, les moines ne peuvent pas ne pas se référer à ce que dit Saint Benoît dans sa Règle, où il aborde sur plusieurs chapitres cette question de la correction et de l’excommunication d’un frère coupable de faute grave. L’intention de Benoit, tout comme celle de Matthieu est avant tout médicinale, considérant le frère comme un malade qui a besoin d’attention, de soin, de prière et surtout de beaucoup d’amour, de la part de l’abbé, d’anciens plus expérimentés et enfin de toute la communauté. L’amour est à la source de l’espérance de guérison et de réconciliation. L’amour est ce qui sauve le pécheur, qui ne l’enferme pas dans sa faute, mais cherche à le rétablir dans la communion.

Un jour, un Père Abbé partageait son expérience d’avoir à écouter l’un après l’autre, deux frères ayant de grosses difficultés de relation dans leur emploi. Et il s’étonnait d’entendre combien l’un et l’autre étaient clairvoyants sur l’attitude de l’autre et d’une certaine manière avaient raison en soutenant leur défense, mais il s’étonnait tout autant de constater combien l’un et l’autre étaient parfaitement aveugles sur eux-mêmes, sur les reproches que l’autre lui adressait. Illustration o combien concrète de la parabole de la paille et de la poutre, bien connue.

Dans tout conflit entre des personnes, il y a ainsi souvent une part de vérité et une part de mensonge (plus ou moins inconscient). Il nous faut l’admettre et le reconnaître avec humilité, en présence d’un tiers ou devant la communauté. C’est la chance du sacrement de réconciliation que nous recevons d’un prêtre ou de nos célébrations pénitentielles, où nous sommes aidés, avec l’écoute de la Parole de Dieu, à accueillir cette grâce du pardon, à faire la lumière sur nous-mêmes, sur notre relation aux autres et à Dieu enfin que nous avons offensé.

Le texte de l’évangile d’aujourd’hui insiste aussi sur la nécessité de la prière et sur son efficacité quand elle se fait demande à deux ou trois, réunis au nom du Christ.

Jésus alors assure les disciples de sa présence au milieu d’eux. Tout l’évangile de Matthieu est inclus dans cette promesse et cette assurance de la présence de Dieu à l’humanité. Au début, dans l’annonce faite à Joseph, l’époux de Marie, Jésus reçoit par l’ange le nom d’Emmanuel, ce qui veut dire « Dieu avec nous », en accomplissement de la prophétie d’Isaïe. Et en finale de l’évangile, Jésus ressuscité envoie ses disciples porter la Bonne Nouvelle à toutes les nations en les assurant : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. »

Cette présence de Jésus, nous la vivons, nous la célébrons en cet instant, ce dimanche, dans cette eucharistie, puisque nous sommes réunis en son Nom. En accueillant sa parole qui nous invite aujourd’hui au pardon, à l’échange fraternel, à la miséricorde et à la prière, nous prenons mieux conscience de la nécessité et du prix de la paix : une paix à construire, à donner et surtout à recevoir de Dieu. Alors, dans le geste que nous échangerons dans un instant en nous avançant pour recevoir le Corps et le Sang du Christ, nous manifesterons notre désir de vivre dans la communion de son Amour, l’amour qui est le parfait accomplissement de la Loi. (2008-09-07)

Homélie du 24 août 2008 — 21e dim. ordinaire — Frère Sébastien
Cycle : Année A
Info :

Année A - 21° Dimanche du Temps Ordinaire

Is 22 19-23; Rm 11 33-36; Mt 16 13-20

Homélie du F.Sébastien

Texte :

De quoi s’agit-il en ce dimanche de grâce? De quelle grâce ?

Pour le dire en trois mots j’évoquerai une anecdote.

Le 5 février 1949, en Hongrie, Le Cardinal Mindzenty comparaît. Arrêté fin 1948, 82 heures d’interrogatoire par un tribunal communiste résolu à lui faire avouer coûte que coûte qu’il est un espion du Vatican, trois jours sans manger ni boire... le corps finit par lâcher, il appose sa signature, non sans avoir ajouté au bas du document un petit c et un petit f, initiales des deux mots latins, coactus feci : fait sous la contrainte, c'est-à-dire sans liberté, donc invalide. Vaincu le cardinal ? Non, vainqueur pour son Dieu auquel il s’adresse publiquement à haute voix : « Dieu, donnez la paix. Je demande cette paix pour mon Église et j’apporte ici mon amour pour elle ». Trois mots, son authentique signature : « L’Église mon amour ! »

L’Église dont il s’agit dans les trois lectures.

La première lecture évoque au tournant des 8e et 7e siècles avant Jésus-Christ, le remplacement de Shebna, l’indigne premier ministre du roi Ézékias, par un nouveau qui sera digne : Éliakim. Celui-ci reçoit les insignes de sa charge, dont les clés qui sont les attributs de son pouvoir, les clés qui ouvrent ou qui ferment les trésors, qui laissent entrer ou ferment la porte. Ce sont ces clés symboliques que l’on retrouvera confiées par Jésus à Simon Pierre lorsqu’il en fait son chargé de pouvoir, chargé de vérifier et de déclarer ce qui est conforme ou non à l’enseignement reçu de lui, ce qui ouvre ou ferme les portes du Royaume des cieux.

Ce Pierre, Jésus le met en charge en présence des autres disciples. « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église », ma sainte Église, qui rassemblera un peuple de pécheurs, comme toi Pierre, dont je sais que tu me trahiras, mais dont j’entends déjà comme au bord du lac ta confession : « Jésus, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime ! » Ce sont là les mots qui repris par chacun et chacune ici font de nous tous des fils et des filles de l’Église de Jésus Christ fécondée par l’amour.

Cela, une théologienne de vingt quatre ans l’a formulé en des mots envoûtants : « Dans le cœur de l’Église ma mère je serai l’amour. » Thérèse la carmélite s’installant au cœur amoureux de l’Église confiée à Pierre et à ses successeurs.

À une paroissienne fervente qui s’inquiétait : « Mon père, je ne sais même pas si j’aime Jésus », son curé, qui savait qu’elle pouvait entendre, lui répondit : «...plutôt : “ Est-ce que j’aime concrètement l’Église concrète, en pensée, en parole, par action, sans trop d’omissions”, et vous aurez la réponse. » Un silence suivit qui disait tout bas : « Oh, comme je le voudrais ! »

À son insu sans doute, ce curé théologien faisait écho à une théologienne de 19 ans, harcelée comme le cardinal Mindzenti, non plus par un tribunal communiste, mais par le tribunal ecclésiastique qui allait la condamner à être brûlée vive en place du Marché comme « hérétique », elle qui un jour avait affirmé devant eux : « M’est avis que du Christ et de l‘Église, c’est tout un. On n’en doit point faire différence. » Signé Jeanne d’Arc, avant de monter en fumée sous leurs yeux peu fiers.

Mais où la voit-on cette identification, cette Église-Jésus-Christ ? Où ? Mais déjà dans chacune de nos assemblées de chrétiens en communion avec les évêques unis avec le successeur de Pierre : grandes assemblées comme celle des J.M.J, ou petites comme la nôtre en ce moment, toutes porteuses du même mystère fascinant qui nous relie à notre Père du ciel, Père de Jésus son Fils, père de l’Église sa fille.

« Ô abîme de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Impénétrables sont tes voies !» C’est ce que nous soufflait saint Paul dans la deuxième lecture.

Dans chacune de nos eucharisties nous écoutons et faisons nôtre le dialogue fondateur qui nous situe au cœur de l’histoire sainte, au cœur du mystère, au cœur de notre Dieu. Avec Pierre nous proclamons : « Jésus, tu es le Christ, le fils du Dieu vivant ». Avec Pierre nous écoutons Jésus nous tourner vers le Père qui nous murmure à l’oreille : « Ce n’est pas la chair et le sang, ce n’est pas ce qui en vous n’est qu’humain, qui vous révèle cela, mais mon Père qui est dans les cieux.» Ô, Abîme d’émerveillement et de surprise joyeuse !

Il nous reste à lever les yeux au ciel, vers ce Père, notre Père, qui en ce moment enveloppe de son bon regard, son Église, la Bien-aimée de son Fils, notre Mère. (2011)

Homélie du 20 juillet 2008 — 16e dim. ordinaire — Frère Sébastien
Cycle : Année A
Info :

Année A - 16° Dimanche du Temps Ordinaire

Sg 12 13 16-19; Rom 8 26-27; Mt 13 44-52

Homélie du F.Sébastien

Texte :

Frères et sœurs,

moi qui n’ai jamais de distractions dans la liturgie,

je dois avouer que j’en ai eu en vous voyant assis, comme ces deux derniers dimanches,

encore assis.... au bord du lac de Tibériade, venus écouter Jésus, Jésus qui nous raconte aujourd’hui les trois dernières de ses sept fameuses paraboles du Royaume des Cieux.

Survolons-les dans l’ordre.

Vous vous en souvenez, Jésus a commencé par se faire semeur, pure image du royaume des Cieux.

Mais en s’asseyant dans une barque, sur le lac, pour parler à la foule assise sur le rivage, il se métamorphose en pêcheur. Et nous le voyons d’un geste ample, lancer à la volée, sans compter, ses paroles. Telles des graines, elles s’enfoncent dans l’eau du lac, nouveau terrain, et y deviennent des appâts, des appâts pour les poissons qui, ainsi attirés, seront pêchés dans la septième parabole, la dernière des trois qui viennent de nous être lues. Alors, danger ! Danger si l’on mord à l’hameçon ! Danger d’aller se jeter dans le lac, plouf ! pour y dévorer les paroles qui donnent faim.

Mais où est l’hameçon ? Évidemment, dans ce que Jésus annonce ! Ce qu’il y a de plus mystérieux et de plus merveilleux au monde : le Royaume des cieux, le Royaume de Dieu, de notre Père, la vie avec lui, lui dont nous sommes sur terre les enfants très aimés, son espérance et sa joie, ses ayant droit, droit à tout. Nous allons le voir.

Je ne sais si vous avez remarqué ceci. Dans les quatre premières paraboles, – que vous n’avez évidemment pas manqué de méditer – Jésus évoque uniquement des réalités vivantes, qui se développent, qui prennent leur temps, le temps du Royaume en devenir, le temps de l’espérance.

Oui. La semence de blé germe, pousse au long des mois, avant de donner son fruit. L’ivraie pareillement. La minuscule graine de moutarde connaît une croissance exponentielle, mais dans la durée. De même pour le levain qui travaille ses quelque cinquante litres de farine jusqu’à ce que tout ait levé!

Autre remarque : de parabole en parabole, la croissance va de plus en plus vite : une saison pour le blé, pour l’ivraie, pour la moutarde ; une seule journée pour le levain ! Notre Père est un grand impatient, mais il entre dans le temps de ses enfants!

Et nous ? Le temps, le mettons-nous de notre côté comme la patience tranquille du Royaume ? ou bien est-il notre ennemi?

Nous arrivons maintenant aux trois dernières paraboles, celles entendues tout à l’heure.

Avec elles le Royaume de Dieu n’est plus dans le devenir du vivant en constante évolution, mais dans le cadeau du tout fait, du déjà parfait, achevé.

Le Royaume de Dieu est alors semblable à un trésor qu’un homme trouve par hasard dans un champ. Le trésor n’a pas besoin du temps, il est déjà parfait : l’or, les pierres précieuses, les diamants sont achevés ; tels ils sont, tels ils traverseront les éternités d’éternités, comme Dieu lui-même Fabuleux !

Quand le marchand qui cherchait de belles perles en trouve une, le texte le souligne, une, de grand prix, elle est aussi achevée que l’or ou les diamants, parfaite, définitive, mais avec un plus. Tandis que le trésor évoquait une multiplicité d’objets, la perle, elle, est unique, pur reflet de l’unicité même de Dieu dont elle reflète aussi la beauté, cette beauté qui est aussi le propre de Dieu.

Cette perle, dit Jésus, il n’y a qu’à l’acheter après avoir vendu tout ce qu’on a ! C’est de la folie ! Certes ! mais c’est la folie de l’amour. Comprenne qui veut.

Les poissons enfin. Quand le filet les ramène, ils sont trouvés à point, prêts à passer à la casserole et à être mis sur la table, à côté du pain gonflé par le levain évangélique. Poissons et pain, c’est la table du Royaume, du Royaume qui est déjà là, à portée de main, dans notre eucharistie. La table du Père pour ses enfants.

Frères et sœurs, laissons-nous prendre à notre tour au petit jeu de miroir des « semblables au Royaume des Cieux »

et concluons avec saint Paul dans la deuxième lecture.

Quand des hommes, à l’image du roi Salomon, se tournent vers Dieu pour lui demander leur trésor,

quand des hommes et des femmes aiment Dieu,

Dieu leur manifeste son amour : il les destine à être à l’image de son Fils, à sa ressemblance, images du Royaume des Cieux.

Alors, aimons ! Ouvrons tout grand nos bras de semeurs et jetons-nous à l’eau !

Psaume 118-119, 162 : « Tel celui qui trouve un grand butin,

je me réjouis de tes promesses. » Le trésor était promis !

Homélie du 08 juin 2008 — 10e dim. ordinaire — Frère Ghislain
Cycle : Année A
Info :

Année A - 10° Dimanche du Temps Ordinaire

Os 6 3-6; Rm 4 18-25; Mt 9 9-13

Homélie du F.Ghislain

Texte :

La deuxième lecture est un texte admirable sur la Rédemption, œuvre d'amour du Père, qui nous réconcilie par la mort de son Fils, ce qui, comme le dit le verset précédant cette lecture que nous avons lu dimanche dernier, nous donne accès à l'Esprit-Saint. Dans sa première lettre, saint Jean dit la même chose: "Ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, c'est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime d'expiation pour nos péchés" (1,Jn 4.10).

Ce texte si beau soulève cependant deux questions : sommes-nous donc tellement pécheurs qu'il faille la mort du Fils de Dieu pour nous justifier et nous réconcilier ? Et d'autre part, n'y avait-il pas un moyen moins sanglant pour opérer cette réconciliation ? Comme on l'entend assez souvent dire aujourd'hui : qui est ce Dieu qui exige le sang de son Fils pour accorder le pardon aux hommes ?

Pour comprendre ces choses, il faut peut-être revenir à notre expérience humaine. Il nous est sans doute arrivé à tous d'offenser, le voulant ou parce que cela nous a échappé, une personne que d'ailleurs nous aimions beaucoup. Une parole destructrice, un geste mauvais, peut-être même une action qui a fait un tort réel à la personne en question. S'il nous est ensuite arrivé de nous rendre compte de ce que nous avions dit ou fait, alors nous en avons été profondément désolés: comment ai-je pu me conduire ainsi ? Nous voudrions de toutes nos forces que le mal n'ait pas été fait. Nous présentons nos excuses, mais nous cherchons aussi le moyen de réparer, afin que l'acte déplorable soit comme annulé et que tout redevienne comme avant. Et, dans le meilleur des cas, tout ne redevient pas comme avant, c'est impossible, mais sur la base du pardon demandé et reçu, la relation, disons l'amour sont supérieurs à ce qu'ils étaient.

Mais il y a bien des obstacles au processus de réconciliation. La personne offensée peut être trop blessée pour accueillir la demande de pardon. Elle ne peut pas, du moins pour l'instant, rencontrer l'offenseur. Il se peut aussi que certains dommages soient irréparables. J'ai connu, dans ma jeunesse, un homme un peu plus âgé que moi, qui avait la passion du jeu. Et peu à peu, tout le patrimoine familial est passé à payer les dettes de jeu. Le pardon qu'il aurait demandé, si tant est qu'il ait pu finalement se libérer de cette passion du jeu, une fois la famille mise sur la paille, n'aurait pas redonné à celle-ci les moyens qu'elle avait autrefois, et les enfants en ont souffert de manière irréparable.

On pourrait multiplier les exemples. Appliquons-les au Mystère de la Rédemption. Le péché, c'est l'offense faite à Dieu, et voilà pourquoi il est insupportable au chrétien un peu conscient. Comment supporter d'avoir offensé celui qui nous a donné la vie, l'être et l'amour ? On l'offense en enfreignant les deux commandements de l'amour, dont il n'y a pas besoin d'être chrétien pour ressentir l'universalité. L'homme orgueilleux et égoïste est toujours déjà objet de réprobation, l'homme donné aux autres, éventuellement jusqu'au sacrifice de sa vie, est loué de tous. Le seul péché, c'est de ne pas aimer en esprit et en vérité. Il blesse l'autre et les autres et il entraîne des dégâts dont certains sont irréparables.

Lorsque nous regardons notre monde actuel, qui est d'ailleurs le monde de toujours, nous ne pouvons pas ne pas voir son caractère abîmé. C'est un monde délabré, en proie à la haine et à la violence et où les déprédations qui s'ensuivent ne cessent de croître. Il suffit de suivre un peu l'actualité pour être tenté de désespoir, au niveau international, certes, mais aussi peut-être dans les communautés à taille humaine que nous fréquentons et où l'amour semble parfois régner si peu. Si ce monde a été créé par Dieu, comme nous le croyons, s'il est, comme disait Teilhard de Chardin, "le milieu divin", ce milieu est quasi totalement dilapidé et la cause ultime est notre mauvaise volonté humaine, chacun de nous ajoutant quelque chose à la déprédation, matérielle, culturelle, spirituelle.

Le message de l'évangile est que, devant cette ruine cette déception constante et renouvelée de l'espérance qu'il avait en créant et en faisant alliance, Dieu est toujours en état de pardon. Et, pour que le pardon puisse enfin se manifester, il nous envoie son Fils, qui est l'un de nous. Ce Fils, l'un des nôtres, a comme on dit un "parcours sans reproche". Affronté comme nous aux difficultés et aux contrariétés de l'existence, il a constamment eu le réflexe juste, l'attitude vraie, animé qu'il était d'annoncer et d'établir le Royaume de Dieu, à cause de son Père, qu'il aimait de tout son cœur, de toute son âme, et de toute sa force, ainsi que de nous qu'il aimait comme soi-même. Et comme la marque de l'amour est de donner sa vie, ainsi a-t-il fait quand il n'a pas pu résister autrement à la violence des hommes. Il y a donc eu dans l'histoire humaine quelqu'un qui a aimé parfaitement, à tel point que son amour, comme le dit saint Pierre dans un autre contexte, couvre la multitude des péchés.

Mais ce n'est pas tout. Ce Fils, éprouvé autant et plus que chacun de nous, mort et ressuscité, nous envoie l'Esprit de Dieu, d'une manière sans doute plus visible dans l'Eglise, mais plus largement en tout homme de bonne volonté, afin que nous puissions à notre tour aimer comme il a aimé, Lui. Et ici, il faut faire attention au fait que, lorsque Jésus vivait et mourait, personne dans le monde romain ne le connaissait. On connaissait de nom César, Auguste, Tibère et sans doute d'autres dont le nom est maintenant oublié. On savait les guerres qui se déroulaient et les massacres qui se perpétraient dans l'Empire romain et au delà. De même aujourd'hui, nous savons quels sont les personnages importants de l'époque, les guerres et les massacres qui ont lieu un peu partout. Mais l'œuvre de Rédemption accomplie par ceux que l'Esprit de Jésus unit au Christ et conduit à poser de vrais actes d'amour, nous est cachée à 90%. Nous ne saurons qu'au Dernier Jour comment le monde a été sauvé par ceux, qui, ,à la suite du Christ, ont donné leur vie pour leurs frères. Et nous pouvons désirer être l'un de ceux-ci.

J'aimerais pour conclure, relire une phrase de la première lecture : "Je vous ai portés sur les ailes d'un aigle pour vous amener jusqu'à moi". L'aigle qui nous porte vers Dieu, c'est le Christ, et nous pouvons, en Lui, être des aigles les uns pour les autres.

Homélie du 25 mai 2008 — Saint Sacrement - Fête Dieu — Frère Guillaume
Cycle : Année A
Info :

Année A - Corps et Sang du Christ - 25 mai 2008

Dt 8 2-3; 1 Co 10 16-17; Jn 6 51-58

Homélie du F.Guillaume

Texte :

Frères et sœurs,

Il faut bien le reconnaître : les paroles de Jésus dans l’évangile selon St Jean que nous venons d’entendre sont rudes et elles ont de quoi nous choquer, comme elles avaient choqués les auditeurs de Jésus en son temps. L’idée que le Christ nous donne sa chair (ou son corps) à manger comme nourriture, et son sang à boire comme boisson ne peut que nous gêner, voire nous scandaliser. Qu’est-ce que cela peut bien signifier ? L’eucharistie serait-elle un rite religieux tellement bizarre, « la chose la plus étrange », comme le titrait il n’y a pas si longtemps un livre du Père Maurice Bellet ?

J’aimerais vous raconter une histoire rapportée par une dame catéchiste préparant des enfants à leur première communion. Elle se heurte bien sûr à la difficulté de leur faire comprendre comment le simple pain déposé sur l’autel peut devenir le Corps du Christ. A bout d’arguments elle interroge les enfants : « que dit le prêtre à la messe ? ». Un enfant alors répond en se trompant : au lieu de dire : Jésus a pris du pain et l’a donné à ses disciples en disant : prenez et mangez, ceci est mon corps livré pour vous, il dit « Jésus a pris son corps et a dit à ses amis : prenez et mangez, ceci est mon pain donné pour vous ».

En inversant les mots du récit de l’Institution, cet enfant, sans le savoir, leur donnait un sens profond. Et il avait raison. Le soir du Jeudi Saint, Jésus prend dans ses mains toute sa vie, sa vie de chair et de sang, toute sa personne, toutes ses énergies de relation et de communion et en disant : ceci est mon corps, c’est tout cela qu’il met sur la table. Et il le donne à ses disciples. Et il nous le donne à chaque eucharistie. Le pain qu’il donne, qu’il partage pour que nous puissions nous en nourrir et être en communion avec lui, c’est bien toute sa vie.

Dans un passage voisin du même évangile, Jésus dit encore : « ma vie, nul ne peut me la prendre, mais c’est moi qui la donne », et à Pilate, trop sûr de son pouvoir de vie et de mort sur les condamnés, Jésus dira au cours de son procès : « tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, s’il ne t’avait été donné d’en-haut ».

La chair que Jésus donne à manger, et le sang qu’il verse comme une boisson sont alors à comprendre dans un tout autre sens que ceux d’une viande de boucherie ou d’un sang cruellement répandu. Ce sont la chair et le sang au sens de l’anthropologie biblique, c’est-à-dire de la réalité humaine dans sa fragilité, sa vulnérabilité et même sa pauvreté, jusque dans la mort.

L’eucharistie, et la fête que nous célébrons aujourd’hui, rejoint ainsi le mystère de l’Incarnation et de la Croix dans leur extrême abaissement. Le mystère de la Sainte Trinité aussi que nous fêtions dimanche dernier. Le Verbe de Dieu vient partager notre humanité, il se fait chair. De riche qu’il était auprès de son Père, il vient se faire pauvre, pour nous enrichir de sa pauvreté. Et cette pauvreté offerte se donne à lire dans les humbles signes du pain et du vin apportés et partagés dans un repas de communion : le repas du Seigneur qui fait l’unité de ceux qui le partagent. Comme nous le rappelle la seconde lecture, par la bouche de Saint Paul : «la coupe d’action de grâce que nous bénissons n’est-elle pas communion au sang du Christ, le pain que nous rompons n’est-il pas communion au Corps du Christ ? Puisqu’il n’y a qu’un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul Corps, car nous avons tous part à un seul pain. »

Ainsi, frères et sœurs, cette fête du Corps et du Sang du Christ, la fête du Saint Sacrement, doit nous faire entrer plus profondément dans le mystère de la vie et de la mort de Jésus, et de sa Résurrection aussi, bien sûr. Cette fête est une invitation à entrer dans la Vie éternelle de Dieu, car tout se tient dans la théologie chrétienne.

A notre tour, et à la suite de Jésus, notre Maître, nous avons, comme le disait si bien l’enfant du catéchisme, à prendre notre vie à bras le corps et à en faire du bon pain afin de l’offrir par amour, à Dieu Notre Père et à la donner à nos frères, nous aussi comme le Christ. (2008-05-25)

Homélie du 06 avril 2008 — 3e dim. de Pâques — Frère Servan
Cycle : Année A
Info :

Année A - 3° Dimanche de Pâques - 6 Avril 2008

Ac 2 14, 22-28; 1 Pet 1 17-21; Lc 24 13-25

Homélie du F.Servan

Texte :

" ... et Il marchait avec eux "

D'emblée, dans ce récit vivant, nous pouvons relever l'importance de la ROUTE (Jérusalem-Emmaüs, aller-retour) et de la marche, lente ou rapide, morose ou avec le cœur ardent.

C'est nous rappeler, s'il en était besoin, que notre foi (et sans doute aussi la non-foi), ce n'est pas une affaire réglée une fois pour toutes, mais un chemin, avec des hauts et des bas, des rencontres (en duo, en trio, en communauté). Voici donc, une page d'évangile pleine de mouvement, de fraîcheur, de finesse psychologique, bien dans la manière de Luc, réputé bon conteur.

Un récit familier aux croyants de tous les temps qui y reconnaissent les deux Tables, où dimanche après dimanche, ils viennent offrir, nourrir et renouveler leurs vies, rencontrer le Seigneur.

- table de la Parole où le Christ lui-même nous partage les Ecritures : « Gloire à Toi, Seigneur! »

- table de la bénédiction sur le Pain, puis de sa fraction, pour être partagé.

Sans oublier le sacrement de la communauté : l’assemblée des frères et sœurs avec leurs expériences de vie et de foi.

De Rembrandt à Arcabas, les peintres ont aimé représenter la scène de la reconnaissance, si furtive, le soir, autour de la table (pour le partage de l'Ecriture. Je m’excuse de vanter mon clocher, mais nous connaissons au monastère une image de F.Yves choisie par le Père Abbé Luc pour sa bénédiction abbatiale). N'oublions pas les poètes, par exemple Didier Rimaud que nous aimons chanter dans nos communautés :"

« Regarde où nous risquons d'aller tournant le dos à la cité de ta souffrance ! Explique-nous le Livre ouvert à coup de lance » ou encore : « Jésus, qui m'a brûlé le cœur au carrefour des Ecritures ».

Donc, aux dernières heures du jour si long de la Résurrection, voici deux disciples qui s'en retournent tout tristes (l'encéphalogramme de leur espérance est complètement plat) - (permettez-moi d'imaginer que ces deux-là pouvaient faire partie des soixante-douze que (dans ce même évangile de Luc) Jésus avait envoyé deux par deux sur les routes pour un exercice de mission. Alors, ils étaient revenus tout feu tout flamme. « Seigneur, c'est formidable, même les démons nous sont soumis en ton nom ». Mais maintenant d’un seul coup, ils ont vieilli de cinquante ans ; et les voici qui se traînent sur la route, évoquant ce qui s'est passé (et mal passé), ils l'ont crucifié!

L'un de ces deux-là s'appelait Cléophas, l'autre n'a pas de nom, pour permettre à chacun de nous de se mettre à sa place ; et bien sûr en ce jour, nous laissons cette place au F.Orsise notre bon compagnon de route depuis cinquante ans et plus.

Ces deux-là, c’est à dire nous tous à certains jours, Jésus les rejoint, pour les sortir de leur désespérance, mais à sa façon bien à lui, marquée par la discrétion envers l'homme libre et par l'intelligence du cœur. Déjà, au cours de sa vie publique, avant d'enseigner ou de dire telle parole d'autorité, il aimait questionner.

Ici aussi il questionne : « De quoi causiez-vous donc ? » puis il écoute un peu longuement les deux redire leur découragement, mais aussi leur foi trop naïve, leur espérance trop seulement humaine : « Et nous qui espérions! » ; (dans notre récit, cette écoute prend un bon tiers du texte).

Il écoute -' un peu comme font ou devraient faire de mieux en mieux ceux et celles qui par fonction sont amenés, à encourager et aider les autres sur le chemin de la vie : le frère infirmier, le médecin, le père ou la mère spirituelle, ceux ou celles qui accueillent les hôtes venant au monastère.

Ensuite, 'Jésus intervient et sur le chemin, leur explique les Ecritures et alors ils n'ont pas vu le temps passer, si bien que le soir tombe, à l'entrée du village. Le Ressuscité allume peu à peu leur foi en soufflant sur les braises des Ecritures, avec en son centre la figure du Serviteur souffrant; donnant sa vie « pour » (antithèse du libérateur triomphant à la manière trop humaine). « Il fallait » c'est dire le dessein de Dieu: ouvrir aux hommes, à la suite de ce Serviteur, le chemin de la Gloire et du vrai bonheur, à travers le quotidien de leur vie.

Captivés, les deux en ont oublié de prendre des notes sur cette lectio unique! Sans doute est-ce encore une marque de discrétion, pour permettre aux chrétiens, prédicateurs et exégètes, d'exercer leurs modestes talents depuis bientôt deux mille ans ?

Jésus « fait ensuite semblant d'aller plus loin » pour nous laisser l'initiative de cette belle parole. « Reste avec nous ! ». Peut-être que lorsque nous entrons à l'église pour un temps de rencontre personnelle. Comme le dit Saint Benoît : « Qu’il entre simplement et qu’il prie ». Après avoir plus ou moins longtemps, soupiré sur notre fardeau, lui redisons-nous ce « reste avec nous »? - « Si quelqu'un m'ouvre la porte, j'entrerai chez lui pour souper ».

Enfin, à peine reconnu au geste familier de la fraction du pain, il disparaît, les

laissant reprendre la route en sens inverse, en pleine nuit mais le cœur brûlant, vers la communauté des autres disciples.

Retenons : tout comme la puissance créatrice de Dieu, la Seigneurie du ressuscité est

en fait une "DISCRETION", une présence voilée par une absence qui accompagne parfois,

réchauffe le cœur, mais ne contraint pas, ne s'impose pas, et ne fait pas les choses à notre place. « SEIGNEUR RESTE AVEC NOUS - MARCHE AVEC NOUS » ! (2008-04-06)

Homélie du 02 mars 2008 — 4e dim. du Carême — Frère Guillaume
Cycle : Année A
Info :

Année A - Carême 4° dimanche - 2/03/2008

1Sam 16, 1-13a ; Ephésiens 5,8-14 ; Jean 9, 1-41

Homélie du F.Guillaume

Texte :

Frères et sœurs,

Avec l’évangile de la Samaritaine que nous avons entendu dimanche dernier et celui de la résurrection de Lazare que nous aurons dimanche prochain, celui de l’aveugle-né, lu aujourd’hui, marque une étape importante dans le cheminement des catéchumènes vers le baptême qu’ils recevront à Pâques.

A bien écouter ce texte, nous découvrons une progression en 3 temps dans la confession de foi de ce pauvre mendiant aveugle.

D’abord, après avoir eu accès à la vue, il reconnaît Jésus comme un prophète, ensuite dans son dialogue avec les pharisiens il dit que jamais en Israël un homme n’a pu faire un tel miracle : il est donc plus qu’un prophète. Enfin, dans sa rencontre finale avec Jésus, il atteste que ce dernier est bien le Fils de l’homme, Celui que Dieu avait annoncé dans les Ecritures pour le salut d’Israël. La samaritaine, elle, avait reconnu Jésus comme le Messie de Dieu, Celui qu’on appelle Christ, et Marthe, la sœur de Lazare, l’amie de Béthanie, reconnaitra aussi Jésus comme Messie, le Fils de Dieu, Celui qui vient dans le monde.

Le catéchumène, mais aussi tout baptisé qui chemine avec lui, est donc appelé à s’identifier au cours du Carême, à ces différents personnages de l’évangile de Jean et parvenir aux mêmes confessions de foi.

Revenons, si vous le voulez bien, sur quelques traits de ce bel évangile riche à bien des points de vue.

Ma première remarque concerne la guérison de l’aveugle, qui à vrai dire n’est pas une, car cet homme n’est pas malade. C’est un infirme, un handicapé de naissance. On ne peut pas dire qu’il ait « perdu » la vue et qu’il la recouvre : il ne l’a jamais eue. Jésus, par ses gestes et ses paroles le fait accéder à la lumière et à la vue pour la 1ère fois. C’est donc pour lui une nouvelle naissance, mieux une re-création. Car Jésus refait, avec de la salive et de la boue, les gestes mêmes du Créateur qui avait modelé Adam, à partir de la glaise du sol. De plus le nouveau-né à la lumière est envoyé par Jésus à la piscine de Siloé, dans un acte baptismal. Saint Augustin commente admirablement : « L’aveugle lava ses yeux dans la piscine, et il fut baptisé dans le Christ ».

Notons que tout cela a lieu un jour de Sabbat. Jésus, en rupture avec la tradition juive, montre qu’il travaille comme le Père, au jour de la création de l’homme, avant même l’institution du jour du Sabbat. Avec ce geste, il s’agit bien de l’achèvement de la 1ère création par le Christ, aux 2 premiers chapitres de la Genèse.

En seconde remarque, je note dans cet évangile la forte opposition entre le voir et le savoir. L’aveugle est présenté comme un mendiant, un pauvre, un bon à rien, mais aussi comme un ignorant, qui ne sait rien. Ce n’est pas un exclu, à proprement parler, comme l’étaient les lépreux ou les païens ou les schismatiques (les samaritains entre autres), mais il vit à la marge de la communauté, et les pharisiens chercheront à l’expulser, à le jeter dehors. Ces pharisiens qui eux, sont assurés de leur savoir, en tant qu’interprètes authentiques de la Loi de Moïse.

Le récit vient apporter une subversion dans cette assurance du savoir. L’aveugle qui voit désormais n’est pas démuni de bon sens, ni même d’humour. C’est un réaliste et non un intellectuel. Il sait à partir de ce qu’il constate, de ce qu’il expérimente en lui-même. Il renvoie alors les sages à leurs contradictions, à leurs fausses certitudes. « Si cet homme ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. Or il m’a ouvert les yeux. Qu’en dites-vous ? Comment expliquez-vous la chose ? Voulez-vous devenir ses disciples ? » A entendre ce dialogue surprenant entre un mendiant et ces pharisiens, sans oublier les échanges avec les voisins et les parents, j’ai pensé à ce qu’avait pu vivre Sainte Bernadette, en 1858, à Lourdes, avec les apparitions de la Vierge Marie à la grotte. Elle, qui était ignorante et pauvre a du faire face à l’incrédulité de ses proches et des autorités ecclésiales de l’époque. Mais elle a tenu bon et su faire preuve d’une totale assurance. On pourrait citer bien d’autres exemples de saints. Tous confirmeraient ce que dit Saint Paul dans sa 1ère lettre aux Corinthiens : « Ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion ce qui est fort. Ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n’est rien, voilà ce que Dieu a choisi pour détruire ce qui est quelque chose, afin que personne ne puisse s’enorgueillir devant Dieu. »

Enfin ma 3ème et dernière remarque soulignera, qu’au-delà de l’opposition entre le voir et le savoir, ce texte veut marquer une opposition encore plus profonde : celle entre le voir et le croire. Cette opposition traverse tout l’évangile de Jean. Jésus est venu dans le monde pour une remise en question, un renversement des situations, des manières de voir et de croire. Si bien que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient (ou plutôt prétendent voir) deviennent aveugles. Et tandis que la cécité de naissance du mendiant n’était pas due à son péché ni à celui de ses parents, l’aveuglement de celui qui refuse de croire, lui, plonge dans le péché et y fait demeurer.

La conclusion de l’épisode est donc assez terrible, pour ne pas dire terrifiante. Jésus condamne-t-il sans appel ses adversaires, et en tout premier lieu, les pharisiens ? Une lueur d’espérance existe pourtant dans le récit. Il nous est dit que tous ne pensaient pas de la même manière. Ils étaient divisés sur le sens à donner à l’évènement. Jean ne place donc pas tous les pharisiens dans une même condamnation : on sait qu’il mentionne très positivement l’un d’entre eux, Nicodème, au début et à la fin de son évangile.

Que retenir alors frères et sœurs de cet évangile de l’aveugle-né pour notre chemin de Carême ? Nous sommes tous à la fois ce mendiant, un voisin, un parent, un pharisien et nous n’avons pas à avoir peur de nous identifier à l’un ou à l’autre. La pédagogie évangélique de ce temps liturgique est là pour nous aider à nous convertir et à accueillir Jésus qui vient à notre rencontre pour nous guérir et nous apporter le salut.

Aujourd’hui, avec sa grâce et comme « l’aveugle re-né », confessons-le comme la lumière de notre vie, la lumière du monde !

(2008-03-02)

Homélie du 02 février 2008 — Présentation du Seigneur — Père Abbé Luc
Cycle : Année A
Info :

PRESENTATION DU SEIGNEUR 02.02.2008

Ml 3, 1-4; Lc 2, 22-40

Pre Abbé Luc

Texte :

Frères et soeurs,

« Mes yeux ont vu ton salut que tu as préparé à la face de tous les peuples » s’écrie Syméon. Oui, les yeux usés d’un homme avancé en âge ont reconnu dans cet enfant porté par ses parents pour accomplir les rites de la Loi, « le salut offert par Dieu, la Lumière des nations et la Gloire d’Israël »…Syméon, homme juste et religieux, avait certainement beaucoup usé ses yeux à la lecture des Ecritures. Reprenant le psaume 118 (81-82), il a dû redire bien des fois la prière du psalmiste : « Usé par l’attente du salut, j’espère encore ta parole. L’œil usé d’attendre tes promesses, j’ai dit : ‘Quand vas-tu me consoler ?’ » Syméon attendait la Consolation d’Israël, nous dit St Luc…Il a scruté les Ecritures, il a cherché, il a veillé et attendu dans la prière. Aujourd’hui, il voit, et il reconnaît celui qu’il attendait avec beaucoup d’autres, Anne et tous les pauvres du Seigneur comme lui.

Avec Syméon et Anne, St Luc nous place au cœur de la recherche du peuple d’Israël en ce qu’elle a de plus profond : l’attente amoureuse du salut promis par les prophètes. Peuple de veilleurs qui usent ses yeux et son cœur dans le service de son Dieu. Et ce service n’est pas servile. Non, nous sommes en présence de personnes très libres. Syméon sait se mettre en marche vers le Temple, d’un pas qui n’est peut-être plus tellement assuré, pour être fidèle à l’inspiration de l’Esprit-Saint. Il se laisse conduire par un Autre, car toute sa vie lui est consacrée. Et Anne, elle, est remplie de la louange de Dieu. Elle est pleine de cette allégresse, si souvent présente dans les Ps : « Mon cœur exulte, mon âme est en fête (15, 9) ».

Oui, la venue de Jésus dans le Temple, met en mouvement ces anciens et leur fait donner le meilleur d’eux-mêmes. Toute leur attente aimante et patiente s’exprime en paroles de louange et de reconnaissance pour Dieu qui est toujours fidèle à ses promesses.

Et en même temps, ces anciens pétris par leur expérience spirituelle et par leur méditation des Ecritures peuvent aussi déjà entrevoir l’épaisseur de ce salut qui va se déployer en cet enfant. « Ton fils qui est là provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de division »…Annonce douloureuse de l’incompréhension dont sera l’objet Jésus en sa mission. Tous ne le reconnaîtront pas comme ces deux anciens. Il sera même rejeté. Le salut passe par cette contradiction, il en constitue même la traversée victorieuse dans l’Amour que Jésus offrira par sa vie donnée. Sans bien le savoir, les parents de Jésus en venant au Temple avec leur enfant, participent déjà à cette offrande que Jésus fera de sa vie pour le salut de tous.

Ce matin, avec Syméon et Anne, ouvrons nos yeux et notre cœur à cette venue de Jésus lumière pour nos vies ; avec Marie et Joseph consentons à faire de nos actes quotidiens, tous nos devoirs d’état, une offrande unie à celle de Jésus, comme nous le célébrons maintenant dans cette eucharistie. (2008-02-02)

Homélie du 06 janvier 2008 — Epiphanie du Seigneur — Père Abbé Luc
Cycle : Année A
Info :

Année ABC - Epiphanie du Seigneur 2008

Is 60 1-6; Eph 3 2-3a, 5-6; Mt 2 1-12

Homélie du Père Abbé Luc

Texte :

2008

Frères et soeurs,

Quel contraste dans les textes que nous venons d’entendre, entre le prophète Isaïe et l’évangile de Matthieu ! D’un côté, une lumière et une gloire éclatante, de l’autre une étoile à peine reconnue. D’un côté une foule qui monte à Jérusalem avec des chameaux en grand nombre, de l’autre trois sages qui cherchent presque secrètement, et avaient-ils des chameaux ? D’un côté, on voit une Jérusalem radieuse, de l’autre une Jérusalem anxieuse…Seul trait d’union qui unit vraiment ces deux textes : la mention de l’or et de l’encens que de part et d’autre on apporte. Que veut nous dire la liturgie en rapprochant ces deux textes si différents, le premier qui est une promesse de consolation au peuple récemment rentré d’Exil, et le second un récit, celui l’adoration des mages devant l’enfant Jésus ? Par ce rapprochement, la liturgie veut, comme souvent, nous apprendre à éclairer les textes des Ecritures, les uns par les autres, pour essayer d’approcher le mystère de Dieu et du Christ qui se déploie dans toute la Bible, d’une façon symphonique plus que rationnelle ou linéaire.

Si on regarde l’évangile à travers le texte d’Isaïe, la scène modeste et presque secrète de l’humble adoration des mages se trouve comme placée sous un fort projecteur. Elle est toute illuminée de ce que le prophète suggérait de l’exultation, de la profusion et de l’éclat de l’honneur rendu à Jérusalem. Les trois mages deviennent les représentants de toutes les nations dont il était question. Leur adoration devient celle de tout homme. Quand à l’identité du nouveau-né, elle se trouve manifestée et chargée d’une gloire immense. Il est la lumière qui s’est levée sur Jérusalem…

A l’inverse, si on projette sur le texte d’Isaïe, le discret éclairage de l’évangile, on mesure alors que la Gloire attendue ne s’est pas manifestée dans la profusion entrevue. Celui qui est toute Lumière, et toute Gloire a choisi de voiler sa présence, de la tenir cachée et discrète. Seuls quelques uns la reconnaissent. La Gloire éclatante que le prophète entrevoyait a brillé d’un autre éclat que celui qu’il avait imaginé. La joie que les mages éprouvent à la vue de l’étoile, apportent un autre éclairage à l’exultation et à l’exubérance promise par Isaïe. La gloire annoncée se manifeste et se perçoit d’une façon autre, cachée presque secrète.

Tout se passe donc, comme si d’un côté le fort éclairage du texte du prophète sur l’évangile nous assurait qu’effectivement, la venue de Jésus est bien celle qui apporte la Lumière et la Gloire que l’on attendait ; et de l’autre côté le modeste éclairage donné par l’évangile sur le texte d’Isaïe nous dit que Dieu a une manière à lui, très discrète, de se révéler. A la fois, c’est la même lumière divine, et à la fois, cette lumière n’est pas comme celle qu’on pouvait imaginer.

Frères et sœurs, comme déjà Noël, cette fête de l’épiphanie nous redit la profondeur du mystère de notre foi chrétienne. Le Dieu auquel nous croyons est vraiment le Dieu de Gloire, mais dans sa manifestation, en Jésus le Christ son Fils, il se dévoile dans la discrétion et la pauvreté de notre vie humaine.

Autrement dit, il désire que nous allions à sa rencontre, comme les mages, humblement, au gré de nos recherches humaines, pour l’adorer en Jésus notre Seigneur, et pour le servir dans nos frères. Dans l’Eucharistie que nous célébrons maintenant, c’est le même mystère qui est à l’œuvre. Le Seigneur Jésus Ressuscité se donne à nous sous les modestes signes du pain et du vin. Et sa Vie offerte veut faire de nous des Vivants de son Esprit. (2008-01-06)

Homélie du 01 janvier 2008 — Marie, Mère de Dieu — Père Abbé Luc
Cycle : Année A
Info :

SAINTE MARIE, MERE DE DIEU 1er janvier 2008

Nb 6, 22-27 ; Ga 4,4-7 ; Lc 2, 16-21

Père Abbé Luc

Texte :

Frères et soeurs,

En célébrant ce matin, la Mère de Dieu, c’est toujours le même mystère de Noël que nous contemplons, en rendant grâce à Dieu pour celle qui a porté et mis au monde le Fils de Dieu. Je disais que nous aimons chanter Marie comme celle qui est pour nous la Porte du Ciel, mais pour Dieu, elle est la Porte de la Terre. Il a suffi qu’elle s’ouvre à l’œuvre de l’Esprit pour laisser grandir en elle, puis à ses côtés, ce Fils venu de Dieu. Marie est Mère car elle est toute ouverture à Dieu qui se fraye à travers elle un passage dans notre pâte humaine. Ce petit de Dieu, et ce petit d’homme, elle va le conduire des balbutiements de l’enfance à la sagesse de l’âge adulte. Oui, le Fils de Dieu a eu besoin d’une mère.

En regardant, la Mère de Dieu, nous aimons surtout regarder celle qui a accepté de tenir son rôle dans la docilité à l’œuvre de l’Esprit. L’évangile nous montre en Marie une figure de mère qui n’est en rien imbue de son rôle ou de ses prérogatives. Elle s’est laissé conduire par les évènements médités en son cœur. Elle a appris peu à peu à obéir à la Parole de son Fils, jusqu’à consentir au pied de la Croix à élargir son cœur à d’autres fils. En regardant Marie, on entrevoit mieux le mystère de toute maternité, mais aussi de toute paternité. C’est un mystère d’accueil de la vie, d’écoute de la vie, et finalement d’obéissance à la vie. Elle est peu à peu devenue la Mère de Dieu, en découvrant tout du début à la fin, ce que cela pouvait signifier. De l’Annonciation jusqu’à la Pentecôte, elle a appris à être là, bien présente et disponible, au bon moment et au bon endroit. Marie est devenue vraiment la Mère de Dieu, puis des hommes, car elle a accepté de rester toujours la servante et la fille de Dieu. C’est dans cette disposition du cœur humble et filial qu’elle a appris à être Mère. Ainsi quand Elisabeth s’émerveille de recevoir la Mère de son Seigneur , Marie ne sait que confesser les merveilles de Dieu pour son humble servante.

En ce temps de Noël, nous ne cessons de chanter le merveilleux échange , celui du Fils de Dieu qui se fait l’un de nous pour faire de nous des fils , comme nous le rappelait Paul. Dieu prend notre nature pour que nous prenions part à sa nature divine. Et en ce jour, le mystère de ce merveilleux échange s’élargit en incluant Marie dans son mouvement. Comme nous l’avons chanté dans l’hymne d’entrée, le Verbe en se donnant nous donne une mère . Le Verbe venu dans la chair fait de Marie la Mère de Dieu. Et inséparablement en faisant de nous des fils, il nous donne sa Mère pour accompagner notre propre devenir de fils de Dieu. Et tout homme en la priant, se sait l’enfant de Dieu , poursuit notre hymne. C’est le merveilleux échange initié par le Verbe de Dieu et qui passe par Marie.

Nous n’avons pas fini de scruter, de méditer les choses de Dieu. Marie est là toute simple à nos côtés pour nous apprendre à le faire avec elle. Elle est Mère de Dieu, elle est notre Mère…N’ayons pas peur de la prier, ne nous tourner vers elle, en la priant, nous nous saurons enfant de Dieu.

(2008-01-01)