Homélies
Liste des Homélies
TOUSSAINT 2011
Ap 7, 2-4. 9-14 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a
Père Abbé Luc
« J’ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, races, peuples et langues ».
Ainsi parle, frères et sœurs, saint Jean dans son apocalypse. A l’heure de la mondialisation, où les relations se resserrent entre tous les peuples, cette vision prophétique nous apporte une lumière sur notre monde en marche. Là où nous pouvons avoir peur devant l’évolution du monde que personne ne semble maitriser, la parole de Dieu nous laisse entrevoir le beau projet de Dieu qui est de rassembler tous les hommes, comme un Père de famille désire rassembler tous ses enfants. Nous savons déjà apprécier ces grands rassemblements où les nations et les peuples se retrouvent dans la paix, que ce soit pour les Jeux olympiques, ou la Coupe du monde, ou encore pour les JMJ. A travers ces moments exceptionnels, nous touchons de plus en plus la réalité de l’unité de la famille humaine ainsi que le désir qui l’habite de se retrouver tous ensemble dans la concorde… Ce désir, c’est aussi, et surtout d’abord celui de Dieu notre Père. Si récemment, on nous annonçait dans les journaux, que nous étions 7 milliards d’être humains, le rassemblement que Dieu souhaite réaliser regroupera « une foule que nul ne peut dénombrer ». Une foule non seulement de toutes races et langues, mais de toutes les époques et toutes les cultures qui ont jalonné l’histoire et le temps des hommes…Immense projet de Dieu, immense espérance aussi pour nous de pouvoir être associé à cette grande fête…
Nos lectures nous donnent encore d’autres éléments pour apprécier et mieux comprendre ce projet de Dieu. Ce rassemblement de tous les peuples se fait et se fera grâce au Christ, grâce à « son sang versé pour la multitude en rémission des péchés », comme nous en ferons mémoire dans quelques instants. Jésus le Christ est à la fois le trait d’union entre Dieu et les hommes, et le trait d’union entre tous les hommes. En Jésus, nous comprenons que l’unité entre tous les hommes ne peut-être qu’une unité en Dieu. Laissés à eux-mêmes, les hommes restent sous la loi de Babel et sous la loi de l’opposition à Dieu. En Jésus, mort et ressuscité pour nous, la réconciliation s’opère dans le même temps avec Dieu et entre les hommes. Oui, en Jésus, Dieu a voulu que nous soyons appelés ses enfants, et il a voulu que nous devenions vraiment frères les uns des autres. Même si cela ne parait pas encore clairement, nous dit St Jean dans son épitre, « nous savons que lorsque le Fils de Dieu paraitra, nous lui serons semblables parce que nous le verrons tel qu’il est ». Oui, c’est en devenant semblable à Jésus, dans son être de fils, que nous pourrons devenir vraiment un, vraiment frères les uns des autres.
Et comment lui devenir semblable ? En fait, nous ne le savons pas bien. C’est le secret de la grâce à l’œuvre dans chacune de nos vies. Mais Jésus nous a laissé son enseignement pour nous apprendre à demeurer dans une relation vivante d’amitié avec lui, et pour vivre pleinement de son Esprit. Et ce matin, entre tous ses enseignements, il nous offre la voie royale des béatitudes. Ici, il ne s’agit pas de commandements, mais plutôt d’une profonde invitation à chercher le bonheur dans la bonne direction. Car Jésus désire nous voir communier à son propre bonheur à lui. Le bonheur de la pauvreté de cœur, de la douceur, le bonheur de la miséricorde, de l’œuvre de paix, le bonheur de la quête de la justice, ou de l’annonce de l’évangile…Bonheur paradoxal car il peut s’accompagner de larmes, de persécutions et d’oppositions. Mais ce bonheur-là, nous dit Jésus, il porte en germe le bonheur du Royaume de Dieu, celui de la vie dans la lumière de Dieu. C’est le bonheur des enfants de Dieu.
Ce matin, nous voulons remercier Dieu pour son projet de rassembler tous les hommes en Jésus son Fils. Nous rendons grâce pour ce bonheur du Royaume à venir qu’il nous donne d’entrevoir déjà dans la vie des saints, mais aussi dans nos propres vies. Bonheur secret et contagieux à la fois. Bonheur dont la lumière éclaire et fortifie le cœur. Dans cette eucharistie, demandons les uns pour les autres, la grâce de croire davantage à la vérité de ce bonheur. (2011-11-01)
Année A - 31E DIM DU TO
Ml 1 14, 2 1-2, 8-10 ; 1 Th 4 13-18 ; Mt 25 1-13 ;
Homélie du F.Sébastien
Je voudrais prendre le temps de m’enfoncer avec vous dans la première lecture de ce dimanche, prise dans le livre de Malachie. Pourquoi ? Parce qu’elle nous offre l’occasion de mieux connaître notre Dieu, de mieux percevoir ce qu’il peut vivre au cours des péripéties de son histoire avec son peuple.
Malachie nous reporte aux derniers siècles de l’Ancien Testament. Le peuple est rentré d’exil, mais les désillusions s’accumulent : la nation est affaiblie, les ennemis la menacent, le temple est reconstruit mais en petit, les prêtres n’offrent qu’un service de mauvaise qualité. Ils trichent sur les offrandes. La loi n’est pas bien observée. Et Dieu en souffre, tout cela l’atteint personnellement, au point qu’en ouverture du livre, il laisse échapper un cri poignant, pour qui sait entendre, un cri de protestation : « Mais je vous ai aimés. » À quoi le peuple répond avec une insolence provocante : « En quoi nous as-tu aimés ? » Les parents qui ont attrapé en pleine figure des répliques semblables savent combien elles peuvent faire mal. Dieu est plus sensible que des parents humains. Mais loin de se décourager, il continue de ramener à lui son peuple chéri, ses enfants.
Mais ce peuple se durcit, se justifie et reprend même l’attaque : « Tu nous as aimés, mais en quoi ? » C’est la première des dramatiques joutes qui vont ponctuer tout le livre, des joutes entre des enfants rebelles et leur Père qui reste père plus que jamais. Il ne peut pas faire autrement, il est comme ça, il n’est qu’amour, ici amour blessé.
La lecture de ce dimanche relate une altercation incroyable avec les prêtres indignes de l’époque. Excusez-moi si je vais oser restituer ce que la lecture liturgique a prudemment supprimé. Pourquoi l’oser ? Bien sûr, pas pour provoquer. Mais parce que la violence verbale mise par le prophète dans la bouche de Dieu fait entrevoir quelque chose de la violence faite à Dieu et de la souffrance qu’elle lui cause. Quand on est trop blessé, les mots s’échappent. Et c’est mieux ainsi.
Je lis les reproches fulminés par Dieu contre les prêtres du temple, leur responsabilité est grande : « Vous, les prêtres, si vous ne prenez pas à cœur de me glorifier dignement, si vous continuez de m’offrir pour les sacrifices des bêtes boiteuses ou malades, j’enverrai chez vous la malédiction et je maudirai votre bénédiction... Je vais vous jeter à la figure la fiente que je ramasserai derrière les bêtes de rebut que vous m’offrez, et je vous balaierai avec elles». On pourrait gloser : Aux ordures les ordures. Ce n’est pas tout.
« Vous avez perverti mon Alliance, entre vous vous avez agi avec partialité, avec discrimination. » Autrement dit : “en ne vous traitant pas comme des frères, vous avez méprisé votre Père du Ciel”. Et le réquisitoire continue... j’abrège.
Malachie le prophète porte parole de son Dieu fait cause commune avec lui, avec sa douloureuse expérience. Aussi reprend-il personnellement la parole pour essayer à son tour de toucher ses compatriotes, pour leur faire prendre conscience de ce qu’ils font, de ce qu’ils sont et surtout de qui est leur Dieu. Leur Dieu il le leur présente par son plus beau nom, un nom qui devrait les toucher : « N’avons-nous pas tous un seul Père ? »
Un Père en qui se dévoile, à travers ses tentatives de rapprochement avec ses fils dévoyés, un grand sensible, vulnérable, comme tous ceux qui aiment envers et contre tout. Un vrai Père glorieux et douloureux. Sans défense, à portée de main de ses enfants. Il ne se retire pas, il ne pourrait pas. Il est Père.
Ici, il faudrait s’arrêter, prier, se rendre vulnérable... faire un avec Lui.
Mais non, homélie oblige, il faut continuer.
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Continuer maintenant avec Jésus qui prend le relai dans le chapitre 23 de St Matthieu entendu partiellement tout à l’heure et qu’il faudrait prendre le temps de lire intégralement. Devant les comportements dévoyés des scribes et des pharisiens Jésus apparaît tout aussi indigné que son Père au temps de Malachie. Ces autorités religieuses pervertissent les pratiques de la religion, ils fourvoient le peuple en le détournant du vrai Dieu. Insupportable ! Ce qui déclenche chez le Fils comme chez son Père de semblables violences verbales, des violences qui, à travers les torts faits à leur peuple bien aimé, les atteignent eux-mêmes. « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! Vous ressemblez à des tombes blanchies à la chaux : en dehors elles ont belle apparence, mais à l’intérieur elles sont pleines d’ossements de morts, et d’impuretés de toutes sortes. 28 Et vous êtes pareils! »
Jésus se tourne alors vers ses disciples, pour qu’ils ne tombent pas dans ces travers qui pourraient les tenter, et nous de même :
« Quiconque s’élèvera sera abaissé, mais qui s’abaissera sera élevé. » Il sera élevé comme et avec Jésus. En lui il aura part à l’expérience que le Fils partage avec son Père, ce Père qui est aussi le nôtre, tantôt glorifié tantôt humilié par ses propres enfants, sans que rien ne puisse jamais le faire cesser de les aimer comme le meilleur des pères. (2011-10-30)
28e dimanche du Temps Ordinaire - Année A
13 Octobre 1996
Homélie du F.Ghislain
Un Roi célébrait les noces de son fils.
Vous n'êtes pas des rois, mais il est arrivé à certains d'entre vous de célébrer le mariage de vos enfants. Ou de célébrer, en famille et avec vos amis, votre propre mariage.
Et, de fait, il y a eu une liturgie, célébrée avec conviction, mais avec le plus de beauté possible, de la musique, de la lumière, la parole de Dieu, le Corps et le Sang du Christ. Puis il y a eu une ou plusieurs réceptions, un vin d'honneur, un repas festif, des chants et des danses. Une fête, impossible si les parents et les amis ne viennent pas, ne contribuent pas d'une manière ou de l'autre.
Mais pourquoi donc une fête? Pourquoi la célébration d'un mariage entraîne-t-elle ce déploiement, cette dépense, ces signes et ces symboles? Pourquoi est-ce à ce moment précisément du mariage qu'on se dépense ainsi avec solennité, vie, joie, richesse ... en l'honneur et pour un jeune homme et une jeune fille?
A cause d'eux certes et à cause de l'amitié qu'on leur porte, mais à cause aussi d'une sorte de perception implicite que le mariage signifie le sens ultime de la vie: il rend concret, palpable le sens de mots comme amour, bonheur, vie.
Ensuite, une fois la fête terminée, il faudra faire un apprentissage de ces réalités : apprendre à aimer, savoir donner et éduquer la vie, cultiver le bonheur, trouver le lieu de sa liberté avec, en tout cela, un mélange étonnant de renoncements profonds auxquels peut-être on ne s'attendait pas, et d'attachements... Et, de temps à autre, la fête revient qui dit le sens de ce qu'on vit, parfois difficilement. La fête fait émerger
Le Roi fait des noces pour son fils. Dieu prépare un festin pour tous les peuples. Ce qui est en question, c'est l'union nuptiale du Fils de Dieu avec chacune des créatures humaines que Dieu a faites, précisément dans cette intention de les unir à son fils, et avec tous les hommes ensemble afin qu'ils soient un en lui dans un échange heureux et définitif.
Or, selon l'Evangile, les gens ne viennent pas à cette fête. Ils ne sont pas partie prenante de la joie offerte. Ils préfèrent autre chose: il y a tellement d'autres propositions d'utilité et de bonheur plus restreints peut-être, mais sans doute plus immédiatement attractifs : le tennis, l'équitation, la danse, la musique et toutes sortes d'autres choses, culturelles ou sportives.
27e Dimanche du Temps Ordinaire - Année A.
Isaïe 5. 1-7 ; Phil. 4, 6-9 ; Mt. 21. 33-43.
Homélie du F.Ghislain
La première et la troisième lecture développent la parabole de la vigne.
Dans le premier cas, il s’agit de quelqu’un qui a repéré un terrain favorable à la plantation d’un petit vignoble : le terrain, l’exposition au soleil, la proximité de l’eau…- tout permet de penser à des récoltes de haut niveau. Le propriétaire fait donc les investissements nécessaires, coûteux mais prometteurs, et il attend. Or le résultat dément les espérances : la vigne s’est mal développée, les raisins sont rabougris, il n’y aura pas vraiment de vin sur cette pièce de terre. Du coup, le propriétaire, déçu, détruit ce qu’il avait préparé et renvoie le terrain à l’état de friche ouverte à toutes les déprédations de la nature ou des hommes.
Dans le second cas, la vigne, soigneusement préparée, est confiée par le propriétaire à des vignerons, et elle produit ce qu’on en espérait. Ici la déception vient des hommes : les cultivateurs ne veulent pas donner au propriétaire le fruit de leurs labeurs ; ils reçoivent donc très mal ses envoyés, une fois, deux fois, et, à la fin, ils tuent son fils dans l’espoir de s’approprier l’argent produit par le vignoble et le fonds lui-même. Mais, à la fin du compte, ce sont les vignerons qui sont chassés et perdent tout, tandis que le propriétaire se cherche d’autres ouvriers qui lui seront fidèles.
Historiquement, le premier texte est l’annonce de l’invasion de Juda et de Jérusalem par des armées ennemies en 587 avant JC., la ruine totale du pays, l’exil de ses élites loin de la patrie : Dieu abandonne sa terre. Dans le second texte, Jésus annonce de la ruine de Jérusalem, de son grand prêtre, de ses princes. Même après le retour de l’exil, ceux-ci, -les vignerons de la parabole,- n’ont pas su méditer le message des prophètes, -les envoyés du propriétaire dans la parabole,- et, comme le dit le dernier d’entre eux, Jean-Baptiste, pas su « préparer pour Dieu un peuple parfait ». Et quand le Fils lui-même, Jésus, intervient, on va le tuer. Dieu alors abandonne sa ville : d’autres que le peuple juif seront appelés à mener l’humanité au seuil du Royaume par la vertu du Ressuscité.
Ces lectures, pourtant, nous sont faites aujourd’hui, à nous chrétiens, au moment où, nous acheminant vers la fin de l’année liturgique, nous célébrons la mémoire de la mort du Fils et de sa Résurrection. Et d’autres textes, analogues, vont suivre dans les dimanches qui viennent. Ces textes nous concernent donc, nous aussi, mais comment ?
Il me semble sincèrement que, si revenait aujourd’hui Isaïe, il ne manquerait pas de raisons pour prédire au monde une catastrophe plus ou moins imminente ; et, si Jésus revenait, il aurait motif de se plaindre non seulement des gouvernements mais aussi des gens d’Eglise. Ni Isaïe, ni Jésus ne nous rassureraient en nous présentant des lendemains qui chantent. Ou, tout au moins, ils nous feraient entendre que, pour le monde comme pour l’Eglise, le lendemain qui chante sera une résurrection, mais celle-ci suppose une mort, au devant de laquelle peut-être nous allons.
Comment alors entendre ces prophéties ? Il me semble d’abord que, sans rien anticiper de concret, il faut les prendre au sérieux. Dans la Bible, les vrais prophètes sont sérieux et réalistes ; ce sont les faux prophètes qui disent que tout va bien. Mais, lorsqu’ils dénoncent le monde tel qu’il va, Jésus et les vrais prophètes nous indiquent en même temps le vrai chemin de la vie. Le prophète Sophonie déclare : « Je laisserai en ton sein un peuple pauvre et faible qui trouvera un abri dans le Nom du Seigneur » ; Jésus dit : « Bienheureux les doux, car ils auront la terre en partage ». Et à ces paroles inspirées, je voudrais en joindre une autre, qui vient de scientifiques catholiques, Jean-Marie Pelt et Yves Le Pichon, par laquelle ils résument leurs observations sur le déroulement de l’évolution des espèces depuis l’origine : « La raison du plus faible est toujours la meilleure ». Ce sont les petites espèces qui traversent les catastrophes. Ajoutons enfin une fable de La Fontaine, bon observateur de la vie des hommes : c’est le chêne qui tombe, le roseau plie mais ne rompt pas.
Je crois vraiment que, en cette période troublée où on aurait le droit de pratiquer, pour le monde et pour l’église, ce qu’un philosophe contemporain appelle un « catastrophisme éclairé »,- la conversion que les prophètes et Jésus attendent de nous est conversion à la douceur de ceux qui trouvent leur abri dans le Nom du Seigneur. Nous pouvons changer le cours du monde, mais non par des actions éclatantes : en laissant éclore en nous, dans les petits espaces où nous vivons : de la famille, du travail, des loisirs, des associations, des paroisses, la forte douceur du Christ, l’invocation fidèle du Nom du Père, la respiration de l’Esprit de Dieu. Ou encore, comme dit un texte du prophète Michée, nous pouvons toujours essayer de percevoir autour de nous où sont ceux qui pratiquent la justice, aiment la tendresse et, s’ils sont croyants, marchent humblement avec leur Dieu ; ayant perçu où se trouvent ces gens de bien, nous les rejoindrons pour faire avec eux un bout de chemin. Et si par malheur nous n’en trouvions pas, commençons nous-mêmes et d’autres suivront.
Frères et sœurs, nous ne pouvons pas changer le monde, nous ne pouvons pas, ni par la force ni par de grandes conférences, éviter l’Apocalypse qui menace. La salut n’est d’ailleurs pas là : il est dans l’Evangile de la douceur qui émerge çà et là. Les hommes ont besoin, pour vivre celui-ci, d’une force immense, celle qui, en toute occasion, vainc la violence et désamorce le mal. Que l’Esprit de force nous soit donné à tous aujourd’hui, et spécialement à nous qui célébrons ici ce matin l’Eucharistie, afin que la douceur du Christ imprègne un peu plus notre monde.
A 1999 21° dim du TO
Is 22, 19-23 ; Ro 11, 33-36 ; Mt 16, 13-20.
Homélie de frère Matthieu
Voilà bien un évangile dont le commentaire semble assuré, tout fait, déjà fait depuis longtemps, depuis toujours ?
Nous y entendons la justification – évidente, pensons-nous – de ce qui est sans doute un des points forts de notre vision de l’Eglise et de son fonctionnement : la place du succes-seur de Pierre, le pape de Rome, son infaillibilité, sa juridiction universelle, son magistère de la parole omniprésent et aussi cette certitude tranquille – j’allais dire bien arrangeante – que la responsabilité de la vie de l’église est solidement tenue, assurée… et que nous n’y avons au-cune part ! Cela nous agace un peu, mais au fond, cela nous arrange bien !
Et du coup, la question de Jésus : « pour vous, qui suis-je ? » nous paraît adressée à un autre, et là encore, la réponse assurée, toute faite, et qu’importe notre opinion, nos doutes ou notre relative indifférence à la question même…
Mais, finalement, cette interprétation du texte est-elle bien la seule et même la meil-leure ?
Sur ce texte, plus que sur beaucoup d’autres, la divergence des points de vue entre églises chrétiennes séparées, pourrait peut-être nous être utile et nous aider à réentendre à nouveaux frais cette Parole de Dieu et nous aider aussi à revoir notre conception de l’Église et de sa vie.
Nos frères orthodoxes insistent – et c’est à juste titre – sur le fait que la question de Jé-sus est adressée à tous les disciples et que Pierre en y répondant n’est que le porte-parole des autres – « le premier parmi des égaux » – et ils lisent dans ce texte l’investiture de tous les apôtres et, à travers eux, de tous les évêques qui les ont suivis et gardent la foi en Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant.
Et voilà la responsabilité de la vie de l’Eglise du Christ singulièrement rapprochée, voilà, notre évêque, dans la ville épiscopale proche, garant de la foi vivante et actualisée pour nous... et déjà le dialogue, peut-être même quelque co-responsabilité, sont a portée de notre main, s’impose à notre vie chrétienne…
Nos frères protestants ont encore une autre lecture : ils remarquent – et c’est bien ce qui est écrit dans le texte – que Jésus interroge « les disciples », on ne parle ni des apôtres, ni, encore moins, des Douze… et ils remarquent aussi que, dans tout l’évangile de Matthieu, Pierre est régulièrement présenté comme le prototype du disciple du Christ. Il en a les élans
– aujourd’hui cette confession de foi inspirée par le Père, lui-même – et les défaillances – dès la page suivante de l’évangile, Jésus le traitera de Satan, d’adversaire… et qui ne pense au re-niement ?
Ainsi la question de Jésus s’adresse à tous et la réponse relève de la responsabilité de chaque disciple et l’Eglise du Christ existe là où est confessée la foi au Christ, Fils du Dieu vivant, et l’Eglise est la communauté concrète des croyants…
Et si, au lieu d’opposer ces trois interprétations que je viens de schématiser un peu ra-pidement, nous prenions le temps de les lier ensemble, de les accorder l’une à l’autre, n’aurions-nous pas une vision de l’Eglise, et de notre place dans cette Eglise du Christ, autre-ment riche et renouvelée ?
Le fondement de l’Église, c’est la foi au Christ, Fils du Dieu vivant, que le Père offre à chacun de nous, aujourd’hui et toujours… et notre réponse à la question : « pour vous, qui suis-je ? » devient essentielle pour qu’existe une « pierre vivante » de l’Eglise du Christ au milieu des hommes.
Mais cette réponse, notre réponse, doit s’appuyer sur la réponse de chacun de ceux qui nous entourent, et la « pierre vivante » ne restera vivante que dans la construction d’une communauté vivante ; et cette communauté-là a besoin d’être mise en relation avec d’autres, harmonisée avec elles dans une construction plus large et c’est le rôle des ministres de l’Eglise, des évêques et des prêtres, d’assurer cette communion d’églises et ce consensus de la foi, et c’est le rôle de l’évêque de Rome, le Pape, d’assurer la cohésion de l’ensemble sur la Pierre angulaire qu’est, seul, le Christ Seigneur.
Cette Eglise du Christ, cette Eglise de communion, c’est celle qui nous a été enseignée, rendue visible par le Concile Vatican II, c’est l’Église de la Tradition de l’église indivise ; mais cette Eglise ne peut exister que si nous sommes, tous et chacun, parties prenantes, « pierres vivantes », ouverts à la question permanente de Jésus : « qui suis-je pour toi ? » ; ouverts surtout au don de Dieu, au don de la foi que Dieu nous offre.
Saurons-nous entendre la Parole que Dieu nous adresse aujourd’hui et qui veut et peut faire de nous des vivants – cellules responsables de la foi au Christ – sans lesquels l’église n’est plus qu’une vague administration religieuse…, sans lesquels l’église ne serait plus l’Eglise du Christ, Fils du Dieu vivant, pour l’annonce de l’Evangile aujourd’hui.
Frère Matthieu Collin
Année ABC - ASSOMPTION DE MARIE – 15 Août 2011
Ap 11 19, 12 1-6, 10; 1 Co 15 20-26; Lc 1 39-56
Homélie du F.Guillaume
Frères et sœurs,
Le sens profond de la fête de l’Assomption de la Vierge Marie, que nous célébrons ce matin nous est donné par la seconde lecture que nous venons d’entendre. Saint Paul écrit aux corinthiens : « frères, le Christ est ressuscité d’entre les morts pour être, parmi les morts, le premier ressuscité. C’est en Adam que meurent tous les hommes : c’est dans le Christ que tous revivront, mais chacun à son rang : en premier, le Christ, et ensuite, ceux qui seront au Christ lorsqu’il reviendra »
La fête de l’Assomption est une fête de Résurrection, une fête éminemment pascale. Marie est la première des ressuscitée, à son rang, après son Fils. Dieu n’a pas voulu qu’elle attende le retour du Christ, à la fin des temps. Il l’a prise, il l’a assumée (tel est le sens du mot « assomption »), en la faisant monter jusqu’à la Gloire du Ciel, avec son âme et son corps.
Et cela par anticipation du Jour où tous, nous ressusciterons nous aussi d’entre les morts, dans la plénitude de la Gloire divine. Marie nous trace le chemin, elle la première des sauvés, elle, notre sœur ainée, qui est aussi notre mère. Selon le dessein de Dieu, elle a été choisie et bénie entre toutes les femmes pour mettre au monde, Jésus, le Premier-Né (et non pas tant « son » premier-né, comme on traduit souvent, ce qui pourrait laisser entendre qu’elle a eu d’autres enfants selon la chair, ce que la tradition catholique et orthodoxe n’a pas retenu).
Marie a mis au monde « le » Fils premier-né, né du Père avant tous les siècles, Jésus, le Christ, lui qui est aussi, comme le dit Saint Paul dans un autre texte, le Premier-Né d’une multitude de frères. De sorte, qu’étant tous frères de Jésus-Christ, nous sommes tous, d’une certaine façon aussi, enfants de Marie. C’est pourquoi Marie est désignée comme Mère de l’Eglise, mère de la multitude des enfants de Dieu que nous sommes par notre baptême, le sacrement qui nous a plongés dans la Mort et dans la Résurrection du Fils de Dieu.
Les deux autres lectures de la liturgie nous orientent vers une autre dimension de la vie de la Vierge Marie. Pour être désormais dans la paix et la lumière resplendissante de Dieu, assumée dans la Gloire du Ciel, Marie n’en est pas moins la première chrétienne engagée dans les conflits entre le péché et la grâce. Entre la violence des hommes et des forces du Mal, symbolisées par le Dragon de l’Apocalypse, d’une part, et entre l’amour indépassable de Dieu qui protège la femme et l’enfant mâle qu’elle va mettre au monde, d’autre part. L’enfant est enlevé auprès de Dieu et de son trône, la Femme, elle, s’enfuit au désert où Dieu lui a préparé une place. C’est l’heure du Salut, l’heure de la Victoire de la Vie à l’encontre des multiples violences ou des gloires des hommes.
Et le chant de Marie, le Magnificat, peut alors se déployer dans l’Evangile de Luc, à l’occasion de la rencontre des 2 cousines, dans cette belle scène de la Visitation. Un chant d’émerveillement devant Celui qui relève le pauvre, regarde les humbles, nourrit les affamés, et qui maintient malgré tout, la promesse d’Alliance. Un chant dont les paroles seraient jugées révolutionnaires ou subversives dans toute autre bouche que celle de cette humble fille de Nazareth. Un chant que nous faisons nôtre, avec toute l’Eglise, chaque soir, à la fin de l’office des Vêpres. Il est en consonance totale avec le message central du Christ au commencement de son ministère : message des béatitudes.
Que retenir alors de cette fête de l’Assomption de Marie ?
Elle manifeste la dimension éternelle de la vie quotidienne et humble d’une femme où le Mal n’a pas pu entrer. Cette fête nous dit que tout ce que Marie a vécu, comme tout ce que son Fils a vécu sur la terre, est pleinement assumé dans l’Amour Infini de Dieu.
Marie, première des sauvés, est aussi la première des ressuscités. Elle a pleinement accompli la vocation que Dieu a voulu pour l’homme. Et cela grâce à sa foi, à sa maternité, à sa charité humble et discrète, grâce à son Oui total et joyeux à l’appel de Dieu, son Fiat.
Tous ces oui de foi et d’amour ont aujourd’hui leur accomplissement
A chacun d’entre nous d’entrer, à notre tour, à notre rang, dans le Oui de Jésus à son Père, comme dans le Oui de Marie, humble servante du Seigneur, heureuse d’avoir cru à l’accomplissement des paroles du Seigneur.
AMEN (2011-08-15)
19e dimanche du Temps Ordinaire - Année A
I.Rois, 19,9-13 ; Rom. 9,1-5 ; Mt. 14,22-33
Jubilé d’Or de Gérard et Marie-Claire
Homélie du F.Ghislain
La première et la troisième lecture qui nous ont été offertes aujourd’hui nous disent en quelque sorte le lieu de Dieu, le lieu du Christ. Ce ne sont ni l’ouragan violent, ni le tremblement de terre, ni le feu, ni la mer en tempête, mais une brise légère, qui vient après tout cela, mais le calme qui entre dans la barque avec Jésus.
Me souvenant des échanges que nous avons souvent eus ensemble sur la foi, je voudrais illustrer cette révélation du lieu de Dieu par ce que dit Hans Jonas, relayant l’expérience de Etty Hillesum : que Dieu a renoncé à la toute puissance qui le définirait et qu’il ne faut pas l’attendre dans un renversement des événements, une modification subite de nos personnes en ce qu’elles ont d’insuffisant ou de blessé. Etty Hillesum dit qu’il nous faut plutôt venir à l’aide de Dieu, non pas en faisant nous-mêmes ce qu’il ne peut pas faire, mais en entrant dans son lieu de discrétion et de silence. "Et si Dieu cesse de m'aider, dit-elle, ce sera à moi d'aider Dieu". Dans ses Lettres de Westerbork, nous trouvons des récits à peine soutenables de scènes de déportation. Lorsqu’elle les raconte, elle fait cependant montre d'une grande maîtrise d'elle-même et ne remet pas en cause son sens positif de la vie. Elle perçoit l'impuissance de Dieu par rapport à tout cela, comme une sorte d'incapacité d'enfant devant la malice des adultes. Surtout, elle ressent profondément la cause du mal qui est justement la perte de l'intériorité personnelle et de l'invocation de Dieu. Aider Dieu, et d'abord en elle-même, c'est simplement (!) préserver intacte une place pour Dieu dans le cœur, d'où puisse jaillir un comportement vrai : "Je vais t'aider, mon Dieu à ne pas t'éteindre en moi…C'est à nous de t'aider et de défendre jusqu'au bout la demeure qui t'abrite en nous". Dieu ne demandait qu'à demeurer en nous et nous en lui et, si nous l'avons quitté, il n'en est pas responsable. A nous, au contraire, pense Etty, d'aider Dieu à retrouver sa demeure parmi nous. En effet, dit-elle encore : "la vraie spoliation, c'est nous qui nous nous l'imposons".
Etty exprime ainsi cette double expérience de l'intériorité et de l'invocation: "Ma vie n'est qu'une perpétuelle écoute au dedans. Et quand je dis ‘écoute au dedans’, en réalité, c'est plutôt Dieu en moi qui est à l'écoute. Ce qu'il y a de plus essentiel et de plus profond en moi écoute l'essence et la profondeur de l'autre. Dieu écoute Dieu" [207]. Certes, cela ne constitue pas un état paradisiaque ni sans combats. L'inquiétude, la colère, la tentation de désespoir etc. tout cela constitue une autre trame permanente du Journal, mais cela ne fait-il pas partie de l'expérience elle-même de Dieu et de l'intériorité? L'essentiel est que ces fluctuations se heurtent toujours à nouveau au roc inébranlable : "Je me retrouve toujours dans la prière…J'aurai toujours un espace intérieur assez vaste pour joindre les mains en prière ». Une telle existence dans la prière produit alors ses fruits. Elle permet d'éloigner le plus possible le ressentiment et toutes les passions que ferait naître l'horreur de la conjoncture. Elle fait surgir au contraire le sentiment paradoxal que "la vie est belle", en ce moment même où elle est non seulement menacée, mais bafouée et détruite. Enfin, elle nourrit l'amour effectif et efficace des autres.
Il me semble que cette brève évocation d’Etty Hillesum est un commentaire authentique de nos lectures de ce matin. Je voudrais en ajouter un autre, plus bref mais qui nous touche davantage, celui de Cécile peu de jours avant qu’elle ne nous ait quittés à la Toussaint dernière. Elle lisait les derniers versets de la première lettre aux Thessaloniciens, que je vous relis maintenant : « Soyez toujours dans la joie, priez sans cesse, rendez grâces en toutes circonstances, car c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus. N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas le don de prophétie ; examinez tout avec discernement, retenez ce qui est bon, tenez vous à l’écart de toute espèce de mal. Que le Dieu de paix lui-même vous sanctifie totalement et que votre esprit, votre âme et votre corps soient parfaitement gardés pour être irréprochables lors de la venue de NSJC. Celui qui vous appelle est fidèle ; c’est lui encore qui agira ». Nous connaissons le commentaire de Cécile : « Tout cela me parle à l’intérieur de moi. Comme je voudrais, moi aussi, le transmettre à tous ceux que j’aime. Vivez l’appel que vous entendez de l’intérieur de votre cœur. Soyez dans la profondeur. C’est notre véritable vocation d’Etre humain. Jésus nous a ouvert la voie ».
Tout cela, si je vous le rappelle, Gérard et Marie-Claire, ce n’est pas pour vous exhorter à le mettre en pratique, comme si c’était nouveau pour vous, mais parce que vous le savez déjà et que c’est le secret de votre action de grâces et de votre espérance. La vie n’est pas un long fleuve tranquille, où la relation conjugale est uniformément comblante, la paternité et la maternité parfaitement heureuses, le travail professionnel épanouissant de bout en bout, les relations humaines on ne peut plus satisfaisantes, les santés toujours florissantes…Il y a toujours un peu, et souvent beaucoup de cela, certes, et les jubilaires ne manquent pas de bons souvenirs : les moments qui ont construit les autres et eux-mêmes, les rencontres humaines qui ont donné tant de bonheur, les illuminations intimes grâce auxquelles, l’espace d’un instant, tout a révélé son sens. De tout cela, c’est aujourd’hui le jour où rendre grâces. Mais il y a eu aussi les ouragans et les tempêtes, et, plus difficiles à vivre peut-être, les périodes un peu grises où rien ne semble se passer, où les espérances semblent toujours renvoyées à plus tard et où les frustrations sont prêt de prendre le dessus. Il y a la santé défaillante, dont l’épreuve est continue. Il y a le mal que nous avons subi et, plus douloureux encore, celui que nous avons fait et dont nous voudrions tant qu’il n’ait pas existé, surtout celui qui a blessé les autres. La vie vraie, pourtant, comporte aussi cela qui fait partie, paradoxalement, de sa richesse, et de cela aussi on comprend peu à peu qu’il est possible de rendre grâces.
Je suis convaincu que, si vous avez traversé ces longues, et en un sens, si brèves années, si vous sentez le besoin de les célébrer dans la joie et l’action de grâces, c’est parce que vous avez connu et que vous connaissez encore ce lieu intérieur dont parle l’Ecriture qui vous a été offerte aujourd’hui. Ce lieu, on peut l’appeler Dieu, ou encore l’Evangile, ou encore l’intériorité…A certains jours, vous ne lui avez pas donné pas de nom, parce que c’était impossible. Peut-être avez-vous parfois presque oublié qu’il est là, et pourtant vous ne l’avez pas déserté et de lui ont toujours jailli et jailliront encore des sources d’eau vive, car c’est le lieu en vos cœurs de la divine tranquillité.
Aussi bien je peux terminer ces quelques paroles qu’un Autre en moi prononce pour vous, en vous exprimant de tout cœur le merci de Dieu, Lui que votre vie, telle qu’elle a été et telle qu’elle est, n’a pas déçu,- vous dire son pardon pour les moments où vous étiez perdus, - un pardon qui restitue tout en vérité, entre vous, en vous, et dans les autres que vous avez pu blesser,- vous adresser enfin son s’il vous plaît. S’il vous plaît, continuez à m’aider, moi Dieu, et à vous aider vous-mêmes en entrant dans la profondeur et en y trouvant, jusqu’à la fin, la force et le goût de vivre, de recevoir la vie des uns et des autres et de faire vivre autour de vous.
Année A - 3e dimanche Tps pascal –
Ac 2 14, 22-28 ; 1 P 1 17-21 ; Lc 24 13-35
Homélie du F.Sébastien
Les pèlerins d’Emmaüs
Une route déserte. Non, j’aperçois deux hommes qui marchent. Ils fuient les lieux de la violence insupportable.
J’entends un ordre : « Rejoins ! » Les deux d’hier sont devenus foules aujourd’hui, hommes et femmes de toutes couleurs, sur tous les continents, partis, abandonnant leurs morts, affrontés au désespoir de ceux qui n’ont plus d’avenir.
« Rejoins ! » Que faire pour eux, et pour nous-mêmes qui en sommes ? Surtout ne pas se payer de mots faciles. Essayer quand même de ne pas s’éloigner, de se plonger au contraire au cœur du mystère que Dieu en ce moment vit beaucoup plus profondément que nous... Rejoindre aussi Dieu. Où cela ? Là où il nous attend : au cœur de l’histoire, telle que seule la liturgie peut la ressaisir et lui donner sens. Nous le savons, c’est éminemment dans la liturgie que la toute puissance de Dieu s’exerce dans le monde, à travers notre faiblesse, assumée qu’elle est dans la totale faiblesse de son Fils mort et ressuscité pour tous.
Je crois que célébrer la liturgie, c’est entrer en une double solidarité,
à la fois avec les hommes qui marchent actuellement sur la route d’Emmaüs,
et avec Celui qui les rejoint, à pas de loup, et se mêle à eux, incognito.
Cet inconnu, frêle silhouette, que vient-il faire là en cette circonstance ?
Une anecdote. Je ne peux m’empêcher de penser à ce que je crois avoir déjà évoqué ici. Au Togo, le frère Eugène au retour du camp des lépreux qu’il visitait tous les quinze jours, m’avait rapporté ces mots d’un lépreux son ami : « Aimer, c’est être là quand on a besoin de toi ». Je crois que tout l’évangile d’aujourd’hui est résumé en ces quelques mots : « Être là quand on a besoin de toi ». Quel besoin ? Évidemment, d’abord de vraie présence.
Le troisième homme sur la route d’Emmaüs le savait. Il savait que c’était là sa mission. Il se savait envoyé auprès des hommes pour leur apporter la seule présence dont tous ont un besoin absolu : la présence d’un vrai Père, celui dont l’apôtre Pierre nous parle dans les deux premières lectures. Écoutons-le, avec notre propre besoin :
« Frères, vous invoquez en tant qu’il est votre Père, Celui qui ne fait pas de différence entre les hommes... ». Ce Père qui enveloppe chacun de ses enfants bien aimés d’un même regard d’amour. L’amour vrai est incapable de faire des comparaisons. Aimer c’est n’avoir que des préférés, tous uniques. Aimer sans faire de différence. Aimer c’est être libre de ne plus choisir !
Libre aussi pour écouter jusqu’au bout Pierre qui ajoute « Aussi veillez sur vos actes ». Dans quel but ? Mais pour répondre à l’attente de ce Père qui nous veut libres, libres pour les autres. Il a tout fait pour que ce soit possible : « Vous le savez, dit Pierre, ce qui vous a libérés de la vie errante que vous meniez à la suite de vos pères » ce qui vous libère en ce temps pascal, « ce n’est pas l’or ou l’argent, tout cela sera détruit... », de la paille... ! Quoi alors ? « Mais le sang précieux du Christ, l’Agneau pascal, sans défaut et sans tache, que Dieu avait choisi dès avant la création du monde ».
Oui, j’ai bien entendu : « Choisi dès avant la création du monde... », c'est-à-dire alors qu’il n’y avait que Dieu, et rien d’autre, que Dieu qui, en son conseil trinitaire, agissait en Père qui se choisit son Fils unique et éternel pour le dessein d’amour qu’il allait lui confier. Mais ce n’est pas tout. Après cette rapide ouverture sur ce qui précédait la création, Pierre nous conduit ensuite dans la fin ultime du temps, en continuant : « Ce Fils, Agneau choisi, Dieu son Père l’a manifesté pour vous, en ces temps qui sont les derniers ». L’Agneau manifesté sur la route, apparu dans l’auberge, disparu pour un surcroît de présence. Et Pierre de conclure : « C’est par lui que vous croyez en Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts », Dieu qui ne veut qu’une chose : vous faire entrer en résurrection dès maintenant en y entraînant beaucoup d’autres.
Comment conclure, sinon par l’action de grâce ?
Je vous laisse avec le psaume 15 que nous avons déjà chanté ensemble entre les deux premières lectures et qui nous invite à continuer au fond de nos cœurs tout au long de ce jour :
« Mon cœur exulte, mon âme est en fête. Tu m’apprends le chemin de la vie »,
notre chemin d’Emmaüs, d’une éternité à l’autre, jusqu’à l’auberge où nous sommes attendus, attendus par la Présence, la Présence définitive. (2011-05-08)
16° dimanche du Temps Ordinaire - Année A
Homélie du F.Ghislain
Il y a du mal : dans le monde, dans le pays, dans le village et, ce qui est le plus déroutant en chacun de nous. Pourquoi Dieu le laisse-t-il prospérer et faire son œuvre destructrice ? La réponse que donne l’évangile est celle-ci : « de peur qu’en enlevant l’ivraie, on n’arrache aussi le blé en même temps ». Cette phrase est difficile à comprendre, à accepter.
Pour la comprendre, on peut regarder vers Jésus, lui qui est la vigne et dont nous sommes les sarments : on pourrait dire : il est l’épi de blé le plus riche et nous faisons partie de sa gerbe. Or, dès le début de sa vie publique, avant même de partir annoncer le Royaume, Jésus s’est trouvé face au démon, le semeur d’ivraie, et il lui a résisté par la force de la Parole de Dieu. Tout au long de sa vie, il a lutté contre les démons, il les a chassés et pourtant, de certains démons, les plus orgueilleux, les plus subtils, il n’a pas eu raison. A la fin de sa vie, il est mort sur la Croix. Son Père ne l’a pas épargné mais, en retour de son combat de son don total, il l’a ressuscité. Il ne faut pas nous étonner que le destin de Jésus soit aussi le nôtre. Le serviteur n’est pas plus grand que le Maître. Il faut alors fixer sans cesse le regard sur Jésus et, grâce à l’Esprit qu’il nous envoie, ne pas défaillir devant l’épreuve qui nous est proposée au log de notre vie.
A la lumière de Jésus, de dire ceci, on peut essayer de comprendre un peu pourquoi, si on arrachait l’ivraie, on risquerait d’endommager le blé : si on arrache l’ivraie, s’il n’y a que du bien, il n’y a plus de place pour un combat spirituel où chacun choisit son camp et lutte pour y demeurer fidèle. Il n’y a plus dd place pour la miséricorde et l’amour des ennemis. Il n’y a plus de place pour la prière dans laquelle nous reconnaissons que seul Dieu peut nous donner force. Il n’y a plus de place pour la patience, cette vertu silencieuse qui nous rend finalement très forts. Il n’y a plus de place pour l’héroïsme et le martyre…Toutes ces choses sont des éléments essentiels pour faire un chrétien.
Saint Sacrement Jn 6/51 - 58
Année A
Homélie du Frère Antoine
Dimanche dernier nous avons célébré la fête de la Ste Trinité, le mystère de la vie même
de Dieu et aujourd'hui nous célébrons le mystère de cette union intime que Jésus nous invite à
vivre avec lui.
Vivre est le mot clef de l'Evangile d'aujourd'hui qui fait suite à celui de la multiplication des cinq pains d'orge dont il restera douze paniers. Des pains que Jésus a donnés, il fait passer maintenant ses
auditeurs à l'idée du Pain qu'il est lui-même.
Ce passage est à la fois une hymne à la Vie et une hymne à l'amour de Dieu envers toute
l'humanité symbolisé par le don de son corps et de son sang.
Neuf fois la Vie est mentionnée ... trois fois sous l'expression de la vie éternelle qui apparaît
au début du discours, puis au milieu, pour devenir enfin le dernier mot de l'Evangile.
Cette vie éternelle promise par Jésus est une plénitude qui dépasse le temps.
Une plénitude qui nous est promise dès maintenant, car Jésus utilise le présent «Qui mange ma
chair et boit mon sang demeure en moi.si vous ne mangez pas ma chair et ne buvez pas mon sang
la vie n'est pas en vous»
Ce don de la chair et du sang dans le Présent de notre existence signifie le don du Pain de la
Parole, un pain, qui, si nous l'accueillons et si nous l'assimilons est source de Vie dès maintenant
et chaque jour.
Mais cette vie en plénitude nourrie par l'écoute de la parole est appelée à dépasser le temps
présent, elle est vie éternelle ... ce que souligne le texte de St Jean quand il utilise ensuite le futur
pour en démontrer la durée.
« Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement, qui mange ma chair et boit mon sang
je le ressusciterai au dernier jour» .... Promesse d'une communion intime à Jésus et à sa
résurrection dont l'Eucharistie sera l'expression et la nourriture.
Au cours d'une séance de catéchisme, une animatrice après avoir commenté ce passage de St
Jean interroge un enfant sur ce que Jésus a dit.
Au lieu de dire Jésus a pris du pain en disant, Prenez et mangez en tous ceci est mon corps donné
pour vous, l'enfant fait cette réponse : « Jésus a pris son corps ... puis il a dit ... : Prenez et mangez
en tous, ... ceci est mon pain livré pour vous! »
D'un seul coup, en renversant la phrase, l'enfant donnait le sens exact des paroles de Jésus.
Le don du Pain du Christ, est une invitation pour nous à entrer en communion personnelle
avec lui. Recevoir le Corps et le sang du Christ, c'est se laisser assimiler au Christ afin d'être
transformé de l'intérieur et configuré à son image.
Jésus ne nous explique pas comment il peut être réellement présent dans le pain, mais son
affirmation est catégorique et sa répétition à 6 reprises en fait une hymne à la vie qui est aussi
une hymne à l'amour de Dieu. Donner son corps et son sang c'est exprimer cet amour immense
de Dieu, pour chacun d'entre nous, ce que le cardinal Walter Kasper exprimait ainsi:
« Dieu connaît le fond de ton cœur. Par son sacrifice, ta vie est placée dans l'horizon et sous
l'étoile de son pardon, de sa compassion et de sa miséricorde. Tu y es définitivement en sécurité,
rien, ni personne au monde ne peut jamais t'en séparer»
Frères et Sœurs, C'est en ce sens que la Vie éternelle est déjà présente en nous. (2011-06-26)