Homélies
Liste des Homélies
Année A - 32° Dimanche du Temps Ordinaire
Sg 6 12-16; 1 Th 4 13-18; Mt 25 1-13
Homélie du F.Guillaume
le 6 nov 2011
Frères et sœurs,
Cette parabole bien connue des dix jeunes filles invitées à des noces et allant à la rencontre de l’époux en pleine nuit, avec leurs lampes, nous est proposée par l’Eglise, alors que nous approchons de la fin d’une Année liturgique.
Tout comme la parabole des talents que nous entendrons dimanche prochain, ou celle de ces invités à une autre noce qu’un roi a du mal à rassembler pour faire la fête, et parmi lesquels il se trouve un homme qui n’a pas revêtu le vêtement de noce, ces textes nous situent dans la perspective du Royaume des Cieux. Ils sont des avertissements avant un Jugement final, un jugement Dernier, sans recours possible.
Nous sont-ils lors adressés pour susciter en nous la peur, la culpabilité et nous donner une image d’un Dieu redoutable, qui nous paraîtrait injuste, avec nos catégories de justice humaine. Oui, c’est une lecture possible, et elle a eu cours dans la prédication de l’Eglise à bien des époques. Mais c’est une lecture à un premier degré, et nous devons apprendre à lire les paraboles de l’évangile à un niveau plus profond, plus spirituel.
C’est tout l’enjeu d’une bonne compréhension de cette parabole des dix vierges ou jeunes filles, dont 5 étaient sensées (ou sages) et 5 étaient folles selon une fidèle traduction du terme grec (morai). Oui, folles, ce qui est bien plus fort que simplement étourdies ou sottes. Le fou, dans la Bible ne désigne pas seulement le sot qui n’a pas d’intelligence, mais d’abord l’impie qui s’oppose à la Loi de Dieu et qui va jusqu’à dire en son cœur : il n’y a pas de Dieu.
L’évangéliste Matthieu applique ce terme de fou ou d’insensé à l’homme qui bâtit sa maison sur le sable, c’est-à-dire celui qui écoute bien les paroles de Jésus, sans les mettre en pratique. Un peu aussi comme ces graines semées au bord du chemin ou dans les rocailles ou dans les épines et qui, sans racines ou étouffées, sont incapables de porter du fruit.
Loin donc d’être « étourdies », les 5 vierges « folles » sont en réalité « insensées » devant Dieu. Ce n’est pas leur manque d’attention qui se trouve mis en cause, mais bien leur attitude spirituelle.
Quelle est donc alors l’attitude de 5 autres, « sages » ou « sensées » ? Le même qualificatif (fronimai) renvoie à cet homme « avisé » qui a bâti sa maison sur le roc, parce qu’il a écouté les paroles de Jésus et il les a mises en pratique. Plus qu’une simple sagesse humaine, faite de prudence et de prévoyance (on pourrait même faire appel au principe de précaution, mis en avant aujourd’hui), c’est d’une certaine intelligence du mystère de Dieu dont il s’agit là. Les 5 vierges sages sont plus que des filles intelligentes et futées : elles possèdent en même temps cette suprême ouverture du cœur au Royaume de Jésus.
Toutes ces jeunes filles avaient emporté des lampes, mais c’est l’huile qui fait défaut à 5 d’entre elles. Qu’est-ce donc que cette huile ? Une interprétation spirituelle peut y voir cette réserve de vie intérieure qui doit accompagner la veille, voire même le sommeil. Car la parabole ne reproche pas aux jeunes filles fatiguées de s’être endormies. Les 10 ont failli à ce niveau de vigilance. Mais la vigilance demandée par l’Evangile n’est pas de l’ordre de la performance physiologique ou corporelle. Elle réside dans l’attitude spirituelle de celui ou celle qui se tient prêt, et qui en prend les moyens. Prêt pour l’arrivée de l’époux qui peut survenir à tout moment : vous ne savez ni le jour, ni l’heure. Tout comme l’épouse du Cantique peut s’écrier : « je dors, mais mon cœur veille ».
Les vierges folles, elles, n’ont pas su être prêtes. Pourtant, comme les autres, elles se sont donné de la peine, mais trop tard ! Comme les autres, elle ont fini par rallumer leurs lampes, mais trop tard ! Comme les autres, elles sont arrivées à la porte de la salle des noces, mais trop tard !
Voilà ce que Jésus veut nous dire. Ce n’est pas nous qui choisissons ou maîtrisons l’heure de sa Venue. Il nous renvoie alors au sérieux de notre liberté humaine et à notre responsabilité. Ce n’est pas pour rire que nous avons été aimés par lui et qu’il nous sauvera. Selon la perspective biblique, les « folles » ne sont rejetées hors de la salle des noces que parce que d’abord, elles ont rejeté Dieu. Le jugement rendu par Dieu ne fait que traduire ce qu’elles ont mérité par leur propre comportement. Et les pharisiens du temps de Jésus qui écoutaient ces paroles ont dû très bien comprendre. Les chrétiens que nous sommes aujourd’hui sont tout autant appelés à les comprendre. Car, à travers ces 10 jeunes filles, il nous faut voir la figure de l’église, sortant à la rencontre de son Epoux, le Christ. Et c’est donc bien de nous, de chacun d’entre nous qu’il s’agit maintenant.
Suis-je prêt ? Est-ce que je veille ? Et comment ?
Ma communauté, ma paroisse, mon église sont-elles prêtes ? Veillent-elles ? Et comment ? (2011-11-06)
COMMEMORAISON DE TOUS LES FIDELES DEFUNTS
Dimanche 02.11.08
Sg 2, 1-4, 22-23 – 3, 1-9 ; Rm 8, 18-23 ; Lc 12, 35-38, 40
Père Abbé Luc
Frères et sœurs,
Prier pour nos défunts comme nous le faisons aujourd’hui est toujours une occasion pour nous les vivants, de méditer sur notre vie et sur notre mort. La mort n’est-elle pas pour tout humain comme le grand point d’interrogation à la fin d’une phrase ? En nous souvenant de tous ceux qui nous ont précédés, connus ou inconnus, en appelant sur eux la miséricorde de Dieu, nous confessons déjà que ce point d’interrogation n’est pas la fin du grand récit de l’histoire humaine. Nous le faisons en nous appuyant sur la foi et l’espérance de ces hommes et de ces femmes qui, depuis Abraham, se savent accompagnés et guidés par un Dieu d’Amour. Chacune des lectures nous offrent le témoignage de foi de trois croyants, l’auteur du livre de la Sagesse, Paul et Luc qui nous partagent leur vision de la vie et de la mort.
L’auteur du livre de la Sagesse entend se distancer des incroyants de son époque qui disent : « Nous sommes nés du hasard, et après, nous serons comme si nous n’avions pas existé ». Face à ce discours très humain que l’on peut encore entendre aujourd’hui, il dit modestement sa foi : « Dieu a créé l’homme pour une existence impérissable ». Hasard ou vie sensée et ordonnée à un but ? Devant ce grand point d’interrogation de notre destinée humaine, le sage de la Bible invite son lecteur à un regard contemplatif de la réalité. Ce monde, tel qu’il se donne à voir est sensé, étonnement sensé. La Sagesse divine lui a impulsé un ordre. Si l’athée s’appuie sur le constat de l’impasse de la mort et sur l’intolérable de la souffrance pour fonder son incroyance, le sage de la Bible enracine sa foi sur son émerveillement devant cette création si richement déployée. La douleur face à l’arbre qui tombe ne peut masquer la beauté de toute la forêt qui pousse.
Paul nous donne une autre vision dans la lumière de sa foi au Christ mort et ressuscité. Il pense que toute l’histoire de la création est comme l’histoire d’un grand enfantement. « La création toute entière crie sa souffrance, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore ». Notre vie humaine inséparable de celle du cosmos est en travail d’enfantement, elle est en perpétuelle naissance. Tout le regard de Paul se porte donc vers cet avenir où la réalité sera pleinement accomplie. C’est cet avenir qui donne sens au présent. Notre présent ne reflète qu’une pâle figure de ce qu’est la réalité. De même notre vrai visage, celui de fils de Dieu, doit encore être manifesté. Et il le sera quand notre corps sera ressaisi lui aussi dans la lumière de Dieu, lors de la résurrection finale. Un enfantement ne peut se faire sans douleur. De même, c’est en passant par la mort que le Christ nous a ouvert le chemin de la Vie. Une Vie dont la mesure dépasse infiniment celle que nous pouvons connaitre.
Après ces deux grandes visions sur le mystère de notre vie et de notre mort, Luc nous propose une manière très concrète d’aborder notre mort : « veiller en tenue de service ». Veiller comme on attend un être aimé. Le Christ ne souhaite qu’une chose de notre part : que l’attendions comme un ami, dans la confiance. Il nous indique, avec humour pourrait-on dire, quel costume on doit mettre, non notre plus beau complet veston ou notre plus belle robe, mais l’humble habit de service, celui de la vie quotidienne, celui par lequel nous nous faisons proches de nos frères et sœurs en humanité. Que notre cœur soit soucieux d’être non beau en apparence, mais profondément donné à ceux qui nous entourent, tel sera notre meilleure façon de recevoir le Christ quand il viendra à notre rencontre. De manière très simple, Luc nous redit que notre vie est ordonnée à cette rencontre heureuse du Christ qui nous trouvant en tenue de service, nous servira lui-même, ce qu’il ne cesse déjà de faire depuis la dernière Cène.
En cette Eucharistie, entrons avec confiance dans l’offrande du Christ Serviteur, unissons-nous à lui, en nous offrant avec lui pour le salut de tous nos frères les hommes. (2008-11-02)
Année A - 28° Dimanche du Temps Ordinaire - 12 Octobre 2008
Is 25 6-9; Ph 4 12-14, 19-20; Mt 22 1-14
Homélie du F.Servan
Quand j'arriverai au ciel bien sûr, grâce à la miséricorde de mon Dieu et soutenu par la communion priante de mes frères, j'irai d'abord et avant tout rencontrer et remercier le Fils de l'Homme : « Mon Seigneur et mon Dieu », mon Sauveur, élan du cœur, rencontre intime et indicible! Tous mes petits secrets et évanouies les milliers de pages historico-criques et tâtonnantes sur Jésus de l'histoire et Christ de la foi ; « Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t'aime! »
Après un certain temps d'acclimatation (si tant est que le temps ait quelque chose à voir dans ce monde-là !), il se pourrait bien que je demande à rencontrer l'évangéliste Matthieu pour lui demander quelques explications. Par exemple : « Ce fameux vêtement de noce, c'était quoi, au juste, pour vous? et, cette huile qui est venue à manquer dans la lampe d'un certain nombre de demoiselles d'honneur? » Et lui (d'une voix céleste mais quand même un peu bourrue) : « Je vois que vous avez la tenue réglementaire, bien qu'elle me semble un peu fantaisiste, pas très bien repassée et là, des reprises et il manque plusieurs boutons! - Une fois de plus le préposé à la porte du ciel a fait preuve de son indulgence coutumière. Bon, passons. Mais à propos de votre demande, je pense que vous, nouveau-venu vous pourriez déjà me dire votre idée sur la question à partir de votre petite expérience chrétienne éclairée par la Parole de Dieu!
.
J'ai hésité, mais au ciel les examens sont beaucoup moins stressants que sur la terre ; on est en confiance, on n'a plus peur de dire des bêtises même avec un professeur sévère comme l'évangéliste Matthieu. Je me suis donc lancé :
" Durant ma petite vie sur la terre, où j'ai tant de fois écouté, lu et relu votre évangile, j'ai constaté que
vous insistiez fortement et souvent sur une « mise en pratique » efficace, courageuse des commandements. Ceux par exemple de votre chapitre 19 que Jésus rappelle au jeune homme riche « Tu ne tueras pas, tu
aimeras ton prochain comme toi-même » ( c'est important pour tout le monde mais spécialement pour les
chrétiens qui agissent pour l'abolition de la torture!) et mise en pratique d'autres enseignements de Jésus, par exemple au chapitre 18, « pardonner jusqu'à soixante-dix-sept fois sept fois et du fond du cœur » et puis, tout le Sermon sur la Montagne « qui accomplit la loi et les prophètes » mais se conclue ainsi: « qui entend mes paroles sans les mettre en pratique est semblable à moins que rien! »
Bon! Mais, attention! On nous a souvent répété: pas de légalisme comptable et comparatif du genre: « je
jeûne deux fois la semaine, je prie sept fois ou trois fois par jour, c'est pas comme celui-ci ou celle-là etc » -
excusez-moi, cela, c'est plutôt du Saint Luc! Donc, pas de religion des œuvres seules ou des vertus, ce serait du pain sec sans confiture dessus!
Je peux également vous citer St Paul (là j'ai vu Matthieu froncer les sourcils), car quand j'ai quitté
la terre, dans mon Eglise, c'était l'Année st Paul et, tout le monde s'était mis à le relire avec une ferveur
étonnante!
C'est qu'il a de très bonnes formulations. Par exemple, dans sa lettre aux Galates, celle-ci qui m'a toujours bien parlé: « Pour celui qui est en Jésus Christ et qu'anime son Esprit, ni la circoncision (ni la Loi) ne sont efficaces, mais la foi agissant par l'Amour ».
« Agissant » Il y a bien un agir, une pratique mais encadré, et surtout dynamisé par la Foi au Christ
sauveur et par l'Esprit répandu en nos cœurs!
Le grand saint Augustin (qui a dit beaucoup de choses) a dit entre autres: la tenue de noce, c'est l'Amour. Celui qui est célébré dans l'Hymne à l'Amour (1 Co 13) « j'aurai beau faire ceci ou cela, si je n'ai pas l'Amour, je ne vaux rien! "
Un grand spirituel russe, Séraphin de Sarov dira que l'huile dans les lampes c'est l'Esprit saint habitant et
inspirant nos cœurs. Amour - Esprit saint, c'est pareil!
J'ajouterai le mot de générosité (reflet de cette générosité et surabondance qui est notre Dieu révélé
par Jésus Christ) et j'ai toujours eu plaisir à retrouver ce mot dans le Ps 50 que j'ai tant de fois prié et chanté avec mes frères:
« Crée en moi un cœur pur, restaure en moi un esprit ferme; que l'Esprit généreux me conduise ! » ou encore ce verset du Ps 118 cher aux disciples de saint Benoit:
« Je cours dans la voie de tes volontés - car tu mets au large (tu dilates) mon cœur »
Voie étroite pour mes pulsions et mes petits désirs, mais l'Esprit généreux repousse les murs de mon espace intérieur ; mets si besoin de l'huile, beaucoup d'huile dans mes rouages un peu usés!
J'ai mentionné Benoit que sur terre j'ai eu la chance d'avoir comme entraîneur sportif et qui nous a
donné de bons conseils techniques: généreux, d'accord ... mais pas à l'aveuglette, du genre : « tout pour
Jésus! », pas sans discernement ni intelligence, sans connaissance expérimentale de moi-même, des autres et de l'humanité qui ressemble parfois à une jungle un peu folle, pas sans jouer collectif avec les autres
membres de mon équipe ni écouter le capitaine de l'équipe. (On dit qu'un certain Dietrich Bonhoeffer était aussi un bon entraîneur pour la vie communautaire !)
Matthieu l'évangéliste m'a alors interrompu : « Cà suffit comme çà ! Je vous donne la mention passable. Je vois que vous lisez un peu trop saint Paul et que (sans tomber pourtant dans la grâce « à bon
marché ») vous êtes un de ces braves pagano-chrétiens de tendance libérale-optimiste. Moi je suis fier d'être un judéo-chrétien un peu plus énergique et exigeant. Mais; comme dirait Jésus, il faut de tout pour faire un paradis! Je vous souhaite donc un agréable séjour! ».
(2008-10-12)
Année A - 23° dimanche du Temps Ordinaire - 7/09/2008
Ez : 33,7-9 ; Rom : 13,8-10 ; Mat : 18,15-20
Homélie du F.Guillaume
Frères et sœurs,
Le passage d’évangile que nous venons d’entendre fait partie d’un ensemble de chapitres où St Matthieu aborde la vie de la communauté chrétienne sous différents aspects. Ce dimanche et dimanche prochain, il nous parle de la communauté comme lieu du pardon et de la réconciliation : c’est l’unité et la communion de la vie fraternelle qui sont en jeu. Les deux dimanches suivants, ce sera la communauté comme lieu de conversion, une conversion de vie et de mœurs qui s’adresse à chacun des membres et pas seulement à certains qui en font profession comme les moines, le jour de leur engagement. Enfin, les deux derniers dimanches de ce temps de rentrée aborderont la communauté sous l’angle du service. Là encore l’esprit de service n’est pas seulement réservé aux diacres ou aux ministres ordonnés de l’église, mais il est exigé de tous les baptisés, tous les membres de la communauté chrétienne.
Aujourd’hui donc il est question de pardon à accorder ou à refuser, suite à un péché commis par un chrétien, un péché dont la nature n’est pas précisée, mais qui semble être public, grave et menaçant pour l’unité de tous. Une situation que l’on retrouve dans d’autres contextes, aux origines de l’église, dans les épitres de Saint Paul, de Saint Jacques ou de Saint Jean, avec des examens et des tentatives de solution différentes.
Saint Matthieu, lui, fait appel en tout premier lieu à la parole, une parole échangée, en privé d’abord avec le coupable, puis à deux ou trois, comme c’était l’usage dans la tradition juive, et enfin une parole commune en présence de toute l’assemblée.
En entendant ce texte, les moines ne peuvent pas ne pas se référer à ce que dit Saint Benoît dans sa Règle, où il aborde sur plusieurs chapitres cette question de la correction et de l’excommunication d’un frère coupable de faute grave. L’intention de Benoit, tout comme celle de Matthieu est avant tout médicinale, considérant le frère comme un malade qui a besoin d’attention, de soin, de prière et surtout de beaucoup d’amour, de la part de l’abbé, d’anciens plus expérimentés et enfin de toute la communauté. L’amour est à la source de l’espérance de guérison et de réconciliation. L’amour est ce qui sauve le pécheur, qui ne l’enferme pas dans sa faute, mais cherche à le rétablir dans la communion.
Un jour, un Père Abbé partageait son expérience d’avoir à écouter l’un après l’autre, deux frères ayant de grosses difficultés de relation dans leur emploi. Et il s’étonnait d’entendre combien l’un et l’autre étaient clairvoyants sur l’attitude de l’autre et d’une certaine manière avaient raison en soutenant leur défense, mais il s’étonnait tout autant de constater combien l’un et l’autre étaient parfaitement aveugles sur eux-mêmes, sur les reproches que l’autre lui adressait. Illustration o combien concrète de la parabole de la paille et de la poutre, bien connue.
Dans tout conflit entre des personnes, il y a ainsi souvent une part de vérité et une part de mensonge (plus ou moins inconscient). Il nous faut l’admettre et le reconnaître avec humilité, en présence d’un tiers ou devant la communauté. C’est la chance du sacrement de réconciliation que nous recevons d’un prêtre ou de nos célébrations pénitentielles, où nous sommes aidés, avec l’écoute de la Parole de Dieu, à accueillir cette grâce du pardon, à faire la lumière sur nous-mêmes, sur notre relation aux autres et à Dieu enfin que nous avons offensé.
Le texte de l’évangile d’aujourd’hui insiste aussi sur la nécessité de la prière et sur son efficacité quand elle se fait demande à deux ou trois, réunis au nom du Christ.
Jésus alors assure les disciples de sa présence au milieu d’eux. Tout l’évangile de Matthieu est inclus dans cette promesse et cette assurance de la présence de Dieu à l’humanité. Au début, dans l’annonce faite à Joseph, l’époux de Marie, Jésus reçoit par l’ange le nom d’Emmanuel, ce qui veut dire « Dieu avec nous », en accomplissement de la prophétie d’Isaïe. Et en finale de l’évangile, Jésus ressuscité envoie ses disciples porter la Bonne Nouvelle à toutes les nations en les assurant : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. »
Cette présence de Jésus, nous la vivons, nous la célébrons en cet instant, ce dimanche, dans cette eucharistie, puisque nous sommes réunis en son Nom. En accueillant sa parole qui nous invite aujourd’hui au pardon, à l’échange fraternel, à la miséricorde et à la prière, nous prenons mieux conscience de la nécessité et du prix de la paix : une paix à construire, à donner et surtout à recevoir de Dieu. Alors, dans le geste que nous échangerons dans un instant en nous avançant pour recevoir le Corps et le Sang du Christ, nous manifesterons notre désir de vivre dans la communion de son Amour, l’amour qui est le parfait accomplissement de la Loi. (2008-09-07)
Année A - 21° Dimanche du Temps Ordinaire
Is 22 19-23; Rm 11 33-36; Mt 16 13-20
Homélie du F.Sébastien
De quoi s’agit-il en ce dimanche de grâce? De quelle grâce ?
Pour le dire en trois mots j’évoquerai une anecdote.
Le 5 février 1949, en Hongrie, Le Cardinal Mindzenty comparaît. Arrêté fin 1948, 82 heures d’interrogatoire par un tribunal communiste résolu à lui faire avouer coûte que coûte qu’il est un espion du Vatican, trois jours sans manger ni boire... le corps finit par lâcher, il appose sa signature, non sans avoir ajouté au bas du document un petit c et un petit f, initiales des deux mots latins, coactus feci : fait sous la contrainte, c'est-à-dire sans liberté, donc invalide. Vaincu le cardinal ? Non, vainqueur pour son Dieu auquel il s’adresse publiquement à haute voix : « Dieu, donnez la paix. Je demande cette paix pour mon Église et j’apporte ici mon amour pour elle ». Trois mots, son authentique signature : « L’Église mon amour ! »
L’Église dont il s’agit dans les trois lectures.
La première lecture évoque au tournant des 8e et 7e siècles avant Jésus-Christ, le remplacement de Shebna, l’indigne premier ministre du roi Ézékias, par un nouveau qui sera digne : Éliakim. Celui-ci reçoit les insignes de sa charge, dont les clés qui sont les attributs de son pouvoir, les clés qui ouvrent ou qui ferment les trésors, qui laissent entrer ou ferment la porte. Ce sont ces clés symboliques que l’on retrouvera confiées par Jésus à Simon Pierre lorsqu’il en fait son chargé de pouvoir, chargé de vérifier et de déclarer ce qui est conforme ou non à l’enseignement reçu de lui, ce qui ouvre ou ferme les portes du Royaume des cieux.
Ce Pierre, Jésus le met en charge en présence des autres disciples. « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église », ma sainte Église, qui rassemblera un peuple de pécheurs, comme toi Pierre, dont je sais que tu me trahiras, mais dont j’entends déjà comme au bord du lac ta confession : « Jésus, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime ! » Ce sont là les mots qui repris par chacun et chacune ici font de nous tous des fils et des filles de l’Église de Jésus Christ fécondée par l’amour.
Cela, une théologienne de vingt quatre ans l’a formulé en des mots envoûtants : « Dans le cœur de l’Église ma mère je serai l’amour. » Thérèse la carmélite s’installant au cœur amoureux de l’Église confiée à Pierre et à ses successeurs.
À une paroissienne fervente qui s’inquiétait : « Mon père, je ne sais même pas si j’aime Jésus », son curé, qui savait qu’elle pouvait entendre, lui répondit : «...plutôt : “ Est-ce que j’aime concrètement l’Église concrète, en pensée, en parole, par action, sans trop d’omissions”, et vous aurez la réponse. » Un silence suivit qui disait tout bas : « Oh, comme je le voudrais ! »
À son insu sans doute, ce curé théologien faisait écho à une théologienne de 19 ans, harcelée comme le cardinal Mindzenti, non plus par un tribunal communiste, mais par le tribunal ecclésiastique qui allait la condamner à être brûlée vive en place du Marché comme « hérétique », elle qui un jour avait affirmé devant eux : « M’est avis que du Christ et de l‘Église, c’est tout un. On n’en doit point faire différence. » Signé Jeanne d’Arc, avant de monter en fumée sous leurs yeux peu fiers.
Mais où la voit-on cette identification, cette Église-Jésus-Christ ? Où ? Mais déjà dans chacune de nos assemblées de chrétiens en communion avec les évêques unis avec le successeur de Pierre : grandes assemblées comme celle des J.M.J, ou petites comme la nôtre en ce moment, toutes porteuses du même mystère fascinant qui nous relie à notre Père du ciel, Père de Jésus son Fils, père de l’Église sa fille.
« Ô abîme de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Impénétrables sont tes voies !» C’est ce que nous soufflait saint Paul dans la deuxième lecture.
Dans chacune de nos eucharisties nous écoutons et faisons nôtre le dialogue fondateur qui nous situe au cœur de l’histoire sainte, au cœur du mystère, au cœur de notre Dieu. Avec Pierre nous proclamons : « Jésus, tu es le Christ, le fils du Dieu vivant ». Avec Pierre nous écoutons Jésus nous tourner vers le Père qui nous murmure à l’oreille : « Ce n’est pas la chair et le sang, ce n’est pas ce qui en vous n’est qu’humain, qui vous révèle cela, mais mon Père qui est dans les cieux.» Ô, Abîme d’émerveillement et de surprise joyeuse !
Il nous reste à lever les yeux au ciel, vers ce Père, notre Père, qui en ce moment enveloppe de son bon regard, son Église, la Bien-aimée de son Fils, notre Mère. (2011)
Année A - 16° Dimanche du Temps Ordinaire
Sg 12 13 16-19; Rom 8 26-27; Mt 13 44-52
Homélie du F.Sébastien
Frères et sœurs,
moi qui n’ai jamais de distractions dans la liturgie,
je dois avouer que j’en ai eu en vous voyant assis, comme ces deux derniers dimanches,
encore assis.... au bord du lac de Tibériade, venus écouter Jésus, Jésus qui nous raconte aujourd’hui les trois dernières de ses sept fameuses paraboles du Royaume des Cieux.
Survolons-les dans l’ordre.
Vous vous en souvenez, Jésus a commencé par se faire semeur, pure image du royaume des Cieux.
Mais en s’asseyant dans une barque, sur le lac, pour parler à la foule assise sur le rivage, il se métamorphose en pêcheur. Et nous le voyons d’un geste ample, lancer à la volée, sans compter, ses paroles. Telles des graines, elles s’enfoncent dans l’eau du lac, nouveau terrain, et y deviennent des appâts, des appâts pour les poissons qui, ainsi attirés, seront pêchés dans la septième parabole, la dernière des trois qui viennent de nous être lues. Alors, danger ! Danger si l’on mord à l’hameçon ! Danger d’aller se jeter dans le lac, plouf ! pour y dévorer les paroles qui donnent faim.
Mais où est l’hameçon ? Évidemment, dans ce que Jésus annonce ! Ce qu’il y a de plus mystérieux et de plus merveilleux au monde : le Royaume des cieux, le Royaume de Dieu, de notre Père, la vie avec lui, lui dont nous sommes sur terre les enfants très aimés, son espérance et sa joie, ses ayant droit, droit à tout. Nous allons le voir.
Je ne sais si vous avez remarqué ceci. Dans les quatre premières paraboles, – que vous n’avez évidemment pas manqué de méditer – Jésus évoque uniquement des réalités vivantes, qui se développent, qui prennent leur temps, le temps du Royaume en devenir, le temps de l’espérance.
Oui. La semence de blé germe, pousse au long des mois, avant de donner son fruit. L’ivraie pareillement. La minuscule graine de moutarde connaît une croissance exponentielle, mais dans la durée. De même pour le levain qui travaille ses quelque cinquante litres de farine jusqu’à ce que tout ait levé!
Autre remarque : de parabole en parabole, la croissance va de plus en plus vite : une saison pour le blé, pour l’ivraie, pour la moutarde ; une seule journée pour le levain ! Notre Père est un grand impatient, mais il entre dans le temps de ses enfants!
Et nous ? Le temps, le mettons-nous de notre côté comme la patience tranquille du Royaume ? ou bien est-il notre ennemi?
Nous arrivons maintenant aux trois dernières paraboles, celles entendues tout à l’heure.
Avec elles le Royaume de Dieu n’est plus dans le devenir du vivant en constante évolution, mais dans le cadeau du tout fait, du déjà parfait, achevé.
Le Royaume de Dieu est alors semblable à un trésor qu’un homme trouve par hasard dans un champ. Le trésor n’a pas besoin du temps, il est déjà parfait : l’or, les pierres précieuses, les diamants sont achevés ; tels ils sont, tels ils traverseront les éternités d’éternités, comme Dieu lui-même Fabuleux !
Quand le marchand qui cherchait de belles perles en trouve une, le texte le souligne, une, de grand prix, elle est aussi achevée que l’or ou les diamants, parfaite, définitive, mais avec un plus. Tandis que le trésor évoquait une multiplicité d’objets, la perle, elle, est unique, pur reflet de l’unicité même de Dieu dont elle reflète aussi la beauté, cette beauté qui est aussi le propre de Dieu.
Cette perle, dit Jésus, il n’y a qu’à l’acheter après avoir vendu tout ce qu’on a ! C’est de la folie ! Certes ! mais c’est la folie de l’amour. Comprenne qui veut.
Les poissons enfin. Quand le filet les ramène, ils sont trouvés à point, prêts à passer à la casserole et à être mis sur la table, à côté du pain gonflé par le levain évangélique. Poissons et pain, c’est la table du Royaume, du Royaume qui est déjà là, à portée de main, dans notre eucharistie. La table du Père pour ses enfants.
Frères et sœurs, laissons-nous prendre à notre tour au petit jeu de miroir des « semblables au Royaume des Cieux »
et concluons avec saint Paul dans la deuxième lecture.
Quand des hommes, à l’image du roi Salomon, se tournent vers Dieu pour lui demander leur trésor,
quand des hommes et des femmes aiment Dieu,
Dieu leur manifeste son amour : il les destine à être à l’image de son Fils, à sa ressemblance, images du Royaume des Cieux.
Alors, aimons ! Ouvrons tout grand nos bras de semeurs et jetons-nous à l’eau !
Psaume 118-119, 162 : « Tel celui qui trouve un grand butin,
je me réjouis de tes promesses. » Le trésor était promis !
Année A - 10° Dimanche du Temps Ordinaire
Os 6 3-6; Rm 4 18-25; Mt 9 9-13
Homélie du F.Ghislain
La deuxième lecture est un texte admirable sur la Rédemption, œuvre d'amour du Père, qui nous réconcilie par la mort de son Fils, ce qui, comme le dit le verset précédant cette lecture que nous avons lu dimanche dernier, nous donne accès à l'Esprit-Saint. Dans sa première lettre, saint Jean dit la même chose: "Ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, c'est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime d'expiation pour nos péchés" (1,Jn 4.10).
Ce texte si beau soulève cependant deux questions : sommes-nous donc tellement pécheurs qu'il faille la mort du Fils de Dieu pour nous justifier et nous réconcilier ? Et d'autre part, n'y avait-il pas un moyen moins sanglant pour opérer cette réconciliation ? Comme on l'entend assez souvent dire aujourd'hui : qui est ce Dieu qui exige le sang de son Fils pour accorder le pardon aux hommes ?
Pour comprendre ces choses, il faut peut-être revenir à notre expérience humaine. Il nous est sans doute arrivé à tous d'offenser, le voulant ou parce que cela nous a échappé, une personne que d'ailleurs nous aimions beaucoup. Une parole destructrice, un geste mauvais, peut-être même une action qui a fait un tort réel à la personne en question. S'il nous est ensuite arrivé de nous rendre compte de ce que nous avions dit ou fait, alors nous en avons été profondément désolés: comment ai-je pu me conduire ainsi ? Nous voudrions de toutes nos forces que le mal n'ait pas été fait. Nous présentons nos excuses, mais nous cherchons aussi le moyen de réparer, afin que l'acte déplorable soit comme annulé et que tout redevienne comme avant. Et, dans le meilleur des cas, tout ne redevient pas comme avant, c'est impossible, mais sur la base du pardon demandé et reçu, la relation, disons l'amour sont supérieurs à ce qu'ils étaient.
Mais il y a bien des obstacles au processus de réconciliation. La personne offensée peut être trop blessée pour accueillir la demande de pardon. Elle ne peut pas, du moins pour l'instant, rencontrer l'offenseur. Il se peut aussi que certains dommages soient irréparables. J'ai connu, dans ma jeunesse, un homme un peu plus âgé que moi, qui avait la passion du jeu. Et peu à peu, tout le patrimoine familial est passé à payer les dettes de jeu. Le pardon qu'il aurait demandé, si tant est qu'il ait pu finalement se libérer de cette passion du jeu, une fois la famille mise sur la paille, n'aurait pas redonné à celle-ci les moyens qu'elle avait autrefois, et les enfants en ont souffert de manière irréparable.
On pourrait multiplier les exemples. Appliquons-les au Mystère de la Rédemption. Le péché, c'est l'offense faite à Dieu, et voilà pourquoi il est insupportable au chrétien un peu conscient. Comment supporter d'avoir offensé celui qui nous a donné la vie, l'être et l'amour ? On l'offense en enfreignant les deux commandements de l'amour, dont il n'y a pas besoin d'être chrétien pour ressentir l'universalité. L'homme orgueilleux et égoïste est toujours déjà objet de réprobation, l'homme donné aux autres, éventuellement jusqu'au sacrifice de sa vie, est loué de tous. Le seul péché, c'est de ne pas aimer en esprit et en vérité. Il blesse l'autre et les autres et il entraîne des dégâts dont certains sont irréparables.
Lorsque nous regardons notre monde actuel, qui est d'ailleurs le monde de toujours, nous ne pouvons pas ne pas voir son caractère abîmé. C'est un monde délabré, en proie à la haine et à la violence et où les déprédations qui s'ensuivent ne cessent de croître. Il suffit de suivre un peu l'actualité pour être tenté de désespoir, au niveau international, certes, mais aussi peut-être dans les communautés à taille humaine que nous fréquentons et où l'amour semble parfois régner si peu. Si ce monde a été créé par Dieu, comme nous le croyons, s'il est, comme disait Teilhard de Chardin, "le milieu divin", ce milieu est quasi totalement dilapidé et la cause ultime est notre mauvaise volonté humaine, chacun de nous ajoutant quelque chose à la déprédation, matérielle, culturelle, spirituelle.
Le message de l'évangile est que, devant cette ruine cette déception constante et renouvelée de l'espérance qu'il avait en créant et en faisant alliance, Dieu est toujours en état de pardon. Et, pour que le pardon puisse enfin se manifester, il nous envoie son Fils, qui est l'un de nous. Ce Fils, l'un des nôtres, a comme on dit un "parcours sans reproche". Affronté comme nous aux difficultés et aux contrariétés de l'existence, il a constamment eu le réflexe juste, l'attitude vraie, animé qu'il était d'annoncer et d'établir le Royaume de Dieu, à cause de son Père, qu'il aimait de tout son cœur, de toute son âme, et de toute sa force, ainsi que de nous qu'il aimait comme soi-même. Et comme la marque de l'amour est de donner sa vie, ainsi a-t-il fait quand il n'a pas pu résister autrement à la violence des hommes. Il y a donc eu dans l'histoire humaine quelqu'un qui a aimé parfaitement, à tel point que son amour, comme le dit saint Pierre dans un autre contexte, couvre la multitude des péchés.
Mais ce n'est pas tout. Ce Fils, éprouvé autant et plus que chacun de nous, mort et ressuscité, nous envoie l'Esprit de Dieu, d'une manière sans doute plus visible dans l'Eglise, mais plus largement en tout homme de bonne volonté, afin que nous puissions à notre tour aimer comme il a aimé, Lui. Et ici, il faut faire attention au fait que, lorsque Jésus vivait et mourait, personne dans le monde romain ne le connaissait. On connaissait de nom César, Auguste, Tibère et sans doute d'autres dont le nom est maintenant oublié. On savait les guerres qui se déroulaient et les massacres qui se perpétraient dans l'Empire romain et au delà. De même aujourd'hui, nous savons quels sont les personnages importants de l'époque, les guerres et les massacres qui ont lieu un peu partout. Mais l'œuvre de Rédemption accomplie par ceux que l'Esprit de Jésus unit au Christ et conduit à poser de vrais actes d'amour, nous est cachée à 90%. Nous ne saurons qu'au Dernier Jour comment le monde a été sauvé par ceux, qui, ,à la suite du Christ, ont donné leur vie pour leurs frères. Et nous pouvons désirer être l'un de ceux-ci.
J'aimerais pour conclure, relire une phrase de la première lecture : "Je vous ai portés sur les ailes d'un aigle pour vous amener jusqu'à moi". L'aigle qui nous porte vers Dieu, c'est le Christ, et nous pouvons, en Lui, être des aigles les uns pour les autres.
Année A - Corps et Sang du Christ - 25 mai 2008
Dt 8 2-3; 1 Co 10 16-17; Jn 6 51-58
Homélie du F.Guillaume
Frères et sœurs,
Il faut bien le reconnaître : les paroles de Jésus dans l’évangile selon St Jean que nous venons d’entendre sont rudes et elles ont de quoi nous choquer, comme elles avaient choqués les auditeurs de Jésus en son temps. L’idée que le Christ nous donne sa chair (ou son corps) à manger comme nourriture, et son sang à boire comme boisson ne peut que nous gêner, voire nous scandaliser. Qu’est-ce que cela peut bien signifier ? L’eucharistie serait-elle un rite religieux tellement bizarre, « la chose la plus étrange », comme le titrait il n’y a pas si longtemps un livre du Père Maurice Bellet ?
J’aimerais vous raconter une histoire rapportée par une dame catéchiste préparant des enfants à leur première communion. Elle se heurte bien sûr à la difficulté de leur faire comprendre comment le simple pain déposé sur l’autel peut devenir le Corps du Christ. A bout d’arguments elle interroge les enfants : « que dit le prêtre à la messe ? ». Un enfant alors répond en se trompant : au lieu de dire : Jésus a pris du pain et l’a donné à ses disciples en disant : prenez et mangez, ceci est mon corps livré pour vous, il dit « Jésus a pris son corps et a dit à ses amis : prenez et mangez, ceci est mon pain donné pour vous ».
En inversant les mots du récit de l’Institution, cet enfant, sans le savoir, leur donnait un sens profond. Et il avait raison. Le soir du Jeudi Saint, Jésus prend dans ses mains toute sa vie, sa vie de chair et de sang, toute sa personne, toutes ses énergies de relation et de communion et en disant : ceci est mon corps, c’est tout cela qu’il met sur la table. Et il le donne à ses disciples. Et il nous le donne à chaque eucharistie. Le pain qu’il donne, qu’il partage pour que nous puissions nous en nourrir et être en communion avec lui, c’est bien toute sa vie.
Dans un passage voisin du même évangile, Jésus dit encore : « ma vie, nul ne peut me la prendre, mais c’est moi qui la donne », et à Pilate, trop sûr de son pouvoir de vie et de mort sur les condamnés, Jésus dira au cours de son procès : « tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, s’il ne t’avait été donné d’en-haut ».
La chair que Jésus donne à manger, et le sang qu’il verse comme une boisson sont alors à comprendre dans un tout autre sens que ceux d’une viande de boucherie ou d’un sang cruellement répandu. Ce sont la chair et le sang au sens de l’anthropologie biblique, c’est-à-dire de la réalité humaine dans sa fragilité, sa vulnérabilité et même sa pauvreté, jusque dans la mort.
L’eucharistie, et la fête que nous célébrons aujourd’hui, rejoint ainsi le mystère de l’Incarnation et de la Croix dans leur extrême abaissement. Le mystère de la Sainte Trinité aussi que nous fêtions dimanche dernier. Le Verbe de Dieu vient partager notre humanité, il se fait chair. De riche qu’il était auprès de son Père, il vient se faire pauvre, pour nous enrichir de sa pauvreté. Et cette pauvreté offerte se donne à lire dans les humbles signes du pain et du vin apportés et partagés dans un repas de communion : le repas du Seigneur qui fait l’unité de ceux qui le partagent. Comme nous le rappelle la seconde lecture, par la bouche de Saint Paul : «la coupe d’action de grâce que nous bénissons n’est-elle pas communion au sang du Christ, le pain que nous rompons n’est-il pas communion au Corps du Christ ? Puisqu’il n’y a qu’un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul Corps, car nous avons tous part à un seul pain. »
Ainsi, frères et sœurs, cette fête du Corps et du Sang du Christ, la fête du Saint Sacrement, doit nous faire entrer plus profondément dans le mystère de la vie et de la mort de Jésus, et de sa Résurrection aussi, bien sûr. Cette fête est une invitation à entrer dans la Vie éternelle de Dieu, car tout se tient dans la théologie chrétienne.
A notre tour, et à la suite de Jésus, notre Maître, nous avons, comme le disait si bien l’enfant du catéchisme, à prendre notre vie à bras le corps et à en faire du bon pain afin de l’offrir par amour, à Dieu Notre Père et à la donner à nos frères, nous aussi comme le Christ. (2008-05-25)
Année A - 3° Dimanche de Pâques - 6 Avril 2008
Ac 2 14, 22-28; 1 Pet 1 17-21; Lc 24 13-25
Homélie du F.Servan
" ... et Il marchait avec eux "
D'emblée, dans ce récit vivant, nous pouvons relever l'importance de la ROUTE (Jérusalem-Emmaüs, aller-retour) et de la marche, lente ou rapide, morose ou avec le cœur ardent.
C'est nous rappeler, s'il en était besoin, que notre foi (et sans doute aussi la non-foi), ce n'est pas une affaire réglée une fois pour toutes, mais un chemin, avec des hauts et des bas, des rencontres (en duo, en trio, en communauté). Voici donc, une page d'évangile pleine de mouvement, de fraîcheur, de finesse psychologique, bien dans la manière de Luc, réputé bon conteur.
Un récit familier aux croyants de tous les temps qui y reconnaissent les deux Tables, où dimanche après dimanche, ils viennent offrir, nourrir et renouveler leurs vies, rencontrer le Seigneur.
- table de la Parole où le Christ lui-même nous partage les Ecritures : « Gloire à Toi, Seigneur! »
- table de la bénédiction sur le Pain, puis de sa fraction, pour être partagé.
Sans oublier le sacrement de la communauté : l’assemblée des frères et sœurs avec leurs expériences de vie et de foi.
De Rembrandt à Arcabas, les peintres ont aimé représenter la scène de la reconnaissance, si furtive, le soir, autour de la table (pour le partage de l'Ecriture. Je m’excuse de vanter mon clocher, mais nous connaissons au monastère une image de F.Yves choisie par le Père Abbé Luc pour sa bénédiction abbatiale). N'oublions pas les poètes, par exemple Didier Rimaud que nous aimons chanter dans nos communautés :"
« Regarde où nous risquons d'aller tournant le dos à la cité de ta souffrance ! Explique-nous le Livre ouvert à coup de lance » ou encore : « Jésus, qui m'a brûlé le cœur au carrefour des Ecritures ».
Donc, aux dernières heures du jour si long de la Résurrection, voici deux disciples qui s'en retournent tout tristes (l'encéphalogramme de leur espérance est complètement plat) - (permettez-moi d'imaginer que ces deux-là pouvaient faire partie des soixante-douze que (dans ce même évangile de Luc) Jésus avait envoyé deux par deux sur les routes pour un exercice de mission. Alors, ils étaient revenus tout feu tout flamme. « Seigneur, c'est formidable, même les démons nous sont soumis en ton nom ». Mais maintenant d’un seul coup, ils ont vieilli de cinquante ans ; et les voici qui se traînent sur la route, évoquant ce qui s'est passé (et mal passé), ils l'ont crucifié!
L'un de ces deux-là s'appelait Cléophas, l'autre n'a pas de nom, pour permettre à chacun de nous de se mettre à sa place ; et bien sûr en ce jour, nous laissons cette place au F.Orsise notre bon compagnon de route depuis cinquante ans et plus.
Ces deux-là, c’est à dire nous tous à certains jours, Jésus les rejoint, pour les sortir de leur désespérance, mais à sa façon bien à lui, marquée par la discrétion envers l'homme libre et par l'intelligence du cœur. Déjà, au cours de sa vie publique, avant d'enseigner ou de dire telle parole d'autorité, il aimait questionner.
Ici aussi il questionne : « De quoi causiez-vous donc ? » puis il écoute un peu longuement les deux redire leur découragement, mais aussi leur foi trop naïve, leur espérance trop seulement humaine : « Et nous qui espérions! » ; (dans notre récit, cette écoute prend un bon tiers du texte).
Il écoute -' un peu comme font ou devraient faire de mieux en mieux ceux et celles qui par fonction sont amenés, à encourager et aider les autres sur le chemin de la vie : le frère infirmier, le médecin, le père ou la mère spirituelle, ceux ou celles qui accueillent les hôtes venant au monastère.
Ensuite, 'Jésus intervient et sur le chemin, leur explique les Ecritures et alors ils n'ont pas vu le temps passer, si bien que le soir tombe, à l'entrée du village. Le Ressuscité allume peu à peu leur foi en soufflant sur les braises des Ecritures, avec en son centre la figure du Serviteur souffrant; donnant sa vie « pour » (antithèse du libérateur triomphant à la manière trop humaine). « Il fallait » c'est dire le dessein de Dieu: ouvrir aux hommes, à la suite de ce Serviteur, le chemin de la Gloire et du vrai bonheur, à travers le quotidien de leur vie.
Captivés, les deux en ont oublié de prendre des notes sur cette lectio unique! Sans doute est-ce encore une marque de discrétion, pour permettre aux chrétiens, prédicateurs et exégètes, d'exercer leurs modestes talents depuis bientôt deux mille ans ?
Jésus « fait ensuite semblant d'aller plus loin » pour nous laisser l'initiative de cette belle parole. « Reste avec nous ! ». Peut-être que lorsque nous entrons à l'église pour un temps de rencontre personnelle. Comme le dit Saint Benoît : « Qu’il entre simplement et qu’il prie ». Après avoir plus ou moins longtemps, soupiré sur notre fardeau, lui redisons-nous ce « reste avec nous »? - « Si quelqu'un m'ouvre la porte, j'entrerai chez lui pour souper ».
Enfin, à peine reconnu au geste familier de la fraction du pain, il disparaît, les
laissant reprendre la route en sens inverse, en pleine nuit mais le cœur brûlant, vers la communauté des autres disciples.
Retenons : tout comme la puissance créatrice de Dieu, la Seigneurie du ressuscité est
en fait une "DISCRETION", une présence voilée par une absence qui accompagne parfois,
réchauffe le cœur, mais ne contraint pas, ne s'impose pas, et ne fait pas les choses à notre place. « SEIGNEUR RESTE AVEC NOUS - MARCHE AVEC NOUS » ! (2008-04-06)
Année A - Carême 4° dimanche - 2/03/2008
1Sam 16, 1-13a ; Ephésiens 5,8-14 ; Jean 9, 1-41
Homélie du F.Guillaume
Frères et sœurs,
Avec l’évangile de la Samaritaine que nous avons entendu dimanche dernier et celui de la résurrection de Lazare que nous aurons dimanche prochain, celui de l’aveugle-né, lu aujourd’hui, marque une étape importante dans le cheminement des catéchumènes vers le baptême qu’ils recevront à Pâques.
A bien écouter ce texte, nous découvrons une progression en 3 temps dans la confession de foi de ce pauvre mendiant aveugle.
D’abord, après avoir eu accès à la vue, il reconnaît Jésus comme un prophète, ensuite dans son dialogue avec les pharisiens il dit que jamais en Israël un homme n’a pu faire un tel miracle : il est donc plus qu’un prophète. Enfin, dans sa rencontre finale avec Jésus, il atteste que ce dernier est bien le Fils de l’homme, Celui que Dieu avait annoncé dans les Ecritures pour le salut d’Israël. La samaritaine, elle, avait reconnu Jésus comme le Messie de Dieu, Celui qu’on appelle Christ, et Marthe, la sœur de Lazare, l’amie de Béthanie, reconnaitra aussi Jésus comme Messie, le Fils de Dieu, Celui qui vient dans le monde.
Le catéchumène, mais aussi tout baptisé qui chemine avec lui, est donc appelé à s’identifier au cours du Carême, à ces différents personnages de l’évangile de Jean et parvenir aux mêmes confessions de foi.
Revenons, si vous le voulez bien, sur quelques traits de ce bel évangile riche à bien des points de vue.
Ma première remarque concerne la guérison de l’aveugle, qui à vrai dire n’est pas une, car cet homme n’est pas malade. C’est un infirme, un handicapé de naissance. On ne peut pas dire qu’il ait « perdu » la vue et qu’il la recouvre : il ne l’a jamais eue. Jésus, par ses gestes et ses paroles le fait accéder à la lumière et à la vue pour la 1ère fois. C’est donc pour lui une nouvelle naissance, mieux une re-création. Car Jésus refait, avec de la salive et de la boue, les gestes mêmes du Créateur qui avait modelé Adam, à partir de la glaise du sol. De plus le nouveau-né à la lumière est envoyé par Jésus à la piscine de Siloé, dans un acte baptismal. Saint Augustin commente admirablement : « L’aveugle lava ses yeux dans la piscine, et il fut baptisé dans le Christ ».
Notons que tout cela a lieu un jour de Sabbat. Jésus, en rupture avec la tradition juive, montre qu’il travaille comme le Père, au jour de la création de l’homme, avant même l’institution du jour du Sabbat. Avec ce geste, il s’agit bien de l’achèvement de la 1ère création par le Christ, aux 2 premiers chapitres de la Genèse.
En seconde remarque, je note dans cet évangile la forte opposition entre le voir et le savoir. L’aveugle est présenté comme un mendiant, un pauvre, un bon à rien, mais aussi comme un ignorant, qui ne sait rien. Ce n’est pas un exclu, à proprement parler, comme l’étaient les lépreux ou les païens ou les schismatiques (les samaritains entre autres), mais il vit à la marge de la communauté, et les pharisiens chercheront à l’expulser, à le jeter dehors. Ces pharisiens qui eux, sont assurés de leur savoir, en tant qu’interprètes authentiques de la Loi de Moïse.
Le récit vient apporter une subversion dans cette assurance du savoir. L’aveugle qui voit désormais n’est pas démuni de bon sens, ni même d’humour. C’est un réaliste et non un intellectuel. Il sait à partir de ce qu’il constate, de ce qu’il expérimente en lui-même. Il renvoie alors les sages à leurs contradictions, à leurs fausses certitudes. « Si cet homme ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. Or il m’a ouvert les yeux. Qu’en dites-vous ? Comment expliquez-vous la chose ? Voulez-vous devenir ses disciples ? » A entendre ce dialogue surprenant entre un mendiant et ces pharisiens, sans oublier les échanges avec les voisins et les parents, j’ai pensé à ce qu’avait pu vivre Sainte Bernadette, en 1858, à Lourdes, avec les apparitions de la Vierge Marie à la grotte. Elle, qui était ignorante et pauvre a du faire face à l’incrédulité de ses proches et des autorités ecclésiales de l’époque. Mais elle a tenu bon et su faire preuve d’une totale assurance. On pourrait citer bien d’autres exemples de saints. Tous confirmeraient ce que dit Saint Paul dans sa 1ère lettre aux Corinthiens : « Ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion ce qui est fort. Ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n’est rien, voilà ce que Dieu a choisi pour détruire ce qui est quelque chose, afin que personne ne puisse s’enorgueillir devant Dieu. »
Enfin ma 3ème et dernière remarque soulignera, qu’au-delà de l’opposition entre le voir et le savoir, ce texte veut marquer une opposition encore plus profonde : celle entre le voir et le croire. Cette opposition traverse tout l’évangile de Jean. Jésus est venu dans le monde pour une remise en question, un renversement des situations, des manières de voir et de croire. Si bien que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient (ou plutôt prétendent voir) deviennent aveugles. Et tandis que la cécité de naissance du mendiant n’était pas due à son péché ni à celui de ses parents, l’aveuglement de celui qui refuse de croire, lui, plonge dans le péché et y fait demeurer.
La conclusion de l’épisode est donc assez terrible, pour ne pas dire terrifiante. Jésus condamne-t-il sans appel ses adversaires, et en tout premier lieu, les pharisiens ? Une lueur d’espérance existe pourtant dans le récit. Il nous est dit que tous ne pensaient pas de la même manière. Ils étaient divisés sur le sens à donner à l’évènement. Jean ne place donc pas tous les pharisiens dans une même condamnation : on sait qu’il mentionne très positivement l’un d’entre eux, Nicodème, au début et à la fin de son évangile.
Que retenir alors frères et sœurs de cet évangile de l’aveugle-né pour notre chemin de Carême ? Nous sommes tous à la fois ce mendiant, un voisin, un parent, un pharisien et nous n’avons pas à avoir peur de nous identifier à l’un ou à l’autre. La pédagogie évangélique de ce temps liturgique est là pour nous aider à nous convertir et à accueillir Jésus qui vient à notre rencontre pour nous guérir et nous apporter le salut.
Aujourd’hui, avec sa grâce et comme « l’aveugle re-né », confessons-le comme la lumière de notre vie, la lumière du monde !
(2008-03-02)