Homélies
Liste des Homélies
SACRE CŒUR - 07 juin 2024
Os 11, 1, 3-4, 8c-9 ; Ep 3, 8-12, 14-19 ; Jn 19, 31-37
Homélie du Père Abbé Luc
Frères et Sœurs,
Avec les lectures entendues, nous avons comme trois approches du mystère de l’Amour de notre Dieu pour nous, à travers les images d’un cœur retourné, d’un cœur transpercé, d’un amour aux dimensions cosmiques.
Dans la première lecture tirée du prophète Osée, nous avons entendu une expression unique en son genre qui est forte et qui est mise dans la bouche de Dieu : « mon cœur se retourne contre moi ». Tout d’abord on peut s’étonner de l’audace du prophète pour décrire ainsi les sentiments de Dieu en un langage si humain. Il ne fait cependant que s’inscrire dans toute la tradition biblique qui n’hésite pas à prêter à Dieu une bouche, des mains, des oreilles, et ici un cœur. Le Dieu auquel croit Israël est à la fois ce Dieu dont on ne peut faire aucune image, et à la fois ce Dieu si proche, que pour décrire l’alliance qui se noue avec lui, on n’hésite pas à lui prêter des sens et des membres humains, comme pour mieux manifester combien la relation s’établit très concrètement entre Dieu et l’homme. Ainsi dans le texte entendu du prophète Osée, le cœur de Dieu se retourne contre lui pour ne pas laisser libre court à sa colère contre Israël qui se montre si distant et récalcitrant à toutes les marques d’amour et de tendresse que le Seigneur lui a prodiguées. Une note de la Bible de Jérusalem relève que le verbe utilisé pour « se retourner » est très fort et qu’il est le même utilisé à propos du châtiment infligé à Sodome et Gomorrhe en Genèse, où l’on nous dit que Dieu « renversa les villes et la végétation du sol » (Gn 19, 25). Et le commentateur d’ajouter : « Osée laisse entendre que le châtiment envisagé est comme vécu d’avance dans le cœur de Dieu ». Plutôt que de faire porter à Israël les conséquences de son péché, Dieu les prend en son cœur.
L’évangile nous place devant Jésus mort. Il vient d’expirer. Alors que s’achèvent les préparatifs du Sabbat, il est déjà entré dans le grand repos de la mort. Les soldats font les basses besognes de sorte que tous puissent célébrer le Sabbat et la Pâque sans avoir sous les yeux ces cadavres qui troublent la bienséance. Devant Jésus mort, un bref coup de lance suffira. L’Ecriture s’accomplit, et un signe s’offre alors : « Et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau ». La tradition johannique relira plus tard ce signe comme le témoignage ultime de ce qu’a été toute la Vie de Jésus : un don total pour que le monde ait la vie. Ce don jusqu’au bout du sang versé et de l’eau répandue préfigure le don de l’Esprit et le don des sacrements. A travers ces derniers, l’Eglise célèbrera et recueillera jusqu’à la fin des temps, le don de l’Amour sans mesure du Christ Epoux pour son Epouse. Devant le cœur transpercé de Jésus, nous contemplons ainsi l’instant unique où est scellé l’amour du Christ pour nous et cet instant unique où s’enracine le déploiement de son amour diffusé à travers les sacrements.
St Paul dans la seconde lecture, en utilisant le langage de la philosophie stoïcienne, entrevoit les dimensions cosmiques de l’amour du Christ, ressuscité, un amour qui dans sa largeur, sa longueur, sa hauteur et sa profondeur surpasse toute connaissance… Un amour immense qui s’étend aux dimensions du monde et cependant un amour habite nos cœurs par notre foi. Un amour expérimenté par chacun, un amour qui s’enracine en nous pour faire entrer dans toute la plénitude de Dieu… N’est-ce pas une expérience semblable que Ste Marguerite Marie a faite à travers les apparitions dont elle a été gratifiées, à Paray… Elle a pris alors la mesure de l’Amour sans mesure du Christ Ressuscité dont le cœur « passionné d’amour pour les hommes » ne pouvait plus « contenir les flammes de son ardente charité ». Elle fait l’expérience de l’Amour du Christ qui désire vivre une intimité d’amour avec chacun, pour mieux faire connaitre et répandre sur tous ses « trésors d’amour, de miséricorde, de grâce… »
Frères et sœurs, les textes de cette fête nous plongent dans ce grand mystère de l’Amour du Christ Ressuscité pour nous. Avec Ste Marguerite Marie, nous pouvons entendre qu’Il nous aime tellement qu’il désire nous voir prendre au sérieux cette relation avec lui pour notre plus grand bonheur. En célébrant cette eucharistie, laissons le mystère de sa mort et de sa résurrection dont nous faisons mémoire nous faire entrer plus avant dans sa Vie. Accueillons l’amour que le Christ vivant nous offre. Faisons lui l’honneur de nous laisser aimer par lui, pour mieux l’aimer à notre tour.
année B - Homélie de la fête du Corps et du Sang du Christ (2/06/2024) -
(Ex. 24,3-8 ; Héb. 9,11-15 ; Mc 14,12…26)
Homélie du frère Guillaume
Frères et sœurs,
Les 3 lectures choisies pour la liturgie de cette fête du Saint Sacrement, de l’Eucharistie mentionnent et la réalité du sang. Sang du sacrifice animal (des taureaux) que Moïse verse pour une moitié dans des coupes, sur l’autel, et dont il asperge le peuple, pour l’autre moitié. C’est le Sang de l’Alliance conclue avec le Seigneur pour un sacrifice de paix, inséparable de l’écoute de Sa Parole. Dans l’épitre aux Hébreux, il n’est plus question de sacrifices de boucs ou de jeunes taureaux, mais du sacrifice du Christ en personne qui a répandu son propre sang, dans une Alliance nouvelle et éternelle. Enfin l’Evangile de Marc nous rapporte le récit du dernier repas de Jésus avec ses disciples avant sa Passion. Avec du pain et une coupe de vin, il offre son corps et son sang, versé pour la multitude.
L’idée que le Christ nous donne sa chair (ou son corps) à manger comme nourriture, et son sang à boire comme boisson ne peut que nous gêner, voire nous scandaliser, si nous le prenons à la lettre. Qu’est-ce que cela peut bien signifier ? L’eucharistie serait-elle un rite religieux tellement bizarre, « la chose la plus étrange », comme le titrait il n’y a quelques années, un livre du Père Maurice Bellet ?
J’aimerais vous raconter une histoire rapportée par une dame catéchiste préparant des enfants à leur première communion. Elle se heurte bien sûr à la difficulté de leur faire comprendre comment le simple pain déposé sur l’autel peut devenir le Corps du Christ. A bout d’arguments elle interroge les enfants : « que dit le prêtre à la messe ? ». Un enfant alors répond en se trompant : au lieu de dire : Jésus a pris du pain et l’a donné à ses disciples en disant : prenez et mangez, ceci est mon corps livré pour vous, il dit « Jésus a pris son corps et a dit à ses amis : prenez et mangez, ceci est mon pain donné pour vous ».
En inversant les mots du récit de l’Institution, cet enfant, sans le savoir, leur donnait un sens profond. Et il avait raison. Le soir du Jeudi Saint, Jésus prend dans ses mains toute sa vie, sa vie de chair et de sang, toute sa personne, toutes ses énergies de relations et de communion et en disant : ceci est mon corps, c’est tout cela qu’il met sur la table. Et il le donne à ses disciples. Et il nous le donne à chaque eucharistie. Le pain qu’il donne, qu’il partage pour que nous puissions nous en nourrir et être en communion avec lui, c’est bien toute sa vie.
Dans un passage du IV° évangile, Jésus dit : « ma vie, nul ne peut me la prendre, mais c’est moi qui la donne », et à Pilate, trop sûr de son pouvoir de vie et de mort sur les condamnés qu’on lui présente, Jésus dira au cours de son procès : « tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, s’il ne t’avait été donné d’en-haut ».
La chair que Jésus donne à manger, et le sang qu’il verse comme une boisson sont alors à comprendre dans un tout autre sens que ceux d’une viande de boucherie ou d’un sang cruellement répandu. Ce sont la chair et le sang au sens de l’anthropologie biblique, c’est-à-dire de la réalité de la vie humaine dans sa fragilité, sa vulnérabilité et même sa pauvreté, jusque dans la mort.
L’eucharistie, et la fête que nous célébrons aujourd’hui, rejoint ainsi le mystère de l’Incarnation et de la Croix dans leur extrême abaissement. Le mystère de la Sainte Trinité aussi que nous fêtions dimanche dernier. Le Verbe éternel de Dieu vient partager notre humanité temporelle, il se fait chair. De riche qu’il était auprès de son Père, il vient se faire pauvre, pour nous enrichir de sa pauvreté. Et cette pauvreté offerte il la donne à lire dans les humbles signes du pain et du vin apportés et partagés dans un repas de communion : le repas du Seigneur qui fait l’unité de ceux qui le partagent. Comme nous le rappelle Saint Paul dans la 1ère lettre aux Corinthiens : «la coupe d’action de grâce que nous bénissons n’est-elle pas communion au sang du Christ, le pain que nous rompons n’est-il pas communion au Corps du Christ ? Puisqu’il n’y a qu’un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul Corps, car nous avons tous part à un seul pain. »
Ainsi, frères et sœurs, cette fête du Corps et du Sang du Christ, la fête du Saint Sacrement, doit nous faire entrer plus profondément dans le mystère de la vie et de la mort de Jésus, et de sa Résurrection aussi, bien sûr. Cette fête est une invitation à entrer dans la Vie éternelle de Dieu, car tout se tient dans la théologie chrétienne.
A notre tour, et à la suite de Jésus, notre Maître, nous avons, comme le disait si bien l’enfant du catéchisme, à prendre notre vie à bras le corps et à en faire du bon pain afin de l’offrir par amour, à Dieu Notre Père et à le donner à nos frères, nous aussi comme le Christ, selon son commandement : faites le en mémoire de moi.
Année B - Dimanche de la Trinité – 26 mai 2024 –
Dt 4, 32-34.39-40 ; Rm 8, 14-17 ; Mt 28, 16-20
Homélie du Frère Hubert, Prieur
Après le déploiement de l’année liturgique, de Noël à la Pentecôte,
au long de laquelle nous avons contemplé l’attente et la venue du Messie en Jésus de Nazareth,
jusqu’à son Ascension dans la gloire du Père et l’envoi de l’Esprit sur le monde,
nous célébrons aujourd’hui la fête de Dieu, du Dieu tel qu’il nous est révélé par Jésus, le Messie.
Dieu, Père, Fils et St Esprit : c’est vraiment la spécificité de notre foi chrétienne.
Spécificité de la foi en ce Dieu révélé par Jésus de Nazareth, Verbe fait chair,
prenant notre condition humaine,
mort sur la croix et ressuscité dans la puissance de l’Esprit.
Personne, en-dehors des chrétiens, ne professe une telle foi.
Dans le premier testament, la foi du peuple élu était déjà unique :
« C’est le Seigneur qui est Dieu ; il n’y en a pas d’autre. »
Spécificité de la foi d’Israël au milieu des nations avec leur multitude de divinités et d’idoles.
Le Seigneur, c’est celui qui a appelé Abraham,
qui ne cesse de prendre l’initiative de parler à l’homme,
de faire alliance avec lui, de lui ouvrir un chemin, de lui offrir un avenir.
Le Seigneur n’est pas une idole muette, créée par l’homme,
ni même une puissance cosmique naturelle qui le dépasse.
Le Seigneur est celui qui parle, qui écoute, qui appelle,
et qui, mystérieusement, marche avec l’homme.
Celui qui crée et qui aime ;
qui promet « bonheur et longue vie »
celui qui conduit à la Terre de la promesse,
et qui, au-delà de toutes nos vicissitudes, crée des cieux nouveaux et une terre nouvelle.
Son nom est « le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob »,
celui qui est intervenu dans leurs vies.
Déjà, il se révèle comme Père : « Tu es notre Père et nous sommes l’ouvrage de tes mains. »
Cette révélation de Dieu, cette relation entre l’homme et Dieu,
était et demeure unique et extraordinaire.
Un Dieu de bénédiction qui suscite la bénédiction.
Mais qui pouvait imaginer ce que Dieu allait faire ?
En Jésus Christ, l’inouï, l’impensable, s’est manifesté :
Les cieux se sont ouverts, Dieu est descendu.
Dieu s’est fait chair.
La Parole de Dieu s’est faite chair. Dieu s’est fait homme.
Il a établi sa demeure dans notre humanité
pour que l’homme, gratuitement, ait sa demeure en Dieu même.
Dans la nouvelle alliance, la Promesse n’est plus celle d’une terre où coulent le lait et le miel,
mais le monde nouveau vivifié par l’Esprit,
le monde nouveau inauguré par celui qui, passé par les abîmes et la mort,
est sorti victorieux des enfers,
illuminant la création entière de sa gloire.
Au fil des générations, Jésus ne cesse de nous révéler son Père et de nous communiquer son Esprit ;
et l’Esprit fait de nous des fils, en qui nous crions : « Abba ! Père ! »
Dieu, Père, Fils et Esprit.
Jésus, Fils de Dieu, Fils de l’homme.
L’Esprit répandu sur toute chair.
Dieu s’abaissant, se dépouillant de lui-même, pour nous élever jusqu’à lui.
Dieu nous donnant en son Fils et en son Esprit, tout ce qu’il est.
Dieu vivant, Un et Trine :
profession de foi unique, propre aux chrétiens.
Jésus de Nazareth a été le premier homme à être baptisé dans l’Esprit,
béni du Père de façon unique :
« Dès que Jésus fut baptisé, il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui.
Et des cieux, une voix disait : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie. " »
Nous-mêmes, baptisés en sa mort et en sa résurrection,
baptisés « au nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit »,
nous devenons fils et filles de Dieu, cohéritiers avec le Christ.
La promesse de Dieu est la parole la plus sûre, la plus solide, qui ait jamais été proférée,
elle demeure éternellement.
« Rendons grâce à Dieu le Père,
lui qui nous a donné d’avoir part à l’héritage des saints, dans la lumière. »
« Il nous a bénis et comblés des bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ. »
Célébrons notre Dieu, en lui offrant notre action de grâce.
Dans la prière, baptisons toute l’humanité au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.
Année B - PENTECÔTE - 19 MAI 2024
Ac 2, 1-11 ; Ga 5, 16-25 ; Jn 15, 26...16,15
Homélie du Père Abbé Luc
Frères et Sœurs,
Cette fête de Pentecôte nous fait toucher du doigt comment notre Dieu s’y prend pour faire l’unité entre les peuples, l’unité entre les hommes. Là où spontanément nous cherchons une unité qui ressemble beaucoup à l’uniformité, là où nous rêvons d’une unité où tous penseraient et vivraient de la même manière, cette fête de Pentecôte nous déplace. Nous connaissons les risques très sensibles en cette période d’élection, de confondre unité nationale avec rejet de l’autre différent, ou bien de réduire la recherche d’identité avec la recherche du même ou de l’entre soi. Cette fête de Pentecôte nous révèle que pour Dieu, il n’en est pas ainsi.
Chacune des lectures nous apporte un éclairage sur cette unité que Dieu désire pour l’humanité, et pour chacun de nous.
La première lecture nous présente de manière imagée les effets du don de l’Esprit reçu par les apôtres. Ces hommes qui étaient claquemurés dans leur peur quelques instants auparavant sont remplis d’une hardiesse étonnante sous la motion de l’Esprit Saint. Sous la forme de langues de feu, l’Esprit se donne et permet à chacun des apôtres d’entrer en relation avec une multitude de peuples présents à Jérusalem. Dans leur diversité, chacun de ces étrangers se sent rejoint par la parole de feu qui sort de la bouche des apôtres. Un même Esprit, donné à ces hommes de Galilée, ouvre la possibilité d’une étonnante communion entre ces peuples si différents, allant de la Lybie jusqu’à la Turquie et l’Arabie actuelle. L’histoire de l’Eglise sera pleine de ces exemples d’hommes et de femmes animés par l’Esprit qui vont aller à la rencontre des peuples divers, en apprenant leur langue, en mettant tout leur zèle pour leur permettre d’entendre dans leur propre culture et langue, la Bonne Nouvelle de l’évangile. Ils ont tissé des ponts entre les peuples et les cultures. L’unité de l’Eglise résulte alors de cette mystérieuse communion qui est rendue possible, parce que chacun est vraiment reconnu avec ce qu’il est, avec ses particularités.
Ce mystère de communion entre les hommes serait-il possible s’il n’était pas d’abord celui que Dieu vit en lui-même. Dans l’évangile, Jésus nous fait pressentir cette circulation de vie et d’amour qui existe entre lui et son Père. Il nous promet de nous donner le Défenseur, l’Esprit de Vérité qui procède du Père, afin de nous introduire dans le mystère de cette communion, dans la Vérité toute entière. Avec l’Eglise, dans la foi qu’elle a mise en mot peu à peu, nous n’avons pas fini d’entrer dans le mystère de notre Dieu qui n’est pas solitude isolée, mais communion de personnes, communion entre le Père et le Fils dans l’Esprit Saint. Nos mots sont toujours balbutiants devant ce mystère. Laissons-nous instruire par les mots que nous donne l’Eglise, par exemple à la fin de chaque oraison quand nous demandons toute chose au Père « par Jésus-Christ, ton Fils, notre Seigneur qui vit et règne avec toi dans l’unité du Saint Esprit, Dieu pour les siècles des siècles ». Apprenons à contempler cet échange d’amour qui est en Dieu, Père, Fils et Esprit Saint, pour recevoir de lui l’intelligence, mais aussi l’amour pour vivre d’une manière nouvelle nos relations humaines, comme une communion dans nos différences, où chacun a sa place.
Mais me direz-vous, ceci est trop beau pour être réalisable. Cette recherche de communion et d’unité bute toujours sur nos incapacités et nos étroitesses à faire sa place à l’autre. Toutes les guerres que nous voyons sous nos yeux le démontrent aisément. Oui, cette communion peut paraitre bien loin. Faut-il se résigner face à ce constat ? La fête de ce jour nous rappelle que cette unité et communion n’est pas une œuvre humaine. Elle est un don de Dieu, mais un don auquel il nous revient de collaborer. La seconde lecture nous offre une piste sûre que pourrait résumer cette recommandation : « marchez sous la conduite de l’Esprit ». Oui, frères et sœurs, dans notre monde, nous pouvons devenir acteurs de cette œuvre de d’unité que Dieu désire pour l’humanité, en nous appliquant à vivre sous la conduite de l’Esprit. Chacun, nous expérimentons les dons de l’Esprit à l’œuvre dans nos vies : l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bienveillance, la fidélité, la douceur et la maitrise de soi. Si nous sommes un peu lucides sur nous-mêmes, nous expérimentons plus à certains jours qu’à d’autres, combien ces qualités que l’on peut entrevoir en nous souvent de façon éphémères, ne sont pas fondamentalement de notre fait. Elles nous sont données comme un cadeau. C’est l’œuvre de l’Esprit Saint en nous. Heureux sommes-nous si nous avons compris cela, car alors, nous pouvons consentir à laisser l’Esprit Saint faire davantage son œuvre en nous. Nous pouvons nous appliquer à ne pas le contrister, lorsque nous sentons un inclination à plus de bienveillance, de patience, ou de douceur, ou de maitrise de soi…. A notre part bien modeste, nous serons alors des artisans de communion, parce que nous laisserons l’Esprit Saint unifier et pacifier notre propre existence. La paix et l’amour qu’il met en nos cœurs se déverseront sur nos proches.
En rendant grâce ce matin pour l’Esprit Saint, Maitre d’œuvre de la communion dans l’Eglise et dans l’humanité, offrons-nous à son action encore plus résolument.
Année B - 5e dimanche de Pâques - (05/05/2024)
(Ac 10, 25-26.34-35.44-48 – Ps 97 – 1 Jn 4, 7-10 – Jn 15, 9-17)
Homélie de F. Jean Louis
Frères et sœurs,
Alors que nous approchons peu à peu de l’Ascension et de la Pentecôte, les lectures de ce dimanche évoquent à la fois l’action de l’Esprit Saint célébré, à la Pentecôte, et l’Ascension, avec une sorte de testament du Christ qui nous est laissé.
La première lecture, tirée du livre des Actes des Apôtres, nous parle en effet de l’effusion de l’Esprit, mais il ne s’agit pas de celle qui a eu lieu à la Pentecôte, 50 jours après la résurrection du Christ. Ici, il s’agit d’une descente de l’Esprit qui va marquer profondément les premiers disciples, dont Pierre, et qui déterminera l’avenir de l’Eglise. Pierre a été appelé par le centurion Corneille, et le texte nous précise bien qu’il est centurion de l’armée romaine. Un occupant donc et un païen. Deux raisons pour être haï par les Juifs, peuple élu, mais vivant sous le joug romain qui pouvait avoir la main lourde. Alors que Pierre annonce à ces païens l’impartialité de Dieu qui accueille les gens de toute nation pourvu qu’ils craignent Dieu, c’est-à-dire, qu’ils l’aiment et le respectent, et qu’ils vivent dans la justice, voici que, comme pour confirmer l’enseignement de Pierre, l’Esprit Saint descend sur les auditeurs païens, à la stupéfaction des Juifs présents avec Pierre. L’évidence est là : Dieu répand l’Esprit Saint même sur les païens. C’est vraiment une nouveauté pour les Juifs, même devenus disciples du Christ, nouveauté qui ne sera pas facile à admettre. Et nous retrouvons les mêmes manifestations qu’à la Pentecôte : le parler en langues et les louanges à la grandeur de Dieu. Pierre doit bien le constater : on ne peut refuser le baptême au nom de Jésus Christ à ceux qui ont reçu l’Esprit Saint. Et l’on peut penser que les quelques jours où Pierre est resté chez Corneille auront servi à compléter l’enseignement du contenu de la foi.
Ce passage est vraiment capital car il nous montre – et sans doute que les chrétiens d’aujourd’hui ont encore à se le rappeler – que l’Esprit Saint déborde des frontières de l’Eglise. Qu’il agit de façon absolument inattendue, même s’il y a eu la nécessité de la présence de Pierre et de disciples, de l’Eglise donc, pour mener à terme cette conversion de Corneille et de ses proches. Ce passage peut nous rappeler que nous ne sommes pas les propriétaires de Dieu, que nous ne sommes pas les propriétaires de son action et en même temps, qu’il est peut-être nécessaire d’avoir la présence de disciples du Christ pour que l’action de l’Esprit Saint parvienne à son terme : faire connaître en profondeur le Dieu de Jésus Christ.
Il faut dire que Corneille, selon les Actes des Apôtres, n’est pas n’importe qui. Avant l’arrivée de Pierre et de ses compagnons, il avait en effet déjà vécu une expérience spirituelle impressionnante. Centurion d’une cohorte appelée l’italique (probablement la 2e cohorte italique selon les historiens), cohorte dont le recrutement était en principe italien, donc païen, il se fait que ce centurion était un « craignant Dieu » comme les appelaient les Juifs. C’est-à-dire qu’il s’était converti au judaïsme sans toutefois aller jusqu’à la circoncision comme les prosélytes. Il se fait aussi que toute sa maison, c’est-à-dire, non seulement sa famille, mais aussi les serviteurs, voire des relations de métiers ou d’amitié, tous ces gens donc, l’avaient suivi dans la conversion au Dieu d’Israël. De plus, Corneille invoquait Dieu en tout temps et il comblait d’aumônes le peuple juif. C’était donc un homme remarquable car les romains étaient réputés pour mépriser les Juifs dont ils ne comprenaient pas les usages et les interdits, notamment celui de manger avec des païens.
Corneille est donc un homme profondément spirituel, dont les actes des Apôtres nous disent également qu’il a eu une vision, un ange de Dieu, entré chez lui pour lui demander d’envoyer chercher Simon, surnommé Pierre, saint Pierre.
Les Actes des Apôtres nous montrent donc combien la liberté de Dieu est grande pour agir comme il le veut dans le cœur de tout homme de bien, même hors du peuple élu.
Quant aux deux autres lectures de ce jour, elles semblent vraiment constituer une sorte de testament, de synthèse de l’enseignement du Christ.
Dans les quatre versets de la 1ère épître de saint Jean lue tout à l’heure, les mots « amour » et « aimer » sont utilisés pas moins de 9 fois. Quant aux neuf versets de l’évangile, les mots « amis, amour et aimer », y reviennent 11 fois. Mais il ne s’agit pas d’un amour sentimental, romantique façon 19e s. Dans ce passage, l’amour est lié à la connaissance de Dieu. Ce Dieu-amour s’est manifesté en envoyant son Fils unique pour que les hommes vivent par lui. En n’oubliant pas que c’est Dieu qui nous a aimé le premier et non pas nous qui l’avons aimé le premier. Et cet amour de Dieu a consisté à envoyer son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés, rien de moins.
Pour l’évangile de Jean, « aimer », c’est garder les commandements de Dieu comme Jésus a gardé les commandements de son Père. Et ce commandement d’aimer consiste à donner jusqu’à sa vie. Il ne s’agit plus d’être des serviteurs de Dieu mais des amis et là aussi, c’est le Christ qui nous a choisis le premier.
Frères et sœurs, avons-nous conscience de la révolution qu’a apportée le Christ dans notre connaissance de Dieu ? D’une soumission de serviteurs, voire d’esclaves, d’une relation du « je te donne et tu me donnes » courante dans le paganisme d’alors, le Christ nous appelle à l’amitié avec lui, avec Dieu, rien de moins. Et cette amitié se scelle dans le sang du Christ. C’est ce que nous dit saint Jean. Et les Actes nous redisent que c’est Dieu qui a l’initiative, que c’est lui qui décide qui appeler, au-delà de nos critères de convenance religieuse. « Même sur les nations, l’Esprit Saint avait été répandu. »
Nous allons bientôt fêter l’Ascension du Seigneur puis la Pentecôte, la venue de l’Esprit. Ces lectures d’aujourd’hui peuvent nous permettre de revenir aux fondamentaux de notre foi pour nous en imprégner et nous faire reprendre conscience, dans tous les troubles que connaissent notre monde et l’Eglise actuellement, que la vraie réalité est cet amour de Dieu qui nous choisit tous, qui que nous soyons, et qu’il attend notre réponse. N’avons-nous pas une chance inouïe que de connaître cela ? N’avons-nous pas le devoir de le partager avec qui acceptera de l’entendre, si pas aujourd’hui, peut-être demain ou après-demain ?
Invoquons l’Esprit Saint pour qu’il nous donne les mots et les actes qui toucheront nos contemporains. Car il ne s’agit pas que de sentiment, mais d’actes, comme pour le Christ.
AMEN
Année B - 5° dim. de Pâques - 28 avril 2024
Ac 9 26-31 ; Ps 221 ; 1° Jn 3 18-24 ; Jn 15 1-8
Homélie du F. Vincent
Tout l’évangile de ce matin nous parle de la vigne. Si nous avons un peu l'habitude de la Bible, nous savons que la vigne fait partie de son patrimoine. De nombreux textes de l'Ancien et du Nouveau Testament en parlent. Cela se comprend : elle est le bien le plus précieux des agriculteurs d'Israël et de tout le Moyen Orient
Avec cette page d’évangile et cette image de la vigne, nous sommes au cœur même de la foi. Il nous est dit que Jésus n’est pas seulement un guide ou un compagnon, il est plus encore qu’un ami ou un frère. Jésus est ma vie. Il est vivant en moi, en nous. Il nous fait vivre de sa vie divine. Il nous dit qu'il est la "vraie vigne" mais pas à lui tout seul ; il est le cep, le tronc auquel il veut rattacher tous ceux qu'il fait vivre : "Je suis la vigne, et vous, les sarments." . Ce que Dieu attend de nous, c'est que nous soyons des rameaux vivants et porteurs de fruits.
Oui, Jésus se dit la « vraie vigne » comme ailleurs dans l’évangile de Jean il se dit « le vrai pain », Un qualificatif qui chez St Jean implique une idée d’accomplissement et d’exclusivité. Dans cette grande histoire du Salut, Jésus est la vraie vigne que le Père a plantée. Jésus est le seul capable de produire des sarments qui porteront des fruits correspondant à l’attente de son Père, à son dessein d’amour.
On peut remarquer aussi qu’il y a un mot qui revient sept fois en quelques lignes, c'est le verbe "demeurer". « Demeurez-en moi ! » nous dit Jésus. Les chrétiens sont des hommes et des femmes qui demeurent dans le Christ. Alors se pose l'inévitable question : Demeurer en Jésus, oui mais comment ? On ne rencontre pas Jésus en direct mais par des intermédiaires. Il y a trois chemins pour cela : Celui de la Parole de Dieu, celui de la prière et des sacrements et celui de la vie quotidienne.
Le chemin de la Parole de Dieu : Pour demeurer dans le Christ, il nous faut demeurer dans sa Parole. Il faut se donner du temps pour l'accueillir. Cette Parole de Dieu nous est donnée par la Bible, l’Évangile. Mais aussi par cette parole qui est proclamée au cours de la liturgie. Nous devons nous interroger ? Est-ce que nous nous donnons du temps pour accueillir cette Parole ? Il est important de prendre le temps d'une réflexion, seuls ou avec d'autres, sur cette Parole de Dieu.
Le deuxième chemin pour demeurer dans le Christ, c'est celui de la prière. Pour demeurer en sa présence, il faut lui parler et l'écouter. C'est la prière fidèle, régulière, fréquente, pas seulement une "petite prière" de temps en temps. Mais une prière qui nous aide à rester en communion avec le Christ. Et cette communion se réalise aussi par les sacrements, le baptême mais aussi l'Eucharistie. Comme nous l’a rappelé le Concile, celle-ci est source et sommet de toute vie chrétienne et de toute évangélisation. L’eucharistie nous donne d'être unis au Christ, de faire corps avec Lui. Nous y recevons son amour pour en vivre dans notre vie de tous les jours.
Le troisième chemin ? Celui de la vie quotidienne : Pour demeurer dans le Christ, il n'est pas question de quitter notre vie de tous les jours ni de fuir le monde. Ce qui nous est demandé c'est de nous y enraciner et de porter du fruit. Ce qui fait la valeur d’une vie, ce ne sont pas les belles paroles mais l’amour mutuel, les gestes de partage, d’accueil et de solidarité. Jésus ne nous dit pas : « Soyez productifs », mais « mais soyez féconds. Portez du fruit ; c’est cela qui fait la gloire de mon Père ».
Oui, « demeurez-en moi », nous dit Jésus. « Comme moi en vous ». Formule d’intimité très forte qu’on ne retrouve qu’une autre fois dans l’évangile de St Jean, et c’est à propos de l’eucharistie dont je parlais plus haut. Par cette expression « Demeurez en moi » Jésus nous invite à une union intime, à vivre avec Lui, une communion intérieure, personnelle, un « cœur à cœur ».
Entendons cette parabole de la Vigne Et, nous, les sarments, laissons-nous greffer sur ce cep qu’est le Christ pour vivre pleinement de sa force, de sa vie.
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Année B - PROFESSION SOLENNELLE DE FRERE MARTIN MAILLY
21.04.2024 (4dimanche de Pâques B)
(Ac 4, 8-12 ; Ps 117 ; 1 Jn 3, 1-2 ; Jn 10, 11-18)
Homélie du Père Abbé Luc
« Le Bon pasteur donne sa vie pour ses brebis », nous dit Jésus en parlant de lui et de nous… Frères et Sœurs, peut-être pourrions-nous ajouter sans crainte de nous tromper : le Bon pasteur, Jésus, donne sa vie pour que ses brebis, nous tous, vivions et découvrions le vrai bonheur qu’il y a à donner notre vie. En ce jour de la profession de F. Martin, n’est-ce pas ce mystère et cette joie du don qu’il nous est offert de célébrer ? Le don que Dieu fait à notre frère Martin, comme à chacun de nous, et le don que f. Martin fait de sa vie, et que nous sommes tous invités à faire avec lui.
Dieu donne abondamment. Comme vous l’avez peut-être remarqué, le verbe « donner » revient dans toutes les lectures que nous avons entendues. A chaque fois, il s’agit du don que Dieu fait à son peuple. Dieu a donné à ses disciples, le nom de Jésus qui a guéri un infirme. Il leur a donné son amour pour être appelés « enfants de Dieu » par leur baptême. Et dans l’évangile Jésus, reprenant à son compte l’image du Bon Pasteur souvent attribuée à Dieu dans la bible, affirme qu’il donne jusqu’à sa vie pour que ses brebis vivent, annonce de sa mort et de sa résurrection. Cette insistance sur le don fait par Dieu éclaire d’une belle profondeur la réalité de la vie humaine. Depuis l’origine, celle-ci n’est que don reçu. Tout ce que nous avons, et plus encore tout ce que nous sommes, n’est que don reçu. A travers la médiation de nos parents, à travers notre insertion dans une culture et dans une histoire, à travers notre baptême pour nous croyants, nous sommes les heureux bénéficiaires de tout ce qui nous constitue… « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » demande St Paul…Nous n’aurons pas trop d’une vie pour inventorier tout ce qui nous est offert. Et lorsque Dieu appelle à la vie monastique, est-ce encore une marque de sa bonté généreuse ? A la suite de bon nombre d’entre nous, et sûrement après quelques appréhensions, Frère Martin, tu as reconnu dans cet appel une grâce, un cadeau. Y répondre alors que tu étais déjà engagé dans la vie professionnelle t’a entrainé sur un nouveau chemin sur lequel tu découvres et découvriras encore que lorsque Dieu appelle, il est fidèle et donne toujours le nécessaire. Car lorsque Dieu appelle, aujourd’hui f. Martin, mais finalement chacun de nous depuis notre baptême, il désire nous partager sa vie divine, une vie d’amour déjà expérimentée ici-bas et qui trouvera sa pleine expression dans l’éternité. Nos vocations respectives, que nous soyons religieux, laïcs mariés ou célibataires, prêtres, sont l’expression de la diversité des dons de Dieu. A chacun, il donne ce qui lui convient pour être heureux et pour trouver son bonheur en se donnant à son tour.
Car vivre notre vie humaine comme un don, quelque soit notre vocation, n’est-ce pas le secret de la joie ? F. Martin, depuis 7 ans que tu es au milieu, tu as commencé à éprouver cette joie en te donnant dans la prière personnelle et liturgique, dans le partage de la vie commune, dans la recherche plus silencieuse, dans les études, dans le travail au service des frères. C’est la joie de te découvrir à la bonne place pour donner le meilleur de ce que tu es. En prononçant tes vœux ce matin, tu choisis de remettre à Dieu toute ta vie, toute ton énergie, afin d’être à la suite du Christ un bon instrument au service de son Royaume. Tu demandes aussi à Dieu la grâce et la force pour persévérer durant toute ta vie dans cette offrande de toi-même. Fortifiant ainsi les liens de ton baptême, Dieu te donne aussi de trouver la force dans les liens que tu noues avec la communauté. Ensemble, nous construisons cette maison de Dieu dont parle St Benoit, maison de paix dont la pierre d’angle, ou la clé de voûte est le Christ. Ensemble, nous nous entraidons pour demeurer fidèles et nous enraciner chaque jour un peu plus dans l’amour de Dieu, c’est le sens de notre vœu de stabilité. Ensemble à travers la vie commune, nous sous soutenons pour bâtir une communion qui fasse signe de ces relations fraternelles que Dieu désire voir s’établir entre les hommes, dès maintenant, en vue du Royaume. C’est le sens de notre vœu de conversion. Ensemble, nous apprenons à écouter, écouter la Parole que le Seigneur ne cesse d’adresser à chacun et à la communauté, à travers le P. Abbé, mais aussi à travers les frères et les évènements. C’est le sens de notre vœu d’obéissance pour être des hommes d’écoute. Prononcer les vœux comme tu vas le faire, cela ne signifie pas que tu sois parvenu à vivre ce qui est demandé. Non, par les vœux, tu t’engages à travailler ton cœur et à changer ta vie pour qu’elle soit davantage celle d’un disciple du Christ, d’un fils de Dieu et d’un frère au milieu de ses frères.
Comme tu le sais, à l’instar de toute vie humaine, la vie monastique n’est pas un long fleuve tranquille. Tu as déjà fait l’expérience qu’il peut nous en coûter de se donner encore et encore. L’épreuve ou la tentation peut aussi survenir dans les moins bons jours. Nous n’échappons pas au combat de toute vie humaine quand elle cherche la vérité et la justice. Le Bon Pasteur qui a donné sa vie pour nous a lui-même affronté ces difficultés. Il nous montre le chemin de la patience et celui de la victoire pour qui demeure dans son Amour. Avec toi, en cette eucharistie, pour toi et les uns pour les autres, nous demandons la grâce de nous appuyer chaque jour un peu plus sur son Amour, sur sa Miséricorde de laquelle St Benoit nous invite à ne jamais désespérer. Ensemble qu’Il nous donne ainsi courir peu à peu avec plus d’aisance sur la voie de l’amour.
Année B - 3e Dim Temps pascal - 14 avril 2024
Ac 3/13-15, 17-19, 1 Jn 2/1-5a, Lc 25/35-48
Homélie du F. Cyprien
"Alors Jésus leur ouvrit l'intelligence pour comprendre les Écritures, 46 et il leur dit: " C'est comme il a été écrit: le Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième jour. C'est vous qui en êtes les témoins ».
Que le Seigneur nous ouvre l’intelligence pour comprendre les Ecritures… Le mystère de notre foi chrétienne c’est l’œuvre que Dieu a faite : Jésus venu dans la chair, Jésus qui a souffert, Jésus qui est mort… devenu pour nous source de la nouvelle vie : « Nous attendons la résurrection des morts et la vie du monde à venir » ; « Nous croyons à la communion des saints, à la rémission des péchés, à la résurrection de la chair et à la vie éternelle ».
L’aujourd’hui de notre foi, c’est le Christ vivant, vivant… au-delà de la mort, et l’aujourd’hui de notre foi à nous c’est que nous sommes encore en deçà de la mort, en deçà !
Comprendre les Ecritures, c’est savoir que Jésus ressuscité nous précède dans cet Au-delà que nous ignorons ; c’est croire que par Lui la vie éternelle, la vie avec Dieu a déjà commencé pour nous qui mettons notre foi et notre espérance en Lui.
On pourrait dire que le Christ a inauguré la vie éternelle par sa résurrection et que le temps présent est devenu le réceptacle de cette vie nouvelle : « Touchez-moi, regardez; un esprit n'a ni chair, ni os, comme vous voyez que j'en ai." Pour Jésus c’est du
« déjà là » ; pour nous c’est aussi et surtout du « pas encore »
…
La grande distance qui nous sépare du Christ ressuscité c’est sa mort : je voudrais insister sur ce qui fait l’importance de chacune de nos vies : nous savons que nous devons mourir un jour, et nous devons croire encore plus que ce moment de notre vie qu’est notre mort est le moment qui nous conformera définitivement au Christ, puisque c’est Lui Jésus qui a inauguré ce chemin vers la Vie avec Dieu.
Nous fêtons un Temps pascal qui nous met dans une situation qui pourrait nous tromper : nous ne sommes pas
arrivés au terme de notre chemin, nous ne sommes pas arrivés à terme de notre naissance définitive, oui, chacun d’entre nous ici présent...
Ce qui fait notre vie et notre bonheur, c’est que Jésus en nous quittant, comme il l’a dit, ne nous « pas laissés orphelins » : son Esprit, le Saint-Esprit est le garant du « pas encore » dans lequel nous vivons, le garant de ce que nous aurons à vivre pour le suivre jusqu’au bout, lui le Maitre, Celui qui nous a précédés. Tout ce que peut vivre un croyant, un disciple de Jésus aujourd’hui c’est une imitation du Maitre, …davantage encore une préparation de ce qu’il a vécu Lui …en donnant sa vie jusqu’au bout… « Dieu avait d'avance annoncé que son Messie souffrirait et …c'est ce qu'il a accompli ».
Nous avons à mourir parce que nous ne pouvons pas voir Dieu sans mourir et nous mourrons à la suite de Jésus parce que Jésus nous a montré le chemin.
Il est bon au Temps pascal d’évoquer encore la mort de Jésus…, d’envisager la mort de chacun de nous comme la porte, l’aboutissement de notre foi : « Loué sois-tu, Seigneur, pour notre sœur la mort corporelle », ainsi priait saint François d’Assise, cette mort corporelle qui nous rendra conforme au Christ mort pour qu’il nous ressuscite en ce dernier jour.
Il y a tout cela dans le chant des croyants, dans le chant de « l’Alleluia » de Pâques : Dieu notre Père, fidèle à ses promesses, nous emmènera dans la gloire de son Fils ressuscité : oui, chantons avec l’Eglise notre confession de foi : « Nous attendons la résurrection de la chair et la vie éternelle ».
Nous sommes déjà en communion avec Celui qui nous attire à Lui, Celui qui déjà nous fait vivre : comme l’écrit saint Paul « L’espérance ne déçoit pas », nous vivons tournés vers l’invisible : la Bible disait déjà de Moïse : « …comme s’il voyait l’invisible ».
Chers frères et sœurs, l’Alleluia d’aujourd’hui est déjà celui de demain quand Dieu sera tout en tous, et par son Esprit nous connaissons déjà le Chemin, Celui qui nous conduit à la Vérité et la Vie.
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année B - 2e dimanche Tps Pascal, 7 avril 2024 —
Ac 4, 32-35 ; 1 Jn 5, 1-6 ; Jn 20, 19-31
Homélie du F. Charles Andreu
Chers frères et sœurs, pour commenter l’évangile de ce dimanche, permettez-moi de faire d’abord un pas de côté. En 1734, le cardinal Lambertini, le futur pape Benoît XIV, fixait sept critères pour la reconnaissance des miracles dans les procès de canonisation. De ces critères qui valent encore aujourd’hui, j’en retiendrai deux : d’abord, la guérison doit être instantanée, immédiate ; ensuite, elle doit être parfaite, ne laisser aucun symptôme, aucune trace. Aussi curieux que cela puisse paraître, la résurrection de Christ ne serait donc pas un miracle valide : le Christ n’est pas ressuscité instantanément, mais le troisième jour ; et son corps porte encore des blessures ouvertes, celles précisément où Thomas met le doigt aujourd’hui .
La guérison miraculeuse et la résurrection reposent sur des logiques opposées : logique de l’immédiateté et logique du temps, logique de la perfection et logique de l’irréparé (pour le dire comme Isabelle Lebourgeois dans un livre récent). Plus profondément : logique de l’extraordinaire et logique de la vie. Bien sûr, la résurrection n’est pas un événement insignifiant. Mais alors que les guérisons miraculeuses font exception, elle est un don pour tous, le plus beau don : don d’une vie nouvelle qui vient dès maintenant épouser la logique de notre vie, et non pas la violenter. Or cette logique engage le temps et l’irréparé.
Le temps. Dans la Bible, la résurrection de Jésus n’est pas le seul événement à se dérouler le troisième jour. C’est le troisième jour que Dieu donne sa Loi au peuple rassemblé au Sinaï ; c’est le troisième jour qu’Abraham aperçoit la montagne où Dieu se manifestera dans l’interdit de sacrifier son fils Isaac. Ces exemples, parmi d’autres possibles, nous disent que Dieu n’agit pas dans l’immédiat : il laisse passer du temps, ne serait-ce que trois jours.
Dieu prend-il donc plaisir à nous faire languir ? Non. L’attente de Dieu est le signe de son amour, de son respect. Car le temps est un dimension fondamentale de notre vie : il faut du temps à notre corps pour grandir et pour guérir, il faut du temps à notre psychisme pour se construire et se travailler, il faut du temps à notre cœur pour s’ouvrir à la vie véritable. Dans nos existences humaines, « Ce qui se fait sans le temps, le temps le défait. » Si le salut, comme l’a dit Paul VI, est un dialogue entre Dieu et l’humanité, alors Dieu doit nous laisser le temps de réfléchir, de débattre en nous-même et entre nous, et non pas nous couper aussitôt la parole, imposant la bonne réponse avant même que nous ayions compris la question. La lente traversée des temps du doute et de la lumière, de la peine et de la joie, de la révolte et du consentement, nous construit. Alors seulement viennent les troisièmes jours de nos vies, jours où notre cœur s’est enfin ouvert à la parole, à la lumière, à la vie.
« La paix soit avec vous ! » Au cours de ce chemin, où trouver la paix promise par le ressuscité ? Thomas la trouve en touchant les plaies du Christ, c’est-à-dire en touchant l’irréparé de la résurrection. Car ces blessures sont le lieu où il peut se reconnaître, reconnaître l’irréparé de sa vie. Toute vie s’inscrit dans une histoire qui porte la joie bien sûr, mais aussi la blessure : chacune nous a défini, tels que nous sommes. Les arbres qui poussent en plein vent prennent la forme que le vent leur a donné.
Ressusciter, ce n’est pas devenir soudain un arbre tout droit, un autre arbre, qui n’aurait jamais connu le vent, un être sans chair, sans histoire. Ressusciter ainsi, ce ne serait pas vivre, mais mourir, disparaître, à tout jamais humilié, rejeté. Ressusciter, c’est découvrir au contraire que nos ramures décoiffées, notre chair vive et blessée peut vivre, mérite de vivre, vit enfin vraiment, telle qu’elle est. Nos corps, nos esprits et nos cœurs portent alors les stigmates de l’histoire qui les a façonnés, mais ceux-ci n’enferment plus dans la douleur. Si le moindre effleurement d’une blessure à vif fait bondir, aujourd’hui Thomas peut mettre le doigt dans les plaies de Jésus : blessures apaisées et non pas effacées, qui n’empêchent pas d’accueillir et de donner la vie.
Pour nous, cette résurrection n’est pas seulement la grâce de demain : déjà ressuscités avec le Christ, nous sommes entrés dans ce temps qui désire, qui cherche et trouve peu à peu cette vie apaisée qui s’épanouira le troisième jour.
Année B - Dimanche de Pâques - messe du Jour - 31 mars 2024
Ac 10 34-43; 1 Co 5 6-8; Jn 20 1-9
Homélie du F.Guillaume
Peu de temps avant sa mort, on posa cette question à Confucius, le Grand Sage de la Chine : « mais à quoi passeriez-vous votre vie, si elle était à refaire ? » Et Confucius de répondre simplement : « si elle était à refaire, je passerais ma vie à réinventer la signification originelle des mots »
Frères et sœurs, en ce dimanche de Pâques, où nous célébrons dans la foi et dans la joie, la Résurrection du Christ, notre Seigneur, arrêtons-nous un instant, si vous le voulez bien à la signification originelle de ce mot de résurrection. Quel sens lui donnons-nous, à partir de notre expérience de croyant, à la lumière des Ecritures, et en confrontation avec l’expérience des premiers témoins : Marie Madeleine, Pierre, Jean, Paul ? Saint Paul nous en avertit dans sa lettre aux Corinthiens : « si le Christ n’est pas ressuscité, votre prédication est vide, et vide aussi votre foi : vous êtes encore dans vos péchés ». Ce mot de résurrection provient du verbe ressusciter, qu’il conviendrait mieux de prononcer re-susciter, c’est-à-dire susciter à nouveau ou de nouveau. Avec l’idée que confère le préfixe « re », soit d’un retour en arrière, restauration d’une situation antérieure, soit au contraire de renouvellement, de recommencement, voire de re-création pour une situation totalement inédite et différente de toutes les situations précédentes.
Le verbe « susciter » évoque aussi la naissance, l’éveil à un monde encore inconnu, en rapport avec la vie. Jésus d’ailleurs n’a-t-il pas associé les deux termes quand il dit à Marthe, à la mort de son frère Lazare : « Je suis la Résurrection et la Vie » ? Ainsi l’étymologie de ce mot de résurrection nous place dans le registre vital du temps et de l’histoire, selon les dimensions du passé, du présent et de l’avenir.
Entre le passé et le présent, il définit une rupture, une rupture instauratrice, qui conserve quelque chose d’essentiel du passé. Christ ressuscité, au matin de Pâques et après Pâques, est à la fois le même et un autre pour les disciples qui l’ont connu avant sa mort sur la Croix. Marie Madeleine dans le jardin le prend pour un jardinier, les pèlerins d’Emmaüs cheminent avec lui sans le savoir. Et les pêcheurs de Tibériade ne reconnaissent pas immédiatement l’étranger sur le rivage, près du feu. C’est dire que le Corps glorieux du Christ ressuscité et différent de celui qui parcourait les routes de Palestine, en enseignant les foules et guérissant les malades. Pourtant il garde les marques de sa Passion, et Thomas, l’incrédule, pourra le reconnaître en avançant sa main et en la portant dans le coté transpercé de son Seigneur. Ce toucher sera refusé à Marie Madeleine : Jésus l’invite à entretenir désormais avec lui un nouveau type de rapport où le corps est investi autrement que par le contact sensible. Elle a pour mission d’annoncer par la parole et dans la foi le message de la Résurrection aux apôtres.
Pour les disciples d’Emmaüs, c’est à la fraction du pain que le Christ ressuscité se fait reconnaître, tout en disparaissant aussitôt à leurs yeux de chair. Là encore, invitation à un nouveau rapport, dans le mystère sacramentel de l’eucharistie, où le Christ Ressuscité présent réellement en son Corps et en son Sang, se donne dans les signes du pain et du vin : nouveau contact, nouveau toucher.
Mais si la Résurrection instaure une certaine rupture avec le passé, elle entraîne dans le même mouvement l’ irruption du monde humain, terrestre dans le monde divin, céleste, dans le Royaume annoncé et promis. Elle engage alors un nouveau rapport aussi entre le présent et l’avenir, entre le déjà-là et le pas encore.
Saint Paul dans la seconde lecture que nous avons entendue aujourd’hui nous l’affirme : « du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu. C’est en effet en haut qu’est votre but, non sur la terre ; en effet, vous êtes morts avec le Christ, et votre vie reste cachée avec lui en Dieu. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors, vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire ».
Notre propre résurrection est ainsi engagée dès maintenant avec celle du Christ. Nous sommes entrés avec lui, par le baptême, dans le Royaume, dans la vie éternelle. Nous avons part à la connaissance du mystère de la mort et de la résurrection du Christ, à partir du moment où, comme le disciple Jean, nous croyons, même sans avoir vu. Et nous sommes appelés à vivre dans l’Esprit Saint une vie nouvelle, une nouvelle création.
La résurrection implique une tension entre le déjà-là du Royaume inauguré par elle, et le pas-encore du Royaume achevé du Dernier Jour. L’enjeu de cette tension se situe dans la responsabilité de notre engagement présent, ici et maintenant. Elle met en acte notre espérance, « une espérance pleine d’immortalité », comme le disait déjà le livre de la Sagesse, dans l’Ancien Testament. Car, « si nous avons mis notre espérance dans le Christ pour ce monde-ci seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. Mais non, Christ est ressuscité, prémisse de tous ceux qui doivent aussi ressusciter avec lui au Dernier Jour ». Il nous faut alors espérer contre toute espérance, comme Abraham quand il fut soumis à l’épreuve. Il nous faut croire à l’impossible qui reconstitue un réel plus réel que toutes les réalités de notre imaginaire. Il nous faut enfin aimer de cet amour qui nous vient de l’Esprit Saint et qui est la puissance première et dernière à l’œuvre dans la Résurrection.
Croire à la Résurrection, c’est donc croire au poids de ce qui fait l’importance de notre vie : les événements, les rencontres, les expériences profondes que nous pouvons faire ici-bas, sans nous y attacher outre mesure, car la figure de ce monde est appelée à passer. Tout sera suscité à nouveau, re-suscité : notre vie sera reprise et récapitulée dans le Christ, dans la lumière et la communion définitives, dégagée de tout péché, quand le Christ soumettra tout à son Père et qu’il sera tout en tous.
Méditer sur le mystère de la Résurrection, ré-inventer la signification originelle du mot, c’est donc être invité à porter un regard sérieux sur notre existence, lui donner un sens, au-delà des échecs, de l’absurde, du péché et des petites morts que nous connaissons tous plus ou moins.
Sans déserter le quotidien, c’est vivre dans l’attente, dans la confiance et l’espérance. C’est croire en vérité à ce que nous allons confesser tous ensemble dans un instant :
« j’attends la résurrection des morts et j’attends la vie du monde à venir ». AMEN