Homélies
Liste des Homélies
Homélie pour la «commémoration des fidèles défunts» –
2 novembre 2012 -
Rom 14 7-12 ; Jn 6 37-40
Père Abbé Luc
Frères et sœurs,
O mort, où est ta victoire ? Avons-nous chanté au début de cette célébration. Si la mort est victorieuse, ce pourrait être le jour où nous perdons l’espérance. Le jour où elle semble avoir le dernier mot sur la vie et sur l’existence. Il nous arrive tous un jour où l’autre d’avoir éprouvé ce sentiment que la mort a le dernier mot. Ce sont des jours d’épreuve pour la foi et l’espérance.
Ce matin, avec toute l’Église, nous recueillions pour nous-mêmes et pour tous les défunts la belle lumière de la foi en la résurrection du Christ. En faisant mémoire de sa mort et de sa résurrection, nous accueillons le don de sa vie offerte à tous les hommes. En Jésus, nous croyons que la mort n’a pas le dernier mot. Elle devient passage vers la vie, éternelle joie. Voilà la Bonne Nouvelle qui porte un éclairage vigoureux sur notre existence présente et sur notre existence à venir.
Sur notre existence présente, quand dans notre aujourd’hui, les forces de mort, d’angoisse, de désespérance, ou de découragement nous oppressent, notre foi au Christ ressuscité peut être un rempart sûr. En fixant les yeux sur lui et en lui exprimant notre confiance nous lui abandonnons notre désir illusoire d’une vie sans épreuve. Suivons pas à pas le Ressuscité, il va nous apprendre à traverser avec lui. Non pas fuir les difficultés, ni les refuser mais les traverser avec cette force qui ne vient pas de nous. La force de la Résurrection à l’œuvre dans l’Église et dans le monde depuis le jour de Pâques.
La Bonne Nouvelle de la Résurrection apporte aussi un éclairage sur notre existence à venir. Celle-ci peut-elle être autre chose que la poursuite et la transfiguration de ce dynamisme de confiance en Christ qui a animé notre vie terrestre? Notre foi d’aujourd’hui, notre confiance se transforme en abandon total. Abandon filial en Christ pour nous tourner vers notre Père dans un moment de reconnaissance qui ne s’épuisera pas. Car nous vivons alors du même Esprit qui anime en le Christ. Nous balbutions en disant cela et en mesurant combien notre foi n’est qu’un don de Dieu, don qui nous entraine à nous abandonner toujours plus en ses mains. A vue humaine, nous sentons notre faiblesse et nos limites, nos résistances parfois, à entrer dans ce grand mouvement de la confiance. Aussi est-ce la raison pour laquelle nous demandons cette grâce pour nous-mêmes et pour tous nos défunts que le Seigneur Ressuscité nous fasse entrer et aussi tous nos défunts dans ce dynamisme d’abandon pour accueillir comme lui et en lui le souffle de vie pour la vie éternelle. (2012-11-02)
TOUSSAINT 2012
Ap 7, 2-4. 9-14 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a
Père Abbé Luc
Frères et sœurs,
Au réfectoire, nous lisons en ce moment un livre sur le Concile, « L’évènement Vatican II ». Hier, on nous disait que le chapitre, « l’Appel universel à la sainteté » de la Constitution sur l’Eglise, constituait une nouveauté dans l’histoire de l’Eglise. Pour la première fois, un concile disait « fortement et explicitement », que « la sainteté est le cœur et la finalité de l’Eglise et de la vie humaine ». La sainteté cœur et finalité de l’Eglise et de la vie humaine…La sainteté est au cœur. Ainsi le Concile affirmera que « dans le baptême par la foi, les disciples du Christ sont véritablement devenus, fils de Dieu, participants de la nature divine et par conséquent, réellement saints » (LG 40). Fils de Dieu, participants de la nature divine, réellement saints…Les mots sont pesés et d’un poids bien réel qui dit la très grande dignité de chacune de nos vies. Déjà, nous sommes saints parce que pris dans la vie de Dieu. Mais la sainteté est aussi la finalité de notre vie chrétienne en Eglise. « Les fidèles, poursuit le Concile, doivent appliquer les forces qu’ils ont reçues selon la mesure du don du Christ à obtenir cette perfection (de la charité), marchant sur les traces du Christ, devenus conformes à son image, accomplissant en tout la volonté du Père…. » (LG 40). Marcher sur les traces du Christ, lui devenir semblable, accomplir comme lui la Volonté du Père…Ce matin, je retiendrai deux mots du Concile pour mieux cerner l’appel à la sainteté : marcher et devenir.
Marcher…Nous venons d’entendre l’évangile des béatitudes avec sa belle litanie d’heureux, heureux les pauvres de cœurs, heureux les doux. Heureux. Un traducteur juif du Nouveau Testament, A. Chouraqui, a traduit ce mot « heureux » par « en marche ». « En marche, les humiliés du souffle, en marche les faiseurs de paix, etc… ». Le traducteur explique ce choix en faisant un rapprochement avec les Ps 1 « Heureux qui se plait dans la loi du Seigneur » et en soulignant que le bonheur promis engage de la part de ceux qui croient un chemin à parcourir. Si nous sommes déjà « heureux » parce que déjà en Christ, nous sommes toujours en marche vers le bonheur. Le malheur pour nous serait de rester au bord de la route, de nous arrêter en nous repliant sur notre tristesse ou sur nos illusoires richesses. « En marche », nous le sommes à la suite de tous ceux dont faisons mémoire aujourd’hui. A la suite de tous ces témoins du Christ, « nous hâtons le pas, joyeux de savoir dans la lumière ces enfants de notre Eglise » qui nous sont donnés en exemple, comme nous le chanterons dans la préface. Oui, notre bonheur aujourd’hui est de marcher sur le chemin de la pauvreté, de la douceur, de la paix. Chemin qui n’est pas sans âpreté. Parfois, il nous faut traverser les larmes, les persécutions et les outrages au nom du Christ. Le « en marche » sonne alors comme un profond appel à traverser avec confiance et espérance, les épreuves. Le bonheur est déjà en marche depuis que le Christ a tracé la voie par sa mort et sa résurrection.
Devenir… Se transformer, changer d’aspect. Quand cela touche nos vies, parler de devenir engage une histoire…Depuis que nous sommes venus au monde, nous ne cessons de devenir : enfant, adolescent, adulte et ancien jusqu’à un jour devenir mort…Devenir est-il dès lors synonyme d’issue fatale ou d’impasse. Qu’allons-nous devenir ? Dans la seconde lecture, St Jean se pose aussi la question. S’il peut affirmer que « dès maintenant nous sommes enfants de Dieu » il poursuit en disant que « ce que nous serons ne parait pas encore clairement ». Notre devenir reste voilé à nos yeux ici-bas. Mais il ajoute dans une forte affirmation de foi : « Lorsque le Fils de Dieu paraitra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu’il est ». Devenir semblable au Christ : voilà notre espérance, voilà notre vie. Etre semblable au Christ sera notre vie dans l’au-delà d’une manière que l’on ne peut imaginer. Mais devenir semblables au Christ peut déjà constituer notre aujourd’hui. En suivant Jésus et en vivant selon son évangile, jour après jour déjà nous lui devenons semblables…dans l’attente d’être un jour tout en lui.
Marcher, devenir. Ensemble sur le chemin de la sainteté, nous marchons vers le Royaume, ensemble nous nous entraidons à devenir semblables au Christ. En venant maintenant à cette table eucharistique en pèlerins, nous devenons davantage ce que nous allons recevoir, le Corps du Christ. Réjouissons-nous d’être les invités au repas du Seigneur, avant de participer un jour au banquet préparé dans sa Maison. (2012-11-01)
Jubilé de profession (50 ans) du F.Hubert de Blangy
Année B - 29° Dimanche du Temps Ordinaire
Is 53 10-11; Heb 4 14-16; Mc 10 35-45
Homélie du F.Hubert
Mot d'introduction
C’est aujourd’hui la Journée missionnaire mondiale.
Qu’est-ce qu’être missionnaire sinon vivre du Christ et témoigner de lui dans le monde qui est le nôtre aujourd’hui, un monde qui est de Dieu et pour Dieu.
Notre eucharistie aura une couleur particulière puisque ma famille et mes amis sont venus se joindre à ma communauté pour rendre grâce au Seigneur à l’occasion de mes 50 ans de profession monastique.
Puissent ces 50 ans être un témoignage à Celui qui m’a appelé,
qui nous appelle et nous envoie, chacun.
C’est lui Jésus (montrer la croix), Christ et Seigneur, qui a de l’importance, évidemment,
ce n’est pas moi.
C’est lui qui m’a donné le souffle de la vie, qui m’a plongé dans sa Pâque par le baptême,
qui m’a appelé, alors que j’étais encore enfant,
m’a fait le cadeau de la vie monastique à la Pierre qui Vire,
me donne chaque jour sa grâce et son pardon.
C’est lui qui est fidèle, lui dont la promesse de vie ne se dément jamais.
C’est lui qui nous rassemble aujourd’hui dans son corps Au nom du Père et du Fils et du St Esprit.
Confions-nous humblement à son amour sauveur,
avec lui, avançons-nous avec pleine assurance vers notre Père qui fait grâce.
Homélie
Deux thèmes, deux réalités me touchent beaucoup : le thème du Serviteur et celui de la fraternité.
Ils me parlent du Christ, de son mystère et du nôtre.
Aussi, je suis heureux de recevoir en ce jour cette parole de Jésus : Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie pour la multitude .
La figure du Serviteur, c’est plus que le service, c’est le Serviteur évoqué par Isaïe, l’innocent compté parmi les pécheurs, le juste justifiant les multitudes en se chargeant de leurs péchés.
C’est le Christ, se mettant à genoux devant chacun de nous, pour nous laver les pieds, le Christ sur la croix, dont le cœur ouvert s’offre pour être notre demeure.
Jésus est Seigneur parce qu’il est Serviteur. C’est bien là la révolution de la Révélation chrétienne.
Jésus (et donc Dieu) n’est pas Seigneur à la manière des puissants de ce monde. Il est Seigneur parce qu’il est l’Amour,
il nous a montré par sa mort et sa résurrection en quoi consiste l’amour, et cet amour-là est vainqueur de toute puissance qui ne conduit pas à la vie.
Etre missionnaire pour un chrétien, c’est de témoigner de ce Dieu-là.
Nous avons la vocation et la responsabilité de révéler au monde qui est Dieu, quel est son vrai visage.
Il nous faut sans cesser regarder Jésus pour découvrir qui est Dieu.
Nous nous fabriquons tellement d’images fausses de Dieu !
Dieu est tout-puissant parce qu’il se donne totalement.
Dans l’oraison, nous avons demandé à Dieu de servir sa gloire.
Nous pouvons demander cela sans crainte, pcq Dieu ne fait pas de nous ses esclaves ; au contraire, il nous libère de nos esclavages pour faire de nous ses fils.
Dans une très belle hymne pour la fête de St Benoît, nous chantons : Servir le seul Maître dont le joug rende libre.
Par le baptême, nous ne sommes pas constitués esclaves
mais fils libres dans la maison du Père, cohéritiers du Fils unique ; saint Benoît n’appelle pas les moines à l’enfermement dans un carcan, mais à la dilatation du cœur.
Nous pouvons, sans asservissement, servir la gloire de Dieu
pcq le Père ne cherche pas sa propre gloire mais celle de son Fils, et que son Fils s’est anéanti jusqu’à la croix pour nous donner cette gloire que le Père lui a donnée.
L’homme a tellement d’importance pour Dieu qu’il s’est fait chair pour se donner tout entier à nous, et nous diviniser.
Il en est mort en se heurtant à notre mal.
Etre frère : le Seigneur m’attire à cela.
Jésus n’a pas honte de nous appeler ses frères, nous dit l’épitre aux Hébreux.
Je crois profondément que nous sommes tous frères et sœurs,
parce que fils et filles du même Père et aimés de lui.
J’aime la dimension fraternelle de la vie monastique selon St Benoît ; je crois au signe du Royaume qu’elle constitue.
J’aime que la communauté monastique soit constituée de frères aux origines, aux formations, aux itinéraires très divers.
Quelle que soit notre situation dans la société, nous sommes tous aussi dignes les uns que les autres, tous fils et filles du Père de notre Seigneur Jésus Christ.
Et simultanément, nous en sommes tous aussi indignes :
cette filiation est un don totalement gratuit.
Rien ne nous donne “droit” à vivre en Dieu, sinon l’amour que Dieu lui-même nous porte.
Frères parce que fils, nous n’entrons dans le Royaume qu’en l’accueillant comme des enfants.
Notre corps vieillit, mais dans l’Esprit saint, notre cœur est appelé à rajeunir de jour en jour, de la jeunesse même de Dieu.
Un frère m’a écrit : Quand tu as fait tes premiers vœux au moment où le Concile commençait, les ''noces d’or'' étaient un terme lointain, dernier point d’orgue avant une mort prochaine ! Aujourd’hui tu n’es qu’aux 2/3 du parcours !
Nul ne sait quand sera l’appel et la rencontre.
Rien ne m’est connu de l’heure qui s’apprête, mais à ta venue, tout dans ma nuit sera lumière , dit une de nos hymnes de complies.
Un jubilé, cela signifie que cette heure se rapproche,
celle de la mort, certes, mais celle de la rencontre avec le Christ, avec notre Père, et tous les saints.
Je veux que là où je suis, ils soient aussi avec moi, et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée.
Nous retrouvons là le désir de Jacques et Jean, de siéger aux côtés de Jésus dans sa gloire.
Cela se réalisera bel et bien, et pas seulement pour eux, mais pour chacun de ceux que le Christ aura sauvés et glorifiés.
Pour cette vie à venir, pour la vie humaine et divine qui nous est déjà donnée aujourd’hui, au fil des jours, je rends grâce, et je le fais spécialement en reprenant les mots du Ps 33 que mon père a longuement répétés tout au long de mon année de noviciat
pendant la leucémie qui l’avait atteint : Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sans cesse à mes lèvres .
Veuille le Seigneur me donner, nous donner à tous,
un cœur sans partage (oraison) qui ne préfère rien à l’amour du Christ et des frères (RB).
Année B - 27e dimanche du Temps Ordinaire -
Gn 2,18-24 ; He 2,9-11 ; Mc 10,2-16
Homélie du F.Sébastien
« Au commencement Dieu fit le ciel et la terre… »
Il les fit l’un pour l’autre, car tout dans la création est relationnel : le ciel est pour la terre et la terre est pour le ciel, et – comme le montrent les lectures de ce dimanche – la femme et l’homme sont l’un pour l’autre, comme le sont entre eux les frères et les sœurs, mais aussi les enfants et les adultes.
C’est d’un peu de glaise prélevée de la terre fraîchement créée que Dieu façonna le premier homme : telle une deuxième création complétant la première pour la mener à son accomplissement.
« Et Dieu dit : “ Il n’est pas bon que l’homme soit seul !” » D’où le savait-il ? sinon de son expérience personnelle au sein de la Trinité. Il fallait donc aller plus loin et ce fut comme en une autre création, celle de la femme. Pas plus cette fois-ci que lors des deux précédentes, Dieu ne pouvait attendre de l’homme la moindre collaboration, tant cette œuvre divine le dépassait infiniment. Cette oeuvre se fit dans la nuit de son sommeil. La femme est née d’une nuit d’amour, lorsque le Créateur, se penchant sur l’homme endormi, prit, non plus un peu de glaise pour faire un homme, mais un peu de la chair de l’homme déjà fait pour lui faire une femme.
Puis, précise le texte, « il referma ». Cicatrisation, immédiate aux yeux de chair, mais la blessure reste ouverte au cœur : c’est celle de l’amour, une porte ouverte sur l’autre, le lieu possible des plus grandes joies, mais aussi des plus grandes souffrances quand l’aimé, par l’ouverture, s’en va, ne laissant derrière lui qu’une terre aride, stérile, désolée. On songe à la plainte de Claudel : « Cette blessure, comment me l’aurais-tu faite plus profonde qu’en te retirant ? »
L’homme aspirait à un partenaire qui lui fut assorti. Il n’en avait trouvé aucun parmi les animaux que Dieu avait façonnés avant lui : ni dans la gazelle si élégante, ni dans l’ourse si maternelle, ni dans la colombe charmante mais un peu volage, ni dans celle qui, pourtant, était déjà en la forme, si féminine en ses mimiques... Dans son sommeil mystérieux, – combien de temps dura-t-il ? des millénaires peut-être – l’homme rêvait, d’un rêve venu de plus loin que ses propres profondeurs… À son réveil, lorsque Dieu lui présenta la femme qu’il lui avait préparée, la réalité dépassait toutes ses espérances : une aide, à lui parfaitement assortie, la part qui lui manquait pour devenir vraiment humain, deux en une seule chair, deux qui chemineraient ensemble vers le terme de leur commune vocation, une vocation divine. Une vocation multiforme, universelle, susceptible de s’accomplir aussi bien dans la vie conjugale que dans le célibat, choisi ou non. Tout est affaire de relation entre le masculin et le féminin dont nous sommes tous composés.
Voilà qui est bien joli, mais est-ce bien réaliste ? Quand la blessure saigne, quand la souffrance ronge, quand la mort emporte des êtres chers… toutes ces épreuves qui peuvent être écrasantes, qu’en faire ? Oui, que faire ? Au moins, essayer de se tourner vers Celui qui continue sa création à travers ce qui peut devenir des médiations. Jésus est passé par là. Relire alors l’épître aux Hébreux peut aider, revenir au passage lu tout à l’heure : Jésus est vraiment devenu notre aide, une aide parfaitement assortie, car « il est de notre race et il ne rougit pas de nous appeler ses frères », ses sœurs. « Il a connu absolument les mêmes épreuves que nous, excepté le péché… C’est ainsi qu’il est devenu un grand prêtre capable de compatir à nos faiblesses ». Puissions-nous, aux heures dures, y chercher lumière et force, prêter l’oreille à l’extraordinaire affirmation : « Si Jésus a fait l’expérience de la souffrance et de la mort, c’est par grâce de Dieu » – ai-je bien lu ? oui, par grâce de Dieu ! – Mais en vue de quoi ; l’auteur nous le dit : en vue « du salut de tous ».
Jésus, par sa Passion et sa résurrection, est vraiment devenu « l’aîné d’une multitude de frères », notre frère personnel, à chacun et à chacune. Grâce à lui, la relation première, homme femme, s’est enrichie de la relation fraternelle – au sens large – une relation qui, elle aussi, plonge ses racines en Dieu lui-même.
L’évangile boucle, en finale, avec la relation qui se vit entre adultes et enfants : « Le royaume de Dieu appartient à ceux qui leur ressemblent ». Accueillez-les, dit Jésus – qu’ils soient les vôtres selon la chair ou par suite d’un libre choix d’amour – , imitez-les et, par leur aide, « le Royaume de Dieu est à vous ! »
LA CROIX Version longue
(Voir ci-dessous / version abrégée)
Fête de la Sainte Croix
Homélie du F.Sébastien
Peut-on fêter une croix, un instrument de supplice raffiné ? A-t-on le droit ? Même si nous savons bien, trop peut-être, qu'il s'agit d'une croix unique, unique parce que unie à tant d'autres semblables...
La croix sur laquelle fut bel et bien fixé, avec marteau et clous, un certain Jésus de Nazareth, sous sa pancarte« Roi des Juifs).
C'était au temps où le légat de Rome, Varus, faisait crucifier en une seule journée deux mille esclaves révoltés, parfois enduits de poix et allumés à la tombée de la nuit…
Une croix parmi des milliers de milliers. Comme celles de ces 26 chrétiens crucifiés ensemble à Nagasaki, le 6 février 1597 : ¬des Européens, des Japonais, des religieux des laïcs, même des enfants qui encourageaient les adultes. Martyrisés comme Jésus.
Mais, en ce jour, il ne faut pas oublier la croix banale de l'accidenté, cloué sans clous, sur un lit d'hôpital. Dominique, 21 ans, mal parachuté pendant son service militaire, et qui me faisait écrire par sa sœur : « Je me retrouve comme un papillon épinglé sur une planchette de liège, arrêté comme un réveil dont le ressort est cassé. Dominique, le boute en train qui ne tenait pas en place. Il garda toujours une petite croix au cou.
Ce qui me rappelle le lourd crucifix, cuivre et ébène, qu'on offrait autrefois comme cadeau de communion solennelle, pour accompagner la vie chrétienne. On le pose, religieusement, sur la poitrine du mort ou de la morte, avant de fermer le cercueil, et de mettre le tout en terre. On ne sépare pas ceux qui ont vécu tant de choses ensemble tout au long d'une vie.
Et cette photo, inoubliable. Le crucifix entre les mains crispées de Thérèse de l’Enfant Jésus luttant contre l'asphyxie, se cramponnant à lui, comme à la rampe de l'escalier qu'on descend, marche à marche, vers le noir final, le néant ricanant : « Tout en bas, y-a-t-il un ciel ? » Le crucifix que la petite carmélite de 24 ans couvre de baisers, des baisers qui se veulent des réponses.
Thérèse, tellement sœur de cette Jeanne d'Arc de 19 ans liée à son poteau par une chaîne de fer, sur des fagots. Jeanne qui réclame que jusqu'au bout soit tenue devant ses yeux la croix de Celui qu'elle rejoint dans un cri : «Jésus, Jésus Marie). La fumée et les flammes montent vers le ciel. Jeanne est élevée sur sa croix comme Jésus dans l’Évangile de saint Je~ avec lui, et, sans le savoir, partage sa gloire.
En ce jour, peut-on évoquer aussi - est-ce possible ? -le crucifix un jour piétiné rageusement et jeté aux orties par le profanateur qui se bat avec ses fantômes mortifères ? IL faut se dire et se redire : Dieu peut comprendre toutes les formes de souffrance. Pour sauver tous les hommes, il a accepté que son Fils soit mis en croix sur le Golgotha avec un révolté qui le raillait, qui l'insultait... Dans cet affrontement gigantesque de la haine et de la miséricorde, qui aura eu le dernier mot ? Le premier. .. Ils étaient deux larrons, face à un seul et même Amour...
Cet amour qui ouvre la voie devant la croix de procession marchant en tête de la communauté monastique lorsqu'elle porte son mort jusqu'au cimetière. Un lieu baigné de paix, planté déjà de plusieurs rangées de petites croix de bois nu. Le frère y dormira parmi ses frères, ici-bas en la terre comme au ciel, près de la grosse croix de pierre où bat encore le cœur de notre fondateur, le Père Muard.
Une croix massive. Elle me rappelle la croix monumentale que les Chartreux ont plantée sur le Grand Som, le sommet qui domine leur monastère, comme pour illustrer leur devise: « Stat crux dum volvitur orbis ». « La croix demeure tandis que le monde évolue-», tourne en rond autour de son axe.
Un monde qui converge vers la Croix souvent sans le savoir. En disant cela, je ne puis m'empêcher de penser à nos frères juifs d'il y a 2000 ans. À ceux qui montaient à Jérusalem pour y célébrer la Pâque et qui, aux portes de la ville sainte, ont découvert un homme en croix défiguré, mort, sous un écriteau: « Le roi des juifs». De ce roi, quel juif pouvait vouloir ?
C'est de ce roi que, plus tard, plongé dans la lumière venue d'en-haut, un Juif de Tarse osera dire: « Nous, nous prêchons.. un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, c'est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. »
Dieu en croix. Oui, l'Amour a fait cela. Il l'a fait pour nous. Pour une fête éternelle... La sienne d’abord, la nôtre ensuite, en la sienne…
Version abrégée
(Ci-dessus version originale, développée)
Peut-on fêter une croix, un instrument de supplice raffiné ? Même si c’est dans la liturgie, même si c’est celle de Jésus,… au temps où le légat de Rome, Varus, faisait crucifier en une seule journée deux mille esclaves révoltés, enduits de poix et allumés à la tombée de la nuit.
Une croix parmi des centaines de milliers.
Le 6 février 1597 : 26 chrétiens sont crucifiés ensemble à Nagasaki, ¬des Européens, des Japonais, des religieux, des laïcs, des enfants qui encouragent les adultes.
Sans oublier la croix de l'accidenté, cloué sans clous, sur un lit d'hôpital.
Le crucifix de cuivre qu'on pose religieusement sur la poitrine du mort ou, de la morte, avant de fermer le cercueil. On ne sépare pas ceux qui ont vécu tant de choses ensemble.
Le crucifix entre les mains crispées de Thérèse de l’Enfant Jésus luttant contre l'asphyxie, se cramponnant à lui, comme à la rampe de l'escalier qu'on descend, marche à marche, vers le noir final, le néant ricanant : « Tout en bas, y-a-t-il un ciel ? » Le crucifix que la petite carmélite de 24 ans couvre de baisers qui se veulent être des réponses…
Jeanne d'Arc, 19 ans, enchaînée à son poteau, Jeanne qui réclame que jusqu'au bout soit tenue devant ses yeux la croix : «Jésus, Jésus Marie ». Et c’est l’envolée dans la gloire…
Tant de crucifix piétinés rageusement par des profanateurs parfaitement conscients. Sur le Golgotha, Jésus a été raillé comme personne.
Je ne puis m'empêcher de penser à nos frères juifs d'il y a 2000 ans. À ceux qui montaient à Jérusalem pour y célébrer la Pâque et qui, aux portes de la ville sainte, ont découvert un homme crucifié, mort, sous un écriteau: « Le roi des juifs». De ce roi, quel juif pouvait vouloir ?
C'est de ce roi que, plus tard, un Juif de Tarse osera dire: « Nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, c'est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. »
Dieu en croix. L'Amour en croix, rayonnant de gloire.
Venez ! Adorons ! Adorons-le !
Il nous ouvre ses bras, communions !
Laissons-nous emporter dans sa prière de Fils, face à son Père et lui présentant le monde !
Année B – 22° Dimanche du Temps Ordinaire - 2 sept 2012
Dt 4 1-2, 6-8 ; Jc 1 17-22 ; 27 ; Mc 7 1-8, 14-15, 21-23
Homélie du F.Servan
Heureux de retrouver l'évangile selon Marc (après une interruption de un mois et demi). Il nous accompagnera désormais tous les dimanches jusqu'à la fin de l'année liturgique, durant trois mois.
Heureux ! Oui mais ! Dans le passage de l'évangile que nous venons d'entendre, mais aussi dans l'ensemble des trois lectures de ce dimanche, sur le thème de la religion authentique fidèle à la Loi de Dieu, il y a quand même pas mal de mots et de réalités qui me dépassent, devant lesquels je me sens assez comme le petit enfant du Ps 130.
Je les énumère: la LOI (la Torah) donnée au peuple de l'Alliance non comme un code de permis-défendus mais comme une lampe sur nos pas, une lumière sur nos routes humaines : « Ecoute Israël, tu es aimé. Tu aimeras en retour - (ici on peut signaler qu'il existe un livre de Paul Beauchamp « La loi de Dieu » sur la Loi de l'alliance telle que accomplie et transmise par Jésus. Cà demande un effort crayon en main, c'est parfois subtil, mais cela peut éclairer le chrétien adulte ! ). LA MISE EN PRATIQUE de la Loi, comment? Quelle est la manière pure et irréprochable de pratiquer la Loi ?
LES TRADITIONS DES ANCIENS, celles des pharisiens, mais aussi les traditions religieuses et humaines de nos églises réglant et précisant le culte, les rites et balisant la vie morale, sans oublier les traditions-de la vie monastique, vénérables, éducatives etc. A vérifier de temps à autres, comme tout ce qui est humain. LE PUR et L'IMPUR. Non pas au sens hygiénique, mais moral et religieux: ce qui va ou ne va pas dans le sens du « Soyez saints comme moi je suis saint » dit le Seigneur.
Enfin, et c'est pas le plus simple: LE CŒUR HUMAIN. Souvent compliqué, fragile, instable voire hypocrite et que Dieu seul connaît bien!
Cela fait beaucoup ! Et cela dépasse de beaucoup le cadre d'une modeste homélie. Je me contenterai d'une réflexion sur cette notation de l'évangéliste: « fidèles à la tradition des anciens, les pharisiens, au retour du marché (ou de la place publique) font de multiples ablutions de purification ». Ce sont des gens religieux et pieux qui font cela pour garder le peuple fidèle à l'Alliance. Or, après les tentations de l'idolâtrie ou du culte sans justice dénoncées jadis par les prophètes, comme Isaïe; ce petit peuple, à partir de l'Exil
et après, est confronté à la menace du monde ambiant et à ses idées, disons pas très catholiques! Ainsi la civilisation romaine au temps de Jésus - (vous aurez noté que ce monde ambiant est évoqué dans nos trois lectures : « Cette Loi, vous la mettrez en pratique aux yeux de tous les peuples » sous leur regard pas forcément aussi admiratif que le dit le rédacteur du Deutéronome – « La religion véritable, c'est de venir en aide et de se garder propre (pur) au milieu du monde ». Nous avons entendu dans l’évangile sur le marché ou la place publique, le juif pieux, pharisien, peut être amené à fréquenter choses et gens impurs, des païens, des publicains.
Il me semble que ce mot de " marché" est très évocateur pour nous, puisque notre monde dominant, celui que vous connaissez; ce n'est pas d'abord un monde d'intériorité et tout simplement d'humanité mais bien d'abord un grand super ou un hypermarché dont on profite peu ou prou. Mais dont on souffre aussi pas mal ! Il ne règle pas seulement l’économie mondiale, il domine et influence grandement la façon de vivre et de penser !
D'où la tentation aujourd'hui pour toutes les traditions religieuses de multiplier les garde fous et les marqueurs identitaires, au risque de se retrouver en ghetto pur et dur. On pense bien sûr à l'Islam et à la Charia version wahhabite, mais il n'est pas interdit de regarder aussi chez soi, de temps à autre et surtout de revenir souvent à la parole de Jésus qui a rappelé à son peuple l'essentiel de la Torah ( le décalogue ou
encore le chapitre 19 du Lévitique sur l'amour concret du prochain) et dont l'enseignement est peut-être plus équilibrée en Mt 23 qu'ici dans saint Marc. Je cite : « Vous purifiez l'extérieur de la
coupe et de l'assiette, mais l'intérieur est plein de cupidité. Purifie d'abord (d'abord) l'intérieur de la coupe afin que l'extérieur aussi (aussi) devienne pur. Vous avez négligé ce qu'il y a de plus grave dans la Loi: la justice, la miséricorde et la fidélité. Voilà ce qu'il fallait pratiquer sans négliger le reste !
Ecouter le Christ : écouter souvent aussi et prier l'Esprit Saint, l'Esprit de notre baptême, qui habite en nos cœurs et qui lui seul est la Loi nouvelle de liberté sachant incarner la Parole dans les événements et la vie d'un chacun.
Pour terminer, je vous partage cette prière que la communauté dira ce soir à l'heure des Vêpres, en conclusion de ce dimanche:
« Seigneur notre Dieu, nous avons besoin de lois pour vivre dans la charité, et de signes pour t'exprimer notre foi. Que ces préceptes et ces rites ne s'opposent jamais à ta volonté mais nous aident à lui conformer notre cœur ». (2012-09-02)
Année B - 20e dimanche du T. O .
Pr 9 1-6 ; Ep 5 15-20 ; Jn 6 51-58
Homélie du F.Sébastien
Mon œil est de flamme,
mon visage est rond,
je donne mon âme
quand j’offre un citron.
Est-il permis de commencer une homélie par un petit poème – de Francis James, je crois – aussi badin, aussi léger ? Le fait est qu’il m’est remonté à la mémoire lorsque je parcourais les lectures de ce jour, sur le pain de vie qui se donne à travers des choses insignifiantes. Sans compter la saisissante évocation du Christ de l’Apocalypse avec « ses yeux comme une flamme de feu » :
Mon œil est de flamme,
...,
je donne mon âme
quand j’offre un citron.
Peut-on, rien qu’en donnant son visage donner aussi son âme ? En tout cas, Jésus l’a fait ; il a risqué parmi les hommes son visage de fils de Dieu fait homme, ce visage unique où se lisait la flamme d’un amour qui rêvait de se donner tout entier. Ce qu’il réalisa au cours de son dernier repas, lorsqu’il ne nous offrit apparemment guère plus qu’un citron sur la table, en réalité ce que des siècles d’histoire sainte avaient préparé pour cette heure : un peu de pain et de vin, trois fois rien, mais chargé de tout lui-même : corps, sang, âme et divinité. Oui, et divinité !
J’ai pensé à saint Jean Bosco disant à un jour un gamin des bas quartiers de Turin, alors que tous deux avaient l’estomac creux : « Tu vois, si un jour je n’ai plus rien qu’un petit morceau de pain, c’est avec toi que je le partagerai ». Un tel avec toi fait que les deux ne font plus qu’un.
Je ne sais pas si l’enfant a tout compris, – moi non plus – mais je devine que Jésus n’aurait pas dit autre chose. Ce qui est sûr c’est que par la suite Don Bosco et Jésus ont réalisé par des actes ce que leurs paroles avaient annoncé. L’amour est indissociablement parole et acte.
Ce qui rejoint le discours sur le pain de vie que nous méditons ces dimanches-ci dans l’évangile de saint Jean, un discours qui est une prophétie impressionnante, une parole qui passe à l’acte. Nous, il nous arrive de dire et de ne pas faire, de promettre et, le moment venu, de nous dérober. Pas Jésus ! Lui, il n’est que vérité, ses paroles sont des engagements. Tout ce qu’il avait expliqué à ses disciples dans la synagogue de Capharnaüm, il l’a réalisé lors de la dernière cène qui ne faisait qu’un avec la Passion et la résurrection qui suivirent.
La prophétie était réalisée au-delà de tout ce qu’on pouvait imaginer : Jésus, Fils de Dieu, nous offrait sa vie divine, la vie éternelle, à travers le don de son corps livré et de son sang répandu pour tous, pour chacun et chacune d’entre nous.
Telle est la merveille des sacrements : ils font d’immenses choses avec de toutes petites choses, bien adaptées aux enfants que nous sommes : quelques mots bien concrets, des gestes aussi simples que de faire couler un peu d’eau sur un front, de verser à boire un peu de vin, de distribuer des petits morceaux de pain, en laissant Jésus s’occuper des miettes tombées sous la table, pour le bonheur des petits chiens.
À peine une dinette ! Mais une dinette divine, préparée tout au long de la Bible. C’est là qu’il faut en chercher le sens.
Par exemple en revenant sur la première lecture de ce dimanche, le festin de la sagesse, cette sagesse mystérieuse, fascinante, intelligence suprême, assise auprès de Dieu, cette sagesse qui lance son appel aux étourdis que nous sommes : « Venez, mangez mon pain, et buvez du vin que j’ai préparé ! Laissez là votre folie et vous vivrez ». Alors qui veut vivre, la grande vie ? Jésus répond lui-même avec des paroles doucement murmurées à l’intime de l’âme : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, déjà, et moi au dernier jour je le. ressusciterai... Celui-là demeure en moi et moi en lui».
L’amour est indissociablement parole et don. Il s’accomplit dans un “demeurer l’un en l’autre” que Dieu nous offre dans l’eucharistie pour nous l’apprendre. (2012-08-19)
Année B - 19° Dimanche du Temps Ordinaire - 12 août 2012
1 Roi 19 4-8; Eph 4 30-5 2; Jn 6 41-51
Homélie du F.Guillaume
Frères et sœurs
L’élément qui fait le lien entre la 1ère lecture et l’évangile que nous venons d’entendre, c’est la mention du pain, et c’était déjà le cas les deux derniers dimanches d’été, alors que l’Eglise nous fait méditer sur le grand chapitre 6 de l’évangile selon Saint Jean. Le pain, c’est cette nourriture de base pour l’homme qui lui permet de reprendre de la force physique, mais c’est aussi pour nous chrétiens le pain venu du Ciel, aliment de vie éternelle : Pain de Vie auquel Jésus s’est identifié lui-même en personne.
En fait dans ces deux lectures, plus profondément que de pain, il est question de vie et de mort. Et cette question plus fondamentale nous concerne tous bien évidemment.
Elie est, avec Moïse, l’un des plus grands personnages de l’AT. On les trouve en compagnie de Jésus sur la Montagne de la Transfiguration, avec les 3 grands apôtres Pierre, Jacques et Jean, comme nous le rappelait la liturgie de lundi dernier. Tous deux cependant, si grands soient-ils aux yeux de Dieu et des hommes, ont fait l’expérience de l’échec, du découragement et d’une certaine désillusion sur ce qu’ils pensaient être dans leurs missions de prophète. On peut dire qu’ils ont connu des moments de dépression avec le sentiment d’insuffisance qui la caractérise et la tentation de fuir devant la difficulté. Moïse s’estimait peu doué pour la parole : il aurait préféré que Dieu choisisse un autre que lui pour délivrer son peuple de la servitude d’Egypte. Après le péché du peuple, qui avait sacrifié à un veau d’or dans le désert et qui récriminait sans cesse, rebelle aux commandements, Moïse demande à Dieu de l’effacer du livre qu’il a écrit, s’il n’accorde pas son pardon et s’il n’enlève pas le péché du peuple.
Elie, quant à lui, dans le texte d’aujourd’hui, fuyait l’hostilité de la reine Jézabel, qui lui en voulait à mort, pour avoir exterminé tous les prêtres de Baal, auquel elle vouait un culte. En fait, Elie a peur, pour le dire vulgairement il a la trouille de cette femme qui veut sa perte. Il fuit donc, il marche une journée dans le désert, puis il s’effondre, épuisé et il demande la mort, en s’en prenant à Dieu : «Trop, c’est trop, reprend ma vie. Je me croyais supérieur aux autres, le plus grand parmi les prophètes, mais en réalité, je ne vaux pas mieux que mes pères ». Et il tombe dans le sommeil, près d’un buisson, tout comme le fera aussi le prophète Jonas, à Ninive, dans une expérience parallèle d’échec et de reproche à Dieu pour une mission jugée trop difficile.
Et si je mentionnai tout à l’heure l’épisode de la Transfiguration avec les apôtres Pierre, Jacques et Jean, comment ne pas penser aussi à leur sommeil profond à Gethsémani, à la veille de l’arrestation de leur maître, incapable de veiller et de prier, ne serait-ce qu’une heure ? Eux aussi font une cruelle expérience d’échec et de désillusion, à un moment crucial de leurs existences.
Elie se laisse toucher par un ange qui lui dit de se lever et de manger. Il mange, mais il ne se lève pas et se rendort. Ce que qu’avec un second toucher de l’ange qu’il va manger à nouveau, boire, et se relever pour reprendre la route qui s’annonce longue : 40 jours et 40 nuits, symbolisant les 40 ans de marche du peuple au désert durant l’exode. Avant de parvenir au Mont Horeb, où Elie fera l’expérience d’un Dieu, non pas Tout Puissant et violent, comme il pouvait se le représenter, mais comme un Dieu qui se révèle dans le « bruit d’un fin silence » ou « le vent d’une brise légère ».
Tous ces passages de l’Ecriture s’entrecroisent et peuvent, doivent, nous rejoindre dans nos propres expériences de combat spirituel, ou même de combat humain, face aux échecs, aux découragements, voire même à la perte du goût de vivre. Cela peut nous arriver à un moment ou un autre de nos existences : ce qui est sûr, c’est que cela arrive à des proches autour de nous.
C’est à ces moments-là de l’existence, que l’Evangile du Pain de Vie peut nous apporter Lumière et Force. Sa référence à l’eucharistie est claire : « si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que moi je donnerai, c’est ma chair donnée pour que le monde ait la vie ». Ainsi, le petit pain cuit et la cruche d’eau de l’ange d’Elie, la manne et l’eau du rocher au désert durant l’exode n’étaient encore que des signes. Ils apportaient certes la vie, mais une vie temporaire. Le Pain descendu du Ciel, Jésus en personne qui se donne, lui, apporte une vie qui ne finit pas : la vie éternelle. Celui qui en mange ne mourra pas : il aura part à la Résurrection, au Dernier Jour.
Telle est la foi chrétienne que nous proclamons chaque fois que nous nous rassemblons pour célébrer l’eucharistie, comme ce dimanche. Et cette foi chrétienne nous engage ensuite, quand nous reprenons la route pour une nouvelle étape, une nouvelle semaine, jusqu’à la prochaine eucharistie. Cet engagement, Saint Paul nous le rappelle dans la seconde lecture, quand il s’adresse aux chrétiens d’Ephèse :
« Vivez dans l’amour, comme le Christ. Vivez dans Son Esprit, l’Esprit Saint : ne le contristez pas. Cherchez à imiter le Christ : Il nous a aimés et s’est livré pour nous, en offrant à Dieu le sacrifice qui pouvait Lui plaire »
Alors avec Lui, par Lui et en Lui, offrons à Dieu à notre tour le Sacrifice de louange, offrons ensemble, dans la foi, l’eucharistie de ce dimanche. AMEN (2012-08-12)
1 - C – 2001 – 15° Dim du TO -15 juillet 2001
Dt 30, 10-14 ; Col 1, 15-20 ; Lc 10, 25-37
Homélie de frère Matthieu
Frère Matthieu
« Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? »
Ce n’est pas une question piège – comme le laisserait entendre la traduction de notre évangile – c’est une question test ; ce nouveau Rabbi, dont on raconte tant de choses, est-il vraiment un bon, un vrai maître, qui entraîne sur les chemins de Dieu ?
Car il s’agit bien de la question essentielle : que faire pour vivre selon la Loi de Dieu, selon la volonté de Dieu, que faire pour être un bon juif, que faire pour être un bon chrétien, que faire pour être un homme vivant de la vraie vie ?
Heureux sommes-nous, si cette question est la nôtre comme celle de ce docteur de la Loi, épris de justice, épris de sainteté… et non pas « voulant montrer qu’il était juste » comme est traduit le texte…
C’est un débat sur l’essentiel entre un Maître galiléen dont on dit le plus grand bien et un disciple épris de sainteté… Alors écoutons bien, car le débat pourrait bien nous apporter une réponse pleine de sens et de vie pour nous mettre nous-aussi sur les chemins de Dieu.
Jésus fait preuve de la meilleure pédagogie rabbinique : il répond à une question par une autre question… et il va faire passer ce disciple du « caté-chisme », bien appris et bien récité à la découverte de l’accomplissement de la Loi : regarder et écouter autrui, son prochain, pour regarder et écouter comme Dieu regarde et écoute et dès lors agir comme Dieu, selon le besoin de l’autre tel qu’il se manifeste devant moi, entrer sur le chemin imprévisible de l’amour véritable qui me laisse à la merci de l’autre… comme Dieu s’est mis à la merci de l’homme jusqu’à en mourir !
Mais reprenons le cheminement pas à pas, car il s’agit bien pour nous d’apprendre aussi ce chemin pour passer de « l’appris » du commandement, de la règle, de ce qu’il faut faire, au regard et à l’écoute qui nous mettrons à la merci de la Parole de Dieu, à la merci de l’Amour…
A la question de Jésus, l’homme récite ce qui est le B.A. BA de la foi biblique et juive : le « petit catéchisme »… et Jésus approuve : oui, il n’y a qu’à faire ainsi… il n’y a qu’à vivre dans l’amour de Dieu et du prochain… il n’y a qu’à… mais justement l’homme, qui est un vrai disciple, épris de sainteté, et nous aussi, nous savons bien que c’est une tâche impossible et plus encore que nous ne savons pas par quel bout la prendre…
Alors, il ose une question : concrètement, concrètement qui est mon prochain… que je sache au moins par qui commencer !
Et Jésus raconte une parabole …
Et le disciple écoute de toutes ses oreilles.
Et il reconnaît le lévite « qui voit et passe de l’autre côté » et il reconnaît le prêtre… qui « voit et passe de l’autre côté »… et peut-être se reconnaît-il dans ce lévite et dans ce prêtre, plutôt que de les condamner comme nous sommes si prompts à le faire…
… / …
Et il voit ce samaritain – qu’attendre de bon d’un samaritain… mais il écoute et sait-on jamais ?
Car ce samaritain, « il voit et il est saisi de pitié » et ce disciple des sages sursaute, car ce mot là, les Ecritures ne l’emploie que de Dieu… et ce mot là dit l’émoi des entrailles maternelles et les Ecritures l’applique à Dieu pour dire ce qu’est l’amour de Dieu pour son peuple et pour tout homme…
Alors, il comprend… il s’agit, comme Dieu, de vivre la Loi au niveau de « ses entrailles », au niveau de « son cœur », il s’agit de se laisser toucher… il n’y a plus de Loi, ou plutôt, nous voilà au-delà de la Loi, dans l’accomplissement de la Loi : il s’agit de « faire preuve de bonté envers l’autre » – et la réponse montre qu’il a bien compris, car lui aussi emploie un mot, « bonté », qui ne s’applique qu’à Dieu –, il s’agit de regarder, de voir, d’écouter, d’entendre l’appel de l’autre et pour cela il n’y a plus que l’attitude de l’écoute, de l’obéissance que la longue pratique de la Loi, du commandement, doit nous avoir appris, doit nous apprendre chaque jour…
« Va et toi aussi, fais de même ! »
L’obéissance des commandements, la pratique du « catéchisme », et des dix commandements, et des commandements de Dieu, et des commandements de l’église, l’obéissance à la Loi a dû t’apprendre, doit t’apprendre à écouter l’autre dans l’imprévu de sa vie à lui, pour « le voir, être saisi et te mettre à sa merci »… Mais n’est-ce pas là, tâche impossible ?
Non, car le Seigneur, l’Esprit de Dieu qui est en toi, t’a été donné pour t’apprendre la vraie vie, juive ou chrétienne… qui conduit à la Vie.
Regarde, écoute, et rends-toi disponible à l’inattendu de l’autre…
Et tu auras la Vie.
Frère Matthieu Collin
Année B – 11° Dimanche du Temps ordinaire – 17 juin 2012
Ez 17 22-24 ; 2 Co 5 6-10 ; Mc 4 26-34
Homélie du F.Servan
Elles sont belles, les lectures de ce dimanche, toutes bruissantes d'arbres, de rameau verdoyant, de chants d'oiseaux, de champs de blé en pleine croissance où le vent joue avec les bleuets, les coquelicots (point trop n'en faut). Images bien accordées à notre saison, alors que le printemps va passer cette semaine le flambeau à l'été (le 21 juin et puis le 24 dimanche prochain avec les lumières de la saint Jean-Baptiste).
Sur les hauteurs de Vaumarin en face du monastère, il y a champs de blé ou d'avoine
en pleine croissance en attente de la moisson à la fin Juillet.
« Je cueillerai un jeune rameau, dit le Seigneur ; je le planterai, il produira des branches, il portera du fruit, il deviendra un si bel arbre, toutes sortes d'oiseaux y feront leur nid, habiteront à l'ombre de ses branches ».
« Le juste grandira comme un palmier, il poussera comme un cèdre du Liban, il fructifie, il garde sa sève et sa verdeur » (c'est le Psaume que nous avons chanté) et, dans l'évangile : « La semence germe et grandit d'elle-même, la terre produit l'herbe, puis l'épi, enfin du blé plein l'épi, du blé plein l'épi ! Et Jésus avait dit avant (dan l'évangile de Marc): « des grains sont tombés sur la bonne terre; ils ont produit trente, soixante, cent pour un. Une bien belle récolte et dès que le grain le permet on y met la faucille (ou plus rapide et moins fatiguant, mais moins poétique, la moissonneuse-batteuse), car c'est le temps de la moisson « c’est à dire dans la Bible, le temps du jugement, (le temps d'apparaître à découvert devant le tribunal du Christ, nous a dit saint Paul), mais surtout le temps de la belle récolte, le temps d'engranger dans les greniers de notre Dieu tous ces bons grains et beaux fruits de notre vie sur la terre, tous ces « plaire au Seigneur » de notre vie « qui sème dans les larmes (dans l'effort et la peine) moissonne dans la joie. On
s'en va, on s'en va, on jette la semence; on s'en vient, on s'en vient dans la joie, on
rapporte les gerbes » (Ps 125) et du blé plein l'épi !
Optimisme, Oui, mais retour au réel ! Et le réel résiste et souvent déçoit. L'idéal, les attentes, les projets.
A commencer pour Jésus: si sa parole novatrice rassemble encore la foule dans le beau cadre des bords du lac de Galilée ; s'il y a de la bonne terre pour recevoir la semence de sa parole, il y a aussi des échecs : le grain perdu sur le chemin, la pierraille, les ronces, sans parler de l'ivraie semé dans le champ par l'adversaire.
Monte un doute, une déception parmi ses auditeurs pour qui la venue du Règne de Dieu devrait s'accomplir d'une manière spectaculaire et puissante. (« Est-tu vraiment celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre? De Jean le baptiste -
Et les pèlerins d'Emmaüs, à la fin de la trajectoire de Jésus : « et nous qui espérions qu'il serait le libérateur d'Israël » !!
D'où cette réponse de Jésus dans ces paraboles (paroles pour ses disciples et pour son Eglise à venir, donc pour nous aussi) : Dieu (et ses envoyés) ne sont pas des magiciens qui opèrent les changements du monde à coup de baguette magique et à travers des actions spectaculaires, mais c’est un jardinier qui fait confiance, en patience, à l'obscur travail de la semence: « qu'il dorme ou se lève (pour le travail) la semence du Royaume de Dieu germe et grandit il ne sait comment ». Ce n'est pas décourager de semer, d'être actif et responsable dans nos communautés et nos églises, mais sans se ronger de soucis et d'activisme.
« Moi j'ai planté, dit Paul, Apollos a arrosé, mais c'est Dieu qui donne croissance »! et le Ps 126, « Si le Seigneur ne bâtit la maison les bâtisseurs travaillent en vain. En vain tu
devances le jour (tu te lèves); Dieu comble son bien-aimé quand il dort » (vous pouvez aussi relire Péguy ou Jn 23)
La leçon, la réponse était valable pour les premières toutes petites communautés chrétiennes
comme celle des Corinthiens : « Nous cheminons dans la foi, nous cheminons sans voir, leur
répète Paul, « mais dans la confiance et la joyeuse espérance, en croyant que le
Seigneur Jésus a été le grain semé en terre, mais ressuscitant et portant beaucoup de
fruit. Sa croix devenue arbre de vie, l'arbre aux oiseaux, l'arbre sec et mort qui reverdit
Elle est bien sûr importante pour nous, notre Eglise et nos communautés aujourd'hui cette
parole-parabole: puisque vous connaissez notre réel aussi bien que moi.
Dans la confiance et l'espérance chaque jour de notre temps ordinaire, nous accueillons la parole vivante du Christ et nous souhaitons belle croissance aux plus jeunes qui achèvent ce dimanche une-année de catéchisme et un merci particulier à ceux et à celles qui se sont dévoués pour semer la Parole parmi eux !! (2012-06-17)