Homélies
Liste des Homélies
34e dimanche du Temps Ordinaire : Christ Roi
23 novembre 2025
2 S 5,1-3; Ps121; Col 1,12-20; Lc 23,35-43
« Vois ! Nous sommes de tes os et de ta chair. »
Ces mots que les tribus d’Israël adressent à David, m’ont touché
en pensant que nous pouvons les adresser en toute vérité à Jésus, Dieu fait l’un de nous.
« Nous sommes de tes os et de ta chair. »
Mystère merveilleux de l’Incarnation !
Le dessinateur Brunor, dans un album sur l’Évangile, écrit dans une page sur Noël :
« Toutes les civilisations se sont inventé des dieux, si possible plus puissants que ceux des voisins, mais personne n’aurait imaginé un dieu qui se montre si fragile, si dépendant… »
Autre dessinateur : notre frère Yves représentant sur un tableau Jésus dans les bras de sa Mère, esquissant de sa main un geste de bénédiction, et au coin opposé le roi Hérode entouré de docteurs de la Loi, avec cette légende : « Où est le roi ? »
De la fragilité de l’enfant, né dans la précarité à Bethléem, à l’impuissance du prophète rejeté, cloué entre ciel et terre sur une croix, se révèle la manière dont le royaume de Dieu est parmi nous.
Hérode, le puissant, massacre les enfants de Bethléem, Jésus, le dépouillé, donne la vie divine aux brebis perdues que nous sommes. Les grands prêtres et Pilate crucifient Jésus, Jésus fait entrer son compagnon de supplice dans le paradis.
Jésus a pris tout ce qui est de nous pour nous donner tout ce qui est de lui.
Sa royauté est inséparable de son Incarnation et du don de sa vie sur la croix.
Il est vide de lui-même pour accueillir son Père,
Il est vide de lui-même pour donner la vie à ceux et celles qu’il sauve et enfante à la vie divine.
Ce n’est pas sur un trône mais sur la Croix qu’apparaît sa royauté qui conteste tout pouvoir.
Le Christ s’est fait esclave, il a pris la place des pécheurs,
pour les sanctifier et leur donner sa royauté en partage.
« Le vainqueur, je lui donnerai de siéger avec moi sur mon trône, comme moi aussi
j’ai remporté la victoire et suis allé siéger avec mon Père sur son trône. »
Le Fils unique, le Messie, l’Élu, - l’Innocent - ,
est mort sur une croix comme un malfaiteur, entre deux malfaiteurs,
pour que les malfaiteurs que nous sommes, deviennent innocents et partagent sa royauté.
C’est là le mystère du dessein bienveillant de Dieu :
« Dieu a voulu tout réconcilier par le Christ et pour lui,
faisant la paix par le sang de sa croix, la paix pour tous les êtres. »
« Nous arrachant au pouvoir des ténèbres,
il nous a fait entrer dans le Royaume de son Fils bien-aimé. »
Mais il ne suffit pas d’avoir mangé et bu en sa présence,
d’avoir été sur les places où il a enseigné,
ni même d’avoir été son compagnon de supplice.
Il faut avoir ouvert le cœur à son innocence,
et adhérer à sa puissance salvatrice.
Nous sommes toujours placés face à ce choix :
accueillir ou refuser Celui qui nous sauve.
Aujourd’hui, Celui qui meurt sur la croix est Celui sur lequel repose l’Esprit du Seigneur,
celui qui a été consacré par l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres.
Son amour, que rien ne peut prendre en défaut, est plus fort que tout
et n’est vaincu par aucune puissance.
Dieu aime librement. Jésus aime librement. Son alliance est sans faille.
Là est le salut de tous. Là est sa royauté.
Que le règne du Christ, notre Sauveur, s’accomplisse en nous
et en toute l’humanité qui est sienne,
« règne de vie et de vérité, règne de grâce et de sainteté,
règne de justice, d’amour et de paix ».
« Notre Père qui es aux cieux, que ton règne vienne ! »
Christ, Verbe fait homme, que ton règne vienne !
« Amen : Viens, Seigneur Jésus ! » « Nous sommes de tes os et de ta chair. »
Frère Hubert
33e dimanche du Temps Ordinaire, année C
16 novembre 2025
Malachie 3, 19-20 / ps 97 ; 2 Thessaloniciens 3, 7-12 ; Luc 21, 5-19
Frères et sœurs, voici un évangile qui peut nous faire peur, mais il faut le redire, Jésus ne parle jamais pour nous faire peur ! Il nous projette vers la fin des temps, il nous annonce des catastrophes (tremblements de terre, épidémies de peste, famines), « des phénomènes effrayants », mais il ajoute : « Ce ne sera pas aussitôt la fin. Avant tout cela, on portera la main sur vous et l’on vous persécutera à cause de mon nom : cela vous amènera à rendre témoignage. » Ces derniers mots sont sans doute les plus importants à retenir, mais sans oublier cette autre parole « Ne soyez pas terrifiés.. »
Oui, dans l’aujourd’hui de notre monde, secoué, traversé par des tempêtes, des guerres et des conflits, c’est bien le moment d’entendre, de réentendre cette parole qui traverse toute la Bible : « Ne soyez pas terrifiés ! N’ayez pas peur. » Jean-Paul 2 l’avait dite au soir de son élection à Rome en octobre 1978, et Jésus nous dit encore aujourd’hui : « Quoiqu’il arrive, ne soyez pas terrifiés. Cela vous amènera à rendre témoignage. » Au milieu des persécutions ou de l’indifférence, devant toutes les questions qui se posent sur l’avenir du monde, de notre Eglise et de la foi chrétienne, quelle attitude devons-nous avoir, nous les chrétiens ? Témoigner que nous n’avons pas peur. Voilà bien la Bonne Nouvelle de l’Evangile : quelles que soient les adversités, Dieu nous invite à témoigner qu’en son Fils, Jésus, la vie est plus forte que la mort. Avant de mourir, Jésus disait aux siens : « Dans le monde, vous aurez à souffrir, mais courage : je suis vainqueur du monde. » (Jean 16, 33)
Je voudrais revenir au témoignage auquel Jésus nous invite ici : pourquoi se trouve-t-il en plein milieu de ce discours sur la fin des temps ? Dans l’évangile de Matthieu au ch 24, nous avons le même discours sur la fin des temps avec l’annonce de la ruine du temple de Jérusalem et de la persécution des disciples : On vous livrera, on vous tuera, mais c’est Luc qui est le seul à ajouter : cela vous amènera à rendre témoignage. »
Si nous pouvons penser que Luc écrit son évangile vers l’année 80, le temple de Jérusalem a été détruit par les Romains, les chrétiens sont déjà persécutés , quant à la fin du monde, on ne sait pas. On la croyait toute proche, mais rien n’est venu. Quand Paul écrit aux Thessaloniciens, (quelques 30 ans plus tôt), il réagit vigoureusement contre ceux qui attendaient dans l’oisiveté le retour du Christ et le Jour du Seigneur ; Paul lui-même a évolué sur cette question, car il avait d’abord pensé que ce retour était proche ; il leur dit à présent : ce Jour est imprévisible ; en attendant il faut travailler : c’est là que se situe le témoignage à rendre au Christ, que les disciples soient persécutés ou non.
Je crois que cette parole de Jésus dans l’Evangile a pour nous autant de force et d’actualité que pour les 1° communautés chrétiennes. Nous sommes toujours dans le temps du témoignage, et il est bon de trouver ici cette promesse du Christ : « Je vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle vos adversaires ne pourront pas résister. » Le témoignage des chrétiens dès le début a été celui du martyre et ce n’est pas pour rien que le mot témoin se traduit en grec « marturion », ce qui a donné martyre en français. Ce témoignage continue aujourd’hui, car des chrétiens sont persécutés dans beaucoup de pays au prix de leur vie.
Mais les chrétiens n’ont-ils pas dans le monde d’aujourd’hui un autre témoignage à donner, un autre signe du Royaume : j’y ai fait allusion tout à l’heure en parlant de Fratello : il s’agit de la présence des pauvres dans l’Église, une place essentielle. De quand date cette « journée mondiale des pauvres » ? A la fin de l’année sainte 2016, le pape François l’a institué, en la fixant au 33° dimanche ordinaire, pour nous préparer à la fête du Christ Roi, lui qui s’est identifié aux pauvres et aux petits ; il a eu par là, il le dit lui-même, une véritable intuition que le pape Léon vient de reprendre dans sa 1° exhortation apostolique « Dilexi te » Je vous en cite juste quelques phrases :
« Il n’est pas possible d’oublier les pauvres. La charité n’est pas une voie facultative, mais le critère du vrai culte chrétien. Nous ne sommes pas dans le domaine de la bienfaisance, mais dans celui de la Révélation »
Ces paroles sont fortes. Je crois que nous n’en avons pas encore pris la mesure : la rencontre avec le Christ, dans notre vie chrétienne, a lieu en priorité dans la rencontre avec les pauvres. Si l’Eglise n’était plus du côté des pauvres, engagée avec eux, elle ne témoignerait plus de la présence du Ressuscité et de la force de l’Esprit Saint en chaque baptisé.
La parole de Dieu dans la bouche du prophète Malachie prend alors toute sa force : « Pour vous qui craignez mon Nom, le Soleil de justice se lèvera : il apportera la guérison dans son rayonnement. » Ce soleil, c’est le Christ ressuscité, qui nous fait traverser toute mort : il nous faut lui rendre témoignage en permettant à d’autres de relever la tête et de reprendre espoir. Voilà bien le témoignage des chrétiens dans cet entre-deux, gardant nos yeux fixés vers le retour du Christ. S’il tarde à venir, continue ton travail au milieu des pauvres, n’aie pas peur. Jésus nous dit : « C’est par votre persévérance que vous trouverez la vie. » Demandons au Seigneur les uns pour les autres cette fidélité au Christ rencontré dans les pauvres, cette persévérance de l’amour.
frère Basile
Commémoration des fidèles défunts
2 novembre 2025
Is 25, 6-9 ; Ps 114-115 ; 1 Co 15, 51-57 ; Jn 6, 51-58
Frères et sœurs,
Peut-être avez-vous été sensibles comme moi au chant d’entrée de cette célébration : « Ô mort, où est ta victoire ? » Ce tropaire mis en musique par une moniale de St Thierry a des accents guerriers qui expriment bien ce combat si profond qui nous oppose à la mort. Toute notre vie humaine, qui se sait pourtant finie et limitée par la mort, est une mystérieuse lutte contre elle. Comment allons-nous nous situer face à ce combat ? Avec l’âge, la question se fait plus sensible, quand des proches nous quittent, quand une génération part pour laisser la suivante en première ligne. Chacun, nous élaborons des réponses et des manières de vivre qui peuvent être plus ou moins esquive et volonté d’oublier cette réalité. Et en même temps, nous ne pouvons pas toujours penser à elle, il faut vivre. De même que nous ne pouvons penser toujours à nos défunts. Il faut vivre.
Face à ce questionnement, les textes entendus, et plus généralement la liturgie de ce jour, se présentent non comme des réponses qui solutionneraient le problème, mais comme des lumières pour nous aider à mieux l’affronter. S’exprime là toute notre foi chrétienne qui fait fond sur la conviction que le Christ, « le Seigneur des Vivants nous libère de l’emprise de la mort », comme nous l’avons chanté. Si la mort peut parfois occuper tellement nos esprits et nos cœurs, si elle se présente toujours comme une porte refermée derrière nos défunts, notre foi nous assure qu’elle n’a pas le dernier mot. Nous ne sommes plus sous son emprise, car nous sommes reliés par notre baptême, d’une manière unique et solide au Christ, le premier-né d’entre les morts. Depuis qu’Il est mort et ressuscité, « faisant de la mort sa servante », toute notre humanité est tirée par lui vers la lumière de la vie qui ne s’éteindra pas. Cette conviction de foi nous libère de l’emprise que la mort pourrait étendre sur nos esprits et nos cœurs, en nous faisant broyer du noir et considérer la vie présente comme un immense non-sens, une impitoyable impasse. Elle nourrit notre espérance de passer un jour, avec le Christ l’abime infranchissable pour être réuni en Lui, à tous ceux qui nous ont précédés.
L’évangéliste nous offre encore une autre lumière dans notre relation à la mort. A l’écoute du discours de Jésus sur le pain de vie, il nous enseigne que dès maintenant la vie éternelle est déjà commencée. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour ». Lorsque nous participons à l’eucharistie, lorsque nous faisons mémoire de la mort et de la résurrection du Christ en mangeant son corps et buvant son sang, nous participons déjà à la vie éternelle, dans l’attente d’être ressuscités au dernier jour. Dans les paroles de Jésus, la distinction entre l’aujourd’hui de la vie éternelle offerte par son corps et son sang, et le demain de la résurrection au dernier jour, est précieuse pour notre marche en ce monde. En communiant au corps et au sang du Christ, en prenant part à la vie sacramentelle offerte par l’Eglise, nous ne sommes plus sous l’emprise de la mort. La vie éternelle vient déjà nourrir notre vie présente d’une énergie nouvelle. Car désormais, nous dit Jésus : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui ». Oui frères et sœurs, laissons ces paroles de Jésus, non seulement nous consoler, mais aussi nous aider à prendre au sérieux cette relation profonde qu’Il désire tisser avec chacun de nous, en chaque eucharistie. Il nous donne de demeurer en Lui, le Vivant pour toujours et Lui demeure en nous. Donnons tout leur poids à ces mots de Jésus. Accueillons Jésus qui vient dès cette vie nous familiariser avec la vie éternelle, celle qui nous transformera tout entier dans la lumière divine, en nous divinisant.
Laissons frères et sœurs cette lumière offerte par notre foi, nous fortifier et nous apprendre à nous tenir avec plus de confiance dans notre approche de la mort, qui n’est facile pour aucun d’entre nous. En cette eucharistie, avec Paul, pleins d’espérance pour tous nos défunts, « rendons grâce à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus-Christ ».
Frère Luc
Toussaint
1er novembre 2025
Ap 7, 2-4. 9-14 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a
Frères et sœurs,
Peut-être avez-vous remarqué, frères et sœurs, que chacune des lectures entendues, commencent par une phrase qui contient le verbe voir... « Moi, Jean, j’ai vu un ange qui montait du côté où le soleil se lève »… « Bien-aimés, voyez quel grand amour nous a donné le Père… » « En ce temps-là, voyant les foules, Jésus gravit la montagne… » … En cette fête de la Toussaint, il y a donc quelque chose à voir, avec les yeux de la foi, certes. Chacune des lectures nous invitent à entrer dans un autre regard, celui de Jean dans l’apocalypse, et dans sa lettre, et celui de Jésus. Et qu’y-a-t-il à voir ?
Avec Jean dans l’apocalypse, nous sommes conviés à élargir notre regard et notre compréhension du monde et de l’histoire. La vision de l’ange puis des 144 000 marqués du sceau, et enfin de la foule innombrable tournée vers le trône de Dieu nous projette dans un avenir auquel nous sommes promis. En un raccourci saisissant, Jean voit toute l’humanité, celle qui le précède et celle qui viendra réunie au milieu de myriades d’anges, se réjouissant en présence de Dieu dans l’exultation de sa louange… Cette vision est comme une bonne nouvelle qui vient conforter notre espérance. La vie présente avec son organisation, suggérée par la mention des 12 tribus d’Israël, est comme une étape vers une vie de plénitude et de joie. Un passage est indiqué : tous ont lavés leurs vêtements et les ont blanchis dans le sang de l’Agneau. La mort et la Résurrection, passage pour le Christ, devient pour chacun le point de passage libérateur qui transforme tout. C’est la grâce de notre baptême offerte comme un cadeau pour nous permettre de vivre notre propre passage dans le Christ.
Avec Jésus dans l’évangile, que voyons-nous ? L’évangéliste Matthieu nous entraine à entrer dans le regard de Jésus qu’il pose sur les foules qui le suivent et attendent tellement de Lui. Sur ces foules en recherche, il pose ce regard d’espérance : « Heureux êtes-vous » … car vous êtes promis à un grand bonheur. Et Jésus de porter son regard sur toute sorte de catégories de personnes, pour voir en eux bien plus que ce qui apparait. Car il regarde chacun dans la lumière du Royaume à venir, alors que nous les considérons souvent dans la seule lumière de ce monde ci. Ainsi nous jugerons parfois spontanément ces mêmes catégories de personnes, soit comme des malheureux, voire comme des maudits (ceux qui pleurent, les affamés de justice, les persécutés pour la justice et à cause de son nom), soit comme des gens qui n’arriveront à rien (les pauvres de cœurs, les cœurs purs) ou comme de doux rêveurs ou idéalistes (les doux, les miséricordieux, les artisans de paix). A l’inverse, Jésus les considère comme le bourgeon d’un fruit, plein d’une vie en germe qui ne demandera qu’à éclater. Et Jésus de conclure « Réjouissez-vous » … On pourrait entendre en écho la belle formule du pape François : « Ne vous laissez pas ravir votre joie ». Oui, dans ce regard autre que Jésus nous invite à porter, dans ce mot « Heureux », il y a une joie à recueillir dès maintenant, dans l’espérance de sa plénitude à venir…
Et enfin, avec l’apôtre Jean, c’est notre propre regard que nous sommes invités à rendre plus perspicace : « Voyez quel grand amour nous a donné le Père, pour que nous soyons appelés enfants de Dieu ». Oui, elle est heureuse cette invitation à bien voir, car il peut nous arriver de douter de cet amour de Dieu pour nous. Les circonstances de la vie, notre faiblesse, le péché qui nous blesse et nous défigure pourraient nous faire oublier cette vérité profonde. Certes comme le dit le même apôtre, « Nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté ». Notre vraie identité reste voilée à nos yeux et aux yeux du monde. Mais cependant elle est là comme notre ADN le plus profond. En cette fête de la Toussaint, regarder tous les témoins de la foi connus ou moins connus, est un réconfort. En eux, nous voyons des femmes et des hommes dont la vie a mis en évidence leur ADN d’« enfants de Dieu ». Par leur vie discrète ou intrépide, silencieuse ou étincelante, mais toujours généreuse dans leur confiance en Dieu et dans le don d’eux-mêmes à sa grâce, ils sont là pour nous redire : « oui, il est grand l’amour de Dieu pour nous, et cela vaut la peine de lui faire confiance ». Le jubilé de notre f. Guillaume en ce jour vient lui aussi nous réconforter sur nos chemins de fidélité respective. Il s’est confié à l’appel de Dieu et la main qu’il lui a tendu à travers la pédagogie monastique pour cheminer et déployer sa vocation d’enfants de Dieu. Avec lui, nous en rendons grâce.
Frères et Sœurs, nous qui sommes encore malvoyants, laissons cette célébration élargir notre vision de la vie présente et à venir. Alors comme nous le chanterons dans la préface, nous pourrons hâter le pas, vers le Royaume qui vient, joyeux de savoir glorifiés, ces enfants de l’Eglise dont Dieu fait un exemple et un secours pour notre faiblesse.
Frère Luc
29e dimanche du Temps Ordinaire, année C
19 octobre 2025
Exode 17, 8-13 - psaume 120 - 1 Timothée 3, 14-4, 2 - Luc 18, 1-8
Jésus nous dit beaucoup de choses à travers ces mots de l’Evangile, et cette petite parabole de la veuve et du juge sans justice. Il nous dit que la prière persévérante, celle qui ne se décourage pas, qui ne baisse pas les bras, cette prière obtient tout. Non, ce n’est pas tout à fait ça, ce n’est pas la prière qui obtient tout, c’est la foi. « La foi, nous dit Jésus ans l’évangile de Luc, la foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez à ce grand arbre ‘Déracine-toi’, il vous obéirait. » Oui, mais ici le Seigneur ajoute, et cela nous fait froid dans le dos : « Le Fils de l’Homme, quand Il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Alors, qu’est-ce que la foi ? et qu’est-ce que la prière ? car les 2 vont ensemble. On nous lance parfois cette objection : La prière, ça ne sert à rien ! Ou encore: Prier, c’est perdre son temps, c’est démissionner. Prier, c’est se retirer de la vie, c’est se réfugier quelque part, se mettre à l’abri et laisser les autres se battre. On voit bien qu’il peut y avoir là de gros malentendus. Prier, ne serait-ce pas tout simplement être là devant Dieu dans une attitude de foi, de confiance totale, compter sur Lui, compter pour Lui, ou encore être là devant Lui pour les autres, une autre façon d’être solidaire.
Il nous faut revenir à ce très beau texte de l’Exode que nous avions en 1° lecture. La prière s’y incarne dans une attitude très expressive : tandis que Josué combat dans la plaine, Moïse est allé sur la montagne pour prier avec Aaron et Hour. La prière passe par le corps, par les gestes du corps, par les bras levés de Moïse : quand il lève ses bras, Josué gagne ; quand il les baisse à cause de la fatigue, l’ennemi l’emporte. Alors il faut imaginer un truc pour que la prière puisse se prolonger malgré la fatigue : on fait asseoir Moïse et on se met à plusieurs pour lui soutenir les bras. Je trouve que çà illustre bien le combat de la prière. La prière, on s’en lasse vite : car on ne voit rien, on ne sait pas si c’est vraiment utile ou bien si ça ne sert à rien,
Voilà bien la foi : on ne sait pas ce qui se passe dans la plaine. Mais il faut continuer à prier sans se décourager. On retrouve ici l’évangile et cette petite parabole de la veuve importune que Jésus raconte pour bien montrer qu’il faut y mettre le paquet : casser les oreilles à Dieu comme cette veuve l’a fait pour venir à bout de ce juge sans justice ! Et Dieu ne ferait-il pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit : pour moi derrière ces cris, il y a toute la prière des psaumes que les moines reprennent sans cesse. ‘A quoi ça sert ? Pour quel résultat ?’ se dit-on parfois. Or la prière, c’est le combat de la foi, la foi qui s’appuie sur la promesse de Dieu.
Mais quand Dieu fera-t-il justice, quand tiendra-t-il sa promesse ? « Sans tarder », dit-il. Pourtant ce n’est pas si évident que cela, puisque Jésus recommande de prier constamment et sans se lasser : c’est donc que ce n’est pas pour tout de suite. Mais alors à quoi bon prier ? C’est là qu’il faut saisir le secret de la prière et ne pas tomber dans la prière magique, instantanée, où il suffirait de prier pour être aussitôt exaucé.
Quand on dit que la prière ne sert à rien, il y a sans doute du vrai, car nous ne pouvons pas évaluer l’efficacité de la prière. Quand on nous demande de prier et qu’ensuite on nous dit : Merci d’avoir prié pour nous, parce que tout s’est bien passé (l’opération, le voyage, le bac) ; oui mais qu’est-ce qu’il faut dire, quand ça s’est mal passé : Cette prière ne vaut rien ? Non, si la foi est là, il se passe quelque chose ; la foi ou le désir de la foi, car la foi se reçoit dans la prière. Le mystère de la prière, c’est peut-être cela : quelque chose se passe et d’abord en nous.
St Augustin le dit clairement : « Dans la prière, il ne s’agit pas d’instruire Dieu, mais de construire l’homme. » La prière nous remet debout parce qu’elle nous fait exister devant Dieu : c’est là que la foi est précieuse ; croire, c’est compter sur quelqu’un, avoir confiance en sa parole ; la prière, ce n’est pas se parler à soi-même car alors nous risquons de vite nous décourager ou d’entendre notre propre voix qui nous accuse.
La prière, c’est parler à un autre, c’est crier vers un autre, Dieu, qui m’écoute et que j’écoute à mon tour. Tu viens de prier, c’est donc que tu as parlé à quelqu’un qui t’aime. Ton juge n’est pas un juge injuste, indifférent. C’est ton Père, il te fait grâce, il te fait justice. C’est cela avoir pleine confiance en ce Dieu qui nous est tout acquis en son amour. La prière va nous ouvrir le cœur, elle ne sera pas seulement pour nous, mais pour les autres, pour ceux qui souffrent, malades, prisonniers, torturés, ceux qui se battent dans la plaine ou dans la solitude. La prière va nous rendre solidaires.
Le difficile, ce sera de durer, de ne pas baisser les bras, surtout quand les apparences sont contraires. La prière, c’est toujours une longue attente ; comme celle du veilleur qui attend l’aurore. « Veilleur où en est la nuit ? » Quelle que soit la réponse, ne quitte pas ton poste avant l’heure fixée, fais confiance.
Et n’oublions pas que dans cette veille, nous ne sommes pas seuls. Cette longue veille dans la nuit, c’est celle de toute l’Eglise qui attend le retour de son Seigneur, comme nous le chantons dans la prière eucharistique : « Viens, Seigneur Jésus ! »
Frère Basile
28e dimanche du Temps Ordinaire, année C
12 octobre 2025
2 R 5, 14-17 – 2 Tm 2, 8-13 – Lc 17, 11-19
« Souviens-toi de Jésus Christ, le descendant de David : il est ressuscité d’entre les morts,
voilà mon Evangile. »
L’Évangile de Paul, c’est le Christ lui-même :
Jésus « Dieu sauve » – le Christ, celui qui est oint en plénitude de l’Esprit de Dieu –
le descendant de David, Dieu incarné – ressuscité des morts, vainqueur de toute force mortifère.
Paul plonge toute sa vie, et sa mort imminente, dans le mystère de Celui qui l’a saisi par grâce.
Il est enchaîné comme un malfaiteur. Mais, dit-il, « on n’enchaîne pas la parole de Dieu ».
Pourtant avant lui, en avant de lui, la Parole éternelle de Dieu
a été non seulement enchaînée mais clouée sur une croix, réduite à rien par les hommes.
Et c’est dans l’acceptation de cette réduction à néant
qu’elle s’est manifestée comme éternellement libre et vivante,
source éternelle d’une alliance qui couvre le péché et la mort,
source éternelle de la vie incorruptible offerte à tous.
À l’imitation de Jésus, Paul est apôtre par sa vie offerte.
Nous pouvons espérer, de l’espérance la plus forte,
appuyée sur la foi dans le sacrifice du Christ offert pour la multitude,
que tous les hommes, de tous temps et de tous lieux, sont choisis par Dieu,
et destinés, par-delà la mort corporelle, au salut et à la gloire éternelle.
Nous pouvons, nous devons même, espérer que tous les hommes, sans exception aucune,
aient part au salut, à la vie et à la gloire de la vivante Trinité.
Nous devons aussi tout faire pour que, dès maintenant, et pas seulement plus tard,
ils vivent de la vie que Dieu leur offre,
pour que, dès aujourd’hui, ils passent de la mort à la vie,
de l’injustice, l’oppression, le meurtre et la guerre, à l’amour qui accueille et donne la vie.
Nous devons tout faire pour que dès maintenant, les hommes rendent gloire à Dieu
en vivant de sa Parole, éternellement mourante et ressuscitante.
Célébrant l’eucharistie, nous venons manger et boire la vie de Dieu pour la transmettre au monde.
« Si nous sommes morts avec le Christ, avec lui, nous vivrons. »
Paul est prisonnier, proche de la mort.
Jésus, lui, marche vers Jérusalem
vers le lieu de sa mort et de son exaltation,
vers l’accomplissement, dans sa chair, du mystère d’amour
qui va sauver l’humanité, l’arracher à la mort et lui donner la vie que nulle puissance ne pourra lui ravir.
Au cours de cette marche, dix hommes viennent à sa rencontre. Ils sont lépreux.
Exclus des vivants, comme morts, exclus de l’assemblée de ceux qui rendent gloire à Dieu.
Ils crient vers Jésus en l’appelant par son nom : « Jésus ! « Dieu sauve » ».
Confrontés à la mort, ils appellent Jésus pour être délivrés de leur mal.
Ils reconnaissent en lui la présence divine, la source inespérée de leur salut.
Appelant Jésus par son nom, ils entrent dans une relation personnelle avec lui.
Obéissant sans hésiter,
c’est en mettant en pratique sa parole – thème cher à st Luc – qu’ils sont guéris.
Mais pour le samaritain, un étranger, un hérétique, une étape supplémentaire est franchie :
reconnaissant le don qui lui est fait, il pénètre dans une relation nouvelle, plus profonde.
Les neuf autres ont dû aller se montrer aux prêtres
qui les auront réintégrés dans le peuple élu, selon la loi de Moïse.
Mais ils n’ont pas compris que Jésus est plus que Moïse,
et que le salut qu’il vient offrir est pour tous et vient de Dieu.
Le samaritain, lui, est tellement saisi par la grâce si gratuite qui lui est faite,
qu’il a la liberté de ne pas accomplir l’ordre de Jésus, de faire demi-tour
et de revenir vers lui pour se prosterner en lui rendant grâce.
Il était à distance et il se retrouve aux pieds de Jésus, comme la pécheresse chez Simon.
Il criait sa plainte, et le voilà qui rend grâce à pleine voix.
Lui seul a « vu » :
il a vu le changement opéré comme un don, et à travers le don il a reconnu le Donateur.
Sa joie est devenue louange.
Jésus lui donne alors l’ordre de se relever : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé. »
Le lépreux guéri doit maintenant être debout, vivant, et aller vers les autres.
D’exclu il est devenu envoyé.
Il est passé non seulement de la maladie à la guérison, mais au salut.
Il a obtenu « le salut qui est dans le Christ Jésus, avec la gloire éternelle » pour reprendre les mots de Paul.
Au début de chaque eucharistie, nous reconnaissons que nous avons péché, que nous sommes lépreux ;
avant la communion, nous reprenons les paroles du centurion : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit », mais Jésus – Dieu sauve, vient à nous, nous guérit, nous libère, nous intègre dans son corps vivant et nous envoie.
Ne vivons pas nos eucharisties en restant à la surface !
« Souvenons-nous de Jésus Christ, ressuscité d’entre les morts » !
Jetons-nous, face contre terre, aux pieds de Jésus en lui rendant grâce.
Frère Hubert
26e dimanche du Temps Ordinaire, année C
28 septembre 2025
Am 6, 1a.4-7 – Ps 145 – 1 Tm 6, 11-16 – Lc 16, 19-31
Frères et sœurs,
Il y a une quinzaine de jours, un journal titrait : « Les riches paient-ils assez d’impôts » et, à l’intérieur un autre article titrait qu’en France, les inégalités augmentaient. Depuis, la polémique enfle sur la taxation des hyper-riches. Les lectures d’aujourd’hui sont donc tout à fait actuelles.
La première lecture, extraite du livre du prophète Amos, qui a vécu au milieu du 8e siècle avant Jésus-Christ, nous montre qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Il y a 2700 ans, Israël a vu sa situation prospérer grâce à des conquêtes militaires, un développement économique important et une administration centralisée qui a fait du peuple de nomades d’autrefois un peuple urbanisé et organisé et, globalement, riche. Mais globalement seulement.
À Samarie, la capitale du Royaume d’Israël, dit Royaume du Nord depuis la partition du royaume de Salomon en deux après la mort de ce dernier, une caste d’hyper-riches dirions-nous aujourd’hui s’accapare les richesses, les nourritures les meilleures, les parfums les plus luxueux. Ils boivent le vin à même les amphores. On s’imagine sans peine la scène. Et cela avec la plus parfaite indifférence envers ce que vit le petit peuple. Déjà la mondialisation de l’indifférence avant la lettre. Et Sion, c’est-à-dire Jérusalem, ne connaît pas une autre réalité.
Et le prophète Amos, parlant au nom de Dieu, n’est pas tendre. Il n’est pas interdit d’avoir des richesses en Israël, et même, la richesse peut être le signe de la bénédiction de Dieu. Mais un psaume dit « Aujourd’hui, si vous amassez des richesses, n’y mettez pas votre cœur. » Or là, les riches de Samarie se sont engloutis dans leurs richesses. Mais la sanction viendra, et elle sera terrible. L’empire assyrien va dévorer peu à peu le Royaume du Nord, Israël, épargnant le Royaume du sud, Juda, et sa capitale Jérusalem. Et Samarie sera prise vers 722 par les troupes du roi Salmanasar V, avec son cortège de cruautés telle que les Assyriens savaient les commettre. Et c’est surtout cette élite d’Israël qui sera déportée en Assyrie. On n’entendra plus parler d’elle. La bande des vautrés n’existera plus. Difficile d’être plus clair dans la prophétie.
L’évangile, lui, constitue une sévère mise en garde. Toutefois, il ne dit pas ce qui arrivera, mais ce qui pourrait arriver si, aveuglés par ses richesses, l’être humain en vient à négliger complètement le pauvre à sa porte. Le récit montre bien à quel point le riche a déjà creusé un abîme avec le pauvre de son vivant. Et l’image des chiens léchant les plaies de Lazare est terrible.
Oui, le riche est dans l’indifférence la plus complète et il ne s’en rend même pas compte. Il ne voit tout simplement pas le pauvre à sa porte. Mais vient la mort, d’abord pour le pauvre semble-t-il, sans doute emporté par sa misère, puis pour le riche, peut-être emporté d’ailleurs par ses festins somptueux. Et là, tout s’inverse : Lazare est emmené par les anges auprès d’Abraham et le riche est enterré, il va au Royaume des morts où il subit la torture. Le riche, dont on ne nous dit jamais le nom, appelle à l’aide, mais pas de miséricorde possible. Un abîme infranchissable existe et l’aide est impossible. Alors, se produit un changement chez le riche. Lui qui était indifférent au sort de Lazare se met à s’inquiéter de l’avenir de ses cinq frères. Il souhaite que Lazare aille les prévenir. Et vient la réponse d’Abraham : « ils ont Moïse et les prophètes (dont le prophète Amos), qu’ils les écoutent. » Le riche pense que la venue de quelqu’un de chez les morts pourrait les convaincre mais cette sentence tombe : « S’ils n’écoutent pas Moïse et les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus. » Rien n’est possible si l’on n’écoute pas la Parole de Dieu. Et le plus grand des miracles n’y changera rien.
Frères et sœurs, il y a ici quelque chose d’effrayant, il faut bien le dire. Le riche semble avoir un peu d’humanité dans la souffrance qu’il vit mais son destin paraît scellé, ainsi que celui de ses frères dont on devine qu’ils ne sont pas en route pour écouter Moïse et les Prophètes. Mais cette parabole est didactique. Elle ne raconte pas une histoire concrète puisque nous ne savons rien de l’identité du riche, mais elle nous invite à un réveil, à un sursaut.
Car il faut bien constater que 2000 ans après le Christ, le risque de ne pas voir les pauvres, la pauvreté ou la misère demeure bien réel pour les gens qui sont tellement engloutis dans leurs richesses qu’ils en deviennent incapables de jeter un regard ou de compatir à la souffrance de leurs contemporains.
Alors, faut-il se mettre sur la paille, tout donner pour les pauvres ? Ce n’est pas ce que le Christ demande. Quelques miettes du repas du riche auraient suffi. Mais le riche était aveuglé. D’ailleurs, dans quelques semaines, nous entendrons l’évangile de Zachée, un autre riche, et là ce n’est plus une parabole mais un récit. Zachée, lui, riche, hyper-riche, est cependant touché par le Christ et accepte de donner la moitié de ses biens (la moitié seulement) et on peut penser que, même s’il est prêt à donner quatre fois plus à ceux qu’il a escroqué, il lui restera encore largement pour vivre. Mais Zachée s’est laissé toucher. « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison », dira le Christ.
Frères et sœurs, avec la seconde lecture qui nous parle des enjeux d’éternité de nos vies quotidiennes, de la Manifestation du Seigneur Jésus-Christ, nous sommes placés devant l’importance capitale des choix que nous avons à faire dans nos vies. Notre vie présente prépare notre vie éternelle. Il ne s’agit pas de rêver au Ciel comme on dit en se désintéressant de la vie sur terre. Nos choix nous préparent ou non à accueillir ou non l’Amour de Dieu. Quel est notre attention aux autres, quels choix faisons-nous pour entrer dans la dynamique de justice que veut le Seigneur déjà sur notre terre, aujourd’hui ?
Il ne s’agit pas de se mettre sur la paille, meilleure façon d’éviter de se poser la question du comment aider les autres, il s’agit d’œuvrer, et d’œuvrer avec d’autres avec des moyens concrets, et il n’en manque pas aujourd’hui, pour lutter contre une indifférence qui nous guette tous. La lecture, hier soir, aux Vigiles, d’un extrait de l’encyclique du pape saint Paul VI Populorum progressio (le Développement des peuples), écrite il y a une cinquantaine d’années déjà, nous donne des pistes concrètes :
« Est-il prêt à soutenir de ses deniers les œuvres et les missions organisées en faveur des plus pauvres ? A payer davantage d\'impôts pour que les pouvoirs publics intensifient leur effort pour le développement ? A acheter plus cher les produits importés pour rémunérer plus justement le producteur ? A s\'expatrier lui-même au besoin, s\'il est jeune, pour aider cette croissance des jeunes nations ? »
On pourrait ajouter aujourd’hui les placements financiers éthiques. Les moyens ne manquent pas.
Si nous invoquons le Seigneur et cherchons vraiment à bouger ou à progresser sur ce chemin, il nous viendra en aide, comme il est venu en aide à Zachée. L’Évangile ne nous donne pas de solutions concrètes prêtes à l’emploi. Dieu est trop respectueux de notre liberté et de notre imagination pour faire de nous des pantins. L’Évangile nous montre un esprit, à nous d’entrer dans cet esprit et d’y persévérer.
AMEN
Frère Jean-Louis
25° Dimanche du Temps Ordinaire, année C
21 septembre 2025
Amos 8, 4-7 ; ps 112 ; 1 Tim 2, 1-8 ; Luc 16, 1-13
Frères & Sœurs, comment réagissez-vous à ces paroles de Jésus sur l’argent ? La finale est claire : « Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. » Quel sens alors faut-il donner à cette parabole du gérant malhonnête ? Elle nous gêne quelque part : en admirant l’astuce de cet homme pour se tirer d’affaire, Jésus nous invite-t-il à faire pareil ? Cela peut nous parler dans la crise profonde que traverse notre pays, une crise qui touche à l’inégalité entre les riches et les pauvres. Essayons d’y voir plus clair.
Je crois qu’il faut partir de la 1° lecture de ce dimanche, la parole du prophète Amos. Là, ce n’est pas une parabole, nous sommes en situation réelle et dans la grande ligne des prophètes d’Israël. Cette injonction faite aux riches, aux marchands sans scrupule, aux traders de tous les temps, elle éclate ici sans qu’il soit besoin d’explication : que font-ils ? diminuer les mesures, augmenter les prix, fausser les balances, tout cela, on le connaît bien, et comme toujours ce sont les pauvres qui en font les frais.
On sait qu’Amos a exercé son ministère de parole dans le Royaume du Nord à Samarie, à une époque où la prospérité économique et la croissance rapide ont entraîné un grand déséquilibre social entre les pauvres et les riches.
Alors Dieu intervient par la bouche du prophète : « Ecoutez, vous qui écrasez le pauvre, vous qui voulez anéantir les humbles du pays… » Et le Seigneur se dresse pour dire : « Cela, je ne peux le tolérer. »
Cela rejoint bien sûr la prière des Psaumes, le cri des pauvres auquel Dieu répond comme dans le ps 11 : « Pour le pauvre qui gémit, le malheureux que l’on dépouille, maintenant je me lève, dit le Seigneur » Ce qui est merveilleux, c’est que Dieu tient sa promesse, comme nous le chantions tout à l’heure : « Toi qui relèves le pauvre, tu es béni, Seigneur !» (ps 112) On pourrait allonger les citations car le psautier est vraiment le livre de la prière des pauvres.
Si nous connaissions mieux la Bible et la tradition juive, nous serions étonnés de voir comment Dieu appelle son peuple à respecter l’étranger, l’immigré, le pauvre et l’orphelin – tout le contraire de la guerre contre Gaza aujourd’hui – Lisez les prophètes Amos et Isaïe qui se dressent contre les riches, et contre un culte extérieur tout de façade que Dieu ne supporte pas : je vous cite Amos au ch 5, c’est Dieu qui parle: « Vos sacrifices, je n’en veux pas ; le bruit de vos cantiques, je ne peux pas les entendre, mais que le droit et la justice jaillissent comme un torrent intarissable. »
Jésus lui aussi s’inscrit dans cette tradition et dans l’évangile de Luc, l’accent est mis sur les pauvres ; option préférentielle de Dieu, pourrait-on dire, mais qu’il nous charge aujourd’hui de mettre en œuvre.
Alors que faut-il penser de la parabole de ce gérant habile ? Certains pourraient dire que Jésus fait l’éloge de la malhonnêteté. Mais c’est plutôt l’habileté de cet homme qu’il met en avant. Il précise en effet que le gérant a usé d’un argent qui ne lui appartenait pas ; il dépouille sans doute un peu le maître, mais il n’écrase pas le pauvre. Et c’est le maître qui fait son éloge !
En agissant ainsi, le gérant a préféré l’amitié des hommes à celui de l’argent. Au final il s’est servi de l’argent, non pour s’enrichir sur le dos des autres, mais pour gagner une place dans le cœur des siens.
Et Jésus nous dit en conclusion : « Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que le jour où il ne sera plus là, ces amis (les pauvres) vous accueillent dans les demeures éternelles. »
A quelle conversion Jésus nous invite-t-il par cette parabole ? Je crois qu’elle porte sur 2 points : le partage des biens et la liberté par rapport à l’argent.
Le partage aujourd’hui, ce sont les pauvres qui le pratiquent, mais l’évangile de Zachée, écouté hier pour l’enterrement du frère Antoine, nous rappelle ce qu’a dit cet homme, qui s’était enrichi sur le dos des autres :
« Je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens » C’est à nous de trouver comment partager aujourd’hui de toutes les manières possibles ; n’est-ce pas ce qu’essayaient de faire les premiers chrétiens, « où l’on mettait tout en commun, où l’on donnait à chacun selon ses besoins ».
Jésus nous appelle aussi à ne pas aimer l’argent ; il ne condamne pas l’argent, il demande seulement de bien nous en servir, de ne pas nous laisser asservir par lui comme par une idole, de savoir rester libre.
Frères & Sœurs, parce que nous sommes chrétiens, baptisés, fils de la lumière, ne faudrait-il pas mieux orienter notre vie vers les biens véritables en jouant la carte du partage et de la solidarité, afin que l’argent qui passe entre nos mains serve vraiment au bien de tous.
Nous allons retrouver cette interpellation dimanche prochain, toujours dans l’évangile de st Luc, avec la parabole de Lazare et du riche. Puisse notre cœur être touché ! Affaire à suivre
Frère Basile
24° dimanche du Temps Ordinaire 2025 - année C
Fête de la Croix Glorieuse
Nb 21/4b-9, Phi 2/6-11, Jn 3/13-17
« Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui… pour que le monde soit sauvé par lui ».
Chers frères et sœurs, c’est le message que veut donner cette fête de « la Croix Glorieuse », laquelle demande quand même quelques explications.
Un premier point à propos de la « vraie Croix » : avant la fête de la sainte Croix, on avait annoncé avec l’empereur Constantin que la Croix de notre Seigneur avait été retrouvée… En fait on a dû retrouver un morceau ou des morceaux de bois... Ce qu’il est bien de souligner, c’est que cette trouvaille se fait sur un lieu de supplice enfoui depuis bien longtemps : donc ce qui est retrouvé confirme que c’est bien le lieu de la mort de Jésus. Cela peut aussi souligner le fait que Jésus n’a pas forcément été le seul à y être supplicié, et peut-être pas le seul à être sur ces morceaux de bois. Nous retrouvons là ce que dit l’Ecriture : « Il a été mis au rang des malfaiteurs »…
Mais maintenant « Croix Glorieuse » ? D’abord une contradiction dans les termes, dans les mots… L’instrument de torture qu’est la croix est-il à mettre en avant avec cet adjectif « glorieux », comme un bijou de valeur ? « Croix glorieuse » ! La croix, c’est d’abord un homme cloué dessus pour qu’il souffre tellement qu’il en meure … supplice inventé par les Romains pour punir les esclaves et les grands coupables, mort atroce parmi d’autres, voulue comme telle.
Je ferai volontiers remarquer qu’il y a une certaine inconscience à porter une jolie croix autour du cou ou sur la poitrine quand on pense à ce qu’ont vécu à leur mort ceux qui sont morts crucifiés. Car justement le mot « crucifix » veut dire exactement « crucifié », il vient du latin « crucifixus ».
C’est plus facile de porter une croix nue qu’un petit crucifix… et nous savons que nous portons la croix comme un signe, emblème de notre foi au Christ, ce Jésus qui est mort mais qui est ressuscité : il nous a ouvert les portes de la vie avec Dieu…
J’ai découvert il y a peu de temps une petite vidéo qui voulait expliquer qu’on défigurait le message chrétien en ne regardant que cette image d’un supplicié… en ne pensant qu’à la fin tragique de ce Jésus broyé par les puissants de son temps.
Mais, chers frères et sœurs, allons plus loin : dans la liturgie du Vendredi saint nous adorons la Croix, c’est le terme employé : cela signifie que la Croix n’est pas alors l’instrument de torture qui a servi à tuer l’Homme Jésus ; nous y vénérons et nous y adorons Dieu dans la mort offerte volontairement par son Fils. (La beauté de ce Christ, derrière moi, œuvre d’artiste reproduisant un Christ de l’époque romane ne nous parle plus du supplice !)
Il y a quelques années un petit garçon est venu avec son père à cette liturgie du Vendredi saint ; il avait bien compris qu’il venait honorer et adorer le Seigneur mort sur la croix : le problème c’est que sa petite taille lui cachait, avec un grand monsieur devant lui, la Croix qu’il approchait en procession devant son papa… Quand le grand monsieur est parti, le petit garçon s’est trouvé devant une grande croix nue : alors il s’est retourné vers son père, l’air perdu : « qu’est-ce que je fais ? Jésus n’est pas là…! »
Bien chers frères et sœurs, oui, c’est bien la question : devant la Croix de Jésus que faisons-nous ?...
Devant la Croix nue, nous pouvons repenser au sacrifice du Christ mort pour nos fautes, mort pour nous ouvrir à nouveau les portes du Ciel : nous pouvons aussi faire cet acte de foi devant un « crucifix », devant le crucifié qui a souffert pour nous.
Mais devant la croix nue, nous pouvons aussi penser à tous ceux et celles qui souffrent à la suite de Jésus : ils ont bien leur place sur cette croix, croix tellement emplie des souffrances de tous les humains.
« Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait ». Concrètement : ce que nous avons fait de mal à notre prochain, c’est au Christ que nous l’avons fait et comme l’a écrit Blaise Pascal, « Jésus agonise jusqu’à la fin du monde »…
Aujourd’hui nous croyons que Jésus dans sa gloire nous sauve du mal, de la méchanceté, de la violence. Nous faisons mémoire d’une vie donnée jusqu’au bout, exemple d’un innocent crucifié, pour que nous revenions vers lui : nous célébrons dans cette Eucharistie le Christ qui donne sa vie et … nous le faisons très humblement, car ce sacrifice est le don le plus gratuit et le plus généreux que Dieu, après s’être fait l’un de nous, pouvait nous faire. « Dieu a envoyé son Fils dans le monde… pour que le monde soit sauvé par lui. » Amen.
Frère Cyprien
23e dimanche du Temps Ordinaire – Année C - Sg 9, 13-18; Philémon 9, 17; Luc 14, 25-33
Notre f. Servan, dans une homélie sur cet évangile, parlait de la « face Nord » de l’Évangile,
comparée à la « face Sud », plus avenante, que nous aurons dimanche prochain
avec la parabole du père miséricordieux et de ses deux fils.
Aujourd\'hui, disait-il, nous sommes plutôt dans la Face Nord aux parois abruptes, un des sommets du radicalisme exigeant de l\'évangile : renoncer aux liens familiaux les plus chers, voire à sa propre vie, porter sa croix, renoncer à tous ses biens.
Nous pouvons être pris de vertige, en regardant la paroi ou le vide…
Je ne suis pas sûr pour autant que la parabole de dimanche prochain soit moins exigeante :
elle nous met sans doute tout autant au pied de la paroi rocheuse.
Aujourd’hui : haïr son père et sa mère, ses frères et sœurs ;
dimanche prochain, la parabole du père miséricordieux nous montrera
que vivre la paternité, la filiation, la fraternité, n’ont rien d’évident.
Quant à la seconde lecture de ce jour, elle nous montre qu’aimer un ancien esclave
– qui plus est est fugitif – comme un frère bien-aimé, nécessite une vraie conversion.
Essayons pour l’heure de mieux comprendre l’évangile d’aujourd’hui.
Plaçons-le dans son contexte, car il ne faut jamais isoler un texte de l’Écriture :
il faut le faire jouer avec tous les autres.
Entre celui de dimanche dernier et lui, st Luc a écrit une parabole, omise par le découpage liturgique de l’année C. Nous écoutons l’année A dans la version de st Matthieu.
Cette parabole est celle des invités à un déjeuner ou un dîner.
Elle peut nous aider à interpréter ce que Jésus nous dit aujourd’hui.
Les invités répondent en effet : J’ai acheté un champ… j’ai acheté cinq paires de bœufs… Je viens de me marier… Je ne peux pas venir.
Dieu nous invite et nous nous récusons. Nous préférons autre chose !
Qu’est-ce qui nous empêche de venir, de répondre à l’invitation de Jésus,
à l’invitation au repas du royaume ?
Qu’est-ce qui nous attache et nous retient ?
« De grandes foules faisaient route avec Jésus. »
Elles font déjà route :
vont-elles entrer dans la maison, répondre au désir du maître et participer à son dîner ?
Jésus brise l’illusion d’un enthousiasme facile :
« Si quelqu’un vient à moi sans me préférer… » Le texte original dit même « haïr »…
Nous savons bien que Jésus ne nous demande jamais de haïr quelqu’un,
encore moins nos proches, ceux avec qui notre vie est intimement liée.
Il nous ordonne au contraire d’aimer notre prochain comme nous-mêmes,
et de nous aimer les uns les autres comme il nous aime.
Or Jésus n’aime pas son Père à nos dépens.
Il ne nous aime pas aux dépens de son Père.
Il ne s’aime pas lui-même aux dépens de son Père ou de nous.
Il ne nous demande pas de l’aimer, de le suivre, aux dépens de nos proches,
aux dépens de quiconque.
Rien ne doit se mettre en travers de notre suite du Christ, de notre amour du Christ, aucune relation,
parce que c’est dans le Christ, avec lui, avec son Esprit, que nous pouvons réellement aimer.
Son appel à aimer est infini, et qui peut, mieux que lui, nous apprendre à aimer,
nos proches comme nos plus lointains ?
St Paul dit : « Tout est à vous, mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu. »
Si quelque chose, quelqu’un, une relation, nous empêche d’être au Christ,
alors il faut s’en détourner.
A l’inverse, toutes nos relations – qui, tant que nous sommes sur terre, sont toujours imparfaites –
toutes nos relations peuvent être des chemins vers le Christ,
et le fruit savoureux de notre suite du Christ.
« Qui ne renonce pas à tous ses biens ne peut être mon disciple. »
Ne rien posséder, ne rien accaparer, parce que tout nous est donné.
Ne cessons pas de recevoir sans cesse l’eau jaillissante :
si nous la recueillons en l’enfermant dans un bocal, elle n’est plus de l’eau vive.
Demeurons sans cesse dans le cœur du Christ
et nous aimerons père, mère, frères, sœurs,
et notre propre vie, avec justesse.
Une des justes paroles pour interpréter l’évangile de ce jour est celle de st Ignace
dans l’ouverture de ses Exercices spirituels :
L’homme est créé pour louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur et par là sauver son âme,
et les autres choses sur la face de la terre sont créées pour l’homme,
et pour l’aider dans la poursuite de la fin pour laquelle il est créé.
D’où il suit que l’homme doit user de ces choses dans la mesure où elles l’aident pour sa fin
et qu’il doit s’en dégager dans la mesure où elles sont, pour lui, un obstacle à cette fin.
Faisons route avec Jésus, laissons sa parole fructifier en nous et devenons ses disciples.
Renonçons à nos biens en ne comptant pas sur nos propres forces,
mais en comptant sur la puissance de Dieu qui nous habite.
Frère Hubert