Homélies
Liste des Homélies
Année C 33e dim ord.
Mal 3/19-20a, 2 The3/7-12, Lc 21/5-19
Homélie du F.Cyprien
« Il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit » … « Ce ne sera pas tout de suite la fin » … « détestés de tous à cause de mon nom, par votre persévérance vous obtiendrez la vie ».
Jésus a donc annoncé la destruction du temple de Jérusalem et tout de suite les auditeurs demandent : « Quand cela arrivera-t-il ? ».
Nous voulons toujours en savoir plus … en particulier sur ce qui va se passer à la fin, la fin du monde bien sûr, objet de beaucoup de suppositions et imaginations,
…occasion pour certains, profitant de la crédulité de gens inquiets, de prédire cette fin du monde pour bientôt.
Jésus est quand même poussé à parler de l’avenir… On interroge un rabbi connu, on attend de lui des paroles qui vont éclairer et rassurer ses auditeurs.
En fait lui, il reprend ce qui se dit à son époque à propos de la fin des temps… et nous remarquons que, dans sa réponse, la destruction du temple ne marque pas la fin du monde…
C’est comme s’il disait : Apprenez que l’histoire des hommes semble aller de catastrophes en catastrophes, avec des faits terrifiants et de grands signes dans le ciel…
Les signes sont importants pour ceux qui ont à cœur de veiller, de prier en attendant dans la foi. Le prophète Malachie nous a dit que le Jour du Seigneur ne doit pas effrayer ceux qui croient, « vous qui craignez mon Nom, le Fils de l’homme, le Soleil de Justice apportera la guérison dans son rayonnement », « Ne soyez pas terrifiés », « Mes pensées sont des pensées de paix et non de malheur, dit le Seigneur Dieu ».
Mais avant tout cela, …« avant tout cela on portera la main sur vous, on vous livrera, on vous jettera en prison ».
Jésus parlait à ceux qui l’écoutaient, …l’Evangile interpelle ceux qui entendent : c’est pour nous maintenant, nous aussi, et notre relation à Lui, le Christ dont nous attendons la venue…
Attendant la fin du monde, la situation présente est donc
= 1) une occasion de témoigner ;
= 2) sans préparer sa défense quand on est traduit en justice;
= 3) en acceptant la possibilité d’être trahis par ses proches, d’être mis à mort…
Témoigner ? Le témoignage c’est l’œuvre, c’est ce que fait le martyr : même mot pour témoin et martyr en grec, la langue de l’Evangile…
(« Je suis baptisé ; je crois que Dieu est mon père –Notre Père qui es aux cieux - ; je crois que Jésus a donné sa vie pour nous : vivant maintenant, ressuscité il me donne son Esprit pour aimer, pour que ma vie ne soit pas pour moi tout seul »)
« Moi-même, je vous inspirerai un langage et une sagesse à laquelle personne ne pourra opposer ni résistance ni contradiction ».
Il s’agit pour les chrétiens de rester en relation vraiment vivante avec celui pour Lequel ils vivent.
« Détestés de tous, à cause de moi»… Détestés de tous : situation redoutable mais peut-être plus enviable que celle-ci : « Quel malheur pour vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous ! C’est ainsi en effet que leurs pères traitaient les faux prophètes».
Le chrétien est un croyant qui agit à cause du Nom de Jésus : saint Paul dit à ses disciples/nouveaux chrétiens: « Je n’ai voulu connaitre parmi vous que Jésus et Jésus crucifié ».
Nous pourrons toujours voir dans les catastrophes d’aujourd’hui le présage d’une fin des temps…la fin d’une civilisation, pourquoi pas ?
Il est plus juste de considérer les persécutions comme la situation logique des disciples, à la suite du Maitre et du Seigneur mourant pour eux.
Vivre en union au Christ, c’est croire qu’il est vivant, ressuscité, bien sûr, mais c’est aussi continuer dans notre chair, dans notre quotidien ce qu’a été la vie de Jésus pour nous.
Notre Eucharistie nous engage à cela et nous croyons le Seigneur quand il nous dit : « Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu. C’est par votre persévérance que vous obtiendrez la vie ».
Dans ma jeunesse j’ai entendu citée cette sentence :
« Entre le passé qui nous échappe et l’avenir que nous ignorons, il y a le présent où est notre devoir »… Notre devoir, oui mais, comme chrétiens, le présent au sens de cadeau…la présence agissante du Christ ressuscité. - 13 novembre 2016
***
Année C - COMMEMORATION DES FIDELES DEFUNTS 2016
Rm 14, 7-9. 10b-12 ; Jn 6, 37-40
Homélie du Père Abbé Luc
« Aucun d’entre nous ne vit pour soi-même…dans notre vie comme dans notre mort, nous appartenons au Seigneur ». Peut-être avez-vous déjà éprouvé, comme moi, combien cette parole de Paul n’est pas si facile à entendre, et à fortiori à vivre. Ne pas vivre pour soi-même, appartenir tout entier au Seigneur pour faire vraiment ce qu’il veut, ce qu’il nous suggère et nous montre au long des jours. Dans l’évangile, nous entendons Jésus s’insérer dans cette dynamique de dépendance profonde à l’égard de son Père : « Je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Jésus s’est mis tout entier au service de la volonté très bonne de son Père qui est de ne perdre aucun de ses enfants et de leur donner la vie au dernier jour. Jésus a appartenu à son Père, en sa vie et en sa mort, pour réaliser la mission qu’il lui avait confiée. Mettre notre foi en Lui Jésus, nous ouvre les portes de la Vie.
En ce jour de prière pour tous les défunts, nous nous souvenons que tel est le bonheur qui nous est promis : appartenir au Seigneur pour recevoir de lui et en notre vie présente déjà et à l’heure de notre mort, cette joie et ce bonheur qu’il veut offrir à tous, sa vie en plénitude. Nous sommes destinés à cette vie pleine qui est déjà en germe dans nos existences présentes. En mesurant combien nous sommes capables de résister dès maintenant à cette vie offerte, pour préférer la vie à notre manière, nous nous confions nous-mêmes et tous nos défunts, à la miséricorde de notre Père. Nous faisons mémoire de la mort et la résurrection du Christ, le seul qui ait accueilli vraiment cette vie du Père pour nous la donner. Qu’Il donne à tous la grâce de s’ouvrir totalement à l’amour et la vie qui est pleine… (2 Novembre 2016)
Année C - TOUSSAINT 2016 - Jubilé 70 ans f. Ghislain
Ap 7, 2-4. 9-14 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a
Homélie du Père Abbé Luc
Frères et sœurs,
Heureux … bonheur…voilà des mots importants pour chacun de nous. Mots chargés d’émotion ou de souvenirs sûrement. Mots chargés de regrets et d’espérances déçues peut-être. Mots que nous recevons ce matin cependant comme une promesse toujours offerte à chacun et à tous par le Christ. Oui, Jésus rejoint notre soif insatiable de bonheur. Il vient même en déployer les horizons de possibilité. Là notre imaginaire peut réduire le bonheur aux images de rêve de relations parfaites, sans ombre, Jésus ouvre une possibilité de bonheur au cœur des relations conflictuelles : « heureux serez-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute à cause de moi ». Là où notre imaginaire peut réduire le bonheur au rêve d’une vie où tout serait sourire, vie tranquille et facile, Jésus l’offre aussi à « ceux qui pleurent, à ceux qui ont faim et soif de la justice, à ceux qui sont persécutés pour la justice, aux artisans aux lutteurs pour la paix »… Notre imaginaire du bonheur, si grand soit-il, est encore trop étroit, trop limité aux succès et aux réalisations réussies. Jésus vient nous offrir le bonheur au cœur même de nos situations apparemment perdues. Quel paradoxe !
St Benoit nous propose-t-il autre chose quand, dès le début de sa règle, il pose la question : « Quel est l’homme qui désire voir des jours heureux ? » De chapitre en chapitre, il va dessiner un itinéraire de vie très concrète qui veut apprendre au moine à ajuster ses rêves de bonheur au grand rêve du Christ sur lui et sur tous ses frères. Là où nous rêvons de reconnaissance, et même de gloire peut-être, st Benoit nous propose le chemin de l’humilité qui conduit à la béatitude des pauvres de cœur. Là où nous rêvons de vivre sans difficulté relationnelle, St Benoit nous engage à supporter patiemment les infirmités physiques et morales de nos frères afin de marcher fraternellement tous ensemble, pas tout seul, vers la vie éternelle. F. Ghislain, tu as suivi ce chemin, depuis 70 ans. Chemin qui est une école de vie, une école de quête du vrai bonheur… Avec toi, que nous ayons quelques mois de présence au monastère, 15 ans, 30 ans ou 74 ans, la vie monastique nous fait « passer de la sainteté désirée à la pauvreté offerte »… « heureux les pauvres de cœur ». Elle nous fait aussi passer de la volonté de tout maitriser à la joie de tout recevoir… « heureux les doux, heureux les cœurs purs »… Pour chacun de nous, que nous soyons moines, prêtres, laïcs mariés ou non, la fidélité durant toute une vie est certainement une lutte. Elle est aussi un don de Dieu reconnu avec gratitude. Elle est encore un don de Dieu, non seulement pour la personne elle-même, mais aussi pour tous ceux qui l’entourent, pour nous tous aujourd’hui. Le témoignage de fidélité de notre f. Ghislain, comme celui de notre f. Albéric, fêté il y a quelques semaines, est une sorte de parabole d’éternité. F. Ghislain, tu as beaucoup cherché à pénétrer le mystère de Dieu, Lui l’éternel, le Tout autre, et dans le même temps, si présent au monde en Jésus Christ. Tu as enseigné ce que tu avais compris et contemplé de ce mystère, à bon nombre d’entre nous, ainsi qu’à de nombreux étudiants dans le monde qui t’en ont reconnaissants. En ce matin, d’action de grâce pour 70 ans de vie monastique, avec ses joies et ses luttes, ta fidélité nous parle de l’éternité. Elle nous fait pressentir en cette vie ce qui demeure en vie éternelle : le désir ouvert à Dieu et aux autres, l’amour désarmé donné aujourd’hui et redonné demain, la joie de se recevoir plus grande que la joie de se posséder… Comme tous les saints dont nous faisons mémoire aujourd’hui, Dieu veut allumer dans nos existences ces lumières d’éternité, précieuses pour chacun et précieuses pour ceux qui nous entourent. Lumières d’éternité fragiles et toujours reçues de nouveau comme un cadeau immérité, et lumières transmises au gré de nos vies données.
Frères et sœurs, que cette eucharistie, unis à l’action de grâce de f. Ghislain, nous donne de hâter le pas, dans nos différents engagements, joyeux de nous donner et de marcher, à la suite de tous les saints, vers cette éternité bienheureuse qui nous est promise. ( novembre 2016)
Année C - 31e dimanche TO (30/10/2016)
(Sagesse 11,23 – 12,2 – Ps 144 – 2 Timothée 1, 11 – 2,2 – Luc 19, 1-10)
Homélie du F.Jean-Louis
Frères et sœurs,
Lors de la réforme liturgique qui a suivi le Concile Vatican II, l’Eglise a introduit assez massivement dans les lectures de la Messe des textes de l’Ancien Testament, avec la conviction qu’Ancien et Nouveau Testament formaient une seule et même Parole de Dieu et avec l’intuition que l’Ancien Testament, déjà, nous parlait du Christ, que le Christ était présent dès le Premier Testament et sans doute pas que le Christ, nous le verrons.
L’épisode de Zachée accomplit ce que Dieu avait annoncé dans le passage du Livre de la Sagesse que l’Eglise nous propose aujourd’hui. Dans le livre de la Sagesse, écrit environ 50 ans et peut-être moins, avant le Christ, le Christ, Parole éternelle du Père, nous dit ce qu’il accomplira avec Zachée, ce qu’il accomplit avec nous, car l’Evangile est toujours un présent pour nous, il est toujours un aujourd’hui. Parcourons à nouveau les textes que nous venons d’entendre.
Dans le passage de la Sagesse, l’auteur, qui s’adresse au Seigneur lui-même, nous dit que Dieu a pitié de tous les hommes parce qu’Il peut tout. Le Seigneur ferme les yeux sur les péchés des hommes pour qu’ils se convertissent. La toute-puissance de Dieu, c’est sa miséricorde.
De la part de Jésus, il n’y aucun reproche fait à Zachée et pourtant, ce que nous dit Zachée de lui-même montre que sa richesse n’a pas été forcément bien acquise. (« Si j’ai fait du tort à quelqu’un, je lui rendrai quatre fois plus »). Rome chargeait les collecteurs d’impôts de l’Empire de récolter une somme fixée dans leur région. Il fallait une somme minimale mais rien n’empêchait les collecteurs d’en récolter beaucoup plus et de se payer avec le surplus. La porte était ouverte à tous les abus et sans doute que Zachée ne s’en est pas privé. Pourtant, aucun reproche de Jésus. Il ferme les yeux selon ce que nous dit du Seigneur le Livre de la Sagesse. Jésus ne dit pas à Zachée en quoi il a péché. Et même, Jésus s’invite chez cet homme peu recommandable et les gens ne s’y trompent pas, ils sont choqués. Zachée est épargné par le Dieu qui aime la vie comme aime à dire la Sagesse.
Mais la Sagesse nous parle également du souffle impérissable de Dieu qui anime tous les êtres et qui pourrait bien être l’Esprit Saint. Ainsi, nous pouvons voir à l’oeuvre, non seulement le Christ mais aussi l’Esprit. Esprit qui anime le désir de Zachée de voir Jésus, désir qui pousse cet homme important jusqu’à cette situation grotesque d’aller grimper dans un arbre. Esprit qui remplit Zachée de joie à la perspective d’accueillir Jésus chez lui. Esprit qui retourne Zachée et le conduit à un changement radical de vie. Là non plus, aucune manifestation ou parole extraordinaire, l’Esprit œuvre dans le cœur de Zachée qui se laisse travailler.
Le psaume 144 qui a été chanté nous annonçait également qui est notre Dieu. « Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère, sa bonté est pour tous, il soutient ceux qui tombent, il redresse tous les accablés » et le péché est certainement un grand accablement. Nous pouvons sans peine reconnaître Jésus comme le Seigneur dont parle ce psaume.
Et pour nous aujourd’hui ?
Ce mot « aujourd’hui » résonne dans notre Evangile « Aujourd’hui il faut que j’aille demeurer chez toi » « Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison » et il entre en écho avec un autre « Aujourd’hui » prononcé par le Christ sur la croix au bon larron, encore un autre homme à qui Jésus ne reproche rien et qui sera retourné « Aujourd’hui, avec moi, tu seras au Paradis » n’est-ce pas un autre Zachée ou Zachée n’est-il pas un autre larron ?
Frères et sœurs, nous approchons de la fin de l’Année de la Miséricorde et le risque est grand de chasser cette année dans les oubliettes de notre mémoire déjà si encombrée.
Je ne suis pas certain que ce dimanche, avec ses rencontres, ses temps de détentes (et tout cela est très bon) soit très propice à nous replonger dans cet évangile mais si nous pouvions trouver un moment, aujourd’hui ou dans la semaine qui vient, pour relire ces passages entendus et réaliser combien, dès le Premier Testament, Dieu se révèle de façon ultime comme celui qui est miséricorde et amour, combien il veut notre Salut, notre libération. Si nous pouvions réaliser de façon profonde que le Christ ne juge pas et donc qu’il ne nous faut pas juger les Zachée que nous pouvons rencontrer mais au contraire poser des actes d’attention tout simples qui retourneront des gens parfois très tourmentés. Pas besoin de grands discours … une attitude suffit. Le Christ n’a pas craint de s’inviter chez un homme peu recommandable.
Les lectures d’aujourd’hui nous parlent du Christ, de l’Esprit, mais elles nous invitent aussi à agir comme le Christ, à mieux le connaître pour découvrir que, vraiment, cela vaut la peine de faire connaître au monde ce Dieu qui est le nôtre, révélé en Jésus Christ et qui nous donne son Esprit pour nous laisser travailler par Lui. N’est-ce pas là la source de la louange qui devrait habiter sans cesse notre cœur ?
Le monde a intensément besoin d’entendre parler d’un tel Dieu. A nous de nous y mettre là où le Seigneur nous a mis, nous envoie.
AMEN. (30 Octobre 2016)
Année C - 29°Dimanche du Temps ordinaire C
1ère lecture : Exode 17,8-13
2ème lecture : 2ème Lettre à Timothée 3,14-4,2
Evangile selon saint Luc 18,1-18
Homélie de F.Matthieu
Le thème de ce dimanche est tout-à-fait clair : le livre de l’Exode, qui nous présente la prière de Moïse pour soutenir le combat de Josué contre les Amalécites, comme l’Evangile, nous parlent de la prière.
"Jésus dit une parabole pour montrer à ses disciples qu’il faut toujours prier sans jamais se décourager."
Au premier abord, le passage de l’Exode nous paraît sans doute étrange, simpliste et surtout bien loin de nous : il semble souligner un lien "automatique" entre la prière de Moïse, son bâton à la main, et la victoire d’Israël, il semble justifier aussi un lien entre la prière et la violence au "tranchant de l’épée".
N’y aurait-il donc rien à en tirer pour nous ?
Remettons déjà les évènements dans leur contexte : l’Israël ancien, comme tous les pays voisins, se représentait volontiers « son » Dieu, comme un chef de guerre, sortant à la tête de ses armées… Le texte corrige subtilement cette représentation trop humaine : oui, dans le combat contre les ennemis, le Dieu d’Israël est bien « avec nous », impliqué directement, mais ce sont les hommes de Josué qui combattent et c’est par la prière confiante de Moïse, soutenu par Aaron et Hour dans sa rude persévérance, que Dieu manifeste son appui : c’est bien la foi, qu’exprime la prière, qui conditionne la réponse de Dieu, qui n’a donc plus rien d’immédiat et d’obligatoire…
Et le texte nous enseigne ainsi des vérités qui, elles, sont toujours actuelles :
- d’abord l’importance de la prière confiante dans les situations difficiles de la vie, une prière qui ne doit pas nous empêcher de "combattre" en notre lieu, mais en croyant que nous pourrons compter sur Dieu et que c’est lui seul qui donne la force et peut donner la "victoire".
- Ensuite, l’importance de la prière d’intercession, la prière pour les autres, comme Moïse "sur le sommet de la colline", tandis que Josué "livre bataille". Il faut croire que nous pouvons demander pour les autres la force de Dieu, quand on les sait dans les difficultés, et que nous ne pouvons apparemment rien faire…
- Enfin, ce texte nous rappelle la solidarité dans le combat spirituel. Quand la ferveur baisse, quand nous ne nous sentons pas exaucés peut-être, il est bon de s’appuyer spirituellement et concrètement, sur un "Aaron" et sur un "Hour", pour tenir dans la confiance. Nous devons croire que nous pouvons nous soutenir les uns les autres dans la Communion des Saints, la grande communauté invisible des priants à travers le monde et au-delà.
Quant au texte de l’Evangile de Luc, il paraît simple, un rien simpliste même. C’est un raisonnement a fortiori : Jésus décrit "un juge qui ne respectait pas Dieu et se moquait des hommes", mais qui finit pas rendre justice à une pauvre veuve, par lassitude et souci de sa tranquillité ; à plus forte raison, Dieu qui est juste et bon, va donc exaucer toutes nos supplications.
Pour Jésus, comme pour l’auteur de l’Exode, l’important est que la prière doit être pleine de confiance, persévérante, "sans se décourager". Car Dieu est "juste", ce qui signifie, dans la Bible, qu’il est fidèle à son Alliance, et attentif à nos besoins, mais … à nos « vrais » besoins.
Jésus évoque les "élus qui crient vers/Dieu/ nuit et jour", dans une situation de détresse, de souffrance, peut-être de persécution, dont le Seigneur va les sortir en "faisant justice". Jésus ne dit pas que Dieu va exaucer leur prière, faire ce qu’ils attentent dans l’immédiat, mais Il dit qu’Il "leur fera justice".
À la lumière de l’ensemble de la Bible, comprenons bien ce que cela signifie, rien de moins que Dieu en fera des justes, qu’il va leur donner sa justice, entendez sa grâce et son amour.
Ces fils de Dieu "crient vers lui jour et nuit" et "il ne les fera pas attendre". La prière doit être d’abord pour nous une prise de conscience du don de Dieu et d’un don déjà offert : rien de moins que notre Salut !
Là où nous ne pensons le plus souvent qu’à un exaucement immédiat de besoins immédiats, Dieu répond à sa manière, en nous assurant le véritable essentiel : le don de sa vie, le don de son Esprit pour la vie qui ne finit pas.
Seulement voilà, ce don ne devient opérationnel en nous que si nous croyons sincèrement en ce Dieu-là, tel qu’il est et non pas tel que nous le « croyons » trop souvent… Il n’est pas le « Grand-Père gâteau », encore moins un « distributeur automatique » … Mais, Il s’occupe, Il s’est occupé de nous par amour, en nous donnant son Fils pour nous donner sa vie... quoi de plus nécessaire ?!
Voilà cette foi dans laquelle il faut tenir, elle est, elle-même, don de l’Esprit car c’est l’Esprit-Saint qui nous est donné en réponse à la prière. Par lui et avec lui, nous devenons capables de vivre dans l’amour la situation qui a motivé notre prière. Dans l’amour et dans la paix qui en découle. Au fond, notre seul travail consiste à accueillir, à consentir, à ce que, sans cesse, Dieu donne.
La vraie foi, c’est de croire que le Père nous aime comme ses fils.
Puissions-nous la garder jusqu’à la fin des temps ! Amen.
- 16 octobre 2016 -
Année C - 28° dimanche du Temps ordinaire -JUBILE
70 ANS DE PROFESSION
De f. Albéric Thibault
09.10.2016
(2 R 5, 14-17 ; Ps 97 ; 2 Tm 2, 8-13 ; Lc 17, 11-19)
Homélie du Père Abbé Luc
Frères et sœurs,
Trois personnages émergent des lectures que nous venons d’entendre : trois témoins d’une foi vivante, Naaman le syrien, un Samaritain anonyme et St Paul l’apôtre ardent. Ils éclairent aujourd’hui un autre témoin : notre frère Albéric, témoin de 70 ans de foi et de fidélité. Sa charte de profession a été déposée sur l’autel. Il y a 70 ans, il avait fait les vœux d’obéissance, de conversion des mœurs et de stabilité, faisant le choix de vivre sous une règle et un abbé.
Je m’arrêterai seulement sur les figures de Naaman le syrien et du samaritain anonyme que la liturgie a voulu rapprocher. Ils ont plusieurs points en commun. Tous deux sont des étrangers au regard du peuple d’Israël. Naaman est un général ennemi qui a combattu contre Israël et le second est une sorte de faux frère hérétique que tout juif bien-pensant se devait d’éviter. Tous deux, atteints de la lèpre, vivent une expérience de foi en venant demander leur guérison à des prophètes juifs, Elisée qui a vécu 850 ans avant notre ère, et Jésus appelé ici « maitre ». Ils ont cette audace. Comment vont-ils être reçus ? Leur démarche peut nous enseigner tous, que nous soyons croyants, hésitants ou en recherche. En effet, tous deux osent franchir une frontière de l’impossible, et aller vers l’inconnu. Naaman va en pays ennemi en faisant confiance à la parole d’une fillette qui lui a parlé de ce prophète guérisseur (je vous invite à relire ce récit en entier, haut en couleur, dans le 2d livre des rois). Et le Samaritain avec ses 9 autres compagnons fait confiance à la parole de Jésus, pour aller faire constater par le prêtre leur guérison, alors que la guérison ne s’est pas encore produite. Celle-ci adviendra en chemin. N’en est-il pas ainsi frères et sœurs, dans de nombreuses situations de nos vies. Nous nous avançons dans l’existence en faisant confiance à une parole, et il se passe des choses que nous n’aurions pas soupçonnées. Nos vies ne sont-elles pas faites de cette somme infinie de confiance accordée à un père, à un maitre, à un ami, à un collègue, à un conjoint, à un frère… F. Albéric, n’en a-t-il pas été ainsi pour toi … ? Il y a 70 ans, tu as fait confiance à cet appel du Christ que tu as reconnu. Comme chacun de nous, tu t’es avancé ensuite sans maitriser ton avenir, mais en faisant confiance qu’il te serait donné jour après jour comme un chemin de guérison et de vie. La vie monastique est une vie très ordinaire. Par le vœu d’obéissance, tu as accepté de faire confiance à de nombreuses paroles et de te recevoir au gré de ce qui te serait demandé : le travail à la ferme, à la lingerie, au magasin aux fromages et à la philatélie, les différents services, la vie des groupes...
Et aujourd’hui, 70 ans après, tu veux rendre grâce avec nous au Christ qui te dit : « Va ta foi t’a sauvé ». Comme Naaman et le Samaritain, tu vas au bout de l’expérience de confiance vécue fidèlement en célébrant la miséricorde du Seigneur pour toi. N’est-ce pas cela faire l’expérience d’être sauvé ? Pouvoir peu à peu, au gré de nos confiances renouvelées jour après jour, reconnaitre Celui qui prend soin de nous et qui nous guérit. Peu à peu, de confiance en confiance, le visage du Christ s’éclaire, et nous pouvons lui dire plus en vérité notre louange aimante.
F. Albéric, tu as vécu simplement et fidèlement le chemin de la foi au sein de la communauté, en laissant le Christ te guérir et te sauver. Avec toi, en cette eucharistie, nous faisons mémoire de Jésus qui, jusqu’à la mort, a fait confiance à son Père dans l’assurance qu’il le ressusciterait. Ensemble rendons grâce pour cette confiance du Christ qui nous a ouvert et assuré la voie de la confiance jusqu’à l’heure de notre mort. - 9 Octobre 2016 -
Année C - 27e DIMANCHE du temps Ordinaire – 2 octobre 2016
Hab 1,2 - 2,4; 2 Tim 1 6-14; Lc 17 5-10;
Homélie du F.Hubert;
Si vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi.
Nous sommes un peu perplexes devant cette parole de Jésus…
Qu’est-ce que cela veut dire ?
Il faut reconnaître que le sens de ces versets sur la foi et le service,
tels que St Luc les place dans son évangile, n’est pas d’une grande clarté.
Essayons de comprendre quand même, et surtout de nous laisser toucher.
Jésus vient de parler à ses disciples sur le pardon des offenses.
Maintenant, ce sont les apôtres qui questionnent Jésus,
et Jésus n’est plus appelé par son nom mais désigné par le titre de « Seigneur ».
L’usage rare du mot « apôtre » et du titre « Seigneur » par St Luc,
suggère qu’il parle ici de ceux qui sont envoyés par Jésus Seigneur,
pour préparer sa venue, annoncer la Bonne nouvelle.
Et à travers eux, à tous ceux qui ont mission dans les communautés chrétiennes.
Et tous les baptisés ont mission.
Comme y insiste beaucoup le pape François, le chrétien ne peut être chrétien sans être missionnaire.
Face au pardon des offenses, face à une telle mission, qui peut se sentir de taille ?
D’où sans doute cette question : « Augmente en nous la foi : »
La réponse de Jésus et la parabole du simple serviteur semblent vouloir dire :
« Faites confiance, soyez sans crainte. Faites ce qui vous est commandé.
Ne mesurez ni votre foi, ni votre service.
Je vous envoie : accomplissez votre mission. Ne portez pas plus que votre charge.
La conversion de chacun, l’accueil de la Bonne nouvelle, la venue du Royaume,
c’est mon œuvre, à moi, le Seigneur.
Votre foi, si petite soit-elle, est toute-puissante ; elle peut de grandes choses. »
Elle peut de grandes choses parce qu’elle est confiance en la Parole de Dieu, incarnée en Jésus,
qui pardonne, libère, guérit, fait surgir la vie, établit la communion entre les êtres,
fait advenir un monde nouveau.
L’encyclique « La lumière de la foi », préparée par Benoit XVI et promulguée par le pape François,
nous dit :
La foi non seulement regarde vers Jésus, mais regarde du point de vue de Jésus, avec ses yeux :
elle est une participation à sa façon de voir.[…]
Dans la foi, le « moi » du croyant grandit pour être habité par un Autre, pour vivre dans un Autre, et ainsi sa vie s’élargit dans l’Amour. Là se situe l’action propre de l’Esprit Saint. Le chrétien peut avoir les yeux de Jésus, ses sentiments, sa disposition filiale, parce qu’il est rendu participant à son Amour, qui est l’Esprit.
Ne pas nous regarder nous-mêmes, ne pas évaluer notre foi ou notre service,
mais nous laisser habiter par le Seigneur, faire confiance en l’Esprit qui est à l’œuvre à travers nos vies.
Peut-être que l’image du sycomore, considéré comme indéracinable,
mais déraciné quand même et planté dans l’immensité de la mer,
peut être une image de chacun de nous,
déraciné de lui-même et enraciné dans l’infini de l’Esprit même de Dieu,
cet Esprit qui peut tout pour la vie, la vie véritable, pour la communion véritable,
l’harmonie de tous les êtres en Dieu même.
Alors, avec le centurion dont Jésus dit : Même en Israël, je n’ai pas trouvé une telle foi.
avec les disciples d’Emmaüs, à qui Jésus reproche :
Comme votre cœur est lent à croire ce que les prophètes ont dit !
avec les apôtres qui demandent : « Augmente en nous la foi ! »
avec tous ceux à qui Jésus dit : « Ta foi t’a sauvé. »
demandons l’Esprit Saint, demandons de vivre du Christ, pour le Christ, avec le Christ,
lui qui fait toute chose nouvelle, le monde nouveau.
Je termine avec encore cette citation du pape François dans « La joie de l’Evangile » :
Dans toute la vie de l’Église, on doit toujours manifester que l’initiative vient de Dieu,
que c’est « lui qui nous a aimés le premier » et que « c’est lui seul qui donne la croissance ».
Cette conviction nous permet de conserver la joie devant une mission aussi exigeante
qui est un défi prenant notre vie dans sa totalité.
Elle nous demande tout, mais en même temps elle nous offre tout. - 2 octobre 2016
Année C -26e dimanche ordinaire - 25 septembre 2016
Amos 6, 1…7 I Tim. 6. 11-16 Luc 16, 19-31
Homélie du F.Ghislain
Nous connaissons bien l’histoire du pauvre Lazare, que la lecture de l’évangile d’aujourd’hui nous a, une fois de plus, rappelée. Permettez-moi de revenir sur ce qui nous est raconté à la fin de la parabole. Le riche qui souffre en enfer voudrait qu’un revenant, Lazare, aille prévenir ses frères de ce qui les attend s’ils font comme lui et ne se préoccupent pas des pauvres. Abraham, à qui la requête est adressée, répond : « Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent », et il répète cette injonction : « S’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, quelqu’un pourrait bien ressusciter d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus », et donc, ils ne reconnaîtront pas le pauvre.
Puisque nous lisons cet évangile aujourd’hui, c’est bien parce que nous croyons qu’il nous est destiné. C’est d’ailleurs pour nous, après que Jésus ait ressuscité d’entre les morts, que saint Luc l’a écrit. C’est donc à nous que s’adresse la phrase : « Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent » et, spontanément, nous entendons aussi : « ils ont l’évangile et tout le Nouveau Testament, qu’ils les écoutent ».
Beaucoup d’entre nous, dans cette assemblée, sont abonnés à « Prions en Eglise » ou à « Magnificat » : certains ont même mis dans leur smartphone l’application de la « Prière des heures », afin de pouvoir à un moment libre activer le site et dire la prière qui correspond à l’heure de la journée. Parfois ils se retrouvent en groupe pour partager un texte de l’Ecriture et pour vérifier la présence de l’évangile dans leur vie. Nous, les moines, nous essayons de faire pareil. Ainsi, petit à petit, de forme, se maintient, progresse dans le cœur une mentalité évangélique qui permet alors de faire attention aux Lazares qui se trouvent sur le chemin, de le faire avec respect, profondeur, efficacité, persévérance. Ceux d’entre nous qui n’ont pas cela, ou pas encore, pourraient se demander : comment est-ce que je reste en contact avec Moïse, les prophètes, Jésus et son évangile, saint Paul ? Comment est-ce que je garde mon cœur sensible au mal qui frappe les hommes ? Comment est-ce que j’identifie le Lazare qui est à ma porte ? Car c’est de cela qu’il s’agit : où est le Lazare à ma porte ? De celui-là, je suis responsable. Des autres, d’autres prendront soin, de sorte qu’il y ait comme un immense filet protecteur, dont je ne suis qu’une maille, mais il ne faut pas que cette maille lâche !
Ceux qui se sont trouvés proches des endroits où il y eu des attentats ou des tremblements de terre (et ni les uns ni les autres n’ont manqué cette année) sont souvent admiratifs devant le nombre de gens qui se mobilisent, donnent leur temps, leur compétence, leur disponibilité pour porter secours. Comme si, dans les moments extrêmes de la vie sociale, le meilleur de soi-même se réveillait spontanément et portait à la générosité. Quelque chose de fort peut se construire, au travers des désastres.
Mais il y a le quotidien, moins spectaculaire, mais tout aussi lourd à porter. C’est pour celui-là que cette parabole a été dite par Jésus. Ici, Lazare qui est-il ? Le pape François nous parle souvent de ce qu’il appelle les « périphéries » : les banlieues, les squatts, les hôpitaux…Il y a les migrants, qui, ayant dû tout quitter, se trouvent sans feu ni lieu. Il y a Calais. Il y a les villages qui se fabriquent ici et là, au cœur même des villes, ce qu’on appelle le Quart Monde. Il y a aussi, dans tous les espaces de la société bien des misères cachées, des souffrances tues. Là encore, bien des gens ne manquent pas à l’appel. Il y a les « assistantes sociales », il y a, dans les mairies, le bureau des réfugiés, il y a les bénévoles qui vont dans les hôpitaux ou les EPAD visiter les malades et les vieux. Il y a, en dehors de toute institution, ceux qui tâchent de faire face à une misère qui se manifeste.
Ce réseau de l’amour miséricordieux, nous le rejoignons pour notre petite part à la mesure de notre connaissance de l’évangile, de la présence à notre cœur de Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié. Et cela se fait grâce à notre écoute de Moïse, des prophètes, des évangiles. Réciproquement, notre engagement pour le pauvre au point de notre rencontre authentifie cette écoute
Deux choses, inattendues peut-être, nous aideront à ce que notre maille ne lâche pas dans le filet de l’amour. La première est de découvrir : Lazare, c’est moi. Les ulcères, les pauvretés, les mépris et toutes choses de ce genre, qui de nous n’a pas eus, n’a pas eu à en souffrir ? Si tu veux soulager le pauvre, accepte d’être pauvre toi-même. Si tu acceptes d’être pauvre, tu découvriras intuitivement le mendiant qui est à ta porte, car il n’y a que des mendiants à nos portes, et nous en faisons partie. Alors tu comprendras la seconde chose qui importe : celui qui qui aide et qui soulage, c’est souvent Lazare lui-même. Quand on s’approche d’un Lazare, peut-être faut-il d’abord l’écouter, l’entendre, découvrir la richesse cachée sous les lambeaux matériels ou humains qui le vêtent, la générosité dont il est capable, le bien qu’il peut faire. Peut-être ce qui se rencontre, ce sont deux mendiants. Alors on le soulagera, alors il nous soulagera : cela va ensemble. Un prêtre qui a passé sa vie dans les périphéries a écrit un livre intitulé « Les pauvres m’ont évangélisé » comme lui-même avait tenté d’évangéliser les pauvres. Tout est réciproque.
Ainsi, en méditant cet évangile, nous sentons grandir en nous l’espérance pour l’engagement pour tous, le bienfait pour tous et de la part de tous. (25 septembre 2016)
Année C - 25ème dimanche du temps ordinaire année (septembre 2016)
Am 8 4-7; 1 Tim 2 1-8; Luc 16 1-13
Homélie du F.Bernard
L’argent malhonnête, l’argent trompeur, l’argent d’injustice, pour être plus près du texte grec, l’argent sale, pour parler plus communément…Mais ces qualificatifs ne concernent pas vraiment l’argent, qui après tout n’est rien qu’une monnaie d’échange entre des biens, plutôt l’usage qu’on en fait. C’est l’homme qui est malhonnête, trompeur, injuste, dont le cœur peut être dit ‘sale’.
Cependant, nous le savons bien, nous pouvons nous laisser accaparer par les choses, fasciner par elles, tout particulièrement par l’argent qui donne le pouvoir. Nous pouvons aller jusqu’à tout lui sacrifier, notre temps, nos affections, notre conscience. Il devient alors le but de notre vie, une idole, un dieu, le dieu Mammon. Mammon, ce mot araméen se trouve deux fois dans notre évangile. Il signifie simplement ‘possession ou richesse’ dans la langue de Jésus. Mais utilisé par nous, il renvoie à cette parabole et désigne l’argent devenu dieu, le dieu Mammon.
La première lecture évoquait la situation sociale de l’Israël du Nord, la Samarie et la Galilée, au VIIIème siècle av.J.C., au temps du roi Jéroboam II, période de grande prospérité économique, mais aussi marquée par l’injustice sociale que le prophète Amos dénonce ici avec véhémence. Je cite :« Nous allons diminuer les mesures, augmenter mes prix, fausser les balances, acheter le pauvre pour une paire de sandales ». Toutes pratiques commerciales à la limite de l’honnêteté ou même franchement frauduleuses, accompagnées comme toujours du mépris du petit et du faible, en contradiction flagrante avec l’Alliance conclue entre le Dieu d’Israël et son peuple, qui condamne le vol et le mensonge, mais demande plus encore d’aimer son prochain comme soi-même.
Période de prospérité économique précaire, puisque quelques dizaines d’années seulement après la prédication d’Amos, le Royaume d’Israël, le Royaume du Nord sera absorbé par l’Assyrie et disparaitra pour toujours de la carte politique.
Ce rappel historique et ce passé prophétique nous aident à entrer dans l’intelligence de l’Evangile de ce jour. De quoi s’agit-il ?Une parabole de Jésus qui prend la suite des 3 paraboles de la miséricorde entendues dimanche dernier (Lc 15). Mais le public a changé. Jésus s’adresse maintenant à ses disciples. Une parabole mettant en scène un riche propriétaire agricole et son gérant, lequel n’agit sans doute guère autrement que les contemporains d’Amos. Mais la situation sociale a peut-être changé, et s’est-elle quelque peu moralisée. En tout cas le gérant malhonnête est repéré, dénoncé, sanctionné, licencié. Dans le peu de temps qui lui reste à la tête des affaires de son maître, il se livre à d’autres pratiques frauduleuses : il falsifie les factures du propriétaire, en diminue les montants, à la grande satisfaction bien sûr des clients, dont il se fait par là des amis pour l’avenir.
Le maître est au courant de ces nouveaux agissements, mais à notre grande stupéfaction il ne condamne plus son gérant mais fait maintenant son éloge de se faire ainsi des amis. Nous comprenons alors qu’une parabole n’est pas une petite histoire à prendre telle quelle : elle est une mise en situation destinée à nous faire réfléchir à notre propre existence. Jésus enseigne par là à nous faire des amis dans les ‘ demeures éternelles’ avec les biens périssables de ce monde présent.
Mais l’Evangile ne s’arrête pas là. Il comporte une suite qui continue à nous déconcerter. Ce gérant malhonnête, loué pour se faire des amis avec l’argent de son maître, le voilà qu’il est déclaré ‘digne de confiance pour une petite affaire’, les affaires de ce monde. En fait ces dernières paroles de Jésus évoquent plutôt une autre situation, celle de la parabole des talents, selon Matthieu, ou des mines selon Luc. La maître avant de partir pour un lointain pays confie à ses serviteurs sa fortune pour qu’ils la fassent fructifier. Il s’agit maintenant de faire preuve de diligence, de compétence, dans la gestion des biens, de telle sorte qu’à son retour le maître puisse dire au bon serviteur : « En peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t’établirai. »
La leçon est claire. L’argent trompeur, ce bien étranger, est mis à notre disposition non pas pour que nous nous laissions dominés par lui, et par là dominions nos frères, mais pour le bien de tous ceux dont nous avons la charge. Une chose est sûre : nous ne pouvons pas à la fois servir Dieu et L’Argent, Mammon.
Demandons au Seigneur d’éclairer nos consciences chaque fois que les biens périssables de ce monde accaparent trop notre cœur, et risquent de nous faire oublier notre destinée de fils et filles de Dieu. (18 septembre 2016)
Année C - 24° dimanche du Temps Ordinaire - 11 septembre 2016
Ex 32 7-14; 1 Tim 1 12-17; Luc 15 1-32;
Homélie du F.Vincent
Nous venons d’entendre un des plus beau texte de l’évangile de St Luc. Je ne parlerai que de la 3ème de ces trois paraboles, celle -si belle- du Père et des deux fils.
Avant d'aller plus loin, je voudrais m'arrêter sur un mot : nous lisons qu'au retour du fils prodigue, le père fut "saisi de compassion", d’autres traductions disent "pris de pitié ». C'est traduire beaucoup trop faiblement le mot grec correspondant esplagkinisté. Ce mot évoque un remuement d'entrailles. On dirait aujourd'hui de façon un peu crue : en le voyant, le père fut "pris aux tripes". Il ne s'agit pas d'une émotion à fleur de peau mais d'un bouleversement de l'être en profondeur. La voix du sang ! La joie du père surgit d'une crainte mortelle enfin réduite en cendres. "Mon fils était perdu et il est retrouvé. Il était mort et il est revenu à la vie".
Cette parabole nous parle essentiellement du PARDON. Le pardon pour Dieu est quelque chose qui le prend tout entier ; quelque chose qui vient des profondeurs de son Être.
Je disais que " saisi de compassion " ou "pris de pitié" était une traduction trop faible. Le mot " pardon " lui aussi risque dans notre langage courant de s'être un peu affadi, le pardon ce n'est pas l'oubli : on ferme les yeux parce qu'on ne peut pas faire autrement et qu'on veut avant tout sauvegarder sa paix.
Le pardon est un acte risqué ; il est l'acte des forts. Il existe là où quelqu'un menace effectivement une autre existence, l'existence d'un amour, l'existence d'une relation plénière entre deux êtres, comme ici dans la parabole des 2 fils.
Le pardon est un acte risqué car il est fondé sur l'espérance que la bonté, ouvrant au " malfaisant " un espace autre que sa logique du mal, le fera accéder à un autre choix moins inhumain, moins destructeur de la relation, de l'amour.
Le pardon est un acte créateur; accepté, il ouvre à nouveau à celui qui avait trahi, la possibilité de revivre ; la possibilité de recréer une nouvelle relation. Je lisais l'autre jour dans un commentaire sur l'enfant prodigue : " Le Père va pouvoir aimer son fils à nouveau... comme si rien ne s'était passé ". Et bien non ! Il ne s'agit pas d'une parenthèse qu'on referme. Il s'agit d'une re-création : "il était mort et il est revenu à la vie ".
Tout cela peut nous paraître bien abstrait, mais Jésus n'a pas pardonné abstraitement. Seul peut pardonner au tortionnaire, celui qui a été torturé. Si Dieu pardonne aux criminels sans s'être identifié à leurs victimes, son pardon est abstrait. Mais le pardon donné par Jésus au moment de sa mort : " Père, pardonne-leur " est un pardon qui est lourd de toute son histoire. Jésus vient d'être poursuivi, calomnié, bafoué, ridiculisé, condamné, et il meurt comme un criminel et un blasphémateur. En pardonnant, Jésus espère que la logique de mort dont il est victime n'aura pas le dernier mot. Le pardon de Jésus sur la Croix, comme tout pardon, dont il est le sommet, ouvre la possibilité d'un avenir.
Car oui, le pardon ouvre un avenir, et l'attitude du fils aîné, dans notre parabole (en comparaison de celle du père) peut nous éclairer sur ce point. L'homme qui s'enferme dans la haine, ou comme ici dans la jalousie, désire éliminer celui qu'il hait ou qu'il jalouse. Il souhaite l'enclore dans la mort, de sorte qu'il n'existe plus pour lui - et c'est bien ce qui se passe ici où le fils aîné refuse de se joindre à la fête, refuse de reconnaître que son frère qui était mort est revenu à la vie.
Seul le pardon est créateur de vie, est re-créateur de vie et permet de repartir - tout en assumant le passé - sur des bases nouvelles. Il y a comme une fragilité dans cette vie qui renaît, dans cet amour qui repart après la faute et le pardon. Et c'est ce qui fait toute sa beauté.
Jésus nous dit, dans la parabole des 2 fils, que Dieu lui-même a fait cette expérience, et la joie qu'il éprouve à pardonner, le saisissement qui l'envahit quand il retrouve ses enfants, c'est l'émotion de celui qui voyait déjà détruit ce qu'il aimait et qui frémit encore de ce qui serait arrivé s'il n'avait pu les retrouver, s'il n'avait pu, en leur pardonnant, les rendre à la vie. Le pardon après la faute c'est comme la Résurrection après la mort ; c'est le point de " re-départ" pascal.
La mort du Christ nous révèle ce qu'est la toute-puissance de Dieu ; qu'elle est une toute-puissance de pardon car le pardon c'est la gratuité même de l'amour.
Et l’Eglise est la communauté des pardonnés de Dieu. L'Église devrait être aussi la communauté de ceux dont l’amour fraternel est toute miséricorde et tout pardon, cet entier pardon qui est une chose divine que nous n'apprenons que de Dieu.
Nous allons entrer dans l’eucharistie, nous dirons aussi tout à l’heure « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons » ; reprenons conscience que nous sommes des pardonnés de Dieu et que cela nous invite à être à notre tour des pardonnants. (11 septembre 2016) FIN