Homélies
Liste des Homélies
Année A - 25e DIMANCHE T. O. - 20 septembre 2020
Matthieu 20, 1-16
Homélie du F.Hubert
Dans sa Règle des moines, st Benoît, quand il parle de l’ordre en communauté, dit : « on gardera les rangs comme ils sont établis par le temps de l'entrée en religion… Celui qui arrive au monastère à la deuxième heure du jour se considérera comme plus jeune que celui qui est arrivé à la première heure, quel que soit son âge ou sa dignité ». Est-il en contradiction avec notre évangile. Non, il refuse que prévale la loi du plus fort. St Benoît refuse que l’âge, le rang social, les capacités intellectuelles ou manuelles, les convenances sociales, déterminent l’ordre en communauté. Et il ajoute : ils feront ce qui est écrit : « Prévenez-vous d'honneurs mutuels ».
Quand il parle de l’appel en conseil, il veut que l’abbé convoque toute la communauté, car
« souvent le Seigneur révèle à un inférieur ce qui vaut le mieux. » L’inférieur, c’est ici le dernier arrivé.
Dans cette célébration, quel que soit notre âge, la Parole de Dieu vient de nous être adressée.
Dieu nous parle à chacun, nous fait don de sa Parole.
Tout à l’heure, que nous ayons 20, 50, 90 ans,
nous allons recevoir dans notre corps le Corps du Christ pour être rempli de son Esprit vivifiant.
Dieu ne se donne pas plus à l’un qu’à l’autre. Il se donne totalement. Si nous savons le don de Dieu !
Mais si nous nous comparons aux autres, si nous nous croyons plus méritants que nos voisins,
si nous estimons avoir un droit quelconque à ce don que Dieu nous fait, alors tout est par terre.
Nous rejoignons le pharisien qui se glorifiait de sa conduite et méprisait le publicain
dont la prière était accueillie par Dieu. Et c’est le publicain qui rentra chez lui justifié.
Jésus a été confronté à la résistance de ceux qui, dans son peuple,
mettaient leur énergie et leur confiance dans l’observance de la Loi et des préceptes de la tradition,
et critiquaient Jésus pour son accueil des publicains, des pécheurs et des païens.
Lorsque, plus tard, Matthieu rédige son évangile, ce sont les judéo-chrétiens
qui récriminent contre l’arrivée massive de païens dans les communautés chrétiennes.
Le Royaume n’est pas plus offert aux seconds qu’aux premiers, mais, offert comme un don,
il ne peut être reçu que par ceux qui l’accueillent comme un don, totalement immérité,
dans l’émerveillement et la reconnaissance.
Il faut des cœurs dépossédés d’eux-mêmes, pour le recevoir,
des cœurs humbles, solidaires de tous, qui ne se prévalent d’aucun droit.
Saint Paul proclamera avec vigueur la gratuité du salut.
Heureux les pauvres de cœur : le royaume des cieux est à eux !
Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu !
Pauvres ouvriers de la première heure :
ils n’étaient ni pauvres ni purs de cœur, puisqu’ils récriminaient !
Jésus les invite à une double conversion :
S’ouvrir à la gratuité du don de Dieu pour eux-mêmes,
s’ouvrir à la multitude des autres que Dieu veut combler pareillement.
Ceux qui récriminent n’ont rien compris encore.
Ils sont comme Jonas, fâché à mort que Dieu veuille pardonner à ces païens de Ninivites,
qui ne connaissaient même pas la Loi.
Notre parabole ne nous parle pas de justice sociale :
elle est une fenêtre, un dévoilement, sur le Royaume des cieux.
Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre,
autant mes pensées sont élevées au-dessus de vos pensées.
Les publicains et les prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu. (Mt 21,31)
En Jésus Christ, vous êtes tous fils de Dieu par la foi….
Vous avez revêtu le Christ ; il n’y a plus ni Juif ni païen, il n’y a plus ni esclave ni homme libre,…
tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus. (Ga)
Nous sommes bien aveugles et nous nous faisons illusion,
si nous croyons avoir des droits sur Dieu et des droits comparativement aux autres.
Notre regard devient alors mauvais, alors que Dieu est bon.
« Que le méchant abandonne son chemin,
qu’il revienne vers le Seigneur qui lui montrera sa miséricorde,
vers notre Dieu qui est riche en pardon.
Car mes pensées ne sont pas vos pensées. »
F. Damase nous disait dimanche dernier :
« Trop petit est le nombre des chrétiens, qui ont conscience d'être des pécheurs pardonnés. »
Nous pourrions aussi voir dans le denier reçu le don sans mesure qu’est le par-don de nos péchés.
Quel que soit notre itinéraire, qui d’entre nous est plus digne qu’un autre d’être pardonné par Dieu ?
« Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ».
Qui que nous soyons, Dieu nous libère du mal, dans son amour en excès.
Reprocherons-nous à Dieu de pardonner à ceux que,
contrairement à sa demande, nous jugeons pécheurs ?
Le denier qu’est le Corps du Christ va être déposé tout à l’heure dans nos mains :
ce sera la « communion » ;
saurons-nous être en communion, avec Lui, avec nos frères et sœurs ?
Année A –24° dim du T Ord – 13 sept 2020
Si 27.30-28.7 ; Ro 14 7-9 ; Mt 18 21-35 –
Homélie du F.Damase
L’évangile de ce dimanche nous entraînent au cœur de notre relation avec Dieu, à travers un "fait ordinaire" : la question de Pierre à Jésus. Jusqu’où peut aller le pardon ? A première vue, la réponse paraît simple : il faut toujours pardonner, il faut tout pardonner, il n'y a aucune limite au pardon. Jésus va nous expliquer le pourquoi de son attitude, à l'égard de chacun d'entre nous.
1 Comme nous, Pierre désire savoir jusqu'où il doit aller dans le pardon pour être un vrai disciple de Jésus. Comme nous, Pierre demande le montant de la créance qu'il peut accorder à celui qui l’a offensé.
Jésus va inverser les rôles. Avant de se considérer comme créancier, le disciple doit d'abord se considérer comme débiteur, d'une dette énorme, vis-à-vis de Dieu. De plus, Dieu ne cesse jamais d'être pardon parce qu'il n'est que tendresse et amour. Ainsi pardonné, le débiteur retrouve la liberté et la vie.
2 La parabole se poursuit. Comment, après une telle remise de dette, oser se montrer soi-même créancier impitoyable envers le modeste débiteur qu'est le frère qui nous a offensé ? La clé de la compréhension est de l'ordre de la foi, de ma relation avec Dieu.
Si le pardon est si difficile entre frères, c'est que nous ne mesurons pas l'ampleur du pardon de Dieu à notre égard. Au fond, nous ne prêtons pas attention au fait que Dieu nous pardonne.
3 Trop petit est le nombre des chrétiens, qui ont conscience d'être des pécheurs pardonnés. Trop grand est le nombre des chrétiens qui confondent le sens du péché et la culpabilité ; ainsi ils vivent mal leur relation à Dieu. On est coupable devant un juge dont on attend une condamnation. On est pécheur devant Dieu dont on sait que l'on obtiendra toujours le pardon, parce qu'il est amour, et que l’amour ne condamne pas.
Si l'on considère Dieu comme un juge qui nous condamne, nous serons nous-mêmes des juges qui condamneront les coupables qui nous ont offensés. Au contraire, si nous considérons Dieu comme amour et pardon des pécheurs que nous sommes, comment ne pas être nous-mêmes,..amour qui relève, pardonne, rend la vie et la liberté ?
4 Etre capable de pardonner aux autres, c'est reconnaître le pardon que nous avons déjà reçu de Dieu. C'est permettre au pardon de Dieu de prendre toute sa dimension en nous et vis-à-vis de nos frères.
Quand nous prions le "Notre Père", nous ne demandons pas à Dieu de nous pardonner en récompense du pardon que nous accordons aux autres. Nous lui disons notre désir de partager son pardon avec tous nos frères.
5 Je ne suis jamais seul à seul avec mon frère. Dieu est notre Père commun. Mon frère est avec Dieu. C'est pourquoi les deux premiers commandements ne font qu'un.
Nous sommes toujours trois dans l'amour et le pardon : Dieu, mon frère et moi. Nul ne peut vivre en autarcie. Je dois prendre conscience que nous sommes liés par Dieu et en Dieu
Puisque nous partageons ensemble cet amour que Dieu nous porte, je ne puis que le traduire dans mon attitude l'un envers l'autre. Là est le réalisme de la vie spirituelle. - (530 mots)
année A - 23ème Dimanche ordinaire - 6 Septembre 2020
Ez 33/7-9 ; Ps 94 Rm 13/8-10 ; Mt 18/15-20
Homélie du fr. Antoine
Frs et Srs, l'Evg de ce Dimanche est particulièrement encourageant... du début à la fin, le récit nous révèle un Christ qui espère en l'homme, un Christ qui croit en l'homme, et donc un Christ qui croit en nous et en notre capacité de grandir et d'aimer.
Et en même temps, cet Evg nous montre que Jésus ne se fait pas d'illusion sur ce que nous sommes ... Le texte commence par... « si ton frère a commis un péché » Quel frère? un frère de sang? un frère d'une communauté ? … ce manque de précision ne nous donne-t-il pas un avertissement discret.. sur nos attitudes.. nos comportements personnels.. qui pourraient bien nous mettre, un jour, dans la même situation que ce frère... nous sommes invités à l'humilité.
« Si ton frère a commis un péché ... ». C'est-à-dire s'il a commis un ou des actes en rupture
avec sa foi, avec lui-même, avec les autres,... et bien... « Va lui parler»
Parler et Ecouter ... mots essentiels de ce qui est une correction fraternelle proposée par Jésus aux disciples afin de montrer comment vivre tous ensemble sous le regard de Dieu.
Correction fraternelle qui n'est pas un jugement mais une quête de réconciliation, pleine d'une bienveillance qui provoque une source de rencontres...d'abord seul à seul, puis à plusieurs et enfin avec l'Eglise.
Le Seigneur Jésus, par ce climat de bienveillance fraternelle nous invite ainsi à conduire vers la vie.. toute personne que nous connaissons bien et qui a pris un chemin dangereux.
Il est évident que chacun est libre de refuser.. nous n'avons pas à faire le bonheur des autres malgré eux. Mais quand l'enjeu est important .. que l'aide de l'Eglise a été sollicitée et que..« le frère -refuse encore- d'écouter l'Eglise, et soit considéré comme un païen, un publicain» il nous reste alors à prendre acte douloureusement de la liberté de son choix, de la liberté de ses ruptures répétées et de les respecter.
N'oublions pas que nous faisons tous l'expérience qu'il nous faut du temps pour réparer nos erreurs...peut être encore plus de temps pour arriver à les reconnaître. Il y a des fardeaux qui exigent d'être aidé et d'accepter d'être éclairé par d'autres. Notre vie est constituée de relations dont certaines n'ont pas été choisies et une existence lisse et unie en permanence, n'existe nulle part..
Mais, heureusement, cet Evg s'achève sur une immense espérance, il nous dit avec force
qu'au milieu de nos relations difficiles, nous ne sommes 'jamais' seul. « Quand deux ou trois
sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d'eux
Ce rappel de Jésus veut dire que nous sommes tous liés par l'amour avec le Christ et par conséquent.. tous liés entre nous.et appelés à grandir en humanité... car sur le chemin du pardon, seul le christ marchant à nos côtés peut nous ouvrir un avenir de patience, d'espérance et de compréhension ... car l'autre.. les autres.. resteront toujours, à la fois un mystère pour nous, mais aussi.. un frère...une sœur en humanité.
Année A - Homélie du 22° dimanche du TO - (30 août 2020)
(Jérémie 20,7-9 ; Romains 12,1-2 ; Matthieu 16, 21-27)
Homélie du F.Guillaume
Frères et sœurs,
La liturgie de ce dimanche met en avant 3 serviteurs de Dieu, Jérémie, Paul et Jésus, tous trois, témoins de la Parole de Dieu et messagers de son Alliance avec les hommes.
Chacun de ces serviteurs a été le sujet d’une vocation, qui lui a valu bien des contradictions, des persécutions, des menaces de mort, jusqu’au martyre de la foi et de l’amour. Que retenir de leur message et de leurs vies entièrement données au Seigneur ? Quelle invitation pour nous, chrétiens du XXI° siècle ?
Jérémie, d’abord, dans la 1ère lecture, a été choisi par Dieu dès le sein de sa mère pour un ministère de prophète, en une période de crise et de décadence de la royauté en Israël. Il nous livre dans ses « confessions » le déchirement intérieur qui l’habite. Dieu lui a donné l’ordre de prédire la catastrophe de l’exil, dans l’espoir d’obtenir in extremis la conversion du roi et du peuple. Mais sa parole n’est pas reçue, elle est tournée en dérision par de faux prophètes qui cherchent à le faire taire. Jérémie est un prophète souffrant, très seul. Il ne cache pas qu’il lui arrive d’avoir peur, d’être découragé, mais il sent brûler à l’intérieur de lui un feu dévorant auquel il ne peut pas résister. Dieu lui donnera la force et le courage de continuer, malgré les persécutions. Rien ne peut empêcher la Parole de Dieu de se faire entendre. Jérémie, en sa passion et par ses plaintes (ne disons pas trop vite ses jérémiades), Jérémie annonce déjà la Passion et la Résurrection du Christ.
Qu’en est-il de nous aujourd’hui ? Où sont les prophètes qui osent annoncer à temps et à contre-temps le message de Vérité et d’Amour qui sont au cœur de l’Alliance de Dieu avec l’humanité ? Avons-nous ce courage de témoigner, et nous arrive-t-il de ressentir à l’intérieur de nous-mêmes un peu de cette vive flamme d’amour qui a consumé tant de saints, amis du Seigneur ? Avons-nous été séduits par lui, et nous sommes-nous laissés séduire par un amour si étrange ?
Saint Paul, lui, certainement, a bien été l’un de ces serviteurs brûlant d’annoncer la Bonne Nouvelle de l’Evangile aux nations païennes. Converti par le Christ, il exhorte ses frères avec passion, par la tendresse de Dieu à une transformation en profondeur de leur manière de vivre et de penser. Dans les 11 premiers chapitres de sa lettre à l’église de Rome, il a exposé le contenu de la foi et le plan de salut de Dieu envers les hommes, depuis la création d’Adam jusqu’au Christ, en passant par Abraham el la Loi de Moïse. En cohérence avec tout ce qu’il vient d’écrire sur la Révélation, il en appelle maintenant à la seule réponse possible du croyant : accorder sa vie, en présentant son corps, sa personne tout entière, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu. Oui, sacrifier son corps, sa personne, au sens étymologique du terme : sacrum facere : faire sacré, rendre sacré. Le même Paul dira dans une autre lettre aux Corinthiens : « ne savez-vous pas que votre corps est le Temple de l’Esprit Saint qui est en vous et qui vous vient de Dieu ? »
Sacrifier son corps, sa personne, en ce sens, ce n’est nullement le détruire, mais au contraire glorifier Dieu par lui, avec lui. C’est la juste manière de rendre un culte à Dieu. Le Psaume 39 le chantait déjà : « tu ne voulais ni offrande, ni sacrifice d’animaux, tu as ouvert mes oreilles. Tu ne demandais ni holocauste, ni victime, alors, j’ai dit : voici, je viens »
Ce sacrifice spirituel s’accompagne d’une transformation en profondeur de la part de celui qui s’engage. Une transformation qui renouvelle sa façon de voir et de penser les choses, car les pensées de Dieu ne sont pas toujours les pensées des hommes.
Ce texte de Paul est d’une grande actualité pour le discernement de la volonté de Dieu que nous avons à rechercher et à faire personnellement et en église, en ce temps où l’on parle de changement d’époque plutôt que d’époque de changements. Par exemple, l’encyclique Laudato Si’ du pape François invite à changer de paradigme pour passer d’une vision trop technico-scientifique du monde à une vision d’écologie intégrale, davantage respectueuse des êtres vivants, dans la nature et dans la société humaine.
Quant à la page d’évangile lue aujourd’hui, elle est en grande consonnance avec les 2 premiers textes. Jésus après avoir accueilli la confession de Pierre à Césarée, dimanche dernier : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » présente aujourd’hui son programme à venir : monter à Jérusalem, y souffrir beaucoup de la part des anciens, être tué, et le 3ème jour, ressusciter. Programme à l’opposé de celui que l’on pouvait attendre d’un Messie libérateur, Puissant et Triomphant. Pierre a des raisons de s’insurger et de s’opposer. Mais en le faisant, il se rend coupable d’un premier reniement (le pus grave peut-être) qui est le refus de suivre Jésus dans sa souffrance. Jésus affronte ce 1er reniement de Pierre comme une véritable tentation qu’il repousse avec force comme il l’avait fait par 3 fois au désert : « Passe derrière moi, Satan, tu es pour moi une occasion de chute, tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ».
On rejoint alors ce que disait St Paul aux romains, on rejoint l’expérience de Jérémie. Pour rester fidèle au plan de Dieu il nous faut parfois accepter de transformer nos idées, laisser l’Esprit Saint nous bouleverser, nous surprendre. C’est tout l’enjeu de notre salut, engagé dans une conversion. Jésus le savait mieux que personne en prenant chair de la Vierge Marie. Lui, le Verbe éternel a renoncé au rang qui l’égalait à Dieu. Il a pris le chemin d’humilité, de douceur, de bonté, de pardon qui l’ont conduit à la Croix. Il « fallait » qu’il montre à ses disciples ce chemin et qu’il le suive jusqu’au bout. Le plan de salut de Dieu ne s’accommode pas d’un Messie Triomphant, mais d’un Messie Crucifié et Ressuscité. Et le cœur de ce plan, c’est l’Amour dont Jésus a aimé ses disciples et nous avec eux, jusqu’à l’extrême. Il le confie en testament au soir du Jeudi Saint, lors du dernier repas : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ».
Année A - 21ème dimanche du T.O., 23 août 2020
Is 22 19-23 ; Rom 11 33-36 ; Mt 16 13-20
Homélie du F.Bernard
Deux paroles décisives pour la foi : d’abord celle de l’apôtre à Jésus : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant », puis en réponse celle de Jésus à l’apôtre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ».
La scène se passe à Césarée de Philippe. La confession de Pierre qui y est faite est l’aboutissement d’une première partie du ministère de Jésus, comme d’une première partie de l’évangile, car la question sous-jacente à tous les récits évangéliques, avant Césarée de Philippe, est bien : qui est Jésus. « Pour les gens qu’est le Fils de l’homme ? Pour vous qui suis-je ? » demande Jésus.
Qui est cet homme qui parle avec une telle autorité, non pas comme les scribes et les pharisiens, et qui revendique le pouvoir de remettre les péchés ? Qui est cet homme qui accomplit de tels signes, guérissant les malades et chassant les démons, et qui renouvelle la « merveille de jadis » (Ps 76, 12), au temps de l’exode, multipliant les pains et marchant sur la mer de Tibériade déchainée ?
Alors Simon-Pierre, à Césarée de Philippe, au nom des Douze, confesse : « Tu es le Christ, le Messie », celui qu’annonçaient les Écritures, celui qui vient proclamer la proximité du Royaume. C’est la confession de Pierre, telle qu’on trouve dans l’évangile de Marc, l’évangile premier, l’évangile le plus proche de l’évènement de Césarée de Philippe.
Mais la confession de Pierre dans l’évangile de Matthieu : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » est plus développée ; elle est sans doute, dans sa formulation, marquée par la foi pascale de l’évangéliste, qui écrit bien après la mort et la Résurrection du Seigneur. Toutefois il faut affirmer la continuité profonde de la foi de Pierre à Césarée, à celle de l’évangéliste Matthieu, et à la nôtre qui tout à l’heure proclamerons le credo. Ce n’est pas la chair ni le sang, ni aucun raisonnement humain, qui ont permis à Simon Pierre de confesser le Christ, mais bien le Père de Jésus, car « Nul ne connaît le Fils sinon le Père, comme nul ne connait le Père sinon le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler (Mt 11, 27).
Après Césarée de Philippe, peut commencer la deuxième partie de l’Évangile, celle où Pierre et les disciples auront à apprendre comment Jésus assumera sa mission de Messie… Il l’assumera par sa Passion et sa mort sur la croix, annoncées à trois reprises, en accomplissement de la figure du Serviteur de Dieu qu’avaient dessiné les Écritures, en triomphant de la mort par sa mort même. Il faudra certes du temps à Pierre et aux disciples pour accepter le passage nécessaire du Seigneur par sa mort. Il faudra Pâques et Pentecôte, pour que les disciples deviennent témoins de la Résurrection de leur Seigneur et l’annoncent à la face du monde.
Ici à Césarée de Philippe, Jésus confirme déjà solennellement Simon, fils de Yonas, dans sa mission d’apôtre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ». Pierre (Petros) sera la pierre (petra) sur laquelle Jésus édifiera son Église. Dans la Bible le Dieu d’Israël est souvent appelé le Rocher ; ainsi dans le refrain du Psaume 61 : « Lui seul est mon rocher, mon salut, ma citadelle. Je reste inébranlable ». Dans le même sens Paul dira que le rocher auquel s’abreuvait le peuple au désert était le Christ (1Cor 10,4).
Ainsi le Christ est le Rocher, et l’apôtre la pierre, la pierre de fondation solidement fixée sur le roc, et en solidarité avec elle, les douze assises de la Ville portant les noms des douze apôtres de L’Agneau (Ap 21, 14).
Pierre reçoit les clés du royaume, pas de petites clés comme celles que nous mettons dans nos poches, mais des clés pesantes, à l’instar de la clé de la Maison de David, que le Seigneur a déposée sur les épaules du maître du palais, Éliakim. Nos églises anciennes aimaient la représenter aux côtés de Pierre pour l’identifier. On la trouve également au portail de notre monastère.
La clé déposée sue les épaules de Pierre, c’est aussi la croix du Christ. Elle est l’insigne de son pouvoir, de son pouvoir d’ouvrir et de fermer, de lier et de délier, de mettre chaque personne, chaque chose, à sa vraie place, car tout est lié, aimait à dire le pape François dans son encyclique Laudato si. C’est aussi le pouvoir d’absoudre du péché et d’exercer la miséricorde au nom du Christ. Ce pouvoir des clés est confié ici à Pierre en premier et comme en avance. Il le sera confié en communion avec lui également à tous les apôtres au soir de Pâques (Jn 20, 23).
Chaque fois que nous célébrons l’eucharistie, nous prions pour le pape, notre évêque, les évêques. Y sommes-nous attentifs ? Ce devoir de prière est essentiel, car nous devons par notre prière les aider à accomplir pleinement la mission qu’ils ont reçue de confirmer leurs frères et sœurs dans la foi.
Nous n’avons pas fait encore écho à la deuxième lecture de ce jour (Rm 11, 33-36). Elle achevait, en forme de louange, la réflexion de Paul sur le mystère d’Israël. Dimanche dernier, il y disait sa certitude que tout Israël sera sauvé et reconnaîtra le Christ. Nous pouvons reprendre cette même louange en conclusion de ce que la liturgie de ce jour nous a fait percevoir du mystère du Christ et de l’Église : « Quelle profondeur dans la richesse, la sagesse et la science de Dieu. Tout est de Lui, et par Lui et pour Lui. A Lui la Gloire pour l’éternité. Amen ».
Année A - 20e dimanche - 16 aout 2020
Isaïe 56, 1.6-7 ; Romains 11, 13-15.29-32 ; Matthieu 15, 21-28
Homélie de F.Ghislain
Hier, nous fêtions l’Assomption de la sainte Vierge Marie ; aujourd’hui la liturgie de ce 20e dimanche après la Pentecôte, nous présente une femme cananéenne qui arrache au Christ, semble-t-il, la guérison de sa fille.
Deux femmes du Moyen Orient, l’une fille d’Israël, l’autre de Syrie, Tir ou Sidon. Deux femmes qui ont porté un enfant, l’ont mis au monde, nourri, sevré ; en même temps, elles ont assuré le quotidien de la vie : la cuisine, le ménage, la lessive, les réparations, sans doute aussi le jardin autour de la maison. Elles ont été fidèles à leur religion, l’une priant à la synagogue et, aux temps prescrits, montant au Temple de Jérusalem, l’autre allant aux sanctuaires de son pays, vénérant le Baal, l’Astarté
La première vit dans la proximité d’un Mystère. Son enfant lui a été annoncé par un ange, sa naissance a été entourée d’anges au Ciel, de bergers dans la boue tout occupés de leurs bêtes.
Ensuite, comment ont-ils vécu ensemble cette femme et son enfant ? Une fois, il a pris ses distances et s’est trouvé au Temple sans prévenir ses parents et ses explications sont restées obscures. Un beau jour il est parti rejoindre en Judée le prophète Jean-Baptiste et il a commencé lui-même un ministère prophétique auquel rien, semble-t-il, ne le préparait. D’après ce que nous savons par les évangiles, chaque fois que leurs chemins à elle et à lui se sont croisés, une fois à Cana, une autre fois quand elle a suivi sa famille inquiète, Jésus a gardé les distances ; il n’a rien dit ou fait pour se rapprocher d’elle ou l’intégrer dans ce qu’il faisait. A la fin, elle a été au lieu de sa mort infâme, et il a enfin pris la parole pour lui indiquer qui prendrait soin d’elle désormais. Puis il est mort : on raconte qu’il a été vu ensuite vivant, mais c’est à d’autres femmes et à des disciples qu’il est apparu ; à elle, on ne sait pas. Elle a tenu tout le temps : avant, pendant, après.
La cananéenne a vécu des circonstances sortant moins de l’ordinaire : l’histoire que nous connaissons d’elle tourne autour de sa fille possédée par un démon qui la rend malade, ou épileptique ou quoi que ce soit. Et désormais, elle vit pour la délivrance de sa fille. Sans doute est-elle allée la demander dans les sanctuaires de ses dieux. Peut-être a-t-elle consulté des guérisseurs, des médecins, des exorcistes. Elle a tout essayé sans succès. Un jour est passé dans sa région un prophète du pays voisin, Israël, dont la réputation de puissance contre les démons et les maladies avait passé la frontière. Elle y va, dominant sa crainte de l’inconnu, d’une hostilité peut-être entre les deux pays Israël et la Syrie…Elle approche et formule sa demande. Le prophète ne lui répond pas. La regarde-t-elle ? Elle répète, elle insiste. Les disciples excédés demandent à Jésus de la renvoyer : que le bruit cesse, et Jésus leur répond que sa mission de salut ne concerne qu’Israel. Loin de s’éloigner, la femme qui a entendu s’approche d’autant plus de Jésus, se prosterne, répète une fois encore sa requête et le prophète d’Israël répond, méprisant, presque insultant : Israel est un fils, il a droit à sa nourriture, à ce qu’on s’occupe de lui. Tyr et Sidon sont des chiots errants, ils ne peuvent prétendre à rien. Sans broncher, la femme continue, et c’est Jésus, finalement qui capitule, émerveillé. Il fait son premier miracle en terre païenne, sa mission s’élargit à tous les hommes.
Marie, la cananéenne. Deux femmes qui sont allées au bout de la foi. Mais où est la troisième ?
Ne serait-elle pas ici, frères et sœurs ? Il y a parmi nous des femmes qui sont mères, elles savent ce que c’est que porter un enfant, voire plusieurs ; elles savent le prix de l’éducation, à mener ensemble avec le souci de la maison, l’activité professionnelle l’équilibre du ménage. Parfois, n’est-il pas vrai ? on est au bout du rouleau, on ne sait à quel saint se vouer. Et ce qui est vrai d’une mère l’est aussi d’une femme célibataire : les soucis sont différents, la pression est la même. Et pour les hommes en va-t-il autrement ? Qu’en sera-t-il, par exemple, à la rentrée : de mon emploi, de mon embauche, de mon entreprise et de ceux qui y travaillent, de ma famille, finalement ?
Ne fait-on pas alors ce qu’ont fait les deux femmes ? Avec les paroles des psaumes on crie vers Dieu: « sors de ton silence » (Ps. 82 ; 1) « Ne reste pas muet, ne sois pas sourd » (Ps. 28, 1-2). On obéit à l’injonction de saint Luc dans son évangile :« Il faut toujours prier et ne jamais cesser » (Lc. 18, 1). On essaie de se convaincre de la parole de Jérémie : « Il est bon d’attendre en silence le salut de Dieu » (Lam.). Parfois, on perçoit au fond du cœur le frémissement imperceptible de la petite espérance, ou dans l’épaisseur de la nuit une étincelle de lumière qui éclaire à peine mais ne s’éteint pas. Et Jésus admire…
Laissez moi conclure avec quelques versets d’une des hymnes que nous avons chantée hier, que nous pouvons adresser aux deux femmes !
Femme guidée par Dieu au désert de l’épreuve / Où manque à notre espoir la force d’un appui / Tu nous vois chancelants sous le poids de la Croix / Ta foi inébranlable soutient notre faiblesse/ Et nous conduit.
Année A - 19e dimanche TEMPS ORDINAIRE (A) (09/08/2020)
(1R 19, 9a.11-13a – Ps 84 – Rm 9, 1-5 – Mt 14, 22–33)
Homélie du F.Jean-Louis
Frères et sœurs,
En plein cœur de l’été, les lectures de ce dimanche nous offrent un bel enseignement pour renouveler notre regard sur Dieu.
Particulièrement la première lecture, tirée du premier livre des Rois qui raconte ici l’expérience d’Elie au mont Horeb, la montagne de Dieu, là où Dieu a donné sa Loi à son peuple.
Ce texte est très intéressant car il peut nous faire prendre conscience de la vision qui nous habite peut-être d’un Dieu tout-puissant qui se révèlerait dans les forces de la nature. Les religions des peuples entourant Israël se situaient dans cette vision.
L’ouragan, le tremblement de terre, le feu sont des puissances telles qu’elles peuvent nous paraître dire qui est Dieu, combien grande est sa puissance. Et pourtant, déjà dans le Premier Testament, il nous est dit que ce n’est peut-être pas si évident que ça.
Et, surprise, c’est dans le murmure d’une brise légère (certains traduisent « la voix d’un fin silence ») que Dieu se révèle au prophète Elie.
Jadis, au peuple conduit par Moïse, Dieu s’était révélé dans un orage violent, avec un déchaînement des forces de la nature qui avait effrayé les Hébreux. Ici, il ne s’agit plus de montrer le Dieu d’Israël à l’égal voire surpassant les dieux païens mais de montrer qu’il est radicalement autre. Il se révèle dans une brise légère, dans presque rien. Et c’est ce Dieu là qu’Elie rencontre.
Avouons qu’après près de 2000 ans de christianisme, il nous arrive encore bien souvent de croire que la Toute-puissance de notre Dieu est à l’égal des forces de la nature, quitte à être troublés ou plus encore, lorsque ce Dieu ne répond pas à nos demandes, à nos espérances immédiates. Comment Dieu peut-il permettre la pandémie actuelle s’il est vraiment tout–puissant ?
La Bible ne donne pas de réponse intellectuelle à cette question mais, comme souvent, une réponse existentielle. Elie, fait l’expérience que Dieu est ailleurs de tout ce qui évoque spontanément la puissance pour nous. Il est dans une brise légère, dans la fragilité, dans la douceur mais qui fait du bien. C’est, il me semble, ce qu’évoque cette expression « brise légère ». Un vent doux qui rafraîchit.
Le psaume qui suit évoque de même un Dieu de paix, d’amour, de justice qui donne ses bienfaits.
Quant à l’évangile, il nous révèle Jésus qui ne se manifeste pas dans la tempête mais en vainquant la tempête et en calmant les eaux. Ce qui renvoie au ps. 106 : « Dans leur angoisse, ils (les marins pris dans la tempête) ont crié vers le Seigneur, et lui les a tirés de la détresse, réduisant la tempête au silence, faisant taire les vagues. »
Pour les Juifs, c’est une caractéristique de Dieu que de dominer le chaos des mers.
Mais ce passage nous révèle aussi Jésus qui sauve Pierre dans une situation critique. Situation critique d’ailleurs plus par manque de foi que par les éléments eux-mêmes. Il demandait à Jésus une preuve que c’était bien lui, mais il peine à y croire et s’enfonce… Il a dû sans doute passer d’une vision magique de Jésus à la foi.
Là aussi, l’évangile nous montre des apôtres qui doivent opérer un déplacement du regard qu’ils ont sur le Christ. Du prophète, ils constatent qu’il est le Fils de Dieu car il domine les éléments. Il ne se manifeste pas dans la tempête mais en calmant la tempête.
Que tirer aujourd’hui pour nous de ces passages ? Je vous propose quelques axes de réflexion tout en étant bien conscient qu’il peut y en avoir d’autres.
D’abord, nous avons toujours à corriger notre vision de Dieu et il nous faut être très prudents lorsque nous parlons de Dieu. Evitons de transformer notre vision de Dieu en dogme que tout le monde serait tenu de croire. La Bible nous montre différentes images de Dieu. Mieux, elle nous fait évoluer dans notre regard. Du Dieu tout-puissant, à la manière païenne qui se révèle dans les forces de la nature, elle nous fait passer à la vision d’un Dieu qui se révèle dans la douceur, la fragilité et cela culminera dans le Christ en croix dont les théologiens aujourd’hui n’hésitent pas à dire qu’il nous révèle l’amour du Père, et même la fragilité du Père. C’est le même Christ qui calme la tempête et qui agonise sur la croix renonçant à utiliser sa puissance à son profit.
Frères et sœurs, il est essentiel de voir la Bible comme une lente découverte du visage de Dieu (et du visage de l’homme) qui se fait peu à peu. Et ce que l’Ancien comme le Nouveau Testament nous révèlent, c’est que, finalement, la toute-puissance de Dieu n’est pas là où nous pensons spontanément qu’elle est.
Le pape François l’a très bien résumé dans une formule que je trouve, pour ma part fulgurante, : la Toute-puissance de Dieu, c’est sa miséricorde.
En sommes-nous vraiment convaincus du fond du cœur ? Il me semble que nous avons à méditer les Écritures afin de voir combien cette phrase du pape François, traduisant certainement une expérience personnelle, est aussi le reflet de l’enseignement biblique.
Prenons le temps de scruter la Parole de Dieu et de voir comment elle nous fait cheminer d’une vision d’un Dieu qui comblerait nos insuffisances, et qui est finalement décevant, à un Dieu dont la toute-puissance se manifeste dans sa miséricorde, sa capacité à nous accompagner dans les crises de nos vies, de notre monde.
Cette miséricorde, nous la retrouvons dans le passage de l’épitre aux Romains qui est un bon antidote à tout antijudaïsme et à tout antisémitisme : « Ils sont israélites, ils ont l’adoption, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses de Dieu ; ils ont les patriarches, et c’est de leur race que le Christ est né. »
Avec de telles paroles, il ne nous est plus possible comme chrétiens d’être antisémite.
Convertissons-nous à la miséricorde toute puissante de notre Dieu.
AMEN
18ème Dimanche du T.O. Année A - Dimanche 2 août 2020
1ère lecture : Is 55, 1-3
2ème lecture : Ro 8, 35-39
Psaume : 144
Evangile : Mt 14, 13-21
Homélie du F.Matthieu
Jésus vient de recevoir l’annonce de la mort de Jean-Baptiste ; il sait que Jean et lui ont destin lié depuis son Baptême, dont a été dit "qu'il accomplissait toute justice" ; il sait que Jean était le nouvel Elie venu préparer les chemins du Seigneur ; Jean, mort, il sait donc qu'il se trouve désormais en première ligne, qu'il doit prendre définitivement le relais...
Il voulait se mettre un peu à l’écart, avoir du temps pour que rien ne vienne perturber son intimité avec le Père et sa prière dans ce moment décisif.
Mais les foules en décident autrement ; elles aussi ont appris la mort de Jean et elles savent qu’elles n’ont désormais plus que Jésus... et elles n’hésitent pas... Et ce sont ces foules, qui le précèdent au désert, qui vont lui donner, selon Matthieu, les réponses que la mort de Jean appelait, qui vont lui révéler son être véritable : le visage de Dieu pour tous les hommes.
A la vue des foules, Jésus est "saisi de compassion", et l’évangéliste emploie ici un terme que la Bible ne réserve qu’à Dieu seul, à un Dieu qui se révèle maternel, dont les entrailles sont remuées au plus profond de lui... Oui, le cœur de Dieu se laisse toujours déranger, toujours toucher, c’est le visage de Dieu.
Peut-être attend-il même que nous le dérangions, sans calculer d’avance la faisabilité de nos requêtes, sans souci de l’encombrement… ou de la banalité de nos besoins et de nos demandes. Car Dieu a son point faible, il ne renvoie jamais personne.
Et ici, Jésus guérit tous les malades qui sont là.
Puis, comme le soir vient, et que les disciples suggèrent de renvoyer cette foule affamée et trop nombreuse, Jésus prend l’initiative de les nourrir, et c’est la multiplication des pains qui est au cœur de notre évangile.
Jésus, toujours à l’image du Père, se laisse fléchir par nos faims en tout genre et nos infirmités infinies. Jusqu’au soir, il ne comptera pas sa peine pour nous entendre, pour nous relever, pour nous guérir. Il arrive que les Apôtres s’impatientent, et rêvent de congédier tout le monde. Pour lui, rien n’y fait ! Pour lui, c’est toujours le moment, c’est le cœur de Dieu qui se révèle encore !
Et quand vient le soir, celui du jour ou de la vie, soyons-en assurés, notre ultime faim ne le laissera pas indifférent. Il en sera ému, incroyablement bouleversé. Oui, pour chacun alors, au soir venu, et en abondance il rompra le pain, celui de la vie éternelle. Et tous alors mangeront à leur faim.
En faisant ces gestes, Jésus renouvelle les miracles que la Bible attribuait au prophète Elisée dans le second Livre des Rois... Jésus est ainsi présenté comme le nouvel Elisée, et comme tel, il est confirmé dans sa mission de poursuivre l’œuvre de Dieu qu’avait inauguré Jean Le Baptiste.
Mais en réalisant cette multiplication des pains, Jésus se révèle bien plus qu’un prophète : "ordonnant à la foule de s'asseoir sur l’herbe" - en ce lieu désertique ! - comme Dieu au Psaume 144, Jésus donne à son peuple "la nourriture au temps voulu" Il veut "rassasier avec bonté tout ce qui vit"...
Les disciples lui apporte "cinq pains et deux poissons" : le signe est à déchiffrer, il s’agit de la nourriture du festin messianique des derniers temps, celui qu’annonçait le livre d’Isaïe dans la première lecture ; et la surabondance de nourriture - il va rester douze paniers, de quoi nourrir encore toutes les tribus d’Israël ! - et la satisfaction de tous dont la faim est apaisée, disent bien qu’il s'agit du repas du Royaume, que Jésus nous a présenté dans ses paraboles.
Ainsi Jésus nous est révélé comme le Messie-Roi qui invite au festin du Royaume de Dieu ; il pose les gestes même de Dieu, lui qui préside à ce festin...
Mais l’évangéliste veut nous dire plus encore, et en un sens, mieux encore...
Insensiblement, le récit oublie les poissons, pour ne garder que les pains... et les gestes, et les paroles de Jésus, reprennent exactement ceux et celles qui furent les siens au soir de son Dernier Repas, nous les transmettant à travers les disciples, jusqu’à nos eucharisties.
Ainsi, c’est bien à nous que cette page d’évangile s’adresse aussi, c’est bien à nous qu’est rappelé que l’assemblée, à laquelle Dieu nous invite, dimanche après dimanche, est le repas, déjà messianique où il se donne.
Le pain, celui de la Parole, comme celui de la Table eucharistique, nous est toujours offert et avec lui, et par lui, l’inlassable miséricorde qui guérit tous ceux qui viennent à lui comme des pauvres, abandonnés dans la main de Dieu.
Allons à la rencontre de cette Miséricorde du Seigneur, qui est son vrai visage, et qui nous est offerte encore une fois aujourd’hui en cette célébration !
17e DIMANCHE TO – ANNEE A 26 JUILLET 2020
1 ROi 3 5-12 ; Rom 8 28-30 ; Mt 13 44-52
Le royaume des Cieux est comparable à un trésor…
Notre compréhension spontanée de ces deux petites paraboles,
est que, nous autres hommes, nous autres chrétiens, il nous faut tout vendre,
tout quitter, tout perdre, pour acquérir le trésor et la perle, d’une valeur inestimable.
Et c’est bien la vérité.
Ainsi l’a entendu saint Antoine le grand, le père de monachisme :
« Si tu veux être parfait, va, vend tout ce que tu as, donne-le aux pauvres,
et tu auras un trésor dans le ciel ».
Et Antoine est parti vivre au désert, lui qui avait des biens non négligeables.
Mais je voudrais prendre ces paraboles dans l’autre sens.
D’abord, s’il est dit que le royaume des Cieux est comparable à un trésor,
il n’est pas dit qu’il est comparable à une perle mais à un négociant en recherche de perles fines.
Et dans la parabole du trésor, il s’agit bien d’un homme qui découvre le trésor.
Dans bien des paraboles, l’homme mis en scène représente Dieu lui-même,
et c’est dans ce sens que je voudrais lire aujourd’hui ces paraboles.
L’humanité est pour Dieu, le trésor caché et la perle de grand prix.
Il la recherche, il la désire, il veut l’acquérir, dans la plénitude de sa richesse et de sa beauté.
Dieu a créé l’homme pour qu’il soit sa joie.
Il nous aime avant que nous l’aimions,
nous désire avant que nous le désirions,
nous cherche avant que nous le cherchions.
La perle de grand prix, c’est, pour lui, chacun de nous, c’est l’humanité dans sa totalité.
Il vent tout ce qu’il possède, c’est-à-dire lui-même.
Il nous livre son Fils – et qu’a-t-il de plus précieux que son Fils ?
« Vous avez été achetés à grand prix », dit Paul ;
« Tu as tellement aimé le monde, Père très saint, que tu as envoyé ton propre Fils
pour qu’il soit notre Sauveur. » disons-nous dans la PE IV.
« Tu es mon Fils bien-aimé en qui j’ai toute ma joie » :
cette parole du Père, lors du baptême de Jésus,
il la dit sur chacun de nous.
Il nous aime et nous veut resplendissant de sa gloire.
Mais le trésor est caché dans le champ, enfoui dans la terre,
la perle précieuse est au cœur d’une huitre dont la beauté n’a rien d’attirant.
Dieu vient nous sortir de la terre, nous extraire de nos gangues
en prenant sur lui ce qui cache, ce qui défigure, notre beauté, celle qui vient de lui.
Lors de son agonie, c’est le désir de cette perle qu’est l’humanité
qui a permis à Jésus de dire « oui ».
Il n’a pas dit « oui » à la souffrance, à l’atrocité, à la mort :
il a dit « oui » au projet du Père ,qui était aussi le sien,
de recueillir toute l’humanité pour la présenter au Père,
lavée de toutes ses scories, revêtue de sa grâce et de sa gloire.
Cela ne pouvait se faire qu’en prenant sur lui l’entièreté absolue du mal.
Il désirait tellement que l’humanité – perle précieuse – soit resplendissante de gloire,
que, non seulement il a tout vendu –
lui qui était de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu –
mais il a pris sur lui toutes les abominations qui la défiguraient et la défigurent encore.
« Le Messie fonde l'alliance nouvelle en prenant sur lui le mal. …
Il ne fait pas crédit à l'accusateur, contre le Créateur. Il lui dit simplement : « Tu veux ma vie, prends-la, je la donne tout entière. » Et la mort corporelle [de Jésus] va priver le mal de sa victoire. L'accusateur ne peut utiliser la vie qui se livre tout entière à la mort, par amour », écrit Jean-François Bouthors
Il écrit encore : « Le salut ne s'approche pas pour des hommes qui seraient déjà sortis des ténèbres, pour d'hypothétiques justes, pour l'élite méritante. … Il vient dans la nuit, dans la mort. … Là où l'on trouve l'inhumain. Dans le monde où sont inextricablement mêlés l'humain et l'inhumain, pour que la lumière éclaire toute chose et que l'homme puisse réconcilier ses deux parts, humaine et inhumaine. »
« L'inhumain ayant ainsi culminé dans la mise à mort, sans que l'amour défaille, il est ainsi révélé, manifesté, qu'il n'est rien qui ne puisse être ressaisi par l'amour. »
« Le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de vous introduire devant Dieu » dit st Pierre dans sa 1er épitre (1P 3, 18).
« Jésus a tout donné pour racheter l’humanité aimée du Père. » commente notre évêque.
C’est ce mystère d’amour, cette victoire de la vie sur la mort, du divin et de l’humain sur l’inhumain, de notre beauté précieuse sur la défiguration du mal,
que nous célébrons dans le mystère de l’eucharistie.
Ce mystère ne s’adresse pas à une élite mais au peuple des pécheurs,
à nous tous, à l’humanité entière.
Nous croyons en Jésus ressuscité, revêtu de gloire,
nous croyons en notre propre résurrection à venir, mais aussi, pour une part, déjà présente,
parce que Jésus a pris sur lui nos défigurations pour les enlever.
« Jésus, Dieu sauve » est avec nous et fait de nous des fils.
DEDICACE DE NOTRE EGLISE
25 juillet 2020
1R 8, 23-22, 27-30 ; 1P 2, 4-9 ; Mt 16, 13-19
Homélie du Père Abbé Luc
« Approchez-vous de lui : il est la pierre vivante rejetée par les hommes, mais choisie et précieuse devant Dieu »… Approchez-vous…c’est que nous faisons, frères et sœurs, chaque fois que nous entrons dans une église. Nous nous approchons du Christ, dont l’autel traditionnellement en pierre, est le symbole. Devant l’autel, nous nous inclinons. Avec l’encens, nous le vénérons, car nous voulons honorer à travers lui, le Christ la Pierre vivante, un moment rejetée au temps de la passion, et devenue la pierre d’angle. Oui le Christ est le Roc, le centre et le fondement de notre rassemblement dans une église.
St Pierre poursuit l’image de la pierre, en affirmant : « vous aussi comme pierres vivantes, entrez dans la demeure spirituelle ». Celui à qui Jésus a dit : « tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise », ne craint pas de nous associer à sa vocation pour devenir avec lui, des pierres de l’édifice spirituel. Et c’est ce qui se réalise lorsque nous prenons part à la liturgie de l’Eglise. En nous rassemblant pour la messe dominicale, ou pour les moines, à heures régulières tous les jours de la semaine, nous « entrons » dans la demeure spirituelle que Dieu désire construire. En participant aux prières, en chantant, en écoutant la Parole de Dieu, unis à tous les autres chrétiens, peu à peu s’édifie ce Temple spirituel que nous sommes chacun et tous ensemble. Nous nous ouvrons à l’œuvre de Dieu qui veut nous voir grandir dans la confiance, dans la joie et dans paix. Nous le laissons tisser entre nous des liens d’amour fraternel toujours plus profonds sous son regard de Père.
Et de tout cela, l’église de pierre de granit ou de calcaire qui nous accueille pour quelques heures est le témoin. Mais peut-être est-elle encore davantage. On pourrait se demander : pour construire le temple spirituel, a-t-on besoin d’édifice de pierres ? Dans un monastère, nous faisons l’expérience quotidienne de l’importance d’avoir une église où se rassembler. Elle est ce lieu central vers lequel nous convergeons pour nous extraire des activités, afin de nous remettre en présence de Celui qui nous appelle à le louer. De même que les moines revêtent la coule, l’habit de prière qui les aide à s’unifier pour mieux habiter les temps de célébration, de même l’église est comme un vêtement dans lequel toute communauté chrétienne va s’unifier dans la prière et à se laisser habiter par l’Esprit de Dieu. Le bâtiment de pierre qui nous enveloppe nous façonne. Il nous modèle en personne et en communauté de prière. A côté du vêtement, une autre image pourrait élargir encore la compréhension du mystère que nous vivons en entrant dans une église de pierre… C’est l’image d’un moule, d’un moule à pain… Le boulanger qui a pétrit la pâte, la met dans un moule avant de la mettre au four. Ainsi aura-t-on les différentes formes et tailles de pains voulues… Comme notre église, nos églises sont en grande majorité en forme de croix, croix latine allongée en occident, croix grecque aux 4 côtés égaux en orient. En entrant dans une église en forme de croix, nous pouvons nous souvenir que nous sommes invités à entrer dans le mystère de la croix et de la résurrection du Christ. L’assemblée réunie dans cette église ne cesse de dire merci à Dieu en chaque eucharistie pour ce qu’il a fait en Jésus mort et ressuscité pour nous. Nous disons merci, nous rendons grâce, mais nous sommes aussi invités à nous unir à Jésus dans le don de notre vie. Avec Lui, nous apprenons à mourir, pour vivre de sa vie. C’est en ce sens que nos églises sont comme un moule qui nous façonne avec Jésus, pour être avec lui un peuple qui s’offre par amour. Là nous apprenons peu à peu le vrai sens de la mort tournée vers la vie. La mort : allons-nous sans cesse la subir ou bien allons-nous l’offrir ? Allons-nous toujours la fuir ou bien allons-nous demander la grâce de la traverser avec Jésus ? Sous ces différentes facettes depuis les contrariétés jusqu’aux souffrances les plus aigües, la mort vient à notre rencontre quotidiennement. Dans nos églises, il nous est possible de venir déposer le fardeau, et de le donner à Jésus. En chaque eucharistie, Jésus prend nos fardeaux dans sa mort offerte, et nous aide à les porter avec lui en sa résurrection à l’œuvre. Oui, comme un moule, nos églises voudraient nous apprendre à devenir offrande en tout notre être…donné par amour du Christ et des autres. Car là est la vraie vie. C’est la grâce que nous pouvons demander en ce jour, comme nous y entrainera dans quelques instants la prière sur les offrandes : « nous te prions de nous transformer en offrandes qui te soient agréables »…