Homélies
Liste des Homélies
Année A - 13e dimanche ordinaire
II Rois 4, 8-11 et 14-16a ; Rom. 6, 3-4 et 8-11 ; Mt. 10, 37-42
Homélie du F. Ghislain
Ce que je voudrais vous dire, frères et sœurs, est que nous devons lire cet évangile positivement : nous sommes dignes du Christ. Il faut nous en rendre compte, il faut en remercier et alors, aller plus loin. Ou, en termes négatifs, il ne faut pas devant cet évangile, être paralysés par notre indignité, ne pas savoir comment en sortir, et, finalement¸ laisser tout tomber.
En effet, qu’est-ce que cela veut dire concrètement : aimer ses parents ou ses enfants davantage qu’on n’aime le Christ ? Qu’est-ce que cela veut dire « prendre sa croix » ou « perdre sa vie »
Et d’abord : où est le Christ, où le trouver, où l’aimer plus que tout ? Dit autrement : où l’avons-nous rencontré pour l’aimer ainsi ?
J’aimerais pour essayer de répondre à cette question, la mettre en rapport avec un texte de la 1e lettre de saint Pierre : parlant de Jésus, elle écrit : « Lui que vous aimez sans l’avoir vu, en qui vous croyez sans le voir encore » (1, 8), et elle ajoute : « aussi tressaillez-vous d’une joie ineffable et glorieuse ». Comment peut-on l’aimer davantage que ceux qui nous sont le plus chers alors qu’on ne l’a pas vu ? comment y trouver une joie incomparable ? Cherchons encore dans l’Ecriture : vous connaissez la parole adressée à Paul sur le chemin de Damas : « Saoul, Saoul, pourquoi me persécutes-tu ? », alors que Saoul « ne respirait toujours que menaces et meurtres contre les disciples (Act. 9, 1 et 2). Qui alors persécute Jésus, sinon celui qui persécute ceux qui croient en Lui ?
Dans la parabole du Jugement dernier, au chapitre 25 de l’évangile de saint Matthieu, nous entendons la même chose : « Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir » et de te faire ou non du bien ? (25, 37 et 44), et la réponse vient : « En vérité je vous le déclare, chaque fois que vous l’avez fait [ou ne l’avez pas fait] à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’avez [ou ne l’avez pas] fait ».
Alors les choses s’éclairent : Nous avons un critère sûr pour ne pas nous tromper en ce qui concerne notre rapport avec Jésus. Il s’agit d’avoir avec les autres un rapport de préférence.
Le rapport avec les enfants. Il n’est pas si simple. Je vais essayer de le dire en rapportant une parole qui m’a été dite un jour par une mère de famille de six enfants : à chaque naissance, quand j’ai vu le petit qui était sorti de moi, j’ai compris qu’il ne m’appartenait pas. Elle comprenait qu’elle avait dans ce nouveau-né une personne : à accueillir, à découvrir certes, à éduquer c’est-à-dire à faire progressivement naître à sa vérité, à introduire dans un réseau de relations où il trouvera son humanité, à commencer à faire éclore en lui le fils de Dieu unique, commencé au baptême.
Puis, au fur et à mesure que l’enfant grandit , devient un jeune homme, puis un homme fait, l’accompagner dans son effort pour tracer sa voie, accepter qu’il s’en aille, parfois loin, qu’il s’oppose, qu’il oublie, être toujours là quand il a besoin, demeurer dans l’ombre…Prier pour lui, apprendre de lui, être patient. Il y a une phrase de saint Paul aux Galates qui est suggestive : « mes petits enfants que de nouveau j’enfante dans la douleur jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous. Oh ! que je voudrais être auprès de vous en ce moment pour trouver le ton qui convient, car je ne sais comment m’y prendre avec vous » (4,19)
Et, du coup, s’éclaire aussi, le rapport avec les parents de la part des enfants adultes. On voudrait qu’un rapport d’amitié, une sorte d’égalité s’établisse, dans le respect certes de la vie qu’ils nous ont donnée…Mais ce n’est pas toujours cela : on peut avoir l’impression qu’ils interviennent trop ou pas assez. On découvre aussi leurs faiblesses et, au fur et à mesure que leur âge avance, leurs infirmités et leurs besoins. Prendre soin d’eux, les visiter, faire tout pour que leur fin de vie ne soit pas trop austère, qu’ils aient encore l’occasion de se sentir utiles et que leur mort soit douce.
Je pourrais continuer à commenter chacune des phrases de cet évangile, ou vous redire les mêmes choses en relisant dans cette perspective l’histoire d’Elisée et de la femme sunamite ; celle-ci commence par aimer Elisée plus qu’elle-même et Elisée prend la suite en lui donnant d’être mère. Ce que je voudrais vous suggérer, c’est ceci : comment nous y prenons-nous avec les autres, proches ou lointains, que Dieu a placés sur notre route : eux comme nous vont vers le Christ.
Année A - 12e dimanche TEMPS ORDINAIRE (A) (21/06/2020)
(Jr 20, 10-13 – Ps 68 – Rm 5, 12-15 – Mt 10, 26–33)
Homélie du F.Jean-Louis
Frères et sœurs, nous sortons à peine du temps pascal et pourtant les lectures de ce dimanche nous ramènent quasiment en pleine passion du Christ. Toutes, en effet, font allusion à une menace, à un danger mortel dont seul le Seigneur peut délivrer.
Dans la première lecture, le prophète Jérémie, souvent décrit comme une figure, une annonce du Christ, se trouve en bien mauvaise posture. Dieu l’a envoyé annoncer aux habitants de Jérusalem que leurs infidélités étaient telles que le Seigneur allait les abandonner à l’invasion toute proche des Babyloniens. Il n’en fallait pas plus pour qu’ils soit accusé de trahison, de défaitisme et qu’il soit emprisonné et condamné à mort. Ainsi, c’est pour avoir déplu aux attentes du peuple que Jérémie se retrouve en prison. Mais il garde confiance en Dieu qui est avec lui. Dans un discours, il est vrai guerrier, il se confie au Seigneur qui voit combien lui, Jérémie, est fidèle et il sait qu’il sera secouru par le Seigneur car il lui a remis sa cause. Confiance du prophète contre toute évidence.
Le psaume 68 qui a été chanté est un psaume que nous chantons volontiers le vendredi saint tant il préfigure également la passion du Christ :
« C’est pour toi que j’endure l’insulte … je suis un étranger pour mes frères … l’amour de ta maison m’a perdu. »
Mais là aussi, il y a une espérance :
« Et moi, je te prie, Seigneur … dans ton grand amour, Dieu, réponds-moi… par ta vérité, sauve-moi… »
Et le psaume se termine plein de confiance :
« Le Seigneur écoute les humbles, il n’oublie pas les siens emprisonnés. »
Ce psaume convient bien à la situation de Jérémie, et à celle du Christ durant sa Passion et on peut penser qu’il a pu monter à la mémoire, à la conscience du Christ durant l’agonie au Jardin des Oliviers ou sur son chemin vers le Golgotha.
Durant sa prédication, face au rejet de plus en plus menaçant de sa parole par les scribes et les chefs du peuple juif, Jésus manifeste sa confiance en son Père et encourage ses disciples sans doute désemparés. Il ne faut pas craindre ceux qui peuvent tuer le corps. Dieu est le plus fort et de loin. Et il ne peut pas ne pas se soucier de ses envoyés, lui qui veille sur les moineaux et compte les cheveux de nos têtes. Devant les menaces qui planent sur lui et sur ses disciples, Jésus rappelle que son Père est le maître de l’histoire, même si les évidences peuvent paraître, dans un premier temps, contraires.
La seconde lecture, quant à elle, nous situe dans le même cadre. Certes, le péché, et à sa suite, la mort, semblent dominer notre monde, semblent l’emporter sur tous les hommes. Mais si la mort atteint la multitude des hommes, la grâce, elle, est répandue beaucoup plus en abondance. C’est la grâce de la Vie, la grâce de la victoire sur la mort accomplie par un homme, Jésus Christ.
Frères et sœur, les lectures de ce jour transmettent toutes un même message : la violence, la mort, le mal paraissent l’emporter partout et en tout temps. Et pourtant nous est annoncée l’espérance de la victoire du Seigneur sur la mort, la violence et le mal. Et c’est le mystère pascal de la mort et de la résurrection du Christ, victoire sur la mort et sur le mal qui sont garants de cette victoire finale. Et ce, par-delà toutes les apparences de triomphe du mal qui peuvent nous accabler.
Combien ces paroles peuvent tomber à point pour nous aujourd’hui, alors que nous sommes en pleine incertitude sur l’avenir. Tout peut paraître sombre et c’est peut-être pour certains plus qu’une apparence. La pandémie, la crise économique, les violences policières, notre monde qui vacille sur des bases qu’il croyait solides… Ce n’est pas la peine d’en dire plus…
Pourtant, en chrétiens, nous ne pouvons pas ne pas entendre ce message qui date déjà du prophète Jérémie, près de 6 siècles avant le Christ, message continué par le Christ et surtout authentifié par sa mort et sa résurrection. Message dont se fait l’écho Paul.
Le mal, la mort, n’ont pas le dernier mot. Cela ne signifie pas que toute difficulté, toute détresse nous seront évitées par magie, mais cela signifie que si nous gardons confiance dans le Seigneur, quoi qu’il arrive, un chemin de vie nous est ouvert. Cette confiance, cette foi ne sont pas évidentes, c’est un saut dans l’inconnu. Mais c’est un saut qui peut nous sauver de la désespérance.
En Latin, le mot fides traduit les mots foi, confiance et fidélité et il me semble que c’est assez évocateur.
Avoir foi, c’est avoir confiance et qui dit confiance dit justement qu’il n’y a pas de certitude absolue. Lorsque nous faisons confiance à quelqu’un, nous ne sommes pas absolument certains que cette personne se montrera digne de la confiance que nous avons mise en lui. Mais nous espérons ne pas nous être trompés. Et puis, la confiance demande aussi une vraie fidélité. Lorsque nous faisons confiance, nous espérons dans la fidélité de la personne en qui nous nous confions et nous sommes nous-mêmes fidèles.
Avoir foi en Dieu ne garantit pas une vie sans souci, sans souffrance. Regardons le Christ, regardons le prophète Jérémie, le moins qu’on puisse dire est que leur vie a été mouvementée. Et pourtant, ils ont eu foi en Dieu.
Si nous nous mettons vraiment à l’écoute de la Parole de Dieu, il me semble qu’il importe de croire fermement que le Seigneur ne nous laisse pas tomber, qu’il ne nous abandonne pas malgré les apparences. Cela demande de savoir aussi regarder notre passé, faire mémoire des interventions de Dieu, du Christ, dans nos vies. Alors, nous pouvons regarder vers l’avant avec confiance. C’est ce qu’a fait le Christ, confiant dans ce que la Bible disait de la fidélité de Dieu.
Frères et sœurs, dans un monde inquiet, renouvelons notre foi, notre confiance et notre fidélité envers Dieu, à la suite du Christ, et nous pourrons aider nos contemporains à regarder l’avenir dans la paix. C’est un beau service à rendre à l’humanité. AMEN
Année A - SACRE-COEUR -19 Juin 2020
Dt 7, 6-11 ; 1 Jn 4, 7-16 ; Mt 11, 25-30
Homélie du Père Abbé Luc
Frères et sœurs, En préparant mon chapitre d’hier matin sur le P. Muard, je trouvais dans les volumes scannés par les frères du Barroux, un assez long enseignement sur le Sacré Cœur. Donné dans le cadre d’une prédication, le P. Muard voulait y présenter la grandeur infinie de l’Amour divin manifesté dans le Cœur de Jésus. Dans un langage enflammé très emphatique, il passait en revue les différents moments de la vie du Christ et de sa passion comme autant de témoignages de cet amour.
S’appuyant sur les écrits des saints, son objectif était d’entrainer les fidèles à découvrir et à grandir dans l’amour du Christ, en regardant son Cœur très aimant. Un moyen très concret était assurément pour lui, de faire partie d’une confrérie du Sacré-Cœur, une sorte de mouvement spirituel dans lequel on se soutient dans la prière. En lisant ces lignes, je me disais que nous peinerions à entendre aujourd’hui un tel enseignement. Et pourtant, il est indéniable que s’y expriment des convictions de foi que nous pouvons faire nôtres sans difficulté. On peut aussi y entendre la belle ferveur du P. Muard, ami intime du Christ. La question que nous pose ce genre de texte est peut-être celle-ci : comment entrer dans une relation plus vivante et plus aimante avec le Christ, cela avec notre sensibilité d’homme du XXI° ? Le risque serait au nom d’une certaine rationalité et d’un désir légitime de ne pas errer dans un sentimentalisme désuet ou vide, de ne pas donner toute sa place à la dimension cordiale de notre relation avec le Christ. Ce dernier n’est pas un concept, ni le principe d’un système intellectuel performant, ni seulement un maitre de sagesse, il est une Personne avec laquelle chaque chrétien est invité à nouer une relation unique. Dire que Dieu est Amour, dire que Jésus, le Christ nous a révélé cet Amour divin, par son Cœur transpercé, est relativement facile à dire. Mais nous ne pourrons le comprendre vraiment qu’en acceptant d’entrer nous-mêmes dans l’amour, dans une relation aimante avec le Christ, de laquelle découlera un amour toujours délicat avec nos frères. « On ne voit bien qu’avec le cœur, dit le renard au petit Prince, l’essentiel est invisible aux yeux ». On ne peut entrer dans le mystère du Dieu Amour en restant à l’extérieur. St Jean nous invite à « demeurer dans l’amour ». Et c’est possible. Quand Jésus dans l’évangile nous dit qu’il est « doux et humble de cœur », nous appelant à devenir ses disciples, il nous introduit dans cette familiarité cordiale. Il semble vouloir nous rassurer si l’exigence de le suivre, énoncée quelques chapitres auparavant dans le discours sur la montagne, pouvait nous effrayer. Car le Christ ne se présente pas comme un maitre exigeant qui veut s’imposer à nous. Son objectif n’est pas d’avoir des disciples qui seraient à ses ordres, au doigt et à l’œil…comme on fait marcher une armée pour la bataille. Si à sa suite, le Christ nous entraine dans un combat contre le mal et toutes les formes qu’il peut prendre, il ne le fait qu’en nous aimant et en suscitant notre amour. Son amour nourrit notre amour pour Lui et pour nos frères. Il devient notre propre énergie.
N’est-ce pas vers cette source de l’Amour que veut-nous ramener cette fête du Sacré Cœur ? Ne veut-elle pas nous assurer que si nous sommes tellement aimés, nous pouvons avoir confiance que les balbutiements de notre amour serons accueillis par Celui qui nous attire à Lui ? Sur le chemin de la foi, nous sommes appelés à grandir dans cette familiarité avec le Christ. Avec Lui, nous pouvons parler de tout, tout lui confier, tout lui demander. Le cardinal B. Hume passait du temps à regarder le Christ en croix. Là, aux moments décisifs de sa fin de vie, il a trouvé la force et l’espérance pour traverser l’épreuve de la souffrance et de la maladie. Dans nos journées, recherchons cette attention personnelle à la présence du Christ vivant à nos côtés. Sachons parfois nous arrêter quelques instants entre nos activités pour les remettre sous sa lumière. Dans le petit Prince que je citais plus haut, le renard ajoute : « C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante ». Nous pouvons demander cette grâce d’une présence renouvelée au Christ, comme l’oraison après la communion nous y entrainera : « Brûle-nous d’une charité qui nous attire toujours vers le Christ, et nous apprenne à le reconnaitre en nos frères ».
Année A - Fête du Corps et du Sang du Christ – Dimanche 14 juin 2020
1ère lecture : Dt 8, 2-3.14b-16a
Psaume : Ps 147, 12-13, 14-15, 19-20
2ème lecture : 1Co 10, 16-17
Evangile : Jn 6, 51-58
Après la Fête de la Sainte-Trinité, l’Eglise nous donne de célébrer la fête du Corps et du Sang du Christ avant celle du Sacré-Coeur de Jésus. Fêtes théologiques, fêtes d’idées, qui tranchent en quelque façon dans le tissu dynamique de l’année liturgique consacrée à la célébration du Salut que Dieu a réalisé et réalise pour nous au fil de nos vies humaines.
Et pourtant avec cette fête du Corps et du Sang du Christ, la liturgie nous offre à travers les textes bibliques qu’elle nous donne à entendre, une vision très dynamique de l’Eucharistie que nous célébrons comme Mystère du Salut.
Que ce soit dans la 1ère lecture à propos de la manne et de l’eau du rocher, dans la Lettre de Paul ou dans le chapitre 6 de Jean, nulle part nous ne trouvons l’idée d’une « adoration du Saint Sacrement ». Le pain et le vin de l’Eucharistie, le Corps et le Sang du Christ livrés pour nous, ne sont pas d’abord là pour être regardés, adorés, mais pour être partagés et consommés et parfaire en nous ce que nous sommes déjà, le Corps du Christ, Eglise engagé au cœur de ce monde.
Ce peut être l’occasion de reprendre conscience de ce que nous faisons au cours de l’Eucharistie, mieux, de ce qui nous est donné dans l’Eucharistie : la présence du Seigneur au milieu de nous, la présence du Seigneur en nous, la présence du Seigneur qui nous appelle à vivre de la charité donnée par son Esprit, au service de tous dans ce monde-ci, dans l’espérance du monde à venir.
Reprenons-en les étapes au fil du rite liturgique.
En ce Dimanche, répondant à l’appel du Seigneur, nous nous sommes rassemblés dans cette église et cette assemblée que nous formons est déjà signe de la présence du Christ au milieu de nous ; « là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » nous rappelle l’évangile de Matthieu (18,20) ; dans la diversité de ce que nous sommes, de nos grâces particulières, de nos ministères particuliers, nous formons déjà le Corps du Christ et le Christ est là, notre Tête, Présence réelle au milieu de nous. L’avons-nous seulement remarqué dans les premiers mots de la célébration ?!
Ensuite nous avons écouté ensemble les textes des Ecritures ; proclamés, ils sont devenus, pour chacun et pour tous, la Parole de Dieu, vivante aujourd’hui pour illuminer nos vies. Présence encore du Verbe, du Christ, au milieu de nous, et qui devait faire bruler en nous le feu de l’Esprit vivifiant, comme pour les disciples sur le chemin d’Emmaüs… si nos oreilles et nos yeux se sont ouverts pour le reconnaître par la foi !
Dans un instant, nous allons entrer dans la Grande Prière d’action de grâces, qui est « mémorial de la Mort et de la Résurrection du Christ ».
Le Christ à la dernière Cène, à travers le partage du pain et du vin a signifié le don de sa chair et de son sang, qui va avoir lieu dans sa Pâque et cette anticipation va rendre les disciples partie prenante des événements sauveurs. Pour nous, l’anticipation fait place au « mémorial », à la réactualisation, mais par ce rite nous serons, nous aussi, intégrés au don de sa vie que le Christ nous a faite. Par le don de son Corps et de son Sang, le Christ aujourd’hui veut nous livrer son Esprit et faire de nous ses frères, « fils de Dieu », qui peuvent oser dire ensemble, uns dans le Christ, la prière reçue de lui : « Abba ! », notre Père.
Ainsi par la manducation du Corps et du Sang du Christ, serons-nous vivifiés à nouveau comme fils, frères, enracinés davantage, célébration après célébration, dans son Corps, qui est son Eglise, envoyés dans le monde pour annoncer l’Evangile à toutes les nations, et d’abord au plus proches, au plus pauvres, à tous ceux qui marchent à l’aveugle vers le Salut promis et déjà donné.
C’est cela le Mystère du Corps et du Sang du Christ qui est notre vie !
Mais cette efficacité du sacrement eucharistique n’est pas magique : elle ne se fait que par notre adhésion libre au don de lui-même que nous fait le Christ en nous livrant sa vie. « Nous mangeons de ce pain-là ». Ce que fait Jésus à la Pâque devient notre art de vivre, notre raison de vivre. Mais si nous célébrons l’Eucharistie, c’est parce que ce choix de l’amour ne vient pas de nous-mêmes : nous ne pouvons produire ce pain-là car il ne vient pas de la terre. Dans le langage biblique (celui du Deutéronome comme celui de l’évangile Jean), on dit qu’il « vient du ciel », c’est-à-dire de cette Présence inaccessible pour nos sens qui nous enveloppe, nous habite et nous fait exister.
De la foi en cet « ailleurs » et en cet « autrement » naît l’espérance.
Et nous voici alors, en mesure d’incarner l’amour qui nous fait véritablement exister, vivre. Le pain et le vin que nous recevons, Corps et Sang du Christ, nous permettent de devenir le pain que nous pouvons à notre tour donner. Ainsi le « pain du ciel » peut devenir pain de la terre pour tous les hommes.
Qu’il en soit ainsi !
Année A - Trinité - 7 juin 2020
Ex 34 4-9; 2 Co 13 11-13 ; Jn 3 16-19
Homélie du F.Hubert
Dieu est amour, nous dit st Jean.
On peut formuler autrement : Dieu est don, il n’est que don.
De façon surabondante. Sans rien retenir. Toujours plus. Toujours davantage.
Au risque de se perdre. Au risque de tout perdre.
Lui, « la source de la vie, il a fait le monde pour que toute créature soit comblée de ses bénédictions et que beaucoup se réjouissent de sa lumière. » Et comme « l’homme s’est détourné de lui, il ne l’a pas abandonné au pouvoir de la mort ».
« Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique.
Il a envoyé son Fils dans le monde pour que le monde soit sauvé. »
Plus l’homme s’est éloigné de lui, plus il s’est engagé à sa recherche, jusqu’à prendre sur lui tout son mal, pour l’en libérer et déployer en lui la vie divine.
Nous avons l’immense grâce, l’immense responsabilité, de connaître
le Dieu qui s’est révélé dans son long cheminement avec les hommes,
depuis le souffle insufflé en Adam jusqu’au don de l’Esprit,
fruit de l’Incarnation de Dieu en Jésus de Nazareth.
Nous pouvons dire qu’aujourd’hui, c’est la fête de Dieu – comme chacun de nous a sa propre fête chaque année. Le jour de la fête d’un frère de communauté, d’un parent, d’un ami, d’un proche, nous regardons cet autre avec bienveillance et gratitude, voire émerveillement, plus que les autres jours de l’année, même lorsque la relation est moins facile.
Est-ce incongru de nous demander si, en ce jour de sa fête, nous regardons Dieu avec bienveillance, avec gratitude et émerveillement ?
Nous disons facilement : « Dieu est amour », mais comment regardons-nous Dieu ?
Quel regard portons-nous sur lui ? Quel regard croyons-nous qu’il porte sur nous ?
Est-ce le Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité déjà révélé dans le livre de l’Exode ?
Est-ce le Dieu qui nous examine, pèse nos actes, nous juge, nous punit peut-être, maintenant ou plus tard ?
Dans son livre Le Dieu des abîmes, A l’écoute des âmes brisées, Isabelle Le Bourgeois, ancienne aumônière de prison et psychanalyste, pose cette question :
Est-ce plus facile de penser un Dieu qui nous en voudrait, qui chercherait à nous faire tomber,
que de le penser accueillant, bienveillant et doux ?
Je finis par penser que la gratuité de l'amour est plus difficilement accessible que sa valeur marchande.
Contemplons le Christ en qui Dieu s’est révélé de façon définitive :
Jésus, Homme-Dieu, n’est pas un homme qui s’est fait Dieu, mais Dieu qui s’est fait homme.
Dieu ne s’est pas élevé, il s’est abaissé. Jésus a vécu dans notre chair ce que Dieu est dans sa divinité.
Le serpent avait fait surgir dans le cœur de l’homme et de la femme le désir d’être comme Dieu.
La tentation de l’homme est de s’élever par lui-même jusqu’à Dieu : ainsi la tour de Babel, ainsi le roi de Tyr ou le pharaon en Ezékiel : Il a haussé sa taille, son cœur s’est élevé avec orgueil.
Notre Dieu Trinité existe et agit tout à l’inverse :
Le vrai Dieu, dont nous avons reçu la révélation, est celui qui « s'est anéanti, prenant la condition de serviteur. Devenu semblable aux hommes, il s'est abaissé, devenant obéissant jusqu'à la mort de la croix. Dieu a fait la paix par le sang de la Croix du Christ, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel. »
Dans le Christ, c’est Dieu tout entier qui s’est abaissé : « Qui me voit voit le Père ».
Comme le Père s’est vidé de lui-même, se vide constamment de lui-même, pour se donner à son Fils,
Dieu Trinité s’est vidé de lui-même pour se donner à ses créatures.
Oui, Jésus, Homme-Dieu, n’est pas un homme qui s’est fait Dieu, mais Dieu qui s’est fait homme.
Non seulement il s’est fait homme, mais il est mort, il est descendu aux enfers. « Il n’avait plus figure humaine », dit Isaïe.
Il a tout lâché, tout perdu, tout remis. « Il ne s'est pas seulement trouvé avec les justes, il a rencontré toutes les figures humaines, des plus affreuses aux plus belles, il a séjourné avec toute l'humanité sans exception. Les abîmes ont été réellement visités par Dieu », dit encore sr Isabelle.
Dieu Père, Fils et Esprit, est don, il se vide constamment de lui-même pour que l’autre existe, pour que l’autre soit aimé.
C’est vrai dans l’intime de son mystère, vrai dans l’acte créateur, vrai dans l’acte rédempteur.
Isabelle Parmentier nous avait parlé d’une enseignante agacée par le Jésus de l’évangile de Jean qui se dit « la lumière du monde, la porte, le chemin, la vérité, la vie »… Peut-être n’avait-elle pas perçu que cet évangile commence par : « le Verbe s’est fait chair » et se poursuit par le lavement des pieds : le Maître aux pieds de ses disciples, plus bas que ses disciples, plus bas que nous.
« Le seul Dieu supportable est celui qui descend, en bas » écrit Maurice Bellet.
Dieu n’est pas ce Dieu dominateur qui nous examine et épluche chacun de nos actes,
il est celui qui se met à nos pieds pour nous faire vivre, et se donner à nous.
Il nous offre sa grâce, son amour et sa communion, comme dit st Paul.
Dieu, Père, Fils et Esprit Saint, est pour toujours avec nous.
Il n'y a pas de position de surplomb chez ce Dieu-là, il n'y a que l'être avec.
Accueillons ce Dieu qui est avec nous, où que nous soyons.
« Père, je leur ai fait connaître ton nom, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux,
et que moi aussi, je sois en eux. »
« Que la grâce du Seigneur Jésus Christ,
l’amour de Dieu
et la communion du Saint-Esprit
soient avec nous tous ! »
Année A - PENTECÔTE 31 mai 2020
Ac 2,1-11; 1 Co 12, 3b7.12-13 ; Jn 20, 19-23
Homélie du P.Abbé Luc
Frères,
Que serions-nous sans l’Esprit Saint ? Que serait l’Eglise sans ce précieux soutien ? Comme le suggèrent les textes entendus, elle ne serait pas universelle, elle ne serait pas unie dans une même foi, elle ne pourrait être servante du pardon de Dieu. Elle ne serait qu’une organisation parmi d’autres, une ONG de bienfaisance au mieux. Elle ne serait pas ce quelque chose d’indéfinissable, d’inclassable qui lui a permis de traverser toutes les vicissitudes de l’histoire. Avec l’Esprit Saint, ce qu’elle est la déborde elle-même, la dépasse, lui reste incompréhensible à ses propres yeux…comme quelque chose de toujours nouveau à accueillir.
Il nous est bon de nous arrêter sur ce mystère de vie qui constitue l’Eglise, et qui nous constitue comme communauté, cellule vivante de cette Eglise, et comme membre chacun pour notre part Temple de l’Esprit Saint. Dans notre culture de plus en plus rationnelle, qui aime tout maitriser, tout prévoir, tout mesurer, cela nous demande davantage d’effort pour accéder à ce mystère, pour percevoir et accueillir ce débordement de l’Esprit. Des textes entendus, je retiens 3 mots qui peuvent nous y aider : recevoir, émerveillement, envoyer.
Recevoir. « Recevez l’Esprit Saint » dit Jésus Ressuscité, en soufflant sur ses disciples. Au départ de l’Eglise, il y a ce don que ce groupe d’hommes verrouillés dans ses peurs et le sentiment d’échec ne pouvait produire par lui-même. Don discret de la force d’un souffle pour conduire à l’intimité du cœur pécheur, chez St Jean. Don puissant au bruit d’un « violent coup de vent » qui propulse les disciples sur la place publique chez St Luc. Don multiforme en manifestations variées qui fait de chacun un acteur utile à tous, chez Paul. Ces trois témoins, Jean, Luc et Paul, nous partagent à leur manière leur conviction que l’Eglise naissante s’est reçue d’un don. Pourrait-elle se glorifier d’être ce qu’elle est ? Nous avons tout reçu. C’est là notre identité la plus profonde. Aujourd’hui encore, nous nous recevons de « l’Esprit qui continue dans le cœur des croyants son œuvre d’amour ».
Emerveillement. N’est-ce pas la première vertu de ce don ? Il produit l’émerveillement. Devant les disciples emplis d’Esprit Saint, les juifs qui s’assemblent s’émerveillent. Ils s’émerveillent d’être rejoints dans leur grande diversité de langues et de culture par ces galiléens, peu cultivés. S’émerveiller, et dans l’Eglise, il y a matière. Que nous puissions nous rassembler tous dans une si grande diversité d’origine, de culture ; que nous puissions mettre en commun des dons si divers de service, de prédication, d’organisation, de dévouement ; que nous puissions, être témoin et serviteur de réconciliation à travers le pardon de Dieu offert qui guérit et sauve du désespoir…S’émerveiller d’abord…c’est un don de l’Esprit qu’il nous faut cultiver face au jugement, au dénigrement ou au découragement. Nous risquons sinon de ne plus être chrétien, et d’oublier que nous sommes chacun et tous ensemble l’œuvre de Dieu. « C’est toi qui donnes la vie, c’est toi qui sanctifie toutes choses, qui rassembles ton peuple… en une offrande pure » prierons-nous dans quelques instants...
Envoyer. Lorsque Jésus fait don de son Esprit, il nous fait un grand honneur. Il nous prend très au sérieux, en nous associant étroitement à sa propre mission. Le don de l’Esprit nous rend responsable vis-à-vis de nos frères et du monde. Il nous entraine vers les autres pour leur partager notre joie. Il nous apprend à faire avec les autres, sans imposer, mais en nous accordant les uns aux autres. Il nous rend sensible aux fardeaux trop lourds que beaucoup peinent à porter, en étant à leur côté présence aimante. Dans notre vie monastique, nous touchons souvent du doigt cet envoi, non pas aux lointains abstraits, mais à nos frères, tout proche. Notre présence, notre ouverture, notre écoute…sont autant de manière par lesquelles nous sortons de nous-même, par lesquelles nous sommes envoyés et responsables les uns des autres…
Rendons grâce maintenant unis au Christ pour ce don si gracieusement offert aujourd’hui encore.
Année A - 7° dimanche de Pâques – 24 mai 2020
Ac 1 12-14 ; Ps 26 ; 1Pierre 4 13-16 ; Jn 17 1-11
Homélie du F.Damase
A quelques heures de sa passion, Jésus récapitule sa vie : accomplir l’œuvre du Père….que les hommes Le connaissent,…qu’ils entrent avec Lui dans une relation filiale. Souvenons-nous de la parole prononcée par Jésus : "Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne va au Père si ce n’est par moi" (Jn 14,6). Toute l’œuvre de Jésus, ses actes, ses paroles et jusqu’au silence du Vendredi Saint n’avaient qu’un seul objectif : placer les hommes sur le chemin de la vie en leur faisant connaître le Père. Voilà sa gloire et sa joie.
Frères et sœurs, la prière de Jésus nous offre un double enseignement.
En premier lieu, elle nous invite à faire sans cesse retour au Christ comme à celui en dehors duquel nous ne pourrons pas connaître la vie et le bonheur. En effet, il n’y a pas sous le ciel d’autre nom par lequel nous puissions être sauvés que celui de Jésus (cf. Ac 4,12). Fermement enracinés dans cette foi, nous fixons notre regard sur le visage du Christ, notre guide et notre pasteur. Nous nous ouvrons à la Parole de vie rapportée par ceux qui l’ont vu de leurs yeux, entendu de leurs oreilles, touché de leurs mains (cf.1 Jn 1,1). Nous contemplons en Jésus le visage du Père. Lui seul, venant du Père, pouvait nous le dévoiler (cf. Jn 14,9). Seigneur Jésus, c’est ta face que nous cherchons. Qu’en toi et par ton Esprit, nous entrions dans l’obéissance d’un cœur filial et devenions les enfants bien-aimés du Père.
En second lieu, la prière de Jésus nous ouvre l’espace de la mission. "Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux sont dans le monde, et moi, je viens vers toi." En quelque sorte, Jésus part et nous laisse la place. Comme le Père l’a envoyé dans le monde, à son tour il nous envoie poursuivre la mission inaugurée par lui. Notre tâche ne diffère pas de la sienne : ouvrir les hommes à la paternité de Dieu et dans le même mouvement à la fraternité universelle. Comment pourrions-nous donner à Dieu le nom de Père sans voir en tout homme un frère !
Le chemin qu’il nous propose est toujours le même, aujourd’hui, demain comme hier : c’est le Christ Jésus. C’est sa parole annoncée de telle sorte qu’elle ait quelque chance d’être entendue. C’est la qualité de notre vie entre disciples, mais aussi avec toute personne, surtout avec l’homme blessé. N’est-il pas vrai d’ailleurs que c’est en se faisant notre frère, compagnon de nos peines, de nos espoirs, de nos joies, que Jésus nous a révélé le Père des miséricordes et nous conduit à lui ? Ce qu’il a fait nous est une précieuse indication pour notre propre service de l’Évangile en ce monde.
Jésus part et nous laisse la place. Il ne nous abandonne pas. Sa prière, quelques heures avant sa passion, est imprégnée de sa préoccupation pour ses disciples : "Je prie pour eux… pour ceux que tu m’as donnés." Il sait qu’ils seront en butte aux contradictions du monde comme lui-même l’a été. Il prie aussi pour ceux qui sur leur témoignage croiront en lui.
Cette prière, Christ la continue dans l’éternité. Aujourd’hui encore, il prie pour chacun de nous, ouvriers et missionnaires de l’Évangile. Il prie pour ceux qui, grâce à nous, s’éveilleront au don de Dieu. Et surtout, il nous fait le don de l’Esprit Saint, premier acteur de la mission. L’Esprit qui donne force, audace et inventivité aux serviteurs de l’Évangile. L’Esprit qui dispose les cœurs à s’ouvrir à la Parole de vie et de vérité.
Viens Esprit Saint, nous t’attendons
! 607
Année A - ASCENSION DU SEIGNEUR -21 mai 2020
Ac 1, 1-11; Ep 1, 17-23; Mt 28, 16-20
Homélie du P.Abbé Luc
Frères,
En ce jour, où nous fêtons l’Ascension du Seigneur, que retenir pour nous aujourd’hui dans notre vie de chrétien, de moine ? Je crois que cette fête peut nous ancrer dans une intelligence toujours plus large du mystère du Christ, soutenir notre espérance, et nous fortifier dans la confiance. Je vais reprendre ces trois points.
Cette fête de l’Ascension élargit notre intelligence du mystère de Jésus. Jésus qui monte au ciel, ne fait pas que retourner là où il était auparavant auprès de son Père. En son humanité glorifiée par sa résurrection, il a reçu de son Père la Seigneurie sur tout l’univers créé. Paul perçoit combien la présence de Jésus assis à la droite du Père, est l’attestation de sa Seigneurie sur toute chose, au ciel comme sur la terre. Il est « au-dessus de tout », car Dieu « a tout mis sous ses pieds ». Les églises byzantines se font l’écho de cette conviction, lorsque souvent elles représentent au sommet de la coupole centrale, une image du Christ pantocrator, tout puissant qui règne sur notre monde. Cette vision du Christ Seigneur de tout le créé loin de nous faire peur peut nous aider à prendre de la hauteur vis-à-vis du monde dans lequel nous vivons. Ce monde n’est pas abandonné à son triste sort. Il est porté et aspiré par Celui qui l’a fait à l’origine, qui l’a sauvé par sa croix et qui l’a recréé par sa résurrection. Le Christ ressuscité, assis à la droite de Dieu, c’est-dire participant pleinement à sa puissance vivifiante, est le « roi de la terre…il règne », comme nous l’avons chanté avec le psalmiste. Dans notre lectio, dans nos lectures, cultivons cette intelligence et cette lumière de la foi portée sur notre monde.
Cette fête de l’Ascension veut aussi nous fortifier dans l’espérance, l’espérance de rejoindre Jésus. Comme nous l’avons prié au début de la célébration : « l’Ascension de ton Fils est déjà notre victoire : nous sommes les membres de son corps, il nous a précédés dans la gloire auprès de toi, et c’est là que nous vivons en espérance »…En quelques mots, tout est dit. Toute la geste de Jésus, depuis son incarnation jusqu’à son Ascension est de s’unir à lui toute l’humanité et chacun en particulier. Tout ce qu’il a vécu, il l’a vécu pour nous, afin que nous vivions par Lui éternellement. L’image du Corps, dont il est la Tête et nous les membres, exprime merveilleusement cette unité de destin dans laquelle Jésus nous entraine désormais. En choisissant de lui remettre notre vie, par la foi et le baptême, nous consentons à être unis à Lui. Dès lors, ce qu’il a vécu en sa chair, nous le vivons nous aussi, faisant de toute notre vie et de notre mort une offrande. Et ce qu’il est aujourd’hui dans sa chair glorifiée, nous le serons, nous aussi. C’est là notre espérance que chaque eucharistie et chaque office célébré veulent célébrer et soutenir.
Mais cette fête voudrait aussi fortifier notre confiance pour le chemin encore à vivre. Le Christ, Tête déjà dans les cieux, ne cesse de donner la vie à son corps, par son Esprit. Il lui donne déjà de prendre part à son énergie. Paul, avec des mots forts, évoque « la puissance incomparable que Dieu déploie pour nous les croyants, c’est l’énergie, la force et la vigueur qu’il a mise en œuvre dans le Christ ». Peut-être est-ce une autre manière d’exprimer la promesse que Jésus a faite aux disciples : « et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ». Jésus vivant auprès du Père, loin d’être absent, continue de partager son énergie divine à son Corps qu’est l’Eglise, à travers les sacrements et toute la vie ecclésiale de prière et de communion. Cette conviction de foi vient rencontrer les difficultés actuelles qui mettent en évidence la faiblesse de notre Eglise. Que nous dit ce regard de foi face au péché et aux disfonctionnements que nous déplorons ? Que Dieu ne cesse d’espérer en nous et qu’il n’a qu’un désir : nous donner sa vie en plénitude. Si nous-mêmes tombons, si nous sommes scandalisés par la mauvaise image que nous pouvons donner au monde, gardons confiance en la vie offerte par le Christ notre Tête. S’il a voulu nous adjoindre à lui, comme les membres de son corps, n’est-ce pas pour guérir nos maladies et fortifier notre faiblesse ? Il revient à notre Eglise, et chacun de nous d’être responsable de faire fructifier les dons offerts, de ne pas gaspiller la vie donnée en abondance…Tant d’autres membres du Corps, à côté de nous, cherchent cette vie et l’attendent.
Année A - 5° dimanchede Pâque - 10 mai 2020
Ac 6 1-7 ; 1° Pierre 2 4-9 ; Jn 14 1-12
Homélie de F.Bernard
Durant le temps pascal nous apprenons la vie chrétienne, tâche jamais achevée que nous reprenons chaque année.
Apprendre la vie chrétienne, c’est passer d’une connaissance du Christ selon la chair, à une connaissance selon l’Esprit, du Christ et de toutes choses en Christ. C’est, pour reprendre les mots de saint Paul, accéder à une vie nouvelle, devenir une créature nouvelle, où l’être ancien disparaît pour faire place à l‘être nouveau (cf. 2 Cor 5, 16-17).
Les disciples de Jésus avaient connu leur Maître et l’avaient suivi durant sa vie publique, l’avaient confessé comme le Messie qui devait venir, comme celui qui avait les paroles de la vie éternelle. Pourtant ils ont dû se faire à l’idée de son départ, son départ par sa Passion et sa mort pour le retrouver vivant le troisième jour, puis son départ vers la maison du Père au jour de l’Ascension, pour recevoir le don de l’Esprit au jour de la Pentecôte.
Mais nous, comme l’apôtre Paul, nous n’avons pas connu le Christ selon la chair. Cependant nous devons accomplir une démarche semblable pour accéder nous aussi à la connaissance du Christ dans l’Esprit.
A entendre les Évangiles nous prenons conscience que Jésus a préparé ses disciples à son départ, par étapes et avec ménagement. Je m’en vais, leur dit-il, et je vous préparerai une place dans la maison de mon Père. Puis je reviendrai vous prendre avec moi, afin que là où je suis vous soyez vous aussi.
Jésus a multiplié pour eux les images et les comparaisons, pour faire pressentir le mystère de sa personne, le mystère de Dieu. Il s’était déjà donné comme le Pasteur des brebis et aussi la Porte de la bergerie. Maintenant il se désigne comme le Chemin qui conduit au Père, et aussi comme le terme du chemin : Je suis la Vérité et la Vie. Je suis dans le Père et le Père est en moi. Ainsi le vieux rêve de l’homme, le rêve de toujours, voir Dieu, commence à trouver son accomplissement en Jésus : Qui me voit, voit le Père.
Je m’en vais et je reviendrai. Par ces paroles Jésus avait annoncé sa Passion et sa Résurrection, mais aussi ce temps si particulier que nous vivons liturgiquement entre Pâques et Ascension, entre son 1er départ et le second. A lire le récit des Actes des Apôtres en son début, on a l’impression que tout se passe comme avant : le Ressuscité s’est entretenu avec les disciples du Royaume, il a partagé avec eux des repas. En fait il n’en était pas ainsi. Manifesté à ses disciples, dès qu’il était pleinement reconnu par eux, Jésus disparaissait à leurs yeux, car la figure terrestre du Seigneur devait disparaître afin que nul puisse confondre cette figure avec Dieu même. Au terme du temps, quand Jésus paraîtra dans sa Gloire, la Gloire même du Père rayonnant en lui, alors plus aucun malentendu ne sera possible.
Durant ces jours qui nous précèdent des solennités d’Ascension et de Pentecôte, nous entendrons les ultimes paroles de Jésus dans le discours après la Cène, son testament spirituel. Alors Jésus parlera aux disciples non plus en figures mais en toute clarté, annonçant à cinq reprise Celui qui sera cette autre Présence auprès des disciples, après son départ, cet autre Paraclet, l’Esprit Saint qui procède du Père et est envoyé par le Fils. C’est Lui qui conduira les disciples à la vérité tout entière. C’est en Lui qu’ils accèderont à la connaissance spirituelle du Christ et de tout. C’est de Lui que nous recevons notre identité de fils du Père, et le prions en Esprit et vérité.
Les deux premières lectures de ce dimanche nous font connaître quelque chose de la vie de l’Esprit, dans la 1ère génération chrétienne. D’abord l‘institution des sept diacres. Ils furent choisis, pour la présence de l’Esprit en eux et pour leur sagesse., en vue d’un ministère non pas jugé secondaire et dévalué par rapport à celui des Douze -servir les membres de la communauté en leurs besoins premiers- mais pour que dans ce service fraternel le Christ soit reconnu et servi.
Puis l’Apôtre Pierre exhortant ses correspondants à être des pierres vivantes de l’édifice spirituel en construction, l’Église, dont la pierre de fondation est le Christ lui-même. Alors ils pourront offrir des sacrifices spirituels à la gloire du Père et pour le salut du monde.
Notre tâche est définie : connaître dans l’Esprit l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance. Entrer ainsi dans toute la plénitude de Dieu.
Année A - 4e dimanche après Pâques (2020, communauté seule)
Actes 2, 36-41 ; I Pierre 2,20-25 ; Jean 10, 1-11
Homélie du F.Ghislain
Dans l’évangile, Jésus nous a dit, une fois de plus : « Je suis la porte ». Toute porte libère un passage, elle ouvre sur une route à prendre, sur un espace à occuper. Pour nous, moines, la route est un chemin vers Dieu, l’espace où entrer est Dieu lui-même. La phrase de saint Benoît a touché nos cœurs : « chercher Dieu » dans cet espace physique et dans cette communauté humaine. Nous écoutons en ce moment au réfectoire les propos monastiques du cardinal Hume, tout à fait classiques mais qui peuvent nous toucher nous aussi. Il disait : « la vie monastique est avant tout une quête de Dieu…la finalité de tout est la quête de Dieu… L’intimité avec Dieu, c’est ce à quoi tout le reste nous mène et dont tout devrait déborder… »
Ces propos répétés me rappellent ce que nous disait le père abbé Fulbert, à trois jours de sa mort à Noël 1948 : « Restez recueillis en Dieu » ; ou encore ils font écho à une résolution écrite par le père abbé Placide sur un papier retrouvé après sa mort en 1952 : « élans secrets d’amour qui montent vers Dieu, tel qu’il est en Lui-même. Dieu aimé pour lui-même ». Le cardinal Hume parlait « d’instinct monastique », ce qui rappelle la formule de saint Thomas parlant de « l’instinct intérieur de la foi ». Chacun de nous l’a reçu, cet instinct, autrement il ne serait pas ici. Intérieur et invisible (saint Augustin disait : plus intime à nous que nous-mêmes) il nous maintient attachés les uns aux autres. En ce temps de virus, on peut dire qu’il nous a contaminés, il nous contamine ; loin de chercher un vaccin, nous sommes invités à le laisser peu à peu nous coloniser totalement, afin qu’il soit le lien indestructible de notre être ensemble : « la quête de Dieu en communauté », dit encore Basil Hume.
Je suis la porte, il faut donc la passer. Mais il faut aussi penser ce passage afin de bien le prendre. Aujourd’hui, dans la seconde lecture, saint Pierre nous dit comment : « Il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces ». Quelle trace ? Celle de celui qui a « supporté la souffrance pour avoir fait le bien ». De même que l’image de la porte nous ouvrait sur Dieu, de même elle nous indique la patience, la Passion du Christ. Et de même que ce texte pouvait évoquer en nous le « S’il cherche vraiment Dieu » de la Règle, de même il nous fait penser à la mystérieuse formule qui suit dans le texte du chapitre 58 : « s’il est soucieux d’opprobres ». Le père Adalbert adoucit le dernier mot en traduisant : « de pratiques d’humilité ». Quoi qu’il en soit, en reprenant l’expression du cardinal Hume, on pourrait dire : de même qu’il y a un instinct monastique qui nous pousse vers Dieu, de même il y en a un, - et c’est sans doute le même, - qui nous pousse vers l’humilité. C’est au niveau de cet instinct que nous pouvons entendre le père Muard : « pauvre, humble, mortifié ». Au réfectoire encore, nous avons entendu quelque chose de cela dans l’évocation du Père Ceyrac, particulièrement au moment où il retourne en Inde après les années passées au Cambodge. A ce moment-là, on pourrait dire qu’il est désormais « de trop » : on a du mal à lui trouver une chambre, ce n’est plus pour lui le temps des initiatives puissantes, il appartient à un passé dépassé, il n’a pas de futur. Plusieurs fois, à cette époque, il note comme à regret sur son carnet qu’il ne laisse rien derrière lui : pas, comme l’abbé Pierre, les fondations d’Emmaüs, pas comme Mère Teresa, une congrégation de sœurs de la Charité. Rien. Alors, un jour, il se lève, fait sa toilette, se coiffe soigneusement, puis il s’étend et il meurt, tout dispos pour passer par la porte, Jésus qu’il aimait. Pauvre, humble, mortifié.
Je crois que nous, ici à la Pierre qui Vire, cette trentaine d’hommes que nous sommes, en communion avec nos frères du Vietnam, de Madaga scar, du Burundi, nous vivons de ce double instinct, instinct de Dieu qui nous attire et nous pousse vers l’invisible, instinct d’humilité qui nous fait, comme dit un texte de saint Paul lu à Laudes la semaine dernière, chercher à « le connaître, la puissance de sa Résurrection, la communion à ses souffrances ». Pas plus que saint Paul, nous n’y sommes arrivés, mais « oubliant ce qui est en arrière et tendus vers l’avant, nous courons vers le but », la communion avec Dieu dans le Christ avec tous nos frères les hommes.
Ainsi soit-il