Homélies
Liste des Homélies
Année A - 3e dimanche de l’Avent – 11 décembre 2022
Is 35, 1-6a.10 / Jc 5, 7-10 / Mt 11, 2-11
Homélie du f. Hubert
« Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » - Qui est Jésus ? - Voilà bien la grande question.
Gardons-nous d’une réponse trop rapide, d’enfermer Jésus dans des mots, même ceux de la foi, si justes soient-ils. Son mystère dépasse toute compréhension. - Ne cessons pas de chercher qui est Jésus. - Il est venu parmi nous pour se révéler à nous, pour nous révéler le visage de son Père, nous révéler le vrai Dieu, le Dieu vivant, le Dieu qui donne la vie. - Demandons-lui la grâce de le connaître. - Demandons-lui : « Qui es-tu ? ». Ne cessons pas de scruter l’Evangile et les Ecritures, dans l’Esprit Saint, pour le connaître avec plus de justesse, et de marcher dans la voie où lui-même a marché, pour le connaître par connaturalité.
Ecoutons l’évangile de st Matthieu que nous allons entendre tout au long de cette année : dans cet évangile, l’ange du Seigneur annonçant la naissance de Jésus à Joseph le nomme comme celui « qui sauvera son peuple de ses péchés ». - Déjà dans cette formule, Jésus est celui qui sauve, non celui qui détruit. -Il détruit les péchés, il sauve le peuple, son peuple, le peuple de ses frères abîmés par le péché. « Au milieu de vous je suis le Dieu saint, et je ne viens pas pour exterminer », disait Dieu dans la bouche du prophète Osée.
Petit bébé fragile et dépendant, Jésus est confronté à la violence des hommes, à la violence du monde, il doit fuir en Egypte dans les bras de ses parents, pour être à l’abri de la jalousie destructrice d’Hérode. - De retour en Israël, il vit toute sa jeunesse incognito, caché à Nazareth de Galilée.
Si Jean Baptiste le reconnait au Jourdain : « C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi, et c’est toi qui viens à moi ! », il l’attendait comme le Messie qui allait tout remettre en ordre, faire le tri parmi les hommes, entre bons et méchants, nettoyer son aire à battre le blé avec la pelle à vanner. Jean est bien dans la ligne de son prédécesseur Elie qui voulait exterminer tous les prêtres et les adorateurs de faux-dieux.
Jésus, lui, continue son chemin comme il l’a commencé :
il est doux et humble de cœur (Mt 11, 19), il n’écrase pas le roseau froissé, n’éteint pas la mèche faiblit » (Mt 12, 20). Il pardonne les péchés, appelle à le suivre le publicain Matthieu, guérit le serviteur d’un centurion de l’armée d’occupation. - Il n’est pas venu détruire les pécheurs. Il est venu prendre leur place pour qu’ils accèdent à la vie divine.
« C’est ainsi qu’il doit accomplir toute justice » (Mt 3, 15).
Cette manière d’être et d’agir surprend le Baptiste et le trouble jusqu’à se demander si Jésus est vraiment celui qui doit venir. « Faut-il en attendre un autre ? »
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« Rapportez à Jean ce que vous entendez et voyez », répond Jésus aux émissaires de Jean. Il ne s’agit pas d’idées mais du concret de la vie :
« Les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. »
Jésus remet debout, réconcilie, réintègre les exclus.
« Le Royaume des cieux s’est approché » (Mt 4, 17).
Il est l’Emmanuel (Mt 1, 23), Dieu avec nous, pour que nous soyons avec Dieu.
Oui, Jésus est bien « celui qui doit venir », mais il vient comme le Serviteur, ce Serviteur annoncé par Isaïe, que Jean ne semble pas avoir eu en vue : « Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes » (Isaïe 53). - Jésus inaugure par sa présence même un monde nouveau, le Royaume des cieux. - C’est bien pourquoi, le plus petit dans le Royaume est plus grand que Jean. - Dans le Royaume, tout être est bien plus que le plus grand des prophètes : il est fils de Dieu, uni au Fils unique. Les temps sont accomplis.
Qui est Jésus ? Qui est Jean Baptiste ? Qui sommes-nous ?
Nous pouvons trouver une réponse, qui est un chemin, dans l’hymne de la lettre aux Ephésiens : « Qu’il soit béni le Dieu et Père de notre Seigneur, Jésus, le Christ ! Il nous a bénis. Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs, par Jésus, le Christ. En lui, par son sang, nous avons le rachat le pardon des péchés. » - Oui, nous espérons être sauvés par le Christ, nous espérons voir Dieu, nous espérons marcher à la suite de l’Agneau, ressusciter avec le Premier-Né d’entre les morts. - Soyons disciples du Christ en prenant soin des autres pour qu’ils vivent : alors nous ferons advenir le Royaume des cieux, nous rendrons présent Celui qui toujours advient.
Fête du Christ Roi C; 20 novembre 2022
2 Samuel 5, 1-3 / ps 121 ;Colossiens 1, 12-20; Luc 23, 35-43
Homélie du F.Basile
Frères et soeurs, à quoi pensait le bon larron quand il s’est retourné vers le Christ en disant ou plutôt en criant : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume ! » A quoi pensait-il ? N’essayait-il pas de se racheter en jouant la carte de la dernière chance ? On pourrait croire qu’il exagère et que c’est un peu facile quand on est condamné d’obtenir ainsi une place gratuite dans le Royaume. Mais alors pourquoi cet homme nous est-il si proche au point de vouloir nous glisser derrière lui et faire nôtre sa prière et son cri.
Est-ce si facile que cela ? Regardons les choses en face : les 3 condamnés vont mourir, Jésus comme les autres, et ce dernier apparaît totalement incapable de sauver les autres comme de se sauver lui-même : c’est pour cela qu’on se moque de lui et pas n’importe qui : les chefs du peuple qui l’ont fait condamner. Alors surgit cette parole d’un des 2 malfaiteurs en réponse à l’autre qui se moque aussi : « Mais lui, il n’a rien fait de mal » et voilà qu’il se tourne vers Jésus dans un acte de foi étonnant : lui seul a su le reconnaître dans sa royauté véritable. Et nous alors ?
Si l’on m’avait demandé de choisir un texte d’Evangile pour mettre en lumière la royauté du Christ, je n’aurais pas pensé à cette prière du bon larron à Jésus en croix. J’aurais pris spontanément la parole du Christ ressuscité, vainqueur de la mort et disant à ses disciples : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Et ce pouvoir, je vous le donne : Allez, enseignez toutes les nations, baptisez-les… » Au moins, c’est clair, nous savons qui est notre maître, notre roi ; nous sommes prêts à nous battre pour lui. Hélas, vous le savez, c’est en s’appuyant sur cette parole que l’on a évangélisé et baptisé à tour de bras, au mépris bien souvent de la liberté religieuse et du respect de la conscience de chacun. Des accents de croisade, refusés bien sûr aujourd’hui. Mais comme c’est difficile de comprendre, d’harmoniser, de ne pas déformer les paroles de Jésus.
C’est normal que le choix de cet évangile nous étonne, en présentant Jésus comme un roi crucifié et impuissant, mais il peut susciter en nous de vraies questions sur notre foi : à quoi pensons-nous quand nous parlons de la Royauté du Christ sur le monde ?
Bien vite nous risquons de faire l’amalgame : règne du Christ, règne des chrétiens ou du christianisme sur l’ensemble de l’humanité ; et nous avons rêvé d’une Eglise toujours plus influente : un aspect de triomphalisme qui nous habite tous, plus ou moins, et qui était très marqué à l’époque où cette fête du Christ Roi a été instituée par le pape Pie XI, il y a presque 100 ans. Il suffit qu’aujourd’hui tout s’effondre avec une baisse d’influence de l’Eglise sur la société, une baisse de la pratique religieuse et des vocations presbytérales, et nous voilà désemparés : nous avons l’impression que la foi est touchée, comme si Dieu n’était plus avec nous.
Réagir ainsi serait méconnaître le fondement de notre foi qui est Jésus Christ, mort et ressuscité, méconnaître l’Evangile, parole de salut et de sens pour le monde d’aujourd’hui. La tentation du pouvoir demeure grande chez les chrétiens alors que le Christ n’est pas venu pour dominer le monde, mais pour le servir ; sa royauté, c’est-à-dire là où il est le plus grand, est celle de l’humilité, de l’amour et du pardon.
Avons-nous compris que son Royaume est caché : « Ma royauté n’est pas de ce monde » ; notre Dieu est caché. Oui, Jésus vient le révéler, mais pas du tout comme on l’attendait, car il met tout à l’envers.
En effet tous les textes de la Bible, les prophètes et les psaumes annoncent le Christ comme le Messie, le Fils de David, le Roi, celui que les Juifs attendent encore. Vous l’avez entendu dans les moqueries des chefs et des soldats : « Qu’il se sauve lui-même s’il est le Messie de Dieu, l’Elu, le roi des Juifs ! » Or vous voyez bien qu’il n’est rien de tout cela : il est impuissant, crucifié, entouré par 2 bandits. Dieu n’est jamais là où l’on pense le trouver ; il est là où il ne devrait pas être.
Un seul a reconnu Jésus avant sa mort sur la croix, et c’est un malfaiteur, un seul a proclamé son innocence, un seul a reconnu, en dépit des apparences, le Royaume dont il avait parlé si souvent. Nous sommes là en plein évangile de de la grâce et du salut de Dieu ; Jésus ne cesse pas d’offrir l’accueil et le pardon de Dieu à tous les rejetés, à tous les exclus, au pire des criminels, dès lors qu’il se retourne vers Celui qui l’attend : cela ne se passe pas dans un palais ou même dans une église, cela se passe sur une croix dans le dénuement le plus absolu, dernière parole échangée entre 2 crucifiés : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume ! » Voilà la royauté du Christ, le pouvoir de l’amour plus fort que la dérision, la violence ou la mort !
Dans son roman « Crime et châtiment », l’écrivain russe Dostoievski qui a lui-même connu le bagne, montre bien jusqu’où peut aller la compassion du Christ : un pauvre homme se lève dans un café et récite le Notre Père, puis devant ceux qui se moquent de lui parce qu’il vient de boire l’argent gagné par sa fille qu’il a envoyé se prostituer, il pense à Dieu qui le jugera et il s’écrie : « Oui, Dieu nous dira alors : viens, je te pardonne et nous entendrons sa parole : Approchez, vous aussi, les débauchés, les impudiques, vous qui avez l’aspect de la bête, venez aussi. Tous, nous avancerons et il nous ouvrira ses bras, et nous nous y précipiterons. Alors nous comprendrons tout. »
« En vérité, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » Frères et sœurs, faut-il attendre l’extrême détresse, le fond de la désespérance pour entendre cette parole ? Non, elle nous est donnée pour la vie de chaque jour, « aujourd’hui » nous dit Jésus et puis ce petit mot « avec moi » est à prendre à la lettre : dans le Royaume, on n’est pas sous le Christ, dominé par lui, mais avec le Christ. St Ambroise dit très bien cela : « La vie chrétienne consiste à être avec le Christ : où est le Christ, là est le Royaume. » Le Royaume, il est déjà là, en nous ; il s’agit de le reconnaître. Il est là chaque fois qu’au nom de Jésus nous choisissons d’aimer, de pardonner, de nous faire confiance, de nous ouvrir à la détresse des autres, de nous mettre au service des plus petits. « Jésus, souviens-toi de nous : vienne ton Royaume aujourd’hui ! »
Année C – 33° dim. du Temps Ordinaire – 13 novembre 2022
Mal 3 19-20 ; Ps 97 ; 2°Thess 3 7-12 ; Luc 21 5-19 ;
Homélie du F. Damase
Les textes bibliques de ce dimanche sont un appel à l’espérance.
Malachie écrit, il y a qq 2 500 ans, pour des croyants qui ne savent plus très bien où ils en sont. Tout le monde a l’air de perdre la foi, y compris les prêtres de Jérusalem. On en vient à se demander où est Dieu. Que fait-il ? Pourquoi ne fait-il rien contre ceux qui se vautrent dans la corruption ? Ces questions sont aussi celles des croyants d’aujourd’hui. Pourquoi cette guerre en Ukraine ? Pourquoi ces prises d’otages dans le Sahel ? Pourquoi cette violence contre les immigrés ? Pourquoi la misère des vieillards ?
Mais Dieu annonce une bonne nouvelle : le mal n’a pas le dernier mot. Les croyants ne doivent pas désespérer. Malachie rappelle que le projet de Dieu d’instaurer la justice progresse. Le jour du Seigneur vient. Le croyant attend impatiemment sa venue. Dieu est Père. L’annonce de la venue du jour du Seigneur est une bonne nouvelle. Le prophète nous précise que ce jour « brûlant comme une fournaise » n’est pas une menace. C’est au contraire une manière de dire l’amour passionné de Dieu pour l’humanité. C’est une invitation à nous exposer tout entier au « soleil de son amour ».
Encore une fois, nous n’avons rien à craindre du jour du Seigneur. C’est de cette espérance que nous avons à vivre et à témoigner dans le monde d’aujourd’hui. Notre Dieu n’abandonne jamais ceux qui se confient à lui. Il est leur force, leur courage, leur soutien jusqu’au bout.
L’Evangile d’aujourd’hui a été écrit pour des chrétiens persécutés à cause de leur foi au Christ. Luc veut les ramener à l’essentiel : « Ne vous laissez pas égarer par les prophètes de malheur… ne marchez pas derrière eux… Ces gens ne parlent pas au nom de Dieu. Ils ne représentent qu’eux-mêmes. Il ne faut pas chercher le Christ dans ce qui affole, ni dans ce qui dramatise l’histoire. Nous le reconnaîtrons dans la paix qu’il donne au milieu des épreuves. Quand tout va mal, il est celui qui donne le courage de vivre et de travailler à la construction d’un monde plus juste et plus fraternel.
Et pourtant, certaines paroles du Christ ont de quoi faire peur. Il avertit les siens qu’ils seront détestés de tous. Mais si nous regardons les évangiles de plus près, nous voyons bien que lui-même a été détesté. Nous aussi, il nous arrive d’être critiqué à cause de notre foi et de l’amour que nous avons pour le Seigneur et pour les autres. L’Eglise est souvent tournée en dérision.
Les lectures de ce dimanche visent donc à réveiller notre foi. Trop souvent, nous ne voyons que ce qui va mal. On se lamente mais on ne bouge pas. Le Christ nous invite à vivre une vie digne de l’alliance dans laquelle nous sommes engagés. Quand nous regardons vers la croix, nous comprenons que Jésus s’est donné entièrement et jusqu’au bout. C’est sur cette route que nous sommes invités à le suivre. Certes, les épreuves seront au rendez-vous. Mais ceux qui les endureront au nom du Christ seront sauvés. C’est là que le Seigneur nous attend pour témoigner de l’espérance qui nous anime. Inutile de chercher les mots : Le Seigneur lui-même s’en charge. Si Jésus nous envoie son Esprit Saint, c’est pour que nous puissions témoigner de la foi et de l’espérance qui nous animent.
En ce dimanche, nous sommes venus vers le Seigneur. Nous voulons l’accueillir et lui donner la première place dans notre vie. C’est avec lui que nous pourrons travailler à la construction d’un monde plus humain, élargir nos cœurs aux dimensions du sien.
Que par notre prière, nos paroles et notre solidarité, nous soyons de vrais témoins de l’espérance qui nous anime.
630 mots
Année C - 32ème DIM DU TEMPS ORDINAIRE -
(6 novembre 2022)
2 Macc. 7,1-14 ; 2 Thess. 2,16-3,5 ; Luc 20, 27-38
Homélie du F.Guillaume
Frères et sœurs
Les textes de l’Ecriture que nous venons d’entendre, celui de l’A.T. et le passage de l’Evangile de St Luc nous placent clairement devant la question de la résurrection des morts, la résurrection des corps. Ils doivent nous interpeller : y croyons-nous aussi ? C’est une question fondamentale pour quiconque se déclare chrétien, question qui interroge notre présence ici et maintenant dans cette église, à cette messe.
L’apôtre Paul dans une lettre aux corinthiens rappelait à ces derniers, car certains avaient des doutes : « S’il n’y a pas de résurrection des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité, et si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide, et vide aussi votre foi. Votre foi est illusoire, vous êtes encore dans vos péchés »
La question est donc grave : il en va de notre foi, de la sincérité et de la vérité de notre parole de croyant, de baptisé.
En 1ère lecture, nous avons entendu ce récit du martyre d’une famille entière au temps d’une grande persécution contre les juifs qui se voulaient fidèles à la Loi de Dieu, à son Alliance avec son peuple. Le texte peut être daté du 2ème siècle avant notre ère. Il est l’un des tout derniers de l’A.T. et pourtant, il est un des premiers si ce n’est le premier de toute la Bible où s’affirme clairement l’espérance d’une résurrection personnelle des morts.
Au temps de Jésus, tous ne partageaient pas cette croyance. L’un des courants juifs les plus influents, le parti des Sadducéens s’y opposait, de même qu’il niait l’existence des anges, en argumentant que ces réalités n’étaient pas mentionnées dans les 5 premiers livres de la Thorah. Les pharisiens, y croyaient, eux. Ils constituaient un autre parti, dont Jésus était proche, tout comme St Paul qui en avait été membre avant sa conversion.
L’Evangile nous présente ainsi un débat, où les sadducéens cherchent à tendre un piège à Jésus avec un cas d’école caricatural, invraisemblable même, qu’ils appuient sur une fausse interprétation des Ecritures.
En réalité, l’enjeu du débat se trouve dans la distinction que fait Jésus et que ne font pas ses adversaires, entre 2 mondes de nature différentes. Le premier est celui que nous connaissons bien : le terrestre, le visible, tangible et actuel, le second, lui est à venir, c’est le monde de la Résurrection. Entre les deux il y a la mort physique et corporelle, point de passage obligé, et lieu à la fois de rupture et de continuité.
Pour les sadducéens, s’il y avait une résurrection, elle serait comme une prolongation ou une restauration de nos existences de ce monde ci ; elle serait marquée par la nécessité du mariage et de la procréation pour perdurer.
Pour Jésus en revanche, le passage entre les deux mondes est une vraie rupture avec l’établissement d’une création nouvelle, mais cependant dans une continuité de vie, une vie assurée par Dieu lui-même : le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob qui n’est pas un Dieu des morts, mais des Vivants.
Ainsi, sommes-nous invités à bien distinguer dans la réalité de toute mort, la nôtre inéluctable comme dans celle d’un proche, d’un être particulièrement cher, à bien distinguer ce qui relève de la rupture et ce qui appartient à la continuité de la vie. La difficulté provient que nous avons du mal à nous représenter ce monde de la Résurrection et de la Vie Eternelle, où nous serons semblables aux anges. Alors même que nous y sommes déjà entrés par le baptême et la vie chrétienne dans l’Esprit. Car la vie éternelle, nous dit Jésus dans le IV° évangile, c’est de connaître Dieu et Celui qu’Il a envoyé dans le monde. En cela nous sommes déjà participants de la réalité du monde de la Résurrection, même si c’est d’une façon inachevée.
Saint Paul dans sa lettre aux corinthiens s’avance un peu plus dans la description de cette nouvelle création. Il distingue des corps spirituels des corps charnels. Par ailleurs, les récits des apparitions de Jésus Ressuscité en finales des évangiles nous révèlent des traits du corps glorieux de Jésus, portant les marques de sa Passion et qui se fait reconnaître à travers des relations retrouvées, des marches, des repas, des échanges de paroles.
Car la continuité de la vie dans ce monde de la Résurrection sera essentiellement fondée sur nos expériences relationnelles.
Et si nous professons dans le Credo : j’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir ou je crois à la résurrection de la chair, il faudrait tout aussi bien affirmer : je crois à la résurrection des relations, de ces relations heureuses ou douloureuses que j’ai entretenues sur terre, et que je retrouverai, transfigurées dans la lumière de la Gloire de Notre Père du Ciel. Et cela, quelle que soit, après tout, la consistance de ces corps spirituels et glorieux où nous ressusciterons.
Ainsi approchés et interprétés, les textes de la liturgie de ce dimanche sont des appels à l’espérance, à la grande et joyeuse espérance que nous désignerons tout à l’heure avant de communier, nous qui attendons que se réalise cette bienheureuse espérance : l’avènement de Jésus-Christ, Notre Sauveur.
Espérance de la vie éternelle, de la vie dans l’Esprit Saint avec le don de l’amour répandu dans nos cœurs, à jamais.
J’aimerais achever cette méditation par une phrase très belle de Saint Augustin qui fut un grand maître dans le domaine des relations humaines et spirituelles, à propos de la perte d’un être cher :
« on ne peut perdre celui qu’on aime, si on l’aime en Celui qu’on ne peut pas perdre »
TOUSSAINT 2022
Ap 7, 2-4. 9-14 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a
Homélie du Père Abbé Luc
Frères et sœurs,
Sur fond de menaces de guerre généralisée qui confinerait à la folie et qui entrainerait un désastre pour l’avenir de l’humanité, comment entendre ces paroles de Jésus, les béatitudes ? Par leur caractère plein d’humanité et d’espérance veulent-elles nous endormir ou nous bercer dans un rêve doux et paisible ? Ou alors, veulent-elles nous dire quelque chose de fort et de profond pour affronter ce temps de crise ?
En effet, on a peut-être trop tendance à entendre ces paroles de Jésus en privilégiant celles qui nous semblent plus acceptables, et qui font entrer dans une dynamique spirituelle : heureux les pauvres de cœur, heureux les doux, les artisans de paix, les miséricordieux…. Mais on laisse en second plan, voire on oublie les autres : heureux ceux qui pleurent, heureux ceux qui ont faim et soif de justice, les persécutés pour la justice, heureux serez-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute, si l’on dit toute sorte de mal contre vous à cause de moi…. Ces béatitudes sont plus difficiles à entendre. Elles nous dérangent. Nous préférons les oublier si nous ne sommes pas affrontés à ces oppositions ou difficultés. Nous ne voulons pas trop de ce bonheur-là. Mais ne risque-t-on pas alors de passer à côté de la compréhension profonde de ces paroles de feu ? En effet, ces dernières béatitudes, plus rugueuses, et qui achèvent les paroles de Jésus, ne sont-elles pas celles qui donnent le ton à l’ensemble ? Les béatitudes ne s’entendent peut-être vraiment bien que si l’on a en arrière fond l’ensemble de la vie et de prédication de Jésus, puis après lui celle des premiers chrétiens à qui écrit l’évangéliste Matthieu, qui ont dû faire face à la contradiction, une contradiction qui peut conduire à la mort. C’est sur ce fond d’opposition et de persécutions, que Jésus propose les béatitudes, comme pour nous suggérer que là se révèle plus profondément la voie du bonheur. Se faisant, fait-il autre chose que d’offrir les repères de son propre bonheur, de Fils du Père ? Face aux contradictions, il est resté pauvre de cœur, sans répondre ; il a été doux en refusant l’usage de la force, il a été miséricordieux vis-à-vis de ceux qui l’on abandonné…. Il a fait œuvre de paix. Il a pleuré sur Jérusalem endurcie. Jésus a fait l’expérience d’un bonheur en creux, non accompli…qui l’a tenu tout entier, tourné en espérance vers son Père jusque sur la croix. Sans se départir de l’amour pour les hommes, les mains vides et impuissantes, le cœur orienté vers son Père, Jésus a ouvert ce chemin de bonheur qui a trouvé toute son expression dans sa résurrection des morts. Avec elle, le Royaume est désormais ouvert à tous ceux qui le suivent.
Frères et sœurs, en ce temps de crise, les béatitudes peuvent nous conforter, nous chrétiens. Elles nous entrainent à mener le bon combat, celui de la foi, de l’espérance et de la charité. Le combat de la foi : nous croyons que Jésus, l’Agneau, est vainqueur du mal et toute ces tendances mortifères qui traversent nos sociétés, notre humanité, et notre propre cœur. Nous croyons qu’Il nous délivre des emprises du mal. Le combat de l’espérance : face à notre monde fini, face à la mort, nous croyons que nous, pèlerins sur cette terre, nous gagnerons un jour la patrie céleste, comme nous le prierons en fin de célébration. Le Dieu de la vie nous prendra dans sa Gloire. Nous tendons aves cette plénitude du bonheur. Le combat de la charité. En ces temps où nous menace le découragement face à notre impuissance devant les graves dangers qui nous menacent, il nous faut mener le combat de la charité. Alors qu’est grand le danger du repli sur soi, sur son petit pré carré, en quête de sécurité et de bienêtre, il nous faut lutter pour demeurer ouvert, accueillant aux autres. Ne nous laissons pas gagner par la désillusion…ou l’égoïsme. La douceur, la paix, la miséricorde, la justice attendent des ouvriers qui fassent entrevoir que l’absurdité n’est pas le dernier mot de notre réalité humaine. Comme le Christ, avec Lui, en Lui, par Lui, aimons. Le monde a besoin de cette modeste mais nécessaire lumière que tous nous pouvons offrir là où nous sommes.
Année C – 31° dim. du Temps Ordinaire – 30 octobre 2022
Sg 11.23 – 2.2 ; 2 Thess 1.11-2.2 ; Luc 19 1-10 ;
Homélie de Mgr Louis Portella
Le passage d’Evangile que nous venons d’entendre nous présente, en quelque sorte, l’itinéraire d’une conversion, celle de Zachée.
Zachée, nous dit l’évangéliste Luc, voulait voir Jésus. Etait-ce une simple curiosité qui l’a poussé à monter sur un sycomore ? On ne le pense pas. En effet, c’est plutôt qu’il a pris conscience, en tant que publicain, collecteur d’impôt, de taxes, du tort qu’il a causé à ses contemporains par les multiples taxes qu’il leur imposait, qu’il percevait d’eux et qui l’ont rendu riche. Il était certainement intérieurement tourmenté et cherchait comment changer sa vie, comment réparer ses torts. Bref, il était prêt à se convertir.
C’est ce cheminement intérieur que Jésus a certainement perçu et qui l’a amené à vouloir aller demeurer dans la maison de Zachée, lui offrant ainsi la possibilité d’aller jusqu’au bout de sa conversion en prenant les décisions qui allaient bouleverser sa vie, à savoir :
- Donner la moitié de ses biens aux pauvres.
- Rendre le quadruple de ce qu’il a extorqué chez ceux qu’il a lésés dans les perceptions des taxes
C’est l’occasion de noter la différence entre l’attitude des hommes et celle de Dieu, à l’égard de Zachée. Pour les gens, Zachée, en tant que publicain, était catalogué comme un « pécheur ». C’est d’ailleurs, pour quoi ils ont murmuré, nous dit l’évangéliste Luc, en disant que Jésus était allé chez un homme pécheur. Car selon la tradition, on ne fréquente pas les pécheurs, on ne leur parle pas non plus.
L’attitude de Dieu est totalement différente : en effet, comme nous l’a dit l’auteur de la Sagesse, « Dieu a pitié de tous les hommes, il ferme les yeux sur leurs péchés pour qu’ils se convertissent ».
Nous sommes ainsi tous appelés à nous rendre compte de « la mesure de la miséricorde divine » qui, paradoxalement, est sans « sans meure ». Car au lieu de classer les pécheurs dans telle ou telle catégorie, Il invite plutôt chaque pécheur à reconnaître ses péchés et à se convertir, nous dit le livre de la Sagesse. C’est bien ainsi que Jésus se comporte, au nom de son Père, quand il déclare, après être allé chez Zachée, : « le Fils de l’Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19.10).
Un autre aspect de la miséricorde divine qui doit être souligné, c’est la patience.
Il y a souvent, de la part des hommes que nous sommes, des réactions de découragement ou même de désespoir, devant un mauvais comportement qui dure indéfiniment.
Mais l’auteur du livre de la Sagesse, qui s’adresse à Dieu, lui reconnait cette patience en ces termes :
« Ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu, tu les avertis et leur rappelles en quoi ils pêchent, pour qu’ils se détournent du mal et croient en toi, Seigneur » (Sg 12.2)
Enfin, ce qui mérite d’être souligné, c’est que le cheminement intérieur de Zachée ne s’est pas réduit à de simples sentiments de regrets, il a abouti à des décisions bien concrètes et surtout mises en œuvre, qui ont bouleversé le cours de sa vie.
C’est à cela, en fait, que chaque conversion devrait aboutir. Il s’agit, pour nous, dans la dynamique de notre conversion de devenir des hommes nouveaux qui soient de vrais disciples du Seigneur, non pas de simples déclarations, mais surtout par le témoignage de leur vie effectivement transformée, comme celle de Zachée.
Que le Seigneur nous accorde la grâce d’une conversion sincère et profonde, à l’exemple de Zachée, conversion qui se traduit par une nouvelle manière d’être, d’agir, bref de vivre.
C’est ainsi que le Fils de l’Homme viendra en nous : chercher et sauver ce qui est perdu. Amen
Année C - 30 dimanche du Tps Ordinaire - 23 octobre 2022
Homélie du F.Hubert
« J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi.
Je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice. »
Quelle différence y a-t-il entre ces paroles de Paul et celles du pharisien :
« ‘Mon Dieu, je te rends grâce…
Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne. » ?
L’un comme l’autre n’attendent-ils pas de Dieu d’être récompensés du fruit de leurs œuvres ?
« J’ai mené le bon combat. » « Je jeûne deux fois par semaine »…
Je, je, je ?
Oui, mais le « je » de Paul est entièrement tourné vers le Christ,
celui du pharisien totalement recroquevillé sur lui-même.
Vous avez remarqué que j’ai sauté une phrase du pharisien. Elle est terrible…
« Je ne suis pas comme les autres hommes…
– ils sont voleurs, injustes, adultères –,ou encore comme ce publicain. »
« Pas comme les autres hommes » :
C’est le contraire exact de ce que dit Dieu, de ce qu’a fait Dieu :
« Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, devenant semblable aux hommes. »
Notre pharisien, non seulement se compare aux autres, mais il accuse :
« les autres sont voleurs, injustes, adultères »
et il ajoute encore : « je ne suis pas comme ce publicain. »,
ce publicain qui ne lui a rien fait, et qui, loin de l’accuser, s’accuse lui-même.
« Personne n'est venu accuser le pharisien pour l'obliger à se dire innocent, écrit le père Beauchamp :
à l'inverse, il se fait lui-même accusateur
et ce n'est pas pour riposter à. une attaque ni pour se défendre ».
Il rejoint l’ « Accusateur », qui n’est rien d’autre que le « Satan »,
celui que l'Apocalypse appellera « l'accusateur de nos frères,
celui qui les accusait jour et nuit devant notre Dieu » (Ap 12, 10).
Ce pharisien est convaincu de sa propre justice
et de l’injustice des autres et se fait donc leur accusateur.
Il est dans l’erreur : dans le jugement favorable qu’il porte sur lui-même,
et dans le jugement accusateur qu’il porte sur les autres.
Paul était pharisien, convaincu de sa propre justice,
et ne supportait pas ceux qu’il considérait infidèles à la Loi :
« Je suis Hébreu, fils d’Hébreux, pharisien fils de pharisiens,…
devenu irréprochable quant à la justice que donne la Loi. » (Ph 3, 4-6)
« J’étais jaloux de la loi de mes pères, et je persécutais l’Eglise de Dieu avec frénésie ».
Jusqu’au jour où le Christ s’est révélé à lui et lui a révélé sa miséricorde :
le don gratuit de Dieu, qui dépasse toutes nos fidélités
et engloutit toutes nos infidélités.
Face au don gratuit de Dieu qui se donne lui-même dans le Christ crucifié par nos fautes,
Paul a compris l’inanité d’une justice venant de ses propres œuvres,
et son indignité absolue à recevoir le don de Dieu, qui n’est autre que Dieu lui-même.
Paul en est converti :
« Dieu m’a appelé par sa grâce et a jugé bon de révéler en moi son Fils ».
Alors, il peut dire :
« Je ne me juge même pas moi-même.
Ma conscience ne me reproche rien, mais ce n’est pas pour cela que je suis juste :
celui qui me soumet au jugement, c’est le Seigneur. » 1 Co 4, 3
« Dieu est riche en miséricorde ; à cause du grand amour dont il nous a aimés,
nous qui étions des morts par suite de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ :
c’est bien par grâce que vous êtes sauvés. » Ep 2, 4
Aujourd’hui, notre Eglise de France est blessée par le comportement de certains de ses pasteurs.
C’est toute l’Église de France qui est sous la stupéfaction et la colère. Et dans une grande tristesse.
Il est fondamental que vérité et justice soit faites.
Il nous faut reconnaître non seulement nos péchés personnels,
mais aussi nos péchés de corps social, de corps ecclésial.
Ne quittons pas le bateau en croyant que nous sommes justes et que le péché est hors de nous.
Gardons-nous de mépriser les autres,
de tuer les autres, par nos jugements, nos paroles ou nos actes.
Gardons-nous d’être accusateurs.
Il n’y a qu’une seule humanité, aimée de Dieu ; il n’y a qu’un seul peuple de Dieu.
Tous, nous sommes pécheurs, tous, nous sommes sauvés par le Christ.
Le Christ a fait corps avec nous : faisons corps les uns avec les autres, dans l’Eglise, dans l’humanité.
« Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance, écrit Paul aux Romains,
pour faire à tous miséricorde. » Rm 11, 32
Implorons la grâce de marcher dans la justice et la vérité, la miséricorde et la fidélité.
Ce qui est impossible à l’homme est possible à Dieu.
Ne fermons pas nos cœurs, ne fermons pas nos yeux.
Implorons le Christ de nous sauver du mal,
implorons l’Esprit Saint pour pratiquer et la justice et la miséricorde.
Demandons la grâce de la conversion
pour que « la proclamation de l’Évangile s’accomplisse jusqu’au bout
et que toutes les nations l’entendent. »
Fête de st Luc – 18 octobre 2022 –
2 Tim 4 9-17 ;Luc 10 1-9
Homélie du Père Abbé Luc
« Paix à cette maison » - telle est la première parole que Jésus recommande de dire à ses 12 disciples, figures de tous les disciples missionnaires que nous sommes. Cette parole pouvait être entendue comme une formule introductive de politesse. Mais elle suggère bien davantage. Dans les derniers temps inaugurés par Jésus, elle manifeste la paix messianique à l’œuvre dans le cœur des croyants. Celui qui a reconnu que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu, est habité d’une Paix qu’il ne peut que partager pour qu’elle repose sur tous. Et si en face, il ne rencontre pas un ami de la paix, la paix revient sur lui. Cette expression est un peu surprenante : que veut dire « votre paix reviendra sur vous » ? Peut-être faut-il simplement l’entendre : vous n’avez pas rencontré d’ami de la paix, ne vous troublez pas, gardez votre paix ou encore, cette paix qui est un don qui vous dépasse reste en vous, offerte à d’autres qui pourront l’accueillir. L’adversité ne peut éteindre ce don messianique qui est bien plus grand que la paix psychologique.
La réaction de Paul face aux difficultés rencontrées dans son ministère, nous la fait pressentir. « Personne ne m’a soutenu, tous m’ont abandonné. Que cela ne soit pas retenu contre eux. Le Seigneur m’a assisté ». Paul garde la paix face à l’injustice ressentie d’avoir été lâché. Il trouve sa Paix dans sa relation au Seigneur qui l’assiste. Il ne garde aucune rancune.
Comme moines, nous sommes assez rarement confrontés aux difficultés apostoliques des portes fermées ou des oppositions.. Sommes-nous pour autant exempts de témoigner de la Paix qui nous habite, ce cadeau que le Seigneur nous fait comme disciple de son Amour ? Peut-être la paix dont il nous faut témoigner, c’est la paix vécue entre nous, la paix qui fait son œuvre de vie profondément dans nos cœurs. La paix que nous accueillions et que nous cherchons en même temps dans nos manières de vivre les plus quotidiennes. De telle sorte que ceux qui frappent à la porte du monastère perçoivent que la paix règne dans cette maison qui voudrait être une maison de Dieu. Que le Seigneur vienne changer nos cœurs et faire de nous des témoins artisans de sa Paix.
Année C - 29e dimanche TO- 16 octobre 2022
— Ex 17,8-13 ; 2 Tm 3,14-4,2 ; Lc 18,1-8
Homélie du F. Charles Andreu
La parabole de ce dimanche s’ouvre sur un tableau bien sombre. Oui, sombre est le destin de cette veuve exposée à une double précarité, victime d’une double injustice.
Précarité affective de celle qui a perdu son mari ; précarité sociale encore, car être veuve, à l’époque, c’est se trouver bientôt confrontée à de grandes difficultés de subsistance ; injustice qu’elle subit d’un « adversaire », injustice encore qu’elle subit de la part de ce juge indifférent.
Or à travers la figure de cette veuve, le Seigneur nous lance un appel pour les jours sombres de souffrance, de précarité ou d’injustice : « Ne te décourage pas — prends le temps de la prière, persévère dans la prière ».
Mais pourquoi prier ? Pour donner au Seigneur nos solutions ? pour en réclamer, quand nous n’en avons pas ? N’allons pas trop vite. Prier c’est d’abord présenter au Seigneur notre souffrance, telle qu’elle est, et même la révolte qu’elle peut susciter en nous. Et ce n’est pas si facile, car devant Dieu nous avons l’art d’endimancher nos états d’âmes, comme s’il était interdit d’en avoir. Inhibition étonnante : Jésus crucifié a osé crier « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », et nous trouverions inconvenant d’en dire le quart. Pourquoi ? Réflexe de déni peut-être, quand par honte, ou pour essayer de s’en convaincre, on dit « tout va bien » alors que ce n’est pas vrai ; manque de foi et de confiance souvent, car pour dire sa peine, sa révolte, il faut croire qu’elles seront accueillies par un cœur aimant, capable de comprendre.
L’ouverture simple du cœur dans la prière ne fait pourtant pas tout. La première lecture nous l’a bien montré, à travers les deux figures de Moïse et de Josué qui, peut-être, nous représentent chacune, comme si nous devions être à la fois Moïse qui prie à l’écart, et Josué qui se tient au cœur de la mêlée. Car Moïse prie, certes, mais cela ne servirait à rien si Josué n’était dans la plaine à combattre. De même, la prière ne doit pas nous faire déserter le combat à mener, négliger les moyens humains, ce qu’il est encore possible de faire quand tout semble impossible. Ce serait confondre la foi en Dieu et les illusions d’une pensée magique qui démissionne de notre humanité, du « dur métier de vivre » (Rouault).
Par ailleurs, en tout cela, nous ne devons pas rester isolés : Josué ne combat pas seul, mais avec les hommes qu’il a pris avec lui ; et même dans la prière, Moïse ne peut persévérer longtemps sans l’aide de Hour et d’Aaron, sans ceux qui aident à tenir, à ne pas « baisser les bras », à ne pas se décourager. Remarquez que ceux qui aident Josué ou Moïse sont au moins deux : pas une seule personne, mais plusieurs, c’est-à-dire une fraternité ouverte, large et différenciée qui seule peut vraiment soutenir. Dans nos détresses les plus sombres, l’ouverture à Dieu dans la prière doit aller avec l’humble consentement à être aidé par des frères.
L’évangile nous pose enfin une autre question : à qui pensons-nous nous adresser dans la prière ? À un Dieu semblable au juge de la parabole : bouché, indifférent, égoïste ? Sans aller jusque-là, un doute peut nous traverser, l’idée que, comme la veuve devant son juge, nous devrions arracher à Dieu, à force d’insistance, des grâces qu’il ne donne qu’avec parcimonie. Alors nous faisons de la prière un épuisant exercice d’endurance où se multiplient pratiques, dévotions et paroles censées mériter ce que Dieu ne voudrait donner qu’à ce prix. Mais Jésus le dit clairement : Dieu ne nous fait pas languir ainsi. Quand notre prière est portée par cette foi, elle devient simple et pure, elle tient en quelques mots.
Est-ce à dire que tout s’aplanira devant nous ? Qu’en quelques prières, tout va se résoudre ? Certes non, et c’est précisément ce qui requiert notre foi. La foi en la prière, ce n’est pas de croire qu’à force de harceler Dieu il fera tout ce que nous voulons, c’est croire, sans le voir encore, que dès le premier instant de notre cri, le Seigneur a ouvert à travers la souffrance qui nous frappe un chemin pascal, le chemin d’une vie possible ; chemin qui ne se mènera pas sans que nous le choisissions ; chemin peut-être long et difficile ; chemin d’humanité où Jésus nous conduit, pas à pas, où il nous apprend sa paix, sa joie.
Année C - 28e dimanche ordinaire - (09/10/2022)
(2 R 5, 14-17 – Ps 97 – 2 Tm 2, 8-13 – Lc 17, 11-19)
Homélie du F. Jean-Louis
Frères et sœurs,
La Bible, la Parole de Dieu peut parfois bien prendre à rebours nos évidences. Dans une Europe relativement riche mais vieillissante, qui constituait un îlot de paix dans notre monde, îlot de paix ébranlé cependant par la guerre en Ukraine, de fortes craintes sont nées devant la venue de migrants fuyant des guerres ou des situations économiques désastreuses. Or, pour ces migrants, il ne s’agit pas d’un caprice mais de survie voire de vie tout court. Et nous le savons bien, le réflexe spontané est de se sentir menacé devant l’étranger, de s’imaginer que ces migrants vont nous submerger.
Mais la Bible en général, et les lectures de ce dimanche en particulier, nous interrogent sur ce sujet brûlant. Et d’abord, si la Bible en parle, c’est que ce n’est pas une attitude récente, moderne, mais qu’elle existe, on pourrait dire, de tout temps. Dans l’Ancien Testament, l’étranger est une des catégories de pauvres, de gens fragiles, exposée à tous les risques au même titre que la veuve et l’orphelin. Ils sont souvent nommés ensemble. Et la tentation de les exploiter ou de les rejeter est grande. Nous retrouvons cette même attitude au temps du Christ, en particulier devant un genre d’étranger pas du tout apprécié par les juifs : les Samaritains. Il ne faut pas oublier non plus que le peuple juif étant le seul peuple des alentours à vénérer un Dieu unique, les étrangers pouvaient être vus comme un risque constant de contamination par le polythéisme. Et du temps du Christ encore, fréquenter un étranger païen rendait impur pour participer au culte du Temple, ce qui n’était pas rien.
Mais que nous dit la Bible sur l’attitude du croyant à l’égard des étrangers ? Que nous recommande-t’elle ? Il me semble que la première lecture et l’évangile nous ouvrent des horizons qui peuvent être confirmés par d’autres passages bibliques. Ils ne nous disent pas comment faire politiquement avec les migrants, les étrangers, mais bien plutôt quelle doit ou devrait être l’attitude de l’homme de Dieu, du chrétien à leur égard.
Dans la première lecture il est question d’un général syrien. Or, ce général avait remporté des victoires contre le roi d’Israël. Donc, pour un Juif, ce n’était pas le type d’étranger que l’on pouvait aimer… Ce général était venu chez Elisée espérant guérir de sa lèpre et ce dernier lui avait recommandé d’aller se plonger sept fois dans le Jourdain. Refus du général qui trouve la méthode de guérison trop simple et pas assez magique avec en plus ce côté un peu chauvin : les fleuves de Syrie ne valent-ils pas le Jourdain ? Finalement, sur le conseil d’un de ses serviteurs, le général obéit et se retrouve guéri. Et là, il y a un retournement. De païen qu’il était, il reconnaît non seulement que le Dieu d’Israël est Dieu, cela n’aurait fait qu’un dieu de plus à vénérer, mais qu’il n’y a pas d’autre Dieu que celui d’Israël. Il sort donc de son polythéisme. Il prend de la terre d’Israël pour se faire un autel chez lui et ne plus offrir de sacrifice à aucun dieu sinon le Dieu d’Israël. Ainsi, un étranger, et en plus un ennemi militaire, est donc susceptible d’adopter la foi d’Israël. Ce n’est pas rien pour un peuple qui se croyait le seul peuple élu, appelé par Dieu à la suite d’Abraham.
Quelle est l’attitude d’Elisée ? Il l’a accueilli et a accédé à sa demande. La guérison survenue, il refuse les présents du général et ne proteste pas du tout contre la conversion de cet ennemi. En fait, il reconnaît que Dieu a touché son cœur et l’a retourné. Qui était-il pour refuser l’action de la grâce de Dieu ?
Quant à l’évangile, il nous présente la guérison de dix lépreux. Là comme dans la première lecture, la guérison s’effectue avec une grande sobriété. Pas de geste, ni de parole de guérison magiques. Simplement un : « Allez vous montrer aux prêtres ». Et c’est tellement simple que les lépreux ne se rendent même pas compte qu’ils sont guéris chemin faisant.
Seul un le remarque et fait demi-tour pour remercier Jésus en rendant grâce à Dieu. Or, il s’agit d’un Samaritain. Les Samaritains, descendants de populations étrangères amenées par les Assyriens pour remplacer les israélites déportés lors de la prise de Samarie en 721 avant Jésus Christ, étaient détestés des Juifs et le leur rendaient bien. Ils refuseront d’accueillir Jésus et ses disciples en marche vers Jérusalem simplement parce qu’ils vont à Jérusalem. En effet, les Samaritains adorent Dieu au Mont Garizim et il y a donc concurrence entre les deux sanctuaires.
Quelle est l’attitude de Jésus ? Tout d’abord, dans notre récit, il ne fait aucune différence entre les 9 Juifs et le Samaritain, tous lépreux. Il les guérit tous car tous sont unis par la mise à l’écart de la société à cause de l’horreur qu’ils inspirent. Et quand Jésus signale sa qualité d’étranger, de Samaritain, c’est pour souligner qu’il est le seul à être venu le remercier. Ailleurs, dans la parabole du bon Samaritain, Jésus ne se gêne pas pour mettre la bonté de cet étranger en valeur par rapport à l’indifférence de deux bons Juifs par excellence que sont le prêtre et le lévite.
Frères et sœurs, si nous relions notre évangile à d’autre passage du Nouveau Testament comme Matthieu 25 décrivant le Jugement dernier : « J’étais étranger et vous m’avez accueilli », le Christ s’identifiant à l’étranger, nous sommes bien obligés de constater que le Christ reprend à son compte un courant de l’Ancien Testament.
Ainsi par exemple, dans un passage fondamental du livre de l’Exode, le Décalogue, on trouve clairement cette parole de Dieu : « Tu n’exploiteras pas l’immigré, tu ne l’opprimeras pas, car vous étiez vous-mêmes des immigrés au pays d’Egypte »
Et le livre du Lévitique, un des 5 livres de la Loi juive, comme l’Exode énonce pareillement : « L’immigré qui réside avec vous sera parmi vous comme un Israélite de souche, et tu l’aimeras comme toi-même. »
Et encore au livre du Deutéronome, toujours dans la Loi, la Torah : « Aimez donc l’étranger, car au pays d’Egypte vous étiez des immigrés. »
Les prophètes ne sont pas en reste, par exemple Jérémie : « Pratiquez le droit et la justice, délivrez l’exploité des mains de l’oppresseur, ne maltraitez pas l’immigré, l’orphelin et la veuve, ne leur faites pas violence. »
Le prophète Malachie, citant Dieu lui-même, dit : « je témoignerai contre ceux qui oppriment le salarié, la veuve et l’orphelin, qui excluent l’immigré. »
Le Christ reprend donc à son compte cet enseignement de la Loi car les tenant les plus stricts de la Loi, au temps du Christ, semblent avoir oublié ces préceptes. Et le Christ, comme je l’ai dit plus haut, doit réaffirmer fermement, dans un passage décrivant le Jugement dernier, que ceux qui n’auront pas accueilli l’étranger qui est le Christ lui-même, n’auront pas accès au Royaume.
Qu’en est-il pour nous ? Quelle est notre attitude ? N’avons pas ou ne risquons-nous pas d’oublier ces enseignements, ces préceptes qui nous gênent ?
Ni le Christ, ni la Bible ne donnent de recettes comment accueillir l’étranger. Ils font confiance à l’imagination humaine. La Parole de Dieu dans l’Ancien Testament, accomplie par le Christ dans le Nouveau Testament, nous dit que l’étranger doit être respecté car il est fils de Dieu et notre frère aux yeux de Dieu. Et saint Paul dira qu’en Christ il n’y a plus ni Juif, ni Grec, ni esclave, ni homme libre. Toute l’humanité est sauvée en Christ et s’il est recommandé d’accueillir l’étranger, c’est dans sa dignité d’être sauvé par la mort et la résurrection du Christ. Et si nous ne l’accueillons pas, c’est le Christ que nous n’accueillons pas.
Le Christ reconnaît dans l’évangile d’aujourd’hui les richesses de foi présentes dans un étranger, il reconnaîtra aussi chez un centurion païen une foi qu’il n’a pas trouvée en Israël. Dans l’évangile de saint Marc, si, dans un premier temps, le Christ refuse d’aider une femme païenne dont la fille est malade, il change d’avis devant le témoignage de foi de cette femme et c’est un centurion païen qui reconnaîtra devant le Christ en Croix sa véritable identité : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu. »
Et si, de notre côté, nous reconnaissions déjà les richesses de courage, de volonté de vivre, de persévérance, d’ingéniosité chez ceux qui frappent à notre porte ? Et si nous reconnaissions leur capacité à se soutenir, à se venir en aide mutuellement derrière la lèpre de leur misère ? Peut-être notre regard changerait-il.
On dit souvent que le chrétien doit avoir sur les autres le regard que le Christ porte sur eux et sur nous. Relisons sérieusement cet évangile et les autres passages importants des traditions juives et chrétiennes sur l’accueil des étrangers et mettons-nous à la suite du Christ. Imitons-le. Il en va de l’authenticité de notre témoignage de chrétiens.
Dieu ne nous demande pas de nous mettre sur la paille pour aider les autres, de nous rendre la vie impossible, il nous demande de changer notre regard. Alors, je suis certains que notre imagination trouvera des solutions concrètes. Tant de gens se sont déjà mis à l’œuvre en ce sens. Dieu nous veut libres et nous fait confiance pour trouver les bons choix et les moyens de les mettre en œuvre.
Demandons, implorons l’aide de l’Esprit Saint qui, seul, peut nous faire aimer comme Dieu aime.
AMEN