Homélies
Liste des Homélies
21e Dimanche du Temps Ordinaire, année C
24 août 2025
Is 66, 18-21 – Ps 116 – He 12, 5-7.11-13 – Lc 13, 22-30
Frères et sœurs,
En cette période de vacances d’été où des populations franchissent les frontières pour chercher le soleil ou l’exotisme, mais aussi où des migrants tentent, au risque de leur vie, de trouver la sécurité dans des pays plus pacifiques, la première lecture et l’évangile de ce jour nous parlent de nations, d’universalité, d’universalité du Salut offert par Dieu.
Ainsi la première lecture, venant de la dernière partie du Livre d’Isaïe, nous parle du Salut de Dieu pour toutes les nations. Mais il s’agit d’un salut porté, diffusé par Israël, peuple de Dieu, pourtant dans une situation plus que précaire.
Le peuple, exilé à Babylone, est de retour à Jérusalem, mais les choses ne se passent pas comme l’avaient fait espérer les prophéties antérieures. Le peuple est dans une situation où le Salut de Dieu semble très lent à se concrétiser. Le peuple se sent très fragilisé, voire menacé dans son avenir.
Et pourtant, le Seigneur annonce qu’il va, grâce à la dispersion d’Israël parmi les nations, rassembler tous les peuples, toutes les nations à Jérusalem. La prophétie a même l’audace d’appeler « frères » ces gens des nations païennes ramenés à Jérusalem en offrande au Seigneur, ce qui ne pouvait pas manquer de choquer un israélite convaincu d’être membre de l’unique peuple élu. C’est la découverte spirituelle de l’auteur de la fin du Livre d’Isaïe : le Salut promis par Dieu est destiné non pas uniquement à Israël mais à toutes les nations, qui sont même appelées à converger vers Jérusalem, vers la montagne sainte où se trouve le temple. En outre, ces nations sont considérées par Dieu dignes d’être offrandes pour lui. C’est une véritable révolution théologique et spirituelle qui est entamée ici. Des prêtres et des lévites seront choisis par Dieu parmi ces nations. C’était inimaginable.
Et le très bref psaume 116 chanté à la suite se situe dans la même ligne théologique et spirituelle : tous les peuples, tous les pays sont appelés à louer et fêter le Seigneur dont la fidélité est, du coup, perçue comme éternelle, même à l’égard des nations.
Cette révolution est tellement inouïe que, bien des siècles après, au temps du Christ, il y aura des Juifs qui s’étonneront, voire se scandaliseront de voir l’attitude Christ à l’égard des païens et qu’il faudra des débats assez virulents chez les premiers chrétiens pour admettre que les baptisés d’origine païenne ne doivent pas être soumis à la Loi de Moïse.
Extraordinaire nouveauté d’Isaïe.
Quant à l’évangile, il commence sur une question posée à Jésus qui enseigne : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? »
Cette question vient-elle d’un homme angoissé sur son avenir ? ou bien d’un Juif convaincu que l’appartenance au peuple élu suffit au Salut, alors que, pour les païens, ce sera plus compliqué voire impossible.
La réponse du Christ est double.
D’abord, s’efforcer à entrer par la porte étroite du Royaume. Il n’y a pas de question à se poser, il faut agir.
Ensuite, à des gens qui pouvaient se croire sauvés par le simple fait d’être membre du peuple élu, ou parce qu’ils ont mangé, bu en présence du Christ, ou écouté son enseignement (qui de nous n’a pas envié les contemporains du Christ), Jésus précise que ce n’est pas cela qui assure le Salut mais bien pratiquer la justice, agir selon la volonté de Dieu, ses commandements, tels que le Christ les présente et les interprète.
Et le Christ de poursuivre de façon certainement choquante pour ses auditeurs que des gens viendront de tous les horizons pour prendre place au festin du Royaume, alors que les contemporains du Christ pourraient se retrouver jetés hors du Royaume. Perspective certes effrayante. Mais le Christ termine en disant qu’il y a des derniers (qui se croient tels, par exemple le publicain du Temple) qui seront premier et des premiers (le pharisien en prière) qui seront derniers, mais pas exclu.
Nous retrouvons donc ici l’universalisme du prophète Isaïe. Ce n’est pas l’appartenance au peuple élu qui est décisif mais la pratique de la justice, du bien.
« J’étais étranger, nu, en prison, etc… et vous êtes venus jusqu’à moi. »
Je pense que le Christ nous invite à ne pas nous poser des tas de questions sur qui sera sauvé, s’il y en aura beaucoup, etc… questions qui peuvent nous paralyser et nous détourner de notre véritable devoir de croyant : faire le bien, se tourner vers les autres, les aimer comme Dieu nous aime.
Et cela, des gens de tous les continents peuvent l’accomplir. Pas de privilège, pas de situation définitivement acquise.
En fait, ce que le Christ nous annonce ici, c’est la gratuité absolue du Salut de Dieu offert à tous, sans égard à l’origine.
Frères et sœurs, nous pourrions parfois être tentés de croire que le baptême qui nous agrège au Corps du Christ peut être suffisant au Salut. Le Christ nous réveille en nous rappelant que tous les êtres humains sont appelés au Salut mais que tous doivent agir en sauvés, selon la volonté du Christ.
Isaïe nous donne à espérer dans l’universalité de ce Salut offert à l’humanité entière et le Christ nous rappelle notre responsabilité personnelle dans cet immense projet de Dieu.
Puissions–nous nous laisser conduire par l’Esprit qui nous donnera les intuitions nécessaires pour notre vie de tous les jours.
AMEN
Frère Jean-Louis
20e dimanche du Temps Ordinaire, année C
17 août 2025
Jér 38/4-6,8-10 ; He 12/1-4 ; Lc 12/49-53
Jérémie : « Allez-vous mettre à l\'abri! Ne vous arrêtez pas en chemin! C\'est le malheur que je fais venir du nord, un grand désastre!...
St Paul : « Vous n\'avez pas encore résisté jusqu\'au sang dans votre combat contre le péché. »
Et l’Evangile qui vient d’être lu : « C\'est un feu que je suis venu apporter sur la terre, et comme je voudrais qu\'il soit déjà allumé! \" Pensez-vous que ce soit la paix que je suis venu mettre sur la terre ? Non, je vous le dis, mais plutôt la division. »
Comment commenter ou réfléchir sur ces paroles en étant tranquillement assis sur nos chaises … comment rester « zen » … rassurés quand on écoute certaines paroles de Jésus ? « Pensez-vous que ce soit la paix que je suis venu mettre sur la terre ? »…
… quelques exemples ? …
Appelons-le Rachid, appelons-la Leila de religion musulmane et imaginons qu’il/qu’elle vient d’annoncer à sa famille qu’il/qu’elle va recevoir le baptême chrétien à la fête de Pâques qui va venir ?
Imaginons encore un jeune/une jeune presque fiancé(e), après un bon temps de vraies rencontres, avec un amour mutuel qui a bien démarré, eh bien imaginons que l’un annonce à l’autre que finalement il/elle donne la priorité à Dieu et qu’il/qu’elle s’est décidé pour la vie religieuse…vie religieuse dont ils avaient parlé incidemment et qui n’avait jamais, au grand jamais, été envisagé comme projet par l’autre… !
Est-ce que Dieu viendrait mettre le désordre, la confusion entre les êtres ? Peut-être heureusement, Jésus n’a pas dit qu’il venait mettre la guerre entre les humains : il peut y mettre la division et il ouvre un chemin que tous ne sont pas prêts à prendre sans délai…comme l’a fait par exemple le publicain Matthieu et tant d’autres après lui… « Viens, suis-moi… et aussitôt il le suivit ».
Est-ce que nous envisageons la suite du Christ comme une partie de plaisir, plaisir partagé avec d’autres, bien sûr : nous ne sommes chrétiens qu’en Eglise. Oui ! Mais saint Paul présente la conversion et le chemin chrétien comme une course, comme l’épreuve entreprise avec endurance à la suite du Christ, … « ce Christ qui a enduré de la part des pécheurs une telle opposition » comme il l’écrit !…
Est-ce que nous n’oublions pas un peu vite la radicalité de ce qu’apporte le Christ dans le monde d’aujourd’hui pour en faire un monde nouveau ?
Cela vaut peut-être la peine de nous souvenir de quelques paroles de Jésus qui ne sont pas si rassurantes, par exemple de « passer par la porte étroite », on entre dans la Royaume de Dieu par une porte étroite… renoncer à tout pour suivre le Christ, à tout… etc… Avons-nous le sentiment d’être en dessous de ce que demande la suite du Christ, de peiner pour garder la foi … ? Est-ce que, au contraire, nous nous donnons un peu de peine pour vivre une vie généreuse ?
Comme nous ne sommes pas seuls à vivre et pas seuls à essayer d’être chrétien, Dieu nous donne un cœur, des yeux et des oreilles pour vivre et vivre avec d’autres : nous savons que leur exemple peut nous stimuler…
Et tout cela c’est pour que nous sortions de notre paresse, pour que nous-mêmes nous soyons les personnes qui attestent que le Royaume de Dieu souffre violence, que l’Esprit de Jésus a besoin de témoins qui disent au monde : Oui, Jésus est venu nous sauver ; oui, il faut compter sur la grâce divine, oui, mais Dieu ne nous sauvera jamais sans nous …Avec beaucoup d’espérance nous pouvons nous aussi comme les saints participer à ce salut que Dieu apporte.
Chers frères et sœurs, nous avons besoin que la Parole de Dieu vienne de temps en temps nous bousculer, empêcher que nous nous endormions…Si l’Evangile résiste à notre compréhension, à notre adhésion spontanée, c’est bien probablement parce que l’Esprit de Jésus vient nous chercher là où nous sommes, alors que nous ne sommes pas encore assez prêts à marcher à sa suite.
Dieu ne nous donne que des avertissements, et rarement des blâmes… si nos oreilles cherchent à écouter, si nos cœurs s’ouvrent : sa Parole est une lumière pour nos pas hésitants.
Ce matin l’Eucharistie du dimanche vient nous remettre en route pour plus de ferveur, plus de confiance dans sa présence et plus de vérité dans nos vies… C’est Lui qui est notre lumière, notre Vie.
Frère Cyprien
ASSOMPTION - 15 août 2025
Ap 11,19a, 12, 1-6a.10 ab; 1 Co 15, 20-27a; Lc 1, 39-56
Frères et sœurs,
A la différence d’autres fêtes de notre année liturgique, les lectures que nous venons d’entendre ne nous offrent pas un récit sur le mystère que nous célébrons. Chacune veut seulement mettre en lumière dans l’Ecriture des pierres d’attente de l’Assomption de la Vierge Marie. Ces pierres d’attente longuement méditées avec d’autres passages des Ecritures ont contribué à la lente maturation durant des siècles du dogme de notre foi catholique proclamé par le Pape Pie XII en 1950. En écoutant ses lectures de nouveau, nous sommes invités à nourrir notre méditation et à affiner notre compréhension de ce mystère. Je retiens trois aspects de ce mystère qui veulent soutenir notre action de grâce : la gratuité, le débordement de vie et la joie.
La gratuité. Marie est élevée en son âme et en son corps, sans que soit invoqué aucun mérite de sa part. Elle est témoin, malgré elle, de la grande gratuité du dessein de Dieu pour elle et, à travers elle, pour notre humanité. Choisie gratuitement par Dieu dès sa conception pour être la Mère de son Fils, elle est portée gratuitement au ciel au terme de sa vie, en son âme et en son corps. Elle est ainsi prise dans l’élan inauguré gracieusement par la résurrection de Jésus son Fils. Elle en est la première bénéficiaire. Paul énumère un ordre selon lesquels tous ceux qui sont dans le Christ recevront la vie. « En premier, le Christ, et ensuite, lors du retour du Christ, ceux qui lui appartiennent ». En Marie, élevée au ciel dès la fin de son existence, avant le retour du Christ, se laisse entrevoir cette immense gratuité des dons de Dieu. Comme nous le chanterons dans la préface, « le Seigneur n’a pas voulu que Marie connaisse la corruption du tombeau, elle qui a porté dans sa chair son propre Fils et mis au monde d’une manière incomparable l’auteur de la vie ». Dans cette affirmation, nous sommes au-delà de toute considération de mérite, mais bien plus tôt devant la manière de faire de notre Dieu, donateur de vie. Il donne, car il n’est que don. Il fait participer Marie à la pleine lumière de la gloire de son Fils, elle qui avait consenti à participer à sa venue dans l’ombre de notre condition humaine. Et nous le croyons, notre Dieu donateur de vie, nous fera un jour participer avec Marie à sa vie glorieuse.
Le débordement de vie. La scène de l’apocalypse que nous avons entendue nous suggère de manière imagée la gloire dont est entourée Marie, désormais auprès de son Fils. Une femme « ayant pour manteau le soleil, la lune sous les pieds et sur la tête une couronne de douze étoiles ». Ses traits nous suggèrent combien la gloire dont est revêtue Marie la place aux dessus des éléments naturels qui la servent désormais pour mieux relever son éclat. La lutte grandiose qui suit entre cette femme et le dragon qui veut dévorer son enfant nous suggère que Marie participe au combat mené contre les forces adverses que le Christ en sa résurrection a vaincu. Débordement de gloire pour Marie, débordement de vie en sa participation à la victoire du Christ sur les puissances de mort. Nos mots sont bien limités pour dire ce mystère de la Gloire de Marie. Mais nous pressentons qu’en elle, à la suite du Christ, se révèle bien plus que sa simple destinée humaine conduite dans la gloire. Marie prend part à la gloire de son Fils, parce qu’en son humanité cachée, elle a participé à son combat contre toutes les puissances adverses. Aussi est-ce pour cela que nous pouvons l’invoquer avec confiance dans tous les combats que nous avons à mener dans nos existences humaines. Comme nous le chantions au début de cette célébration, « première des rachetés, Marie est présence de victoire au milieu des combats ».
Joie. En toutes ses harmoniques de gratuité, de débordement de vie, cette fête est vraiment une source de joie. Joie qui a traversé toute la vie de Marie comme la scène de la rencontre avec Elisabeth en témoigne. Nous pressentons là combien Marie a été habitée par un grand élan de don d’elle-même, se portant sans plus attendre auprès de sa cousine pour l’assister dans les préparatifs de la naissance de Jean. Inséparable de cet élan de don semble être l’élan de sa joie. Mystère d’une joie qui ne réside pas d’abord dans la jouissance recherchée pour soi, mais dans le don de soi aux autres. Lorsque Marie laisse éclater son exultation que nous aimons reprendre chaque soir dans la prière des vêpres, ne nous livre-t-elle pas le secret de sa joie : celui de l’accueil plein et entier de la volonté de Dieu sur elle. Marie est heureuse profondément parce qu’elle se laisse conduire totalement par Dieu. Et sa joie s’élargit encore dans la contemplation de l’action de Dieu pour son peuple, Lui dont la « miséricorde s’étend d’âge en âge » et qui « relève Israël son serviteur ». Nous le savons, cette joie aura à traverser l’épreuve de l’incompréhension face à Jésus qui pouvait dérouter, ainsi que l’épreuve de sa passion et de sa mort. Pour mieux apprécier, la joie de la victoire que nous célébrons aujourd’hui, certainement nous faut-il avoir toujours en mémoire le poids de l’existence que Marie a pleinement assumé. « Marie est cause de notre joie » comme nous le chantions, parce qu’elle « entre dans la joie de son Dieu » … Oui, que Marie nous apprenne avec elle à cultiver cette joie de faire la volonté de Dieu, pour la goûter toujours plus sûrement dès maintenant, dans l’espérance de la partager pleinement un jour avec elle.
Père-abbé Luc
19e dimanche du Temps Ordinaire, année C
10 août 2025
Sagesse 18, 6-9 / psaume 32, Hébreux 11, 1-2 + 8-19, Luc 12, 32-48
Frères et sœurs,
Il faudrait relever bien des perles dans les 3 lectures de ce dimanche, mais je m’attacherai surtout à l’évangile : « Sois sans crainte, petit troupeau…Reste en tenue de service, tiens ta lampe allumée…Tu ne sais pas quand le Seigneur viendra…Tenez-vous prêts… Veillez ! »
Que d’appels Jésus nous fait, que de consignes pour notre vie chrétienne, mais pourquoi nous sont-elles rappelées durant nos vacances ? Habituellement, ces invitations à la vigilance se trouvent plutôt à la fin de l’évangile, dans le discours de Jésus sur la fin des temps. Dans st Luc, la place en est tout autre et nous avons ici, au chapitre 12, trois petites paraboles sur la vigilance, adressées aux disciples, donc au petit troupeau que nous sommes aujourd’hui.
Je crois qu’elles sont bienvenues, même si cela tombe au milieu des vacances : est-ce pour nous empêcher de les prendre ? Certainement pas, car les vacances peuvent être un temps privilégié pour rencontrer le Seigneur, nous mettre en éveil et nous rendre attentifs. C’est là que Jésus vient nous dire : « Fais attention, ne passe pas à côté de l’essentiel, le trésor est là dans ton cœur, ne va pas le chercher à l’autre bout du monde. »
Nous avons tous besoin de vacances, les moines comme les autres, de ces temps d’arrêt, de pause, de détente, de solitude ou de rencontres, de marche aussi dans la nature. Temps de vacances au sens premier du mot : « vacare Deo », être libre pour Dieu.
Si l’évangile d’aujourd’hui nous demande de garder la tenue de service, ce n’est pas pour renoncer à partir en vacances. Il nous dit seulement de rester vigilant, attentif à la venue du Seigneur, à tous les signes du Royaume, aux signes des temps que nous vivons. Et là, nous avons tous une responsabilité.
Vous avez entendu la question de Pierre à Jésus : « Est-ce pour nous, les Apôtres, que tu dis cette parabole ou bien pour tout le monde ? » Jésus ne répond pas directement à la question de Pierre, il parle de l’intendant, puis du serviteur qui a reçu une telle mission. Or nous sommes tous au service les uns des autres. C’est inscrit dans notre ADN de baptisé : fils de Dieu, mais aussi serviteur, de Dieu et de nos frères.
Je pense que les routiers scouts qui sont parmi nous s’y retrouvent aussi pleinement : merci à eux d’être venus nous aider en ce temps de vacances. Mais l’évangile insiste : sois plus qu’un serviteur, sois un veilleur. Nous avons tous à veiller les uns sur les autres, en prenant soin des plus fragiles. Si Dieu nous a placés à tel ou tel endroit dans le monde, c’est pour y être des veilleurs, des frères qui prennent soin les uns des autres et de notre maison commune. Notre terre vit aujourd’hui plus que jamais un enfantement dans la douleur, que ce soit les guerres à Gaza, en Ukraine, mais aussi en Afrique et cela nous fait mal, et puis il y a cette autre cause mondiale : le dérèglement climatique, la sècheresse, qui peut atteindre tous les pays, et nous avons tous notre part de responsabilité dans cette conversion écologique urgente. « Heureux ces serviteurs que le maître à son retour trouvera en train de veiller ! » Quel est le sens de cette veille ? non seulement d’attendre le retour du Christ, mais de remplir la charge qu’il nous a confiée.
Le pape François, le premier, nous a lancé un appel dans l’encyclique « Laudato si », il y a 10 ans en 2015 ; ce texte fort a frappé même les non croyants , il disait : « J’adresse une invitation urgente à un nouveau dialogue sur la façon dont nous construisons l’avenir de la planète. Nous avons besoin d’une conversion qui nous unisse tous, parce que le défi environnemental que nous vivons et ses racines humaines, nous concernent tous…Tous, nous pouvons collaborer comme instruments de Dieu pour la sauvegarde de la création, chacun selon sa culture, son expérience, ses capacités. »
A la suite de ces appels, relancés par l’évangile aujourd’hui, chacun de nous pourrait se poser la question : quelle est ma manière à moi de veiller, de rester en tenue de service, de tenir ma lampe allumée, de participer à cette conversion écologique et spirituelle ? Toute veille est une veille d’amour sur nos frères.
Je parlerai d’abord pour les moines que nous sommes, qui reprenons nuit et jour, le chant des psaumes où la prière se fait tour à tour cri de détresse et cri de joie, mais aussi attente du Royaume, cri de foi dans la promesse de Dieu à la suite d’Abraham : « Mon âme attend le Seigneur plus qu’un veilleur ne guette l’aurore » (ps 129) Oui, c’est dans la prière et surtout la nuit, que joue notre solidarité avec les cris et les espoirs des hommes, les situations d’échec ou de souffrance : la prière les porte vers Dieu, dans cette communion qui nous tient unis les aux autres, en étant sûrs que Dieu répondra. Le plus souvent, il répondra au moment où l’on ne s’y attend plus, d’une manière imprévue, et tout autre.
Avez-vous remarqué cette façon inouïe dont Dieu se comportera avec ses serviteurs s’il les trouve en train de veiller ? C’est Dieu lui-même qui prendra la tenue de service, qui les fera asseoir et passera devant chacun pour le servir. Alors oui, cela vaut la peine d’attendre dans la nuit, de veiller de toutes les manières possibles sur nos frères : relisez Matthieu 25 J’ai eu faim, j’étais étranger, malade, en prison et tu es venu jusqu’à moi.
Puissions-nous découvrir aussi que le premier veilleur, le Grand Vigilant, c’est Dieu lui-même : soyons les témoins de ce Dieu-là qui veille avec amour sur chacun de ses enfants.
Frère Basile
18ème dimanche du Temps Ordinaire, année C
3 Août 2025
Qoh. 2, 21-23 ; Col. 3, 1-11 ; Luc 12, 13-21
Frères et sœurs,
Les textes que nous offre la liturgie de ce dimanche ont une forte dimension existentielle. Ils nous interrogent sur le sens de la vie, quels sont les objectifs que nous poursuivons, quels attachements avons-nous avec les biens matériels ? Comment considérer les réalités de la terre au regard de celles d’en haut, celles du ciel et celles de Dieu ?
Un mot revient dans chacun d’eux, et il est aussi présent dans un verset du psaume. On pourrait penser que c’est celui de richesse ou de riche. Non, c’est celui d’homme.
« un homme s’est donné de la peine. Il s’y connaissait. Il a réussi. Mais que reste à cet homme de tous les calculs pour lesquels il se fatigue sous le soleil ? »
A qui demande à Jésus de trancher une question d’héritage entre 2 frères, Jésus interpelle : « Homme, qui m’a établi pour être votre juge ou l’arbitre de votre partage ?
Et Saint Paul, en distinguant fortement les réalités d’en Haut et celles de la terre en appelle à une opposition entre un « homme ancien » et un « homme nouveau ».
Oui, qu’est-ce que l’homme pour que Dieu pense à lui, le fils d’un homme pour qu’il en prenne souci ? Et que sert à l’homme de gagner l’univers s’il en vient à perdre son âme ? Car l’écoulement du temps et le surgissement de la mort viennent tout relativiser sur ce qu’il aura fait, sur tout ce qu’il aura possèdé. Ces textes nous invitent à prendre conscience de la finitude et de la fragilité de la condition humaine. Ils nous poussent à sortir d’une forme d’aveuglement ou de déni qui consisterait à croire que seule la richesse apporte la puissance et le bonheur, qu’elle serait le signe d’une vie accomplie, alors qu’elle n’est tout au mieux qu’un moyen très éphémère de ce bonheur recherché.
Saint Basile de Césarée écrivait : « dans ton cœur ne t’attache pas à la richesse, mais accepte l’aide qu’elle peut t’apporter. Sans l’aimer comme si elle était ta possession, mais en la prenant comme un instrument à ton service. Partage ta richesse, tu la conserveras. Mais si tu essaies de la retenir, elle glissera entre d’autres mains. Si tu la gardes, tu ne l’auras pas. Si tu la répands, tu ne la perdras pas ».
Interrogeons-nous donc, non pas sur la nature, la variété ou la légitimité de nos biens matériels qui ne sont pas mauvais en eux-mêmes, mais interrogeons-nous sur la relation que nous entretenons avec eux et l’usage que nous en faisons. Car la relation aux choses n’est pas sans rapport avec la relation que nous avons avec les autres, avec notre prochain et avec Dieu. Tout est lié nous rappelle l’encyclique « Laudato Si’ » pour une écologie intégrale et intégrée. Et « Nul ne peut servir deux maîtres à la fois ou « en même temps » : Dieu et l’argent » dit l’Evangile.
Le sage Qohélet, méditant sur la condition humaine regardait plutôt vers le passé. Désabusé, pessimiste voire résigné. Toutes les actions de l’homme n’aboutissant qu’à des illusions perdues, à de la buée. « vanité des vanités, tout est vanité ».
Le psaume 89 souligne lui aussi la fragilité et le caractère changeant des années de l’homme : elles ne sont qu’un songe, dès le matin herbe changeante, fleurissante, mais le soir, fanée, désséchée. Cependant, à la différence de Qohélet, il y a l’espoir que la douceur de Dieu vienne sur nous. Il a le pouvoir de consolider l’ouvrage de nos mains, dans l’amour et la joie.
L’homme à qui s’adresse Jésus dans notre passage d’Evangile est celui du présent, marqué par le désir et la joie de vivre le plus intensément possible. Mais aussi avec le risque du péché, la tentation de l’argent, l’accumulation de biens temporels et la recherche de fausses sécurités.
Risque du péché qui est le repliement sur lui-même, sur son seul bonheur. Le pape François qualifiait cette attitude d’auto-référentielle, en l’appliquant tout aussi bien à une communauté, à l’Eglise.
Saint Paul, lui, approfondit la réflexion sur un plan théologique et indique une application pastorale. Il s’adresse aux chrétiens de la ville de Colosses en Asie Mineure. Ils ont été baptisés. Ils sont déjà riches de Dieu, et ils ont reçu en eux les prémisses de la vie éternelle. Vivez avec ces richesses, leur dit-il. Elles sont le seul essentiel, le seul nécessaire. Ne vous trompez pas de but. Le but de la vie n’est pas d’accaparer et de convoiter des richesses de diverses natures, mais de savourer, de goûter ce que le Seigneur ressuscité nous a déjà donné. C’est ainsi qu’il faut porter un regard nouveau sur l’Homme, un regard tourné vers l’avenir et vers les réalités d’En-Haut. Le baptisé, le confirmé, c’est cet homme habité de la nouveauté de Jésus qui a été plongé dans la mort de la Croix et qui est sorti vivant du tombeau, habité par l’Esprit Saint.
Frères et sœurs, c’est la tâche de tout chrétien de devenir cet homme nouveau, dégagé des lourdeurs qui n’appartiennent qu’à la terre : voilà notre avenir. Pas seulement pour réussir dans la vie, mais bien plus important pour réussir sa vie, être riche en vue de Dieu, comme Jésus l’annonce en finale de sa parabole. Et comme nous y propose fortement cette Année Sainte Jubilaire 2025 en faisant de nous des « pèlerins d’espérance ».
AMEN
Frère Guillaume
17e Dimanche du Temps Ordinaire, année C
27 juillet 2025
Gn 18, 20-32 – Ps 137 – Col 2, 12-14 – Lc 11, 1-13
Frères et sœurs,
La première lecture et l’évangile de ce dimanche constituent une sorte d’enseignement sur la prière de demande, mais chacune de façon différente.
La première lecture est un texte que je trouve admirable. Admirable parce qu’il nous montre Abraham dialoguant avec son Dieu, c’est cela la prière, mais d’une façon qui sort de nos critères de bienséance.
Oserions-nous, en effet négocier, voire marchander avec Dieu comme le fait Abraham ? Nous avons peut-être une vision trop aseptisée de la prière. Abraham, et les hommes de la Bible, en général, comme ceux qui s’expriment dans les psaumes ; prennent parfois bien des libertés avec Dieu.
Ainsi Abraham, devant la décision du Seigneur de venir voir si Sodome et Gomorrhe sont aussi coupables que la rumeur le dit, se pose en avocat.
Remarquons quand même que le Seigneur est en de bonnes dispositions. Il est prêt à reconnaître que la clameur parvenue jusqu’à lui est de l’ordre des fake news ou non. Et Abraham est audacieux, il connaît son Dieu. Il sait qu’il est profondément juste et miséricordieux. Il sait comme l’a dit plus tard le pape François, que la toute-puissance du Seigneur, c’est sa miséricorde. Alors Abraham n’hésite pas : « vas-tu faire périr le juste avec le coupable ? Vraiment ? » Et en plus Abraham a le culot de donner lui-même la réponse : « Loin de toi de faire une chose pareille ! Traiter le juste de la même manière que le coupable » et il répète « loin de toi d’agir ainsi ». Et le marchandage se met en place : d’abord 50 justes. Et le Seigneur cède : « pour 50 justes dans la ville, je ne détruirai pas. » Bon, mais Abraham sait sans doute qu’il n’y aura peut-être pas 50 justes et il continue : peut-être n’y aura-t’il que 45 justes puis 40 puis 30… on se demande où cela va-t’il s’arrêter… puis 20, et enfin 10. Et là, le marchandage s’arrête. Le résultat n’est quand même pas mal, Abraham a fait passer la limite de la destruction de Sodome de 50 justes à 10.
De plus il y a presque de l’humour lorsqu’Abraham dit « J’ose encore parler à mon Seigneur, moi qui suis poussière et cendres » ou encore « Que mon Seigneur ne se mette pas en colère si je parle encore ». Il prend des précautions, mais en fait, il fait plier son Seigneur
On aurait pu croire que Sodome allait être sauvée. La suite du récit nous montre cependant le contraire, car Sodome semble avoir été totalement impie. Mais pourquoi le récit n’a-t’il pas été jusqu’à un juste ? Eh bien, il me semble que le but de ce récit n’était pas d’aller faire dire à Dieu qu’il épargnerait la ville si elle comprenait moins de 10 justes. Cela, en effet, ne changeait rien au scandale de faire périr le juste avec le coupable. Ce que le texte dit avant tout, selon moi, c’est la fabuleuse liberté de relation entre l’homme et le Seigneur, liberté voulue par Dieu, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Loin d’être la soumission à un dieu impitoyable, voire capricieux, la relation avec le Seigneur est une relation où l’homme se tient debout, est mis debout par Dieu devant lui. Il est responsabilisé par son Créateur. Je trouve merveilleux ce marchandage qui exprime le sérieux avec lequel le Seigneur traite l’homme de prière qu’est Abraham. Lui, le Dieu de l’univers, le Tout-Puissant, va jusqu’à changer d’avis à la demande du priant. Nous sommes loin des religions païennes du temps avec leur soumission aveugle devant la fatalité du destin.
Et si l’on jette un regard sur le Nouveau Testament, n’oublions pas que le Christ a dit qu’au jour du jugement, Sodome sera traitée moins sévèrement que les villes qui auront refusé les disciples envoyés par le Christ. Pour Jésus, la destinée de Sodome n’est pas définitive donc. Est-ce une conséquence de la prière d’Abraham ?
L’évangile nous parle aussi de prière, et d’abord de Jésus en prière. C’est un thème récurrent dans l’évangile selon saint Luc. On peut imaginer que ses disciples le voient, et souhaitent apprendre de leur maître à prier comme Jean-Baptiste l’a fait à ses disciples. Et Jésus leur enseigne le Notre Père.
Mais de suite après, Jésus leur enseigne la confiance dans le Père à partir d’exemples de la vie concrète. Si l’on insiste auprès d’un ami, si l’on demande, si l’on cherche, si l’on frappe, on aura une réponse, car Dieu ne peut donner quelque chose de mauvais à quelqu’un qui demande quelque chose de bon. Pourtant, Jésus opère un déplacement. En effet, lorsque la demande est adressée à Dieu, c’est l’Esprit Saint qu’il s’agit de demander et non plus des aliments. Pourquoi demander l’Esprit Saint ? Peut-être pour être plus à même de faire une demande qui plaise à Dieu ? Ou pour être capable de reconnaître le don que Dieu nous fait, car il n’est pas rare d’être exaucé par Dieu d’une manière autre que ce que nous espérions.
La question de la prière, et surtout de la prière de détresse non exaucée n’est pas facile et le Christ ne donne pas de réponse à ce sujet. Mais si l’on regarde sa Passion, ou plus exactement sa prière au Jardin des Oliviers, la veille de sa Passion, nous constatons que Jésus implore son Père pour que la croix lui soit épargnée, mais il accepte que la volonté du Père se fasse. Non pas que le Père désire voir son Fils être crucifié, mais le Père invite son Fils à témoigner jusqu’au bout de l’amour de Dieu pour les hommes, et dans notre monde tel qu’il est, cela ne pouvait que passer par la Croix, et le Christ l’a compris. Jésus se joint ainsi à la longue cohorte de ceux et celles dont le désir n’a pas été exaucé, du moins, dans un premier temps.
Quant à la seconde lecture, qui n’a pas de liens direct avec les deux autres, elle nous situe à un autre niveau, celui de la contemplation du mystère pascal du Christ et de ses conséquences pour nous. Le Christ est mort et a été mis au tombeau, et nous avons été mis au tombeau avec lui à cause de nos fautes. Mais il est ressuscité et nous sommes ressuscités avec lui par la foi en la force de Dieu qui a ressuscité Jésus d’entre les morts. En Jésus, Dieu a rejoint notre destiné humaine et l’a fait sienne.
C’est avec cette foi qu’il devient possible d’aborder autrement la prière, non pas pour faire de Dieu un distributeur automatique de grâces, de cadeaux au risque de nous détourner de lui si nous ne sommes pas exaucés. C’est l’attitude du paganisme romain contemporain du Christ : je donne à la divinité pour qu’elle me donne, sinon, je chercher une autre divinité. Dans la relation adulte que Dieu nous propose, il s’agit de demander l’Esprit Saint pour nous éclairer sur le contenu de notre prière.
Frères et sœurs, en quoi consiste notre prière ? quelle est la place de la louange ? quelle est notre foi au Dieu que nous prions ? Quelle est notre audace à l’image d’Abraham ? Mais aussi, quelle place laissons-nous à l’Esprit Saint pour inspirer notre prière ? Et enfin, quelle est la place en nous de ce dialogue quotidien avec Dieu, dialogue confiant, parfois critique, parfois, pourquoi pas humoristique, mais toujours dans la foi en un Dieu fou d’amour pour tous et toutes ?
Que les lectures de ce jour nous aident à entrer dans une relation adulte avec notre Dieu, c’est ce qu’il désire pour nous.
AMEN
Frère Jean-Louis
DÉDICACE DE NOTRE ÉGLISE
25 JUILLET 2025
1 R 8, 22-23+27-30 / 1 P 2, 4-9 / Mt 16, 13-19
Depuis la dédicace de notre église, le 25 juillet 1871, bien des modifications ont été faites, au fil des ans, en particulier en 1973, lorsque la communauté a quitté l’abside pour les transepts, afin de manifester l’unité de l’assemblée, l’unité du Corps du Christ que nous formons tous ensemble, tous baptisés dans la mort et la résurrection du Christ, pierres vivantes, chacun-chacune à sa place.
La fête de ce jour est la fête de notre église Pierre-qui-Vire, mais c’est la fête de l’Église, corps du Christ qui reçoit de lui la vie, qui se construit, qui est envoyée dans le monde proclamer la Bonne Nouvelle. Fête de la communauté chrétienne, ouverte à tous, envoyée à tous.
Nous aimons notre église de pierres, avec la force du granit du Morvan, et la douceur de l’aménagement qui accueille chacun avec respect et discrétion. Notre action de grâce va à ceux qui l’ont construite, à ceux qui l’ont transformée, à ceux qui l’ont habitée, y ont reçu la vie du Christ, y ont engagé leur vie dans l’Alliance, y ont adoré et intercédé. Nous la recevons d’eux tous pour être nous-mêmes la demeure de Dieu.
Maisons de Dieu et maisons des hommes, nos églises sont lieux de rencontre entre Dieu et nous. Dieu incarné s’y livre à nous dans sa Parole proclamée et dans son Corps adoré dans le Pain consacré. Nos églises, petites ou grandes, sont habitées par sa présence, toute discrète, presque invisible, humble et silencieuse, loin du tapage mondain, mais immense, puisque c’est Lui.
Maison du Christ présent au tabernacle, mais aussi maison des hommes, notre maison.
Lieu de silence, où chacun est accueilli afin qu’il se trouve lui-même dans sa relation à la Source.
Lieu porté par une communauté chrétienne qui accueille celui qui passe.
Lieu pour recevoir le don de Dieu, et s’offrir à Celui qui a soif de nous.
Entrer dans une église est toujours un cadeau : là, nous sommes chez nous, chez notre Père, avec le Christ.
Notre église monastique est le cœur du monastère, pour la communauté comme pour nos hôtes.
Lieu de célébration et de silence, de partage et d’intimité, d’écoute de la Parole et de réponse aussi habitée et aimante que possible.
Lieu, non seulement de silence et de paix, mais lieu de rencontre de notre Dieu qui nous appelle, nous sanctifie, nous fait devenir fils dans son Fils.
Lieu où se manifeste l’Alliance indéfectible de Dieu avec nous.
Disciples du Christ, nous n’offrons pas 22 000 bœufs comme Salomon, mais le seul sacrifice parfait, celui du Christ mourant d’amour sur la croix. Cette offrande est inséparable de l’offrande de nous-mêmes. Membres du corps du Christ, nous nous offrons avec lui, en pleine liberté : « Me voici, pour faire ta volonté ».
Nous entrons ainsi dans le mystère de l’eucharistie, de la vie donnée et reçue, dans le mystère de l’amour offert. Le Christ ne nous laisse pas tranquilles, il vient bousculer nos vies pour nous rendre semblables à lui.
Je cite un extrait d’homélie de notre P. Luc : « à travers la prière des heures, notre église nous façonne en communauté de louange à la gloire de Dieu. A travers les célébrations de la réconciliation, elle nous façonne en communauté de frères pardonnés et pardonnant. A travers l’eucharistie, elle nous façonne en communauté de frères morts à eux-mêmes et ressuscités avec le Christ. »
Dans la prière personnelle comme dans la prière commune, apprenons à mourir et à vivre avec le Christ, recevons notre église comme le lieu de la rencontre.
« A celui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu Père, à lui la gloire et la souveraineté. »
Frère Hubert
15e dimanche du Temps Ordinaire, année C
13 juillet 2025
Deutéronome 30, 10-14 / psaume 18 B / Colossiens 1, 15-20 / Luc 10, 25-37
Frères et sœurs, avons-nous bien écouté l’Evangile ?
Ecouté et pas seulement entendu, écouté jusqu’au fond du cœur. Avons-nous bien écouté la Parole de Dieu ? « Elle est tout près de toi, cette parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur … Elle n’est pas au-dessus de tes forces, elle est dans ta vie de tous les jours afin que tu la mettes en pratique. »
Ici, à la Pierre-qui-Vire, nous venons de fêter St Benoît et il ne dit pas autre chose dans sa Règle des moines, qui voudrait être un simple manuel d’Evangile. Elle commence par ces mots : « Ecoute, mon fils, et prête l’oreille de ton cœur » D’abord écouter, et puis mettre en pratique, st Benoît insiste aussi pour le faire inlassablement chaque jour, le jour, la nuit, 24 h non stop ! Au ch 4 qui énumère 72 instruments de l’art spirituel, le premier c’est tout simplement le verbe aimer : aimer Dieu, aimer ses frères, aimer tout homme quel qu’il soit : le monastère est bien pour st Benoît une école de charité à la suite du Christ sur le chemin de l’Evangile. En mettant l’amour en premier, Benoît rejoint tout à fait l’Evangile d’aujourd’hui.
Que dit Jésus au docteur de la Loi : « Fais ainsi et tu auras la vie. » Et que faut-il faire pour avoir la vie ? Apparemment c’est tout simple, il s’agit d’aimer : c’est le double commandement de l’amour, d’ailleurs très bien cité par le docteur de la Loi : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, et tu aimeras ton prochain comme toi-même. La réponse est parfaite, mais il demande ensuite à Jésus : « Et qui est mon prochain ? » C’est là que tout se complique.
Or Jésus ne lui répond pas directement, il raconte une histoire. Le docteur de la Loi voulait mettre Jésus à l’épreuve et il cherchait une réponse claire pour savoir ce qu’il faut faire et quel est le prochain que nous devons aimer, afin de pratiquer cette loi et d’être irréprochable. Son souci, dit st Luc, est de montrer qu’il était juste. Jésus le prend à contre-pied et à travers cette parabole il lui dit que l’amour du prochain ne se trouve pas dans des articles de loi qu’il faudrait appliquer, mais qu’il se traduit dans une démarche, dans une action inspirée par le cœur. Ecoutons bien l’histoire, car ce blessé de la route qui descend de Jérusalem à Jéricho, nous pouvons le rencontrer aujourd’hui sur nos autoroutes ou dans les quartiers chauds des banlieues, ou même encore plus près de nous. Le prêtre et le lévite passent sans s’arrêter, ils changent même de côté et ils pensaient bien faire pour respecter les lois de pureté auxquelles ils étaient tenus. Ils écoutaient la loi écrite, mais ils n’écoutaient pas leur cœur, et cette loi d’amour que Dieu y a inscrite pour que nous aimions en vérité, et qu’il a inscrite au cœur de tout homme, croyant ou non. Le samaritain, lui, a écouté son cœur : « il vit l’homme blessé et fut saisi de compassion. » Pourtant il était en voyage, il était pressé. Et puis c’était un samaritain, considéré par les juifs comme un hérétique, parce qu’il ne suivait plus la loi de Moïse. Mais il a suivi sa conscience, il a écouté son cœur.
Aller vers l’autre est un risque que l’on prend parce que cela nous engage et nous déplace. Aimer, c’est briser toutes les barrières qui nous empêchent d’aller vers les autres. Après avoir posé un acte d’amour, on n’est plus tout à fait le même. L’amour nous fait progresser sur des chemins nouveaux en dilatant notre cœur.
Le pape François nous l’a dit et redit et le pape Léon va bien dans le même sens : « La culture du bien-être nous rend insensibles au cri des autres. » Et il appelle cela : « la mondialisation de l’indifférence ».
Si nous pouvions écouter notre cœur, comme le samaritain qui s’est fait le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits. Se faire le prochain, se faire proche de l’autre et découvrons que dans cette proximité, c’est Dieu lui-même qui se fait proche, c’est lui que nous rencontrons.
Maurice Zundel disait dans un raccourci saisissant : « Notre véritable prochain, c\'est Dieu lui-même…L\'Evangile ne nous demande pas de faire des contorsions en nous forçant à aimer ceux que nous n\'aimons pas; il nous situe au centre même du débat en nous révélant que notre premier prochain, notre unique prochain, c\'est Dieu, Dieu dans l\'homme, Dieu dans l\'univers, Dieu qui nous est confié en nous-mêmes et en chacun, Dieu dont nous avons à devenir la Providence dans la vie des autres comme dans la nôtre. »
« Qui est mon prochain ? » Les réponses sont multiples, et les diacres de St-Denis pourraient en témoigner : la solidarité n’a pas de limite, ni de frontière, mais c’est à nous de nous faire le prochain de celui qui est dans la détresse.
Tournons-nous vers le Christ, c’est lui le Bon Samaritain, c’est Lui seul qui peut nous apprendre à aimer si nous prêtons l’oreille de notre cœur.
Frère Basile
SOLENNITÉ DE ST BENOÎT
11 juillet 2025
Les lectures que nous venons d’entendre n’ont rien de spécifiquement monastique ou bénédictin :
la Bible, l’Évangile, sont pour tous, et ils sont la source unique.
Mais il y a de multiples manières de les mettre en pratique.
En nous transmettant sa Règle, saint Benoît désire nous conduire sur un chemin de vie et de bonheur.
Il ne nous guide pas sur un chemin d’expériences mystiques, mais sur un chemin de vie quotidienne très concrète, le chemin d’une vie en commun, sous le regard de Dieu.
Bien des laïcs aujourd’hui savent tirer parti de cette Règle
selon laquelle, nous, moines, nous essayons de vivre.
Dieu est communion : st Benoît nous apprend à vivre en communion, comme Dieu.
Sa Règle est un guide sûr pour vivre en harmonie avec Dieu, avec les autres, avec nous-mêmes.
L’art de vivre qu’elle propose est un art de vivre en communion, dans des relations heureuses et fécondes.
L’humilité – un des grands mots de la Règle – est au fondement de l’émerveillement et de l’action de grâces.
Le respect de toute chose considérée à l’égal des vases de l’autel,
l’honneur dû à tout homme, au malade comme au passant, au jeune comme à l’ancien, au novice comme à l’abbé, sont des voies de paix, de beauté et d’amour.
L’obéissance, quand elle est juste de part et d’autre, nous plonge directement dans le mystère du Christ, venu faire, non sa volonté, mais la volonté de Celui qui l’a envoyé.
Le silence – de paroles, de bruits, d’imagination – le silence de la maison et de l’environnement, est une condition de la descente au fond de soi-même, dans le lieu de notre vérité et de la rencontre de l’autre.
Tout cela nous apprend à vivre comme des fils.
« Mon fils, accueille mes paroles » :
Créés par Dieu, baptisés dans le Christ, nous sommes déjà fils dans le Fils unique,
et nous sommes sans cesse appelés à vivre dès maintenant cette filiation, dans le quotidien de notre vie.
Vivre comme Dieu, témoigner de qui il est, témoigner de son mystère, par notre vie concrète,
par notre style de vie.
La Règle nous renvoie sans cesse à l’Évangile, au Christ qui nous montre comment être fils :
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai toute ma joie : écoutez-le. »
« Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. »
« Puisque vous avez été choisis par Dieu, que vous êtes sanctifiés, aimés par lui,
revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience. »
Nous sommes appelés à nous livrer totalement, dans la confiance, à Celui qui nous crée à son image,
qui nous sauve et de l’orgueil et de la désespérance.
Le démon, n’a de cesse de mettre la défiance dans notre cœur,
de nous suggérer que Dieu veut nous asservir,
qu’il nous faut être autonomes et devenir dieu par nous-mêmes.
Si nous l’écoutons, nous devenons alors le contraire de Dieu qui n’est que don.
La Règle, avec son lot d’exigences, est une école pour nous apprendre à être, à vivre, à aimer, comme Dieu.
« Qui donc aime la vie et désire les jours où il verra le bonheur ? »
Qui mieux que Dieu sait quel est le chemin de notre bonheur ?
Comme des fils, accueillons donc ses paroles, laissons-nous agir par l’Esprit.
Notre conversion, c’est de choisir le chemin de notre vrai bonheur.
Et, comme pour Dieu, notre bonheur n’est jamais sans les autres.
Le bonheur, c’est la vie qui circule entre nous, dans le don et l’accueil mutuels, dans l’émerveillement et l’action de grâces.
« Tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus,
en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père. »
« Toi donc, qui que tu sois, qui te hâtes vers la patrie céleste, accomplis avec l\'aide du Christ cette toute petite règle pour débutants, alors tu parviendras. »
Frère Hubert
Fête de Saint Pierre et saint Paul
29/06/2025
Ac 12, 1-11 – Ps 33 – 2Tm 4, 6-8.17-18 – Mt 16, 13-9
Frères et sœurs,
Le dimanche, nous célébrons habituellement la résurrection du Christ, et cette année, c’est donc la célébration des saints Pierre et Paul qui l’emporte dans le calendrier liturgique sur celle du dimanche. Mais comment comprendre les destinées de Pierre et de Paul sans tenir compte du Christ ressuscité ? C’est donc bien sûr le Ressuscité et son action dans le cœur de ces grands apôtres du Christ que nous célébrons également en ce jour.
Il y a, en effet, tant à dire sur ces deux grands saints de l’Église morts martyrs à Rome à peu d’années de distance.
Nous avons tous entendu parler du triple reniement de Pierre et de la conversion fulgurante de Paul sur la route de Damas. Les lectures de cette solennité, proposées par la liturgie de l’Église, ne racontent cependant pas ces événements célèbres mais peuvent néanmoins nous permettre de connaître un peu plus ces deux colonnes de l’Église, particulièrement honorées à Rome, ville de leur martyre.
Le passage des Actes nous raconte la persécution des premiers chrétiens par le roi Hérode Agrippa, petit-fils d’Hérode le Grand, celui qui a fait massacré les enfants de Bethléem. Cette persécution a visé, semble-t’il la tête de la communauté chrétienne naissante : le frère de l’apôtre Jean, Jacques, qui est décapité, et Pierre, qui est emprisonné dans l’attente d’un sort sans doute guère meilleur. Cette arrestation a lieu durant la fête de la Pâque juive. Pierre arrêté, l’Église prie pour lui.
En prison, Pierre dort. Un ange du Seigneur survient et libère Pierre de ses chaînes qui, en fait, tombent toutes seules, nous dit le texte. Pierre qui croit avoir une vision ou un rêve se laisse guider très passivement. Il ne savait pas que ce qui se passait était bien réel. De même que les chaînes étaient tombées toute seules, le portail de la prison s’ouvre, lui aussi tout seul, permettant aux deux personnages de sortir vers la liberté. L’ange alors abandonne subitement Pierre, ce qui semble réveiller ce dernier qui réalise alors ce qu’il a vécu : une libération menée par un ange envoyé par Dieu. Ce n’est pas cette fois-ci que Pierre se verra conduire au supplice comme le Christ le lui avait annoncé à la fin de l’évangile selon saint Jean « tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. »
Le psaume chanté ensuite est un psaume de bénédiction et de confiance : quoiqu’il arrive, le Seigneur répond. C’est l’expérience de Pierre.
Dans la seconde lecture, nous sommes devant une sorte de testament de Paul. Il a achevé sa course et attend sa récompense, non seulement pour lui mais pour tous ceux qui auront attendu avec amour la Manifestation du Seigneur. Abandonné des hommes, il est conscient de l’aide accordée par le Seigneur qui lui a donné la force de proclamer l’évangile jusqu’au bout. Il garde confiance dans le Seigneur qui le sauvera et le fera entrer dans son Royaume. Magnifique expression d’espérance et de confiance en Dieu.
L’évangile nous fait revenir à Pierre, avec sa confession à Césarée de Philippe, dans le Nord Est d’Israël. C’est là que Simon-Pierre proclame que Jésus est le Christ, le Fils du Dieu vivant, et c’est là que le Christ déclare que Pierre sera la pierre de fondation de l’Église. De cet événement découle la place particulière de Pierre au sein des douze et son triple reniement n’y changera rien.
Que retenir de ces lectures pour nous aujourd’hui et que nous disent-elles de cette fête que nous célébrons en ce jour ?
C’est sans doute la préface de la messe, propre à ce jour qui résume bien le sens de cette double fête, celle de Pierre et celle de Paul.
Pierre, celui qui, le premier, a confessé la foi, c’est notre évangile, et Paul qui l’a mise en lumière par ses lettres. Pierre qui a constitué l’Église par l’annonce de l’évangile en premier lieu aux pauvres d’Israël et Paul, qui a fait connaître aux nations païennes ce même évangile, car ces nations sont également appelées au salut en Jésus-Christ
Ces lectures peuvent, en ce jour où nous célébrons les colonnes de l’Église, nous aider dans notre cheminement en cette année jubilaire. En effet, le récit de la libération de Pierre comme le témoignage de fin de vie de Paul nous montrent combien est grande la fidélité de Dieu et que, même dans des situations extrêmes, le Seigneur nous est présent.
Le passage de Paul, lu en ce jour, mais aussi l’épisode de l’emprisonnement de Pierre, sans oublier son reniement, nous montrent également que suivre le Christ, faire sa volonté, n’est pas la garantie d’une vie sans souci, sans combat, ce que nous pourrions parfois avoir tendance à croire. Suivre le Christ, lui faire confiance, et témoigner de lui est exigeant et nous pouvons parfois nous décourager devant les obstacles et souffrances de toutes sortes qui peuvent parsemer nos vies.
L’évangile nous rappelle aussi cette parole du Christ que nous pouvons parfois oublier devant les fracas de l’histoire « la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle = l’Église. Combien de fois l’Église n’a-t’elle pas vacillé au cours de l’histoire, et nous sentons bien qu’il peut en être de même aujourd’hui. Et pourtant, il y a toujours eu des mouvements de réforme qui ont fait que l’Église a continué son service de façon plus authentique alors qu’elle revenait parfois de loin. Aujourd’hui encore, nous vivons un moment de réforme face à une crise à multiples facettes et qui ne concerne pas que l’Église mais aussi notre monde.
Il y a 15 jours, lors de la fête de la Trinité, nous avons entendu saint Paul nous dire, dans l’épître aux Romains : « nous mettons notre fierté dans la détresse elle-même, puisque la détresse, nous le savons, produit la persévérance ; la persévérance produit la vertu éprouvée ; la vertu éprouvée produit l’espérance ; et l’espérance ne déçoit pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. » L’espérance, la vraie, vient de ce que le Christ est ressuscité, nous avons toujours à nous le rappeler, et les dimanches sont les bons jours pour cela.
Puissions, nous frères et sœurs, nous rappeler en ce jour que le Seigneur nous arrache et nous arrachera à la gueule du lion. Puissions-nous garder, comme Pierre et Paul, cette confiance absolue, cette espérance dans le Salut acquis par le Christ et qui se déploie dans notre monde, souvent de façon plus discrète que le déchaînement du mal, mais de façon finalement plus décisive.
Que la foi des apôtres Pierre et Paul nous soutienne sur notre route.
AMEN
Frère Jean-Louis