Homélies
Liste des Homélies
Fête de st Luc – 18 octobre 2022 –
2 Tim 4 9-17 ;Luc 10 1-9
Homélie du Père Abbé Luc
« Paix à cette maison » - telle est la première parole que Jésus recommande de dire à ses 12 disciples, figures de tous les disciples missionnaires que nous sommes. Cette parole pouvait être entendue comme une formule introductive de politesse. Mais elle suggère bien davantage. Dans les derniers temps inaugurés par Jésus, elle manifeste la paix messianique à l’œuvre dans le cœur des croyants. Celui qui a reconnu que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu, est habité d’une Paix qu’il ne peut que partager pour qu’elle repose sur tous. Et si en face, il ne rencontre pas un ami de la paix, la paix revient sur lui. Cette expression est un peu surprenante : que veut dire « votre paix reviendra sur vous » ? Peut-être faut-il simplement l’entendre : vous n’avez pas rencontré d’ami de la paix, ne vous troublez pas, gardez votre paix ou encore, cette paix qui est un don qui vous dépasse reste en vous, offerte à d’autres qui pourront l’accueillir. L’adversité ne peut éteindre ce don messianique qui est bien plus grand que la paix psychologique.
La réaction de Paul face aux difficultés rencontrées dans son ministère, nous la fait pressentir. « Personne ne m’a soutenu, tous m’ont abandonné. Que cela ne soit pas retenu contre eux. Le Seigneur m’a assisté ». Paul garde la paix face à l’injustice ressentie d’avoir été lâché. Il trouve sa Paix dans sa relation au Seigneur qui l’assiste. Il ne garde aucune rancune.
Comme moines, nous sommes assez rarement confrontés aux difficultés apostoliques des portes fermées ou des oppositions.. Sommes-nous pour autant exempts de témoigner de la Paix qui nous habite, ce cadeau que le Seigneur nous fait comme disciple de son Amour ? Peut-être la paix dont il nous faut témoigner, c’est la paix vécue entre nous, la paix qui fait son œuvre de vie profondément dans nos cœurs. La paix que nous accueillions et que nous cherchons en même temps dans nos manières de vivre les plus quotidiennes. De telle sorte que ceux qui frappent à la porte du monastère perçoivent que la paix règne dans cette maison qui voudrait être une maison de Dieu. Que le Seigneur vienne changer nos cœurs et faire de nous des témoins artisans de sa Paix.
Année C - 29e dimanche TO- 16 octobre 2022
— Ex 17,8-13 ; 2 Tm 3,14-4,2 ; Lc 18,1-8
Homélie du F. Charles Andreu
La parabole de ce dimanche s’ouvre sur un tableau bien sombre. Oui, sombre est le destin de cette veuve exposée à une double précarité, victime d’une double injustice.
Précarité affective de celle qui a perdu son mari ; précarité sociale encore, car être veuve, à l’époque, c’est se trouver bientôt confrontée à de grandes difficultés de subsistance ; injustice qu’elle subit d’un « adversaire », injustice encore qu’elle subit de la part de ce juge indifférent.
Or à travers la figure de cette veuve, le Seigneur nous lance un appel pour les jours sombres de souffrance, de précarité ou d’injustice : « Ne te décourage pas — prends le temps de la prière, persévère dans la prière ».
Mais pourquoi prier ? Pour donner au Seigneur nos solutions ? pour en réclamer, quand nous n’en avons pas ? N’allons pas trop vite. Prier c’est d’abord présenter au Seigneur notre souffrance, telle qu’elle est, et même la révolte qu’elle peut susciter en nous. Et ce n’est pas si facile, car devant Dieu nous avons l’art d’endimancher nos états d’âmes, comme s’il était interdit d’en avoir. Inhibition étonnante : Jésus crucifié a osé crier « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », et nous trouverions inconvenant d’en dire le quart. Pourquoi ? Réflexe de déni peut-être, quand par honte, ou pour essayer de s’en convaincre, on dit « tout va bien » alors que ce n’est pas vrai ; manque de foi et de confiance souvent, car pour dire sa peine, sa révolte, il faut croire qu’elles seront accueillies par un cœur aimant, capable de comprendre.
L’ouverture simple du cœur dans la prière ne fait pourtant pas tout. La première lecture nous l’a bien montré, à travers les deux figures de Moïse et de Josué qui, peut-être, nous représentent chacune, comme si nous devions être à la fois Moïse qui prie à l’écart, et Josué qui se tient au cœur de la mêlée. Car Moïse prie, certes, mais cela ne servirait à rien si Josué n’était dans la plaine à combattre. De même, la prière ne doit pas nous faire déserter le combat à mener, négliger les moyens humains, ce qu’il est encore possible de faire quand tout semble impossible. Ce serait confondre la foi en Dieu et les illusions d’une pensée magique qui démissionne de notre humanité, du « dur métier de vivre » (Rouault).
Par ailleurs, en tout cela, nous ne devons pas rester isolés : Josué ne combat pas seul, mais avec les hommes qu’il a pris avec lui ; et même dans la prière, Moïse ne peut persévérer longtemps sans l’aide de Hour et d’Aaron, sans ceux qui aident à tenir, à ne pas « baisser les bras », à ne pas se décourager. Remarquez que ceux qui aident Josué ou Moïse sont au moins deux : pas une seule personne, mais plusieurs, c’est-à-dire une fraternité ouverte, large et différenciée qui seule peut vraiment soutenir. Dans nos détresses les plus sombres, l’ouverture à Dieu dans la prière doit aller avec l’humble consentement à être aidé par des frères.
L’évangile nous pose enfin une autre question : à qui pensons-nous nous adresser dans la prière ? À un Dieu semblable au juge de la parabole : bouché, indifférent, égoïste ? Sans aller jusque-là, un doute peut nous traverser, l’idée que, comme la veuve devant son juge, nous devrions arracher à Dieu, à force d’insistance, des grâces qu’il ne donne qu’avec parcimonie. Alors nous faisons de la prière un épuisant exercice d’endurance où se multiplient pratiques, dévotions et paroles censées mériter ce que Dieu ne voudrait donner qu’à ce prix. Mais Jésus le dit clairement : Dieu ne nous fait pas languir ainsi. Quand notre prière est portée par cette foi, elle devient simple et pure, elle tient en quelques mots.
Est-ce à dire que tout s’aplanira devant nous ? Qu’en quelques prières, tout va se résoudre ? Certes non, et c’est précisément ce qui requiert notre foi. La foi en la prière, ce n’est pas de croire qu’à force de harceler Dieu il fera tout ce que nous voulons, c’est croire, sans le voir encore, que dès le premier instant de notre cri, le Seigneur a ouvert à travers la souffrance qui nous frappe un chemin pascal, le chemin d’une vie possible ; chemin qui ne se mènera pas sans que nous le choisissions ; chemin peut-être long et difficile ; chemin d’humanité où Jésus nous conduit, pas à pas, où il nous apprend sa paix, sa joie.
Année C - 28e dimanche ordinaire - (09/10/2022)
(2 R 5, 14-17 – Ps 97 – 2 Tm 2, 8-13 – Lc 17, 11-19)
Homélie du F. Jean-Louis
Frères et sœurs,
La Bible, la Parole de Dieu peut parfois bien prendre à rebours nos évidences. Dans une Europe relativement riche mais vieillissante, qui constituait un îlot de paix dans notre monde, îlot de paix ébranlé cependant par la guerre en Ukraine, de fortes craintes sont nées devant la venue de migrants fuyant des guerres ou des situations économiques désastreuses. Or, pour ces migrants, il ne s’agit pas d’un caprice mais de survie voire de vie tout court. Et nous le savons bien, le réflexe spontané est de se sentir menacé devant l’étranger, de s’imaginer que ces migrants vont nous submerger.
Mais la Bible en général, et les lectures de ce dimanche en particulier, nous interrogent sur ce sujet brûlant. Et d’abord, si la Bible en parle, c’est que ce n’est pas une attitude récente, moderne, mais qu’elle existe, on pourrait dire, de tout temps. Dans l’Ancien Testament, l’étranger est une des catégories de pauvres, de gens fragiles, exposée à tous les risques au même titre que la veuve et l’orphelin. Ils sont souvent nommés ensemble. Et la tentation de les exploiter ou de les rejeter est grande. Nous retrouvons cette même attitude au temps du Christ, en particulier devant un genre d’étranger pas du tout apprécié par les juifs : les Samaritains. Il ne faut pas oublier non plus que le peuple juif étant le seul peuple des alentours à vénérer un Dieu unique, les étrangers pouvaient être vus comme un risque constant de contamination par le polythéisme. Et du temps du Christ encore, fréquenter un étranger païen rendait impur pour participer au culte du Temple, ce qui n’était pas rien.
Mais que nous dit la Bible sur l’attitude du croyant à l’égard des étrangers ? Que nous recommande-t’elle ? Il me semble que la première lecture et l’évangile nous ouvrent des horizons qui peuvent être confirmés par d’autres passages bibliques. Ils ne nous disent pas comment faire politiquement avec les migrants, les étrangers, mais bien plutôt quelle doit ou devrait être l’attitude de l’homme de Dieu, du chrétien à leur égard.
Dans la première lecture il est question d’un général syrien. Or, ce général avait remporté des victoires contre le roi d’Israël. Donc, pour un Juif, ce n’était pas le type d’étranger que l’on pouvait aimer… Ce général était venu chez Elisée espérant guérir de sa lèpre et ce dernier lui avait recommandé d’aller se plonger sept fois dans le Jourdain. Refus du général qui trouve la méthode de guérison trop simple et pas assez magique avec en plus ce côté un peu chauvin : les fleuves de Syrie ne valent-ils pas le Jourdain ? Finalement, sur le conseil d’un de ses serviteurs, le général obéit et se retrouve guéri. Et là, il y a un retournement. De païen qu’il était, il reconnaît non seulement que le Dieu d’Israël est Dieu, cela n’aurait fait qu’un dieu de plus à vénérer, mais qu’il n’y a pas d’autre Dieu que celui d’Israël. Il sort donc de son polythéisme. Il prend de la terre d’Israël pour se faire un autel chez lui et ne plus offrir de sacrifice à aucun dieu sinon le Dieu d’Israël. Ainsi, un étranger, et en plus un ennemi militaire, est donc susceptible d’adopter la foi d’Israël. Ce n’est pas rien pour un peuple qui se croyait le seul peuple élu, appelé par Dieu à la suite d’Abraham.
Quelle est l’attitude d’Elisée ? Il l’a accueilli et a accédé à sa demande. La guérison survenue, il refuse les présents du général et ne proteste pas du tout contre la conversion de cet ennemi. En fait, il reconnaît que Dieu a touché son cœur et l’a retourné. Qui était-il pour refuser l’action de la grâce de Dieu ?
Quant à l’évangile, il nous présente la guérison de dix lépreux. Là comme dans la première lecture, la guérison s’effectue avec une grande sobriété. Pas de geste, ni de parole de guérison magiques. Simplement un : « Allez vous montrer aux prêtres ». Et c’est tellement simple que les lépreux ne se rendent même pas compte qu’ils sont guéris chemin faisant.
Seul un le remarque et fait demi-tour pour remercier Jésus en rendant grâce à Dieu. Or, il s’agit d’un Samaritain. Les Samaritains, descendants de populations étrangères amenées par les Assyriens pour remplacer les israélites déportés lors de la prise de Samarie en 721 avant Jésus Christ, étaient détestés des Juifs et le leur rendaient bien. Ils refuseront d’accueillir Jésus et ses disciples en marche vers Jérusalem simplement parce qu’ils vont à Jérusalem. En effet, les Samaritains adorent Dieu au Mont Garizim et il y a donc concurrence entre les deux sanctuaires.
Quelle est l’attitude de Jésus ? Tout d’abord, dans notre récit, il ne fait aucune différence entre les 9 Juifs et le Samaritain, tous lépreux. Il les guérit tous car tous sont unis par la mise à l’écart de la société à cause de l’horreur qu’ils inspirent. Et quand Jésus signale sa qualité d’étranger, de Samaritain, c’est pour souligner qu’il est le seul à être venu le remercier. Ailleurs, dans la parabole du bon Samaritain, Jésus ne se gêne pas pour mettre la bonté de cet étranger en valeur par rapport à l’indifférence de deux bons Juifs par excellence que sont le prêtre et le lévite.
Frères et sœurs, si nous relions notre évangile à d’autre passage du Nouveau Testament comme Matthieu 25 décrivant le Jugement dernier : « J’étais étranger et vous m’avez accueilli », le Christ s’identifiant à l’étranger, nous sommes bien obligés de constater que le Christ reprend à son compte un courant de l’Ancien Testament.
Ainsi par exemple, dans un passage fondamental du livre de l’Exode, le Décalogue, on trouve clairement cette parole de Dieu : « Tu n’exploiteras pas l’immigré, tu ne l’opprimeras pas, car vous étiez vous-mêmes des immigrés au pays d’Egypte »
Et le livre du Lévitique, un des 5 livres de la Loi juive, comme l’Exode énonce pareillement : « L’immigré qui réside avec vous sera parmi vous comme un Israélite de souche, et tu l’aimeras comme toi-même. »
Et encore au livre du Deutéronome, toujours dans la Loi, la Torah : « Aimez donc l’étranger, car au pays d’Egypte vous étiez des immigrés. »
Les prophètes ne sont pas en reste, par exemple Jérémie : « Pratiquez le droit et la justice, délivrez l’exploité des mains de l’oppresseur, ne maltraitez pas l’immigré, l’orphelin et la veuve, ne leur faites pas violence. »
Le prophète Malachie, citant Dieu lui-même, dit : « je témoignerai contre ceux qui oppriment le salarié, la veuve et l’orphelin, qui excluent l’immigré. »
Le Christ reprend donc à son compte cet enseignement de la Loi car les tenant les plus stricts de la Loi, au temps du Christ, semblent avoir oublié ces préceptes. Et le Christ, comme je l’ai dit plus haut, doit réaffirmer fermement, dans un passage décrivant le Jugement dernier, que ceux qui n’auront pas accueilli l’étranger qui est le Christ lui-même, n’auront pas accès au Royaume.
Qu’en est-il pour nous ? Quelle est notre attitude ? N’avons pas ou ne risquons-nous pas d’oublier ces enseignements, ces préceptes qui nous gênent ?
Ni le Christ, ni la Bible ne donnent de recettes comment accueillir l’étranger. Ils font confiance à l’imagination humaine. La Parole de Dieu dans l’Ancien Testament, accomplie par le Christ dans le Nouveau Testament, nous dit que l’étranger doit être respecté car il est fils de Dieu et notre frère aux yeux de Dieu. Et saint Paul dira qu’en Christ il n’y a plus ni Juif, ni Grec, ni esclave, ni homme libre. Toute l’humanité est sauvée en Christ et s’il est recommandé d’accueillir l’étranger, c’est dans sa dignité d’être sauvé par la mort et la résurrection du Christ. Et si nous ne l’accueillons pas, c’est le Christ que nous n’accueillons pas.
Le Christ reconnaît dans l’évangile d’aujourd’hui les richesses de foi présentes dans un étranger, il reconnaîtra aussi chez un centurion païen une foi qu’il n’a pas trouvée en Israël. Dans l’évangile de saint Marc, si, dans un premier temps, le Christ refuse d’aider une femme païenne dont la fille est malade, il change d’avis devant le témoignage de foi de cette femme et c’est un centurion païen qui reconnaîtra devant le Christ en Croix sa véritable identité : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu. »
Et si, de notre côté, nous reconnaissions déjà les richesses de courage, de volonté de vivre, de persévérance, d’ingéniosité chez ceux qui frappent à notre porte ? Et si nous reconnaissions leur capacité à se soutenir, à se venir en aide mutuellement derrière la lèpre de leur misère ? Peut-être notre regard changerait-il.
On dit souvent que le chrétien doit avoir sur les autres le regard que le Christ porte sur eux et sur nous. Relisons sérieusement cet évangile et les autres passages importants des traditions juives et chrétiennes sur l’accueil des étrangers et mettons-nous à la suite du Christ. Imitons-le. Il en va de l’authenticité de notre témoignage de chrétiens.
Dieu ne nous demande pas de nous mettre sur la paille pour aider les autres, de nous rendre la vie impossible, il nous demande de changer notre regard. Alors, je suis certains que notre imagination trouvera des solutions concrètes. Tant de gens se sont déjà mis à l’œuvre en ce sens. Dieu nous veut libres et nous fait confiance pour trouver les bons choix et les moyens de les mettre en œuvre.
Demandons, implorons l’aide de l’Esprit Saint qui, seul, peut nous faire aimer comme Dieu aime.
AMEN
année C - 27° Dimanche Ord - 2 octobre 2022
Habacuc 1, 2-3 + 2, 2-4; 2 Timothée 1, 6-8 + 13-14 ; Luc 17, 5-10
Homélie du F.Basile
Frères et Soeurs, dans l’évangile d’aujourd’hui, les Apôtres font au Seigneur une demande qui semble tout à fait normale pour des croyants : « Seigneur, fais grandir en nous la foi ! » Mais la réponse de Jésus est vraiment déconcertante, provocatrice même, avec cette image de l’arbre qui va se planter dans la mer, et ensuite la façon dont Jésus traite ses disciples de serviteurs corvéables à merci, « inutiles » même, si l’on prend la traduction de Sr Jeanne d’Arc : j’entends l’apôtre Pierre répondre à Jésus du tac au tac : « Alors, c’est bien la peine d’avoir tout quitté pour toi, si c’est pour être ainsi traité !»
La foi, c’est évident qu’on n’en a jamais assez, mais ce n’est pas parce qu’on est croyant qu’on va déraciner les arbres ou déplacer les montagnes. Vous me direz : « C’est une image que Jésus utilise pour nous faire comprendre que notre foi est bien faible et pas très efficace. » Si peu de chose : alors comment la faire grandir ?
Avouons-le, dans le monde d’aujourd’hui, ce que nous voyons grandir, ce n’est pas la foi, c’est la violence, c’est la puissance du mal sous toutes ses formes : ces attentats, ces guerres, ces incendies ; la prière du prophète Habacuc est plus que jamais d’actualité : « Seigneur, je t’appelle ‘au secours’, je crie contre la violence, et toi tu n’entends pas, tu ne nous sauves pas. Pourquoi ce silence ? » Et Dieu répond : « Aie patience, prends le temps d’attendre ; le juste vivra par sa fidélité. » Mais, Seigneur, comment l’obtenir, cette fidélité ? La réponse de Jésus dans l’Evangile est très intéressante : il parle d’une petite graine, d’une graine minuscule, il nous dit que cela suffit. Là aussi Jésus nous prend à contre-pied : on voudrait qu’il augmente notre foi et il nous dit : « Ce n’est pas nécessaire, il suffit d’un petit rien, une graine de foi. »
Avez-vous réfléchi à la puissance secrète d’une graine ? C’est quelque chose de vivant et c’est tout un programme encore caché ; elle devra passer par la mort, par l’enfouissement, mais un jour elle va germer, sortir de terre, éclater de vie nouvelle. Et si la mer, dans la Bible, est le symbole de la mort, alors ces arbres dans la mer, n’est-ce pas comme une force de vie, de résurrection qui va se dresser plus forte que la mort : la foi nous plante dans l’eau du baptême ; il n’y a pas pour elle d’indicateur de mesure ; une toute petite graine suffit. Mais il faut qu’elle soit vivante.
La parole de Paul dans la 2° lecture prend ici toute sa force : «Réveille, ravive en toi le don gratuit de Dieu, car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force et d’amour. » L’Esprit Saint fait de nous des serviteurs : c’est inscrit dans notre ADN de baptisé. Cette petite graine de foi, semée par Dieu au baptême, l’Esprit la renouvelle à la confirmation pour le service de tous nos frères les hommes.
Mais la question revient : en nous traitant de simples serviteurs ou de serviteurs inutiles, Jésus n’y va-t-il pas un peu fort ? Et si nous n’avons droit à rien, n’est-ce pas en contradiction avec ce qu’il dit dans un autre passage de l’évangile de Luc où justement il est question des serviteurs qui attendent le retour de leur maître en veillant dans la nuit : « Eh bien, dit Jésus, le maître, à son arrivée, prendra la tenue de service, il les fera mettre à table et passera pour les servir lui-même. »
Derrière cette contradiction, il y a toute notre relation à Dieu qui est en cause.
Dieu est-il un maître, un patron, et nous des serviteurs, des salariés, travaillant pour lui ? Cela suppose alors contrat de travail, donnant-donnant, relation de marchandage, salaire et rien de plus. « Nous n’avons fait que notre devoir, nous sommes de simples employés. »
Mais Jésus veut nous dire au contraire : vous vous trompez totalement lorsque vous faites de Dieu l’image d’un patron. C’est tout le contraire d’un patron : il est, Lui, la gratuité absolue. Tout l’évangile est là. En nous donnant son Fils, venu parmi nous comme un serviteur, nous sauvant sans aucun mérite de notre part, Dieu nous fait entrer dans le domaine de la gratuité. Tout est grâce en Lui : le don gratuit de Dieu, dit Paul. Dans le monde de la grâce, plus question de mérites, de salaires, de récompense ni de félicitations. Alors on va même pouvoir se considérer comme des êtres inutiles, sans que cela nous blesse. Dans le monde de la gratuité, il ne peut plus être question d’utilité. Ce sont les objets qui sont utiles, mais non les personnes. Il y a là un changement de mentalité qui n’est pas facile à faire, d’autant plus que nous vivons dans un monde où tout est évalué en termes d’efficacité, de rentabilité, de prime et de récompense.
Avons-nous compris cela ? Si oui, ma petite graine de foi, minuscule, va me permettre de soulever les montagnes et de changer le monde dans une confiance à toute épreuve ; comme Thérèse de Lisieux que nous fêtions hier, je ne mettrai plus ma confiance en moi, ni en ce que je suis, ni en ce que je fais, mais en Celui en qui je crois. Cette confiance-là peut tout, c’est la petite graine de foi qui a germé :
« Regardez, dit le poète, il ne faudrait qu’un brin de foi,
et vous verriez les arbres dans la mer :
les fusils enterrés, les armées au rebut,
les montagnes qui dansent…
Regardez… Il ne faudrait qu’un brin de foi…
Demandons au Seigneur les uns pour les autres ce brin de foi et d’amour.
Frère Basile
Année C – 26° dimanche du Temps Ordinaire – 25 septembre 2022
Amos 6 1-7 ; Ps 145 ; 1° Tim 6 11-16 ; Luc 16 19-31
Homélie du F. Damase
Dans ma Bible de Jérusalem, cet évangile est titré « le mauvais riche et le pauvre Lazare » - Eh bien, je ne suis pas d’accord : Pourquoi ce riche serait-il mauvais ? N’est-ce pas un a priori ? Cet homme a travaillé et gagné sa vie – il choisit d’en profiter – qu’est-ce qu’on lui reproche ? De plus il pense aux autres : « J’ai cinq frères, va les prévenir ». Mieux encore, il connaît le prénom de Lazare : qui d’entre nous connait le prénom d’un quémandeur de la « gare de Lyon ou du métro parisien ou simplement de sa paroisse » ? Il n’est donc pas indifférent à Lazare, puisqu’il le connaît par son prénom ! Quel est le problème de ce riche ?
Il me semble que le problème de cet homme c’est d’avoir considéré comme normal que Lazare soit à sa porte : « C’est comme cela, on n’y peut rien » - « Il y a des pauvres, il y a des riches ; c’est comme cela que la terre tourne ». Jésus n’a-t-il pas dit lui-même « des pauvres vous en aurez toujours » ? – Donc si c’est inscrit dans la nature des choses, c’est que « c’est comme cela, on n’y peut rien » !
Le problème de ce riche est sans doute de croire que nous menons chacun une vie indépendante des autres. Nous sommes chacun en marche sur des chemins parallèles, qui ne se croisent jamais et ne se rencontreront jamais ! Si nous sommes sur des chemins parallèles - ce qui arrive aux autres, c’est peut-être dommage pour eux, mais c’est leur problème. On se retrouvera tous au paradis.
Sauf que les parallèles ici-bas pourraient bien se prolonger dans l'au-delà. C'est sans doute cela, le gouffre infranchissable qui est mis entre Lazare et ce riche. Quelque chose qu'il a construit peu à peu, tout au long de sa vie. Il a vécu coupé des autres, il n'y a aucune raison pour que cela change après sa mort.
Nos choix ici-bas ont des conséquences sur notre éternité. Nos choix ont du poids, une gravité, une importance. Voilà ce que Jésus nous rappelle dans cette parabole. Ne soyons pas indifférents, la société peut changer. Ce n'est pas à Dieu de changer le monde, c'est à nous, les hommes, qu'il confie cette tâche.
Nous devons essayer de bâtir une « cité de l’amour », comme nous y invite le pape François, en sachant bien qu'il ne s'agit pas du Royaume de Dieu. Mais cette « cité de l'Amour » nous prépare à vivre selon Dieu, avec Dieu, en Dieu dans son Royaume.
Jésus nous invite à ouvrir les yeux - non pas pour sauver le monde, la place est déjà prise, c’est Lui qui nous a sauvés -, mais pour être témoin que Dieu aime les hommes. Il est là, pour nous, le combat véritable de notre vie : être, là où nous sommes, signes de l'amour de Dieu.
Cet Évangile est d'abord pour nous un encouragement à ne pas nous satisfaire de la situation, à ne pas regarder avec fatalité ce dont nous sommes les témoins.
Demandons au Seigneur de nous aider à discerner ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous, pour pouvoir, avec courage, changer ce qui dépend de nous et accueillir avec sérénité ce qui ne dépend pas de nous.
Frères et sœurs, entrons avec le Seigneur sur ce chemin qu'Il nous propose. Nous ne sommes pas sur des routes parallèles, nous marchons ensemble sur un chemin qui nous conduit au même endroit.
Nous sommes frères et sœurs les uns des autres, c'est-à-dire liés par une filiation que nous recevons : tous enfants d'un même Père et responsables les uns des autres.
Rendons grâce pour le don de Dieu qui nous ouvre les yeux et nous aide à mieux nous aimer.
648 mots
fête de la Croix Glorieuse - 14 septembre 2022
Nbre 21 4-9 ; Ps 77 ; Jn 3 13-17
Homélie du Père Abbé Luc
Après la 1° lecture, nous avons chanté le Ps 77, ce long psaume qui relate les avancées et les reculées du peuple d’Israël dans la relation avec son Dieu. « Leur cœur n’était pas constant envers lui, ils n’étaient pas fidèles à son Alliance. Et lui miséricordieux, au lieu de détruire il pardonnait ». Toute l’histoire d’Israël se tient dans cette recherche incessante de Dieu, désireux de faire entrer son peuple dans une Alliance stable, dans laquelle il puisse librement entrer.
En regardant le serpent, le peuple était guéri, en croyant en Jésus mort en croix pour lui et il est sauvé. C’est-à-dire qu’il a accès à la vie de Dieu, dans une alliance définitive. Si le peuple est infidèle, en Jésus Crucifié, Dieu s’est engagé définitivement en sa faveur il ne reviendra pas sur sa parole. Si peuple, si nous aujourd’hui, nous gardons nos regards tournés vers le Christ, sur la Croix, si nous croyons en son amour : il nous justifie de son Esprit. Il nous ouvre alors le secret de son Alliance, il nous fait entrer dans son intimité, pour sa joie, et pour la nôtre. En célébrant sa mort et sa résurrection, nous tournons résolument nos regards vers Lui, notre Seigneur.
Année C – 23° dimanche du Tps Ordinaire – 4 sept 2022
Sag 9 13-18 ; Philémon 9-17 ; Luc 14 25-33
Homélie de Mgr Louis Portella – évêque émérite de Kinkala (Congo-B)
Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple » Luc 14,26
Chers frères et sœurs,
Préférer le Seigneur à tout, même à mes relations familiales, même à moi-même, pour être son disciple, il faut reconnaître combien de telles conditions sont vraiment difficiles, voire même trop exigeantes. Certains seraient même tentés d’avouer qu’elles sont inhumaines (d’autant plus que dans certaines versions, c’est le verbe « haïr » qui est utilisé à la place de « me préférer à »).
Jésus, en effet, nous donne l’impression d’ébranler les relations familiales qui, de manière générale, sont les relations humaines les plus chères, car c’est par elles que chacun de nous s’est laissé façonner, s’est laissé structurer.
D’autre part, les deux paraboles proposées, celle du bâtisseur d’une tour et celle du roi qui va affronter son ennemi, nous invitent à ne pas prendre à la légère la décision de suivre le Christ, d’être son disciple de ce qu’elle doit couter, à savoir : porter ma croix, renoncer à ce qui m’appartient etc.
Mais on peut et on doit même poser cette question : Pourquoi de telles exigences aussi dures, pour être disciples du Christ ?
Pour y répondre, nous osons affirmer qu’une telle question nous met en demeure de prendre conscience du mystère de « l’amour de Dieu manifesté en Jésus Christ » Rom 8.39)
En effet, « Dieu est Amour » (1 Jn 4.8) , comme l’affirme l’apôtre Jean dans sa première lettre.
Et c’est toujours le même Jean qui, dans son évangile, rapporte les paroles de Jésus dans son entretien avec Nicodème : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son Fils Unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3.16)
Or, c’est cet amour divin dont Jésus a témoigné en donnant sa vie pour le salut du monde, particulièrement à l’heure de la Croix, « Heure en laquelle, déclare le Pape François dans son Encyclique « Lumière de la Foi », « resplendissent la grandeur et l’ampleur de l’amour divin » (n°16)
Ainsi donc, la « logique de la Croix », c’est l’expression même de la « logique de l’Amour » et Lui-même Jésus s’est présenté comme celui qui « n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mc 10.45)
Et en donnant à ses disciples un « nouveau commandement » à savoir, « vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés, il a immédiatement ajouté : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn15 12-13)
C’est encore lui, Jésus, qui s’était présenté comme le « Bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10.11)
Or le pape saint Jean-Paul II, dans l’exhortation Apostolique, publiée suite au synode sur le mariage et la famille » en 1981, avait affirmé dans l’introduction, en reprenant le récit de la Création du livre de la Genèse (Gen 1.27), que « Dieu a créé l’homme à son image, à l’image de Dieu, il le créa » Or « Dieu est amour », selon l’affirmation de st jean dans sa première lettre (1Jn 6.8). Ainsi, conclut-il « l’amour est donc la vocation fondamentale et innée de tout être humain » (Familiaris Consortio n°11)
Ainsi donc, l’homme, de manière générale, ne peut véritablement s’épanouir, ne peut s’accomplir en profondeur qu’en essayant de vivre selon la logique de l’amour qui s’exprime, de manière éminente, dans le fait de donner sa vie pour les autres.
Et c’est dans cette logique de l’amour poussé jusqu’à l’extrême dont a témoigné Jésus (Cf Jn 13.1) que se situe la condition d’un véritable disciple.
Renoncer à tout, porter sa croix, c’est pour aimer comme Jésus a aimé ; c’est donc le chemin de l’accomplissement de soi, puisque telle est la vocation de l’homme, « vocation innée et fondamentale » (Cf St Jean-Paul II)
Ainsi les relations familiales, qui sont les relations humaines les plus chères, ne peuvent pas, ne doivent pas empêcher, ni freiner une personne dans son élan d’amour à la suite du Christ.
Préférer le Christ à tous et à tout, voilà le chemin le plus sûr de l’accomplissement total de la personne humaine.
Oui, Chers frères et sœurs, être disciples du Christ, suivre le Christ, c’est un choix exigeant, difficile, certes ; mais c’est le choix par lequel chacun de nous peut se réaliser selon « sa vocation innée et fondamentale » sa vocation à l’amour.
C’est cette grâce que nous pouvons demander au Seigneur dans notre célébration. Amen
Année C 22e Dim Ord
Si 3/17-18,20,28-29,He 12/18-19,22-24a, Lc 14/1,7-14
Homélie du F. Cyprien
„ Accomplis toute chose dans l’humilité… Plus tu es grand, plus il faut t’abaisser“.
En effet quiconque s’élève sera abaissé; qui s’abaisse sera élevé“.
L’humilité n’a pas forcément bonne presse, reconnaissons quand même que nous préférons dialoguer et négocier avec des gens „qui ne la ramènent pas „ comme on dit. Les orgueilleux, les dominateurs, ceux qui ont raison et le font sentir très fort sont parfois des malades qui n’ont pas fait l’effort de s’analyser, de chercher ce qui les font être ainsi… „La condition de l’orgueilleux est sans remède, car la racine du mal est en lui“. Ont-ils peur de mieux se connaitre? mais comment faire sortir le mal si on ne le démasque pas?
Quand nous sommes venus à Dieu, c’est-à-dire quand on a accès à l’amitié avec le Seigneur, la lettre aux Hébreux dit que nous nous sommes approchés du ciel, des anges, des saints, de ceux qui ont été amenés à la perfection.
Pour se libérer du mal qui nous habite tous, ne faut-il pas nous replacer dans le plan de Dieu, en vérité prendre la place qui est la nôtre et quelle est cette place ? la dernière ! …sauf que…
on ne pourra plus jamais la prendre. Jésus l’a prise… seul lui pouvait la prendre, justement pour nous montrer le chemin, Lui qui de condition divine n’a pas revendiqué le rang qui l’égalait à Dieu, il s’est abaissé, prenant la condition de serviteur.
Quand Jésus propose la parabole des invités qui choisissent les premières places, il semble énoncer un conseil de bon sens, une manière de bonne éducation : la vie quotidienne est remplie de situations où ce bon sens peut être mis en application. Le respect des gens qui nous entourent nous donne l’occasion de nous effacer … donner leur place à celles et ceux qui méritent autant que nous les égards dont nous pouvons être l’objet.
Mais pourquoi Jésus parle-t-il ainsi? Pas simplement pour nous éduquer à de bonnes manières, bien sûr ! La fin de l’Evangile nous donne une clé de son propos : „Heureux seras-tu, parce que ceux que tu as invités n’ont rien à te donner en retour…“
Jésus nous renvoie à la fin des temps, à la résurrection des justes, non pas un sprint final où il y aurait des gagnants et des perdants. Il veut dire que cette résurrection des justes est l’aboutissement d’une attitude qui a reflété ce que Dieu aura toujours fait pour chacun d’entre nous : la grâce de Dieu est gratuite; l’honneur, les premières places sont acquises a priori par celles et ceux qui n’ont rien à rendre en retour, le Fils de l’Homme n’est pas venu pour les bien-portants mais pour les malades, pour les pauvres qui ne peuvent rien donner …
L’humilité ? …c’est reconnaitre que nous devons tout au Créateur; nous devons tout à Celui qui est venu pour nous sauver, et pas pour nous juger; serait-ce si difficile de reconnaitre notre dette infinie et rester à notre place les uns par rapport aux autres dans une attitude de dépendance mutuelle radicale…?
Le mal de ce monde est le mal de l’égoïsme, de l’indifférence face aux injustices. L’argent ne fait pas le bonheur, tout le monde le dit et le sait : bien peu distribuent cet argent en aumônes, beaucoup de riches en distribuent une partie…pour la bonne conscience ! Mais quand on est riche, on devient aveugle. Laissez l’argent entrer en quantité dans votre compte en banque et l’aveuglement, le mal entrent en vous en même temps.
La crise du climat, l‘urgence d’une écologie intégrale pour notre terre, c’est la chance d’une prise de conscience radicale… Pour les chrétiens c’est encore plus le moment de prendre la dernière place avec le Christ „pour sauver les âmes“, comme on disait naguère, pour aider nos frères et soeurs humains à vivre davantage dans le service mutuel et l’attention à l’autre,… donner humblement l’exemple.
Ce qui est rassurant, c’est que les chrétiens, Dieu merci, ne sont pas les seuls à vouloir changer le monde…
„Quiconque s’élève sera abaissé; qui s’abaisse sera élevé“: mot que nous connaissons bien, mais qu’il nous faut vivre en vérité…
Remarquons encore une fois que c’est ce qu’a vécu Jésus. Au moment des tentations au désert, Jésus a été tenté de s’élever et il a répondu en prenant la place de celui qui écoute la Parole, de celui qui obéit… Bien sûr c’est à la Pâque que l’abaissement et l’élévation ont connu leur plein accomplissement. Oui, f et s, accéder pour nous à la condition divine ne peut être reçu que comme un don, le contraire du geste d‘Adam et Eve, eux auxquels le serpent avait dit : „Vous serez comme des dieux“…
Prenons et mangeons le pain que Dieu nous donne, prenons le pain de la Parole, recevons de Dieu le don ineffable de la présence du Christ dans nos vies… Heureux serons-nous si notre dimanche reste illuminé par les paroles que nous avons entendues, par la communion à Jésus mort et ressuscité.
Bon dimanche, frères et soeurs.
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ASSOMPTION 2022
Ap 11,19a, 12, 1-6a.10ab; 1 Co 15, 20-27a; Lc 1, 39-56
Homélie du Père Abbé Luc
Ces jours-ci, comme chaque année, se déroule à Lourdes, le pèlerinage national à Marie. Pour cette édition 2022, il a pour thème : « avec Marie, devenons témoins de l’espérance » … Oui, frères et sœurs, cette fête de l’Assomption voudrait nous conforter dans l’espérance pour la partager à notre monde qui en a tant besoin. Que veut dire, devenir avec Marie témoins de l’espérance ? Et quelle est notre espérance ? En regardant Marie en ce jour de fête, nous espérons que le mal et la mort n’auront jamais le dernier mot, nous espérons que notre vie terrestre sera toute entière glorifiée dans la vie divine, et nous espérons que notre corps et notre âme seront définitivement unis.
Je voudrais reprendre ces trois points.
Le mal et la mort n’auront jamais le dernier mot. Notre foi au Christ ressuscité nous assure de cette vérité, lui qui, lors de son retour, anéantira son dernier ennemi qu’est la mort. L’assomption de Marie nous le confirme. Comme la lecture de l’apocalypse le décrit de manière imagée, la femme, figure de Marie, a été fortement associée et éprouvée dans cette lutte contre le dragon figure du mal et de la mort. Ainsi Marie, au pied de la croix, a-t-elle pu être fortement déchirée devant la mort de son fils. Lui le Messie annoncé, semblait submergé par la mort. Marie a tenu bon, elle est restée debout. Etre avec elle témoin de l’espérance, n’est-ce pas nous aussi tenir bon, debout lorsque les puissances de mort et les sirènes destructrices semblent crier plus fort ? La parole de Mgr Saliège donnée courageusement à temps et à contre temps, le 13 août 1942, pour s’insurger contre la violence faite aux juifs, est un beau témoignage d’espérance. Il nous laisse un bel exemple de cette détermination face aux forces du mal qui défigurent n’importe quel être humain. Ou que nous soyons, lorsque nous nous positionnons aux côtés de celui qui est maltraité, méprisé, abandonné ou simplement laissé dans l’oubli comme un frère malade ou un ancien tout proche, nous témoignons que le mal et la mort n’auront jamais le dernier mot.
En regardant Marie, nous espérons que notre vie humaine dans sa simplicité sera glorifiée dans la vie divine. Avec elle, nous parviendrons à la gloire de la résurrection comme nous le demanderons dans l’oraison finale. Ce mot de gloire sonne peut-être étrangement à nos oreilles tant nous en pressentons la forte ambigüité. Si ce mot peut évoquer un resplendissement, ou un grand éclat de lumière en Dieu, sans bien savoir, nous pressentons qu’il s’agit de bien autre chose que nos succès ou nos grandeurs humaines. La gloire promise vient plutôt renverser l’ordre établi de nos hiérarchies de valeurs. « Il renverse les puissants de leur trône il élève les humbles, il renvoie les riches les mains vides et comble de biens les affamés… » avons-nous entendu dans l’évangile. Comme le suggère l’étymologie du mot gloire en hébreu, la gloire désigne ce qui a du poids…ce qui pèse… Qu’est-ce qui pèsera vraiment devant Dieu ? Tout l’évangile nous le dit : l’amour donné, les biens partagés et non pas jalousement conservés, une vie offerte. Ainsi Marie n’a rien fait d’éclatant. Sa vie a été la plus ordinaire qui soit, celle d’une mère de famille. Mais sa vie a eu le poids de l’amour et de la fidélité à la parole entendue. Elle ne s’est jamais départie de son oui initial donné à la parole de l’ange. Avec Marie, nous devenons témoin d’espérance lorsque nous donnons du poids au quotidien le plus ordinaire, lorsque nous soignons nos relations, nos gestes de tous les jours. Par ce soin, par cet amour par cette patience offerte, nous pressentons que rien de l’ordinaire des jours ne sera perdu parce qu’il est chargé d’amour…
Enfin, avec Marie, nous espérons que notre âme et notre corps seront unis dans la vie à venir. Dans la grâce de Jésus Ressuscité, Marie n’a pas connu la corruption du tombeau. « Commencement et image de ce que deviendra l’Eglise en sa plénitude », comme nous le chanterons, nous entrevoyons avec les yeux de la foi la profonde unité de notre être dans la vie à venir. Cette espérance est une précieuse lumière contre toutes les méprises vis-à-vis de notre être humain, profondément uni âme, corps et esprit. Elle nous redit la beauté incomparable de toute personne humaine depuis sa conception jusqu’à son dernier souffle. Entre l’écueil du mépris du corps et celui de l’oubli de l’âme, cette espérance nous redit combien l’unité de notre personne humaine sans cesse recherchée dès ici bas est promise à une plénitude. Avec Marie qui en son corps a été temple, demeure du Verbe, le Dieu Très Haut, nous pouvons devenir témoin de l’espérance que nos corps eux-mêmes temple de l’Esprit Saint, sont promis au partage de la vie divine. Dans notre manière de prendre soin de notre corps, nous manifestons sa noble destinée. Il ne s’agit pas de l’idolâtrer comme s’il était sa propre fin, mais en prendre soin pour tendre de tout notre être vers les réalités d’En Haut. Et lorsque notre corps peu à peu est dessaisi de sa propre vitalité, offrons-le. Nous serons témoins d’espérance lorsque nous résistons à l’amertume ou au découragement face à la maladie ou la perte de nos facultés, au dépit qui enferme sur soi. Avec tout notre être grandissons dans le désir d’être tout à Dieu….
Comme nous le prierons dans quelques instants, « que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire, pour que nous obtenions un jour l’héritage promis, avec tes élus, en premier lieu la bienheureuse Vierge Marie… »
Année C - 20e dimanche ordinaire (C) (14/08/2022)
(Jr 66, 4-6.8-10 – Ps 39 – He 12, 1-4 – Lc 12, 49-53)
Homélie du F. Jean-Louis
Frères et sœurs,
Il me semble que la première lecture et l’évangile de ce dimanche peuvent légitimement nous prendre à rebrousse-poil. En ce temps de vacances, nous aimerions pouvoir nous déconnecter des fracas de guerres et de violences que l’actualité nous déverse. Nous aimerions pouvoir souffler face à tous ces drames qui déchirent notre humanité.
Et voilà que la première lecture nous ramène en plein siège de ville. Ce n’est pas celui de Kiev ou de Marioupol, c’est celui de Jérusalem par le roi de Babylone, en 588 avant Jésus Christ. Le roi judéen Sédécias, après avoir fait allégeance par serment au roi de Babylone Nabucodonosor, s’est révolté contre lui. La riposte ne s’est pas fait attendre et même le secours des Egyptiens, alors alliés des Judéens, n’a pas réussi à desserrer l’étau qui entoure la ville sainte. En fait, Jérémie, le prophète, avait dénoncé la révolte de Sédécias car elle trahissait un serment fait au roi de Babylone et cette trahison ne pouvait, pour le prophète, plaire au Seigneur. Ainsi, Jérémie prônait-il la capitulation, ce qui exaspérait bien sûr les chefs de l’armée. Ils sont près d’avoir sa peau puisque même le roi ne peut s’opposer à eux et les laisse s’emparer du prophète pour le mettre dans une citerne, sorte d’oubliette, où il n’aurait plus qu’à mourir. Mais, alors que Jérémie est près de mourir, coup de théâtre : un Ethiopien, donc un étranger, va trouver le roi et obtient de lui sa libération. Et Jérémie sera ainsi sauvé au dernier moment.
Les extraits du psaume 39 qui suivent la première lecture semblent exprimer ce qu’a pu être la prière de Jérémie tant les conditions sont proches : « Le Seigneur m’a tiré de l’horreur du gouffre, de la vase et de la boue. Dans ma bouche il a mis un chant nouveau. » On peut aisément s’imaginer le soulagement de Jérémie qui échappe à la mort et sa reconnaissance envers son Dieu.
Le passage de l’évangile de Luc nous présente, lui, Jésus, dont la parole, loin de faire consensus, est cause de divisions voire de conflits. La prédication du Christ n’a rien d’une aventure tranquille telle que nous pourrions la rêver. Vie sans souci, efficacité évidente, voire écrasante de sa prédication, succès miraculeux. N’est-ce pas de cela que nous rêvons (avec énormément de bonne volonté) pour le témoignage de l’Eglise, pour notre témoignage : une parole dont la force amènerait la conversion sans hésitation de ceux qui l’entendraient ? Eh bien, force est de constater que la vision que l’évangéliste Luc a de Jésus est plus proche de Jérémie que d’un super-prophète bien dans nos rêves de maîtrise, de toute-puissance.
Jésus est bien le nouveau Jérémie, repoussé par ceux-là même à qui il vient annoncer le Royaume de Dieu. Sa parole est contredite, mal comprise, rejetée finalement. Et cela aboutira à sa mise à mort sans échapper, lui, au dernier moment. Il lui faudra traverser la mort pour pouvoir la vaincre définitivement.
Oui, la Parole du Christ n’est pas consensuelle. Elle a pu et elle peut encore amener division voire rejet entre ceux qui l’accueillent et ceux qui voudront la refuser. Et cela a dû être douloureux pour le Christ. Les pharisiens, ces amoureux de la Loi, de la Bible, eux qui passaient des heures à la méditer, n’ont pas reconnu cette Parole du Dieu unique dans l’enseignement du Christ, lui qui venait apporter l’interprétation ultime de la Loi et des Prophètes. Il y aura division entre les auditeurs, il y aura surtout rejet du Christ.
Et comme l’a écrit l’auteur de l’épître aux Hébreux à des chrétiens persécutés : le Christ a bien renoncé à la joie qui lui était proposée pour endurer la croix en méprisant la honte de ce supplice, supplice d’esclave révolté à l’époque. Et cela lui a valu de siéger à la droite du trône de Dieu. Lui, la Parole de Dieu, le Fils du Père a enduré tout cela de la part des pécheurs.
Frères et sœurs, en plein cœur de cet été, alors que nous aspirons à un peu de douceur de vivre et d’oubli des troubles de notre monde, que peuvent nous apporter ces textes ? Que peuvent-ils nous enseigner ?
Il me semble qu’il ne faut pas rêver d’une vie chrétienne authentique sans souci, sans exigence, sans conflit ni opposition. Déjà à l’égard de nous-mêmes, vivre selon l’évangile dans les relations de tous les jours implique un réel effort pour nous laisser ajuster à ce en quoi nous croyons. Peut-on être authentiquement chrétiens et ne pas se préoccuper du sort des plus pauvres ? Peut-on être chrétien et rejeter ceux et celles qui ne pensent pas comme nous ? Peut-on être chrétien et ne pas se poser de questions sur l’usage de notre argent, de nos biens ? Peut-on être chrétien et prôner un gaspillage sans fin ou un pillage de notre planète à notre profit. Je pourrais allonger la liste. La foi au Christ doit être un feu qui brûle nos évidences trop humaines.
Mais il faut accepter aussi que le fait de croire au Christ entraîne des oppositions de toutes sortes. Au fait, pourquoi ces oppositions ? Le message du Christ, dans sa radicalité, peut faire peur, choquer, gêner les certitudes bien, trop bien établies. L’enseignement du Christ peut être très dérangeant. Son attitude d’attention aux plus pauvres, aux gens méprisés de son temps peut contredire la vision d’un Dieu censé défendre l’ordre de la société. Le Christ a contredit ceux qui se pensaient établis dans la vraie religion de leur temps.
Frères et sœurs, il me semble qu’il y a toujours à se réenraciner dans l’enseignement du Christ mais aussi dans les exemples de sa vie. Méditons, comme dit l’auteur de la lettre aux Hébreux, l’exemple de celui qui a enduré de la part des pécheurs une telle hostilité et nous ne serons pas accablés par le découragement. Revisitons l’histoire de notre Église et sachons y reconnaître à la fois les pauvretés, voire les scandales, mais aussi la Grâce de Dieu toujours à l’œuvre et qui a fait qu’aujourd’hui encore l’évangile peut être proclamé en vérité. Nous pourrons être alors encouragés. Comptons sur l’Esprit Saint pour cela. Il ne sera pas de trop pour nous aider. Notre monde a besoin d’une bonne nouvelle, de la Bonne Nouvelle du Christ ressuscité. AMEN