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30. L'abbé doit toujours se rappeler ce qu'il est, se rappeler le titre qu'on lui donne, et savoir que « plus on commet à la garde de quelqu'un, plus on lui réclame ».
31. Et qu'il sache combien difficile et ardue est la chose dont il s'est chargé, de diriger les âmes et de se mettre au service de caractères multiples : l'un par la gentillesse, un autre par la réprimande, un autre par la persuasion... ;
32. et selon la nature et l’intelligence d’un chacun, il se conformera et s’adaptera à tous, de façon non seulement à ne pas subir de perte dans le troupeau commis à sa garde, mais aussi à se féliciter de l’accroissement d’un bon troupeau.
33. Avant tout, qu'il ne laisse point de côté ni ne compte pour peu de chose le salut des âmes commises à sa garde, en prenant plus de soin des choses passagères, terrestres et temporaires,
34. mais qu'il songe sans cesse qu'il est chargé de diriger des âmes, dont il devra aussi rendre compte.
35. Et pour ne pas se plaindre d'un éventuel manque de ressources, qu'il se souvienne qu'il est écrit : « Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît » ;
36. et encore : « Rien ne manque à ceux qui le craignent. »
Au terme de ce chapitre, Benoit invite de nouveau l'abbé à se rappeler le titre qu'il reçoit, « abbé». Ce titre paternel est en lui-même une mission: celle de veiller au salut des frères qui sont confiés à sa vigilance... Benoit apporte deux éléments nouveaux. L'un porte sur ce qu'exige cette vigilance pour l'abbé: une capacité à s'adapter à chacun et à tous. L'autre affirme le primat de la recherche du Royaume sur le souci des ressources à trouver.
Pouvoir s'adapter à chacun sans perdre l'attention au bien de tous... n'est-ce trop demander? L'abbé est exhorté à « se mettre au service de caractères multiples, l'un par la gentillesse, un autre par la réprimande, un autre par la persuasion, et selon la nature et l'intelligence d'un chacun, il se conformera et s'adaptera à tous...» Cette recommandation de Benoit ouvre un horizon prometteur. Chacun, l'abbé et le frère, est engagé sur un chemin où il y a un changement à vivre, car tous deux sont sous la Parole de Dieu. L'abbé s'adapte à chacun. Il n'est pas enfermé dans une image du frère. Il essaie de le rejoindre pour l'aider à avancer sur son chemin de conversion. Et à travers l'abbé, le frère se laisse rejoindre par une parole qui lui permet de marcher plus fidèlement et plus uni au reste de la communauté. Car, dans notre vie communautaire, nous faisons l'expérience que le bien de chacun sert le bien de tous, et que le bien de tous contribue au bien de chacun. Mais nous savons aussi qu'il y a une forme de renoncement à vivre. Pour chacun, il nous faut quitter une certaine idée de notre bien, pour entrer dans le bien plus grand que la vie en communauté nous offre. C'est l'exigence, mais aussi la chance d'appartenir à une communauté. Je deviens moi-même avec et à travers les autres.
Chercher le Royaume d'abord et ne pas se laisser paralyser par le souci des ressources matérielles. Heureuse invitation que Jésus lui-même enseigne. L'abbé ne doit pas négliger les affaires et la vie économique nécessaires à la bonne marche de la communauté. Mais il lui faut sans cesse remettre ces soucis au Seigneur dans la prière, pour entrer dans un autre regard et une autre manière d'agir. Cette priorité du Royaume, que Benoit demande à l'abbé de ne jamais oublier, le libère de la tentation de réduire le labeur quotidien au seul horizon de la vie présente. Elle le délivre aussi de l'illusion de penser que tout dépend de ses efforts. Le Seigneur qui est intéressé par ce que tout concoure à notre bien, en vue du Royaume, nous guide et nous accompagne.
22. L'abbé doit donc témoigner une charité égale à tous, avoir les mêmes exigences dans tous les cas suivant les mérites.
23. Dans son enseignement, d'autre part, l'abbé doit toujours observer la norme que l'Apôtre exprime ainsi : « Reprends, supplie, réprimande »,
24. c'est-à-dire que, prenant successivement des attitudes diverses, mêlant les amabilités aux menaces, il se montrera farouche comme un maître et tendre comme un père.
25. C'est dire qu'il doit reprendre durement les indisciplinés et les turbulents, supplier d'autre part les obéissants, les doux et les patients de faire des progrès ; quant aux négligents et aux méprisants, nous l'avertissons de les réprimander et de les reprendre.
26. Et qu'il ne laisse point passer les fautes des délinquants, mais qu'il les retranche jusqu'à la racine dès qu'elles commencent à se montrer, pendant qu'il en a encore le pouvoir, se souvenant de la condamnation d'Héli, le prêtre de Silo.
27. Les âmes bien nées et intelligentes, qu'il les reprenne une et deux fois par des admonitions verbales,
28. mais les mauvais sujets, durs, orgueilleux, désobéissants, que les coups et le châtiment corporel les arrêtent dès le début de leur faute, vu qu'il est écrit : « On ne corrige pas un sot avec des mots »,
29. et encore : « Frappe ton fils de la verge et tu délivreras son âme de la mort. »
Après les deux recommandations faites à l'abbé de veiller à la cohérence de sa vie, ainsi qu'à sa liberté dans la manière de vivre les relations, s'ajoute une 3° recommandation: celle d'oser dire et agir pour reprendre, supplier et réprimander les frères. Oser se montrer « farouche comme un maitre et tendre comme un père, mêlant les amabilités aux menaces ... » Ce rôle demandé à l'abbé n'est pas sans rappeler le rôle des prophètes à qui Dieu demandait de dire des paroles difficiles qui allaient les mettre parfois en porte à faux, voire susciter l'hostilité et la haine de beaucoup... On entend Jérémie se plaindre d'avoir des paroles trop dures à dire, ou bien le prophète Amos témoigner que c'est le Seigneur qui est venu le chercher denière son troupeau pour prophétiser... Et au prophète Ezéchiel, le Seigneur dit:« Toi aussi fils d'homme, je t'ai fait sentinelle pour la maison d'Israël ...Si je dis au méchant: 'Méchant, tu vas mourir'
et que tu ne parles pas pour avertir le méchant d'abandonner sa conduite, c'est lui, le méchant,
qui mourra de son péché, mais c'est à toi que je demanderai compte de son sang» Ez 33 7-8. En quelque sorte, l'abbé est une sentinelle pour la communauté, qui veille pour que la communauté ne perde pas le cap de la recherche qui lui incombe de mener, en vertu de sa vocation. Sentinelle pour prévenir du danger qui pounait subvenir en cas d'assoupissement. Sentinelle pour réveiller tel ou tel qui serait pris dans des ténèbres mortifères ... Réveiller ou reprendre un frère, est chose bien délicate que personne ne fait facilement.. .sauf peut-être celui qui, trop aveugle sur lui- même, projette sur les autres ses propres difficultés et tente de les guérir chez l'autre plutôt qu'en lui-même. En fait, pour l'abbé, il s'agit avant tout d'aider le frère qui s'égare à revenir au meilleur de lui-même et de l'appel qu'il a entendu. Car nos errances et nos péchés ne sont souvent que de bien pâles expressions de notre désir vrai. Al' abbé sentinelle, il revient de croire en la lumière qui vient de Dieu et qui se trouve toujours enfouie en chaque frère. Une aurore peut toujours se lever pour chacun. Dieu nous espère toujours et sans cesse. Et son espérance va plus loin que la nôtre spontanée qui désire voir le frère mieux entrer dans nos catégories. Dieu désire que chacun prenne la vraie mesure de son être de fils de Dieu. La sentinelle la plus fidèle et la plus perspicace, c'est lui notre Dieu.
16. Il ne fera pas de distinction entre les personnes dans le monastère.
17. Il n'aimera pas l'un plus que l'autre, à moins qu'il ne l'ait reconnu meilleur dans les bonnes œuvres ou l'obéissance.
18. A l'homme venu de l'esclavage qui entre en religion, il ne préférera pas l'homme libre, à moins qu'il n'existe une autre cause raisonnable.
19. Que si l'abbé en décide ainsi, la justice l'exigeant, il fera de même pour le rang de qui que ce soit ; sinon, ils garderont leur place normale,
20. car « esclave ou libre, nous sommes tous un dans le Christ », et sous un même Seigneur nous portons d'égales obligations de service, car « Dieu ne fait pas acception de personnes. »
21. Notre seul titre à être distingués par lui, c'est d'être reconnus meilleurs que les autres en bonnes œuvres et humbles.
22. L'abbé doit donc témoigner une charité égale à tous, avoir les mêmes exigences dans tous les cas suivant les mérites.
Après la cohérence de vie, St Benoit recommande la liberté et la charité dans la manière de vivre les relations avec les frères. Liberté vis-à-vis des critères humains spontanés : le rang social (esclave ou homme libre), mais on pourrait ajouter aussi les qualités humaines, ou encore les compétences acquises... Liberté afin d'avoir une égale charité pour tous et les mêmes exigences. Humainement, il n'est pas facile d'être libre pour aimer chacun à sa juste place, à sa juste mesure. Notre amour des autres est très coloré par les expériences et l'histoire personnelle. Des affinités sont inévitables, des connivences plus aisées avec tel ou tel. Comment l'abbé doit il travailler son cœur, ou du moins l'offrir au travail de !'Esprit pour tendre vers cette liberté intérieure, gage d'une possible égale charité pour tous ?
Du passage entendu, je reçois deux indications bibliques qui se conjuguent l'une et l'autre... « Nous sommes tous un dans le Christ» et « Dieu ne fait pas acception de personnes ». Deux citations libérantes qui obligent à prendre de la hauteur pour regarder nos situations humaines du point de vue de Dieu. Ces deux convictions de Paul entrainent l'abbé que je suis à remettre sans cesse le jeu des relations sous la lumière du Christ. Sous le faisceau libérateur et exigeant de sa lumière, chacun a une valeur unique et inestimable. Aux yeux de Dieu, l'un ne vaut pas plus que l'autre, parce que chacun est issu du formidable élan de vie qui vient de lui et qui se perpétue de génération en génération. Créature unique, et désirée comme au premier jour, « au pays de la première fois, où sa Parole prit la forme de ses doigts », pour reprendre les mots de l'hymne du mercredi. Et dans la passion et la résurrection du Christ, tous nous sommes unis par l'eau du baptême. Tous nous avons la même dignité d'enfant de Dieu créé et recréé. Cette lumière de la foi que nos mots humains confessent vient sans cesse débusquer les zones d'ombres oùje tiens tous ceux que j'ai tendance à exclure de mon amour. Elle opère un discernement sur mes jugements trop hâtifs, sur mes aprioris à l'emporte-pièce qui méprisent ou excluent. Dieu ne regarde et n'agit pas ainsi avec aucune de ses créatures sauvées dans le Christ. Il n'est pas arrêté par le voile d'opacité qui entoure chacun, marqué par le péché. Il sait rejoindre chacun en sa meilleure part. C'est à l'école de ce regard divin que l'abbé est appelé à se tenir, sans naïveté, ni complaisance, pour éveiller, stimuler, encourager... Car Dieu espère toujours chacun d'entre nous.
11. Quand donc quelqu'un prend le titre d'abbé, il doit diriger ses disciples par un double enseignement,
12. c'est-à-dire qu'il montrera tout ce qui est bon et saint par les actes plus encore que par la parole. Ainsi, aux disciples réceptifs il exposera les commandements du Seigneur par la parole, aux cœurs durs et aux plus simples il fera voir les préceptes divins par ses actes.
13. Inversement, tout ce qu'il enseigne aux disciples à regarder comme interdit, qu'il fasse voir par ses actes qu'on ne doit pas le faire, « ;de peur qu'en prêchant aux autres, il ne soit lui-même réprouvé »,
14. et qu'un jour Dieu ne lui dise, à cause de ses péchés : « ;Pourquoi proclames-tu mes ordonnances et recueilles-tu dans ta bouche mon alliance, alors que tu hais la discipline et que tu as rejeté mes paroles derrière toi ? ;»
15. Et : « Toi qui voyais le fétu dans l'œil de ton frère, dans le tien tu n'as pas vu la poutre. »
Après voir considéré la charge de l'abbé, en ses fondements théologiques, puis en sa finalité : la vie éternelle où apparaitra toute chose sous le jugement de Dieu, st Benoit en vient aux recommandations plus concrètes. La première qui est faite à l'abbé, est qu'il soit cohérent. Cohérent en ses paroles et en ses actes dans l'enseignement des commandements du Seigneur et des préceptes divins.
Est-il possible à un humain d'être totalement cohérent? Le seul qui l'ait été vraiment est Jésus. Entre son enseignement et sa vie, existe une belle continuité, une belle limpidité. Ses paroles de feu ont bousculé les disciples et encore davantage, et dérangé les maitres de son époque. Rien de convenu dans ses mots : une grande liberté, une grande clarté de vue, une vraie autorité. « D'où tiens-tu ton autorité )), demandent souvent à Jésus, les pharisiens et les docteurs de la loi qui sont, comme subjugués, pris à revers par son enseignement ? Ils cherchent la cohérence du côté des signes. Ils aimeraient voir ses paroles confinnées par un signe. Ils ne voient pas, car ils ne veulent pas ou ne peuvent pas reconnaitre tous les signes qui s'étalent pourtant sous leurs yeux : guérisons, libération d'esprit mauvais, conversions diverses. Car ils supportent mal la liberté qu'il prend par rapport à leur observance étroite de la loi, trop souvent réduite à des préceptes humains (les coutumes rituelles, l'observance figée du sabbat). Jésus, dans sa liberté, révèle une cohérence plus grande que la seule cohérence légaliste. II révèle la cohérence del'Amour de son Père qui veut sauver tous les humains et qui fait sa place à chacun. Apparait alors le visage oublié d'un Dieu Père qui viem à la rencontre de chaque être pour vivre avec lui une relation d'amour. Non pas une relation de soumission fondée sur la peur, mais une relation d'alliance offerte gratuitement. « Ecoute Israël ...Tu aimeras... )) Et Jésus va être cohérent jusqu'au bout en ses paroles, en acceptant d'être livré aux mains des hommes, de donner sa vie et de mourir. « Il fallait)) que le Fils de l'homme mem1... pour révéler la manière avec laquelle Dieu désire tisser la relation avec chacun. II se met à nos pieds pour les laver et nous accueillir tel que nous sommes.
Profonde cohérence de l'enseignement et de la vie de Jésus En laquelle l'autorité de
l'abbé peut se fonder, de laquelle elle se reçoit, et sans laquelle elle n'est rien.
6. L'abbé se rappellera toujours que son enseignement et l'obéissance des disciples, l'une et l'autre chose, feront l'objet d'un examen au terrible jugement de Dieu.
7. Et l'abbé doit savoir que le pasteur portera la responsabilité de tout mécompte que le père de famille constaterait dans ses brebis.
8. En revanche, si le pasteur a mis tout son zèle au service d'un troupeau turbulent et désobéissant, s'il a donné tous ses soins à leurs actions malsaines,
9. leur pasteur sera absous au jugement du Seigneur et il se contentera de dire au Seigneur avec le prophète : « Je n'ai pas caché ta justice dans mon cœur, j'ai dit ta vérité et ton salut. Mais eux s'en sont moqués et ils m'ont méprisé. »
10. Et alors, les brebis qui auront désobéi à ses soins auront enfin pour châtiment la mort triomphante.
Hier, Benoit invitait l'abbé à se souvenir de son nom, et à travers lui des fondements théologiques de sa charge, remplie au nom du Christ. Aujourd'hui, il l'invite aussi à se souvenir, mais cette fois, de la fin vers laquelle lui et les frères tendent : le jugement de Dieu. Au départ, l'abbé se reçoit du Christ au nom duquel il agit. Au terme, il devra rendre compte de sa mission devant Dieu, comme les frères eux-mêmes le feront pour leur propre conduite. Nous n'aimons pas entendre parler de jugement de Dieu. Et l'imagerie utilisée par Benoit nous rebute spontanément quand il parle de « châtiment et de mort triomphante ... » Y-a-t-il pourtant quelque chose à entendre ?
Je vois deux points. Le jugement de Dieu commence dès cette vie. Et nous sommes solidaires jusque dans la vie éterneHe. Dès cette vie, le jugement de Dieu se dévoile : la justice à rechercher nous est annoncée, et la vérité du salut de Dieu nous est dévoilée. Notre foi au Christ place nos existences sous une lumière heureuse et exigeante. Heureuse, elle nous attire parce que nous percevons combien elle est bonne. Sous son faisceau lumineux, nous découvrons avec bonheur le dessein de Dieu pour chacun et pour toute l'humanité. Mais lorsque nous sortons de ce faisceau, mettant un pied dans les ténèbres, la lumière du Christ nous juge en montrant notre éloignement, lié à nos incohérences, à nos lâchetés, ou à nos duretés, en un mot à notre péché. Heureux sommes-nous si nous consentons à ce jugement, pour nous remettre en cause et pour avancer dans la confiance. Car le Christ qui marche à nos côtés, désire nous entrainer toujours plus loin dans la vérité et la justice, sans jamais nous retirer son amour.
Jusque dans la vie éternelle, nous sommes solidaires. La vie monastique nous lie pour le temps présent et pour le temps à venir. A! 'abbé est confiée une responsabilité, celle de garder le troupeau en entier et dans l'unité. Concrètement, il lui revient de stimuler chacun, d'encourager, d'éclairer et parfois de corriger. Ainsi tous pourront aller au bout de leur vocation : la rencontre personnelle avec son Dieu, rencontre qui sera en même temps vécue dans la communion avec tous, quand « Dieu sera tout en tous » (1 Co 15, 28). Cet horizon de communion peut nous rendre tous vigilants pour soigner notre sens de la responsabilité les uns envers les autres dès maintenant. L'abbé l'est en premier par la quête de la justesse de sa parole et de ses actions. Mais tous peuvent soutenir, garder et porter le frère par une parole, par son exemple, par une présence fraternelle bienveillante. « Que le Christ nous fasse parvenir tous ensemble à la vie éternelle» (RB 72, 12).
1. L'abbé qui est digne de gouverner le monastère, doit toujours se rappeler le titre qu'on lui donne, et vérifier par ses actes le nom du supérieur.
2. Il apparaît en effet comme le représentant du Christ dans le monastère, puisqu'on l'appelle d’un des noms de celui-ci,
3. selon le mot de l'Apôtre : « Vous avez reçu l'esprit d'adoption filiale, dans lequel nous crions : abba, père ! »
4. Aussi l'abbé ne doit-il rien enseigner, instituer ni commander qui soit en-dehors du précepte du Seigneur,
5. mais son commandement et son enseignement s'inséreront dans l'esprit de ses disciples comme un levain de justice divine.
Les premières lignes de ce chapitre viennent fonder !'.importance donnée au service de l'abbé dans un monastère, comme la position de ce chapitre sur l'abbé, situé tout au début de la règle le suggère déjà. Benoit donne donc une place prééminente à l'abbé,« qui apparait, qu'on croit être, comme le représentant du Christ». Il est intéressant de noter que c'est ce fondement théologique que donne d'abord Benoit à la figure de l'abbé. A ses yeux, le fait d'être digne de gouverner le monastère, autrement dit d'avoir les qualités requises ne suffit pas. Ainsi, 1'autorité n'est pas fondée d'abord sur l'excellence du sujet appelé à gouverner. De même, si l'abbé est élu par la communauté qui choisit l'un des siens, ce n'est pas ce critère qui est d'abord mis en lumière ici, puisque St Benoit n'en parle qu'à la fin de sa règle, au chapitre 64. Autrement dit, le critère démocratique, s'il est important, n'est pas le plus déterminant. Le fondement de l'autorité de l'abbé est d'abord de l'ordre de la foi. On croit, on reconnait que l'autorité de l'abbé se fonde dans celle du Christ, dont elle fait signe.
On pourrait se demander : pourquoi est-il nécessaire de donner un tel fondement théologique à la figure du supérieur ? Pourquoi ce fondement sur la foi ? Pourquoi la légitimité démocratique et l'excellence du sujet ne suffiraient-elles pas pour fonder son autorité? En fait, sans le dire explicitement de manière théorique, Benoit suggère ici, et il le met en lumière dans toute la règle, que sans le regard de foi porté sur l'autorité de l'abbé, la vie monastique mangue sa vraie finalité. Sans ce regard de foi sur l'autorité de l'abbé, la vie monastique ne serait plus ce qu'elle est : un chemin de recherche de Dieu et d'amitié avec le Christ en qui on désire unifier toute notre existence. Car le regard de foi porté sur l'autorité du supérieur, rejoint tous ces autres regards de foi que le moine est invité à porter sur le frère malade, sur le pauvre accueilli, sur le plus jeune inspiré par !'Esprit lors d'un chapitre, sur les frères auquel j'obéis en vertu du bon zèle etc... Dans toutes nos relations, relation à l'autorité, aux frères, à l'étranger ou au pauvre, chacun est invité à reconnaitre le Christ dans celte part unique de son mystère. A travers chacune de ses relations, chacun est invité à nouer une relation de plus en plus vraie et intime avec le Christ pour le laisser conduire et emplir toute son existence. Ainsi chacun devient pour l'autre un révélateur du Christ, mais aussi un instrument par lequel le Christ agit en sa vie pour la façonner en une vie de disciple. Que le Seigneur Jésus gui nous appelle à vivre de son mystère nous vienne en aide.
6. La troisième et détestable espèce de moines est celle des sarabaïtes. Aucune règle ne les a éprouvés, grâce aux leçons de l'expérience, comme l'or dans la fournaise, mais ils sont devenus mous comme du plomb.
7. Par leurs œuvres, ils restent encore fidèles au siècle, et on les voit mentir à Dieu par leur tonsure.
8. A deux ou trois, voire seuls, sans pasteur, enfermés non dans les bergeries du Seigneur, mais dans les leurs, ils ont pour loi la volonté de leurs désirs.
9. Tout ce qu'ils pensent et décident, ils le déclarent saint ; ce qu'ils ne veulent pas, ils pensent que c'est interdit.
10. La quatrième espèce de moines est celle que l'on nomme gyrovague. Toute leur vie, allant par les différentes provinces, ils se font héberger trois ou quatre jours par les celles des différents moines,
11. toujours errants et jamais stables, asservis à leurs propres volontés et aux tentations de la bouche, et en tout plus détestables que les sarabaïtes.
12. La misérable conduite de tous ces gens-là, mieux vaut la passer sous silence que d'en parler.
13. Laissons-les donc et venons-en, avec l'aide du Seigneur, à organiser la valeureuse espèce des cénobites.
Il peut paraitre curieux à nos yeux, que St Benoit compte les sarabaïtes et les gyrovagues parmi l'espèce des moines. Comme le suggère St Benoit en final, mieux vaudrait en fait taire leur conduite. Pourquoi alors en parler quand même ? Ne le fait-il pas en fait sous le mode du repoussoir. En eux, nous avons sous les yeux ce qu'il ne faut surtout pas faire. Mais une fois dit cela, sommes-nous quitte pour autant? Les sarabaïtes et les gyrovagues ont transformé en genre de vie certaines habitudes ou manières de vivre dont nous nous savons tout à fait aussi capables (prendre pour loi la volonté de nos désirs). Ces deux espèces « mentent à Dieu» par leur tonsure. Ils se font passer pour moines alors qu'ils n'en vivent rien profondément. Ils sont les hommes de l'apparence. Hier matin, nous entendions Paul annoncer à Timothée que dans les derniers temps surviendront des gens « égoïstes, cupides, ... » La liste qu'il dresse de leurs défauts est longue. Parmi ceux-ci, il en signale un qui rejoint bien celui des sarabaïtes et des gyrovagues, hommes de l'apparence. Je cite : « ils auront les apparences de la piété, mais rejetteront ce qui fait sa force» (2 Tm 3, 5). L'apparence est sauve, mais le désir et la volonté ne sont pas là. Ces mots peuvent venir nous interpeller tous. Comment ne pas être des hommes de l'apparence de piété ? Surtout comment ne pas rejeter, ou délaisser ce qui fait la force de notre relation avec Dieu. Rien ne serait plus triste qu'un moine pratiquant, participant à l'office, mais qui ne cherche plus intérieurement, qui reste finalement étranger à lui-même. Le Seigneur qui nous appelle ici nous donne la force d'accomplir ce qu'il a éveillé en nous. Il ne nous est pas demandé de faire bonne figure, mais de rester toujours vigilants intérieurement à la Parole et à la Présence de Celui qui nous appelle. Ne pas rejeter ce qui fait la force de notre relation avec le Seigneur passe pour nous par des choix très concrets. Prendre soin de notre temps de lectio du matin, ne pas le laisser grignoter. Etre fem1e et généreux sur le temps donné. Savoir s'arrêter le soir après vêpres pour l'oraison. J'invite les frères à rester à l'église. Le soutien fraternel est une force. Cette vigilance concrète devient peu à peu une vraie force. Parfois, nous peinons. Nous pouvons avoir le sentiment de perdre notre temps, de nous ennuyer devant Dieu. Mais l'expérience montre qu'il n'en est rien. Le Seigneur qui est là, hôte discret de nos vies, présence silencieuse. irrigue notre cœur de son Esprit. Non par de grandes révélations, mais par les dons de force, de persévérance et de patience. Il nous creuse pour nous habituer à sa Présence qui ne peut que nous bousculer. C'est elle que nous ne cesserons de découvrir, infiniment grande et aimante, lorsque nous paraitrons devant à lui.
3. Ensuite la seconde espèce est celle des anachorètes, autrement dit, des ermites. Ce n'est pas dans la ferveur récente de la vie religieuse, mais dans l'épreuve prolongée d'un monastère
4. qu'ils ont appris à combattre le diable, instruits qu'ils sont désormais grâce à l'aide de plusieurs,
5. et bien armés dans les lignes de leurs frères pour le combat singulier du désert, ils sont désormais capables de combattre avec assurance les vices de la chair et des pensées, sans le secours d'autrui, par leur seule main et leur seul bras, avec l'aide de Dieu.
Par trois fois dans ce bref passage, le verbe « combattre » revient. La métaphore du combat continue d'être utilisée depuis sa première mention au début du prologue, où l'on parle des annes de l'obéissance... Combattre gui ? Le diable. Combattre comment ? Seul, après avoir combattu au sein des rangs fraternels. Combattre quoi ? Les vices de la chair et des pensées. La pointe de ce bref passage sur les ermites porte sur le comment? Il y va d'un discernement pour savoir si le moine qui a un désir de vie érémitique est capable de mener seul le combat. Le monastère et la vie cénobitique sont à cet égard une bonne école de discernement. La nuit précédente aux vigiles, nous entendions un proverbe qui éclaire bien ce propos : « Le fer s'aiguise avec le fer, et !'homme s'aiguise à rencontrer son prochain» (Pr 27, 17). Les rencontres fraternelles nous aiguisent. La vie fraternelle nous rend plus ajusté et plus habile au combat spirituel. De quelles manières ? Tout d'abord, à travers la vie fraternelle, s'aiguise la connaissance de nous-mêmes. Par le contact avec les frères, nous sommes moins enclins à l'illusion sur nous-mêmes. Parfois telle parole qui sort de nos lèvres ou de telles réactions instantanées qui dépassent ce que nous aurions voulu au départ, nous surprennent. Se révèle alors à nos propres yeux une part encore inconnue de notre être, ou bien une part que nous peinons à regarder en face. Ensuite à travers la vie fraternelle. s'aiguise notre capacité à aimer. La présence des frères est un appel permanent à aimer. Appel à être attentif aux besoins d'un ancien. Appel à écouter un frère dans la tristesse ou l'angoisse. Appel pour un service à rendre. Appel mais aussi soutien. Ma capacité à aimer se trouve aiguisée aussi parce que je fais l'expérience d'être aimé. d'être soutenu. S'aiguise ainsi mon sens de la reconnaissance: que serai-je sans mes frères qui sont là à mes côtés, qui préparrnt le repas, font le linge, le ménage etc... offre une oreille qui écoute? Finalement à travers la vie fraternelle, s'aiguise notre capacité à combattre les forces d'adversité, le diable. Celui-ci se manifeste subtilement à travers les mauvaises pensées ou paroles qui sèment le trouble pour salir ou détruire l'autre, à travers celles qui ôtent la paix du cœur. Me connaissant mieux moi-même, je perçois davantage où se trouve le lieu du vrai combat. Il n'est pas contre le frère qui m'irrite, ni contre l'obstacle qui se présente devant moi. Il est en mon cœur, en mon esprit contre les pensées négatives sur les autres, sur moi-même, sur le monde, contre mes peurs, mes lâchetés. Dans ce combat intérieur, le soutien fraternel, à travers notamment l'ouverture du cœur, se révèle être précieux. Comment voir clair, si l'on ne casse pas le cinéma intérieur en perçant l'abcès par la parole?
1. Il est clair qu'il existe quatre espèces de moines.
2. La première est celle des cénobites, c'est-à-dire vivant en monastères ; ils servent sous une règle et un abbé.
A la fin du prologue,je relevais le propos de Benoit« d'instituer» une école du service du Seigneur. De cette institution des cénobites, il donne aujourd'hui trois piliers majeurs : des hommes vivant dans un monastère, une règle et un abbé. Pour qu'une communauté monastique vive vraiment selon l'évangile, ces trois piliers sont nécessaires. Je suis frappé de remarquer comment chacun des trois piliers est à la fois très stable et très changeant. Peut-être, est-ce en cette combinaison de stabilité et de changement que réside le secret de la vie monastique et de sa transmission de génération en génération, par de-là les ruptures ou les disparitions ? La communauté est stable dans le sens où elle vit comme un corps constitué par une histoire, avec un visage propre, une identité reçue qui se traduit par des coutumes propres, une liturgie avec ses traits originaux. Et en même temps la communauté est en perpétuel changement. Des anciens la quittent et des jeunes la rejoignent. Au gré des générations qui se succèdent, ses facons de vivre évoluent et son visage se patine autant qu'il se rajeunit. De même la règle est stable comme un texte précis écrit au 6°s. Parmi d'autres règles, elle s'est imposée comme une référence équilibrée favorisant la vie. Transmise comme telle, elle n'a pas connu de remaniements. Mais par contre, de siècles en siècles, elle a fait l'objet d'interprétations et d'applications diverses. Tout en restant stable, sa compréhension a évolué pour donner naissance à ces textes qui l'ont enrichie et précisée, comme les Constitutions et bien d'autres déclarations. L'abbé offre un point stable pour la communauté des frères. Il est ce repère personnel autour duquel se rassemble la communauté et avec lequel chaque frère vit une relation unique d'obéissance. Avec sa personnalité propre, l'abbé sert la communauté et l'accompagne avec son charisme durant une période donnée de son histoire. Et le moment venu, l'abbé passe et laisse sa place à un autre. Il sait qu'il n'est que de passage.
Ainsi entre stabilité et changement, la communauté, vivant sous une règle et un abbé parcourt son chemin vers le Royaume. A la fois, elle lui donne chair dans une époque donnée avec des réalisations, des intuitions, un témoignage de vie et de prière. A la fois, elle sait que son but n'est pas de laisser de traces. Son avenir dans le Royaume est sa vraie destinée. Cette aspiration profonde est le gage de sa liberté, vis-à-vis de chaque époque mais aussi de son juste enracinement en chacune. En effet, en tendant vers le Royaume avec liberté, ne prend-elle pas le moyen le plus sûr d'être à l'écoute pour mieux servir l'époque où elle se trouve ? Que !'Esprit affine en nous le goût du Royaume, et nous apprenne et cette liberté et cet enracinement.
47. Si toutefois une raison d'équité commandait d'y introduire quelque chose d'un peu strict, en vue d'amender les vices et de conserver la charité,
48. ne te laisse pas aussitôt troubler par la crainte et ne t'enfuis pas loin de la voie du salut, qui ne peut être qu'étroite au début.
49. Mais en avançant dans la vie religieuse et la foi, « le cœur se dilate et l'on court sur la voie des commandements » de Dieu avec une douceur d'amour inexprimable.
50. Ainsi, n'abandonnant jamais ce maître, persévérant au monastère dans son enseignement jusqu'à la mort, nous partagerons les souffrances du Christ par la patience, afin de mériter de prendre place en son royaume. Amen.
Cette fin de la conclusion du prologue est paradoxal , : elle évoque la course dans la voie des commandements de Dieu avec une douceur d'amour inexprimable ... mais aussi la persévérance jusqu'à la mort qui donne de partager les souffrances du Christ par la patience... D'un côté une aisance dans l'amour et la douceur, de l'autre l'âpreté de la mort et de la souffrance. On aimerait s'arrêter à la première partie. Mais les deux nous sont mises devant nos yeux comme des éléments déterminants de notre course sur cette terre. II nous faut les regarder ensemble et en face. Le don de grâce et le nécessaire passage par la mort vécue avec le Christ. N'est-ce pas là un témoignage au sens fort du terme, un martyr, qui donne à voir dans nos existences la Bonne Nouvelle de la mort et de la résurrection du Christ ?
Comme don de grâce, la vie monastique nous fait entrevoir dès le début, une joie, une force pleine de promesse : la vie d'amitié avec le Christ. Cette union pressentie dans l'appel entendu a éveillé notre désir de nous laisser saisir par le Christ. Comme la femme du Cantique, nous avons entrevu quelqu'un, mais nous n'avons pu le saisir. Jour après jour, nous nous remettons en quête de ce visage et de cette rencontre unitive. Car nous percevons combien notre relation avec le Christ vécue dans le quotidien a une capacité d'unir tout notre être au diapason de notre désir le plus profond. Peu à peu, des désirs qui semblaient importants autrefois se trouvent relativisés à la lumière de cette relation première avec le Christ. De nouvelles capacités d'aimer nos frères, de nous donner s'éveillent et donnent du goût à la vie la plus simple. Le coeur s'élargit à son insu. Mais ce mystérieux travail de la grâce est indissociable d'un autre labeur, celui de la souffrance et de la mort consentie. Souffrance de certaines frustrations, souffrance face à ses limites qui apparaissent de plus en plus nettes l'âge avançant, souffrance face à des échecs ou à des chutes sur lesquels il n'est plus possible de revenir. Que faire de cette souffrance ? La ruminer avec regret et amertume ou bien l'accepter en la confiant au Christ. L'assumer en l'unissant à sa Passion qui est toujours rédemptrice. En Christ, aucune souffrance n'est perdue ou insensée lorsqu'elle lui est donnée, abandonnée. Par la patience, non par des macérations en des pratiques doloristes, marcher avec le Christ vers notre mort dans la confiance en sa victoire. Lui le Vivant, ressuscité, est à nos côtés comme compagnon gui donne le pain du ciel de chaque jour et comme gage de la vie à venir. « Seigneur, tu es ma lumière et
mon salut».