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14. C'est ce que le prophète nous fait voir, quand il montre Dieu toujours présent à nos pensées, en disant : « Dieu scrute les cœurs et les reins. »
15. Et encore : « Le Seigneur connaît les pensées des hommes. »
16. Et il dit encore : « Tu as compris mes pensées de loin. »
17. Et : « Car la pensée de l'homme s'ouvrira à toi. »
18. D'autre part, pour être attentif à veiller sur ses pensées perverses, le frère vertueux dira toujours dans son cœur : « Je ne serai sans tache devant lui que si je me tiens en garde contre mon iniquité. »
Jusqu'où va la crainte de Dieu, jusqu'où va la reconnaissance de notre dépendance foncière à son égard ? Jusqu'où s'enracine notre relation avec le Seigneur ? St Benoit nous invite à considérer ce matin nos pensées. et ensuite nos volontés, et nos désirs. Dieu les connait, lui qui pénètre le cœur de l'homme. Et nous, le connaissons-nous ? C'est peut-être déjà humilité de reconnaitre qu'en nos pensées, en nos volontés et en nos désirs, nous vivons souvent comme si nous étions seuls au monde et que comme si la relation avec Dieu n'existait pas, comme si tout dépendait de nous. Les pensées qui nous occupent sont-elles toujours dignes d'être mises à la lumière ? Si tout ce qui roule dans notre tête venait au jour, nous ne serions pas toujours très fiers ! Le travail de !'humilité va jusque-là. Dans cette reconnaissance de la futilité, de la perversité, de la grossièreté ou de la méchanceté parfois de nos pensées. « Lui qui donne aux hommes la connaissance, le Seigneur connait les pensées de l'homme et qu'elles sont du vent )) (Ps 93, 10-11). Un vent cependant gui gonfle nos voiles et qui entraine notre bateau. Par quel type de pensée allons-nous ainsi nous mettre en mouvement ? Quelle place allons-nous donner à! 'Esprit Saint ? Cette vigilance sur les pensées est un précieux levier dans notre vie de moine, pour nous remettre tout entier à l'œuvre de !'Esprit Saint. Sous sa conduite, nous sommes appelés à vivre et à agir selon la pensée de Dieu, selon son projet pour nous, pour notre communauté et pour le monde. Ce que nous pensons faire spontanément, ce qui nous vient à l'esprit est-il vraiment ajusté à ce projet? C'est déjà humilité devant notre Père des cieux de se poser la question, de laisser ainsi notre agir s'ouvrir à une autre lumière que la nôtre seule... Pour cela, arrêtons-nous parfois dans la prière, quelques secondes ou quelques minutes... le temps d'une petite vérification.
Comme Paul Je disait ce matin dans la lettre aux romains, depuis notre baptême, depuis que « nous sommes libérés du péché et que nous sommes devenus les esclaves de Dieu. nous récoltons ce qui mène à la sainteté, et cela aboutit à la vie éternelle (Rm 6, 22) )). L'Esprit Saint qui nous habite vient ensemencer notre esprit de bonnes semences, de bonnes pensées. Il nous revient par notre vigilance de les récolter. ..
10. Le premier degré d'humilité est donc que, plaçant toujours devant ses yeux la crainte de Dieu, on fuie tout à fait l'oubli,
11. et que l'on se souvienne toujours de tout ce que Dieu a prescrit, en repassant toujours dans son esprit de quelle façon la géhenne brûle à cause de leurs péchés ceux qui méprisent Dieu, ainsi que la vie éternelle qui est préparée pour ceux qui craignent Dieu.
12. Et se gardant à toute heure des péchés et des vices, à savoir ceux des pensées, de la langue, des mains, des pieds et de la volonté propre, ainsi que des désirs de la chair,
13. l'homme doit être persuadé que Dieu le regarde toujours du haut des cieux à tout instant, que le regard de la divinité voit ses actions en tout lieu et que les anges en font à toute heure le rapport.
Nous voici après avoir vécu des jours très riches dans la lumière de Pâques autour de notre frère Matthieu. Et nous retrouvons ce chapitre fort sur l'humilité. Les lignes entendues ne sont pas des plus réjouissantes. Elles sont parmi celles dans la règle où l'on perçoit le plus la distance qui sépare notre culture de celle du temps de Benoit. Si l'on retient de ce premier degré d'humilité qui veut faire grandir dans la crainte de Dieu, qu'il faut nous tenir sous le regard menaçant de Dieu, au risque de conclure que la crainte de Dieu consiste à en avoir peur, on fait grandement fausse route. En effet, la crainte de Dieu est le contraire de la peur. Elle en est même l'antidote. Pour ne pas avoir peur de Dieu, craignons-le au sens biblique. Tenons-nous sous son regard dans un profond respect, dans une conscience toujours plus fine de qui nous sommes devant lui. Sous son regard, cultivons la confiance filiale qui sait tout lui devoir, et se recevoir totalement de lui. Ce serait nous faire illusion de croire que nous sommes d'emblée accordés à l'amour, et des autres et à fortiori de Dieu. La crainte de Dieu permet d'ouvrir le chemin de l'amour qui sera le dernier degré de l'humilité... En effet, entre humains déjà, pas d'amour véritable sans profond respect qui prend conscience que l'autre est une terre sacrée, un sanctuaire avec son lieu intime et secret inviolable. A fortiori devant Dieu, pas d'amour véritable sans respect qui fait qu'on apprend à venir en sa présence avec délicatesse. Par ex. avant d'entrer en prière, on se prépare, on fait silence, on se met en la présence de Dieu par une courte invocation, du type de celle que nous faisons à l'office « Dieu, viens à mon aide ! » L'image biblique de Moïse qui enlève ses sandales devant le buisson ardent me semble être l'image la plus appropriée pour suggérer cette approche du mystère de l'Autre comme de tout autre, avec justesse. La crainte de Dieu se nourrira du souvenir de Dieu, nous dit St Benoit.
« Qu 'on se souvienne toujours de ce que Dieu a prescrit ». La mémoire est en effet une aide précieuse pour nous tenir de façon juste devant les autres. Combien de malentendus ou de tensions entre humains ne viennent-elles pas de ce qu'on a oublié ce que les autres ont fait pour nous, ou bien ce qu'ils nous ont dit. Et avec Dieu, de combien d'ingratitudes ou de manque de foi ne sommes-nous pas capables à son égard en oubliant tous ses bienfaits pour nous ? Car une chose est sûre, si nous oublions facilement, Lui notre Père n'oublie pas. Non pas qu'il garderait rancœur à notre égard. Non, sa mémoire est toujours celle de son alliance, « mémoire de son alliance sainte » comme nous le chantons chaque matin avec le cantique de Zacharie. Sa fidélité n'a de cesse de se souvenir. Nous le confessons encore chaque soir, avec Marie, « le Seigneur se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères ».
5. Aussi, frères, si nous voulons atteindre le sommet de la suprême humilité et si nous voulons parvenir rapidement à cette élévation céleste, à laquelle on monte par l'humilité de la vie présente,
6. il nous faut, pour la montée de nos actes, dresser cette échelle qui apparut en songe à Jacob, et sur laquelle il voyait des anges descendre et monter.
7. Cette descente et cette montée n'ont assurément pas d'autre signification, selon nous, sinon que l'élévation fait descendre et l'humilité monter.
8. Quant à l'échelle dressée, c'est notre vie ici-bas. Quand le cœur a été humilié, le Seigneur la dresse jusqu'au ciel.
9. D'autre part, les montants de cette échelle, nous disons que c’est notre corps et notre âme. Dans ces montants, l'appel divin a inséré différents degrés d'humilité et de bonne conduite, pour qu'on les gravisse.
Etonnante échelle par laquelle on monte en s'abaissant, et où 1'on descend en s'élevant ... C'est l'échelle de l'humilité qui elle-même est un sommet dans l'abaissement auquel elle conduit. Notre raison peine à comprendre, voire elle peut être rebutée par ce mouvement si profond. Ce n'est peut-être pas pour rien que St Benoit à la suite du Maitre se réfère à la vision de Jacob. Celui-ci en songe voit une échelle sur laquelle montent et descendent des anges. Il voit Dieu qui lui promet que sur cette terre où il dort, se développera sa nombreuse sa descendance, et que Dieu sera toujours avec lui. De même que Jacob a compris à travers cette échelle que Dieu était là en ce lieu, de même à travers le mouvement descendant et ascendant de l'humilité pouvons-nous mieux approcher la présence de Dieu dans notre vie. A travers l'humilité vécue, Dieu est là, et il ouvre une promesse de vie féconde. Peut-être avons nous tous fait l'expérience d'avoir vécu une humiliation du fait de notre péché ou de notre faiblesse. Sur le moment souvent, on se cabre, on cherche à se justifier ou bien on se décourage dans la tristesse d'être si peu à la hauteur... Puis vient le second mouvement, où l'on accepte de regarder en face notre faute ou notre faiblesse, de la reconnaitre devant un frère, et de se tenir pécheur confiant devant le Seigneur ... Vient alors comme une grâce de paix qui nous fait toucher quelque chose de la présence de Dieu, de sa miséricorde toujours offerte. Nous ne sommes plus centrés sur nous-mêmes, mais sur Dieu qui est là. «L'âme collée à la poussière » de notre pauvreté, comme dit le psalmiste, humilié à nos propres yeux et ceux des autres aussi parfois, nous acceptons de n'être que cela devant notre Père des Cieux, sûr de son amour plus fort que notre misère. Expérience d'humilité, expérience de paix inséparable d'une expérience de Dieu proche des humbles. « La force des chevaux n'est pas ce qu'il aime, ni la vigueur des guerriers ce qui lui plait, mais le Seigneur se plait avec ceux qui le craignent, avec ceux qui espèrent son amour » (Ps 146, 10-11). Une promesse de vie plus profonde, plus juste nous est offerte par l'échelle de l'humilité. Elle nous conduit jusqu'à la vie de charité parfaite qui chasse la crainte, nous assure Benoit.
1. La divine Écriture, frères, nous proclame : « Quiconque s'élève sera humilié, et qui s'humilie sera élevé. »
2. En parlant ainsi, elle nous montre que toute élévation est une sorte d'orgueil.
3. Le prophète fait voir qu'il s'en garde, lorsqu'il dit : « Seigneur, mon cœur ne s'est pas élevé et mes yeux ne se sont pas levés. Je n'ai pas marché dans les grandeurs, ni dans des merveilles au-dessus de moi. »
4. Mais qu'arrivera-t-il, « si mes sentiments n'étaient pas humbles, si j'ai exalté mon âme ? Comme l'enfant sevré sur sa mère, ainsi tu traiteras mon âme. »
Nous commençons le long et important chapitre sur l'humilité... Nous savons que chez St Benoit l'humilité n'est pas une réalité secondaire. Elle est comme la sève qui irrigue tout l'arbre ou sinon l'arbre meurt. L'arbre de notre être personnel, comme celui de notre être communautaire. Sans l'humilité, pas de vie monastique possible. J'ajouterai volontiers, pas de vie chrétienne tout court. Car elle est en effet fondamentalement la sève qui a animé le Christ en toute son existence. Lorsque celui-ci enseigne : « Quiconque s'élève sera humilié, et qui s'humilie sera élevé », il le fait à partir de son être le plus profond. Lui, le Fils de Dieu, le Verbe incarné, vit durant toute sa vie terrestre d'un long mouvement d'abaissement qui le conduira jusqu'à la croix. Il ne s'abaisse pas ainsi par masochisme, ou par désir de souffrir. Il s'abaisse pour partager au plus près notre condition humaine, pour devenir un avec nous, afin que nous devenions un avec lui. Ainsi nous pressentons que l'humilité par laquelle le Christ se rend proche et accessible à chacun, fait partie de son être profond de Fils. Elle est inséparablement l'expression de sa profonde obéissance à son Père et de son amour pour nous les humains. Plusieurs théologiens contemporains ont entrevu que l'humilité de Jésus était comme une manifestation d'une humilité en Dieu même, une expression de la propre vie divine. Plus qu'une vertu qu'il faudrait chercher à développer pour avoir une vie juste moralement parlant, elle est une manière de vivre proprement divine dans laquelle le Christ nous entraine à entrer librement. Membre du Corps du Christ, membre du Christ notre tête, pouvons-nous vivre autrement que lui ? M. Delbrêl que je citerai plusieurs fois en commentant ce chapitre, affirme : « Si nous voulons être cellule vivante de l'Eglise, il faut d'abord passer par l 'Exaninavit » (traduction latine du verbe ekenosen de l'hymne au Ph 2) que l'on traduit habituellement par« ils 'est anéanti» en parlant du Christ qui s'est fait obéissant jusqu'à la croix. M. Delbrêl poursuit: « Autrefois, on recevait une formation à l'humilité. Il nous est apparu qu'on ne peut pas former: on peut aider, s'entraider à désirer l'humilité, comme St François désirait la Pauvreté. Dans la mesure où nous connaitrions qu'il n y pas d'amour vrai du Seigneur et des hommes sans !'humilité, nous l'aimerons comme la terre de la vie de la grâce dont nous avons
besoin» (Œuvres Complètes T 14 p 174). En relisant ce chapitre sur l'humilité, en le méditant, nous nous entraidons à désirer l'humilité, sans laquelle il n'y a pas d'amour vrai du Seigneur et des hommes...
75. Tels sont les instruments de l'art spirituel.
76. Si nous les exerçons sans cesse, jour et nuit, et les remettons au jour du jugement, nous recevrons du Seigneur cette récompense qu'il a promise :
77. « Ce qu'aucun œil n'a vu, aucune oreille entendu, ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment. »
R.B. 4, 75-77 Quels sont les instruments des bonnes œuvres?
Comment bien comprendre ces mots de St Benoit en forme de conclusion ? Il pourrait être entendu : la vie éternelle est au bout de vos œuvres. Accomplissez soigneusement tous les instruments que je vous laisse et vous êtes assurés d'avoir la vie éternelle. Avec le groupe, chaque lundi soir de Carême, nous faisons lectio divina sur les premiers chapitres de la lettre aux Romains. Nous y entendons avec force, la Bonne Nouvelle du Salut que Paul veut transmettre à ses interlocuteurs : c'est la foi en Jésus, mort pour nous et ressuscité des morts pour notre justification, qui nous sauve, et non pas nos œuvres. Devant Dieu, nous ne pouvons pas nous prévaloir de tout ce que nous faisons pour son service.
Bien utiliser les instruments proposés par St Benoit revient-il à accomplir une nouvelle forme de Loi avec l'assurance d'être quitte devant Dieu? En regardant attentivement comment St Benoit se démarque nettement de RM en cette fin de chapitre, je suis enclin à penser que St Benoit va plus loin qu'une simple compréhension rétributive, dans la logique du donnant donnant. Pour le Maitre, ce sont les actes (3, 80,83), « sans le moindre défaut» (3, 82) qui sont remis au jour du jugement, alors que pour Benoit, ce sont les instruments qui sont remis après avoir été exercés. RM décrit ensuite de manière lyrique et assez longue la vie paradisiaque dans laquelle le moine va entrer grâce à l'exercice de l'art spirituel. St Benoit coupe court à cette description imagée et se contente d'une seule citation tirée de Paul pour expliciter la récompense que le Seigneur a promise : « Ce qu'aucun œil n'a vu, aucune oreille entendu, ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment» (1 Co 2, 9). En 1 Co, Paul veut expliciter que ni l'œil ni l'oreille ne peuvent connaitre la vraie sagesse. Seul !'Esprit de Dieu peut la révéler en Jésus-Christ, le messie crucifié. Il me semble que ces mots de Paul repris, en fin de ce chapitre, nous suggèrent que la vraie récompense donnée à celui qui utilise bien les 74 instruments de l'art spirituel, sera une entrée pleine dans la sagesse et la connaissance du mystère révélé en Jésus Crucifié. Il s'agit moins de pratiquer pour assurer son salut éternel par des bonnes œuvres. Mais il s'agit de développer la pratique évangélique qui fait entrer dans la vraie sagesse initiée par Jésus lui-même. Sagesse de la croix qui est folie aux yeux des hommes : se renoncer à soi même, aimer le jeûne, ne pas rendre le mal pour le mal, ne pas aimer à beaucoup parler, ne pas aimer sa volonté propre, prier pour ses ennemis. St Benoit nous engage ainsi résolument sur le chemin de l'Evangile.
74. Et ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu.
« Et ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu». Le verbe «désespérer» placer ici dans le dernier instrument de ce long chapitre nous fait pressentir quelque chose du combat de la vie humaine sur cette terre, et particulièrement du combat du moine. Désespérer face à la vie qui est parfois si rude en ses épreuves. Désespérer des autres qui ne sont pas au rendez-vous de la confiance qu'on a mis en eux. Désespérer de soi-même, de sa médiocrité, ou de ses errances. Nous entendons et rencontrons parfois des personnes aux prises avec ce mal de la désespérance, et parfois il est là dans notre vie. Il se présente aux yeux humains comme nn resso11 cassé que rien ne semble pouvoir réparer. La confiance en la vie n'est plus là. D'où peut venir le sursaut ? Mystérieux travail qui échappe à notre intelligence et à nos possibilités. Au croyant, au moine, St Benoit dit seulement, sous la forme d'une perche tendue à qui pourrait se noyer: « lève les yeux, n'oublie pas qu'il y en a un qui ne désespère jamais de toi, c'est le Père de toute miséricorde » (2 Co 1,3). Comme dans la parabole du fils perdu, il attend impatiemment notre retour, dans un grand respect de notre liberté, respect qui n'a d'égal que sa délicate et forte tendresse pour chacun. Il est comme le maitre de maison qui se laisse émouvoir aux entrailles par notre misère dont la dette n'est même plus comptabilisable, comme nous l'entendrons dans l'évangile ce matin... Cet évangile nous fait toucher du doigt que l'accueil de la miséricorde de notre Père des Cieux est inséparable de notre consentement à ne plus vouloir compter. Le premier serviteur demande la pitié de son maitre, mais il est encore en train de vouloir se justifier. Il espère« tout » rembourser à son maitre. Reconnaitre la miséricorde de notre Dieu, l'accueillir, c'est avoir pris conscience qu'on ne peut en rien compter sur nos propres forces. Que nous sommes et resterons des débiteurs insolvables, incapables de rembourser nos dettes. Là où la désespérance voudrait nous faire abandonner la vie car nous prenons conscience de la nullité de toute chose, de la vie, des autres et de nous-mêmes, la confiance en la miséricorde de Dieu nous fait abandonner même la conscience de notre nullité. Car Dieu ne s'intéresse pas à notre misère si grande soit- elle. Son amour, sa tendresse viennent à la rencontre de chacun en sa part inaltérable, en son visage de fils façonné à son image et à sa ressemblance. Comme nous le chantions hier soir : « notre cœur vient-il à se perdre, le cœur de Dieu garde l'alliance » ••• Béni soit-il!
72. Dans l'amour du Christ, prier pour ses ennemis,
73. faire la paix avec son contradicteur avant le coucher du soleil.
« Dans l'amour du Christ, prier pour ses ennemis, faire la paix avec son contradicteur avant le coucher du soleil». Au tern1e de ce long chapitre de recommandations très variées pour la vie spirituelle, Benoit met l'accent sur la réconciliation entre frères, avant de replacer toute chose sous la miséricorde de Dieu, qui sera le dernier instrument. La réconciliation entre frères n'est-elle pas le sommet de la vie fraternelle? N'est-elle pas la manifestation concrète que la réconciliation opérée par le Christ fait vraiment son œuvre en chacun de nous ? L'amour sauveur du Christ nous rend capable de devenir des agents de réconciliation autour de nous. Sans lui, pourrions-nous nous réconcilier? S'éclaire mieux ici, l'incise de St Benoit, « dans l'amour du Christ», prier pour ses ennemis. L'amour du Christ nous presse. Il nous rend capable d'aller plus loin. Le conflit, l'amertume causée par la blessure de la relation trouble notre vue. Nous ne voyons le frère qu'à travers le seul prisme de l'hostilité. Son visage n'est plus celui d'un frère mais celui d'un ennemi. Prier pour nos ennemis, pour les frères avec qui nous avons des difficultés nous fait entrer dans le regard que le Christ pose sur eux. Devant le Christ, le frère garde toute sa part virginale. Le Christ voit en lui comme en chacun de nous, l'enfant blessé par le péché, mais toujours digne de son amour, comme la parabole du fils prodigue nous le fait bien pressentir aujourd'hui. Si à ce moment de ma vie, il est trop dur d'aimer ce frère, il m'est toujours possible de prier pour lui. Prier pour lui, qu'est-ce que cela veut dire? C'est faire un acte de foi résolu pour ne pas demeurer sur le seul terrain d'animosité. C'est présenter ce frère au Père, et appeler sur lui le bien que je ne peux lui donner. C'est désirer que l'Amour de Dieu ait le dernier mot dans sa vie comme dans la mienne, et finalement entre nous.
La prière est un premier pas, un pas profond sur le chemin de la paix. Car il n'est pas toujours possible de poser un geste, dire un mot, faire un billet pour faire la paix avant le coucher du soleil. La division s' origine trop profondément en des zones peut-être inconnues de chacun pour être résolue rapidement. Seule la prière peut ouvrir des chemins impossibles à nos forces humaines. Humble et vraie, elle nous remet devant notre pauvreté et dans la confiance en notre Père qui peut ouvrir de nouveaux horizons.
70. Et vénérer les anciens,
71. aimer les jeunes.
« Vénérer les anciens. aimer les ieunes ». Que nous dit St Benoit en ajoutant ces deux instruments à la liste qu'il a trouvée chez le Maitre? Le P. Adalbert note : « Rien ne lui tient plus à cœur (à St Benoit) que les bons rapports entre frères, dont le Maitre se souciait assez peu » (Ce que dit St Benoit, Bellefontaine 1991 p 62). Ainsi plus loin, en RB 63, 10 il exhortera les jeunes à honorer leurs anciens et les anciens à aimer les jeunes. Selon les cultures et selon les temps, les rapports entre jeunes et anciens varient beaucoup. Notre culture occidentale vit une sorte de changement assez radical par rapport à son passé et par rapport aux cultures plus traditionnelles. La vie moderne qui se développe beaucoup autour de la cellule familiale première, les parents et les enfants, a tendance à exclure du cercle les plus anciens, les grands parents. S'il y a encore 3 ou 4 générations, ces derniers étaient pris en charge par la famille notamment à la campagne et restaient dans la maison d'origine, ils sont aujourd'hui confiés à des structures comme les maisons de retraite ou les Ephad. Le monastère reste un témoin de cette tradition passée, en favorisant le plus possible la vie commune entre les générations. Si nous percevons nos limites parfois, ne pouvant assumer la prise en charge de tous, nous mesurons aussi la richesse offerte par ce mixage des générations. Une richesse exigeante qui
peut coûter parfois car elle requiert des trésors de générosité et d'inventivité pour que la vie soit la plus heureuse possible. A cet égard, les deux verbes employés par Benoit sont suggestifs : vénérer les anciens, aimer les jeunes. De part et d'autre, il s'agit d'aller chercher en soi des ressources de charité qui ne sont pas nécessairement là à priori. Vénérer un ancien dont les infirmités ou les petits côtés peuvent être pesants et dérangeants, n'est pas d'emblée évident. Le mouvement spontané pourrait-être plutôt de désintérêt ou d'énervement. Aimer les jeunes qui croquent la vie à pleine dent en courant ou en faisant vite toute chose au risque de bousculer ou bien de sembler désinvoltes, n'est non plus d'emblée naturel. Le dépit amer face à ses propres impuissances ou le repli sur soi peuvent guetter. La vie commune nous apprend à ne pas être les uns à côté des autres comme des étrangers qui au mieux se supportent, mais comme des frères qui s'aiment. Le plus jeune qui apprend à vénérer l'ancien, même dans ses travers pénibles, élargit son cœur. En laissant en son cœur, une place à l'ancien, il laisse naitre en lui des capacités d'aimer qu'il ne soupçonnait pas. Il s'humanise. De même l'ancien qui sait aimer et regarder les jeunes avec la grâce qui leur est propre, laisse vivre en lui sa propre jeunesse de ffil!I. Il se laisse vivifier par les plus jeunes, sans regretter le passé. Il vit dans l'espérance. Apprenons les uns des autres, anciens et jeunes, à aimer.
68. ne pas aimer la contestation,
69. fuir l'élèvement.
« Ne pas aimer la contestation, fuir l'élèvement » Si nous repérons parfois des personnes qui contestent. ou d'autres qui cherchent les places bien en vue, nous nous en sommes spontanément indignés... Cela nous semble grotesque. Et pourtant, nous pouvons nous surprendre nous aussi à contester. à murmurer ou en d'autres cas à vouloir la première place. Dans l'évangile de ce jour, nous avons une belle mise en scène de notre comédie humaine, avec toutes ses contradictions. Nous voyons la mère de Jacques et de Jean, poussée peut-être par les désirs d'ambition qu'elle a perçus chez ses fils, demander à Jésus d'ordonner que ces deux fils
« siègent, l'un à sa droite, et l'autre à sa gauche)). On peut être surpris par la naïveté d'une telle requête. Elle signe l'aveuglement qui peut nous habiter tous sur notre prétendue valeur que tous devraient« quand même)) reconnaitre à la fin... ! L'aveuglement est ici manifeste quand les deux disciples répondent sans ambages qu'ils peuvent boire à la coupe que Jésus va boire. La suite montrera qu'à l'heure de la passion, ils ne le pourront pas. Et que font les autres disciples? Ils font comme nous le ferions assez spontanément, ils s'indignent devant la prétention incongrue des deux frères Jacques et Jean. Leur indignation signe à sa manière leur profonde connivence. Ils réagissent ainsi parce qu'ils sont habités par les mêmes questions, l2fil la même ambition de pouvoir bénéficier d'une bonne place auprès de ce maitre si célèbre et si puissant en autorité. Une forme de compétition sournoise s'est peut-être inconsciemment installée entre eux. Qui est le plus grand ?
Jésus vient désamorcer ce mécanisme, non en opposant une nouvelle idéologie, mais par sa vie même.« Le Fils del 'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude )). Le suivre comme nous cherchons à le faire jour après jour, c'est entrer dans un autre dynamisme. Quitter le souci de soi et de la quête des honneurs, abandonner le désir de faire carrière, pour nous donner avec Jésus, par toute notre vie. A sa suite, nous ne pouvons que« ne pas aimer la contestation·et fuir l'élèvement", c'est tellement contre-nature. Une des oraisons du carême nous fait demander cette grâce : « Dieu éternel, notre Père, daigne tourner vers toi notre cœur, afin que nous soyons tout entiers à ton service, dans la recherche de l'unique nécessaire )) (Sam. 1ère sem)
66. ne pas avoir de jalousie,
67. ne pas agir par envie,
« Ne pas avoir de jalousie, ne pas agir par envie »... Qu'est-ce qui motive nos actions? Quel est le ressort qui nous pousse à faire ceci ou à faire cela ? Nos motifs ne sont pas toujours purs. Le sont-ils seulement jamais complètement ? Plus on avance sur le chemin de l'évangile, plus on repère en soi le mélange qui peut se cacher sous de bonnes intentions ou déclarations. L'ivraie et le bon grain sont dans notre champ. Dans l'évangile de ce jour, nous entendrons Jésus reprocher aux pharisiens d'agir par désir de se faire remarquer: « ils agissent toujours pour être remarqués des hommes». Ici, St Benoit met en garde contre un autre moteur de l'action : l'envie... Envie d'avoir ce que l'autre a, ou envie d'être ce qu'il est... Au départ de
l'envie, il y a souvent une forme de jalousie, qui s'enracine elle-même dans une sorte de non amour de soi. On jalouse l'autre pour ce qu'il a ou pour ce qu'il est, parce qu'on peine à s'aimer soi-même, à s'accepter avec ses limites, ses différences, ses faiblesses. Bref on désire ce qu'il y a dans l'assiette ou dans le près du voisin... Nous avons tous fait l'expérience que nos actions lorsqu'elles sont menées selon de tels motifs, nous laissent profondément insatisfaits, quand elles ne nous mettent pas dans des impasses plus ou moins fâcheuses.
Comment retrouver les bons motifs pour agir ? Certainement en nous reliant davantage à notre propre moteur ? Plutôt que vouloir agir comme les autres ou en fonction de leur regard, retrouver le sens de la beauté de ce que nous sommes chacun, avec nos dons, mais aussi avec nos mangues. Car nous sommes beaux aussi à travers nos manques. Ils sont la porte d'une plus grande richesse, celle que je vais être capable de recevoir par les autres, et grâce à eux, comme un don. Cependant, notre vie chrétienne nous entraine plus loin encore pour accueillir dans nos vies, le don de !'Esprit Saint. Il est le moteur discret, qui ne s'impose pas, mais qui nous entraine à vivre et à agir de façon juste. Il nous fait entrer dans l'action de Dieu qui est bonne pour le monde et pour chacun. Il nous unit à l' agir du Christ. A la manière de M. Delbrêl, comme nous l'a dit le P. Gilles François durant la retraite, il nous faut apprendre moins à agir, qu'à être agi par le Christ. « Ce n'est plus moi qui vit, c'est le Christ qui vit en moi»... Chemin de dépouillement et de créativité, chemin d'humilité et de liberté...