vendredi 15 août 2025 : fête de l’Assomption, horaire des dimanches (vigiles la veille à 20h45, messe à 10h) + concert à 16h.

Nota : L’office de None (14h45) sera prié au dolmen de ND de la Pierre-qui-Vire.

Commentaires sur la Règle



Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 32 v 01-05 Des outils et biens du monastère. écrit le 03 août 2021
Verset(s) :

1. Pour l'avoir du monastère en outils, vêtements et biens de toute sorte, l'abbé choisira des frères, de vie et mœurs dont il soit sûr,

2. et il leur remettra ces différents objets, comme il le jugera bon, pour qu'ils les conservent et les recueillent.

3. De ces objets, l'abbé gardera l'inventaire. Ainsi, quand les frères se succèdent à tour de rôle dans l'emploi, il saura ce qu'il donne et ce qu'il reçoit.

4. Si quelqu'un traite les biens du monastère sans propreté ou sans soin, on le réprimandera.

5. S'il ne s'amende pas, il subira les sanctions de règle.

Commentaire :

A une époque où les outils et les biens de consommation étaient plus rares donc plus précieux, on peut comprendre le souci de bien les conserver, manifesté dans ce chapitre. Avoir un outil en fer par ex, comme une faucille, devait représenter un petit trésor. L'épisode de la vie de St Benoit, où ce dernier fait remonter la faucille tombée dans le lac, et console ainsi grandement celui qui l'avait perdu dans l'eau, nous fait pressentir le prix de tout objet alors.

En occident, nous ne connaissons plus aujourd'hui cette préoccupation de manquer. La société de consommation offre tout avec une abondance parfois insolente, abondance dont nous bénéficions nous aussi au monastère. Notre risque n'est plus de ne pas avoir, mais de gaspiller. Parler de risque, c'est déjà prendre une distance par rapport à l'usage de biens. Dans une certaine frange de la société, le fait de jeter n'est pas un problème, le fait que tout doit se renouveler très vite, même si ce n'est pas usagé, non plus. Notre chance à la Pierre-qui-Vire en particulier est de vivre avec des frères qui viennent d'autres pays où le rapport aux objets et aux biens est certainement plus proche de l'époque de St Benoit que de la nôtre. Ils nous sensibilisent ainsi au prix et à la valeur des choses. A l'heure de Laudato Si, le pape François invite toute l'Eglise et le monde avec elle, a levé le regard toujours plus loin pour ne iamais oublier la moitié de la planète qui vit dans une précarité inquiétante. Il nous apprend à comprendre que notre abondance provient, depuis des décennies, pour une bonne part d'un système d'échange injuste, basé sur la surexploitation des ressources naturelles, ainsi que sur une forme d'exploitation des pays les plus pauvres. Nous connaissons l'abondance de produits très peu chers parce que pour une bonne part d'autres- la terre et les pays les plus pauvres-, en ont payé ou en paient encore le prix. Cette vision globale peut donner le vertige. Le réchauffement climatique nous oblige à la regarder en face. Dans notre maison commune, il n'est plus possible d'ignorer l'interaction entre ce qui se vit abondamment ici en Europe et ce qui se survit misérablement en Afrique par exemple.

Ici au monastère, comment nous situer? Comment quitter la mentalité de l'insouciance de qui ne manque de rien ? Comment entrer dans un nouveau rapport à la consommation de biens, d'énergie, d'eau en pensant que ce qui est gaspillé ici est volé là-bas. Comment retrouver une sobriété heureuse ? Ce nouvel impératif moral adressé à nos contemporains rejoint naturellement notre vœu de conversion. Notre manière de vivre peut faire signe à beaucoup.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 31 v 13-19 Du cellérier du monastère, ce qu'il sera. écrit le 27 juillet 2021
Verset(s) :

13. Qu'il ait avant tout l'humilité, et quand il n'y a rien à donner à quelqu'un, qu'il lui offre en réponse une parole aimable,

14. comme il est écrit : « Une parole aimable surpasse le don le plus précieux. »

15. Tout ce que l'abbé lui enjoindra, il en aura la responsabilité ; ce qu'il lui interdira, il ne se le permettra pas.

16. Il fournira aux frères la ration prescrite sans arrogance ni délai, de peur qu'ils ne s'irritent, en se souvenant de ce que mérite, selon la parole divine, « celui qui irritera un des petits. »

17. Si la communauté est nombreuse, on lui donnera des auxiliaires, pour que lui aussi, grâce à leur aide, il remplisse la charge qui lui est confiée sans perdre la paix de l'âme.

18. On donnera ce qui est à donner et on demandera ce qui est à demander au moment voulu,

19. afin que personne ne soit troublé ou peiné dans la maison de Dieu.

Commentaire :

« On donnera... on demandera ... au moment voulu» Ces mots concluant ce beau

chapitre sur le cellérier, résument bien le mouvement d'échange continuel dans lequel nous place la vie conventuelle. Dans ce jeu d'échange de services et de dons, le cellérier occupe une place centrale ... Mais il n'est pas1e seul. Tous, à un titre ou à un autre, nous sommes intégrés

dans ce mouvement d'échange: tour à tour demandeur et donneur. Plus les échanges sont fluides, plus la vie est paisible et heureuse, plus ressort qu'il est bon et qu'il est doux de vivre en frère. Entrer dans ce dynamisme d'échange de dons, de paroles bienfaisantes, de services, exige de renoncer chacun à vivre en circuit fermé, ou en circuit semi-ouvert. Paradoxalement, nous sommes tous capables de râler lorsqu'une chose demandée ne nous est pas accordée, ou bien lorsqu'elle vient trop lentement. Mais souvent, nous ne voyons pas le problème de faire patienter ou de refuser quelque chose que légitimement on est en droit d'attendre de nous. Certes, parfois le temps n'est pas extensible, mais vérifions toujours si l'on ne s'est pas réservé quelques minutes que nous savons aussi très bien perdre à des futilités...

Que faire cependant lorsqu'on ne peut vraiment pas faire ou donner quelque chose ? Quelle attitude adopter? Il n'est pas rare que cette impossibilité suscite parfois la panique, du coup une sorte d'agressivité. Aussi outre le fait que le frère pourrait être en droit d'obtenir de notre part ce qu'il demande, en plus il reçoit une parole sèche, ou même un reproche ... Double injustice ! St Benoit recommande à deux reprises en ce chapitre de donner « une parole aimable», ou« un refus raisonnable», et pour ce dernier, il ajoute« avec humilité». « Avec humilité», petite incise précieuse. Car elle nous dit où trouver, la source d'où jaillira la bonne parole. Elle est du côté de l'humilité, de la conscience de sa pauvreté, conscience qui ne nous écrase pas, mais qui nous rend plus abandonné au Seigneur. Si moi,je ne peux donner, si je n'ai rien à donner, je peux m'appuyer un peu plus sur le Seigneur, sur son amour... Il mettra sur mes lèvres la bonne parole qui redonne courage ou qui console. Demandons cette grâce de l'humilité qui fait surgir les bonnes paroles, utiles et rafraichissantes. Cultivons entre nous et avec les personnes extérieures, cet art de la bonne parole. Cette bonne parole n'est pas feinte, ni hypocrite. Elle jaillit de la conscience assumée de ma faiblesse, et de l'appel à respecter avant tout la personne que j'ai devant moi.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 31 v 07-12 Du cellérier du monastère, ce qu'il sera. écrit le 23 juillet 2021
Verset(s) :

7. Si un frère lui présente une requête déraisonnable, il ne le peinera pas en le repoussant avec mépris, mais avec humilité il opposera à cette mauvaise demande un refus raisonnable.

8. Il veillera sur son âme, en se souvenant toujours de cette parole de l'Apôtre : « Qui fait bien son service, se procure une belle place. »

9. Il prendra soin des malades, des enfants, des hôtes et des pauvres avec toute sa sollicitude, sachant sans aucun doute qu'il devra rendre compte pour toutes ces personnes au jour du jugement.

10. Il considérera tous les vases du monastère et tout son avoir comme les vases sacrés de l'autel ;

11. il ne tiendra rien pour négligeable.

12. Il ne cédera pas à l'avarice ni ne sera prodigue ou dissipateur de l'avoir du monastère, mais il fera tout avec mesure et selon les ordres de l'abbé.

Commentaire :

« Il veillera sur son âme» Petite recommandation de sagesse de St Benoît. S'il est bien conscient que le cellérier est l'honune dédié aux soins des affaires matérielles de la communauté, il rappelle ici.le cellérier à son premier devoir spirituel. Dans la charge complexe de l'économie de monastère, avec ses nombreuses sollicitations de tous ordres, sa quête

spirituelle doit rester vivante... Sa manière de gérer les affaires sera vraiment« monastique» à

la mesure de cette vigilance spirituelle première...

A bien l'entendre, cette petite recommandation de Benoît ne vaut pas que pour le cellérier. notre f. Benoit que nous remercions pour son service... Mais elle vaut pour tous les moines... à commencer par ceux dont le rythme de vie ou le type de travail est plus exposé à la complexité. Je pense particulièrement aux emplois où le rythme de travail est très soutenu avec beaucoup de sollicitations diverses, il est important que chacun veille sur son âme, c'est à dire qu'il veille à cette primauté de la prière et de la présence au Christ dans sa vie. Et cette primauté se conjugue en un certain nombre de priorités qu'il faut tenir: le temps de lectio et de prière personnelle, le temps de respiration pour rompre le rythme et se refaire. Chacun ici est responsable de son organisation du temps... Responsabilité rude à tenir parfois mais responsabilité unique irremplaçable. Personne ne peut veiller sur ma vie à ma place. Assurer la priorité à la lectio et à la prière sera le gage de l'approfondissement de notre vie sous le regard du Christ. Peu importe si le travail est rude ou prenant, si nous mettons le Christ à la première place et cela concrètement dans notre emploi du temps, notre vie va trouver peu à peu son enracinement. Car c'est le Christ aimé et cherché qui conduit nos vies. C'est lui qui nous aide à lâcher et à renoncer à ce qui n'est pas utile, à ce qui nous encombre et qui parfois occupe bien du temps. Pour finalement pas grand-chose...

Oui veillons sur nos âmes, c'est à dire mettons-nous de façon très précise à l'écoute du Christ notre maître... notre guide.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 31 v 01-06 Du cellérier du monastère, ce qu'il sera. écrit le 22 juillet 2021
Verset(s) :

1. On choisira pour cellérier du monastère un membre de la communauté qui ait sagesse, maturité de caractère, sobriété ; qui ne soit pas grand mangeur, hautain, turbulent, injuste, lent, prodigue,

2. mais qui ait la crainte de Dieu. Il sera comme un père pour toute la communauté.

3. Il prendra soin de tout,

4. il ne fera rien sans l'ordre de l'abbé ;

5. il observera les ordres reçus,

6. il ne fera pas de peine aux frères.

Commentaire :

« On choisira un membre de la communauté qui...ait la crainte de Dieu» ... Quand st Benoit donne ce critère de discernement, il l'oppose aux défauts énumérés juste avant:« gros mangeur, hautain, agité, injuste, lent, prodigue» ... Veut-il nous faire comprendre que nous sommes en présence de deux logiques : !'une qui consiste à mettre sa vie continuellement sous le regard de Dieu. et l'autre qui implique une vie toute préoccupée de soi ? Qui de nous peut dire qu'il est résolument dans la première logique, celle d'une vie toute entière tendue vers la lumière de Dieu ? Nos vies sont souvent prises dans cet incessant va et vient de grande ouverture à la volonté de Dieu et de repliement sur soi. L'art de la vie spirituelle n'est-il pas de peu à peu nous poser tout entier sous la lumière de Dieu... Plus que de la recherche d'un équilibre, il s'agit d'une perpétuelle quête, on pourrait dire aussi d'une conquête sur soi, sous l'action de

!'Esprit Saint. Paul parle de l'homme intérieur qui se fortifie.

La vie monastique est une école pour permettre à cet être intérieur de grandir et de se fortifier dans la crainte de Dieu, dans cet amour empreint de respect devant le mystère divin et humain. La discipline proposée, les rappels de la vie commune sont autant de repères qui mettent de la distance entre notre désir de prendre pour nous-mêmes, et notre désir plus profond d'être pleinement nous-mêmes, vulnérables sous le regard de Dieu. Quand par ex, notre coutumier nous invite à ne pas prendre à l'avance d'un dessert au libre-service, pour se le réserver, il met à distance mon fort désir d'être rempli, pour faire advenir mon désir plus profond d'être libre pour rendre grâce plus pleinement lorsque je prendrai le dessert au moment du dessert. Cet exemple est révélateur de beaucoup de lieu de notre vie où nous sommes invités à prendre de la distance avec notre désir trop enclin à se remplir, alors qu'il est ordonné à la liberté, sous le regard de Dieu... Quand la règle nous invite à estimer les autres supérieurs à nous, elle vient mettre un frein, une barrière à notre propension orgueilleuse, hautaine à juger de tout et de tous... Notre désir le plus profond n'est-il d'aimer les autres avec leur faiblesse, comme nous désirons être accueilli avec les nôtres ? Quand la règle nous invite à nous hâter pour aller à l'office ou pour aller à la rencontre de l'hôte qui arrive, ne nous exhorte-t-elle pas sortir d'une certaine lenteur, d'un quant à soi pour être davantage tourné vers Dieu et les autres? Elle vient réveiller notre désir endormi qui ne demande qu'à se donner, et à s'élargir davantage

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 30 v 01-03 Des enfants d'âge tendre, comment les corriger. écrit le 21 juillet 2021
Verset(s) :

1. Tout âge et degré d'intelligence doit recevoir un traitement approprié.

2. Aussi chaque fois que des enfants et des adolescents par l'âge, ou des adultes qui ne peuvent comprendre ce qu'est la peine d'excommunication,

3. quand donc ceux-là commettent une faute, on les punira par des jeûnes rigoureux ou on les châtiera rudement par des coups, afin de les guérir.

Commentaire :

« Tout âge doit recevoir un traitement approprié,, ... Je ne m'attarderai pas ce matin sur la question de la correction, mais sur celle de la formation. Chaque âge, chaque étape de la formation mérite un soin particulier... Touchant la formation de nos jeunes frères, mais finalement aussi notre formation permanente dans notre apprentissage à aimer, j'aimerai dire un mot ce matin sur notre relation avec les femmes. Récemment cette question s'est posée : en vue d'accueillir des jeunes pour le WWOOFING, faut-il admettre au cœur de la clôture des femmes qui viendraient travailler régulièrement dans le jardin avec les jeunes frères ? Ou encore, on recherche actuellement une collaboration avec une école afin d'avoir des stagiaires en alternance pour le développement de la frênette, faut-il accepter des jeunes femmes qui pourraient travailler environ un mi-temps dans la clôture avec des frères ? Après en avoir parlé en conseil.j'ai répondu qu'il ne valait mieux pas... Comment comprendre cette position?

Il me semble important de tenir de la sorte certaines limites. Tout ne nous est pas possible. Nous faisons le choix du célibat parce qu'un jour, l'amour du Christ nous a touchés et nous a attirés à lui pour nouer avec lui une relation privilégiée qui prend tout notre être. Mais nous savons que ce choix du célibat n'est pas sans combat. Notre affectivité met du temps à s'ordonner toute entière dans ce don au Christ et aux autres. Notre corps, notre sexualité masculine a ses propres rythmes et pulsions, comme la sexualité féminine a les siennes. Savoir garder dans notre quotidien habituel une juste distance dans nos relations avec les femmes contribue à vivre avec paix et profondeur notre quête monastique. li ne sert à rien d'éveiller d'inutiles pensées ou pulsions, en feignant d'être au-dessus de possibles attachements... Qui peut se dire complètement neutre ou libre dans le jeu des relations ? Parler ainsi ne signifie pas qu'il nous faut avoir peur des femmes et que toute relation féminine nous soit interdite. Non, mais en vertu de notre choix de vie pour le Christ, la prudence nous invite à vivre ces relations à chaque fois de manière juste, avec discernement. Dans l'ouverture du cœur, il est important d'apprendre à parler de nos relations et de leur impact sur notre affectivité. La formation en ce domaine, qui vaut pour les premières années comme pour toute la vie, consiste dans l'affinement de la connaissance de soi. Nous apprenons à aimer plus en liberté, mus par notre don au Christ, sans nécessairement attendre en retour. Car le Christ est cet ami si unique, que l'aimer davantage, loin de nous rétrécir le cœur nous donne d'aimer plus largement les autres, plus chastement aussi.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 29 v 01-03 Si les frères qui sortent du monastère doivent être reçus de nouveau. écrit le 20 juillet 2021
Verset(s) :

1. Un frère qui est sorti du monastère par sa propre faute, s'il veut revenir, commencera par promettre de s'amender complètement du défaut qui l'a fait sortir,

2. et alors on le recevra au dernier rang, pour éprouver par là son humilité.

3. S'il s'en va de nouveau, il sera reçu ainsi jusqu'à trois fois, en sachant qu'ensuite on lui refusera toute autorisation de retour.

Commentaire :

« Il sera reçu ainsi jusqu’à trois fois ». Dans le_ chapitre précédent, nous avons entendu la grande clémence de St Benoit vis-à-vis d'un frère récalcitrant et endurci dans le but d'éviter à tout prix son renvoi. Ce matin, nous voyons cette même clémence à l'œuvre pour favoriser son retour, jusqu'à trois fois... Généreuse mesure humaine qui voudrait tenter de dire un possible, mais aussi de signifier la miséricorde divine qui elle est sans limite, éternelle ... un possible : trois fois indique une limite maximale. Nos vies humaines ne peuvent faire fi des limites. Nous en avons besoin pour nous structurer, pour ne pas nous bercer d'illusions et nous imaginer tout-puissant.

Mais nous pouvons aussi entendre dans ce « trois fois », une timide manifestation de la clémence divine qui ne se lasse pas de nos allers et retours et de nos tâtonnements. Pour Dieu, rien n'est irrévocable, ni fermé à celui qui revient. Dieu ne nous juge pas, mais il nous accueille toujours parce qu'il veut nous donner la vie, encore et toujours. Mystère de la mansuétude de Dieu qui épouse le mystère de la liberté humaine, en respectant ses possibles errances vers des impasses, sans jamais nous enfermer en celles-ci. Notre liberté a souvent besoin de buter sur un interdit, sur une difficulté, ou sur un échec pour comprendre et voir clair. Ainsi en est-il de notre_ chair humaine qui s'éprouve et avance en s'éprouvant.

Revenir jusqu'à trois fois peut nous faire pressentir aussi la confiance que Benoit porte en la capacité de chacun à puiser en lui les ressources profondes de l'humilité. Humilité à l'œuvre chez le frère parti, comme chez ceux qui le reçoivent de nouveau. Humilité du frère gui tâto1111e en ces allers et retours successifs. Quelque chose se creuse et le frère ne s'enferme pas sur sa propre honte ou sur la conscience de sa misère. Nous pouvons nous souvenir dans le film

« Silence ». sur les martyrs japonais du I 6°s, de ce chrétien qui a apostasié plusieurs fois et qui est revenu sans cesse demander le pardon. L'espérance d'être accueilli de nouveau prime avant tout. Elle oriente le regard non plus sur soi, mais sur les autres avec lesquels on veut vivre de nouveau. Exercice d'humilité aussi pour ceux gui reçoivent et apprennent alors quelque chose de l'humilité de Dieu. Comme lui, ils appre1111ent à ne pas regarder la blessure qu'a pu produire le départ du frère ou les ressentiments éprouvés, pour accueillir de manière nouvelle la relation. L'humilité est source de vie.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 28 v 01-08 De ceux qui sont repris ne veulent pas s'amender. écrit le 17 juillet 2021
Verset(s) :

1. Si un frère a été fréquemment repris pour une faute quelconque, si même après excommunication il ne s'amende pas, on lui infligera une punition plus rude, c'est-à-dire qu'on lui fera subir le châtiment des coups.

2. S'il ne se corrige pas non plus par ce moyen, ou que même, ce qu'à Dieu ne plaise, il se laisse emporter par l'orgueil et veuille défendre sa conduite, alors l'abbé agira comme un médecin sagace :

3. s'il a appliqué tour à tour les cataplasmes, l'onguent des exhortations, la médecine des divines Écritures, enfin le cautère de l'excommunication et des coups de verge,

4. et s'il voit que son industrie ne peut plus rien désormais, il aura encore recours à un remède supérieur : sa prière pour lui et celle de tous les frères,

5. afin que le Seigneur, qui peut tout, procure la santé à ce frère malade.

6. S'il ne se rétablit pas non plus de cette façon, alors l'abbé prendra le couteau pour amputer, comme dit l'Apôtre : « Retranchez le pervers du milieu de vous » ;

7. et encore : « Si l'infidèle s'en va, qu'il s'en aille »,

8. de peur qu'une brebis malade ne contamine tout le troupeau.

Commentaire :

Dans ce chapitre, je suis frappé par la suite de « si ». en cascade... Si le frère excommunié ne s'amende pas... si l'abbé a appliqué ... si le frère ne se rétablit pas non plus de cette façon ... Cette succession de propositions conditionnelles en dit long, à mon avis, sur Je désir de Benoit d'étudier toutes les ressources possibles à mettre en œuvre pour sauver ce frère qui s'entête. Comme législateur, il doit prévoir au mieux la diversité des situations afin de leur offrir le meilleur cadre régulateur possible. Dans cette situation extrême de tension entre un frère et la communauté, on perçoit que prévaut avant tout le sens pastoral.

Nous voyons aussi se côtoyer simultanément un grand esprit de foi et un vrai réalisme. Esprit de foi, quand St Benoit propose en dernier recours la prière qu'il avait déjà recommandée, au précédent chapitre, en début du dispositif mis en place pour le frère excommunié. La prière se fait plus insistante dans la conscience que ce qui est enjeu, n'est pas complètement humain. Nous le croyons, c'est Dieu gui sauve. Mais en de tels cas extrêmes, cela apparait plus clairement. Seule la grâce de ]'Esprit peut toucher le cœur et ouvrir les yeux. Nous pouvons nous souvenir de la parole de Jésus à propos de l'enfant possédé dont les disciples n'avaient pu chasser le mauvais esprit: « Cette espèce-là, rien ne peut la faire sortir, sauf/a prière» (Mc 9, 29). Jésus nous partage peut-être ici avant tout sa propre expérience de priant, tourné vers son Père. Il a appris de cette familiarité à connaitre et à faire la volonté de son Père qui désire le bien de tous. Quand il demande, il est exaucé, car sa demande s'accorde à la volonté du Père. Il nous invite à sa suite, à entrer sur ce chemin d'une prière confiante toujours en quête de s'accorder à la volonté de Dieu. Jésus en a donné le meilleur exemple à Gethsémani : « non pas ce que je veux, mais ce que tu veux»...

En même temps, Benoit fait preuve de réalisme. Parfois la prière ne se réalise pas. Le frère reste campé sur sa position. Notre esprit peut spontanément dire : pourquoi Dieu n'entend­ t-il pas? Il se pose rarement la question : ma prière était-elle juste? Était-elle vraiment enracinée dans la volonté de Dieu ? Le réalisme impose surtout une certaine sobriété, un certain silence à notre esprit trop enclin à vouloir tout expliquer. Le mystère d'un homme est toujours celui d'une liberté, bien ou mal éclairée, libre ou pas vraiment libre, mais en capacité de faire ou de ne pas faire. Devant ces impossibilités à rejoindre un frère, demeure cependant encore la prière. Une prière qui accepte de remettre toute chose en Dieu, dans la confiance qu'il saura en tirer un bien, là où semble prévaloir le mal.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 27 v 01-09 Combien l'abbé doit avoir de sollicitude pour les excommuniés. écrit le 16 juillet 2021
Verset(s) :

1. C'est avec toute sa sollicitude que l'abbé prendra soin des frères délinquants, car « ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. »

2. Aussi doit-il user de tous les moyens comme un médecin sagace ;: envoyer des senpectas , c'est-à-dire des frères anciens et sagaces,

3. qui comme en secret consoleront le frère hésitant et le porteront à satisfaire humblement, et le « consoleront pour qu'il ne sombre pas dans une tristesse excessive »,

4. mais comme dit encore l'Apôtre : « Que la charité s'intensifie à son égard », et que tous prient pour lui.

5. En effet, l'abbé doit prendre un très grand soin et s'empresser avec tout son savoir-faire et son industrie pour ne perdre aucune des brebis qui lui sont confiées.

6. Qu'il sache en effet qu'il a reçu la charge des âmes malades, non une autorité despotique sur celles qui sont en bonne santé.

7. Et qu'il craigne la menace du prophète, par laquelle Dieu dit : « ;Ce qui vous paraissait gras, vous le preniez, et ce qui était chétif, vous le rejetiez. »

8. Et qu'il imite l'exemple de tendresse du bon pasteur, qui abandonnant ses quatre-vingt-dix-neuf brebis sur les montagnes, partit à la recherche d'une seule brebis qui s'était perdue ;

9. sa misère lui fit tellement pitié, qu'il daigna la mettre sur ses épaules sacrées et la rapporter ainsi au troupeau.

Commentaire :

« Les frères anciens et sagaces ...le porteront à satisfaire humblement ... » « Satisfaire humblement », ainsi les frères anciens aideront le frère excommunié à poser des gestes de réparation ou bien à avoir des attitudes qui expriment son désir de revenir dans la communion des frères. Les frères anciens sont comme les ambassadeurs de l'abbé qui, à son tour, doit mettre tout son zèle pour aller chercher Je frère, ou bien faciliter son retour dans la communion des frères. Elle est belle cette exigence recommandée aux anciens et à l'abbé d'aller au-devant du frère. Mais pour l'aider à faire un pas dans l'humilité, cela demande beaucoup d'humilité à ceux qui vont à sa rencontre. Nous sortons du donnant-donnant. II y a toujours la crainte de se faire rembarrer ou encore d'être maladroit et donc d'être contreproductif. Cette démarche comparée au bon pasteur de l'évangile nous parle de la miséricorde du Christ lui-même. II s'est fait doux et humble de cœur, au point de se mettre en recherche de chacun de nous, ou encore de s'abaisser pour nous laver les pieds, Lui de riche qu'il était.... Seul le Christ peut nous apprendre cette humilité qui pem1ettra au frère excommunié de s'ouvrir peut-être à son tour à l'humilité. Il nous faut contempler Je Christ dans la prière, lui demander son aide. et aussi nous exercer les uns et les autres à faire le premier pas.

En effet, nous faisons tous l'expérience de situations où la communion avec un frère est distendue, voire rompue à la suite d'un malentendu, d'un mot de trop ou d'une querelle plus sérieuse. En nous-mêmes, nous pouvons entendre deux discours : le premier qui peut rouler en boucle du genre : « de toute façon, c'est lui qui a commencé, donc à lui de faire Je premier pas... je ne m'abaisserai pas». Et puis Je second plus discret et cependant tenace: « c'est bête d'être ainsi en froid ou en rupture, et la relation avec ce frère est plus importante que mon orgueil. .. et faire un geste me rendra heureux et plus libre... » Dans la balance, c'est toujours l'humilité qui a Je plus de poids. Car elle est du côté du réel, de l'humus. Non seulement elle me libère de mon orgueil, caché sous des apparences très louables, mais l'humilité permet souvent à l'autre de sortir de son mutisme et de faire tomber les murailles derrière lesquelles il s'est retranché. Oui, frères, osons les uns et les autres, à la place où nous sommes, osons faire le premier pas vers l'autre avec lequel nous sommes en froid. Croyons en cette vie possible pour nous et pour Je frère, la communion vaut bien ce renoncement à notre orgueil. ...

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 26 v 01-02 De ceux qui entrent en rapport avec les excommuniés sans permission. écrit le 15 juillet 2021
Verset(s) :

1. Si un frère se permet, sans permission de l'abbé, d'entrer en rapport avec un frère excommunié de n'importe quelle façon, ou de lui parler ou de lui faire parvenir un message,

2. il subira une peine d'excommunication similaire.

Commentaire :

« Sans permission» ... Le cas exposé ici, d'un frère qui se joint à un frère excommunié, part peut-être d'une bonne intention, celle de consoler le réprouvé. Mais elle est inappropriée car elle vient dans le cas présent brouiller les cartes. La discipline de l'excommunication demande en effet un strict respect de la séparation imposée au frère excommunié pour l'engager sur un chemin de conversion.

Il peut arriver aujourd'hui encore, dans des domaines très divers que l'on fasse des choses ou qu'on prenne des initiatives sans permission. Selon les cas, cela peut entrainer des difficultés, parfois des imbroglios qui nécessitent du temps pour récupérer les dégâts causés... Le mot « permission » ne sonne pas très bien à nos oreilles. Car il peut être entendu de façon infantile pour se réduire à l'alternative « du permis et du défendu »... alternative qui peut réveiller en chacun des souvenirs plus ou moins heureux de limites imposées et mal vécues dans l'enfance. En fait le mot latin « iussio » peut être aussi être traduit par « ordre ou commandement». Aussi la question : « ai-je la permission? » peut-elle devenir : « suis-je envoyé, ai-je reçu mandat ou un commandement pour faire cela ou non? Poser ainsi la question nous replace tous dans la conscience vive de notre responsabilité dans la vie commune. Suis-je partie prenante des grandes orientations et des décisions prises? Si j'ai reçu mission, il me reviendra d'en rendre compte, d'en répondre. Si je n'ai pas reçu mission, et que je m'engage à faire une chose dont je sais qu'elle sort du cadre communautaire, je peux troubler la vie de la communauté. En effet, chacun de nous par le lien de la profession engage toujours plus ou moins la communauté, dans tout ce qu'il fait. Aucun de nous peut agir comme s'il était seul au monde, dans une autonomie qui nierait son appartenance au corps communautaire. L'alliance avec la communauté fait désormais partie de l'identité de chacun. J'apprends à être moi-même en faisant tout ce que je fais, avec et pour la communauté. Ce lien fort peut apparaitre contraignant aux yeux de notre mentalité imprégnée d'individualisme. Il vient en effet contrecarrer mes illusions de toute puissance, comme si je pouvais exister seul par moi-même. Finalement cette alliance avec la communauté est une chance pour déployer une ouverture incessante à d'autres points de vue. Dans la confrontation à d'autres visions des choses,je peux devenir vraiment moi-même, un être fait non pour l'isolement, mais pour la communion.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 25 v 01-06 Des fautes graves. écrit le 14 juillet 2021
Verset(s) :

1. Quant au frère qui est coupable de faute grave, il sera exclu à la fois de la table et de l'oratoire.

2. Aucun frère n'entrera aucunement en rapport avec lui sous forme de compagnie ou d'entretien.

3. Qu'il soit seul au travail qu'on lui aura enjoint, persistant dans le deuil de la pénitence, sachant cette terrible sentence de l'Apôtre :

4. « Cet homme-là a été livré à la mort de la chair, pour que son esprit soit sauf au jour du Seigneur. »

5. Quant à la nourriture de son repas, il la prendra seul, dans la mesure et à l'heure que l'abbé aura jugées convenables pour lui.

6. Personne ne le bénira en passant, pas plus que la nourriture qu'on lui donne.

Commentaire :

Ce chapitre de St Benoit offre une interprétation intéressante de la citation de Paul, cette

« terrible sentence» par laquelle il demande qu'un homme coupable de vivre avec la femme de son père, soit « livré à Satan pour la perte de sa chair, afin que l'esprit soit sauvé au jour du Seigneur» (1 Co 5,5). Phrase énigmatique qui, selon la note de la BJ, pourrait signifier qu'un tel homme est « privé du soutien de l'Eglise des saints et dès lors, exposé au pouvoir que Dieu laisse à son Adversaire)) Satan... St Benoit reprend à son compte cette citation pour éclairer le but de la solitude imposée au frère excommunié pour faute grave. Mais il enlève le mot

« Satan ll. La phrase devient : « cet homme-là a été livré à la mort de la chair pour que son esprit soit sauf au jour du Seigneur ll. Autrement dit, le frère qui doit rester seul pour ses repas, et à part à l'oratoire, n'est pas «livré» à Satan, mais « à la mort de la chair)). La simple omission du mot Satan, redonne tout son poids à l'expression « la mort de la chair » présente aussi chez Paul, mais alors difficile à comprendre. Le frère excommunié est « livré à la mort de la chair». On peut comprendre au sens propre qu'il doit vivre une «mortification», une situation qui le fait mourir en sa chair. Le mot « chair '> peut être entendu d'abord en sa dimension personnelle et concrète en ce qu'il va davantage jeûner, mais aussi en sa chair, entendue en sa dimension communautaire, en ce que la solitude imposée vient faire mourir son lien avec les autres. Ce frère est blessé ou mortifié en sa chair entendue personnellement communautairement. Va-t-il enfin comprendre et expérimenter les dommages que ses fautes ont causé au corps communautaire ?

Par contraste, on peut comprendre la profondeur de la communion qui nous lie les uns autres. Elle nous wlit dans un sort commun, dans un même projet où l'on partage tout, les repas, la prière, mais aussi les biens nécessaires pour vivre, le temps donné, la parole échangée. Cette communion a besoin de se ressourcer sans cesse à des paroles vives échangées entre nous, des paroles vraies et justes par lesquelles chacun se donne simplement aux autres et se reçoit d'eux. Cette communion toujours en recherche de son accomplissement nous révèle les uns aux autres avec nos fragilités et nos faiblesses. Consentir à être connu comme nous sommes, sans se cacher ni se rebiffer lorsque nos petits côtés sont mis au jour. La communion vraie entre nous accepte de porter les parts plus ombreuses que chacun lui confie. Elle supporte mal à l'inverse, l'attitude hautaine ou double qui se déroberait à l'affection fraternelle, par peur d'apparaitre tel quel avec sa fragilité. Le frère excommunié n'est-il pas le type du frère qui n'a pas consenti à être avec sa fragilité au milieu de ses frères ?