vendredi 7 novembre 2025 : journée de solitude pour la communauté
(eucharistie vers 6h45, juste après Laudes). 

Commentaires sur la Règle



Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 72, 10-11 : Du bon zèle que doivent avoir les moines écrit le 08 novembre 2025
Verset(s) :

10. ils affectionneront leur abbé d'une charité sincère et humble ;;

11. « ils ne préféreront absolument rien au Christ. ;»

Commentaire :

Comme je l’ai fait pour les précédentes recommandations sur le bon zèle, je crois que les deux que nous avons entendues s’éclairent bien mutuellement. En effet, affectionner l’abbé d’une charité humble et sincère, n’est possible que si au plus profond de notre cœur on ne préfére rien au Christ… Et notre préférence pour le Christ dans la vie monastique se manifestera plus particulièrement dans la capacité à aimer vraiment l’abbé sous l’autorité duquel on choisit de se placer librement.

Aimer l’abbé : l’amour dont il s’agit n’est pas d’abord affectif, de l’ordre de la sympathie ou des atomes crochus…ni moins encore parce qu’il n’y a pas de problème de relation entre lui et moi. Non, l’amour, « la charité humble et sincère » que recommande Benoit se nourrit de la foi. En l’abbé, en ses paroles, on croit que le Christ veut et a quelque chose à me dire. Aimer l’abbé pourra se vivre ainsi même sans grands sentiments apparents, ni grandes capacités de relations spontanées, mais à travers une obéissance qui, sans être servile, désire toujours, à travers l’abbé, rejoindre le Christ. Nous touchons ici la profondeur et la force de l’amour « agape » que traduit bien le mot « caritas » qui est utilisé par Benoit ici. Cet amour humble et sincère de l’abbé est vraiment un fruit du bon zèle, c’est-à-dire de l’Esprit Saint. Car Lui seul peut nous entrainer sur ces voies alors que bien de traits de la personne de l’abbé peuvent nous indisposer ou simplement ne pas nous parler.

Ne rien préférer au Christ : c’est le mettre en premier dans notre vie, dans le désir qu’il conduise vraiment notre vie personnelle. Il est le Maitre, le Bon Pasteur qui nous guide et nous montre le chemin à suivre jusqu’au plus intime de notre cœur. En choisissant de vivre sous le vœu d’obéissance, nous décidons (et non ne subissons) de nous mettre vraiment à l’écoute du Christ, à travers les médiations qu’il a placées sur notre route. L’abbé en est une essentielle. Non pas parce qu’il aurait quelque chose en plus que les autres, mais simplement parce qu’il lui a été confié par ses frères, cette charge de conduire la communauté. A travers lui, en écoutant sa parole dans le désir de rejoindre celle du Christ, c’est le Christ qu’on préfère, qu’on met à la première place. Cette préférence n’est pas aveugle. Elle s’enracine et se déploie dans le fait que l’abbé lui-même obéit à la Règle et aux Constitutions et qu’il cherche avec chacun à se mettre à l’écoute de la volonté du Christ. Désirer toujours préférer le Christ devient une source d’énergie dans la relation d’obéissance à l’abbé. Car le Christ n’est-il pas celui que nous avons reconnu comme pouvant nous conduire vers la vraie Vie ?

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 72, 8-9 : Du bon zèle que doivent avoir les moines écrit le 24 octobre 2025
Verset(s) :

8. ils pratiqueront la charité fraternelle avec désintéressement ;;

9. avec amour ils craindront Dieu ;

Commentaire :

De nouveau, il me semble que ces deux manifestations du bon zèle peuvent se lire ensemble pour s’éclairer mutuellement. Dans chacune, il y a un même équilibre qui est tenu de manière subtil.
Ainsi pour le premier : « ils pratiqueront la charité fraternelle chastement ». A la fois, il s’agit de s’aimer comme des frères, et à la fois, cet amour doit être chaste. Subtil équilibre, et pourtant bienfaisant équilibre aussi. Car l’amour peut-il fondamentalement exister s’il n’est pas chaste ? Aimer veut dire se donner, pouvoir s’épauler entre frères dans une affection pleine de confiance. Chastement, apporte une note de retenue et de respect, de juste distance qui est au service de la profondeur et de la justesse de la relation.
De même, on retrouve cet équilibre dans la recommandation : « avec amour, ils craindront Dieu ». Spontanément, on a du mal à mettre ensemble, amour et crainte de Dieu. Ici, l’insistance semble même être mise sur la crainte qui serait première et devrait être corrigée par l’amour. « Avec amour, ils craindront Dieu ». Cette recommandation est là pour nous aider, si nous sommes tentés de l’oublier, à considérer que la crainte de Dieu n’est pas la peur de Dieu. Mais elle est bien plutôt ce profond respect qui garde la conscience que Dieu est Dieu, et que devant lui et sans lui, nous ne sommes que néant. De cet état de fait et de foi, notre situation dans l’univers est une métaphore parlante. Face aux milliards de galaxie qui composent notre univers, l’homme est une infime poussière, et sa puissance très très relative. La crainte de Dieu voudrait cultiver en nous ce sens de notre condition infinitésimalement petite.

Cependant depuis qu’en Jésus, Dieu s’est approché de nous, la profondeur de son mystère s’est révélée d’une toute autre manière, non pas dans le registre de l’infiniment grand, mais dans celui de l’infiniment aimant. En Jésus, il n’est plus possible de craindre seulement Dieu, encore moins d’avoir peur de lui, au risque de l’offenser. En Jésus, l’alliance avec Dieu s’est renouvelée et approfondie à tel point qu’elle nous entraine à oser entrer dans une relation vivante très aimante de notre Dieu. Le commandement « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force » prend une densité nouvelle. En Jésus, il nous est donné d’oser aimer Dieu dans une confiance non seulement filiale, mais aussi amicale. « Je ne vous appelle plus serviteur mais amis ». L’approfondissement biblique de ces dernières décennies, le contact de plus en plus naturel et fréquent avec les Ecritures qui a été facilité depuis le Concile, mais aussi l’enseignement des papes comme l’encyclique sur la « Miséricorde Divine » de Jean Paul II, « Dieu est Amour » de Benoit XVI, et « Il nous a aimé » de François et « Il t’aime » de Leon XIV, nous apprennent à entrer dans une familiarité toujours plus simple, filiale et amicale avec notre Dieu.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 72, 6-7 : Du bon zèle que doivent avoir les moines écrit le 23 octobre 2025
Verset(s) :

6. ils s'obéiront à l'envi ;

7. personne ne recherchera ce qu'il juge être son avantage, mais plutôt celui d'autrui ;;

Commentaire :

Ces deux recommandations s’éclairent bien l’une l’autre. L’une en une forme positive met en avant une obéissance très fervente qui devance la demande de l’autre à l’envi, dans une sorte d’empressement. L’autre en une forme négative recommande de ne pas chercher son avantage, mais toujours celui d’autrui. La première fait pressentir un bonheur profond qui consiste à obéir, non par une forme d’obligation, mais par amour, par désir de faire du bien à l’autre. La seconde met l’accent sur l’oubli de soi. Là où le quotidien peut vite nous rattraper pour nous centrer sur nos soucis, si légitimes soient-il, le moine est invité à ne pas se laisser enfermer par eux. Pas d’abord son intérêt mais celui des autres.
Nous avons tous sous les yeux des exemples de frères ou de personnes qui vivent cela, à tel point qu’on n’a pas de peine à les approcher. On le sait, si on leur demande quelque chose, qu’ils nous accueilleront bien. Avec eux, aucune crainte de réflexions plus ou moins acerbes, ni même de mouvement de retenue qui est comme un rempart infranchissable. Et ces personnes sont si heureuses de rendre service, de venir en aide, qu’elles ne s’estiment en rien victimes ni ne se plaignent qu’on les considère comme corvéables à merci. De telles personnes sont des cadeaux pour une communauté ou pour n’importe quel groupe humain.

Comment devenir nous-mêmes des cadeaux pour nos frères pourrait-on se demander ? Comment vivre ce don de soi avec le sourire, sans rechigner, sans faire sentir aux autres le poids de notre générosité, sans mauvaise résignation non plus ? Y-a-t-il une recette ? C’est certainement une grâce à demander que de se décentrer de soi, de ses soucis pour ne pas les laisser limiter et rétrécir notre horizon intérieur, à un point tel qu’on supporte mal d’être dérangé ou d’être appelé à donner encore… Nous sommes tous des petits avec nos limites. Seul l’Esprit Saint peut nous aider à élargir notre cœur… à le sortir du tunnel dans lequel il peut si souvent se réfugier. A chacun, il revient aussi de veiller sur ses réactions spontanées, à ne pas s’habituer, encore moins à se justifier, par rapport à ses mouvements d’humeur, d’impatience, comme si c’était normal… Oui, cette douce autocritique peut nous alerter sur nos tendances égoïstes et autocentrées qui ne permettent pas à mon frère d’entrer dans mon espace. Bien sûr, parfois il y a des limites qu’il faut pouvoir respecter et faire respecter. Mais si on cherche avant tout l’intérêt de l’autre, on saura alors le dire et le faire comprendre sans faire peser sur l’autre une quelconque culpabilité. Que le Seigneur nous vienne en aide !

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 72, 3-5 : Du bon zèle que doivent avoir les moines écrit le 17 octobre 2025
Verset(s) :

3. Tel est donc le zèle que les moines pratiqueront avec un ardent amour ;:

4. ils « se préviendront d'honneurs mutuels » ;

5. ils supporteront sans aucune impatience leurs infirmités corporelles et morales ;;

Commentaire :

Voici une manière d’entretenir le bon zèle, la bonne énergie pour que, et notre moteur ou réacteur personnel et notre réacteur communautaire fonctionne bien : se prévenir d’honneurs mutuels et supporter les infirmités corporelles et morales…
Si on reprend l’image du réacteur nucléaire, voilà deux combustibles de haute valeur, très enrichi ! Et que faut-il pour que ces deux combustibles soient toujours opérant ? Cela demande à chacun de nous beaucoup de connaissance de soi-même pour être capable de prendre distance par rapport à des attitudes ou des traits de caractères qui nous gênent spontanément chez les autres. Oui, car le problème, s’il y en a un, n’est pas d’abord chez les autres, mais il est chez moi. Pourquoi l’autre devrait-il être comme je voudrais qu’il soit ? Pourquoi devrait-il changer ? Le premier qui doit changer, c’est moi. Changer mon regard en cherchant peut-être à comprendre pourquoi le frère réagit comme cela. Changer mon énervement en patience en considérant mes propres incohérences et zones ténébreuses. Je ne suis peut-être pas faible sur le point qui m’énerve chez le frère (et encore à vérifier, car la poutre n’est jamais loin dans mon oeil), mais j’ai en tout cas d’autres points de faiblesse qui énervent sûrement mes frères.

Honorer l’autre et supporter ses faiblesses, c’est ensuite demander la grâce d’entrer dans un regard toujours plus profond et plus aimant, à la manière du regard que le Christ porte sur lui, sur chacun. Car le Christ, à notre différence, ne regarde pas d’abord les faiblesses et les aspects anguleux de nos personnalités. Il regarde le cœur de l’enfant qui, jeté dans la vie, a appris de la vie qui l’a façonné au gré des évènements heureux comme des épreuves et des difficultés. Fruit d’une histoire plus ou moins éprouvée, voire blessée, le Christ nous regarde avec confiance et espérance en notre humanité en travail jamais achevé. Et son regard est toujours appel à grandir et à nous relever. En nous honorant mutuellement, nous apprenons à poser sur le frère ce regard du Christ, pour lui signifier qu’il est bien plus grand que sa maladresse, que son handicap, ou encore que son infidélité. En supportant l’infirmité corporelle et moral du frère, nous devenons aujourd’hui des instruments du salut que le Christ a initié par son incarnation et par sa passion en portant nos maladies et notre péché. Oui, frère, soyons vigilants dans les pensées de notre cœur pour ne pas laisser les jugements ou les critiques obscurcirent notre regard. Et si cela survient, demandons-en pardon sans tarder au Seigneur pour que ces pensées ne laissent pas des traces nocives, d’inutiles fumées.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 72, 1-2 ; Du bon zèle que doivent avoir les moines écrit le 16 octobre 2025
Verset(s) :

1. S'il existe un zèle mauvais et amer qui sépare de Dieu et conduit en enfer,

2. il existe aussi un bon zèle qui sépare des vices et conduit à Dieu et à la vie éternelle.

Commentaire :

Zèle mauvais et amer, bon zèle… Le mot zelus en latin vient du grec zelos. Ce mot à l’origine veut dire « ébullition ». Par suite, il a signifié « ardeur, zèle », mais aussi « émulation rivalité », jusqu’à pouvoir désigner de manière négative, « la haine et la jalousie ». Comme le suggère St Benoit, qu’on le veuille ou non, il y a en nous du zèle, de l’ébullition. Et tant mieux, car il s’agit de l’ardeur à vivre. Si elle manque au contraire, nous pouvons devenir déprimé, dépressif ou atonique. Une psychanalyste lors d’une session pour les abbés nous avait parlé de ce « chaudron brûlant » qui est en nous comme le moteur fondamental qui nous met en mouvement. Avec ce chaudron, elle désignait en particulier toute notre énergie sexuelle et affective nourrie depuis notre enfance par toutes les expériences relationnelles d’être aimé et d’aimer. Cette énergie est notre potentiel, un potentiel de désir d’aimer et de tisser des relations, pour avancer dans la vie et pour déployer la vie en nous et pour le monde. Ce chaudron, on peut le considérer sous l’angle psychologique, pour le reconnaitre à l’œuvre dans notre manière de vivre nos relations, avec nos frères comme avec tous les hommes et les femmes que nous rencontrons. Il va se réveiller, et parfois devenir explosif sous le coup d’une forte émotion qui peut être liée à une agression qui fait mal ou à une expérience très heureuse, comme par ex lorsqu’on vit une amitié… Cette énergie vitale se réveille et peut prendre beaucoup de place tout d’un coup. Il n’y a pas à s’en étonner, car peut-être la forte émotion ressentie vient toucher des points plus sensibles ou plus fragiles qui ont trait à notre histoire. Il est important en de tel moment de ne pas rester seul, de pouvoir parler, chercher à comprendre ce qui se passe sous le regard d’un autre… Car cette énergie est à notre service, et comme moine au service de notre vie de moine. L’enfouir, vouloir l’oublier est peine perdue. On n’étouffe pas un volcan. Mais pouvoir la regarder, la parler, sera le meilleur moyen de canaliser cette énergie pour qu’elle renouvelle notre existence. Du point de vue spirituel, ce même chaudron est illuminé et nourri par l’Esprit Saint qui habite en nos cœurs. L’Esprit est alors notre Maitre intérieur pour nous entrainer à orienter toute notre énergie au service de notre propos de moine et de l’évangile. Dans le combat qui se joue parfois contre les attaques de l’Ennemi, il est notre Défenseur pour ne pas laisser des pensées et des passions s’installer, devenir une énergie illusoire : énergie de la colère ou de la violence, énergie de la tristesse et du découragement, énergie du désir de posséder ou de jouir de l’autre pour soi… En nous offrant les instruments du bon zèle que nous parcourrons dans les prochains jours, St Benoit nous offre comme un bouclier, des repères pour ne pas laisser ces fausses énergies nous tromper.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 71 : Que l’on s’obéisse mutuellement écrit le 15 octobre 2025
Verset(s) :

1. Ce n'est pas seulement envers l'abbé que tous doivent pratiquer le bien de l'obéissance, mais en outre les frères s'obéiront mutuellement,

2. sachant que par cette voie de l'obéissance ils iront à Dieu.

3. Aussi, mis à part les ordres de l'abbé ou des prévôts qu'il institue, ordres auxquels nous ne permettons pas que l'on préfère ceux des particuliers,

4. pour le reste tous les inférieurs obéiront à leurs anciens en toute charité et empressement.

5. Si quelqu'un est pris à contester, on le réprimandera.

6. De plus, si un frère reçoit une réprimande quelconque de l'abbé ou de n'importe lequel de ses anciens pour quelque raison que ce soit, si mince qu'elle puisse être,

7. et s'il sent que l'esprit de n'importe quel ancien est légèrement irrité contre lui ou ému si peu que ce soit,

8. aussitôt et sans délai il se prosternera à terre et fera satisfaction, étendu à ses pieds, jusqu'à ce qu'une bénédiction vienne calmer cette émotion.

9. Celui qui refuse de faire cela, on lui infligera un châtiment corporel, ou bien, s'il est obstiné, on le chassera du monastère.

Commentaire :

« Ce n’est pas seulement envers l’abbé que tous doivent pratiquer le bien de l’obéissance, mais en outre les frères s’obéiront mutuellement ». Le bien de l’obéissance… L’obéissance comme un bien (bonum), et un bien qui se pratique. St Benoit vient nous ouvrir une porte sur une manière d’être nouvelle, tellement nouvelle qu’elle vient toujours nous prendre à rebrousse-poil… En effet, dans notre être le plus païen sommeille l’idée que l’obéissance n’est surtout pas un bien. Et notre culture moderne qui exacerbe la liberté et l’autonomie individuelle ne peut que nous renforcer dans cette conviction. En quoi l’obéissance est-elle un bien ? et l’obéissance mutuelle entre frère ?

Dans la vie quotidienne, nous pouvons l’expérimenter de manière assez simple lorsque nous faisons une activité commune dans laquelle chacun a son rôle à jouer. Par exemple, dans le desservice, ou pour la mise en bouteille de la frênette. Si l’un en vient à n’en faire qu’à sa tête ou veut imposer son rythme trop lent ou trop rapide, la coordination des différentes actions devient impossible. Tous en pâtissent et vont être mécontents. A l’inverse, quand chacun tient bien sa place, une vraie joie se dégage pour chacun et pour tous d’avoir conduit une action commune dans laquelle chacun a pu donner le meilleur de lui-même. En faisant cela, chacun a appris à obéir, non seulement à la règle du travail ou du jeu, mais aussi à entrer dans le rythme commun, en se rendant attentif au frère qui est avant lui ainsi qu’à celui qui le suit. Cette expérience très simple du travail commun fait entrevoir que l’obéissance est vraiment un bien. Elle contribue à la paix de tous et de chacun. Elle permet de faire une œuvre commune que personne n’aurait pu assumer seul.

Il en va de même dans « l’œuvre de la vie commune » à accomplir chaque jour, cette œuvre de paix, de concorde dans le respect mutuel. Ici, la règle du jeu est donnée par l’horaire ou par les coutumes. Mais souvent, le quotidien nous réserve aussi beaucoup d’improvisations. Être patient pour ne pas réagir face à un geste maladroit d’un frère. Être ouvert à un service imprévu qui m’est demandé. Etre accueillant pour écouter un frère ancien ou qui a besoin de plus de temps pour s’exprimer… De pleins de manière, il nous est donné de vivre le bien de l’obéissance mutuelle, le bien de notre disponibilité à l’autre, le bien du décentrement de soi… Et ce bien est un baume pour ceux qui en bénéficient parfois sans s’en rendre compte. Mais ce bien est aussi un grand bienfait pour celui qui obéit, patiente, écoute, accueille, car il découvre qu’il y a une joie bien plus grande à se laisser faire par les autres et par les évènements, qu’à vouloir tout maitriser et tout ordonnancer comme si toute la réalité dépendait de lui.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 70 : Qu’on ne se permette pas de frapper à tort et à travers écrit le 10 octobre 2025
Verset(s) :

1. On évitera, au monastère, toute occasion de présomption,

2. et nous décrétons que personne n'aura le droit d'excommunier ou de frapper aucun de ses frères, s'il n'en a reçu pouvoir de l'abbé.

3. Mais « on reprendra les coupables en présence de tous, afin de faire peur aux autres. ;»

4. Quant aux enfants jusqu'à l'âge de quinze ans, tous auront soin de les maintenir dans l'ordre et les surveilleront,

5. mais en toute mesure et raison.

6. Si quelqu'un se permet quoi que ce soit contre un adulte sans instructions de l'abbé ou s'emporte sans discrétion contre des enfants, il subira les sanctions de règle,

7. car il est écrit : « Ce que tu ne veux pas qu'on te fasse, ne le fais pas à autrui. ;»

Commentaire :

La seule présence de ce chapitre dans cette partie de la règle, propre à St Benoit et dans laquelle il rassemble des sujets qui lui tiennent à cœur sur la vie fraternelle, en dit long sur la possible violence qui peut toujours surgir dans une communauté. Si on n’y prend garde, elle peut vite prendre le dessus dans les rapports fraternels… Que veut dire dès lors prendre garde ?

Tout d’abord, comme en ce chapitre, prendre garde c’est pouvoir redire qu’il y a des lignes infranchissables, que des gestes et des paroles violentes ne sont pas tolérables dans une vie commune. S’ils adviennent, ils sont toujours illégitimes. Redire cela au 21°s semble étonnant dans nos sociétés démocratiques qui prônent tellement la tolérance et les droits de chacun. Mais malheureusement, le vent qui souffle des USA depuis quelques mois, nous invite à être vigilants. Par des paroles irresponsables et irrespectueuses des autres, le chef d’un grand état est en train de nous habituer à la démagogie et à la violence comme mode normal de relation entre les humains. Son exemple semble faire tâche d’huile sur d’autres dirigeants.
Ne pas donner droit de cité à la violence dans notre vie commune, c’est à l’inverse donner toute sa belle place à des relations qui savent prendre les formes, dans la manière de parler comme dans la manière de vivre. Veiller à une élémentaire politesse. Cultiver l’attention à l’autre, être prévenant en pensant à l’autre avant de penser à soi, à table par ex, en sachant s’effacer dans un passage étroit etc… sont autant de façon de désamorcer la violence. Car chacun peut alors légitimement se sentir respecté et aimé de ses frères. Les paroles brutales voire vulgaires sont à proscrire entre nous. Nous ne sommes pas des « bourrins », pour reprendre un terme peu élégant de l’armée…

Mais si nous nous connaissons un peu nous-mêmes, nous découvrons deux choses. La première est que la violence n’est jamais loin en notre propre cœur, et qu’elle peut vite surgir sous forme de colère si une offense ou une injustice vient nous piquer. Et la seconde chose est que vivre une vie commune où j’essaie de faire passer l’intérêt de l’autre avant le mien, ce qui est un gage de paix, cela me demande de me faire violence à moi-même. Il s’agit alors de lutter contre la préoccupation autocentrée spontanée, comme si j’étais le centre du monde. Cela me demande aussi de me désarmer dans mes prétentions à avoir le dernier mot ou à garder la tête haute. En ce jour, où nous faisons mémoire de la passion du Seigneur, il nous faut le regarder et lui demander cette grâce de vivre désarmé, libéré de toutes mes volontés d’en découdre avec un frère ou de m’imposer. C’est en se laissant désarmé jusqu’à la nudité sur la croix, que le Christ nous a libérés de l’emprise de la violence et du mal. Qu’Il nous prenne en pitié.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 69 : Qu’on ne se permette pas au monastère de défendre un autre écrit le 09 octobre 2025
Verset(s) :

1. Il faut prendre soin que personne au monastère, en aucune occasion, ne se permette de défendre un autre moine ou de lui servir comme de protecteur,

2. même s'ils sont unis par un lien de parenté quelconque.

3. Les moines ne se le permettront d'aucune manière, car cela peut être l'occasion de conflits très graves.

4. Si quelqu'un transgresse ce point, on le châtiera rigoureusement.

Commentaire :

Comment se soutenir entre frères ? Telle pourrait-être la question positive sous-jacente à ce chapitre. Ici Benoit met en avant une mauvaise manière de se soutenir : celle de prendre parti, dans un esprit d’opposition pour défendre un frère, ou pour « lui servir de protecteur », « même s’ils sont unis par un lien de parenté ». Ce soutien-là risque trop d’être animé par un esprit partisan. Si ce genre de posture se développe entre les frères, la communauté pourrait vite devenir le théâtre de « conflits très graves » entre plusieurs groupes de frères.

Et pourtant, il est légitime de se soutenir entre frères. Quelle est la différence entre ce soutien fraternel bénéfique et la défense d’un frère faite dans un esprit partisan ? Soutenir un frère se fera toujours en gardant à l’esprit que le bien du frère a partie liée avec celui de la communauté, et non contre elle ou un groupe de frères. S’il s’agit de le défendre parce qu’il aurait subi une injustice, cela se fera en en parlant au supérieur ou à un frère davantage concerné. Ici, il s’agira moins de faire chorus avec le frère contre les autres que d’aider peut-être les autorités à voir quelque chose qu’elles n’auraient pas vu. La bonne défense d’un frère consistera toujours à l’aider à trouver sa juste place dans la communauté, et non à le flatter dans ses erreurs ou ses errances. De même soutenir un frère consistera à aider la communauté à lui donner pleinement sa place, en acceptant de changer son regard sur le frère. La parole est ici essentielle, une parole qui cherche ensemble avec les autres, et non une parole qui invective dans la conviction qu’elle a raison et que les autres ont tort.

Soutenir un frère pourra vouloir dire être plus proche, voire tisser un lien d’amitié. Un lien, non établi pour ruminer ou murmurer contre les autres, mais pour s’entraider à avancer dans la vie monastique. Dès lors ce lien n’aura rien d’un esprit partisan qui pourrait conduire à la constitution de clans dans la communauté, si chacun reste conscient et désireux de vivre cette relation sous le regard du Seigneur et dans la clarté avec l’abbé ou le père spirituel. Le lien d’amitié et de relation fraternelle plus simple peut permettre une entraide où l’on se parle en vérité, pour progresser dans la recherche de Dieu et de plus justesse dans la vie commune. Loin d’être un obstacle, cette relation deviendra une source d’énergie pour la communauté qui sera entrainée vers le meilleur d’elle-même. Nous n’avons pas fini de déployer la richesse des possibilités de notre vie fraternelle, avec prudence car elle ne sera jamais contre d’autres frères, et avec discernement car c’est le Seigneur qu’on désire toujours mieux servir.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 68 : Si l’on enjoint à un frère des choses impossibles écrit le 08 octobre 2025
Verset(s) :

1. Si l'on enjoint à un frère des choses pénibles ou impossibles, il recevra l'ordre de celui qui commande en toute douceur et obéissance.

2. S'il voit que le poids du fardeau excède absolument la mesure de ses forces, il représentera à son supérieur, patiemment et opportunément, les raisons de son impuissance,

3. sans orgueil ou résistance ni contradiction.

4. Si, après ses représentations, l'ordre du supérieur se maintient sans qu'il change d'avis, l'inférieur saura qu'il est bon pour lui d'agir ainsi,

5. et par charité, confiant dans le secours de Dieu, il obéira.

Commentaire :

Une fois n’est pas coutume, avec le P. Adalbert de Vogüé, je voudrais ce matin faire ressortir la richesse de ce chapitre qu’il présente comme « l’un des passages les plus caractéristiques et les plus précieux de la RB » (in La communauté et l’Abbé, p 461). Il relève que ce chapitre trouve sa source la plus probable dans la Règle de Basile 69. Le chapitre 69 aborde la question : « Est-il permis à chacun de refuser le travail assigné et d’en chercher un autre ? » St Basile répond : « Puisque, comme il a été dit, la mesure de l’obéissance va jusqu’à la mort, celui qui refuse le travail assigné et en cherche un autre, celui-là, tout d’abord, enfreint l’obéissance et il est clair qu’il n’a pas renoncé à lui-même. Ensuite, il devient tant pour lui-même que pour les autres, cause de nombreux maux, car il ouvre à beaucoup la porte de la contestation et lui-même s’y habitue ». Et st Basile conclue un peu plus loin : « En somme, ne pas obéir est la racine de maux nombreux et considérables. Si, cependant, il pense avoir une raison de refuser un travail qu’il la fasse connaitre aux supérieurs et remette cela à leur discernement » (in Basile, Petit Recueil ascétique, Bellefontaine, 2013, p 216). P. Adalbert commente : « Basile se contentait d’établir que l’obéissance est sans limite, et qu’après avoir exposé ses difficultés, l’inférieur devait s’en remettre à la décision du supérieur…Ce qu’on ne trouve pas chez lui, ce sont les indications sur la façon de recevoir l’ordre, d’exposer ses doléances, et de se soumettre finalement ; c’est une pédagogie qui prend le moine par la main et le conduit de bout en bout de l’épreuve ; c’est ce souci éducatif qui fait entrer dans le détail des attitudes et des sentiments afin de tout sanctifier » (ibid p 462). Un peu plus loin relevant que les différences avec la règle du Maitre qui aborde la question de manière indirecte, P. Adalbert poursuit : « La RB traite la question d’un tout autre point de vue, qui est celui de l’inférieur. Au frère tenté d’éluder l’obéissance, elle trace une ligne de conduite qui le fera cheminer dans la douceur et la patience, jusqu’à l’exécution héroïque de l’ordre « impossible », par amour de Dieu » (ibid). Et le P. Adalbert de conclure : « Sans rien retrancher de la doctrine de l’obéissance, la RB l’a humanisée et mise à notre portée. Un moment nouveau - la suggestion - s’est introduit dans le schème de l’obéissance et confère à celle-ci une valeur plus haute, celle de l’acte accompli en pleine lumière, le supérieur et son subordonné agissant tous deux désormais en connaissance de cause. Une considération nouvelle, celle de la subjectivité du moine et de l’impossibilité ressentie par lui, nuance et enrichit le thème de l’obéissance. Elle donne lieu à un approfondissement psychologique, à un effort éducatif qui prend pour point de départ les répugnances intimes et qui les fait tourner au profit spirituel du moine » (ibid).

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 67 : Des frères envoyés en voyage. écrit le 07 octobre 2025
Verset(s) :

1. Les frères qui vont partir en voyage se recommanderont à l'oraison de tous les frères et de l'abbé,

2. et à la dernière oraison de l'œuvre de Dieu, on fera toujours mémoire de tous les absents.

3. Quant aux frères qui reviennent de voyage, le jour de leur retour, à toutes les heures canoniales, quand s'achève l'œuvre de Dieu, ils se prosterneront sur le sol de l'oratoire

4. et demanderont à tous de prier en raison de leurs manquements, de peur de s'être laissé prendre en voyage à voir ou entendre une chose mauvaise ou une parole déplacée.

5. Et personne ne se permettra de rapporter à un autre tout ce qu'il aura vu ou entendu hors du monastère, car cela fait de très grands ravages.

6. Si quelqu'un se le permettait, il subira le châtiment de règle.

7. De même celui qui se permettrait de sortir de la clôture du monastère et d'aller n'importe où et de faire n'importe quoi, même de peu d'importance, sans l'autorisation de l'abbé.

Commentaire :

Dans les chapitre 50 et 51, Benoit parle aussi des frères qui sont envoyés à l’extérieur pour le travail ou d’autres missions. Il précise alors comment les frères doivent se comporter concernant la récitation de l’office et les repas. Ici, il s’intéresse moins à ce que vivent à l’extérieur les frères envoyés qu’à ce qui se passe à leur départ et à leur retour. C’est-à-dire comment la communauté participe à leur sortie par la prière, et comment le frère doit rester discret sur ce qu’il a vu et entendu. La communauté est convoquée au départ et au retour pour prier pour le frère, mais elle n’est pas sensée savoir ce qu’il a vécu.
Entre le frère envoyé et la communauté, est bien signifiée ici la relation forte qui demeure dans et par la prière. N’est-ce pas le lien fondamental qui nous unit, notre commune vocation de louer Dieu, que l’on soit au monastère ou que l’on soit dehors. Si la communauté prie pour que le Seigneur garde le frère au départ et au retour, le frère est encouragé lui à rester en communion avec la communauté durant son séjour par la récitation de l’office. Même si celle-ci est nécessairement adaptée aux activités qui bousculent souvent la « vérité des heures », il revient à chacun de veiller à demeurer fidèle pour garder des temps de prière. Si cela peut nous en coûter, de nous mettre à l’écart, ou bien de prendre du temps sur d’autres choses, croyons que ce temps donné au Seigneur, loin d’être perdu, nous garde profondément relié à nos frères, ainsi qu’au Seigneur… On pourrait dire aussi, il nous garde relié à notre propre source intérieure.

Vivre ainsi en moine nos sorties, en gardant cette attention intérieure pour ne pas perdre ces rendez-vous de la rencontre avec notre Seigneur, cela nous aidera à reprendre assez naturellement le rythme de la vie communautaire. Nous sommes sortis pour une mission, une formation ou une rencontre qui auront occasionnés parfois quelques extras. Rien de tout cela n’est mauvais, ni nuisible pour nous ou la communauté, si nous avons pu demeurer fidèle à la prière, et si nous avons vécu cela sous la lumière de l’obéissance. Si des tentations peuvent survenir, pouvoir en parler dans l’accompagnement spirituel au retour, permettra de ne pas laisser grandir des herbes sauvages qui peuvent devenir envahissantes pour la vie personnelle. Ayons ce courage-là, il est toujours libérateur. Cette discipline personnelle aidera chacun à partager en communauté ou en groupe, des moments plus forts ou des informations qui peuvent intéresser tout le monde, et nourrir notre intelligence du monde.