11 juillet 2025, solennité de Saint-Benoît : horaires du dimanche (messe à 10h, vigiles la veille à 20h45).

Commentaires sur la Règle



Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 52 ; De l’oratoire du monastère écrit le 02 juillet 2025
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« On aura le respect de Dieu ». Dans ce lieu, où l’on passe des heures chaque jour pour chanter les louanges de Dieu, on mesure avec st Benoit, l’importance de lui garder son caractère propre et une atmosphère de silence… Si st Benoit à la suite d’Augustin prend le soin d’insister sur ce point, c’est qu’effectivement, il pouvait être tentant de faire autre chose dans cet espace, ou tout simplement de prendre l’habitude de parler facilement. Il n’est pas rare, par exemple en période de fondation, que la chapelle serve aussi de chapitre ou de salle communautaire, voire de conférence. Il nous arrive de notre côté d’avoir des concerts dans l’église, ce qui marque une rupture avec son usage habituel. Si nous n’aimons pas multiplier les concerts, c’est en partie pour préserver ce caractère unique.
Mais ces exceptions peuvent avoir aussi leur valeur : celle de nous rappeler que la nature sacrée de notre église, comme d’ailleurs de tout lieu de prière chrétien, n’en fait pas un lieu sacral qui deviendrait intouchable. En effet, l’oratoire, le bâtiment église en général, tient son caractère sacré des deux principaux protagonistes qui s’y rencontrent : Dieu et la communauté chrétienne, non pas de Dieu seul. C’est dans ce sens qu’on peut aussi entendre la fin du chapitre. S’il faut garder le silence et de veiller à préserver le caractère propre du lieu, c’est aussi par respect pour le ou les frères qui désirent prier là. Chacun dans son dialogue personnel avec le Seigneur mérite de ne pas être gêné ou empêché par l’indiscrétion d’autres frères.

Ici, nous pouvons tous faire attention, lorsque pour une raison ou une autre, une visite de l’église ou des travaux à accomplir, nous sommes amenés à parler dans l’église. S’il y a des frères ou des personnes qui sont en prière, soyons attentifs à ne pas parler trop fort comme sur la place publique. Et aidons à cela aussi les ouvriers qui nous accompagnent. Et si par obligation on doit faire du bruit, allons en informer la personne. Cette attention est plus que de la politesse. C’est une compréhension très profonde de la nature du lieu dans lequel nous sommes : le lieu privilégié de la rencontre intime entre le Seigneur et son peuple, entre le Seigneur et chacun de ses enfants. A ce moment, celui qui bouleverse le cadre de recueillement est un intrus. Il serait dommage qu’une personne en prière en vienne à penser que c’est elle l’intrus. Nous pouvons rendre grâce pour notre église et pour tous ceux qui, au fil des années, nous ont permis de l’entretenir, de l’adapter à la liturgie de Vatican II et de l’entretenir. Combien de personnes la reçoivent avec nous comme un lieu privilégié de leur rencontre avec le Seigneur !

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 51 ; Des frères qui ne partent pas très loin. écrit le 01 juillet 2025
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« Un frère qui est envoyé » … Un des aspects importants de notre vie monastique cénobitique est que, lorsque nous sortons, même pour une « commission quelconque » « pas très loin », c’est que nous sommes envoyés. Nous ne sortons pas comme bon nous chante pour aller faire un tour en ville et passer le temps. Nous sommes envoyés par la communauté et pour son service. Ainsi, il est bon de nous rappeler que faire une course ou participer à une manifestation au nom de la communauté, est un envoi. Nous ne sommes pas à notre compte, mais nous demeurons reliés à la communauté et à ses exigences.

Plus profondément, cette sortie peut s’assimiler à un envoi en mission. A l’extérieur, nous poursuivons notre mission de moine au service du Seigneur au cœur de son Eglise. Notre vie à l’extérieur comme à l’intérieur voudrait être au service de la gloire de Dieu, en assurant notre service de prière, en menant la garde du cœur, en vivant ce que nous avons à vivre dans la fidélité à notre propos de simplicité et de sobriété. Il serait dommage qu’une fois franchie la porte du monastère, nous nous considérions comme quitte de tout ce qui fait notre quotidien au monastère. Si la tentation peut survenir en notre cœur, soyons vigilant. Sachons en parler pour ne pas nous installer dans une sorte de double jeu.

Au contraire, nous pouvons vivre ces sorties à la manière de l’abeille qui va butiner un peu plus loin que son périmètre habituel. Comme elle, cette sortie va nous permettre de rapporter des nectars de fleurs, peut-être inconnus. De la sorte, selon l’expression, nous pourrons faire notre miel de toutes les situations rencontrées, pour en retirer le meilleur suc. Ainsi si nous gardons notre cœur en veille pour le Seigneur et pour les autres, nous pourrons être attentifs à des scènes de la vie des hommes que nous ne rencontrons jamais au monastère. Nous pourrons alors nous émerveiller de ce que le Seigneur fait de mille manières pour les humains qu’il aime et qu’il désire rejoindre. Ou à l’inverse, dans des situations pénibles ou à travers des regards croisés qui semblent fermés ou tristes, nous pourrons alimenter notre prière pour ces personnes. Ainsi loin d’être un spectacle qui nous divertit, le monde rencontré lors de nos sorties peut devenir un lieu de contemplation, et nous renforcer dans notre mission de veilleur pour le monde. Veilleur pour rester éveillé nous-même, voire pour éveiller d’autres, à l’amour du Seigneur qui remplit la terre. Veilleur encore pour présenter au Seigneur dans la prière des visages, des situations qui peuvent être lourdes et face auxquels nous ne pouvons qu’offrir notre prière.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 48, 10-21 ; Du travail manuel de chaque jour. écrit le 05 juin 2025
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« Ils vaqueront à la lecture ». Après le travail, ce chapitre mérite qu’on s’arrête à la deuxième activité que Benoit met bien en valeur : la lecture, ou lectio. Cette insistance sur la lecture dénote au regard de la devise communément attribuée aux bénédictins « Ora et Labora ». Lorsque j’étais à Montserrat, j’avais apprécié que le thème du millénaire de l’abbaye l’ait bien mis au contraire en valeur. On pouvait lire sur les affiches une devise ainsi revisitée : « Ora, Lege, Labora, Rege te ipsum in communitate ». Nos frères de Montserrat ont ainsi inséré le « Lege », « lis », en 2de position, entre le traditionnel « Ora et Labora », « prie et travaille », pour mettre en valeur les trois activités principales du moine. Et ils y ont ajouté avec bonheur les mots « Rege te ipsum » « apprends à te conduire toi-même, et « In communitate », « en communauté ». Sont ainsi bien mises en valeurs les deux dimensions de solitude et de communion inhérentes à toute vie cénobitique.

Le premier de ces deux derniers points, Rege te ipsum n’est pas sans lien avec la lectio. Pourquoi le moine est-il fortement invité à lire par saint Benoit ? Si on considère le genre de livres qui étaient disponibles et conseillés, il ne s’agissait pas de lecture de détente, encore moins d’une distraction pour s’évader par l’esprit… Les principaux ouvrages conseillés dans la règle nous indiquent nettement, qu’il s’agisse des Ecritures ou des écrits des pères monastiques (Basile, Cassien, les Pères du désert), que ces lectures ont un but pédagogique. En lisant, le moine est invité à se pénétrer de la parole de Dieu pour mieux comprendre son dessein sur lui, sur le monde, et à mieux connaitre la tradition monastique dans laquelle il choisit de s’insérer.

Autrement dit pour reprendre le thème du millénaire de Montserrat, pour saint Benoit lire est étroitement lié au travail spirituel qui va permettre au moine de se « régir lui-même ». Ici, il ne faut pas entendre l’expression comme une incitation à faire ce que l’on veut sans avoir de compte à rendre. Mais au contraire il s’agit plutôt d’apprendre à « se régir » dans le sens d’acquérir une juste « maitrise de soi ». On se souvient que la maitrise de soi est le dernier des fruits de l’Esprit exprimés par Paul en Ga (5,22), après patience, humilité, amour…. Oui, la lecture voudrait aujourd’hui encore nous aider à être maitre en notre propre maison de croyant et de moine, et non plus guidé par les passions ou tout autre désir dispersant…Edifier, notre maison, construire notre compréhension de la foi en approfondissant le mystère Dieu qui nous fait entrer dans son dessein de relation avec Lui… Développer notre intelligence de la vie monastique et notre vocation propre dans l’Eglise. Mieux nous connaitre nous-même dans nos réactions et dans notre histoire, pour mieux nous offrir à la conversion. Affiner notre compréhension du monde pour entendre aussi bien les cris qu’il nous lance que les intuitions qui peuvent nous éclairer, dans l’enfantement qu’il vit sous la conduite de l’Esprit. On le voit, la lecture peut conduire à un vrai travail spirituel.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 48, 1-9 ; Du travail manuel de chaque jour. écrit le 04 juin 2025
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« Ils seront vraiment moines, s’ils vivent du travail de leurs mains, comme nos Pères et les Apôtres »… Cette phrase bien connue de St Benoit fait suite à la recommandation qui précède : « Si les conditions locales ou la pauvreté exigent qu’ils s’occupent de rentrer les récoltes par eux-mêmes, ils n’en seront pas fâchés ». Nous pouvons entendre une certaine réticence ambiante à mouiller sa chemise et à se salir les mains, dans un travail qui ne serait pas digne d’un moine, notamment le travail de la terre. Ainsi déjà dans cette culture antique, il y avait les travaux nobles, comme l’artisanat, et les moins nobles, le travail de la terre. Ce préjugé semble tenace puisqu’il a traversé l’histoire des cultures jusqu’à nous.

Pour St Benoit, tous les travaux des mains sont nobles et dignes de la vie monastique. Aucun n’est exclu en soi. Car ce n’est pas le type de travail qui fait le moine, mais c’est le fait qu’il gagne sa vie par lui-même, comme déjà avant lui, les Pères du désert, et saint Paul. Il est vraiment moine, nous dit Benoit…Il est vraiment « monos », un, vraiment unifié celui qui peut gagner son pain à la sueur de son front. Nous pouvons nous arrêter sur ce point. Travailler de ses mains peut avoir une vertu unificatrice de tout l’être.

D’une part l’activité qui va générer un revenu et permettre se subvenir à ses besoins, offre à chacun et à tous la fierté et la dignité de s’assumer dans une juste autonomie, sans dépendre des autres. L’être se comprend alors comme un être unifié dans ses rapports avec les autres, pour vivre autonome et apporter au besoin une aide à d’autres.

D’autre part, la vertu unificatrice du travail manuel est sensible en ce que cette activité requiert toute l’énergie du corps. Toute la personne est engagée en son esprit qui réfléchit, en son âme qui goûte les choses, et en son corps qui créé, façonne, transforme etc… Cette dimension corporelle est certainement un aspect que beaucoup de nos contemporains aspirent à retrouver. Plus qu’un phénomène de mode, cette aspiration traduit le besoin de retrouver un contact avec la nature, avec la terre, finalement avec tout soi-même. Les travaux devant un ordinateur ou devant des machines qui sont le lot de beaucoup étiolent une part de notre humanité. Ainsi au monastère, avoir remis en valeur le jardin de la permaculture participe à ce mouvement de fond. S’il ne peut devenir une activité lucrative, il est un lieu d’équilibre qui fait signe pour nous tous. La frênette offrira nous l’espérons, un autre lieu de travail manuel et communautaire. La poterie pourrait encore être un autre lieu. Les forces nous manquent certes, mais nous ne devons pas nous résigner devant la difficulté. L’enjeu de pouvoir développer un ou des secteurs d’activité manuel lucratif demeure essentiel.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 47 ; Du signal de l’heure de l’œuvre de Dieu. écrit le 03 juin 2025
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« Jour et nuit ». Ainsi en va-t-il de notre vie qui est ponctuée jour et nuit par l’appel à venir aux différentes heures de la prière. Sans arrêt, nous nous levons la nuit, le matin assez tôt. Et à heures fixes durant la journée, nous nous dirigeons vers l’église… Nuit et jour, jour après jour, année après année…Quand on y pense, cela peut donner le vertige… Et nous restons des humains. Parfois, la routine peut s’installer, et nous faire aller à l’église de façon un peu machinale. On y va sans trop réfléchir. Il ne faut pas s’en étonner, et encore moins s’en effrayer, mais pas non plus s’y résigner. Comment bien vivre cette répétition ? Telle est peut-être la question qu’il nous faut nous poser de temps en temps.

Si on y réfléchit, une journée humaine, la nôtre comme celle de tous nos contemporains est faite de beaucoup de gestes répétés selon un rituel quasi identique pendant des années consécutives…qu’on pense au brossage des dents, à la toilette, à faire son lit, pour certains à lire les nouvelles, à préparer les repas, à manger…etc… La régularité de l’office dans sa dimension rituelle n’est pas en soi chose extraordinaire. Son originalité tient davantage dans sa répétition 7 fois par jour, ainsi que dans le fait que l’office rassemble ainsi, pas seulement des individus, mais une communauté jour après jour, année après année. Comment bien vivre dès lors cette répétition ? Comment la garder vivante ?

En faisant en sorte que notre office occupe vraiment la première place en notre cœur. A chacun de trouver la manière pour cela… un moyen accessible à tous est de mettre à profit le temps qui nous sépare de l’église, depuis la salle des coules…Durant ces quelques mètres, nous disposer le cœur à ce que nous allons vivre. Nous aura aidé l’effort fait pour quitter notre emploi sans trainer lorsqu’a retenti la cloche. Le corps s’accorde au cœur et à l’esprit pour paisiblement se tenir là et accueillir la présence de Celui qui déjà nous attend. Un autre moyen est de préparer ces feuilles à l’avance, voire de répéter telle hymne ou telle antienne qu’on connait moins…une autre façon est de lire les lectures à l’avance…ou le soir pour le lendemain…

Anticiper, préparer, c’est toujours se préparer et se mettre le cœur à l’ouvrage, et parfois en fête. Lorsque nous revenons à cette attention, lorsque nous consentons à ce mouvement intérieur, chaque office révèle alors sa note propre. La grâce nous est offerte d’entrer dans une relation un peu plus vivante avec notre Dieu. Car il ne cesse de nous convoquer à sa rencontre. Et faisons-lui confiance, notre Dieu-Trinité si grand qui s’est fait si proche en Jésus, n’a pas fini de nous surprendre.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 46 ; De ceux qui commettent des manquements en n’importe quelle autre chose. écrit le 30 mai 2025
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« Il le découvrira à l’abbé ou à des anciens spirituels qui sachent soigner leurs propres blessures et celles des autres, sans les dévoiler et les publier » … Découvrir un péché de l’âme dont la matière reste cachée, s’apparente à ce qu’est devenu notre sacrement de la réconciliation… Mais pas exclusivement. En effet, St Benoit pense ici avant tout à ce qu’on appelle l’ouverture du cœur. Cette capacité encouragée et mise en œuvre par chaque frère pour se soulager d’un fardeau secret. Ce fardeau peut-être de l’ordre du péché, c’est-à-dire d’une blessure infligée à la relation avec Dieu ou avec les autres. Mais il peut être simplement de l’ordre d’une souffrance subie, ou d’une situation trouble, ou encore d’une relation faussée qui pèse et empêche de vivre… L’ouverture du cœur par la parole s’offre à nous comme un instrument salutaire. Pouvoir parler à quelqu’un, à l’Abbé ou à un ancien spirituel dans le monastère, peut-être à un ami ou à une personne compétente de l’extérieur, est un moyen salutaire, très salutaire lorsque nous portons des fardeaux.

Sachons utiliser cet instrument de la parole vraie qui libère. Ne le négligeons pas. Il va nous permettre de faire des pas de géants dans notre suite du Christ. Au noviciat, dans le dialogue avec le P. Maitre, on apprend à ouvrir son cœur, à dire ce que nous vivons. C’est un acte libre. Personne ne peut l’exiger. Le respect de la conscience reste capital. Avec St Benoit, on peut que l’encourager tant on connait son pouvoir libérateur. Après le noviciat, le chemin monastique continue. Heureux le frère dans le cœur duquel se sont ouvert des chemins de paroles vraies. Car, la vie monastique se poursuivant et l’âge avançant, d’autres défis se présentent, d’autres fardeaux viennent parfois appesantir la marche. Et que l’on ait, 20, 30, 50 70 ou 90 ans, la parole vraie donnée dans la confiance garde toujours son pouvoir libérateur. Elle est un merveilleux remède à nos angoisses ou à nos culpabilités. Elle s’offre comme une belle antidote à nos illusions ou à nos scrupules.

Avec cet instrument, on apprend à présenter au Christ ses blessures, par l’intermédiaire d’un tiers. Et ce faisant, on apprend à mieux se connaitre soi-même, à mieux s’accepter dans ses propres limites sans les faire peser sur les autres, finalement à laisser le Christ soigner nos propres blessures... Celui qui a fait cette expérience pourra à son tour accueillir les paroles parfois les blessures des autres, les écouter, les accueillir. Et par l’écoute, par une parole simple, celui-là pourra être un instrument de la miséricorde du Christ. Demandons au Seigneur la grâce de parler vrai sous le regard d’un autre. Demandons-lui de nous donner une écoute bienveillante sans jugement, pour accueillir ceux qui, un jour, peuvent venir quêter notre attention, une parole peut-être.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 45 ; De ceux qui se trompent à l’oratoire. écrit le 24 mai 2025
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Lorsque j’étais à Solesmes, ces derniers jours, j’ai remarqué par 3 fois deux frères, qui se levaient et s’agenouillaient à leur place alors qu’on chantait les psaumes. Ils s’étaient trompés et faisaient ainsi satisfaction « pour réparer par l’humilité » leur manquement. J’ai été notamment édifié de voir agir ainsi un abbé d’une autre communauté… Nous n’avons plus cette pratique à la PqV. Présentait-elle des inconvénients majeurs pour qu’on l’ait abandonnée… ? Elle a certainement le mérite de prendre au sérieux l’acte que nous sommes en train de vivre : à savoir rendre gloire à Dieu et nous tenir en sa présence. Elle nous rappelle combien ce service requiert toute notre attention, notre présence de corps et d’esprit…

Que viennent des distractions durant notre prière, cela n’a rien d’étonnant. Mais que ces distractions persistent et s’installent, nous avons là une part de responsabilité. Nous pouvons en effet entrer dans une forme de complaisance qu’il est bon d’essayer de repérer pour tenter d’interrompre « le film » que nous nous faisons alors… Car sinon, il n’est pas rare, au moins me concernant, que des erreurs dans le chant ou la diction des psaumes viennent perturber non seulement mon propre chant, mais aussi celui de mes voisins…

Comment demeurer vigilants ? Comment ne pas s’habituer à une certaine légèreté ou nonchalance dans la récitation des psaumes ? C’est la question que nous renvoie ce chapitre. Nous savons notre faiblesse. S’il ne s’agit pas de tout vouloir maitriser, il est heureux de désirer rester attentif à ce que nous disons. Je vois deux pistes pour nous aider : la première est de se ménager un espace entre la fin des activités et la prière…Ne pas arriver en courant, pour avoir le temps de déposer les soucis ou les questions qui tournent dans nos têtes, à la suite de notre travail ou d’une rencontre… Prendre le temps de remettre tout cela au Seigneur, pour être plus disponible. En somme, nous mettre en présence de Celui devant lequel nous nous trouvons, et que nous désirons honorer par nos lèvres, mais aussi par notre cœur.

La seconde piste est de nous accrocher aux mots que nous disons… pouvoir goûter ce qu’ils nous disent du Dieu que nous prions, la manière avec laquelle le psalmiste s’adresse à lui, parle de lui… pouvoir aussi accueillir un sens nouveau, ou une couleur inattendue d’un mot, d’une expression… C’est la grâce de notre vie monastique de nous dévoiler de jour en jour le goût et la beauté, ainsi que la variété de sens, des mots de la prière que nous reprenons sans cesse… Demandons cette grâce de ne jamais nous habituer, mais de rester en éveil au temps de la prière commune et personnelle, pour être au rendez-vous de Celui qui désire nous voir demeurer en son Amour.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 44 ; De ceux qui sont excommuniés, comment ils satisferont. écrit le 15 mai 2025
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La vie communautaire est un espace où la vie circule entre les frères et où, dans le don et l’attention mutuelle, nous nous offrons la vie. De cette qualité de relations nait entre nous un climat de paix propice à la croissance spirituelle et humaine de tous. Parfois il y a des accrocs. Ils peuvent êtres graves comme des conflits violents ou comme des entêtements obstinés par lesquels le frère « de facto » se met en dehors. Ce faisant, c’est comme le maillon d’une chaine qui est cassé ou enlevé et qui rompt la communion. Ou c’est comme un caillot dans une artère qui bouche le passage du sang et qui met en danger la vie…

Les accrocs peuvent plus être plus légers, des petites manies où on fait passer son intérêt avant celui de la communauté, des mauvaises habitudes dans lesquelles on s’installe. Sans être grave, c’est l’élan communautaire qui s’en trouve ralentit ou bien perturbé… Dans tous les cas, les plus graves comme les plus légers, la vie communautaire connait des secousses plus ou moins grosses, comme un déficit de de vie qui se creuse… Comment réparer, comment restaurer la vie de telle sorte que renaisse la confiance entre nous, mais aussi la joie de chercher Dieu ensemble ?

St Benoit offre une pédagogie un peu spartiate et militaire où le frère « satisfait », mot à mot on pourrait traduire « qui en fait assez », qui comble ce qu’il a contribué à vider ou à amoindrir : la charité. Par les prosternations à la porte de l’oratoire, il manifeste son désir de changer, en appelant la prière et le regard miséricordieux de ses frères… Aujourd’hui, nous ne savons plus très bien communautairement, comment réparer ce qui a été comme abimé ou vidé… Il ne nous reste que l’exhortation faite au frère de venir de lui-même demander pardon à un frère offensé, ou bien de s’accuser au chapitre des coulpes d’une faute… Et cette démarche de reconnaissance que le frère fait vis-à-vis d’un frère ou de la communauté est déjà une belle manière de retisser le lien communautaire. Elle reste peut-être incomplète mais elle met sur la bonne voie. Car je crois que le plus important est que nous nous aidions ensemble à ne pas nous habituer à la négligence, et encore moins aux manques de charité fraternelle. Car s’y habituer, c’est comme laisser pour soi-même une plaie s’infecter… Et à trop s’infecter, le mal pourrait gangréner tout le corps communautaire. Nous ne cherchons pas être des parfaits dans la vie monastique. Mais nous cherchons à devenir des hommes qui aiment davantage, qui ne se contentent pas du minimum, mais qui désirent se donner davantage. L’amour fraternel qui circule entre nous est un bien précieux sur lequel il nous revient tous de veiller autant qu’à la prunelle de nos yeux…

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 43, 13-19 ; De ceux qui arrivent en retard à l’œuvre de Dieu ou à table. écrit le 14 mai 2025
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Être ensemble pour commencer le repas et aussi, comme nous l’entendions hier, pour commencer la prière : l’insistance est fortement soulignée par Benoit. Elle marque combien en ces actes essentiels de notre vie monastique : prier et manger, nous sommes un corps, le corps communautaire, le corps du Christ. Si l’un manque, quelque chose ne va pas, et à fortiori si c’est en raison de sa négligence. Le corps communautaire vit de la présence active de chaque membre.

Ici, nous allons nettement à contre-courant de la mentalité de la société où le repas tend de plus en plus à s’individualiser. J’entends encore un père de famille me dire qu’il avait institué assez fermement que tous les dimanches midi, toute la famille mange ensemble, alors que les autres jours, soit en raison d’une absence ou d’horaires très différents, chacun mangeait à son heure. Dans certaines familles alors que tous sont sous le même toit, on entend parfois, que chacun prend son repas dans sa chambre devant sa télé… Notre repas communautaire monastique veut nous ramener à cette réalité plus profonde : si nous mangeons, nous mangeons ensemble, car ensemble nous nous recevons les uns des autres. Manger dans son coin est plus qu’une faute, c’est une erreur de perspective, c’est oublier que tout ce qu’il y a dans mon assiette, comme tout ce qui me fait vivre, je le reçois de mes frères comme j’ai moi-même contribué au bien de mes frères. Manger ensemble c’est célébrer notre communion faite de ces multiples geste et actions d’entraide et solidarité qui font que nous soutenons mutuellement.

Et de même commencer ensemble par la prière, c’est remettre notre corps communautaire sous le regard de Dieu, de qui nous recevons tout chose, les uns par les autres. Être ensemble à ce moment est capital, car ensemble nous appelons la bénédiction autant sur la nourriture que sur la communauté qui l’a confectionné et qui va la consommer. Aussi, il est bon de nous rappeler les usages que nous avons et que je redis ici. Lorsque nous sommes en retard alors que la prière a commencé : nous attendons à la porte du réfectoire et nous regagnons notre place seulement après le coup de gong, pas quand les frères s’assoient… J’insiste sur ce point : seulement après le coup de gong. Ceci ne vaut pas pour nos frères handicapés qui sont en retard du fait de l’ascenseur… Que cette attente debout près de la porte, au réfectoire comme à l’église, nous fasse mieux sentir notre décalage au regard de la communauté.

Voir le commentaire de Père Abbé Luc / Chapitre 43, 1-12 ; De ceux qui arrivent en retard à l’œuvre de Dieu ou à table. écrit le 13 mai 2025
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Je voudrais commencer par citer le passage de la Règle du Maitre dont Benoit s’est inspiré en partie pour ce chapitre. « Quand le signal frappé à l’oratoire montre que l’heure divine est arrivée, aussitôt les travailleurs jetteront leur ouvrage, les artisans lâcheront leurs outils, les copistes n’achèveront pas la lettre qu’ils écrivaient. La main de chaque frère abandonnera ce qu’elle faisait, le pied se hâtera sur le champ, avec gravité, d’aller à l’oratoire, l’esprit d’aller à Dieu, afin qu’aussitôt l’on se rassemble pour la première oraison… (RM 54, 1-4) »

Cette recommandation du Maitre fait bien pressentir que déjà au 6°s, il n’était pas facile de s’arracher à son ouvrage, pour aller à la prière. Deux ouvrages sont en concurrence : l’ouvrage de nos mains et l’œuvre de Dieu. Deux réalités bien différentes à première vue, la première visant à un but concret et immédiat pour le bon déroulement de la vie de la communauté, et la seconde qui prend de la distance pour s’arrêter pour Dieu et pour le chanter. Comment intégrer profondément ces deux réalités qui, de concurrente qu’elles sont en apparence, peuvent se féconder mutuellement ?

Ici chacun de nous est invité à un travail intérieur toujours à reprendre. Comment passer du soupir ou du dépit de devoir laisser le travail inachevé, à l’action de grâce pour ce qui est déjà fait dans la confiance que Dieu nous donnera ensuite de poursuivre peut-être mieux ce que nous laissons ? Ici, il y a un vrai combat à assumer et à prendre au sérieux. Car si nous cédons à la tentation d’aller au maximum de ce que nous pouvons pour faire le plus possible de choses alors que la cloche nous a déjà appelés, nous allons nous épuiser. De la sorte, nous faisons preuve d’un manque de foi en Celui qui mène nos vies. Car, sauf exception, comme disait un ami des monastères : « rien n’est urgent, tout est important ». Et c’est là qu’une fécondité peut se révéler : lorsque j’accepte de laisser mon ouvrage pour me préparer tranquillement, sans courir au dernier moment, pour rejoindre l’église, quelque chose de profond se vit en moi, de l’ordre d’un lâcher prise qui est déjà une prière. Mon attitude est déjà offrande à Dieu. Sans un mot, elle confesse sa grandeur et elle le chante déjà.

Je crois qu’il nous faut, tous et chacun, accepter que ce travail très profond, celui de la manière avec laquelle j’accueille la cloche, est sans cesse à reprendre. Car son enjeu est majeur : celui de me laisser faire par l’appel de Dieu. Le Maitre recommande un peu plus loin : « Toutes les fois qu’on frappe le signal à l’oratoire, aussitôt tous ceux qui l’entendent, feront un signe de croix sur leur front, en répondant « Deo Gratias » (RM 54, 5). Oui, disons d’abord merci à Dieu de nous appeler à le chanter, et laissons-lui le souci de nos travaux. Préparons-nous à l’office en arrivant à l’avance et en nous tenant devant Dieu en silence.