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HOMELIE

19 février
année 2022-2023

Année A - 7e dimanche TO, 19 février 2022
— Lv 19, 1-2.17-18 ; 1 Co 3, 16-23 ; Mt 5, 38-48
Homélie du F. Charles-Benoit Andreu

« Œil pour œil, dent pour dent » Chers frères et sœurs, cette loi, la « loi du talion », retentit avec un écho particulier dans la Torah, dans la Loi. Elle y est répétée pas moins de trois fois : Exode, Lévitique, Deutéronome. Aujourd’hui, Jésus est-il en train de l’abolir ? Comment entendre ce qu’il disait dans l’évangile de dimanche dernier : je ne suis pas venu abolir la Loi, mais l’accomplir ? Pour entendre ce que dit Jésus, il faut d’abord entendre ce que dit la Loi. En l’occurrence, ça ne paraît pas bien compliqué. Et pourtant, déjà avant Jésus, la tradition juive prenait soin de l’interpréter, ne se satisfaisant pas de l’abrupte clarté de ses mots. Non, Jésus ne vivait pas entouré de fous-furieux vengeurs, prêts à crever des yeux de sang froid au nom de la loi divine. Et toute la tradition juive, jusqu’à nos jours, montre qu’elle sait très bien, quand la Lettre tue, trouver en elle l’Esprit qui vivifie, accomplir sans abolir. Nous autres chrétiens, quand nous cherchons dans l’Écriture une lumière pour notre vie, pour les questions de notre temps, nous devrions aussi savoir entrer dans ce corps à corps de la Lettre et de l’Esprit que Jésus a appris de la tradition d’Israël, et ne pas nous enfermer dans des lectures littéralistes. En l’espèce, la tradition rabbinique récuse absolument l’idée de crever l’œil de qui que ce soit. Au contraire, elle applique la loi du talion, sa proportionnalité, au devoir d’une réparation financière en cas de blessure : pour un œil, réparer ce que représente la perte un œil, pour une dent, ce que représente une dent. Ainsi fonde-t-elle un principe fondamental de la justice, jusqu’à aujourd’hui : le tort fait à autrui doit être réparé de façon proportionnée. Poursuivons dans l’élan concret où cette lecture nous entraîne. Est-ce seulement le tort fait à autrui que la Loi veut ainsi réparer ? En effet, s’il y a besoin d’une loi pour nous rappeler cela, c’est sans doute parce qu’il faut aussi réparer notre sens des responsabilités, guérir notre indifférence devant le mal que nous faisons aux autres, et peut-être, au-delà encore, notre indifférence devant toute souffrance, qu’on en soit ou non responsable. Suis-je capable de compassion ? Est-ce que la souffrance de l’autre touche quelque chose en moi — comme si c’était moi : œil pour œil, dent pour dent ? Le parallélisme qu’établit la loi du talion rejoint alors le grand commandement de la Loi entendu en première lecture : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Oui, puissions-nous apprendre à aimer œil pour œil, dent pour dent, à répondre aux requêtes de cet amour : une aide et un geste concrets, une parole. Jésus n’est pas venu abolir cette loi-là. Toute sa vie, il n’a cessé de l’accomplir. Mais il envisage la loi du talion sous un autre angle, non plus du côté de celui qui fait du tort, mais du côté de celui qui le subit. Alors en quelque sorte le miroir se brise : si la peine du frère que j’ai fait souffrir doit devenir ma peine, la violence de celui qui m’a fait souffrir ne doit pas devenir ma violence. Ces paroles de Jésus peuvent être très lourdes à porter. Nous n’avons certes pas à les appliquer au pied de la lettre, si cela va contre la justice dont nous avons parlé. Mais malgré tout, nous risquons toujours de les entendre ou, pire, de les asséner, comme l’une de ses injonctions au pardon qui blessent profondément ceux et celles qui ont subi une violence — quand l’appel au pardon est une manière de nier leur souffrance, de leur refuser la justice, quand il ajoute à la souffrance le poids d’une culpabilité, celle de ne pouvoir pardonner. Mais peut-être Jésus veut-il simplement nous montrer que, pour autant, la rancune n’est pas un chemin. Quand l’autre nous a giflé, la rancune qui ronge le cœur, la violence qui envahit les pensées, sont une façon terrible d’être frappé encore, bien plus terrible que de tendre l’autre joue. En sortir est difficile. Mais nous pouvons chercher, avec délicatesse, à nous aider ici les uns les autres. Non pas d’abord par des injonctions au pardon, mais en offrant cette écoute, cette considération, cet amour qui seul apaise, car il comprend, car il partage la souffrance et les combats de l’autre, parce qu’il aime œil pour œil, dent pour dent.

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