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HOMELIE

09 octobre
année 2021-2022

Année C - 28e dimanche ordinaire - (09/10/2022)
(2 R 5, 14-17 – Ps 97 – 2 Tm 2, 8-13 – Lc 17, 11-19)
Homélie du F. Jean-Louis

Frères et sœurs, La Bible, la Parole de Dieu peut parfois bien prendre à rebours nos évidences. Dans une Europe relativement riche mais vieillissante, qui constituait un îlot de paix dans notre monde, îlot de paix ébranlé cependant par la guerre en Ukraine, de fortes craintes sont nées devant la venue de migrants fuyant des guerres ou des situations économiques désastreuses. Or, pour ces migrants, il ne s’agit pas d’un caprice mais de survie voire de vie tout court. Et nous le savons bien, le réflexe spontané est de se sentir menacé devant l’étranger, de s’imaginer que ces migrants vont nous submerger.
Mais la Bible en général, et les lectures de ce dimanche en particulier, nous interrogent sur ce sujet brûlant. Et d’abord, si la Bible en parle, c’est que ce n’est pas une attitude récente, moderne, mais qu’elle existe, on pourrait dire, de tout temps. Dans l’Ancien Testament, l’étranger est une des catégories de pauvres, de gens fragiles, exposée à tous les risques au même titre que la veuve et l’orphelin. Ils sont souvent nommés ensemble. Et la tentation de les exploiter ou de les rejeter est grande. Nous retrouvons cette même attitude au temps du Christ, en particulier devant un genre d’étranger pas du tout apprécié par les juifs : les Samaritains. Il ne faut pas oublier non plus que le peuple juif étant le seul peuple des alentours à vénérer un Dieu unique, les étrangers pouvaient être vus comme un risque constant de contamination par le polythéisme. Et du temps du Christ encore, fréquenter un étranger païen rendait impur pour participer au culte du Temple, ce qui n’était pas rien.
Mais que nous dit la Bible sur l’attitude du croyant à l’égard des étrangers ? Que nous recommande-t’elle ? Il me semble que la première lecture et l’évangile nous ouvrent des horizons qui peuvent être confirmés par d’autres passages bibliques. Ils ne nous disent pas comment faire politiquement avec les migrants, les étrangers, mais bien plutôt quelle doit ou devrait être l’attitude de l’homme de Dieu, du chrétien à leur égard.

Dans la première lecture il est question d’un général syrien. Or, ce général avait remporté des victoires contre le roi d’Israël. Donc, pour un Juif, ce n’était pas le type d’étranger que l’on pouvait aimer… Ce général était venu chez Elisée espérant guérir de sa lèpre et ce dernier lui avait recommandé d’aller se plonger sept fois dans le Jourdain. Refus du général qui trouve la méthode de guérison trop simple et pas assez magique avec en plus ce côté un peu chauvin : les fleuves de Syrie ne valent-ils pas le Jourdain ? Finalement, sur le conseil d’un de ses serviteurs, le général obéit et se retrouve guéri. Et là, il y a un retournement. De païen qu’il était, il reconnaît non seulement que le Dieu d’Israël est Dieu, cela n’aurait fait qu’un dieu de plus à vénérer, mais qu’il n’y a pas d’autre Dieu que celui d’Israël. Il sort donc de son polythéisme. Il prend de la terre d’Israël pour se faire un autel chez lui et ne plus offrir de sacrifice à aucun dieu sinon le Dieu d’Israël. Ainsi, un étranger, et en plus un ennemi militaire, est donc susceptible d’adopter la foi d’Israël. Ce n’est pas rien pour un peuple qui se croyait le seul peuple élu, appelé par Dieu à la suite d’Abraham. Quelle est l’attitude d’Elisée ? Il l’a accueilli et a accédé à sa demande. La guérison survenue, il refuse les présents du général et ne proteste pas du tout contre la conversion de cet ennemi. En fait, il reconnaît que Dieu a touché son cœur et l’a retourné. Qui était-il pour refuser l’action de la grâce de Dieu ?

Quant à l’évangile, il nous présente la guérison de dix lépreux. Là comme dans la première lecture, la guérison s’effectue avec une grande sobriété. Pas de geste, ni de parole de guérison magiques. Simplement un : « Allez vous montrer aux prêtres ». Et c’est tellement simple que les lépreux ne se rendent même pas compte qu’ils sont guéris chemin faisant.
Seul un le remarque et fait demi-tour pour remercier Jésus en rendant grâce à Dieu. Or, il s’agit d’un Samaritain. Les Samaritains, descendants de populations étrangères amenées par les Assyriens pour remplacer les israélites déportés lors de la prise de Samarie en 721 avant Jésus Christ, étaient détestés des Juifs et le leur rendaient bien. Ils refuseront d’accueillir Jésus et ses disciples en marche vers Jérusalem simplement parce qu’ils vont à Jérusalem. En effet, les Samaritains adorent Dieu au Mont Garizim et il y a donc concurrence entre les deux sanctuaires.
Quelle est l’attitude de Jésus ? Tout d’abord, dans notre récit, il ne fait aucune différence entre les 9 Juifs et le Samaritain, tous lépreux. Il les guérit tous car tous sont unis par la mise à l’écart de la société à cause de l’horreur qu’ils inspirent. Et quand Jésus signale sa qualité d’étranger, de Samaritain, c’est pour souligner qu’il est le seul à être venu le remercier. Ailleurs, dans la parabole du bon Samaritain, Jésus ne se gêne pas pour mettre la bonté de cet étranger en valeur par rapport à l’indifférence de deux bons Juifs par excellence que sont le prêtre et le lévite.
Frères et sœurs, si nous relions notre évangile à d’autre passage du Nouveau Testament comme Matthieu 25 décrivant le Jugement dernier : « J’étais étranger et vous m’avez accueilli », le Christ s’identifiant à l’étranger, nous sommes bien obligés de constater que le Christ reprend à son compte un courant de l’Ancien Testament.
Ainsi par exemple, dans un passage fondamental du livre de l’Exode, le Décalogue, on trouve clairement cette parole de Dieu : « Tu n’exploiteras pas l’immigré, tu ne l’opprimeras pas, car vous étiez vous-mêmes des immigrés au pays d’Egypte »

Et le livre du Lévitique, un des 5 livres de la Loi juive, comme l’Exode énonce pareillement : « L’immigré qui réside avec vous sera parmi vous comme un Israélite de souche, et tu l’aimeras comme toi-même. »

Et encore au livre du Deutéronome, toujours dans la Loi, la Torah : « Aimez donc l’étranger, car au pays d’Egypte vous étiez des immigrés. »

Les prophètes ne sont pas en reste, par exemple Jérémie : « Pratiquez le droit et la justice, délivrez l’exploité des mains de l’oppresseur, ne maltraitez pas l’immigré, l’orphelin et la veuve, ne leur faites pas violence. »

Le prophète Malachie, citant Dieu lui-même, dit : « je témoignerai contre ceux qui oppriment le salarié, la veuve et l’orphelin, qui excluent l’immigré. »

Le Christ reprend donc à son compte cet enseignement de la Loi car les tenant les plus stricts de la Loi, au temps du Christ, semblent avoir oublié ces préceptes. Et le Christ, comme je l’ai dit plus haut, doit réaffirmer fermement, dans un passage décrivant le Jugement dernier, que ceux qui n’auront pas accueilli l’étranger qui est le Christ lui-même, n’auront pas accès au Royaume.

Qu’en est-il pour nous ? Quelle est notre attitude ? N’avons pas ou ne risquons-nous pas d’oublier ces enseignements, ces préceptes qui nous gênent ?
Ni le Christ, ni la Bible ne donnent de recettes comment accueillir l’étranger. Ils font confiance à l’imagination humaine. La Parole de Dieu dans l’Ancien Testament, accomplie par le Christ dans le Nouveau Testament, nous dit que l’étranger doit être respecté car il est fils de Dieu et notre frère aux yeux de Dieu. Et saint Paul dira qu’en Christ il n’y a plus ni Juif, ni Grec, ni esclave, ni homme libre. Toute l’humanité est sauvée en Christ et s’il est recommandé d’accueillir l’étranger, c’est dans sa dignité d’être sauvé par la mort et la résurrection du Christ. Et si nous ne l’accueillons pas, c’est le Christ que nous n’accueillons pas. Le Christ reconnaît dans l’évangile d’aujourd’hui les richesses de foi présentes dans un étranger, il reconnaîtra aussi chez un centurion païen une foi qu’il n’a pas trouvée en Israël. Dans l’évangile de saint Marc, si, dans un premier temps, le Christ refuse d’aider une femme païenne dont la fille est malade, il change d’avis devant le témoignage de foi de cette femme et c’est un centurion païen qui reconnaîtra devant le Christ en Croix sa véritable identité : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu. »
Et si, de notre côté, nous reconnaissions déjà les richesses de courage, de volonté de vivre, de persévérance, d’ingéniosité chez ceux qui frappent à notre porte ? Et si nous reconnaissions leur capacité à se soutenir, à se venir en aide mutuellement derrière la lèpre de leur misère ? Peut-être notre regard changerait-il.
On dit souvent que le chrétien doit avoir sur les autres le regard que le Christ porte sur eux et sur nous. Relisons sérieusement cet évangile et les autres passages importants des traditions juives et chrétiennes sur l’accueil des étrangers et mettons-nous à la suite du Christ. Imitons-le. Il en va de l’authenticité de notre témoignage de chrétiens. Dieu ne nous demande pas de nous mettre sur la paille pour aider les autres, de nous rendre la vie impossible, il nous demande de changer notre regard. Alors, je suis certains que notre imagination trouvera des solutions concrètes. Tant de gens se sont déjà mis à l’œuvre en ce sens. Dieu nous veut libres et nous fait confiance pour trouver les bons choix et les moyens de les mettre en œuvre.
Demandons, implorons l’aide de l’Esprit Saint qui, seul, peut nous faire aimer comme Dieu aime.

AMEN

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